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CHAPITRE 3,DISCOURS APRÈS LA CÈNE.

9. Suivons maintenant, autant que nous le pourrons, l'ordre chronologique d'après tous les évangélistes. Après avoir rapporté la triste prédiction faite à Pierre, saint Jean nous représente le Sauveur continuant à s'entretenir avec ses apôtres et leur disant: "Que votre coeur ne se trouble point; vous croyez en Dieu, croyez aussi en mo1,Il y a bien des demeures dans la maison de mon Père;" etc. Le texte de ce discours sublime et magnifique va jusqu'à cet endroit où le Seigneur s'écrie: "Père juste, le monde ne vous connaît pas, mais moi je vous connais, et ceux-ci savent que vous m'avez envoyé, et je leur ai fait connaître votre nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux et que je sois aussi en eux (1). - Or, comme le raconte saint Lc il s'éleva entre eux une contestation sur la question de savoir lequel d'entre eux devait être considéré comme le plus grand. Mais Jésus leur dit: Les rois des nations exercent sur elles leur autorité, et ceux qui les dominent prennent le nom de bienfaiteurs. Il n'en sera pas ainsi pour vous; il faut que le plus grand soit comme le plus petit, et celui qui est à la tête comme celui qui obéit.

1 Jn 14-16,

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Et en effet,lequel est le plus grand, de celui qui est à table ou de celui qui le sert? Mais pourtant me voici au milieu de vous dans l'attitude de celui qui sert. Pour vous, vous êtes demeurés fermes avec moi au milieu de mes tentations. Et voici que je vous prépare le royaume comme mon Père me l'a préparé, afin que vous y mangiez et que vous y buviez à ma table, "et que vous y soyez assis sur des trônes pour juger les douze tribus d'Israël. Or, ajoute saint Lc le Seigneur dit à Simon: Voilà que satan vous a convoités pour vous cribler comme on crible le froment; mais j'ai prié pour toi, afin que la foi ne défaille point; toi donc, lorsque tu seras revenu, confirme tes frères. Pierre lui répondit: Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Et le Seigneur lui dit: Je te l'assure, Pierre, le coq n'aura pas chanté aujourd'hui, que déjà tu m'auras renié trois foIs Puis il leur dit à tous: Quand je vous ai envoyés sans sac de voyage, sans bourse et sans chaussure, est-ce que quelque chose vous a manqué? Non, répondirent-ils. Le Seigneur ajouta: Mais, maintenant, que celui qui a un sac le prenne, qu'il prenne aussi sa bourse, "et que celui qui n'en a point, vende sa tunique pour acheter une épée. Car je vous assure qu'il faut encore que l'on voie s'accomplir en moi cette parole de l'Écriture: Il a été mis au rang des criminels, et ce qui me concerne touche à son accomplissement. Ils lui dirent: Voici deux épées, Seigneur. C'est assez, leur répondit-il (1). Et l'hymne étant dite, ajoutent saint Matthieu et saint Mc ils se rendirent au mont des Oliviers. Alors Jésus leur dit: Vous serez tous scandalisés cette nuit, à mon sujet, car il est écrit: Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées; mais quand je serai ressuscité, je vous précèderai en Galilée. Pierre prenant la parole lui dit: Lors même que tous seraient scandalisés à votre sujet, moi je ne me scandaliserai jamaIs Jésus lui répondit: "Je te déclare en vérité, que dans cette nuit, "avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois foIs Pierre répliqua: Lors même qu'il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Les autres disciples en dirent autant (2)." Nous avons inséré ici les paroles de saint Matthieu, mais saint Mc s'exprime d'une manière à peu près identique (3); la seule différence est celle que nous avons signalée plus haut, relativement au chant du coq.

1 Lc 22,24-38. - 2 Mt 26,30-36. - 3 Mc 14,26-31.


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CHAPITRE 4, CE QUI SE PASSE AU JARDIN DES OLIVIERS.

10. Saint Matthieu, continuant son récit, ajoute: "Alors Jésus entra avec eux dans une villa dite de Gethsémani (1)." Saint Mc s'exprime de même (2); saint Lc sans désigner le nom de la villa, se contente de dire: "Et étant sorti il allait, selon son habitude, au mont des Oliviers, "et ses disciples le suivirent. Or, quand il y fut arrivé, il leur dit: Priez, afin que vous n'entriez pas en tentation (3)." Ce lieu est celui qui est appelé Gethsémani par les deux autres évangélistes. Il y avait là un jardin dont parle saint Jean en ces termes: "Lorsqu'il eut achevé ces dernières paroles, il traversa avec ses disciples le torrent de Cédron, au de là duquel se trouvait un jardin où il entra, lui et ses disciples (4)." Ensuite, d'après saint Matthieu, "il dit à ses disciples: Arrêtez-vous ici pendant que je vais aller là, pour .prier. Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il se mit à éprouver de la tristesse et une grande affliction. Puis il leur dit: Mon âme est triste à la mort. Demeurez ici et veillez avec mo1,"Et s'avançant un peu plus loin, il se prosterna la face contre terre, priant et disant: Mon Père, si c'est possible, que ce calice passe loin de moi, mais qu'il en soit comme vous le voua lez et non comme je veux. Puis il vint vers ses disciples, les trouva endormis et dit à Pierre: N'avez-vous donc pu veiller une heure avec moi? Veillez et priez, afin que vous n'entriez pas en tentation, Car l'esprit est prompt, mais la chair est faible. Il s'éloigna une seconde fois Et pria en ces termes: Mon Père, si ce calice ne peut passer loin de moi sans que je le boive, que votre volonté se fasse. Ensuite il retourna vers eux, et les trouva encore endormis, car ils avaient les yeux appesantIs Il les quitta donc, s'éloigna de nouveau et pria une troisième fois en prononçant toujours les mêmes paroles. Enfin il revint auprès de ses disciples et leur dit: Dormez maintenant et prenez du repos! Voici que l'heure approche, et le Fils de l'homme va être livré entre les mains des pécheurs. Levez-vous,

1 Mt 26,36-46. - 2 Mc 14,32-42. - 3 Lc 22,39-46. - 4 Jn 18,1.

marchons, voici que s'approche celui qui doit me livrer."

11. Saint Mc nous présente à peu près le même récit, avec cette simple différence que quelquefois il est plus court et quelquefois plus long, tout en exprimant les mêmes pensées. Remarquons cependant que saint Matthieu semble en contradiction avec lui-même, quand après la troisième prière, il met ces paroles sur les lèvres du Sauveur: "Dormez maintenant et prenez du repos! Voici que l'heure approché, et le Fils de l'homme va être livré entre les mains des pécheurs. Levez-vous, marchons; voici que s'approche celui qui doit me livrer." Pourquoi ces paroles: "Dormez maintenant et prenez du repos," suivies immédiatement de ces autres: "Voici que l'heure approche, levez-vous, marchons?" Sous le coup de cette apparente contradiction, le lecteur s'efforce de donner à ces mots: "Dormez maintenant et prenez du repos," le ton du reproche et non celui d'une véritable permission. A la rigueur, sans doute, on pourrait accepter cette interprétation. Mais si l'on observe que saint Mc après ces paroles: "Dormez maintenant et prenez du repos," ajoute: "Cela suffit," pour reprendre ensuite: "Voici l'heure qui approche, où le Fils de l'homme sera livré," on conclut naturellement qu'après ces mots: "Dormez maintenant et prenez du repos," le Seigneur garda le silence pendant quelque temps, afin de laisser faire ce qu'il avait permis; ce n'est qu'après cela qu'il ajouta: "Voici que l'heure approche." C'est ce qui nous explique ce mot de saint Marc: "Cela suffit," c'est-à-dire le repos que vous venez de prendre est suffisant. Néanmoins, comme il n'est fait aucune mention du silence gardé pendant quelque temps par Jésus-Christ, on s'efforce d'aider l'intelligence, par une prononciation particulière donnée au texte.

12. Saint Luc ne parle pas de la réitération de la prière; mais il mentionne des détails qui ont été passés sous silence par les autres évangélistes: ainsi le secours apporté au Sauveur par l'Ange, la sueur de sang dont les gouttes, découlaient jusqu'à terre. Il se contente donc de dire: "Quand il se fut relevé de sa prière et qu'il fut arrivé auprès de ses disciples," sans dire après laquelle de ses prières. Cependant son récit n'est nullement en contradiction avec les deux précédents. Quant à saint Jn il nous raconte, il est vrai, l'entrée du Sauveur et de ses disciples dans le jardin; mais il ne dit absolument rien de ce qui s'y passa jusqu'au moment où arriva le traître avec les Juifs pour se saisir de sa personne.

13. Les trois évangélistes ont donc raconté ce même événement, avec autant de conformité et d'accord qu'il serait possible à un seul homme d'en mettre, s'il avait trois fois à faire le même récit, en y mêlant toutefois quelque variété. Saint Luc nous précise la distance à laquelle le Sauveur s'éloigna de ses disciples: "à la distance d'un jet de pierre." Saint Mc parle d'abord en son nom de la prière du Sauveur et dit qu'il demanda: "que s'il était possible l'heure passât loin de lui;" c'est l'heure de sa passion, qu'il désigne bientôt sous le nom de calice. Il met ensuite dans la bouche du Seigneur les paroles suivantes: "Abba, mon Père, tout vous est possible, éloignez de moi ce calice." En rapprochant ces expressions des expressions employées par les deux autres évangélistes, et par saint Mc lui-même, parlant en son propre nom, on aura le texte suivant: "Mon Père, si c'est possible, or tout vous est possible, éloignez de moi ce calice:" Afin qu'on ne pût avoir même la pensée qu'il diminuât la puissance de son Père, il ne dit pas: si vous pouvez, mais: "si cela est possible," ce qui revient à dire: "si vous voulez," car ce que Dieu veut, est possible. Saint Mc s'est chargé lui-même de nous donner l'explication de ces mots: "Si cela est possible," quand il ajoute: "Or tout vous est possible." Enfin ces autres paroles: "Cependant, qu'il advienne, non ce que je veux, "mais ce que vous voulez," ou en d'autres termes: "Que votre volonté se fasse et non la mienne," nous indiquent clairement que ces mots: "si cela est possible," s'appliquent, non pas à une impossibilité réelle, mais uniquement à la volonté de son Père. Aussi saint Luc est plus explicite encore, car il met uniquement sur les lèvres du Sauveur ces paroles: "Mon Père, si vous voulez." Rapprochons ces mots du texte de saint Mc et nous aurons: "Mon Père, si vous voulez, car tout vous est possible, éloignez de moi ce calice."

14. Saint Mc ne se contente pas du mot Mon Père," il y ajoute le mot Abba, qui, en hébreu, a absolument la même signification. Peut-être que pour indiquer un profond mystère, le Sauveur a en effet prononcé ces deux mots. Il aurait voulu nous faire comprendre, qu'en se

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faisant victime de cette tristesse profonde, il représentait son corps mystique, l'Église, dont il est la pierre angulaire, et qui devait se composer, soit d'Hébreux dont le cri est: Abba, soit de, Gentils, figurés par le mot qu'ils prononcent Père (1). Saint Paul a saisi ce mystère, puisqu'il dit lui-même, en parlant de Dieu: "En qui nous crions Abba, Père (2);" ailleurs il ajoute: "Dieu a envoyé dans vos coeurs son Esprit, criant: "Abba, Père. (3)" Ne fallait-il pas que Jésus, le bon maître et le véritable Sauveur, tout compatissant pour les faibles, prouvât dans sa propre personne, que les martyrs ne doivent pas désespérer, quand au moment de leurs souffrances ils sentent la tristesse s'emparer de leur coeur; et qu'ils s'efforcent d'en triompher par la soumission de leur volonté à la volonté de Dieu, en se rappellant que Dieu sait les besoins de ceux qu'il protège? Mais -ce n'est pas le lieu de développer plus longuement cette pensée; le sujet qui nous occupe, c'est l'accord des évangélistes; et si nous remarquons entre eux une certaine diversité, cette diversité nous apprend à ne chercher la vérité, que dans la pensée de celui qui parle. C'est ainsi que ces deux mots: "Abba, Père," ont la même signification; mais si nous avons spécialement en vue le mystère, les d'eux réunis, "Abba, Père," semblent mieux appropriés; si nous voulons signifier l'unité, le mot Père suffit. Nous devons croire que le Sauveur a prononcé ces deux mois; cependant il manquerait quelque chose à l'idée exprimée, si les autres évangélistes, en se contentant du mot Père, n'avaient montré clairement, que ces deux Eglises des Juifs et des Gentils maintenant n'en forment plus qu'une. En prononçant ces deux termes: "Abba, Père," le Seigneur énonçait ce qu'il a dit formellement ailleurs: "J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de ce troupeau;" ces brebis, ce sont les Gentils, car le peu qu'il en avait alors appartenaient au peuple d'Israël. En ajoutant: "Il faut que je les amène, afin qu'il n'y ait qu'un seul troupeau et un seul pasteur (4)," il formulait plus longuement ce qui est renfermé dans ce seul mot: "Père," l'unité de troupeau et de société, comme il avait exprimé la pluralité par ces deux mots: "Abba, Père," l'un Hébreu, l'autre Gentil,

1 Ep 2,11-22. - 2 Rm 8,15. - 3 Ga 4,6. - 4 Jn 10,16.


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CHAPITRE 5,ON SE SAISIT DE JÉSUS.


15. "Le Sauveur parlait encore, disent saint Matthieu et saint Mc et voici que Judas, l'un des douze, se présenta, accompagné d'une foule nombreuse, armée de glaives et de bâtons, et envoyée par les princes des prêtres et par les anciens du peuple. Or, celui qui le livra, leur avait donné ce signal: Celui que j'embrasserai, c'est lui-même, emparez-vous de lui. Et s'approchant de Jésus, il lui dit: Je vous salue, maître, et il l'embrassa (1)." La première parole que Jésus prononça, c'est celle-ci, rapportée par saint Luc: "Judas, tu trahis le Fils de l'homme par un baiser (2);" la seconde est celle de saint Matthieu.: "Mon ami, pourquoi est tu vend?" Enfin une troisième parole nous est conservée par saint Jean: "Qui cherchez-vous? Il lui répondirent: Jésus de Nazareth. Jésus leur dit: C'est mo1,Or, au milieu d'eux se trouvait Judas, qui le livrait. Quand donc il leur eut dit: C'est moi; ils allèrent à la renverse et tombèrent à terre. Après cela, il leur demanda encore une fois: Qui cherchez-vous? Ils lui dirent: Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit: Je vous ai dit que c'est mo1,Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-c1,Afin que cette parole qu'il avait.prononcée, fut accomplie: Je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés (3)."

16. "Or, dit saint Lc ceux qui l'environnaient, voyant ce qui allait arriver, lui dirent: Seigneur, si nous- frappions de l'épée? Et l'un d'eux," les quatre évangélistes sont unanimes sur ce point, "frappa un serviteur du grand-prêtre et lui coupa l'oreille droite," disent saint Luc et saint Jean. Or, selon saint Jn celui qui frappa ainsi, ce fut saint Pierre, et celui qu'il frappa, se nommait Malchus. D'après saint Lc "Jésus élevant la voix leur dit: Laissez aller jusque là," et d'après saint Matthieu il continua ainsi: "Remets ton épée dans le fourreau. Car tous ceux qui auront pris l'épée, périront par l'épée. Crois-tu que je ne puisse pas prier mon Père, qui m'enverrait aussitôt plus de douze légions d'anges? Comment donc s'accompliront les Écritures, qui ont annoncé qu'il doit en être ainsi?" On peut ajouter à cela ce que rapporte saint Jean: "Ce calice que mon Père

1 Mt 26,47-56 Mc 14,13-50. - 2 Lc 22,47-53 - 3 Jn 18,2-11 .

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m'a donné, ne veux-tu pas que je le boive?" Saint Luc continue son récit en disant que Jésus toucha l'oreille de celui qui avait été frappé, et le guérit.

17. On soulève des difficultés au sujet de ce passage de saint Lc où le Seigneur interrogé par ses apôtres, s'ils devaient frapper de l'épée, répondit: "Laissez aller jusque-là," comme s'il eût approuvé ce qui venait de se passer, tout en défendant d'aller plus loin. Dans saint Matthieu, au contraire, on voit clairement que ce coup de hardiesse de saint Pierre a déplu au Sauveur. Voici la vérité, je croIs A cette question des apôtres: "Maître, si nous frappions de l'épée?" le Sauveur répondit: "Laissez aller jusque-là," c'est-à-dire, ne vous opposez point à ce qui va arriver, car je dois permettre à mes ennemis de pousser la haine envers moi, jusqu'à s'emparer de ma personne, afin que les Ecritures s'accomplissent. Mais dans l'intervalle qui suivit la demande et précéda la réponse, Pierre, saisi d'un enthousiasme plus vif pour son Maître et du désir de le défendre, frappe le serviteur du grand-prêtre. Or, il est évident qu'il fallut plus de temps pour poser la question et y répondre qu'il n'en fallut a saint Pierre pour frapper son ennem1,En effet, le texte porte: "Et Jésus répondit,"c'était donc à la question qu'il répondit et non à l'acte de Pierre. Saint Matthieu, seul, nous fait connaître la pensée du Sauveur, sur l'empressement de son disciple. Dans ce passage, saint Matthieu ne dit pas de Jésus: "Il répondit à Pierre: Remets ton épée dans le fourreau;" nous lisons: "Alors il dit à Pierre: Remets ton épée;" ce qui n'a pu être dit qu'après l'acte de Pierre. Si saint Luc porte: "Jésus répondit . Laissez aller jusque là;" cette réponse dut évidemment être faite à ceux qui l'avaient interrogé; mais parce que, comme nous l'avons observé, le coup fut porté dans l'intervalle de la demande et de la réponse, l'écrivain sacré, polir suivre l'ordre des faits, a cru devoir mentionner l'action entre la demande et ta réponse. Il n'y a donc aucune contradiction à tirer de ces paroles de saint Matthieu: "Tous ceux qui prendront l'épée, qui en feront usage périront par l'épée." Il en serait autrement si le Seigneur, dans sa réponse, avait paru approuver l'usage spontané du glaive, ne fût-ce que pour une seule blessure, et ne fût-elle pas mortelle. Enfin, rien ne s'oppose à ce que l'on applique à saint Pierre la réponse tout entière, telle que nous la trouvons dans saint Luc et saint Matthieu: "Laissez aller jusque-là; remets a ton glaive dans le fourreau. Tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée, etc." J'ai expliqué le sens de ces expressions: "Laissez aller jusque-là;" si l'on peut en donner une meilleure interprétation, j'y consens; Pourvu cependant qu'on n'ébranle pas la vérité ni l'accord des récits évangéliques.

18. Saint Matthieu continue, et- met sur les lèvres du Sauveur ces autres paroles, prononcées à l'heure même: "Vous êtes venus, armés d'épées et de bâtons, pour me prendre, comme un larron. Cependant, je me suis trouvé tous les jours au milieu de vous, siégeant et enseignant dans le temple; et vous n'avez pas mis la main sur mo1,Mais, selon le texte de saint Lc voici votre heure et celle de la puissance des ténèbres. Or, selon saint Matthieu, tout cela se passa afin que toutes les prophéties fussent accomplies. Alors tous les disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent," comme l'atteste aussi saint Mc qui continue ainsi: "Jésus était suivi par un jeune homme couvert d'un linceul; et comme on voulait le saisir, il abandonna son linceul aux mains de ceux qui le tenaient et s'enfuit sans aucun vêtement."

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CHAPITRE 6, JÉSUS DEVANT LE PRINCE DES PRÊTRES. - RENIEMENT DE SAINT PIERRE.

19. "Ces gens, s'étant donc saisis de Jésus, le conduisirent chez Caïphe, prince des prêtres, où les Scribes et les anciens du peuple s'étaient rassemblés (1)." Mais, d'après saint Jn Jésus fut d'abord conduit chez Anne beau-père de Caïphe (2). Saint Mc et saint Luc ne désignent pas le nom du pontife (3). Or Jésus frit conduit garrotté, parce que, d'après saint Jn il y avait dans la foule un tribun, une cohorte et les ministres des Juifs.
"Cependant Pierre le suivait de loin, jusque dans la cour du palais du grand-prêtre, et étant entré il se tenait assis au milieu des serviteurs, afin de voir le dénouement." A ce récit de saint Matthieu, saint Mc ajoute, que "Pierre se chauffait auprès du feu." Saint Luc signale le même fait: "Pierre suivait de loin, dit-il; or, il y avait du feu allumé au milieu de la cour, une grande

Mt 26,57-75. - 2 Jn 18,12-27. - 3 Mc 14,53-72 Lc 22,54-62.

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foule s'assit tout autour, et Pierre était au milieu d'euX," D'après saint Jean: "Pierre le suivait de loin, ainsi qu'un autre disciple. Or ce disciple était de la connaissance du grand-prêtre, et il entra avec Jésus dans la cour du pontife. "Quant à Pierre, il demeura en dehors, à la porte. Alors cet autre disciple qui était commis du grand-prêtre, sortit, parla à la portière et introduisit Pierre dans la cour." Voilà ce qui nous explique pourquoi saint Pierre pénétra dans l'intérieur de la cour, comme nous l'attestent les autres évangélistes.

20. "Or, dit saint Matthieu, les princes des prêtres et tout le conseil, cherchaient un faux témoignage contre Jésus, afin de pouvoir le livrer à la mort. Mais il ne s'en trouvait point. "Il se présenta bien plusieurs faux témoins qui déposaient mensongèrement contre lui, mais leurs dépositions ne s'accordaient pas." C'est saint Mc qui en fait l'observation, en rapportant ce passage. "Enfin il se trouva deux faux témoins, dit saint Matthieu, qui déposèrent contre lui en ces termes: Il a dit: Je puis détruire le temple de Dieu et je le relèverai après trois jours." Saint Mc signale d'autres témoins qui dirent. "Nous l'avons entendu s'écriant: Je renverserai ce temple, fait de main d'homme, et après trois jours j'en bâtirai un autre, qui ne sera pas fait de main d'homme, et il n'y avait pas accord dans leurs dépositions. Alors le grand-prêtre se leva et dit à Jésus. Vous n'avez rien à répondre à ce que ces gens déposent contre vous? Mais Jésus gardait le silence. Et le prince des prêtres lui dit: Je vous adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si vous êtes le Christ, Fils de Dieu. "Jésus lui répondit: Vous l'avez dit." Ces paroles sont de saint Matthieu. Saint Mc exprime les mêmes pensées avec d'autres termes, seulement il ne parle pas de l'adjuration portée par le grand-prêtre; mais cette réponse du Sauveur: "Tu l'as dit," revient à celle-ci: "Je le suis." Cet auteur ajoute: "Jésus lui répondit: Je le suis, et vous verrez le Fils de l'homme, assis à la droite de la puissance divine, venir sur les nuées du ciel." Saint Matthieu s'exprime de même, mais il ne dit pas que Jésus eut répondu: "Je le suIs Alors le grand-prêtre déchira ses vêtements en s'écriant: Il a blasphémé; qu'avons nous encore besoin de témoins?" Après ces paroles, saint Matthieu ajoute: "Vous venez d'entendre son blasphème. Que vous en semble? Et tous de répondre: Il est digne de mort."
Saint Mc s'exprime de même, et saint Matthieu continue: "Alors ils lui crachèrent au visage et l'accablèrent de soufflets. D'autres lui portant des coups sur la face, lui disaient: Christ, prophétise, et dis-nous qui t'a frappé." Saint Mc ajoute à cela qu'ils lui voilèrent la face. Saint Luc s'exprime de la même manière.

21. Cette scène d'outrages se passa dans la maison du grand-prêtre, où le Sauveur avait d'abord été conduit et dura jusqu'au matin; et c'est pendant ce même temps que Pierre fut tenté. Quant à cette tentation, qui eut lieu pendant que le Seigneur était couvert d'outrages, les évangélistes ne la racontent pas tous dans le même ordre: Saint Matthieu et saint Mc décrivent d'abord toutes les injures lancées à Jésus-Christ; puis seulement ils racontent la tentation. Saint Luc parle d'abord de cette tentation; de là il passe aux souffrances du Seigneur. Quant à saint Jn il commence à décrire la tentation, puis il intercale quelque chose des humiliations du Sauveur chez Anne, ensuite il nous le montre conduit chez Caïphe. Avant de nous dire ce qui se passa devant ce second tribunal, il revient sur ses pas, pour reprendre la description déjà commencée de la tentation de Pierre dans la maison où il avait d'abord été conduit; puis il remonte à la suite naturelle des événements, en commentant par l'arrivée du Sauveur chez Caïphe.

22. Saint Matthieu continue: "Or, Pierre était assis au dehors dans la cour, une servante s'approcha de lui, en disant: Et toi aussi lu étais avec Jésus de Nazareth? Pierre nia en face de toute la foule, en disant: Je ne sais ce que tu dIs Il sortit alors et comme il franchissait la porte, une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient là: Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. Il nia de nouveau avec serment, "et dit: Je ne connais pas- cet homme. Peu de temps après, ceux qui étaient d'abord assis s'approchèrent et dirent à Pierre: Assurément tu es de ces gens-là, car ton accent te fait assez connaître. Alors Pierre se prit à faire des exécrations et des serments, et dit qu'il ne connaissait pas cet homme. Et aussitôt le coq chanta." Il ne faut pas oublier que quand Pierre sortit et eut nié une première fois, le coq chanta aussi pour la première fois; saint Matthieu n'en dit rien, mais saint Mc signale expressément cette circonstance.

23. Remarquons aussi qu'il n'y eut aucun reniement prononcé en dehors de la cour, mais bien (213) dans l'intérieur et quand Pierre fut revenu près du feu. Il est vrai qu'il n'est pas dit à quel moment Pierre y rentra; mais quel besoin y avait-il de nous marquer ce détail? Voici le narré de saint Marc: "Il sortit en dehors de la cour et le coq chanta. Il fut aperçu de nouveau par une servante, qui se mit à dire à ceux qui étaient là: Celui-ci est aussi d'avec eux. Et Pierre protesta de nouveau." Cette servante n'est pas la même que la première, saint Matthieu en fait la remarque. Cela se comprend d'autant mieux que dans le second reniement, Pierre fut interpellé par deux témoins; d'abord par la servante dont parlent saint Matthieu et saint Mc et aussi par un autre témoin mentionné par saint Luc. Voici comment ce dernier s'exprime: "Or, Pierre suivait de loin. On avait allumé du feu dans la cour, la foule prit place auprès, et Pierre se tenait parmi eux. Une servante le voyant assis près du foyer, le fixa attentivement et s'écria: Celui-ci était aussi à sa suite. Pierre le renia en disant: Femme, je ne le connais pas. Peu de temps après, un autre homme l'aperçut et lui dit: Toi aussi tu es d'avec euX," C'est pendant cet intervalle, mentionné par saint Lc que Pierre était sorti et qu'on avait entendu le premier chant du coq; il était rentré aussitôt, s'était rapproché du foyer, et c'est là qu'il était, quand, comme le dit saint Jn il énonça sa seconde protestation. Dans le premier reniement de Pierre, saint Jean ne dit pas que le coq ait chanté ni même qu'une servante ait reconnu l'Apôtre auprès du feu; il se contente de dire: "La portière dit à Pierre: n'es-tu pas aussi l'un des disciples de cet homme? Non, répondit-il." Ensuite cet évangéliste nous raconte ainsi ce qu'il a cru devoir rapporter de ce qui se passa à l'égard de Jésus, dans cette même maison: "Or les serviteurs se tenaient auprès du feu et se chauffaient, parce qu'il faisait froid; Pierre était avec eux et se chauffait aussI," Il faut supposer qu'avant ceci Pierre était sorti et rentré; avant sa sortie il était assis auprès du feu; après son retour il se tenait debout.

24. On m'objectera peut-être qu'il n'était pas sorti, mais qu'il s'était levé pour sortir. Pour soutenir cette assertion, il faut admettre que ce fut en dehors de la cour que Pierre fut interrogé et répondit -pour la seconde foIs Voyons la suite du récit de saint Jean: "Or, le grand-prêtre interrogea Jésus au sujet de ses disciples et de sa doctrine; Jésus lui répondit: J'ai parlé publiquement au monde, j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple où tous les Juifs se rassemblent, et je n'ai rien dit en secret. Pourquoi m'interroges-tu? Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit: ceux-ci savent ce que j'ai dit. Il avait à peine prononcé ces paroles, que l'un des serviteurs lui donna un soufflet en disant: Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre? Jésus lui dit: Si j'ai mal parlé, rends témoignage du mal que,j'ai dit; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? Anne le fit donc garrotter et conduire à Caïphe." On voit ici qu'Anne était grand-prêtre, car Caïphe n'était pas là, quand il fut dit au Sauveur: "Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre?" Saint Lc au commencement de son Evangile, parle aussi d'Anne et de Caïphe comme étant tous deux grands-prêtres (1). Après ces paroles, saint Jean reprend le récit du reniement de saint Pierre et nous reporte ainsi à la maison où tout ce qu'il vient de dire s'est passé, et d'où Jésus fut envoyé chez Caïphe, vers qui on le conduisait dès le début, au rapport de saint Matthieu. Après avoir fait une sorte de récapitulation, saint Jean complète ainsi le narré du troisième reniement: "Or, Simon Pierre se tenait debout et se chauffait. Ils lui dirent: N'es-tu pas aussi l'un de ses disciples? Pierre nia et répondit: Je ne le suis pas." Il suit de là que ce n'est pas au dehors, mais auprès du feu qu'eut lieu cette seconde négation; et puisqu'il était sorti, il avait donc dû rentrer. Ce n'est pas après sa sortie et au dehors, que la servante le vit, c'est quand il était déjà levé pour sortir; c'est alors qu'elle l'aperçut et dit à ceux qui étaient là, c'est-à-dire auprès du feu dans la cour: "Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth." Pierrequi sortait alors, entendant cette apostrophe, rentra et dit avec serment à ceux qui l'entouraient, et prenaient parti pour la servante: "Je jure que je ne connais pas cet homme." Saint Mc parlant de la même servante, raconte qu'elle dit à ceux qui étaient là: "Celui-ci est du nombre de ses disciples." Ce n'est pas à Pierre qu'elle s'adressait, mais à ceux qui pendant son départ restaient, et elle le disait de manière que l'apôtre pût entendre. Pierre rentra, s'approcha du feu sans s'asseoir et réfutait les attaques par des négations. Saint Jean raconte: "Ils lui dirent N'es-tu pas un de ses disciples?" Au moment où cette question lui était faite, Pierre rentrait et se tenait debout, et voilà ce qui nous explique

1 Lc 3,2.

pourquoi à cette seconde question il n'y avait pas seulement la servante dont parlent saint Matthieu et saint Mc mais encore un autre accusateur signalé par saint Luc. Saint Jean écrit de même: "Ils lui dirent." On peut donc admettre que ce fut après le départ de saint Pierre,que la servante dit à ceux qui étaient avec elle dans la cour: "Celui-ci est un des disciples," parole qui fit rentrer saint Pierre pour se justifier de l'accusation portée contre lui; mais il est plus vraisemblable de penser qu'il n'entendit pas ce que l'on disait et que ce ne fut qu'après son retour, qu'une servante et une autre assistant, dont parle saint Lc lui dirent: "N'es tu pas un de ses disciples? Non, répondit-il;" l'autre insista plus fortement et lui dit: "Mais tu es un d'entre eux. O homme, je n'en suis pas, répliqua Pierre." Quoiqu'il en soit; il est un point qui résulte clairement du contexte des Evangiles, c'est que ce ne fut pas en dehors de la cour, mais dans l'intérieur, et auprès du feu, que Pierre formula sa seconde négation. Si donc saint Matthieu et saint Mc ont mentionné sa sortie, sans relater son retour, c'est uniquement pour éviter les longueurs.

25. Examinons maintenant la troisième. négation que nous n'avons rapportée que d'après saint Matthieu. Voici la récit de saint Marc: "Peu de temps après, ceux qui étaient là, disaient à Pierre: Assurément tu es un des disciples, car tu es Galiléen. Et Pierre se prit à répéter, avec force anathèmes et serments: Je ne connais pas cet homme dont tu parles. Et aussitôt le coq chanta pour la seconde fois." Saint Luc raconte: "Et après une heure environ d'intervalle, un autre affirmait et disait: Assurément tu es son disciple, car tu es Galiléen. O homme, répondit Pierre, je ne sais ce que tu dIs Et il parlait encore quand le coq chanta." Saint Jean s'explique ainsi, sur cette troisième négation: "Un des serviteurs du grand-prêtre, et parent de celui à qui Pierre avait coupé l'oreille, lui dit: Est-ce que je ne t'ai pas vu dans le jardin avec lui? Pierre nia de nouveau et aussitôt le coq chanta." Saint Matthieu et saint Luc se contentent de dire: "Peu de temps après;" saint Luc mesure cet intervalle en disant qu'il fut d'une heure à peu près. Saint Jean n'en dit rien. De même saint Matthieu et saint Mc supposent que la troisième interrogation fut faite par plusieurs personnes; saint Luc n'énonce qu'un interrogateur, et saint Jean le désigne, en disant qu'il était parent de celui à qui Pierre coupa l'oreille. Or, cette apparente diversité s'explique facilement, ou en admettant que saint Matthieu et saint Mc ont suivi l'usage, assez général, de prendre le pluriel pour le.singulier; ou en supposant que l'un des témoins, par ce qu'il avait vu et qu'il connaissait, commençait l'attaque à laquelle les autres prenaient part. aussitôt; deux évangélistes ont suivi la première voie, les autres ont voulu seulement signaler celui qui paraissait le plus ardent. Enfin saint Matthieu affirme qu'il fut dit à Pierre: "Assurément tu es un des disciples, car ton langage te fait connaître;" saint Jean assure qu'il fut dit à Pierre: "Est-ce que je ne t'ai pas vu dans le jardin avec lui?" Saint Mc raconte que les assistants se disaient: "Il est vraiment un d'entre eux, car il est aussi Galiléen;" de même, saint Luc nous représente un Juif disant, non pas à Pierre, mais de lui: "Un autre affirmait et disait: Assurément il était avec lui, car il est Galiléen." Cela nous fait entendre qu'on s'est attaché à la pensée seulement en rapportant que Pierre avait été apostrophé; en effet quand on parlait de lui, et devant lui, c'était comme si on se fût adressé à lui-même. On peut dire également que ses accusateurs tantôt s'adressaient à lui directement, tantôt échangeaient entre eux leurs accusations. Chacune des deux interprétations peut être admise. Quant au chant du coq qui suivit le troisième reniement, saint Mc nous dit expressément que c'était la seconde fois qu'il se faisait entendre.

26. Saint Matthieu poursuit ainsi: "Et Pierre se souvint de là parole que Jésus avait dite: Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois; et étant sorti il pleura amèrement." Saint Mc écrit: "Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite: Avant que le coq chante deux fois, tu me renieras trois fois: et il commença à pleurer." D'après saint Luc: "Le Seigneur s'étant retourné, regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole du Seigneur qui avait dit: Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois; et étant sorti, Pierre pleura amèrement." Saint Jean ne dit rien ni du souvenir ni des larmes de Pierre. Mais ce qui mérite une attention particulière, ce sont ces paroles de saint Luc: "Et Jésus, s'étant retourné, regarda Pierre." Quoiqu'il y ait aussi des cours intérieures, c'était dans la cour extérieure que Pierre était avec les Juifs alors occupés à se chauffer. Or, on ne peut pas supposer que Jésus (215) était entendu dans cette cour extérieure par les Juifs, ni par conséquent que son regard ait été un regard corporel. Ecoutons plutôt le récit de saint Matthieu: "Alors ils lui crachèrent au visage et le couvrirent de soufflets; d'autres le frappèrent en disant: Prophétise maintenant, ô Christ, et dis-nous quel est celui qui t'a frappé." Puis il ajoute immédiatement: "Or Pierre se tenait au dehors dans la cour." Il faut nécessairement en conclure que Jésus était à l'intérieur. 2 faudrait même croire, d'après saint Mare, que Jésus était dans la partie la plus élevée de l'habitation. En effet, voici ce que dit saint Mc après avoir rapporté la scène décrite par saint Matthieu: "Et comme Pierre se tenait dans la cour en bas." En disant: "Pierre se tenait au dehors, dans la cour," saint Matthieu indique clairement que la scène d'outrages avait lieu dans l'intérieur; de même en disant: "Et comme Pierre était dans la cour en bas," saint Mc montre que les faits qu'il vient de raconter, se sont passés dans la partie supérieure. Comment donc le regard du Seigneur sur Pierre a-t-il pu être un regard corporel? Aussi me semble-t-il que ce regard ne fut qu'un regard divin qui rappelait à l'apôtre le nombre de ses reniements, la prédiction du Sauveur; et, par l'infinie miséricorde de Dieu, ce regard amenait Pierre à la pénitence, et la lui rendait salutaire. C'est ainsi que chaque jour nous disons: Seigneur regardez-moi; celui que le Seigneur a regardé a été délivré par la miséricorde divine du danger, ou de la souffrance. De même donc que nous lisons: "Regardez et exaucez-moi (1)," et encore: "Tournez-vous, "Seigneur, et délivrez mon âme (2)," dans le même sens il a été dit: "Le Seigneur s'étant retourné regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole de Jésus." Il est à remarquer, enfin, que tandis que les évangélistes emploient plus souvent le nom de Jésus que celui de Seigneur, saint Luc emploie ici cette dernière expression: "Le Seigneur s'étant retourné regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole du Seigneur." Comme saint Matthieu et saint Mc gardent le silence sur ce regard, il n'est pas étonnant de leur entendre dire que Pierre se souvint de la parole, non pas du Seigneur, mais de Jésus. Ne devons-nous donc pas comprendre que ce regard de Jésus fut tout divin et nullement charnel?

1 Ps 12,4. - 2 Ps 6,6.



Augustin acc. évangélistes 303