Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS

45. Jusqu'à quel excès ne va pas la témérité humaine, quand elle se jette aveuglément dans une erreur qu'elle rougit de quitter par vanité, et qu'elle a honte de défendre contre la vérité! Nous en avons ici la preuve la plus frappante. A quel degré d'obstination ne faut-il pas être arrivé, ne faut-il pas, s'être endurci.contre tous les cris lancés par une saison en détresse, pour se voir forcé de faire des aveux comme ceux-ci: «S'ils reviennent à, l'Eglise, s'ils se soumettent avant le jour fixé, nous leur permettons de rentrer dans nos rangs?» N'avez-vous pas vous-même cité ces paroles? On ajoutait: «Nous nous réjouissons du retour des innocents. Et dans la craince qu'on ne pût nous accuser d'enlever toute espérance de salut aux coupables en restreignant par trop l'époque fixée pour leur retour, nous leur donnons toute liberté jusqu'à cette époque, et alors les portes leur seront au large ouvertes, et ils recouvreront en même temps la foi et leurs premiers honneurs. Que si, retenu par une coupable paresse, quelqu'un refuse de revenir au berçait, qu'il sache qu'il se ferme ainsi toutes les voies du pardon. Quant à ceux qui n'opéreront leur retour qu'après le jour fixé, ils subiront toutes les rigueurs de la pénitence telle qu'elle est prescrite». C'est là le langage tenu par trois cent dix évêques. Or, je dis que tout obstiné que puisse être un adversaire il avouera nécessairement que ceux dont il est dit Avant qu'ils ne reviennent à vous, avant qu'ils ne rentrent dans vos rangs, que ceux-là, dis-je, ne pouvaient être avec vous quand on leur tenait ce langage; je dis qu'ils ont baptisé hors de;votre communion, dans ce schisme qui les a séparés de vous; je dis enfin que rentrant dans vos rangs après en avoir été si longtemps éloignés, ils ont recouvré dans toute leur plénitude leurs anciens honneurs, et qu'on n'a pas jugé nécessaire de réitérer le baptême à ceux qu'ils ramenaient avec eux et qu'ils avaient baptisés.


46. Pourquoi donc prêter obstinément votre patronage à une aussi mauvaise cause? Cédez enfin, non pas à moi, mais à la vérité dont l'évidence vous confond. Voyez si je n'avais pas raison de vous dire que la paix ne s'acquiert et ne se conserve qu'au prix.de grandes souffrances; et cependant vous combattiez cette parole. Laissez-moi donc vous répéter textuellement ce que je disais dans cette lettre: «Pour la paix de Jésus-Christ revenez à cette Eglise qui ne condamne jamais qu'après une entière connaissance, puisqu'il vous a plu de rapporter ce que vous aviez condamné, afin d'assurer la paix (463) «du Donatisme (1)».Au nombre des douze évêques qu'ils avaient condamnés avec Maximien d'une manière absolue, se trouvaient Félicianus et Prétextat; puisqu'ils les ont réintégrés par la suite, n'ont-ils pas rapporté leur première condamnation? Dira-t-on que le délai s'appliquait également à ceux dont ils avaient dit: «Regardez-les comme personnellement condamnés?» Même alors je soutiendrais qu'ils ont rapporté leur première condamnation en permettant le délai, après avoir dit d'une manière absolue: «Regardez-les comme personnellement condamnés».Il n'en faudrait pas davantage pour clore le débat, lors même que vous seriez parfaitement dans la vérité, quand vous nous dites, que profondément ému de la cause des Maximiens, vous avez pris le parti de consulter vos évêques. A quoi bon, puisque leurs déclarations sont de purs mensonges? Remarquez, dans les actes proconsulaires, quel jour Titianus exposa sa requête, à l'effet d'obtenir que Félicianus et Prétextat fussent chassés de leurs sièges, et vous verrez que depuis longtemps le délai était expiré. En effet, le concile de Bagaïum se tint sous le troisième consulat d'Arcadius et le second d'Honorius, le huitième jour des calendes de mai, et l'expiration du délai fut fixée au huitième jour des calendes de janvier. Or, la demande de Titianus ne fut formulée qu'après ce consulat, le sixième jour des nones de mars de l'année suivante.


47. A partir du délai jusqu'à la pétition de Titianus il s'écoula donc environ trois mois, après lesquels Félicianus et Prétextat étaient toujours accusés de partager la fureur de Maximien. Nous en jugerons mieux en citant les propres paroles de la supplique: «Quant à ceux qui se sont laissé entraîner dans l'erreur, on leur proposa, s'ils désiraient rentrer, de s'engager dans les voies du repentir et de profiter du délai fixé pour revenir à la religion. Mais cet avertissement resta sans réponse. L'iniquité se complaît dans ses oeuvres; et, fût-elle tombée au plus profond de l'abîme, elle s'obstine toujours dans ses égarements. Ne voyons-nous pas Maximien fournir sans cesse un nouvel aliment à son audace et communiquer à d'autres les élans de sa fureur? Parmi ces tristes victimes, nous remarquons Félicianus


1. Réfut. de Pétil. liv. 1,n. 14.

qui, après avoir bien commencé, s'est laissé prendre aux attraits menteurs de la dépravation; et placé dans la ville de Mustitanum il croit pouvoir conserver par la violente, et dans une sorte d'état de siège; les pierres consacrées au Dieu tout-puissant, et une Eglise de la plus vénérable antiquité. Il n'est d'ailleurs que trop fidèlement imité par Prétextat dans la ville d'Assuritanum». Ces paroles sont aussi claires que formelles Titianus demande que l'on chasse de leurs sièges les deux évêques dont nous parlons, parce qu'ils ont refusé de se repentir, parce qu'ils se sont complu dans leur iniquité, et parce que, tombés au plus profond de l'abîme, ils ont méprisé toutes les avances qui leur étaient faites pour assurer leur salut. Lors même que l'on pourrait cacher la date des actes proconsulaires, il resterait toujours évident, même pour les yeux les moins exercés, que du moment qu'on fait ainsi appel à la puissance proconsulaire, c'est ou parce qu'ils ont été condamnés au concile d'une manière absolue et sans aucun délai, ou parce qu'ils ont refusé de se soumettre pendant le délai fixé, supposé qu'il leur eût été offert. Mais la date des actes consulaires ne laisse aucun doute possible; il est donc certain que jusqu'à cette date ces deux évêques n'appartenaient point à votre communion, qu'ils adhéraient pleinement au schisme de Maximien et que c'est en raison de ce double crime qu'on demande contre eux une sentence qui les condamne à l'exil. A cela que peut-on répondre? Quand la vérité s'impose avec une telle évidence, quelle aveugle impudence peut encore résister? Que penser de cette folie avec laquelle regimbent contre l'unité de Jésus-Christ des hommes qui, pour assurer l'unité du Donatisme, veulent conserver dans leur rang des sacrilèges solennellement condamnés? Quand dans un schisme sacrilège le baptême de Jésus-Christ est entouré de la vénération que du reste il mérite, pourquoi, par quelle présomption impie l'invalider dans toutes les nations catholiques, pourquoi le profaner par une réitération sacrilège?


48. Je ne veux pas rechercher combien de jours s'écoulèrent entre cette pétition, dans laquelle Titianus se faisait l'interprète d'accusations si graves contre Félicianus et Prétextat, et la réintégration de ces deux évêques dans votre communion. Il suffit qu'il soit (464) bien constaté que cette demande ne fut développée que longtemps après l'expiration du délai, que jusque-là ces évêques étaient restés séparés de votre communion et attachés au schisme de Maximien; que ce n'est que plus tard que vous les avez réintégrés, sans les priver d'aucuns des honneurs dont ils jouissaient précédemment, et sans invalider le baptême qu'ils avaient conféré pendant le schisme; sur ce dernier point, du reste, je déclare que vous avez eu raison. En face d'une telle cause et de tels faits, quelle langue humaine consentirait à s'élever obstinément contre nous, si elle se sentait vivre dans une, bouche humaine et sous un front d'homme? En parlant du concile de Bagaïum, j'avoue m'être trompé quand j'ai dit: «Lorsque cette sentence eut été prononcée, un grand cri d'acclamation retentit dans toute l'assemblée; et aujourd'hui, quand nous en donnons lecture, tous gardent un profond silence». C'est vous qui êtes dans la vérité quand vous me répondez: «Non, ils ne gardent pas le silence»; devant des faits d'une telle évidence, la honte, voire même l'impudence, resteraient muettes, mais la folie ne saurait se taire. Ce n'est pas à vous cependant que s'applique cette parole; car tout votre crime c'est d'avoir cru aveuglément à la parole de vos évêques, non pas même de tous vos évêques, car vous n'avez pu les consulter tous, malgré l'émotion à laquelle vous étiez en proie. Eh bien! ces évêques que vous avez consultés savaient fort bien ce qui s'était passé dans les tribunaux au sujet de Félicianus et de Prétextal; et cependant, comme l'atteste votre lettre, ils ont osé vous dire qu'avant même l'expiration du délai ces deux évêques étaient rentrés dans votre communion; et qu'ainsi la sentence était restée pour eux purement comminatoire. Admettons même qu'ils n'aient eu aucune connaissance des faits que je viens de rappeler, aujourd'hui que vous les lisez, ne convient-il pas que toute honte se taise, que toute impudence se renferme dans le plus profond silence? En effet, toute voix qui s'élèverait contre des vérités aussi évidentes, ne pourrait être que la voix de la folie; cette voix elle-même pourrait être guérie si elle était maîtrisée par la sagesse.


49. Jugez maintenant de cette apostrophe que vous avez osé m'adresser: «Un témoin menteur ne restera pas sans châtiment»; dans cette affaire des Maximiens vous me regardiez donc comme un menteur. Je ne vous en fais pas un reproche, car en parlant ainsi, peut-être n'étiez-vous que l'écho trop crédule d'une imprudente amitié; je ne saurais croire que le mensonge ait pu entrer dans votre coeur. Nous sommes de simples mortels; quel soin dès lors ne devons-nous pas prendre pour échapper à l'erreur dans nos pensées et dans nos paroles? S'agit-il au contraire de l'oeuvre de notre conversion, nous ne devons jamais nous endurcir.

50. Examinons ensuite les autres parties de votre lettre, et vous verrez que dans cette affaire des Maximiens il m'est extrêmement facile de vous répondre. S'agit-il d'abord de ce crime d'apostasie dont vous accusez nos évêques? Dans les trois livres précédents je vous ai prouvé qu'il n'y - a de coupables sur ce point que vos évêques eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, réfléchissez un peu et dites-moi, si vous le pouvez, comment ce crime a pu souiller dans l'unité tant de nations catholiques, les plus lointaines, et déjà séparées de l'événement par une génération tout entière, tandis que le crime de Maximien n'a pu souiller ni ses propres collègues d'Afrique, auxquels trois cent dix évêques ont accordé un délai en déclarant «qu'ils n'avaient pas été souillés par la greffe du sacrilège», ni vous-mêmes qui, non-seulement les avez déclarés innocents, mais les avez reçus avec une affabilité étonnante, après avoir lancé contre eux une condamnation de sacrilège.


51. Vous prétendez que les Orientaux ont eu connaissance du crime des apostats, quand vous soutenez que vous-même vous ignoriez en Afrique le schisme des Maximiens, jusqu'au moment où la lecture de ma lettre vous émut et vous détermina à consulter vos évêques; et encore, après les avoir consultés, tout ce que vous avez appris n'était que mensonge! Pour justifier vos évêques, vous disiez qu'ils n'ont pas été menteurs, mais qu'ils ne savaient pas, et vous ne voulez pas que ni nous, ni les peuples nombreux de l'Orient et de l'Occident, nous. ayons pu ignorer la cause de Cécilianus, quand vos évêques ignorent la cause de Félicianus et de Prétextat que trois cent dix évêques, c'est-à-dire tous, ou à peu près tous les évêques donatistes, ont condamnés, en Afrique, Africains eux-mêmes, et (465) qu'ils ont ensuite accueillis dans leurs rangs, également en Afrique, et tous Africains ensemble!


52. Vous citez ensuite le début d'un décret du concile de Sardique, pour prouver que les évêques orientaux sont entrés dans la communion de Donat, aussitôt qu'ils ont connu le crime des traditeurs; notre conclusion se fonde uniquement sur ce fait qu'on rencontre le nom de Donat dans l'énumération dés évêques auxquels ils écrivent. Cependant rien ne prouve dans ce décret que les Orientaux aient eu connaissance dés traditeurs de l'Afrique. Sachez, du reste, que ce concile de Sardique n'était composé que d'évêques ariens, que vous rangez au nombre des hérétiques; de plus, il n'est fait aucune mention des différents sièges qu'occupaient ces évêques; et en effet, d'après les usages ecclésiastiques, cette mentionne se fait jamais quand les évêques écrivent à d'autres évêques. J'ignore donc quel est ce Donat dont il est parlé, et je m'étonne fort que dans votre lettre vous n'en ayez pas fait l'évêque de Carthage; quoique ces évêques placés à une si grande distance de l'Afrique aient pu, au moment où ils écrivaient, demander et savoir quel était l'évêque dé Carthage. J'omets de dire qu'il est fort possible que ces Orientaux aient cherché à se mettre en communion avec les hérétiques. Pour vous, qui êtes la prudence même, en cherchant à résoudre la question, vous avez parfaitement pressenti qu'on pourrait vous dire: S'il est vrai que les Orientaux aient écrit à votre Donat, comment donc les Orientaux se sont-ils séparés de votre communion? Vous avez répondu: «Ils n'ont pu de nouveau recevoir les nôtres, parce qu'ils n'ont pu adhérer constamment à la sentence prononcée contre nous. Car il est écrit: Celui qui s'unit à une prostituée, ne forme qu'un seul corps avec elle (1)». Vous lancez là une accusation atroce contre vos évêques, puisqu'il est prouvé qu'ils n'ont pu rester fidèles à leurs principes dans la cause des 1Vfaifmiens, car après les avoir maudits et condamnés comme sacrilèges, ils les ont accueillis parfaitement et réintégrés dans leurs premiers honneurs. Vous ne prouvez nullement ce que vous dites des Orientaux; tandis qu'ici, dans tout ce qui regarde vos évêques, vous pouvez entendre et lire, examiner et juger.


1. 1Co 6,16

53. Vous m'ordonnez de me séparer de l'Eglise des traditeurs; mais ces apostats prétendus, vous ne pouvez nous prouver qu'ils furent réellement coupables; vos ancêtres n'ont pu le prou ver davantage à nos ancêtres. Supposé même que vous puissiez me démontrer leur culpabilité, je condamnerais leur crime et leur conduite; mais tout en les condamnant personnellement je ne me séparerais pas de la société catholique de tant de nations qui ne connaissent nullement les coupables. Quand il s'agit de notre communion, vous ne voulez pas que nous fassions mémoire de ces morts dont nous ignorons les oeuvres, et dont la tradition nous a appris qu'ils ont toujours joui d'une bonne réputation parmi leurs contemporains. Au contraire, quand il s'agit de votre communion nous voyons au milieu de vous, dans tout l'éclat des honneurs, des évêques dont vous avez connu les crimes et que vous avez condamnés comme sacrilèges.


54. Dans votre prudence, vous osez me dire: «Celui qui est devenu apostat, c'est celui qui vous a créé». Vous ignorez donc que celui qui nous a créés comme chrétiens, c'est celui-là même qui nous a créés comme hommes; ce qui n'empêche pas qu'il nous serait impossible de convaincre d'apostasie celui que vous regarde comme l'auteur de ma foi chrétienne. Je me garderai bien de vous adresser la marne injure, et d'appeler Félicianus votre créateur, celui de vos enfants, de vos petits-enfants ou de vos arrière-neveux, lors même qu'ils auraient appartenu à la secte de Donat. Mais, puisque vous le permettez, je vous invite à vous épargner la honte de quitter votre créateur pour courir, avec une vanité impie, à la suite d'un homme. Vous vous applaudissez ensuite des paroles suivantes; «Le ruisseau procède de sa source, et les membres suivent la tête; quand la tête est saine, tous les membres sont sains, comme aussi ils subissent le contre-coup des maladies ou des vices de la tête; tous les rameaux d'un arbre participent de la nature de la souche; celui qui suit le parti d'un pécheur ne saurait. être innocent, car il est écrit: Ne marchez pas dans les observances légales de vos pères (1)». Je ne veux pas examiner en particulier chacune de ces paroles, cependant je ferai remarquer que ce

1. Ez 20,18

466

que vous dites du corps humain n'est pas toujours exact. En effet, il peut fort bien arriver que la tête soit saine et le pied malade, et réciproquement. Je relève également ce que vous aviez dit un peu auparavant: «Nous voulons, nous enseignons que Jésus-Christ est la tête du chrétien»; comment donc osez-vous faire de je ne sais quel traditeur la tête de nations chrétiennes qui n'ont de lui aucune connaissance? comment osez-vous invalider le baptême qui leur a été conféré, comme si ce traître en les baptisant était devenu leur créateur? Je remarque également ce passage de l'Ecriture, dont je pourrais tirer le parti le plus avantageux dans la question qui nous occupe: «Ne marchez pas dans les observances légales de vos pères»; beaucoup parmi les Juifs se sont appliqués à l'observation de ce précepte; tels sont, par exemple, les saints prophètes et les sept mille hommes qui n'ont pas courbé le genou devant Baal; et cependant aucun d'eux ne s'est séparé ni de son peuple ni des sacrements communs à tous. Je le dis donc et je le répète, sans craindre de soulever votre susceptibilité: quoique Cécilianus ait été absous tant de fois, gardez-vous d'en faire la tête de nous tous qui sommes venus longtemps après lui; je sais parfaitement que Primianus a été condamné par Félicianus, et Félicianus par Primianus, et cependant je ne saurais dire que vous êtes sa postérité et qu'il est votre tête.


55. Quant à la persécution que vous vous flattez d'avoir soufferte pour la cause de Donat, j'ai déjà surabondamment touché cette question dans les trois livres précédents, et cependant je ne passerai pas sous silence les arguments faciles que la cause des Maximiens me fournit en ce moment. Et en effet, quel parti ne tirez-vous pas de ces prétendues persécutions pour en imposer à des populations ignorantes et crédules? Je dis donc que Maximien lui-même et ses adeptes exploitent parfaitement aux yeux des simples et des ignorants ce prestige des persécutions que vos évêques soulevèrent contre eux, sans pouvoir les fléchir et les faire rentrer dans leur communion. Mais tous les hommes réfléchis considèrent avant tout, dans la persécution, non pas les souffrances qui en sont la suite, mais les causes pour lesquelles on la subit; ils comprennent que les Maximiens n'avaient que trop mérité ces persécutions à raison du schisme sacrilège qui leur a attiré une solennelle condamnation de votre part, à raison aussi des troubles sociaux qui ont nécessité contre eux l'intervention légitime des juges séculiers. Je passe sous silence cette réflexion que vous faites dans votre lettre «Ce n'est pas Optat, mais le peuple qui a renversé, non pas la basilique, mais la caverne de Maximien».Il est certain que dans cette circonstance Maximien eut à subir une véritable persécution, quoiqu'il ne soit pas certain que vous en êtes les auteurs; d'un autre côté, Maximien n'était pas un saint, mais un impie. Avouez donc que la question n'est pas de savoir ce que tel homme a souffert, mais pourquoi il a souffert.


56. Mais en invoquant cet exemple de Maximien, il ne me suffit pas d'en tirer pour conclusion que l'on peut souffrir persécution soi-disant au nom de Jésus-Christ, pour mériter un brevet de sainteté, autrement Maximien aurait le droit de le réclamer pour lui-même; je veux encore vous forcer à avouer qu'il peut arriver que des hommes religieux ` persécutent des sacrilèges, que des hommes pieux persécutent des impies, non pas pour le plaisir de nuire, mais dans le but unique et nécessaire de pourvoir à leur salut. Je n'irai pas en chercher des preuves dans l'Ancien Testament, quoique vous prétendiez puiser vos enseignements dans les oracles prophétiques; je me contenterai d'invoquer des faits plus rapprochés de notre époque. Le Sauveur avait révélé et hautement recommandé la douceur, et cependant vos évêques n'ont pas craint de persécuter vos schismatiques; nous ne disons pas que ces persécutions aient été justes; mais vous du moins, tant que vous appartiendrez au parti que vous défendez, vous soutiendrez par devoir la justice de ces persécutions.


57. Je ne dis donc pas que si Maximien a souffert la persécution, c'est Optat qui l'avait soulevée; car vous nous dites que vous l'ignorez vous-mêmes, et il a agi de telle sorte que je ne puis sur ce point citer aucun témoignage; cependant on pourrait consulter les villes, et comme ces événements sont tout récents, elles ne pourraient pas les nier. Mais je laisse ce point sous silence et je dis: Maximien a souffert persécution, et c'est Primianus qui la lui a suscitée. A l'appui de cette proposition je montrerai la maison que Maximien (467) défendait et que Primianus lui ravit, muni qu'il était d'une procuration délivrée au nom de l'exorcisme ecclésiastique, et sous la protection d'un légat. Que Primianus, dans cette circonstance, ait rempli un ministère, non pas de grâce, mais de justice, je ne le nie pas, je ne m'y oppose pas. Mais pourquoi donc, dans ses dépositions devant la magistrature de Carthage, à toutes ses calomnies contre nous, a-t-il ajouté celle-ci: «Ils prennent ce qui ne leur appartient pas, tandis que nous nous dépouillons de ce qui aurait pu être enlevé?» Si la maison que Maximien défendait lui appartenait réellement, Primianus a donc enlevé le bien d'autrui; supposons encore que Maximien eût usurpé cette maison, Primianus a toujours tort de dire: Nous nous dépouillons de ce qui aurait pu être enlevé. Direz-vous que ce fait ne constitue pas une véritable persécution? Je réponds que vos évêques et vos clercs ont persécuté les Maximiens sur les sièges pour lesquels ils avaient été ordonnés depuis longtemps, qu'ils les ont accusés devant les proconsuls, qu'ils ont obtenu contre eux des ordres très-sévères, pour l'exécution desquels ils ont eu recours au bras séculier de l'État et des cités. Ainsi donc, non contents de les avoir sévèrement condamnés au concile de Bagaïum, de les avoir séparés de votre communion sous prétexte d'empêcher que le poison n'infectât tous les membres, alors même que vous n'aviez plus à craindre la contagion de leur secte, puisque leurs adeptes n'avaient plus avec vous aucune relation et fréquentaient des temples particuliers, vous leur avez disputé la possession de ces basiliques qu'ils occupaient depuis longtemps avec leurs sectaires, sans les avoir injustement envahies; la terreur, les menaces, les troubles de toute sorte, rien n'a été épargné pour les chasser de ces lieux qui leur appartenaient à tant de titres.


58. Lisez les réquisitoires formulés contre eux par vos avocats, les crimes et les sacrilèges qui leur sont reprochés, la véhémence des accusations lancées contre eux par les puissances de ce monde. Informez-vous des violences de toute sorte soulevées contre Salvius de Membrèse, parce que toutes les horreurs de la persécution étaient restées impuissantes pour le faire rentrer sous le joug du crime. Il préféra donc subir un interrogatoire et répondre à ses persécuteurs, au tribunal du proconsul. On pourrait s'étonner de la confiance qui l'animait, mais il savait que ses adversaires ne pouvaient, devant un juge, appliquer les lois promulguées contre les hérétiques qu'autant qu'ils se soumettraient eux-mêmes à sa décision suprême. Il fut trompé dans son attente. En effet, le proconsul Séranus ne chercha à s'inspirer dans sa décision que de la faveur, ou plutôt du concile de Bagaïum, dont on donna lecture afin de mieux le lui appliquer dans toute sa rigueur. Il n'y eut de glose que pour prouver que Salvius devait rentrer dans la communion de Primianus avec le choeur des évêques, ou bien quitter son siège et laisser la place libre à Restitutus, que Primianus lui avait donné pour successeur. Toutefois Salvius profita de ces discussions pour protester qu'il souffrait persécution. Voici, en effet, ce que nous lisons dans les actes: «Le proconsul Séranus dit: Selon la teneur de la loi, le procès des évêques doit se juger par les évêques; or, les évêques ont jugé. Pourquoi donc ne rentrez-vous pas dans la communion des anciens? ou bien, pourquoi ne fuyez-vous pas devant les persécuteurs?» Qu'en pensez-vous? Salvius peut-il encore être appelé juste quand nous voyons le proconsul, poussé sans doute par votre évêque Restitutus, cet ardent compétiteur, invoquer contre lui l'Écriture et lui conseiller de fuir devant ses persécuteurs? Car, dit-il, il est écrit dans l'Évangile que vous avez entre les mains: «S'ils vous persécutent, fuyez (1)». Après les poursuites de Restitutus et le langage du proconsul, Salvius n'avait-il pas le droit de s'entourer aux yeux des siens du prestige du martyr et du confesseur? Et cependant ce même Salvius n'est pour vous comme pour nous qu'un impie et un sacrilège.


59. Comme Salvius était l'objet d'une vive affection de la part de presque tous les habitants de Membrèse, ce fut dans la ville d'Abitina que fut proclamée la sentence du proconsul. Or, on ne peut que rougir à la vue des mauvais traitements que les Abitiniens firent subir à ce vieillard vénérable par son âge; les actes publics n'ont pas relaté cette conduite déplorable, mais on peut s'en rapporter au souvenir encore tout frais des habitants; c'est de leur propre bouche que j'ai recueilli ce que je vais rapporter en quelques mots. Malgré la


1. Mt 10,23

468

sentence du proconsul, Salvius, comptant sur le dévouement de la foule, avait pris ses mesures pour résister et conserver son siégé; néanmoins il fut vaincu, chargé de chaînes et conduit, 'non pas au tribunal qui déjà avait rendu sa sentence, mais de ville en ville, pour servir de spectacle et d'ornement au triomphe. Quand ils l'eurent saisi, il lui attachèrent au cou un certain nombre de chiens crevés et se mirent à danser autour de lui.. Si je ne craignais de paraître exagérer, je comparerais de châtiment à celui qui fut imposé aux- rois étrusques qu'on liait à des cadavres humains déjà en putréfaction. Supposé qu'on lui eût offert le choix entre ces deux supplices, être lié à des cadavres humains, ou danser portant suspendus à son cou des cadavres de chiens, si ce vieillard qui voulait être traité en évêque, avait choisi ce dernier, n'aurait-il pas mérité d'être à jamais exclu de la société des vivants et des morts?


60. Maintenant, rappelez-vous le langage que je tenais et que vous croyez avoir réfuté; je ne le répéterai pas, mais je tiens à le justifier. Je ne dis donc plus: S'il n'est pas permis de soulever la persécution, pourquoi Optat l'a-t-il soulevée? je dis maintenant: S'il n'est pas permis de soulever la persécution, pourquoi Restitutus; l'a-t-il soulevée? Je ne dis plus: Si celui qui- souffre persécution doit être réputé innocent, Maximien a été réellement persécuté; je dis maintenant: Si celui qui souffre persécution doit être réputé innocent, Salvius a été réellement persécuté. Je cite les actes publics, je répète des paroles que vous refusez d'entendre. Restitutus a été persécuteur, Salvius a été persécuté. Si je vous demande lequel des deux est chrétien; vous me répondrez: C'est Restitutus; lequel des deux est un sacrilège? Salvius. Désapprouvez donc et rejetez comme digne de tout mépris cette proposition que vous avez avancée: «Aucune persécution ne saurait être juste»; cette autre encore: «Qui refuse de croire à un testament rendu public? Est-ce celui qui souffre la persécution ou celui qui la soulève?» N'avouez-vous pas maintenant que la persécution soufferte par Salvius et soulevée par Restitutus était des plus justes? C'est Salvius qui a été persécuté, et vous comblez d'éloges Restitutus, tandis que vous couvrez de mépris Salvius? Ne dites pas que tout cela s'est passé dans le secret; autrement Primianus pourrait ignorer ce qui s'est passé dans sa propre ville épiscopale, la ville elle-même aurait pu l'ignorer, et toutes les autres cités en seraient parfaitement instruites. Et si, malgré tout, vous prétendez que ces faits- étaient secrets, pourquoi donc soutenez-vous qu'il a été impassible que l'univers entier ne connût pas les crimes soi-disant commis par Cécilianus à l'époque de la persécution, tandis que Primianus a pu parfaitement ignorer la persécution soulevée contre Salvius par celui qu'il lui avait donné pour successeur, et dans là ville même où se trouvaient ceux de ses collègues qu'il avait sous sa juridiction? A moins donc de vous voir forcé de condamner Restitutus, Primianus et toute là secte de Donat, il vous faut avouer, bon gré mal gré, que des criminels peuvent être victimes de la persécution, comme il est possible que cette persécution soit soulevée par des justes. Direz-vous que, du moment qu'une persécution est juste elle cesse d'être une persécution proprement dite? Mais alors, comment prouverez-vous que nous vous avons persécutés ou que vos évêques ont été persécutés par les nôtres? De notre côté, il nous sera facile de démontrer que nous avons été persécutés par vos clercs et par vos Circoncellions au coeur dur et grossier, et qui ne comprenant pas ou ne pouvant supporter les avis que nous leur donnons en vue de leur salut, laissent toute leur fureur se déchaîner salut, nous et se livrent à notre égard à de tels excès que nous ne pouvons ni les compter ni les dépeindre.


61. Quand un frénétique s'attaque au médecin et que le médecin lie le frénétique, ou bien l'on doit dire qu'ils se persécutent tous deux réciproquement; ou bien, si l'on n'admet de persécution que celle qui est injuste, ce n'est plus le médecin qui persécute le frénétique, mais le frénétique qui persécute le médecin. Or, non-seulement tous connaissent les sévices et les violences exercées par les Circoncellions, qui n'étaient proprement que les satellites de vos clercs; mais on a été obligé d'y apporter remède par des lois sévères portées contre vous et contre votre secte. Cependant ces lois n'avaient d'autre but que de vous faire rentrer en vous-mêmes, de vous faire comprendre l'erreur et le sacrilège qui vous séparaient de l'unité et de la paix de Jésus-Christ. N'est-ce pas grâce à la (469) terreur que vous avez su leur inspirer, en faisant intervenir contre eux les décrets des puissances séculières, que Félicianus et Prétéxtat ont renoncé à leur schisme contre vous et sont rentrés dans votre communion? Vous avez agi de même à l'égard de Salvius, mais tout est resté impuissant contre l'endurcissement de son coeur. Eh bien! tous les maux disparaîtraient si vous consentiez tous à rentrer dans le sein de l'unité catholique. Maintenant, sans juger en elle-même chacune des mesures qui ont été prises contre vous dans ce but, je dis que tout ce qui a dépassé les règles de la charité chrétienne ne doit pas plus être imputé à l'Eglise catholique que je n'impute moi-même à Primianus. et à Restitutus les excès que les Abitiniens se sont permis à l'égard de Salvius.


62. Après avoir beaucoup exagéré les persécutions que la secte de Donat aurait eu à souffrir; après avoir passé sous silence les nombreuses provocations de vos adeptes, tandis que vous ne tarissez pas quand il s'agit des torts que vous reprochez, sans preuve aucune, à nos évêques, vous citez ce passage des psaumes: «A ceux qui agissent ainsi n'est-on pas en droit d'appliquer ces paroles: Leurs pieds volent rapides à l'effusion du sang, et ils n'ont pas connu la voix de la paix (1)?» Mais ne sont-ce pas ces mêmes paroles et beaucoup d'autres plus sévères encore que vos évêques, au concile de Bagaïum, ont lancées contre Félicianus et Prétextat? Et cependant ces deux évêques n'avaient certainement versé le sang de personne, ils n'avaient usé envers vous d'aucune violence corporelle; vos évêques ne l'ignoraient pas, mais ils savaient aussi que, en versant le sang spirituel par un schisme sacrilège, ces évêques n'en étaient que plus coupables. Si donc, après avoir lancé contre Félicianus et Prétextat des reproches aussi graves, vous avez fait la paix avec eux sans leur retrancher aucun de leurs premiers honneurs, sans invalider le baptême qu'ils avaient conféré, peut-on désespérer de vous voir un jour rentrer en paix avec nous? C'était bien de faire la paix avec Félicianus et Prétextat, mais n'est-ce pas mieux encore de la faire avec l'univers tout entier? Puisque les crimes que vous avez condamnés avec tant d'amertume n'ont pu vous souiller en quoi que ce fût, combien


1. Ps 13,3

moins serez-vous souillés par l'unité de tant de nations chrétiennes, que vous rendez responsables des crimes de je ne sais quels Africains? S'il y a quelque chose qui vous souille, n'est-ce pas plutôt votre séparation d'avec l'Eglise, dont l'autorité repose sur les oracles divins les plus formels et les plus nombreux? Par une incroyable témérité vous avez osé contredire ces oracles divins; et cependant, écrasé sous le poids de la vérité qui s'impose malgré vous à votre intelligence, vous êtes forcé d'avouer que le monde tout entier aspire à l'unité chrétienne.



Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS