Augustin, controverse avec les Donatistes

41. A quel prix avons-nous dû acheter la faveur qu'ils nous ont faite en dévoilant eux-mêmes leurs propres mensonges au moment où ils voulaient se glorifier de leur multitude? Nous nous trouvions de beaucoup plus nombreux qu'ils n'étaient; et surtout nous avions déclaré qu'au moins cent autres évêques catholiques, les uns pour cause de vieillesse, d'autres pour raison de santé, d'autres pour diverses nécessités, n'avaient pu venir à Carthage. A ces mots, ils répondirent qu'un bien plus grand nombre d'entre eux n'avaient pu se rendre à l'invitation générale. Ils se flattèrent d'être actuellement en Afrique au nombre de plus de quatre cents; mais hélas 1 ils oubliaient que dans leur déposition ils avaient déclaré qu'ils étaient tous présents à Carthage, à l'exception de ceux qui avaient été retenus chez eux soit par les difficultés du voyage, soit par la maladie, soit par la vieillesse. On donna alors connaissance des signatures, et d'après la supputation du ministère, elles s'élevèrent au chiffre de deux cent soixante-dix-neuf, en comptant celles qui avaient été apposées au nom des évêques qui n'avaient pu se rendre à Carthage pour cause de maladie. Comment donc pouvaient-ils dépasser le nombre de quatre cents, puisqu'ils affirmaient qu'il n'y avait que les malades qui n'étaient pas venus à Carthage, quand surtout ils avaient eu la fourberie de signer à la place de ces absents, ou du moins à la place de quelques-uns, si nous ne voulons pas dire de tous? Est-ce par hasard que quelque peste (618) en aurait subitement frappé la troisième partie? Voici du reste la lettre de convocation qui leur avait été adressée par leur primat «Qu'ils négligent tout le reste pour s'empresser de se rendre à Carthage, de telle sorte que tous ceux qui refuseront de venir seront regardés comme désertant, de toutes les causes, celle qui devrait être pour eux la cause par excellence». En effet, le point important dans leur affaire, c'était de se montrer en grand nombre, comme si, vraiment, la facilité de trouver un objet était en proportion de la multitude des aveugles qui le cherchent!


42. A quel prix avons-nous dû acheter la faveur qu'ils nous ont faite, en présumant si bien notre consentement, quand, par une supplique déposée la veille, ils ont demandé deux jours d'intervalle entre les débats, afin de laisser au ministère le temps nécessaire pour publier notre mandat, et à eux-mêmes le loisir d'en prendre connaissance? Aussi, dès le lendemain du jour où on eut connaissance de leur demande, on s'empressa d'y faire droit, quoiqu'on en eût reconnu l'injustice. Mais à peine eurent-ils examiné notre cause telle que nous l'avions consignée tout entière dans notre mandat, qu'ils se virent en proie à de cruelles angoisses, et acquirent l'intime conviction que d'amers déboires les attendaient. Pour des hommes que trouble leur trop grande assurance de la vérité, quoi de plus juste, en effet, que de- demander un répit? Pourquoi donc n'en ont-ils pas profité? Après avoir pris connaissance de notre mandat, auquel ils se trouvaient impuissants à répondre, plût à Dieu qu'ils eussent apporté remède à leur perversité, au lieu de s'y enfoncer toujours davantage! En soi, ils avaient droit de demander un répit, mais dans leur supplique de la veille ils ne devaient pas dire qu'on devait publier notre mandat, afin qu'ils pussent se préparer pour le jour fixé, puisque les notaires allaient se trouver dans l'impossibilité de terminer la transcription des actes. En effet, au jour fixé pour la réunion, les notaires n'étaient pas présents, et les pétitionnaires essayèrent d'y trouver une nouvelle occasion de chicane. Mais au fond, la cause de tout cela, c'était l'agitation extraordinaire où les avait jetés la lecture de notre mandat et l'impossibilité où ils se trouvaient d'y répondre. N'a-t-on pas dû acheter- à tout prix cette faveur qu'ils nous ont faite en demandant ce retard? car après six jours de répit, s'ils n'ont pu réfuter notre mandat, on ne saurait dire maintenant que c'est le temps qui leur a manqué.


43. Le troisième jour de la conférence, à quel prix n'avons-nous pas dû acheter la faveur qu'ils nous ont faite en prouvant, parles nombreuses chicanes qu'ils soulevèrent pour gagner du temps, qu'ils ne voulaient pas aborder la question principale, que leur cause était très-mauvaise et que la crainte à laquelle ils étaient en proie en était le gage éclatant. Cette crainte éclata enfin dans ce cri qui la dépeignait si fidèlement: «On nous amène insensiblement à la cause»; et plus loin «Votre puissance voit clairement qu'on nous conduit pas à pas au fond même de la question». O violence irrésistible de la vérité, plus forte pour arracher un aveu que tous les chevalets, que tous les ongles de fer! Des évêques en si grand nombre se rassemblent de toutes les parties de l'Afrique, entrent à Carthage avec un déploiement de pompe extraordinaire, à tel point que tous les yeux de la grande cité se fixent sur eux et sont émerveillés!Ceux qui doivent parler au nom de tous, sont choisis par tous. Une demeure appropriée à une telle circonstance est offerte au milieu de la ville. Les deux camps s'y réunissent, le procureur est présent, les tablettes sont déployées, tous les coeurs attendent, dans l'anxiété le résultat de cette conférence. Alors tous ces évêques si érudits, si éloquents, déploient toutes leurs forces pour enfanter quelque chose, et en somme tout ce mouvement vient aboutir à rien. Ils demandent à traiter la question de personne selon les formes du barreau; ne sait-on pas que sur cette question les plaideurs ont coutume de consacrer un temps infini? Ils convinrent cependant que dans leur décret les catholiques avaient négligé les formes judiciaires pour se restreindre absolument aux enseignements de l'Ecriture; ils promirent également de puiser toutes leurs réponses dans les témoignages de la révélation. La divine Providence permit cependant qu'au moment où ils agitaient la question du demandeur pour esquiver la cause principale du débat, cette question personnelle engageât subitement la cause principale. Ces hommes illustres, qui semblaient n'avoir été élus que pour agir, se récrient qu'ils ont été élus pour ne rien faire, et se (619) plaignent amèrement au président d'être victimes de la violence, et d'être amenés pas à pas au fond même du débat, comme si vraiment on n'aurait pas dû négliger tout le reste pour s'occuper exclusivement du sujet qui venait si tard en discussion et qu'ils rejetaient encore Mais on comprend qu'ils devaient se refuser à une discussion où ils avaient la crainte bien fondée d'être vaincus. Et comment arracher de leur coeur l'aveu formel de cette crainte? Y serions-nous parvenus, je ne dis pas au prix des plus grandes largesses, mais en les soumettant aux épreuves les plus cruelles?

44. Ils voulaient traiter dans toutes les formes la question du demandeur, et prouver que nous l'étions, afin de se donner toute liberté de discuter nos personnes, et de prolonger indéfiniment la question. Ils donnèrent donc communication du rapport que nous avions remis précédemment au proconsul, et dans lequel nous demandions que toutes les difficultés pendantes fussent traitées en conférence. Comme l'empereur avait depuis octroyé la conférence, ils concluaient que nous étions, à proprement parler, les demandeurs. Nous leur répondîmes qu'en demandant une conférence, nous nous proposions, non pas de les incriminer en quoi que ce fût, mais de nous justifier de toutes les accusations qu'ils faisaient peser sur nous; ne disaient-ils pas hautement que s'ils s'étaient séparés de l'unité de l'Eglise, c'était à cause des crimes qu'ils nous reprochaient et qu'ils n'ont jamais pu prouver? Le procureur, s'attachant à l'ordre des temps, remarqua que les pièces que nous avions présentées et dans lesquelles les Donatistes demandaient aux préfets l'autorisation de se réunir en conférence, étaient postérieures au rapport que nous avions adressé dans le même but au proconsul. Nous saisîmes cette occasion favorable que nous offrait le procureur; puisqu'il s'attachait à la question de priorité de temps, nous lui demandâmes l'autorisation de donner connaissance de la supplique qu'ils avaient adressée à l'empereur Constantin par l'intermédiaire du proconsul Anulinus, et dans laquelle ils reprochaient à Cécilianus tous les crimes qu'ils reprochent encore aujourd'hui à notre communion et dont nous voulions nous justifier en conférence. On commença cette lecture, mais comme il devenait évident pour eux qu'ils étaient vaincus sur tous les points, ils s'écrièrent: «On nous amène insensiblement à la cause»; ils ajoutèrent: «Votre puissance s'aperçoit qu'on nous conduit pas à pas au fond même du débat». Quelle profonde confusion! mais si elle est grande, elle n'est pas admirable. Le démon a-t-il plus d'horreur pour un exorciste, qu'ils n'en avaient pour la lecture de cette pièce qui . allait prouver clairement que Cécilianus avait été accusé au tribunal de l'empereur par les évêques leurs prédécesseurs, et qu'il avait été à plusieurs reprises hautement justifié, non-seulement par sentence épiscopale, mais par l'empereur lui-même?


45. Quand ou à quel prix aurions-nous pu acheter la faveur qu'ils nous ont faite en déclarant, sous l'inspiration de la crainte qui les troublait, qu'ils invoquaient les droits de la prescription, que le temps fixé pour les débats était écoulé, et qu'après quatre mois la cause né pouvait plus être engagée? Qu'est-ce que cela? Le juge le plus capable aurait-il jamais pu saisir leurs dispositions réelles, aussi bien qu'elles venaient elles-mêmes de se révéler sous les coups de la crainte? La crainte a souvent pour effet d'ôter la liberté; mais que dire de cette liberté qu'ils accordent à leur crainte jusqu'à lui permettre non-seulement de ne pas taire le jugement qu'ils portaient eux-mêmes sur la perversité de leur propre cause, mais de le proclamer à haute et intelligible voix? Pour arracher un tel aveu, que leur frayeur devait être grande! La crainte jaillit si puissante de leurs lèvres qu'elle chassa toute pudeur de leur front. Si l'on n'avait pas donné connaissance des pièces qui attestaient que Cécilianus avait été accusé et plusieurs fois justifié, on allait traiter la question du demandeur, on allait discuter les personnes; les incidents se succéderaient avec un tel enchaînement et une telle rapidité, que la cause principale serait indéfiniment suspendue. Et cependant c'était en apparence pour traiter juridiquement la question principale qu'ils réclamaient ces incidents préliminaires. Et puis, quand la lecture eut constaté l'innocence de Cécilianus et la justice de sa cause, c'est la prescription qu'on invoque, on s'écrie que le jour fixé pour les débats est écoulé.


46. Si quelque impatience vous presse de connaître la sentence portée en notre faveur (620) par le président, en vérité je ne puis en saisit le motif, puisque vous entendez les aveux que la crainte arrache à vos évêques et qui suffisent seuls pour établir leur condamnation? Le procureur avait poussé la condescendance jusqu'à leur permettre de lui associer tel juge qu'ils voudraient; ils s'y refusèrent, et ils eurent raison, car autrement ils n'auraient pu vous mentir aussi effrontément qu'ils l'ont fait en vous affirmant que le juge s'était laissé corrompre par nos présents. Cependant, ce qu'ils n'avaient pas fait d'une manière, ils le firent de l'autre. Au président nommé par l'empereur ils associèrent réellement un autre juge, et ce juge, loin d'être un étranger, leur tenait d'aussi près que possible. Ce second juge, c'est la crainte même dont ils furent saisis, et celui-là n'a pu recevoir de nous aucun présent et s'est prononcé pour nous en toute liberté. D'un autre côté, quoique adhérant intimement à leur propre personne; quoique sortant des secrets les plus intimes de leur être, il n'en montre aucune faiblesse pour leur personne; avant même que la cause ne fût discutée il s'était déjà prononcé, parce qu'il en avait pris connaissance dans tes replis de leur coeur. De ces deux juges, l'un se présenta pour étudier la cause, l'autre apparut la connaissant déjà; l'un jugea en se tenant debout, en écoutant, en parlant; à l'autre, pour juger; il a suffi de paraître. Je comprends dès lors que le meilleur parti qu'ils aient pu prendre, c'était de s'opposer aux débats. En effet, la crainte seule en avait révélé le résultat aux combattants, tandis que le procureur ne put y parvenir qu'à force de travaux. Ce dernier cherchait à connaître ce que renfermait le dossier; et la crainte manifesta ce qui se passait dans leur coeur.


47. Comment donc, effrayés qu'ils étaient par la nécessité de donner connaissance des documents antérieurs, en étaient-ils venus à dire chie le temps fixé pour les débats était écoulé, et que la cause ne pouvait plus être discutée? Ils remirent donc en question ce qui avait déjà été résolu; de cette manière, s'il s'agissait de tel passage de la sainte Écriture, ils refusaient d'en faire la lecture; si nous voulions faire cette lecture, ils Invoquaient aussitôt les droits de la prescription et s'opposaient à toute discussion sous prétexte que le temps fixé était résolu. Ils se mettaient ainsi en flagrante contradiction avec la promesse qu'ils avaient faite de nous répondre par des témoignages de l'Ecriture sainte, parce qu'ils avouaient eux-mêmes que c'était uniquement sur cette autorité divine que nous nous étions appuyés dans notre mandat pour établir la cause de l'Église. Au lieu de suivre cette marche, ils s'obstinaient à discuter la question de personne des demandeurs, et à la discuter, non pas sous la forme d'une conférence, mais sous la forme d'une véritable dispute. Nous leur répondîmes que s'ils n'avaient d'autre dessein que de savoir quelle était la véritable Eglise et de quel côté elle se trouvait, nous entendions traiter cette question avec les seules lumières et les enseignements de la révélation. Que si, au contraire, ils voulaient se renfermer exclusivement dans des accusations personnelles, il ne pouvait plus être question d'invoquer l'autorité des livres saints, et qu'alors nous étions prêts, pour nous justifier, à recourir à des documents semblables à ceux qu'on pouvait alléguer pour nous incriminer. Telle fut la réponse que nous ne cessâmes d'opposer à toutes leurs demandes aussi vaines que nombreuses. Ils ne pouvaient qu'être vaincus par l'évidence de la vérité, et réduits à entendre la lecture des pièces que nous produisions pour rendre leur défaite de plus en plus éclatante et complète. Ils comprenaient parfaitement qu'aussitôt qu'il serait prouvé que les prétendus crimes de Cécilianus n'engageaient nullement la responsabilité et la véracité de notre communion,, ils n'auraient plus aucun prétexte à alléguer pour justifier leur séparation de l'unité. Que s'ils s'obstinaient à accuser Cécilianus, ils devaient chercher leurs preuves dans les documents publics, comme c'était aussi dans ces documents que nous devions chercher les moyens de le justifier.


48. Malgré la vivacité et le bruit de ces discussions, nous prîmes demander qu'ils eussent à, prouver, s'ils le pouvaient, les crimes dont ils ont coutume d'accuser notre communion répandue sur tonte la terre, car c'était pour eux l'unique moyen de justifier leur séparation de l'unité. Mais à quel prix n'aurions-nous pas du acheter la faveur qu'ils nous ont faite en répondant que nous voulions embrasser une cause qui n'était pas la nôtre, c'est-à-dire celle des Eglises situées de Vautre. côte de la mer, tandis que les (621) Africains seuls se trouvaient en jeu dans le débat. Quant à ces Eglises, la seule chose qu'elles avaient à faire, c'était d'attendre le résultat de la discussion à la suite de laquelle elles s'associeraient les vainqueurs,et partageraient avec eux la gloire de porter le nouas de catholiques. Que demandez-vous de plus? quelle Eglise vous devez tenir pour la véritable? pouvez-vous en douter encore? Voilà cette Église à laquelle vos évêques avouent qu'ils n'ont rien à reprocher; c'est à elle que clous sommes unis, c'est de son sein qu'ils se sont séparés. Ils viennent de déclarer que cette Eglise doit attendre le résultat de la discussion, après laquelle elle s'associera les vainqueurs et partagera avec eux la gloire de porter le nom. de catholiques: Or, nos ancêtres sont déjà restés vainqueurs de leurs ancêtres, et dès lors ils ont dû être associés à cette Eglise et s'attribuer légitimement, le nom de catholiques. Quant. à vos évêques actuels, puisqu'ils ont déjà été vaincus dans la personne de leurs ancêtres par nos propres ancêtres, pourquoi cette nouvelle lutte qu'ils engagent? L'Eglise catholique du continent et répandue sur toute la terre doit attendre les vainqueurs pour les associer à son unité; quels vainqueurs attendra-t-elle et comment doit-elle les attendre si, avant tout, elle n'est pas innocente des crimes dont, il est question entre nous? Si elle n'en est pas innocente, elle n'est plats qu'une coupable honteusement vaincue, comment donc alors s'associer les vainqueurs? D'un autre côté, si, comme ils,, l'avouent; elle est innocente de, ces crimes, il faut que nous en soyons nous-mêmes innocents, puisque nous sommes en communion avec elle. En effet, si, en vertu de cette communion, nous pouvons être souillés d'un crime étranger, notre propre crime doit souiller également l'Eglise avec laquelle clous sommes en communion. Or, ils avouent que cette Eglise n'est pas souillée par le crime dés Africains, quoique ces derniers lui soient unis par la participation aux mêmes sacrements: mais alors qu'ils conviennent donc que nous ne pouvons pas davantage être souillés par le crime de ceux avec lesquels nous sommes en communion, puisque nous ne sommes enlacés dans ce crime par aucun consentement. A l'aide du même raisonnement on peut également prouver que là, cause de Cécilianus reste victorieuse de toutes les accusations. En effet, si, dans ce moment, l'Eglise du continent doit attendre le succès du débat pour s'associer les vainqueurs et leur conférer le titre de catholiques, elle attendait donc aussi quand les ancêtres de vos évêques luttaient avec tant d'acharnement contre Cécilianus. C'est donc lui qui remporta la victoire, puisqu'après le combat, c'est lui que cette Eglise associa à sa gloire et à ses titres. Diront-ils qu'elle a pu, quoiqu'il fut coupable, l'admettre dans sa communion et son unité, sans qu'elle en éprouvât aucune souillure? Alors c'est à nous qu'appartient la victoire, puisque nous soutenons que chacun porte son propre fardeau, et que la cause et la personne ne préjugent ni la cause ni la personne.


49. A quel prix encore n'avons-nous pas dû acheter la faveur qu'ils nous ont faite en s'engageant à répondre, non pas par lettre, mais par écrit au mandat dans lequel nous avions embrassé la cause tout entière? En effet, il a été prouvé par là, d'une manière évidente, qu'ils n'ont pu répondre à tous nos arguments, et qu'ils ont évité avec soin de toucher à certaines questions. On ne dira pas que la mémoire a pu leur faire défaut et dès lors qu'il est tout naturel qu'ils n'aient pas répondu, même à certains points des plus importants. En effet, sur leurs instances, notre mandat a été publié, afin, comme ils le demandaient, qu'ils pussent répondre en pleine connaissance de cause. De plus, sept d'entre eux furent délégués par les autres pour préparer et étudier la matière; cependant la lettre de réponse est signée par leur concile tout entier comme si elle était l'oeuvre de tous. Nous serions en droit de refuser cette lettre, puisque l'ordre exige que quand sept hommes ont été chargés d'une cause, rien ne se fasse que par eux. Mais peut-être nous aurait-on accusés de crainte et de frayeur; aussi nous n'avons pas hésite; à concéder la lecture de cette lettre. Comme je l'ai dit, il était à désirer qu'après le si long répit que nous leur avions accordé, ils présentassent un travail complet dans lequel on trouvât une réponse claire et précise à toutes les questions que nous avions touchées dans notre mandat. Un tel travail n'était pas seulement à désirer, on l'aurait acheté à tout prix. S'il est des hommes assez grossiers pour croire qu'ils nous ont réfutés sur tous les (622) points sur lesquels ils nous ont répondu; est-il possible de supposer l'absurdité assez profonde pour croire également qu'ils nous ont répondu dans toutes les questions sur lesquelles ils ont gardé le silence le plus absolu? Et cependant, peut-on regarder ces questions comme de peu d'importance, puisque toute la matière du débat y est implicitement renfermée?


60. C'est en nous appuyant sur les témoignages de l'Ecriture sainte que nous avons prouvé que l'Eglise, avec laquelle nous sommes en communion, après avoir été fondée à Jérusalem, s'était répandue sur toute la terre. Or, tous ces passages ont été, de leur part, passés sous silence, comme s'ils s'étaient sentis accablés sous le poids de cette grande autorité. Nous avons aussi rapporté, dans notre mandat, les paroles de Cyprien dans lesquelles il déclare que l'on doit tolérer les méchants dans l'Eglise, plutôt que de quitter l'Eglise à cause d'eux; nous avons montré que, sur ce point, il a confirmé le précepte par son exemple. Mais sur ce point encore, vos évêques n'ont fait aucune réponse; je suppose qu'ils ont craint d'attaquer l'autorité de Cyprien dans tel de ses écrits, car ils se seraient mis dans la nécessité d'avouer que nous avions le droit de la rejeter, quand il s'agit de la réitération du baptême. Quant à cette doctrine sur laquelle ils reviennent toujours avec tant de complaisance, il est à remarquer qu'ils n'y ont fait aucune allusion dans la conférence; sans doute qu'ils comprenaient parfaitement qu'en citant saint Cyprien, ils avouaient par le fait qu'ils avaient réellement fait naufrage. Il est certain, en effet, que Cyprien ne s'est pas séparé de l'unité, il resta en communion avec ceux qui avaient, sur cette matière, une opinion différente de la sienne. Il faut en conclure ou bien que l'Eglise avait péri, et alors, comment expliquer la naissance de leur Donat? ou bien, si l'Eglise continuait à exister, il faut admettre que, dans son sein, les bons ne sont pas souillés par leur contact extérieur avec les méchants; c'est ce que prouvent la doctrine et l'exemple de Cyprien, qui a cru devoir rester en communion avec ceux qui ne partageaient pas sa manière de voir sur la réitération du baptême. Dès lors, vos évêques ont véritablement assumé sur eux l'écrasante responsabilité d'un schisme criminel, quand ils ont cru devoir se séparer de l'Eglise universelle à l'occasion de je ne sais quels crimes dont ils n'ont pu démontrer la réalité. Telle est, ce me semble, la raison pour laquelle ils ont passé sous silence le témoignage que, dans notre mandat, nous avions emprunté à Cyprien.


51. A l'occasion de l'affaire des Maximianistes, ils proclamèrent hautement que la présence des méchants ne doit pas être une cause suffisante de se séparer de l'unité, car ils soutinrent que les partisans de Maximien n'avaient pas été souillés par lui, et ne craignirent pas de réintégrer dans tous les honneurs ceux qu'ils avaient condamnés peu de temps auparavant. De plus, ils admirent que le baptême de Jésus-Christ, quoique conféré au dehors par l'Eglise, devait être maintenu plutôt qu'invalidé; car, quand il s'agit de ceux que Félicianus avait baptisés dans le schisme, ils les reçurent dans leur secte sans oser leur réitérer le baptême. Nous avions relevé ces faits dans notre mandat; cependant, ils crurent à propos de les laisser dans le plus complet silence,plutôt que d'y répondre. Nous avions également affirmé que la cause de Cécilianus était essentiellement distincte de celle de l'Eglise; cette assertion resta également sans réponse. Qui donc pourra jamais croire qu'ils aient réfuté notre mandat, quand, sur tous ces points d'une extrême importance, ils ont pris le sage parti de se renfermer dans le plus profond silence? Quant aux réponses qu'ils ont faites, libre à chacun de les lire s'il le veut et de les apprécier, en se contentant de comparer leur lettre à notre mandat, sans consulter notre réplique actuelle où toutes les machinations que leur avait inspirées la vérité sont complètement déjouées et détruites.


52. Nous avions rappelé là cause de Maximien, afin de leur faire comprendre que la condamnation portée par soixante-dix évêques contre Cécilianus absent, devait être pour celui-ci ce qu'avait été pour Primianus la condamnation portée contre lui par cent évêques du parti de Maximien; la première ne devait pas avoir de conséquences plus nuisibles que la seconde. Or, à quel prix, ou plutôt avec quelle montagne d'or n'aurions-nous pas dû acheter la faveur qu'ils nous ont faite, en nous répondant par cette parole qui indique assez clairement le trouble dont ils étaient saisis, les angoisses qui les tourmentaient: «La (623) cause ne préjuge pas la cause, et la personne ne préjuge pas la personne?» Cette parole, dans sa brièveté, rend à jamais invincible la cause que nous soutenions contre eux précédemment. En citant de nombreux témoignages de la sainte Écriture, des Prophètes, des Apôtres, des évêques et même de nos adversaires, quel autre but avions-nous que de prouver que les bons ne sont pas souillés par les méchants dans la participation aux mêmes sacrements, si par leur coeur, par leur volonté, par leurs moeurs et par leurs oeuvres, ils savent distinguer leur cause et leur personne? Tout ce que nous voulions, c'était de montrer l'évidence de ce principe: La cause ne préjuge pas la cause, et la personne ne préjuge pas la personne. Nous le soutenions depuis longtemps, mais jusque-là rebelles, ils ne cédèrent à l'évidence que quand ils se sentirent poussés par une irrésistible nécessité.


53. Mais au prix de quels trésors, de quelles richesses, de quels diamants et perles précieuses n'aurions-nous pas dû acheter la faveur qu'ils nous ont faite, non-seulement en avouant, mais encore en proclamant avec orgueil et ostentation que leurs ancêtres avaient accusé Cécilianus au tribunal de l'empereur Constantin, et en poussant le mensonge et la calomnie jusqu'à assurer qu'il avait été frappé d'une condamnation solennelle? Que devient donc cette fastueuse parole qu'ils vous adressaient pour mieux vous tromper et pour soulever toutes les haines contre nous, en nous accusant de soumettre la cause de l'Église à la juridiction de l'empereur? Que deviennent ces paroles de Primianus enregistrées dans les actes du magistrat de Carthage: «Ils portent les reliques de beaucoup d'empereurs, tandis que nous n'avons à offrir que les Evangiles?» Que devient ce brillant panégyrique dont ils honorent leur séparation, prétendant que l'Église véritable c'est celle qui souffre persécution et non celle qui la fomente?» Cette prétendue justification ne tombe-t-elle pas sous les coups du ridicule et de la honte? Nous avons le récit des persécutions qu'ils ont fomentées, et s'ils osaient les nier, nous publierions leurs signatures. Ils ont avoué, ils ont proclamé avec orgueil que leurs ancêtres avaient gravement poursuivi Cécilianus au tribunal de l'empereur, et qu'il y avait subi une condamnation éclatante; nous en avons les preuves en main. Qu'ils ne disent donc plus que leur secte forme l'Église véritable, parce qu'elle souffre la persécution et ne la soulève pas; ou bien, qu'ils avouent qu'elle n'était pas la véritable Eglise à l'époque des persécutions soulevées contre Cécilianus par leurs ancêtres. Si pour être bon il suffit d'être persécuté, Cécilianus devait être bon quand il subissait la persécution. Diront-ils qu'il peut se faire quelquefois que les méchants eux-mêmes soient persécutés, mais que les auteurs de la persécution ne sauraient être bons? Alors, qu'ils avouent que leurs ancêtres n'étaient pas innocents quand ils persécutaient Cécilianus. Diront-ils que les bons peuvent soulever la persécution et les méchants la subir? Mais alors doivent-ils nous faire un crime, et à eux, un éloge de ce qu'ils ont aujourd'hui à souffrir de notre part ce que leurs ancêtres ont glorieusement fait souffrir à Cécilianus? Cependant, il n'est nullement prouvé que Cécilianus ait été condamné par l'empereur; il n'est pas prouvé davantage que la sentence d'absolution et de justification prononcée en sa faveur par les évêques et par Constantin, ait été interpolée ou cassée par la suite. Mettons donc de côté cette prétendue condamnation de Cécilianus, laquelle n'est qu'un mensonge; il nous reste un fait certain, c'est la persécution soulevée contre lui par leurs ancêtres.


54. C'était peu à leurs yeux de soutenir calomnieusement que Cécilianus avait été comdamné par l'empereur, et de ne pouvoir prouver leur assertion; ils voulurent rendre notre victoire encore plus éclatante en affirmant que la justification de Cécilianus était demeurée intacte et n'avait été modifiée dans la suite par aucun jugement contradictoire de l'empereur: précédemment ils avaient soutenu le contraire. D'abord, sous prétexte de prouver que Cécilianus avait été réellement condamné, ils demandèrent à donner connaissance d'une pièce écrite par Optat, évêque catholique de l'Église de Milève. Comme cette pièce prouvait justement le contraire de leur assertion, un grand éclat de rire s'échappa de toute l'assemblée. Assurément ce rire ne devait être l'objet d'aucune mention dans les actes publics, mais ils en provoquèrent eux-mêmes la publicité en s'écriant.: «Que ceux qui ont ri écoutent»; ce mot a été transcrit et signé. La lecture qui venait d'être faite laissait donc les choses dans (624) le même état d'incertitude; pour y répandre quelques lumières, le procureur ordonna de reprendre la lecture de plus haut; on tomba précisément sur un passage qui prouvait ce que vos évêques s'obstinaient à nier, c'est-à-dire la justification. de Cécilianus; ce qu'on venait de, lire avait déjà prouvé qu'il avait été, non pas condamné, mais retenu à Brixia pour le bien de la paix. Vos évêques répondirent que ces paroles n'étaient de la part d'Optat qu'un moyen d'atténuer la condamnation de Cécilianus; on leur répliqua qu'ils eussent alors à fournir d'autres documents pour rendre évident le fait de la condamnation de Cécilianus; alors seulement on comprendrait qu'Optat, en écrivant que Cécilianus avait été justifié, n'avait voulu qu'atténuer l'effet de sa condamnation. Ils durent renoncer a ce moyen de salut, et après de longues hésitations et d'inextricables embarras, ils se mirent ouvertement à plaider en faveur de notre cause, En effet, comme s'ils eussent pris nos instructions et qu'ils eussent été délégués pour défendre et proclamer l'innocence de Cécilianus, ils se tournèrent entièrement de notre côté. On leur avait demandé de prouver que dans un jugement subséquent, Cécilianus avait été condamné par l'empereur, quoique les lettres antérieures dont nous avions donné connaissance, eussent prouvé qu'il avait été absous. Pour toute réponse, ils présentèrent un mémoire adressé à ce même Constantin parleurs ancêtres et qui prouvait avec la dernière évidence, que c'était sur eux qu'était tombée la condamnation impériale. En. effet, il leur arriva ce qui était arrivé aux ennemis du saint prophète Daniel, lesquels furent dévorés par les lions qu'ils avaient apostés pour dévorer leur innocente victime (Da 6,24). Nous leur fîmes donc remarquer que ce mémoire était tout entier en notre faveur. Alors ils en produisirent un autre; c'était une lettre adressée par l'empereur à son vicaire Vérinus, dans laquelle il se montrait extrêmement irrité contre les Donatistes, appelait sur eux les sévérités du jugement de Dieu, et cependant leur pardonnait en leur permettant de recouvrer leur liberté. Il resta donc bien prouvé qu'aucune condamnation de Cécilianus n'était survenue par la suite, que sa justification avait été rigoureusement maintenue, et que le châtiment des Donatistes n'avait été levé que par une honteuse indulgence. Avouons que des documents aussi précieux n'étaient pas entre nos mains; j'a.joute que si nous avions su où ils étaient et qu'on n'eût pas voulu nous les livrer gratuitement, nous aurions versé toutes les sommes nécessaires pour en obtenir au moins la transcription. Mais que n'aurions-nous pas offert pour obtenir que nos adversaires eux-mêmes nous en fissent la lecture?



Augustin, controverse avec les Donatistes