Augustin acc. évangélistes 126

126

CHAPITRE 26,RUINE DE L'IDOLÂTRIE CONFORME AUX ORACLES PROPHÉTIQUES.

40. Ce n'est pas aux premiers temps du Christianisme, mais à une époque fort antérieure, que remonte la prédiction des événements aujourd'hui accomplis par les chrétiens. Les Juifs qui sont demeurés ennemis du nom de Jésus-Christ, les Juifs eux-mêmes dont l'infidélité future n'a pas été oubliée dans les oracles prophétiques, tiennent le livre de Jérémie où ils lisent ces mots: "Seigneur, qui êtes mon Dieu et mon refuge dans te temps de l'affliction, les nations viendront à vous des extrémités de la terre et diront: Vraiment nos pères ont adoré de vaines idoles et n'ont pu en tirer aucun avantage (1)." Nous voyons aujourd'hui l'accomplissement de cet oracle. Des extrémités de la terre les nations viennent à Jésus-Christ, redisant ces choses et brisant les idoles, Et c'est en effet une grande faveur accordée par Dieu à son Eglise répandue dans tout le monde, que les ennemis de notre foi en attestent la vérité, et que la nation juive, justement vaincue et dispersée dans l'univers entier, ne permette pas de regarder comme une oeuvre frauduleuse

1 Jr 16,19.

129

des chrétiens, les livres de nos . prophètes, qu'elle porte avec elle chez tous les peuples. Comment donc, suivant les discours frivoles de quelques insensés, les disciples de Jésus-Christ, en prêchant la destruction des idoles, l'abolition du culte des divinités païennes, ont-ils enseigné ce qu'ils n'avaient pas appris de leur Maître? Peut-on dire qu'ils ont imaginé des prophéties dont on trouve le texte dans les livres vénérés par les ennemis mêmes de Jésus-Christ.?

41. Et qui donc a ruiné l'idolâtrie, sinon le Dieu d'Israël? Car c'est au peuple d'Israël que furent adressées en la personne de Moïse ces paroles divines: "Ecoute Israël; il n'est d'autre Dieu que le Seigneur ton Dieu (1): tu ne te feras point d'idole; ni aucune ressemblance de ce qui est en haut dans le ciel ou en bas sur la terre (2)." De plus, voici l'ordre qui lui fut donné de renverser même les objets du culte idolâtrique dès qu'il en aurait le pouvoir: "Tu n'adoreras point leurs dieux et tu ne les serviras pas; tu ne feras pas selon leurs oeuvres, mais tu abattras et tu briseras leurs idoles (3)." Et qui osera dire que le Christ et les chrétiens sont étrangers à Israël, quand Israël est le petit-fils. d'Abraham à qui d'abord fut faite la promesse dont j'ai rappelé les termes: "Dans celui qui sortira de toi seront bénies toutes les nations," promesse renouvelée à Isaac, fils d'Abraham, et enfin à Israël lui-même, fils d'Isaac? C'est cette promesse que nous voyons maintenant accomplie en,la personne de Jésus-Christ, puisque du sang de ces patriarches est venue la Vierge que le prophète du peuple d'Israël et du Dieu d'Israël a célébrée en disant: "Voici qu'une Vierge concevra et enfantera un fils dont le nom sera Emmanuel (4)." Or Emmanuel signifie "Dieu avec nous (5)." Le Dieu d'Israël qui a prescrit de l'adorer lui seul, qui a défendu de faire des idoles, qui a ordonné de les renverser, et qui, par son prophète, a montré dans l'avenir toutes les nations de la terre venant à lui et s'écriant: "Vraiment nos pères ont adoré de vaines idoles et n'ont pu en tirer aucun avantage;" le Dieu d'Israël a donc commandé, promis et consommé la ruine de toutes les superstitions païennes par le nom de Jésus-Christ et la foi des chrétiens. Vainement donc, parce que leurs dieux eux-mêmes, c'est-à-dire, les démons qui tremblent au

1 Dt 6,4. - 2 Ex 20,4. - 3 Ex 23,24. - 4 Is 7,14. - 5 Mt 1,23.

nom de Jésus-Christ, leur ont défendu de le blasphémer, nos misérables adversaires voudraient mettre en opposition avec la doctrine du Christ celle donc les chrétiens se prévalent pour attaquer les idoles et faire disparaître complètement, par toutes les voies possibles, tant de fausses observances.

127

CHAPITRE 27, LA PUISSANCE DU VRAI DIEU RENVERSANT PARTOUT LES IDOLES, MOTIF D'ABANDONNER L'IDOLATRIE.

42. Qu'ils nous répondent au sujet du Dieu d'Israël. Les livres non-seulement des chrétiens mais aussi des Juifs témoignent que ses dogmes et ses ordres sont contraires à l'idolâtrie. Qu'ils consultent leurs dieux, et que les divinités païennes, après avoir défendu de blasphémer Jésus-Christ, rendent, si elles en ont l'audace, quelques réponses injurieuses contre le Dieu d'Israël. Mais quels dieux consulteraient-ils, et en quels lieux iraient-ils maintenant les consulter? Eh bien! qu'ils lisent les ouvrages de leurs écrivains. Si le Dieu d'Israël n'est autre que Jupiter, comme l'a écrit le docte Varron, et je veu4 bien parler un moment d'après leur système, pourquoi ne pas se faire un devoir d'abattre les idoles en faveur de Jupiter? Si l'on croit qu'il est Saturne, pourquoi ne pas l'adorer? ou du moins pourquoi ne pas l'adorer, de la manière qu'il a prescrite par l'organe de prophètes dont il a su accomplir les prédictions comme il les avait inspirées? Pourquoi ne pas croire qu'il faut renverser les idoles en son honneur et mépriser les autres dieux? S'il n'est ni 1upiter ni Saturne, car s'il était l'un ou l'autre, il ne serait pas si opposé à leur culte, qui est-il donc, lui qu'on refuse seul d'adorer à cause des autres dieux, et qui sur les ruines des idoles renversées en vient à se faire adorer seul, après avoir abaissé toute hauteur qui s'élevait contre le Christ, et abattu les orgueilleux sectateurs des faux dieux qui persécutaient et mettaient à mort les chrétiens? Certainement aujourd'hui les païens cherchent où se cacher quand ils veulent offrir un sacrifice; du moins avisent-ils à bien cacher leurs dieux eux-mêmes pour empêcher les chrétiens de les découvrir et de les mettre en pièces. D'où vient cela, sinon de la crainte des lois et des empereurs, par qui le Dieu d'Israël fait paraître maintenant sa puissance, après les avoir soumis au nom de Jésus-Christ? C'est ce qu'il avait promis si longtemps d'avance (130) en disant par son prophète: "Et tous les rois de la terre l'adoreront: tous les peuples le serviront (1)."

128

CHAPITRE 28,. DESTRUCTION DES IDOLES PRÉDITE.

43. Nous voyons en effet, aujourd'hui, l'accomplissement de ce que le même Dieu a plusieurs fois déclaré par le prophète Isaïe; qu'il repousserait son peuple impie et rebelle, non pas toutefois le peuple tout entier, puisque beaucoup d'Israëlites ont cru en Jésus-Christ, et que les Apôtres du divin maître étaient de cette nation qu'il humilierait tout superbe, tout insolent, afin que lui-même fût seul élevé, en d'autres termes, seul reconnu grand et puissant parmi les hommes: qu'un jour les fidèles se déclareraient partout contre les idoles et que les infidèles se verraient obligés de les cacher: que la terre serait brisée par la crainte, c'est-à-dire, que les hommes terrestres seraient consternés et remplis d'effroi, tant leur en imposerait la loi ou de ce Dieu lui-même, ou de ceux qui, croyant en lui et régnant sur les nations, s'opposeraient aux pratiques sacrilèges de l'idolâtrie.

44. Car voici le texte du prophète sur ce que je viens d'exposer brièvement pour, en rendre l'intelligence plus facile: "Et maintenant venez, maison de Jacob, et marchons ensemble à la lumière du Seigneur. Car le Seigneur a rejeté son peuple, la maison d'Israël; parce que leur pays, comme autrefois quand y habitaient les idolâtres, a été rempli d'augures, et que beaucoup d'enfants leur sont nés du mélange de leur sang avec celui des étrangers. Leur terre a été remplie d'or et d'argent, et leurs trésors étaient infinIs Leur terre a été remplie de chevaux, et leurs chariots ne pouvaient se compter. Elle a été couverte des oeuvres abominables de leurs mains, et ils ont adoré ce qu'ils avaient fabriqué de leur propres doigts. Et l'homme s'est s'abaissé profondément et les chefs se sont dégradés: je ne leur pardonnerai point. Maintenant, entrez dans les fentes des rochers, cachez-vous dans les entrailles de la terre, pour vous mettre à couvert de l'effroi que répandra le Seigneur, et de l'éclat de sa puissance quand il viendra briser la terre. "Car le Seigneur est grand; du haut du ciel ses regards embrassent l'étendue de l'univers, mais l'homme est une faible créature ici-bas;

1 Ps 71,11.

et toute hauteur des hommes sera humiliée et le Seigneur sera seul exalté en ce jour. Oui le jour du Seigneur des armées va éclater sur tous les insolents, sur tous les superbes, sur tous ceux qui sont hautains dans leur bassesse et il seront humiliés. Ce jour va éclater sur tous les cèdres orgueilleux du Liban, sur tous les arbres de Basan, sur les montagnes les plus hautes, sur les collines les plus élevées, sur tous les vaisseaux de la mer, dont il dissipera le beau spectacle. Et toute élévation de l'homme sera abaissée, et toute son insolence tombera, et le Seigneur seul paraîtra grand en ce jour. "Et, poursuivis par la crainte du Seigneur et la majesté de sa puissance quand il se lèvera pour frapper et ébranler la terre, les hommes cacheront dans les antres, dans les fentes des rochers, dans les cavernes tout ce qu'ils ont fabriqué de leurs mains. Car en ce jour on rejettera les idoles abominables d'or et d'argent, les idoles vaines et funestes qu'ils avaient faites pour les adorer, et ils entreront dans les trous de la pierre, dans les fentes des rochers, pour se mettre à couvert de la frayeur qu'apportera le Seigneur, et se dérober à la gloire de sa Majesté quand il se lèvera pour broyer la terre (1)."

129

CHAPITRE 29,POURQUOI LES PAÏENS N'ADORENT-ILS PAS LE DIEU D'ISRAËL, S'ILS LE CROIENT DU MOINS PRÉPOSÉ AUX ÉLÉMENTS.

45. Que disent les païens de ce Dieu que les Hébreux appellent Dieu "Sabaoth," c'est-à-dire Dieu des Vertus ou des armées, parce que les vertus et toute l'armée des anges obéissent à ses lois? Que disent-ils du Dieu d'Israël, ainsi appelé parce qu'il est le Dieu de ce peuple d'où nous est venu Celui en qui devaient être bénies toutes les nations? Pourquoi le laissent-ils seul sans l'adorer, quand ils prétendent qu'on doit adorer tous les dieux? Pourquoi refusent-ils de croire au Dieu qui a démasqué l'imposture des autres et les a renversés? Suivant mes souvenirs, quelqu'un d'entre eux s'est flatté d'avoir lu dans les ouvrages de certain philosophe, dont le nom ne me revient pas, que les rites sacrés des Juifs lui avaient fait comprendre à quel Dieu s'adressait leur culte: "C'est, dit-il, à celui qui a la direction des éléments dont se compose le monde visible et corporel." Cependant les livres

1 Is 2,5-21.

vénérables de ses prophètes montrent clairement la prescription faite au peuple d'Israël d'adorer le Dieu qui a créé le ciel et la terre et de qui vient toute vraie sagesse. Mais qu'est-il besoin de disputer ici plus longtemps, quand je puis arriver à mon but, en m'appuyant sur l'opinion bien ou mal fondée que ces hommes professent au sujet du Dieu d'Israël, dont ils ne peuvent nier la divinité? Car s'il est préposé aux éléments dont la réunion forme ce monde, pourquoi ne pas l'adorer plutôt que Neptune, qui est seulement préposé à la mer, plutôt que Sylvain, qui a seulement puissance sur les champs et les forêts? Pourquoi ne pas l'adorer de préférence au soleil, de qui relève seulement le jour, ou, si l'on veut encore, toute la chaleur céleste? Pourquoi ne pas l'adorer de préférence à la lune, qui ne règne que sur la nuit, ou, tout au plus encore, sur les vapeurs dégagées par la terre et les eaux? Pourquoi ne pas le préférer à Junon, que l'on dit tenir seulement l'empire de l'air? Assurément, ces dieux, dont chacun n'a d'autorité que sur une partie du monde, doivent être inférieurs, quels qu'ils soient, au Dieu qui régit tous les éléments et toute la machine de l'univers. Mais le Dieu d'Israël défend d'adorer aucun de ces dieux. Pourquoi donc les païens, malgré le précepte d'un Dieu supérieur aux autres, veulent-ils non-seulement adorer ceux-ci, mais, à cause d'eux, ne pas l'adorer lui-même? Jusqu'alors ils ne voient rien qu'ils puissent affirmer nettement et résolument à son sujet, et ils resteront toujours dans leurs ténèbres, tant qu'ils ne le reconnaîtront pas comme le seul vrai Dieu dont la puissance a créé toutes choses.

130

CHAPITRE 30, AVEC L'ACCOMPLISSEMENT DES PROPHÉTIES LE DIEU D'ISRAËL EST MAINTENANT CONNU PARTOUT.


46. Leur grand déclamateur en poésie, Lucain, après avoir lui-même, je le crois, cherché longtemps dans ses propres réflexions et dans la lecture des auteurs profanes, quel était le Dieu d'Israël, sans arriver à le connaître, parce que la piété demeurait étrangère à ses recherches, a mieux aimé cependant appeler un Dieu incertain celui qu'il ne trouvait pas, que de nier sa divinité dont il avait des preuves si sensibles. Parlant de la Judée il a dit, en effet, qu'elle adore un Dieu incertain: Et dedita sacris incerti Judaea Dei (1) . Or, le Dieu d'Israël, ce Dieu saint et véritable, n'avait pas encore, par le nom de Jésus-Christ, opéré dans toutes les nations, de merveilles semblables à celles que le monde a vues depuis les temps de Lucain jusqu'à ce jour. Maintenant, qui peut être assez dur pour ne point se rendre, assez froid pour ne point sentir son âme embrasée, après l'accomplissement de cet oracle du roi-prophète Il n'est personne qui se dérobe à sa chaleur; quand se trouvent réalisées avec tant d'éclat les choses prédites si longtemps d'avance dans le même Psaume d'ou je tire le verset que je viens de rappeler? Car dans ce Psaume, le nom des cieux où règne l'Éternel désigne les Apôtres de Jésus-Christ qui devaient annoncer l'Évangile sous l'empire et la conduite de Dieu . Maintenant donc les cieux ont raconté la gloire du Très-Haut et le firmament a publié les oeuvres de ses mains. Le jour a parlé au jour et la nuit a transmis la science à la nuit. Maintenant est accompli l'oracle qu'il n'y a point de langue point d'idiôme dans lequel les voix des cieux ne soient entendues. Elles out éclaté dans toute la terre, et les paroles qu'elles ont portées ont retenti jusqu'aux extrémités du monde. Maintenant Dieu a établi dans le soleil, c'est-à-dire, a manifesté à tous les regards, son pavillon qui est son Eglise elle-même. Dans cette fin, selon la suite du même Psaume, il est sorti de sa couche nuptiale, c'est-à-dire, que le Verbe de Dieu est sorti du sein de la Vierge Marie, où il a uni en sa personne la nature divine À la nature humaine. Maintenant il s'est élancé comme un géant et a parcouru sa carrière. Maintenant il a accompli son départ du point le plus élevé du ciel et son retour au plus haut du ciel. Aussi est-ce à bon droit que le verset rappelé un peu plus haut conclut par ces paroles: "Il n'est personne qui se dérobe à sa chaleur (2)." Et maintenant encore, ces misérables qui nous opposent avec un tel babil quelques faibles apparences de contradictions, aiment mieux être comme die l'étoupe, réduits en cendres par ce feu, que purifiés de leurs souillures comme l'or; maintenant que l'imposture des faux dieux se trouve confondue par les événements, et que les promesses véridiques du Dieu d'Israël, de ce Dieu incertain, ont acquis aux yeux de tous, en se réalisant, une éclatante certitude.

1 Lucain, l. 2,vers la fin. - 2 Ps 18,1-7.

132

131

CHAPITRE 31,IMPORTANTE PRÉDICTION RELATIVE A JÉSUS-CHRIST.

47. Que les faux panégyristes de Jésus-Christ qui ne veulent pas être chrétiens cessent donc de dire que sa doctrine n'impose aucune nécessité d'abandonner leurs dieux et de briser leurs idoles. Car le Dieu d'Israël qui, suivant les prédictions, devait être un jour appelé le Dieu de toute la terre, et qui de fait est maintenant appelé le Dieu de toute la terre; le Dieu d'Israël, auteur de ces prédictions énoncées par l'organe des prophètes, les a accomplies dans le temps voulu, par le ministère du Christ. En effet, s'il est maintenant appelé le Dieu de toute la terre, il faut bien rapporter à l'époque où le monde l'a connu comme seul vrai Dieu, l'accomplissement des oracles par lesquels il ordonnait ce grand événement. Or, qu'il ait été connu par le Christ et dans le Christ, cette circonstance était prédite; et ceux qui le voudront peuvent lire dans le même prophète, cité un peu plus haut, qu'au moyen du Christ, l'Eglise devait s'étendre par tout l'univers et que, par l'Eglise, le Dieu d'Israël serait appelé le Dieu de toute la terre. Ou plutôt, je vais mettre moi-même ce passage sous les yeux de mes lecteurs; il n'est pas d'ailleurs tellement long que je doive négliger de le transcrire. Nous y voyons bien des choses touchant la venue, les abaissements, la passion du Christ et le corps dont il est le chef, c'est-à-dire, son Eglise, lorsqu'elle est interpellée comme stérile et sans enfants. Durant longues années, en effet, celle à qui devaient appartenir toutes les nations ne parut pas dans ses enfants, c'est-à-dire, dans les Saints; le Christ n'étant pas encore annoncé par les Evangélistes à ceux qui n'avaient pas entendu les prophètes. Or, il est dit ensuite, que celle qui est abandonnée aura plus d'enfants que celle qui a un mar1,Ce nom de mari désigne la loi, ou le roi qui fut donné au premier peuple d'Israël: aussi bien, les nations n'avaient pas reçu la Loi dans le temps où parlait le prophète, et le Roi des chrétiens n'était pas encore apparu aux nations, chez qui cependant on a vu surgir un nombre beaucoup plus considérable de fidèles que chez le peuple juif. Voici donc comme parle Is en présentant d'abord les abaissements du Christ, puis en se retournant vers l'Eglise pour lui adresser la parole, jusqu'au verset que nous avons rappelé précédemment et dans lequel nous lisons: "Et celui qui t'a rachetée, le Dieu d'Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre."
"Mon fils, dit-il, sera rempli d'intelligence il sera exalté et grandement honoré. Comme beaucoup doivent être saisis d'admiration à ton sujet, ô mon peuple, et que ta beauté paraîtra cependant flétrie aux yeux de tous et ta gloire perdue devant les hommes; ainsi lui-même sera-t-il pour beaucoup de nations un objet d'étonnement, et les rois se tiendront devant lui dans le silence, parce que ceux à qui il n'avait pas été annoncé, verront, et que ceux qui n'avaient pas entendu parler de lui comprendront. Seigneur, qui a cru à notre parole et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé? Nous l'avons annoncé devant le Seigneur: il est comme un enfant, comme un rejeton qui s'élève d'une terre sèche et aride. Il n'a ni beauté ni éclat. Nous l'avons vu dépouillé de toute gloire et de toute beauté: son visage est abattu et contrefait, objet du mépris de tous les hommes: c'est un homme couvert de plaies et qui a l'habitude des souffrances. Aussi sa face s'est détournée: compté pour rien, il a été accablé d'outrages. Il porte nos iniquités; c'est pour nous qu'il est dans la douleur. Et nous l'avons pris pour un homme assujetti par son état au plaies et aux tourments. Mais il a été blessé à cause de nos péchés, soumis à la douleur à cause de nos iniquités. Le châtiment qui pouvait nous procurer la paix est tombé sur lui et nous avons été guéris par ses meurtrissures. Tous nous avions erré comme des brebis égarées, et le Seigneur l'a livré pour nos péchés. Et quoique traité d'une manière si cruelle il n'a pas ouvert la bouche. Il a été conduit à la mort comme une brebis, et de même qu'un agneau se tait devant celui qui le tond, il n'a pas ouvert la bouche pour se plaindre. Condamné, il est mort dans la dernière humiliation. Qui redira son origine? car sa vie a été retranchée de la terre; il a été conduit à la mort par les iniquités de mon peuple. Je lui donnerai donc les méchants pour le prix de sa sépulture et les riches pour la récompense de sa mort, parce qu'il n'a point connu l'iniquité, et que sa bouche n'a jamais proféré le mensonge. Le Seigneur veut le guérir de ses plaies. O hommes, si vous donnez votre vie pour vos iniquités, vous verrez votre race durer très-longtemPs Et le Seigneur veut arracher sa vie aux douleurs, lui montrer la lumière, le revêtir (133) d'éclat et de beauté; justifier le juste qui a servi si généreusement les intérêts d'un grand nombre. Et lui-même portera leurs iniquités. C'est pourquoi il aura en partage la "multitude des nations et distribuera les dépouilles des forts, parce qu'il a été livré à la mort et mis au nombre des scélérats; parce qu'il a porté les péchés de beaucoup et qu'il a été livré à cause de leurs crimes. Réjouis-toi stérile qui n'enfantes pas; sois transportée d'allégresse et pousse des cris de joie, toi qui n'as point d'enfants, parce que celle qui était abandonnée aura plus d'enfants que celle qui a un mar1,Car, le Seigneur a dit: Prends un lieu plus vaste pour dresser tes tentes, n'épargne point l'espace dans la construction de ta demeure. Recule plus loin les cordeaux; plante des pieux solides. Que ton héritage se dilate et se dilate encore, à droite et à gauche; car ta postérité possèdera les nations et tu habiteras les villes qui étaient abandonnées, Bannis toute crainte; car tu prévaudras certainement; et ne rougis pas d'avoir été jusqu'alors un objet de mépris et d'aversion. Aussi bien, tu oublieras pour toujours ta confusion et la honte de ton délaissement: parce que je suis le Seigneur qui t'ai créé; le Seigneur est le nom de celui qui t'a rachetée; et lui-même, le Dieu d'Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre (1)."

48. Que peut-on répondre à cette exposition de faits si clairement prédits et si fidèlement accomplis? Si l'on pense que les disciples de Jésus-Christ ont eu recours au mensonge pour affirmer sa divinité, sera-t-il possible de révoquer en doute sa passion?Les païens n'ont pas coutume de croire que Jésus-Christ est ressuscité: mais que les hommes lui aient fait endurer toutes ces souffrances qui sont le propre de notre humanité, ils le croient même volontiers, parce qu'ils veulent faire croire que Jésus-Christ n'est qu'un homme. Or, celui qui a été mené comme une brebis à l'immolation; qui a été rangé parmi les scélérats; qui a été blessé, meurtri à cause de nos crimes, et pour nous guérir; celui dont la face a été méprisée, outragée, souffletée, souillée par les crachats; qui a été défiguré, réduit à une horrible difformité sur la croix; qui a été conduit à la mort par les iniquités du peuple d'Israël; celui qui avait perdu tout éclat, toute beauté, quand on le frappait, quand on le couronnait d'épines et quand, sur son gibet, il était

1 Is 13,52-54.

assailli de moqueries; celui qui, semblable à un agneau muet sous la main qui le tond, n'a pas ouvert la bouche, lorsqu'on lui disait avec insulte: Christ devine (1): Celui-là dis-je, est maintenant exalté, il reçoit maintenant les plus grands honneurs. Aujourd'hui, beaucoup de nations sont dans l'admiration à son sujet; aujourd'hui les rois ont cessé d'ouvrir la bouche pour lancer contre les chrétiens de si cruels édits. Ils voient maintenant, ceux à qui les prophètes ne l'avaient point annoté; ils comprennent maintenant, ceux qui n'avaient pas entendu parler de lui (2). Les nations chez qui les prophètes n'avaient pas fait retentir leurs prédictions, sont celles qui voient le mieux toute la vérité de leurs oracles; et ceux qni n'ont pas entendu la voix même d'Is comprennent dans ses écrits de quel personnage il a parlé. Même parmi les Juifs, qui donc croyait à la paroles des prophètes? à qui donc le bras du Seigneur, c'est-à-dire, le Christ annoncé par les prophètes, était-il révélé, quand, de leurs propres mains, ils commettaient sur la personne de Jésus-Christ tant de crimes prédits par ces prophètes dont ils possédaient les oracles (3)? Maintenant enfin, il a reçu en héritage une prodigieuse multitude; et il distribue les dépouilles des forts, quand il applique à fa construction de ses temples et aux différents besoins de l'Eglise, ce que tenaient en leur pouvoir le diable et les démons dont il a ruiné l'empire et démasqué l'imposture.

132

CHAPITRE 32,DOCTRINE DES APOTRES CONTRE LE CULTE DES IDOLES JUSTIFIÉE PAR LES PROPHÉTIES.


49. Que disent à cela nos adversaires qui, en donnant ail Christ de perfides louanges, décrient avec tant d'acharnement les chrétiens? Jésus-Christ a-t-il trouvé, dans les artifices de la magie, le moyen de faire annoncer tous ces événements par les prophètes si longtemps d'avance; ou bien, les disciples en ont-ils à plaisir imaginé l'accomplissement? Quoi donc! si répandue aujourd'hui parmi les nations, l'Eglise, autrefois stérile, se réjouit de l'emporter, par le nombre de ses enfants, sur la synagogue qui dans la Loi ou dans la personne de son roi avait reçu un mari; si elle élargit l'espace pour ses pavillons, s'établit chez tous les peuples, et s'impose à toutes les langues, de manière à reculer ses cordages bien

I Mt 21-27 Mc 14-15 Lc 22-23 Jn 18-19, - 2 Rm 15,16-21. - 3 Jn 12,37-38 Rm 10,16.

134

au-delà des conquêtes de l'empire Romain, jusque chez les Perses, les Indiens et les autres nations barbares; si à droite, par les chrétiens sincères, à gauche, par les chrétiens apparents, son nom est au loin répandu et connu de tant de peuples; sises enfants possèdent les nations en héritage et peuvent habiter maintenant les villes autrefois étrangères au vrai culte de Dieu et à la vraie religion; si elle n'a craint ni les menaces ni les fureurs du monde, quand le sang des martyrs lui faisait comme un glorieux vêtement de pourpre; si elle a prévalu contre la violence des persécuteurs nombreux, puissants, acharnés à sa perte; si elle ne rougissait pas d'être en exécration, quand c'était un grand crime de devenir ou d'être chrétien, et oublie maintenant pour toujours son humiliation, parce que là où avait abondé le péché a surabondé la grâce (1); si elle ne se souvient plus de la honte de son délaissement, parce que, abandonnée pour un peu de temps et soumise à l'opprobre, elle voit refleurir sa gloire d'une manière éclatante; enfin si le Seigneur, le Dieu d'Israël, qui l'a faite et l'a délivrée de la puissance du diable et des démons, est appelé maintenant le Dieu de toute la terre: tous ces événements prédits, tant d'années avant que le Christ devint le fils de l'homme, par des prophètes dont aujourd'hui les livres se trouvent entre les mains des ennemis du Christ; tous ces faits accomplis aujourd'hui ont-ils été imaginés par les disciples de Jésus-Christ?

50. Qu'ils comprennent donc enfin ce qui n'est plus obscur ni douteux même pour les esprits les plus lents et les plus bornés qu'ils comprennent, ces hommes pervers, dont nous entendons les éloges en faveur du Christ et les imprécations contre la religion chrétienne, que les disciples de Jésus-Christ ont puisé dans sa doctrine leur enseignement contraire aux dieux du paganisme. Car le Dieu d'Israël qui a prescrit, comme on le voit dans les livres des prophètes, de tenir en abomination et de renverser partout les idoles que les païens veulent adorer, se trouve maintenant, selon sa promesse bien antérieure au fait, appelé le Dieu de toute la terre par le moyen de Jésus-Christ et de l'Eglise de Jésus-Christ. Si par une étrange folie ces hommes supposent que Jésus-Christ fut un adorateur de leurs dieux, et que par eux il devint capable d'opérer tant de prodiges; le Dieu d'Israël, les a-t-il aussi adorés, lui qui, après avoir promis

1 Rm 5,20.

que toutes les nations l'adoreraient uniquement, et que toutes les idoles devenues un objet d'horreur seraient détruites, a réalisé sa promesse par Jésus-Christ? Où sont maintenant les dieux des païens? Où les devins furieux et les pythonisses rendent-ils leurs oracles? Où sont les augures, les auspices, les aruspices et les oracles des démons? Pourquoi ne montre-t-on dans les anciens livres où se trouvent consignés les monuments de l'idolâtrie, aucun avertissement, aucune prédiction contre la foi chrétienne et contre la vérité de nos prophètes, aujourd'hui si clairement révélée dans toutes les nations? Nous avons, disent-ils, offensé nos dieux, et ils nous ont abandonnés; c'est pour cela que les chrétiens ont prévalu contre nous et que nous voyons s'arrêter, décroître et disparaître la félicité du monde. Qu'ils veuillent nous montrer dans les livres de leurs devins, un oracle d'après lequel les chrétiens devaient leur causer tous ces maux; qu'ils lisent des passages où leurs dieux aient maudit et réprouvé, sinon le Christ, qui suivant eux a fléchi les genoux devant les idoles, au moins le Dieu d'Israël, à qui l'on est bien obligé d'en attribuer la ruine. Mais jamais ils ne produiront, dans ce sens, que ce qu'ils pourraient eux-mêmes avoir inventé depuis peu de temPs Et s'ils le font, la vérité les confondra, car une chose si importante n'aurait pu demeurer jusqu'alors dans un tel secret, et sans aucun doute on l'aurait publiée avant l'événement, sous les voûtes des temples de toutes les nations païennes, afin d'avertir, et de prémunir contre la désertion, ceux qui aujourd'hui veulent être chrétiens.


133

CHAPITRE 33,LES TEMPS CHRÉTIENS ONT-ILS DIMINUÉ LÉ BONHEUR SUR LA TERRE?


51. Nos adversaires se plaignent aussi que depuis l'apparition du Christianisme, les hommes sont loin de jouir du même bonheur. Qu'ils prennent donc la peine de lire les ouvrages de leurs philosophes ennemis de ces plaisirs dont ils sont privés aujourd'hui à leur Bran- regret, et ils trouveront de quoi louer beaucoup les temps chrétiens. Car en quoi leur félicité se trouve-t-elle diminuée, à moins qu'ils ne lui donnent pour objet ce dont leur débauche faisait un abus si indigne au grand mépris du Créateur? Le malheur des temps viendrait-il de ce que les théâtres, écoles publiques de honteuses dissolutions et de toutes sortes de crimes, s'écroulent dans presque toutes les villes avec les édifices, les murailles dont l'enceinte était consacrée au culte des démons? Mais pourquoi tombent-ils, sinon parce que les objets dont l'usage infâme et sacrilège en avait motivé la construction, ont presque disparu? Est-ce que leur grand orateur Cicéron, en faisant l'éloge d'un comédien nommé Roscius, ne l'a pas dit tellement habile que lui seul était digne de paraître sur la scène, et tellement homme de bien que lui seul méritait de ne jamais devoir y mettre le pied (1). Qu'est-ce à dire? N'a-t-il pas avoué par là très-clairement que ces théâtres étaient si honteux, qu'un homme de bien devait d'autant moins y paraître qu'il était plus homme de bien? Et cependant on se rendait les dieux propices par ces infamies, auxquelles, selon l'orateur, il eût fallu que les honnêtes gens demeurassent étrangers. Rappelons encore ici un témoignage formel du même Cicéron. Il déclare qu'il doit se concilier la faveur de la déesse Flore, en célébrant les jeux que l'usage a établis (2). Or, ces jeux étaient caractérisés par un tel oubli de maeurs que, près d'eux, tous les autres dont il interdit la participation aux hommes de bien, doivent passer pour honnêtes. Quelle est cette Flore, cette déesse mère, qu'une dissolution plus éclatante et plus effrontée rend favorable et propice? Combien il était moins honteux à Roscius de paraître sur le théâtre, qu'à Cicéron d'honorer une telle déesse? Si les dieux sont offensés parce qu'ils voient disparaître tant d'ignobles ressources de leur culte, on peut juger quels sont ces dieux qui prennent plaisir à de pareils hommages. La diminution de ces biens est-elle un effet de leur colère? alors il est plus utile d'éprouver leur courroux que d'obtenir leur protection. Ainsi, que les païens désavouent leurs philosophes qui ont condamné de tels désordres dans les hommes débauchés, ou qu'ils brisent leurs dieux qui veulent être honorés de la sorte; si toutefois ils en trouvent encore aujourd'hui soit à briser soit à cacher. Mais qu'ils cessent leurs blasphèmes contre les temps chrétiens; qu'ils cessent de reprocher aux temps chrétiens la privation de ces biens inférieurs, source de honteux et funestes excès, pour ne pas nous fournir à leur dépens un nouveau motif de louer la puissance de Jésus-Christ.

1 Cic. Discours pour Rosc. - 2 Ib. DIs 5,cont. Verrès.

134

CHAPITRE 34,CONCLUSION.

Je pourrais dire encore beaucoup de choses, si le titre de mon ouvrage ne m'obligeait à clore maintenant ce livre e t à revenir au dessein que je me suis proposé. Car j'ai entrepris de résoudre les difficultés de certains passages de l'Evangile où plusieurs ennemis de la foi chrétienne prétendent que les quatre Evangélistes ne sont pas d'accord. Or, après avoir exposé, comme j'ai pu, l'intention de chacun d'eux, il m'a fallu, pour répondre à la question de quelques païens, expliquer d'abord pourquoi nous ne montrons aucun écrit du Christ lui-même. Ils veulent faire croire, en effet, que l'on a de Jésus-Christ, je ne sais quel livre, bien différent de l'Evangile et conforme à leurs goûts; ils veulent faire croire que Jésus-Christ n'a pas réprouvé les dieux du paganisme, mais les a au contraire adorés comme magicien, et que ses disciples, outre le mensonge dont ils se sont rendus coupables, en faisant passer pour le Dieu créateur de toute chose, un simple mortel doué d'une sagesse supérieure, ont encore substitué leur doctrine à la sienne, en ce qui regarde les dieux des nations. Alors nous les avons surtout pressés au sujet du Dieu d'Israël qui, par l'Eglise des chrétiens se trouve maintenant adoré de tous les peuples; qui a ruiné en tous lieux le culte faux et sacrilège des divinités païennes, comme ses prophètes l'avaient prédit si longtemps d'avance, et a réalisé toutes ses prédictions par le nom de Jésus-Christ, en qui devaient être bénies toutes les nations, suivant sa promesse. D'où ils doivent conclure d'abord, que Jésus-Christ n'a pu penser ni enseigner que ce que lui-même, le Dieu d'Israël, a ordonné et prédit par ses prophètes: car c'est le Dieu d'Israël qui a fait annoncer, c'est lui qui a envoyé Jésus-Christ; et quand au nom du Christ toutes les nations ont été bénies, selon la promesse du Dieu d'Israël aux anciens, c'est alors que Celui-ci a été appelé le Dieu de toute la terre. D'où ils doivent Conclure, en second lieu, que les disciples de Jésus-Christ n'ont pas dévié de la doctrine de leur maître, quand ils ont défendu d'adorer les dieux des nations, pour nous empêcher ou de faire des voeux à des idoles privées de sens, ou d'avoir société avec les démons, ou de rendre un culte religieux à la créature de préférence au Créateur.

136


Augustin acc. évangélistes 126