Augustin, de la grâce I et II - DU PÉCHÉ ORIGINEL

39. Le mariage est donc bon dans tout ce qui constitue sa nature. Or, trois choses le constituent: la génération légitime, la foi conjugale et le symbole de l'union. Au point de vue de la génération, l'Apôtre a écrit: «Je veux que les plus jeunes veuves se marient, qu'elles aient des enfants et qu'elles soient mères de famille (1)». Au point de vue de la foi conjugale, il est écrit également: «Le corps de la femme n'est point en sa puissance, mais en celle de son mari; de même le corps du mari n'est point en sa puissance, mais en celle de sa femme (2)». Enfin, au point de vue de l'union sacramentelle, il est dit: «Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare point (3)». J'ai traité ces matières dans des ouvrages qui ne vous sont point inconnus, et je crois, avec la grâce de Dieu, en avoir parlé suffisamment (4). De là encore cette conclusion de l'Apôtre: «Le mariage est honorable en tout, le devoir
1. 1Tm 5,14 - 2. 1Co 7,4 - 3. Mt 19,6 - 4. Du Bien conjugal, n. 3 et suiv.

conjugal est sans souillure (1)». En tant donc que le mariage est bon, il tourne en bien le mal de la concupiscence, car c'est à la raison de diriger la passion, et non pas à la passion de se diriger elle-même. Or, la passion, comme le remarque l'Apôtre, se trouve dans cette loi des membres révoltés, laquelle se met en opposition avec la loi de l'esprit (2); quant à la loi du mariage, elle n'est autre chose que la raison faisant de la concupiscence un usage légitime. En effet, si du mal il ne pouvait sortir aucun bien, Dieu pourrait-il rendre fécond l'adultère? Cet adultère est en lui. même un horrible crime; cependant, même quand il est fécond, il ne saurait être imputé à Dieu, qui se sert souvent du mal commis par les hommes pour en faire sortir un bien. De même les mouvements honteux de cette concupiscence qui a inspiré aux premiers coupables de se couvrir de feuillage (3), ne sauraient être imputés au mariage lui-même qui rend le devoir conjugal non-seulement licite, mais encore utile et honnête. On ne peut donc les imputer qu'au péché de désobéis sauce; car, par un juste châtiment du ciel, l'homme en désobéissant à Dieu, a senti ses membres se révolter contre lui. C'est par suite de cette révolte devenue indépendante de sa volonté, qu'il a jugé nécessaire de voiler le foyer honteux de la concupiscence. Est-ce que l'homme aurait eu à rougir de l'oeuvre du Créateur, quand Dieu lui-même avait contemplé cette oeuvre et l'avait trouvée bonne? Par elle-même la nudité ne déplaisait donc ni à Dieu ni à l'homme; rien ne pouvait faire rougir tant qu'il n'y avait rien à punir.


40. Lors même que le péché n'aurait pas été commis, le mariage aurait existé, car ce n'était pas en vain que Dieu avait donné pour aide à Adam non pas un autre homme, mais une femme. Quant à ces paroles: «Croissez et multipliez-vous (4)», elles ne sont pas la prédiction de péchés condamnables, mais la bénédiction du mariage et de sa fécondité. Autrement s'expliquerait-on pourquoi dans sa sagesse Dieu a déposé dans l'homme un principe de reproduction? Toutefois, si la nature n'avait pas été déshonorée par le péché, l'homme, loin de subir la force aveugle de la concupiscence, lui aurait commandé en maître absolu comme il commande à son pied de marcher, à sa main d'agir et à sa

1. He 13,4 - 2. Rm 7,23 - 3. Gn 3,7 - 4. Gn 1,29

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langue de parler. Le trouble et l'agitation des sens n'auraient point précédé et suivi la perte de la virginité; tout aurait été soumis à l'empire si calme de la charité; la virginité ne se serait point perdue dans la douleur, comme la maternité ne se serait point annoncée par les gémissements. Nous avons peine à croire à cet heureux état, parce que les choses se passent tout autrement sous nos yeux. Mais je m'adresse à des chrétiens qui savent croire à la vérité des divins oracles, lors même qu'ils ne la saisiraient par aucun fait extérieur. Est-ce que je pourrais vous montrer comment un homme a pu naître exclusivement du limon de la terre, comment une de ses côtes a pu former la femme (Gn 2,7-22)? Et cependant, ce que l'oe il ne voit pas, la foi, le croit sans hésiter.


41. Non, sans doute,je ne puis vous dépeindre cet heureux état, qui eût persévéré si le péché ne fût point intervenu; cet état dans lequel le mariage aurait joui d'une tranquillité parfaite au point de vue de la concupiscence, dans lequel enfin tous les membres du corps auraient été complètement soumis à l'empire de la volonté. Mais si je ne puis le dépeindre, les Ecritures sont là pour fixer ma foi sur ce point. Aujourd'hui, s'il s'agit de relations entre époux, partout se trouvent les élans de la concupiscence; s'il' s'agit de l'enfantement, il ne s'annonce que par les gémissements et la douleur; s'il s'agit enfin de la naissance, elle est déjà couverte des ombres futures de la mort. Et cependant les Ecritures nous enseignent que si le péché n'eût pas été commis, l'enfantement eût été joyeux et la mort inconnue. Adam et Eve rougissaient-ils avant le péché? Pourquoi donc, aussitôt le péché, se couvrir de feuillage? Avant le péché leurs yeux n'étaient point fermés, mais ils n'étaient point encore ouverts à ce qui devait les faire rougir; leur corps tout entier leur paraissait le chef-d'oeuvre des mains de Dieu, et ils n'y trouvaient rien dont ils dussent rougir ou qu'ils dussent voiler. Concluons donc que si le crime ne fût pas survenu par la désobéissance, la honte eût été chose inconnue et la pudeur n'aurait eu rien à cacher.


42. On ne peut donc pas imputer au mariage ce qui aurait pu ne pas être, sans que le mariage cessât d'exister. Cette concupiscence est un mal, mais malgré ce mal, le mariage reste bon et sait môme tirer le bien du mal. Maintenant, parce que, dans la condition que nous a faite le péché, la concupiscence est inséparable du devoir conjugal, nous verrons certains hommes s'obstiner dans leur aveuglement et leur ignorance, et sous prétexte de condamner la concupiscence, condamner également le mariage comme illicite et honteux? Ils ne veulent donc pas comprendre que le propre du mariage, ce qui en fait la bonté et la gloire, c'est la postérité, la pudeur conjugale et le lien sacramentel; tandis que le côté honteux qui l'accompagne ne vient pas de lui, et n'est le triste fruit que de la concupiscence. D'un autre côté, comme cette concupiscence est nécessaire au mariage pour lui procurer le premier des biens qui lui est propre, c'est-à-dire la propagation des enfants, on doit en entourer l'exercice du secret le plus mystérieux, le soustraire à tous les regards, voire même à la présence d'autres enfants déjà nés et auxquels l'âge serait déjà une occasion de péril. De cette manière le mariage peut user de ce qui lui est permis, pourvu qu'il cache dans l'ombre ce qui le ferait rougir. Voilà ce qui nous explique pourquoi des enfants, qui ne peuvent encore pécher, naissent cependant souillés de la contagion du péché; la souillure ne leur vient pas de ce qui est permis, mais de ce qui est honteux. En effet, la nature ne prend naissance que de ce qui est permis, tandis que le vice naît de ce qui est honteux. Le principe de la nature, c'est Dieu, qui a créé l'homme et qui a établi l'union nuptiale entre l'homme et la femme; quant au vice lui-même, il est le fruit trompeur de la ruse du démon et du coupable consentement de l'homme.


43. En face d'une telle prévarication, à laquelle il était de tous points étranger, Dieu se contenta de condamner la coupable volonté de l'homme et de rendre sa postérité solidaire de cette condamnation. Dès lors tous les enfants qui devaient naître dans la suite des siècles furent légitimement condamnés dans leur souche prévaricatrice. Or, c'est la génération charnelle qui transmet cette condamnation, qui ne saurait être levée que par la régénération spirituelle. Supposons donc les parents régénérés, supposons qu'ils persévèrent dans cette grâce, qui a été pour eux le principe de la rémission de leurs péchés, la concupiscence ne saurait plus leur nuire, à (632) moins qu'ils n'en fassent un usage illégitime, soit en se livrant à des jouissances criminelles, soit même en se proposant, dans les limites du mariage, tout autre but que la génération des enfants, c'est-à-dire la satisfaction grossière de leurs instincts voluptueux. C'est donc pour éloigner tout danger de fornication de la part des époux que l'Apôtre leur défend de se refuser le devoir, si ce n'est du consentement de l'un et de l'autre, pour un temps, et afin de se livrer plus librement à l'exercice de la prière; cette défense, du reste, n'est qu'une condescendance et non pas un commandement (1). Puisque l'Apôtre parle d'indulgence ou de pardon, ne dévoile-t-il pas une faute? Or, considéré en lui-même et sans aucune comparaison avec la fornication, le devoir conjugal est bon et légitime quand il a pour but la procréation des enfants, but indiqué dans les actes matrimoniaux. Toutefois, même quand il se propose cette fin honnête, il est toujours accompagné d'un certain mouvement bestial dont la nature humaine doit rougir, et qui a pour cause ce corps de mort qui n'est pas encore renouvelé par la résurrection. Malgré cela, il n'est point péché, quand la raison reste assez puissante pour diriger la passion vers le bien, et ne passe laisser entraîner vers le mal.


44. Par cela même qu'elle existe, cette concupiscence de la chair nuirait, si elle n'avait pour contre-poids la rémission des péchés dans ceux qui l'ont reçue. Dans tout homme qui n'a fait que naître, cette concupiscence existe et nuit; dans celui qui a repris naissance, elle existe également, mais elle ne saurait nuire. Elle nuit tellement à ceux qui, après être nés, n'ont pas repris naissance dans la grâce, qu'il ne leur sert de rien d'être nés de parents régénérés. En effet, la souillure originelle est une souillure personnelle aux enfants d'Adam. Peu importe donc que les parents en aient reçu la rémission; la chair par elle-même reste soumise à la contagion du péché jusqu'à ce qu'elle soit entièrement renouvelée par la régénération dernière, c'est-à-dire par la résurrection future; car alors, non-seulement nous ne commettrons plus de péché, mais nous n'éprouverons même plus ces désirs vicieux, qui deviennent péchés quand ils sont accompagnés du consentement. Ce sera le comble de la perfection, à laquelle nous

1. 1Co 7,5-6

dispose le bain sacré de la grâce, tel que nous le recevons en cette vie. En vertu de cette régénération spirituelle tous nos péchés passés nous sont remis, et nous avons droit à cette génération de la chair pour lu vie éternelle, de laquelle notre corps sortira incorruptible et parfaitement guéri de ce foyer de concupiscence qui l'entraînait au péché. Toutefois, ce n'est encore là pour nous qu'une espérance, et non pas une réalité; nous n'en jouissons pas, encore, mais nous l'attendons par la patience.

Il suit de là que par le baptême non-seulement nous recevons la rémission de tous les péchés dont nous nous sommes rendus coupables en consentant à nos désirs vicieux et criminels; mais nous sommes encore purifiés de tous ces désirs vicieux contre lesquels nous devons lutter si nous ne voulons pas nous rendre coupables, et qui ne disparaîtront entièrement que dans la vie future.


45. Quant à la souillure originelle dont nous parlons, elle frappe les enfants des chrétiens régénérés, jusqu'à ce que ces enfants aient été purifiés eux-mêmes dans le bain de la régénération. Le chrétien régénéré ne régénère donc pas les enfants de la chair, il ne peut que leur donner naissance; dès lors il leur transmet, non pas la justice de la régénération, mais la souillure de la génération. A ce point de vue donc, qu'il s'agisse d'un infidèle coupable ou d'un fidèle justifié, les enfants issus de l'un et de l'autre naissent toujours coupables et non pas absous; c'est ainsi que du rejeton de l'olivier franc comme du rejeton de l'olivier sauvage sortira, non pas un olivier franc, mais un olivier sauvage. De là je conclus que la première naissance soumet l'homme à la condamnation, dont il ne peut être délivré que par la régénération. L'enfant naît esclave du démon, c'est Jésus-Christ qui lui rend la liberté; il naît victime du séducteur d'Eve, le Fils de Marie le dé. livre; il naît soumis à celui qui par la femme a séduit l'homme, il est racheté par Celui qui est né de la femme qui n'a pas connu d'homme; il naît enfant de celui qui a allumé la concupiscence dans le coeur de la femme, il est sauvé par celui qui a été conçu dans le sein de la femme sans aucune action de la concupiscence. Par le moyen d'un seul homme le démon a pu régner sur tous les hommes, et son empire ne saurait être détruit que par Celui qui seul ne lui a pas été soumis, (633)

Prenons ensuite les sacrements de l'Eglise tels qu'ils nous ont été présentés par la tradition la plus ancienne et la plus imposante. Nos adversaires diront bien qu'ils étaient des symboles plutôt que des réalités; cependant, même à ce titre, ils n'osent pas les couvrir de leur dédain sacrilège. Eh bien! ces sacrements de la sainte Eglise nous enseignent clairement que les enfants, immédiatement après leur naissance, sont délivrés de l'esclavage du démon par la grâce de Jésus-Christ. En effet, sans parler directement de la rémission même du péché, telle qu'elle s'opère mystérieusement et réellement par le sacrement de baptême, est-ce que ce sacrement n'est pas précédé des exorcismes et de ce souffle mystérieux destiné à chasser la puissance de l'ennemi? est-ce que dans des paroles solennelles les parrains et les marraines ne renoncent pas à Satan et à ses oeuvres? Tous ces symboles sacrés n'annoncent-ils pas que l'enfant s'arrache à l'empire du démon pour passer sous l'heureuse domination du Rédempteur, de ce Rédempteur qui a revêtu notre faiblesse et enchaîné le fort armé, afin de lui ravir ses dépouilles (1)? Saint Paul l'a dit: Ce qui paraît en Dieu une faiblesse est plus fort, non-seulement que tous les hommes, mais encore que tous les anges (2). Quand donc Dieu délivre à la fois les petits et les grands, il prouve à nos yeux que c'est la vérité même qui a parlé par la bouche de l'Apôtre. Ce ne sont donc pas seulement les adultes, mais encore les petits enfants, qu'il a arrachés à la puissance des ténèbres, afin de les transporter dans le royaume de son Fils bien-aimé (3).


46. Que personne ne s'étonne et ne dise «Pourquoi donc la bonté de Dieu crée-t-elle ce qui va tomber en la puissance de la méchanceté du démon?» Admirons plutôt la bonté avec laquelle il accorde la fécondité à toutes ses créatures, et fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les pécheurs (4). C'est par cette bonté qu'il a béni et fondé dans les créatures le pouvoir de se reproduire; et cette bénédiction accordée à une nature bonne, la faute la plus criminelle ne saurait la détruire. Cette faute a bien pu faire que par le juste châtiment de Dieu les hommes prissent naissance avec la souillure du péché originel; mais elle n'a pu empêcher les hommes de naître. Dans

1 Mt 12,29 - 2. 1Co 1,25 - 3 Col 1,13 - 4. Mt 5,45

les adultes, les péchés les plus graves ne sauraient détruire l'humanité; l'oeuvre de Dieu reste toujours bonne, quels que soient les crimes qui tendent à la déshonorer. Sans doute, en tant qu'il suit ses passions, l'homme, naturellement si noble, a pu être comparé et trouvé semblable aux animaux', mais sans devenir par cela même un animal. Ce que l'on compare en lui, ce n'est pas sa nature, mais le vice auquel il s'abandonne; et ce à quoi on le compare, ce n'est pas le vice, mais la nature même de l'animal. En effet, comparé à l'animal, l'homme reste encore en possession d'une telle grandeur que le vice en lui devient la nature même de l'animal; ce qui ne prouve aucunement que la nature de l'homme devient la nature de l'animal. Quand donc Dieu condamne l'homme, il le condamne à cause du vice qui déshonore sa nature, et non à cause de sa nature, laquelle n'est pas détruite par le vice. Loin de nous, sans doute, la pensée de croire les animaux soumis à la peine de la damnation; puisqu'ils n'ont aucun droit à la béatitude, serait-il juste de les soumettre au châtiment? Mais quelle injustice peut-il y avoir à soutenir que l'homme est soumis à l'esprit immonde, non pas à raison de sa propre nature, mais à cause de,la souillure qu'il apporte en naissant et qui est l'oeuvre, non pas de Dieu lui-même, mais de la volonté humaine? Cet esprit immonde, en tant qu'esprit, n'est-il pas bon? et s'il est mauvais, n'est-ce pas uniquement en tant qu'il est impur? En tant qu'esprit, il est l'oeuvre de Dieu; mais s'il est impur, il ne le doit qu'à sa volonté propre. Voilà pourquoi la nature plus forte, c'est-à-dire la nature angélique, s'appuyant sur la communauté du péché, tient sous sa domination la nature inférieure, c'est-à-dire la nature humaine. Voilà pourquoi aussi le Médiateur, plus fort que les anges, s'est rendu faible pour les hommes; de cette manière, l'orgueil du tyran est écrasé par l'humilité du Rédempteur; et celui qui se faisait de sa force angélique un motif pour couvrir de ses dédains les enfants des hommes, se voit honteusement vaincu par l'humaine faiblesse que le Fils de Dieu a daigné revêtir pour nous racheter.


47. Avant de terminer cet ouvrage, je crois devoir invoquer l'autorité de saint Ambroise. Parmi les écrivains ecclésiastiques de la

1. Ps 48,13

634

langue latine, ce saint évêque est celui dont Pélage célèbre avec le plus de complaisance l'intégrité de la foi. Nous avons invoqué son autorité sur la grâce; nous allons aussi l'invoquer sur le péché originel; comme la rémission de ce péché est évidemment le plus grand triomphe de la grâce, nous y trouverons la réfutation la plus facile des nombreuses calomnies de nos adversaires. Dans son livre sur la Résurrection, saint Ambroise s'exprime en ces termes: «Je suis tombé dans Adam, c'est dans Adam que j'ai été chassé du paradis, c'est dans Adam que je suis mort; pour me rappeler à la vie, c'est donc aussi dans Adam que l'on doit me trouver, car si c'est en lui que j'ai été rendu coupable et condamné à la mort, c'est en Jésus-Christ que j'ai été justifié». Le même docteur écrit aux Novatiens: «Nous naissons tous esclaves du péché, notre origine est souillée par le vice, selon ces paroles de David: J'ai été conçu dans l'iniquité, et ma mère m'a enfanté dans le péché (1). Voilà pourquoi saint Paul regarde sa chair comme étant un corps de mort: Qui me délivrera, dit-il, de ce corps de mort (2)?Or, la chair de Jésus-Christ a condamné le péché, puisqu'il est né sans péché et qu'en mourant il a crucifié le péché; c'est ainsi que la justification s'est répandue par la grâce dans notre chair, quand auparavant cette chair n'était qu'un amas de fautes et d'iniquités (3)». Dans son commentaire sur Isaïe, saint Ambroise, parlant de Jésus-Christ, formule ainsi sa pensée: «Comme homme il a été éprouvé de toute manière et il a subi toutes les douleurs dans sa ressemblance avec les hommes; mais le péché ne vint jamais souiller sa nature, parce qu'il était né de l'Esprit (4). En effet, tout homme est menteur (5), et personne n'est sans péché si ce n'est Dieu. Dès lors, ce n'est pas sans raison

1. Ps 50,7 - 2. Rm 7,21 - 3. Liv. I de la Pénitence, ch. II ou 3. - 4. He 4,15 - 5. Ps 115,2

que l'on a dit que quiconque est né du commerce de l'homme et de la femme a connu le péché dès sa naissance. Celui-ci seul est né sans péché qui est né en dehors de ce genre de conception (1)». Dans son commentaire sur l'évangile de saint Luc, saint Ambroise dit également: «Quand il s'agit de la naissance du Sauveur, éloignez toute idée purement humaine, toute profanation de la sainte virginité, c'est l'Esprit-Saint lui-même qui, dans un sein inviolable, a déposé une semence immaculée. Seul entre tous ceux qui sont nés de la femme, Jésus-Christ n'a point goûté la corruption d'une origine souillée, seul il en a repoussé la honte par la nouveauté de son enfantement immaculé et par la majesté de sa nature divine (2)».


48. A ces paroles du saint docteur, dont pourtant il fait le plus grand éloge, pourquoi donc Pélage oppose-t-il la contradiction la plus manifeste, quand il ose s'écrier: «Comme «nous naissons sans vertu, nous naissons a aussi sans vice? u Pélage n'a donc plus qu'un seul parti à prendre, ou bien condamner son erreur, ou bien se repentir d'avoir loué saint Ambroise. Mais ce dernier, en sa qualité d'évêque catholique, n'a fait que formuler la doctrine et la foi véritables; d'où je conclus qu'en sortant du droit sentier de la foi, Pélage et Célestius son disciple doivent se regarder comme directement condamnés par l'Eglise catholique, à moins qu'ils ne se repentent, non pas d'avoir loué saint Ambroise, mais de s'être mis en contradiction avec la doctrine de saint Ambroise. Je sais que vous lisez avec l'ardeur la plus vive tous les ouvrages qui peuvent tourner à l'édification ou à la confirmation de la foi; c'est dans ce but que j'ai composé celui-ci, et malgré votre ardeur sans limites, je dois enfin me borner et finir.

1. Cet ouvrage est perdu. - 2. Liv. 2,n. 56, ch.II.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


Augustin, de la grâce I et II - DU PÉCHÉ ORIGINEL