Augustin, de la foi 2021

CHAPITRE X. L'ÉGLISE. - LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR.


2021 21. Néanmoins, comme on ne nous a pas commandé seulement d'aimer Dieu, en disant: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et de toute ton âme et de tout ton esprit,» mais aussi notre prochain, puisqu'on ajoute: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même (3);» notre foi serait moins fructueuse, si elle n'embrassait aussi la société humaine pour y exercer les oeuvres de la charité fraternelle.
Nous croyons donc encore à la sainte Eglise, qui est certainement catholique; car les hérétiques et les schismatiques donnent aussi à leurs sectes le nom d'églises. Mais les hérétiques blessent la foi par leurs opinions erronées sur Dieu; et les schismatiques, tout en croyant ce que nous croyons, détruisent la charité fraternelle par leurs coupables dissensions. C'est pourquoi les hérétiques n'appartiennent point à l'Eglise catholique, parce quelle aime Dieu; ni les, schismatiques, parce qu'elle aime le prochain; aussi pardonne-t-elle facilement les fautes du prochain, parce qu'elle demande elle-même à être pardonnée par Celui qui nous a réconciliés avec lui, en effaçant tout le passé et en nous appelant à une vie nouvelle. Mais tant que nous ne serons pas arrivés à la perfection de cette vie, nous ne pouvons être sans péchés. Entre ceux-ci cependant, il y a des différences.

2022 22. Ce n'est point-le lien de traiter ici de cette différence des péchés. Mais il faut croire fermement que nos fautes ne peuvent en aucune façon

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1Co 13,12 - 2 Mt 6,8 - 3 Lc 10,27

nous être pardonnées, si nous nous montrons inexorables pour pardonner aux autres (1). Nous croyons donc encore la rémission des péchés.

2023 23. Et comme l'homme est un composé de trois choses, l'esprit, l'âme et le corps, qui du reste se réduisent à deux, parce que l'âme est souvent prise pour l'esprit, car l'esprit est la partie raisonnable de l'âme, dont les animaux sont privés; de ces trois choses, l'esprit est la première, la seconde est la vie qui résulte de l'union au corps et qui s'appelle âme, et la troisième le corps, la moins importante des trois, parce qu'elle est visible. Or toute cette créature gémit et est dans le travail de l'enfantement jusqu'à cette heure (2); cependant elle a donné les prémices de l'esprit, en croyant à Dieu et en acquérant déjà la bonne volonté. Cet esprit est aussi celui dont parle l'Apôtre quand il dit: «J'obéis par l'esprit à loi de Dieu (3);» et ailleurs: «Car le Dieu que je sers en mon esprit m'est témoin (4).» Mais quand l'âme convoite encore les biens charnels, on l'appelle chair. En effet certaine partie en elle résiste à l'esprit, non d'après la nature, mais par l'habitude du péché. Ce qui fait dire à l'Apôtre: «Par l'esprit j'obéis à la loi de Dieu, mais, par la chair, à la loi du péché.» Or cette habitude devient une nature par l'effet de la génération mortelle, résultat du péché du premier père. Voilà pourquoi il est écrit: «Et nous étions autrefois par nature enfants de colère (5),» c'est-à-dire de vengeance; ce qui nous a rendus esclaves de la loi du péché. Or la nature de l'âme est parfaite, quand elle est soumise à son esprit et qu'elle le suit dans son obéissance à Dieu. C'est pourquoi l'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'esprit de Dieu (6).» Mais l'âme ne se soumet pas aussi vite à l'esprit pour faire le, Lien, que l'esprit se soumet à Dieu pour la vraie foi et la bonne volonté; quelquefois on ne réprime qu'avec peine l'entraînement qui la porte aux choses charnelles et passagères. Cependant, comme elle se purifie en recouvrant la stabilité de sa nature sous la domination de l'esprit qui est son chef, ainsi que le Christ est le chef de l'esprit, il ne faut pas désespérer de voir le corps rendu à sa nature propre, moins promptement cependant que l'âme, et celle-ci moins encore que l'esprit, toutefois en temps opportun, au son de la dernière trompette, «quand les morts ressusciteront incorruptibles et que nous serons

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Mt 6,16 - 2 Rm 8,22 - 3 Rm 7,26 - 4 Rm 1,9 - 5 Ep 2,3 - 6 1Co 2,14

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changés.» Voilà pourquoi nous croyons la résurrection de la chair, non-seulement en ce sens que l'âme, maintenant appelée chair à cause de ses affections charnelles, sera: restaurée; mais parce que nous devons admettre sans hésitation que cette. chair visible ressuscitera, elle qui est chair par nature, et dont l'âme prend le nom à raison de ses affections charnelles, mais non à cause de sa nature; cette partie visible de nous-mêmes enfin, appelée proprement la chair. C'est elle en effet que l'apôtre Paul semble en quelque sorte indiquer du doigt, quand il dit: «Il faut que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité. m Par cette expression ce, il dirige, pour ainsi dire son doigt sur elle. Or ce qui est visible peut se montrer du doigt; car on pourrait dire que l'âme elle-même est aussi corruptible, puisque des moeurs.vicieuses la corrompent. Quand l'Apôtre ajoute: «Et que ce corps mortel revête l'immortalité (1),» il indique encore cette même chair visible et semble une fois encore la: montrer du doigt; car si On peut dire que l'âme est corruptible à cause de ses vices, on peut également l'appeler mortelle, puisque se séparer de Dieu est la mort de l'âme (2); et que c'est là son premier péché dans le paradis terrestre; au rapport des saintes Ecritures.

2024 24. Donc, selon la foi chrétienne qui ne peut tromper, le corps ressuscitera. Celui qui trouve cela incroyable ne considère que la chair telle qu'elle est aujourd'hui, et non ce qu'elle sera un jour: car lorsqu'elle sera transformée en la nature des anges, ce sera simplement un corps, et non plus de la chair et du sang. En effet l'Apôtre, en parlant de la chair, dit: «Autre est la chair des brebis, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons, autre celle des serpents; il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres;» il ne dit pas: Il y a aussi une chair céleste, mais: «des corps terrestres et des corps célestes.» Car toute chair est corps, mais tout corps n'est pas chair; d'abord, dans les choses terrestres, le bois est un corps et n'est point une chair; mais l'homme et l'animal sont corps et chair; tandis que dans le ciel, il n'y a pas de chair, mais des corps simples et transparents, que l'Apôtre appelle spirituels, et que quelques-uns, nomment

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1Co 5,52-53 - 2. Si 10,14

éthérés. L'Apôtre ne contredit donc pas le dogme de la résurrection, quand il dit. «La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu;» il exprime simplement ce que deviendra un jour ce qui est aujourd'hui chair et sang (1).
Il faut conduire pas à pas à la foi celui qui ne croit pas à cette transformation de la nature de la chair. Demandez-lui d'abord si la terre peut-être changée en eau; cela lui paraîtra possible, à cause de l'analogie de ces deux éléments. Demandez-lui ensuite si l'eau peut se changer en air; il répondra que cela n'est pas incroyable, parce que ce sont deux choses rapprochées l'une de l'autre. Demandez-lui enfin, si l'air peut se transformer en un corps éthéré, c'est-à-dire céleste; le rapport de similitude le lui fera admettre volontiers. Or ce qu'il croit possible par gradation, à savoir que la terre soit convertie en un corps éthéré, pourquoi ne reconnaîtrait-il pas que la volonté du Dieu qui a fait marcher un corps humain sur les eaux, peut en faire autant, instantanément, «en un clin-d'oeil,» comme dit l'Apôtre, sans transition, avec la rapidité merveilleuse que met ordinairement la fumée à se changer en feu? Notre chair est en effet certainement faite de terre; or les philosophes, sur l'autorité desquels on combat ordinairement le dogme de la résurrection, et qui prétendent qu'il ne peut y avoir de corps terrestres dans le ciel, les philosophes, dis-je, accordent qu'un corps peut-être changé et transformé en toute autre espèce de corps. La résurrection une fois opérée, nous serons affranchis de la condition du temps, et nous jouirons d'une vie éternelle, d'une charité ineffable et d'un état permanent et incorruptible. C'est alors que s'accomplira cette parole de l'Ecriture: «La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort, où est ton aiguillon? O mort, où est ta puissance (2)?»

2025 25. Telle est la foi que l'on propose aux néophytes chrétiens dans un symbole abrégé. Ce symbole abrégé est connu des fidèles; par lui ils croient pour se soumettre à Dieu, ils se soumettent à Dieu pour bien vivre, ils vivent bien pour purifier leur coeur, et ils purifient leur coeur pour comprendre ce qu'ils croient.

1 Rét. l. 1,ch. 17. - 2
1Co 15,39-40 1Co 15,50-54

Traduit par M. l'abbé DEVOILLE.





Livre 3


DE LA FOI ET DES OEUVRES




CHAPITRE PREMIER. DOIT-ON ADMETTRE INDISTINCTEMENT TOUT LE MONDE AU BAPTÊME ET N'ENSEIGNER LA MORALE QU'APRÈS CE SACREMENT?


3001 1. Selon l'opinion de quelques personnes, on doit admettre indifféremment au bain sacré qui nous régénère en Jésus-Christ tous les hommes, même ceux qui ne consentiraient pas à réformer leur vie souillée des crimes et des infamies les plus notoires, et qui afficheraient la résolution de persévérer dans leurs désordres. Par exemple, un homme vit dans l'adultère. Si l'on en croit ces personnes, on doit lui conférer le baptême sans l'avertir de rompre cette liaison criminelle; lors même qu'il y persévérait, . qu'il se flatterait dans son coeur ou se vanterait publiquement d'y persévérer, il n'en faudrait pas moins l'admettre au baptême, et laisser devenir membre de Jésus-Christ l'homme qui veut rester, celui d'une prostituée (1); on attendra qu'il soit baptisé pour lui apprendre l'énormité de son péché et les moyens de réformer ses moeurs. Dans leur opinion, c'est intervertir et confondre l'ordre des choses que d'enseigner à vivre en chrétien avant de baptiser; il faut d'abord conférer le sacrement, puis inculquer les règles de la morale chrétienne; si on les observe fidèlement, on agira selon son intérêt; si on ne le veut pas et qu'en gardant la foi chrétienne, sans laquelle on serait condamné à la mort éternelle, on persévère dans toute sorte de crimes et d'infamies, on se sauvera, en passant comme par le feu; on aura le sort de celui qui a élevé sur le véritable fondement, c'est-à-dire, sur la doctrine de Jésus-Christ, un édifice, non d'or, d'argent et de pierres précieuses, mais de bois, de

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1Co 6,15

foin et de paille (1), en d'autres termes des oeuvres non de justice et de pureté, mais d'injustice et d'impudicité.

3002 2. Ces personnes semblent avoir soulevé cette controverse, parce qu'elles voyaient avec peine qu'on refusait le baptême aux hommes ou aux femmes qui, après avoir divorcé, avaient contracté un nouveau mariage . Une pareille union, en effet, n'est pas un mariage, mais un adultère, comme le déclare formellement Notre-Seigneur Jésus-Christ (2). Ne pouvant donc nier l'adultère, si ouvertement reconnu par la Vérité elle-même dans ces sortes d'unions, et voulant toutefois faire admettre au baptême, par le poids de leurs suffrages, les pécheurs qu'elles voyaient assez aveuglément engagés dans les chaînes pour se résoudre, si on leur refusait le baptême, à vivre, à mourir même sans ce sacrement, plutôt que de s'affranchir des liens de l'adultère; elles ont été poussées par une compassion toute humaine à se charger de la cause de ces malheureux; et tel a été leur zèle qu'elles ont pensé qu'on devait admettre au baptême pêle-mêle avec ces pécheurs, les scélérats et les débauchés, sans leur adresser aucun avis, sans les corriger par aucune réprimande, sans les transformer par la pénitence; elles ont cru qu'ils encourraient la mort éternelle, sans le baptême, tandis que, par la grâce du baptême, ils se sauveraient à travers le feu, malgré leur obstination à vivre dans leurs dérèglements.

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1Co 2,11-16 - 2 Mt 19,9



CHAPITRE II. SALUT IMPOSSIBLE MEME APRÈS LE BAPTÊME SANS RÉFORME DES MOEURS. - SOUFFRIR LES PÊCHEURS DANS L'ÉGLISE SANS PRÉJUDICE DE LA DISCIPLINE.


3003 3. Je réponds à ces personnes et je leur (554) déclare d'abord qu'on ne doit pas interpréter les passages où l'Écriture signale dans le présent ou prédit pour l'avenir un mélange des bons et des mauvais dans l'Église, de manière à relâcher ou même à détruire la discipline dans sa rigueur et dans sa pureté on ne serait plus alors éclairé par les saintes Lettres, mais abusé par son sens propre. Moïse, le serviteur de Dieu, a sans doute toléré avec une patience infinie ce mélange dans le peuple primitif: tuais il n'en a pas moins condamné au glaive un grand nombre de coupables. Le prêtre Phinéès surprit des adultères et les perça immédiatement du fer vengeur (1). La dégradation, l'excommunication sont le symbole de ces châtiments, dans la discipline actuelle de l'Église, qui a fait rentrer dans le fourreau le glaive visible. Le saint Apôtre se résigne sans doute à gémir au milieu des faux frères (2), il permet à quelques prédicateurs, malgré la jalousie diabolique dont l'aiguillon les harcèle, d'annoncer Jésus-Christ (3); mais il ne garde aucun ménagement pour le chrétien qui s'est marié avec la femme de son père: il ordonne qu'on rassemble l'Église et qu'on le livre à Satan, pour la mort de la chair et afin que son âme soit sauvée au jour du jugement de Notre-Seigneur Jésus-Christ (4) lui-même en livré plusieurs à Satan, afin qu'ils apprennent à ne plus blasphémer (5). Autrement les paroles suivantes n'auraient plus aucun sens: «Je vous ai écrit dans une première lettre de rompre tout commerce avec les fornicateurs; je ne voulais pas parler des fornicateurs de ce monde, ni des avares, ni des voleurs, ni des idolâtres; autrement vous seriez obligés à sortir du monde. J'ai voulu vous dire que, si celui qui compte parmi les frères, est fornicateur, ou idolâtre, ou avare, ou médisant, ou ivrogne, ou voleur, vous ne deviez pas même manger avec lui. A quel titre en effet jugerais-je les infidèles? N'est-ce pas sur les fidèles que s'étend votre droit de juger? Dieu jugera ceux qui sont hors de l'Église: quant à vous, chassez ce fléau du milieu de vous (6).» Par ces mots, du milieu de vous, quelques-uns entendent l'obligation où nous sommes fous d'arracher de nous-mêmes le péché, en d'autres termes, de devenir bons. Mais soit qu'on entende qu'il faille livrer les méchants à la sévérité de l'Église et leur infliger la peine de l'excommunication, soit qu'on voie dans ce passage le devoir pour tout fidèle d'extirper le péché de son coeur par la pénitence et le changement de vie, il n'y a pas d'équivoque dans les paroles où l'Apôtre prescrit de n'avoir aucun commerce avec des frères souillés des vice qu'il vient d'énumérer, en d'autres termes, avec les gens décriés et perdus. de réputation.

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Nb 25,5-8 - 2 2Co 10,26 - 3 Ph 1,16-18 - 4 Nb 25,5-8 - 5 Tt 1,20 - 6 1Co 5,9-15




CHAPITRE 3. DANS QUEL ESPRIT FAUT-IL REPRENDRE LES PÉCHEURS? PRÉCEPTES DU SEIGNEUR SUR LA MANIÈRE DE CORRIGER LES MÉCHANTS.

Quant à l'esprit de charité qui doit tempérer cette sévérité miséricordieuse, il ne se montre pas seulement dans le passage où l'Apôtre dit: «Afin que son âme soit sauvée au jour du jugement du Seigneur;» il apparaît manifestement dans cet autre passage: «Si quelqu'un n'obéit pas à ce que nous prescrivons dans notre lettre, notez-le et n'ayez aucun commerce avec lui, afin qu'il rougisse; toutefois ne le regardez pas comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère (1).»
4. Le Seigneur lui-même nous offre un modèle incomparable de patience: il a souffert jusqu'à la passion un diable parmi les douze Apôtres; il a dit: «Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson, de peur qu'en voulant arracher l'ivraie vous ne déraciniez en même temps le bon grain (2);» il a prédit que ces filets, symbole de l'Eglise, qui s'étendent jusqu'au rivage, c'est-à-dire, jusqu'à la fin du monde, renfermeraient à la fois les bons et les mauvais poissons; enfin, dans une foule de passages, il a parlé expressément ou en parabole du mélange des bons et des mauvais. Toutefois a-t-il jamais ordonné de ne pas maintenir la discipline de l'Eglise? Loin de là, il nous avertit d'ensuivre les règles lorsqu'il dit: «Prends garde; si ton frère a péché contre toi, va, et reprends-le seul entre toi et lui. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. Mais s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que tout soit avéré par l'autorité de deux ou trois témoins. S'il ne les écoute pas, dis-le à l'Eglise. S'il n'écoute pas l'Eglise, qu'il soit à tes yeux comme un païen et un publicain (3).» Il ajoute ce passage où il donne à la sévérité cette sanction redoutable: «Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel; tout ce que vous «lierez sur la terre sera lié dans le ciel.» Il

1. 2Th 3,14-16 - 2 Mt 13,30-39 - 3

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nous défend encore de donner les choses saintes aux chiens (1). Quand l'Apôtre dit: «Reprends les pécheurs publics en présence de tout le monde, afin d'intimider les autres (2);» il ne contredit.pas la parole du Seigneur: «Reprends-le entre toi et lui.» C'est là en effet un double précepte qu'il faut appliquer en consultant les maladies différentes des pécheurs dont nous voulons la guérison et le salut, non la perte: le remède varie selon les personnes. La règle est donc différente, selon qu'il faut tolérer les mauvais avec indulgence, on les reprendre et les corriger, les repousser et les retrancher de la communion des fidèles.



CHAPITRE IV. ERREURS DE L'EXAGÉRATION ET DE SON CONTRAIRE DANS L'INTERPRÉTATION DES ÉCRITURES.


3005 5. Tomber dans l'erreur, c'est ne pas garder un juste milieu; quand on ne voit qu'un côté de la vérité et qu'on se laisse aller à cette pente dangereuse, on ne songe plus aux autres témoignages de l'autorité divine, capables d'arrêter cette précipitation et de ramener à ce centre de vérité qui se trouve dans, l'accord de tous les témoignages entre eux: c'est une source d'erreurs, non-seulement dans la question qui nous occupe, mais dans une foule d'autres. Par exemple, quelques-uns, ne considérant que les témoignages des Ecritures qui donnent à entendre qu'on doit adorer un Dieu unique, ont confondu le Père et le Saint-Esprit avec le Fils; d'autres, atteints pour ainsi dire d'une maladie toute contraire, n'ont fait attention qu'aux passages qui révèlent la Trinité, et, ne pouvant comprendre que l'unité en Dieu se conciliât avec la distinction des personnes, ils se sont crus fondés à reconnaître plusieurs substances en Dieu. Autre erreur. Quelques-uns ayant la: «Il vaudrait mieux, mes frères, s'abstenir de viande et ne pas boire du vin (3),» et autres passages analogues ont déclaré impurs, dans la création divine, tous les aliments qu'il leur a plu. D'autres venant à lire: «Tout ce que Dieu a créé est bon, et on ne doit rejeter comme mauvais rien de ce qu'on petit prendre avec actions de grâces (4),» ont abouti à un système de sensualité et de débauche, incapables d'éviter un défaut sans tomber dans un autre semblable ou même plus grave.

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Mt 7,6 - 2 1Tm 5,20 - 3 1S 14,21 - 4 1Tm 4,4

3006 6. De là l'origine du débat qui nous occupe. Quelques-uns, ne considérant que les préceptes rigoureux qui nous commandent de réprimer les perturbateurs, de ne pas donner aux chiens les choses saintes, de tenir pour un païen le contempteur de l'Eglise, de retrancher du corps des fidèles le membre qui scandalise, troublent la paix de l'Eglise, et vont si loin, qu'ils s'efforcent d'arracher l'ivraie avant la moisson, aveuglés par leur préjugé, ils ne sentent pas qu'ils se séparent eux-mêmes dé l'unité de Jésus-Christ. Voila ce que nous soutenons contre les Donatistes; non pas contre ceux qui savent que Cécilien a été en butte à des accusations aussi fausses que calomnieuses, et qu'un sentiment fatal de respect humain empêche seul de renoncer à leur opinion pernicieuse; mais contre ceux à qui j'adresse ce langage: Lors même que ceux qui ont donné prétexte à votre schisme, eussent été mauvais, vous ne deviez pas moins rester fidèles à l'Eglise en supportant les pécheurs que vous étiez dans l'impuissance de corriger ou d'excommunier. D'autres entra!nés dans une erreur tout opposée, ne sont plus frappés que des passages où le mélange des bons et des mauvais dans l'Eglise est signalé et prédit: ils n'ont appris que les préceptes qui nous recommandent la patience, sans penser que ces préceptes sont destinés à nous donner la foi ce de garder la foi et la charité, malgré l'ivraie que nous voyons dans l'Eglise, et à nous empêcher de la quitter, sous prétexte que nous y remarquons de l'ivraie. Ainsi égarés, ils s'imaginent que l'on doit abolir la discipline de l'Eglise; ils veulent inspirer à ceux qui la gouvernent une fausse sécurité et réduisent leur fonction à prêcher ce qu'il faut l'aire ou ce qu'il faut éviter, en laissant tranquillement chacun suivre ses instincts.



CHAPITRE V. NE PAS SE SÉPARER DE L'ÉGLISE À CAUSE DES MAUVAIS, ET MAINTENIR CONTRE EUX Là VIGUEUR DE LA DISCIPLINE.


3007 7. Selon nous, la véritable doctrine consiste à régler notre conduite et nos pensées sur le témoignage de l'Ecriture, en les tempérant les uns par les autres; il faut tolérer les chiens dans l'Eglise, pour assurer la paix de l'Eglise même, et refuser les choses saintes aux chiens, quand le repos de l'Eglise n'en est pas troublé. Arrive-t-il par la négligence des supérieurs, par la

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force naturelle des choses ou par surprise, qu'il se rencontre dans l'Église des pécheurs auxquels nous ne pouvons appliquer les censures ou les peines de la loi ecclésiastique? Gardons-nous d'ouvrir notre coeur à la pensée impie autant que dangereuse de nous séparer d'eux pour éviter la contagion de leurs péchés, de vouloir entraîner après nous des disciples, comme s'ils étaient des modèles d'innocence et dé sainteté, et de les arracher à l'unité, sous prétexte de les dérober à l'influence des vices. Rappelons-nous les paraboles de l'Ecriture, les divins oracles on du moins les exemples infaillibles qui nous montrent et nous prédisent que les mauvais seront mêlés avec les bons dans l'Eglise jusqu'à la fin du monde et jusqu'au jugement dernier, sans que leur participation aux sacrements nuise jamais aux justes qui n'auront pas trempé dans leurs péchés. Les chefs de l'Église, au contraire, ont-ils le pouvoir d'exercer leur autorité contre les méchants et les criminels, sans troubler la paix? Alors, si nous ne voulons pas nous endormir dans l'apathie et la mollesse, nous devons nous réveiller sous l'aiguillon des préceptes relatifs à la sévérité; c'est ainsi que nous dirigerons nos pas dans la Voie du Seigneur en suivant la route que nous tracent les différents passages de l'Ecriture, sans cacher notre tiédeur sous le voile de la tolérance ni déguiser notre rigueur sous les apparences du zèle.



CHAPITRE VI. FAUT-IL ADMETTRE AU BAPTÊME UN ADULTÈRE ET UN PÉCHEUR AVANT DE L'AVOIR CONVERTI? L'ENSEIGNEMENT DE LA MORALE NE DOIT-IL PAS PRÉCÉDER LE BAPTÊME?


3008 8. Examinons donc, en observant le juste tempérament que recoin mande la saine doctrine, la question de savoir s'il faut admettre au baptême, sans prendre la moindre précaution pour ne pas donner aux chiens les choses saintes, et s'il faut pousser la tolérance au point de juger dignes de recevoir un sacrement aussi auguste ceux qui vivent ouvertement dans l'adultère et affichent la résolution d'y persévérer. Il est hors de douce qu'on ne les admettrait pas, si, dans, les jours qu'ils doivent recevoir cette grâce et que, s'étant fait inscrire, ils se purifient dans l'abstinence, le jeûne et les exorcismes, on les voyait continuer de partager la couche même d'une épouse légitime et qu'ils refusassent d'observer, en cet instant solennel, la continence à laquelle ils ne sont pas soumis je reste du temps. A quel titre donc pourrait-on admettre à ce sacrement l'adultère qui refuse de se corriger, quand on écarte l'époux qui ne consent pas à un célibat temporaire?

3009 9. Qu'on le baptise d'abord, répliquent-ils, et qu'on lui enseigne ensuite les règles de la morale. Sans doute, quand une personne tombe tout-à-coup en danger de mort, on lui fait faire un acte de foi à certaines formules qui renferment tous les dogmes en abrégé, et on lui confère le baptême, afin que, si elle vient à mourir, elle ne soit plus sous le coup de l'accusation qu'entraînaient ses fautes passées. Mais si on demande ce sacrement en pleine santé et en ayant le temps de s'instruire, peut-il y avoir, pour apprendre à devenir et à rester chrétien, un moment plus favorable que celui où l'on sollicite avec l'attention et dans l'attente provoquée par la religion elle-même, le sacrement destiné à fortifier la foi? Aurions-nous donc perdu la mémoire au point de ne plus nous rappeler l'attention et l'émotion qu'excitait en nous l'enseignement des catéchistes, lorsque nous demandions le baptême et que nous avions le titre de postulants? Ne voyons-nous pas aussi, chaque année,dans quel esprit ceux qui viennent se régénérer dans l'eau sainte, se sou mettent aux instructions, aux exorcismes, aux examens de conscience? Quel recueillement, quelle ferveur de zèle, quelle inquiétude mêlée d'espérance! Si ce n'est pas le moment d'apprendre le secret de mettre sa conduite en harmonie avec la grandeur du sacrement qu'on désire recevoir, quand se présentera-t-il? Sera-ce quand on l'aura reçu, et, qu'obstiné dans les fautes les plus graves même après le baptême, on sera moins un homme nouveau qu'un vieux coupable? Certes il y aurait une étrange contradiction à commencer par dire: «Revêtez l'homme nouveau»; pour ajouter ensuite: «Dépouillez le vieil homme;» quand l'Apôtre, suivant l'ordre naturel des choses, dit: «Dépouillez le vieil homme et revêtez l'homme nouveau (1),» et que le Seigneur lui-même s'écrie: Personne ne coud une pièce neuve à un vieux vêtement; personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres (2).» A quoi sert tout ce temps où l'on a le titre et le rang de catéchumène, sinon à apprendre en quoi consiste la foi et la conduite d'un chrétien, afin que, s'étant

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Col 3,9-10 - 2 Mt 9,16-17

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éprouvé soi-même, on se présente pour manger à la table du Seigneur et pour boire à sa coupe? «Car celui qui mange et qui boit indignement, mange et boit son propre jugement (1).» Si l'on suit ces maximes tout le temps fixé sagement dans l'Eglise pour tenir au rang de catéchumènes ceux qui veulent prendre le nom du Christ, on redouble encore de vigilance et de zèle dans ces jours où l'on porte le titre de postulants, après s'être fait inscrire pour être baptisés



CHAPITRE VII. UNE FEMME QUI, SANS LE SAVOIR, À ÉPOUSÉ UN HOMME DÉJA MARIÉ, DOIT-ELLE ÊTRE TÉNUE POUR ADULTÈRE?


3010 10. Mais, objectent-ils, si une femme épouse à son insu un homme marié? - Eh bien! ou elle ignorera toujours cette bigamie, et dès lors elle ne sera jamais adultère; ou elle en sera instruite, et elle deviendra adultère, dès l'instant quelle entretiendra sciemment un commerce illégitime. C'est ainsi que, d'après le code rural, on est réputé à juste titre possesseur de bonne foi tait qu'on est à son insu le détenteur du bien d'autrui; mais du moment qu'on retient sciemment la propriété d'autrui, on est réputé possesseur de mauvaise foi et on mérite la qualification d'injuste. Loin de nous, je ne dis pas la compassion toute humaine, mais l'illusion qui nous ferait déplorer la censure des infamies comme une atteinte portée au mariage; surtout quand nous sommes dans la cité de Dieu, sur sa montagne sainte (2), en d'autres termes, dans cette Eglise, où le mariage n'est pas seulement une union, mais encore un sacrement si auguste qu'un mari n'a pas le droit de céder sa femme à un autre, comme autrefois Caton, dans la cité romaine, en donna un exemple qui provoqua, non le scandale, mais les applaudissements publics, au dire des historiens (3). Il serait inutile de continuer cette discussion, puisque nos adversaires n'osent soutenir qu'il n'y a pas de péché en cette matière, encore moins nier qu'il y ait adultère, afin de ne pas se mettre en flagrante contradiction avec le Seigneur lui-même et le saint Evangile. En avançant qu'il faut admettre ces pécheurs au baptême et à la table, du Sauveur, malgré leur résolution hautement avouée de repousser toute censure, que dis-je?

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1Co 11,28-29 - 2 Ps 47,2-3 - 3 Plutarque, Biogr. de Caton d'Utique.

qu'il faut éviter de leur adresser aucun reproche à ce sujet et ajourner leur instruction, afin de les considérer comme de bon grain, s'ils se soumettent à l'observation des règles en se corrigeant de leurs fautes, et de les tolérer au même titre que l'ivraie, s'ils sont rebelles; en avançant, dis-je, cette opinion, on montre assez qu'on n'est pas disposé à défendre de pareils égarements ou à les taxer de légèretés et de peccadilles. Et quel est le chrétien, animé d'une sincère espérance, qui consentirait à ne pas flétrir l'adultère ou à, l'atténuer?

3011 11. On croit cependant avoir déduit des saintes Ecritures la règle qui apprend soit à corriger soit à tolérer ces fautes dans le prochain, quand on a cité l'exemple des Apôtres; on produit quelques passages de leurs lettres où l'on remarque en effet qu'ils ont initié aux mystères de la foi avant d'enseigner les règles de la morale. On veut en conclure qu'il faut se borner à transmettre aux catéchumènes le principe de la foi et ne donner qu'après le baptême les instructions capables dé réformer les moeurs. Eh quoi! ont-ils lu quelques lettres des Apôtres adressées, les unes à ceux qui se disposaient à recevoir le baptême, exclusivement consacrées à la question de foi; les autres, à ceux qui étaient baptisés, sans autre objet que des préceptes pour éviter les péchés et pour régler les moeurs? Or, s'il est avéré que leurs lettres sont adressées à des chrétiens déjà baptisés, pourquoi contiennent-elles tout ensemble une exposition du dogme et de la morale? Irait-on jusqu'à dire qu'il faut scinder cet enseignement avant le baptême et le communiquer ensuite dans son ensemble? Si cette conséquence est absurde, il faut bien reconnaître que les Apôtres, dans leurs lettres, ont imprimé ce double caractère à leur enseignement: si d'ordinaire ils ont initié à la foi, avant d'exposer les règles de la morale, c'est que la foi précède nécessairement dans l'homme la vie honnête. Car toute bonne action accomplie par l'homme ne mérite au fond cette qualification qu'autant qu'elle s'attache à la piété qui a Dieu pour objet. Si, quelques personnes poussaient la simplicité et l'ignorance jusqu'à croire que.les Apôtres ont adressé ces lettres aux catéchumènes, elle seraient forcées de reconnaître qu'il faut simultanément exposer à, ceux qui se préparent au baptême le dogme et les règles morales qui en découlent: autrement leur argumentation aurait pour, conséquence rigoureuse (558) de nous condamner à lire aux catéchumènes le commencement des lettres où les Apôtres exposent le dogme, aux fidèles, la fin, où ils retracent les devoirs de la vie chrétienne. Rien ne serait plus déraisonnable qu'une telle prétention.
Ainsi on ne peut tirer des lettres des Apôtres aucune preuve à l'appui de l'opinion selon laquelle le baptême devrait être conféré sans autre titre que la foi, et les instructions morales, remises après le baptême, sous prétexte qu'au début de leurs lettres les Apôtres ont insisté sur le dogme et ont fini naturellement par exhorter les fidèles à bien vivre. Car, bien que ce double enseignement soit, l'un au début, l'autre à la fin, il faut souvent le transmettre dans son ensemble aux catéchumènes comme aux fidèles, à ceux qui se disposent an baptême comme à ceux qui l'ont reçu, pour les instruire on pour ranimer leur souvenir, pour leur apprendre à confesser la foi ou les y confirmer: ainsi l'exige la saine et exacte doctrine. Qu'on ajoute donc à la lettre de Pierre, à celle de Jean dont on cite quelques témoignages, les lettres de Paul et des autres Apôtres: il n'y faudra voir que leur méthode d'exposer le dogme et d'y subordonner la morale; méthode que j'ai fort clairement exposée si je ne me trompe.




Augustin, de la foi 2021