Augustin, réfut. Gaudentius.

13. Vous l'attestez vous-même et votre témoignage sur ce point est parfaitement conforme à la vérité: le culte auquel Dulcitius appartient est la religion véritable; c'est donc aussi à la religion véritable que vous pousse le précepte de l'empereur, quand il vous oblige de vous mettre en communion avec nous. Il suit de là également que c'est au nom de la religion véritable que tout empereur chrétien se croit chargé de punir les crimes extérieurs qui portent atteinte au culte divin; vous, au contraire, vous soutenez qu'il ne doit s'occuper que de la république terrestre. Voilà pourquoi, oubliant ce que vous avez lu dans l'Ecriture, vous avez dit que le roi de Ninive n'avait aucunement commandé à son peuple de faire pénitence. Voici, sur ce point, ce que vous m'écrivez textuellement: «Pourquoi tromper ainsi les faibles? Dieu fait en«tendre ses ordres à Jonas, le Seigneur envoie son prophète vers le peuple de Ninive; mais rien de tel n'est commandé au roi». Rappelez-vous donc le texte même de l'Ecriture et ne vous irritez que contre vous-même, qui ne passez sous silence le texte sacré que pour mieux tromper les faibles et les malheureux. «Jonas se leva et se rendit à Ninive, selon le commandement du Seigneur. Or, Ninive était une grande ville, de trois journées de chemin. Jonas y entra donc, la parcourut pendant un jour, prêcha et dit: Encore trois jours, et Ninive sera détruite. Et les Ninivites crurent à la parole du Seigneur, ils proclamèrent un jeûne, et tous, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, se revêtirent de sacs. Quand la parole du Prophète fut parvenue jusqu'aux oreilles du roi, il se leva de son trône, déchira ses vêtements, se revêtit d'un sac et s'assit sur la cendre. Or, le roi et les puissants de sa cour lancèrent un décret qui défendait aux hommes et aux animaux, aux moutons et aux boeufs, de prendre aucune nourriture, de boire même de l'eau. Les hommes se revêtirent de sacs, et les cris des animaux s'élevèrent au Seigneur; et tous les habitants quittèrent la voie d'iniquité, (681) dans laquelle ils marchaient jusqu'alors (1)». Doutez-vous encore qu'un roi se soit occupé de ce qui ne vous paraît pas être de la compétence des rois? Evidemment il voulut donner un élan nouveau à ces manifestations de pénitence jusque-là trop faibles. Si donc les Ninivites n'eurent à craindre ni les spoliations, ni la proscription, ni des soldats pour les soumettre au joug de la pénitence, c'est qu'ils s'y soumirent avec une parfaite obéissance; et si nous n'avons pas à vous montrer un peuple frappé de ces châtiments, c'est que vous ne pouvez nous montrer aucune désobéissance aux ordres de ce roi. Quand donc les rois animés d'une crainte religieuse commandent selon Dieu, celui qui leur obéit, après avoir cédé tout d'abord au sentiment de la crainte, agit peu à peu par amour et obtient de Dieu la paix; non pas la paix comme le siècle la donne, car la paix que donne le siècle n'a pour but qu'une simple utilité temporelle, tandis que la paix de Dieu produit le salut éternel. Concluons puisque le culte pratiqué par Dulcitius forme la religion véritable, comme vous l'avez déclaré vous-même, il suit de là que le Donatisme n'est qu'une réelle superstition à laquelle la religion du tribun veut vous arracher; c'est cette superstition qui vous inspire la pensée de vous faire mourir, tandis que cette pensée même est regardée comme un crime par la, religion de Dulcitius; c'est cette superstition qui soulève en vous le besoin de reprocher à l'empereur une sollicitude, dont la religion du tribun a accepté la parfaite réalisation pour votre salut éternel.


14. Puisque c'est votre parole même qui a clos ce débat, au nom du Dieu de la religion, du Dieu de la vérité, je demande la cessation de vos erreurs. Mon frère, la véritable Eglise de Jésus-Christ, c'est celle qui en ce moment même se répand dans toute la terre, renfermant dans son sein des pécheurs et des justes, dont la séparation n'aura lieu qu'au jugement dernier. Je ne crois donc pouvoir mieux terminer qu'en vous adressant les paroles de ce témoin du nom catholique dont vous avez voulu invoquer pour vous-même le puissant témoignage: «C'est là cette Eglise qui, tout étincelante de lumière, projette ses rayons sur l'univers entier; c'est elle qui, douée d'une fécondité infinie, étend


1. Jon 3,3-8.

ses rameaux sur toute la face de la terre (1). «Si donc il semble y avoir en elle de la zizanie, rien ne doit empêcher ni notre foi, ni notre charité; et surtout, parce que nous voyons de la zizanie dans l'Eglise, gardons-nous bien de nous séparer de l'Eglise. Travaillons de toutes nos forces à devenir nous-mêmes le froment, afin que, quand le froment sera renfermé dans les greniers du Seigneur, nous jouissions du fruit de nos travaux. L'Apôtre dit dans son Epître: Dans une grande maison, s'il y a des vases d'or et d'argent, il y en a aussi de bois et de terre; s'il y a des vases d'honneur, il y a aussi des vases d'ignominie (2). Efforçons-nous donc de devenir des vases d'or et d'argent. Du reste, le droit de briser les vases de terre n'appartient qu'au Seigneur, qui porte dans sa main la verge de fer (3). Le serviteur ne peut pas être plus grand que son maître; que personne ne s'attribue à soi-même la vengeance que le Père n'a accordée qu'à son Fils unique; que personne donc n'aspire à purifier l'aire et à rejeter la paille ni à séparer la zizanie du froment. S'attribuer cette mission que peut seule expliquer une fureur dépravée, ne saurait être que l'effet d'une obstination orgueilleuse et d'une présomption sacrilège. Ceux donc qui s'attribuent un rôle que condamnent la douceur et la justice, cessent par le fait même d'appartenir à l'Eglise; plus ils s'élèvent avec insolence, aveuglés qu'ils sont par leur orgueil, plus la vérité leur refuse sa lumière (4)». Ces paroles ne sont pas de moi, mais du bienheureux Cyprien, qui est, pour le nom catholique, un des témoins les plus illustres, et dont cependant vous invoquez le témoignage au commencement de vos écrits, et que vous citez très-souvent dans vos ouvrages; je vais plus loin, et je dis que ces paroles sont les paroles mêmes de Dieu, formulées dans toute leur vérité et leur divinité par l'organe de saint Cyprien. Méditez-les donc, et avec le secours de l'infinie miséricorde du Sauveur, faites en sorte que nous pratiquions ensemble la charité catholique, que nous aimions ensemble la paix catholique, que nous croissions ensemble avec le froment, que nous


1. Cyprien, de l'unité de l'Eglise. - 2. 2Tm 2,20 - 3. Ps 2,9 - 4. Epître à Maximus.

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tolérions ensemble la zizanie jusqu'à la fin, que nous vivions ensemble éternellement dans les greniers du Père de famille. Ne voyez-vous pas qu'en dehors de toute justification de Cécilianus et de tous ceux que vous accusez, l'Eglise catholique se soutient par sa propre force? Sans doute, la cause de Cécilianus a été pleinement résolue dans notre conférence; et quant aux autres que vous chargez de calomnies, leur accusation a été reconnue douteuse et leur condamnation injuste. Mais n'est-ce pas folie de prétendre confondre la cause de l'Eglise fondée sur l'autorité des promesses divines, avec celle de tels ou tels hommes? Fût-il évident que ces hommes sont coupables, il ne s'ensuivrait nullement que nous pouvons nous séparer des sacrements de l'Eglise, que nous devons laisser s'ébranler notre foi ou notre charité. Nous verrions alors la zizanie croître dans l'Eglise, mais sans que nous soyons autorisés à nous séparer de son sein. Si vous prenez la résolution de me répondre, ne sortez pas du sujet et ne vous livrez pas à des divagations inutiles. Pesez ce qui a été dit et répondez-y par une discussion sérieuse et non par des subterfuges mensongers. Quant à votre réponse d'une prolixité fatigante, si Dieu m'en fait la grâce et si je le juge nécessaire, je montrerai, dans un autre ouvrage, qu'elle a été pour votre cause d'une complète inutilité.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.





Augustin, réfut. Gaudentius.