Augustin, De la Genèse 29

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VINGT-NEUVIÈME TRAITÉ

Jn 7,14-18

L'HOMME-DIEU.

DEPUIS CET ENDROIT DE L'ÉVANGILE: "ET COMME LA FÊTE ÉTAIT DÉJÀ À DEMI PASSÉE", JUSQU'À CET AUTRE: "CELUI QUI L'A ENVOYÉ, CELUI-LÀ EST VÉRIDIQUE, ET IL N'Y A POINT D'INJUSTICE EN LUI".


En entendant le Christ, les Juifs, qui ne voyaient en lui qu'un homme, ne pouvaient s'expliquer comment il savait si bien l'Ecriture sans avoir rien appris. S'ils avaient eu la foi, ils auraient compris qu'il était Dieu et Verbe du Père, que, par conséquent, il en était l'organe, et que de là venait sa science étonnante; mais ils ne croyaient pas en lui, ni la foi ni la charité ne les animait; aussi ses humiliations, au lieu de leur faire reconnaître son infinie grandeur, ne leur laissaient-elles apercevoir que son humanité.

1. On a lu aujourd'hui, et, par conséquent, nous devons aussi étudier la suite de l'Evangile; nous l'expliquerons selon que Dieu nous en fera la grâce. Hier, on vous a donné lecture du texte sacré, jusqu'à l'endroit où l'Evangéliste mentionne les discours que les Juifs tenaient au sujet de Jésus, quoiqu'ils eussent passé une partie de la fête sans le voir paraître dans le temple: "Les uns disaient: Il est bon; les autres répondaient: Non, mais il séduit la foule (1)". Ces discours étaient destinés à consoler les futurs prédicateurs de la parole divine, car ils devaient être considérés en même temps, et comme des séducteurs, et comme des hommes sincères (2). Si séduire, c'est tromper, ni le Christ ailes Apôtres n'ont été des séducteurs; aucun chrétien ne doit mériter ce nom. Mais si vous entendez par séduire, se servir de la persuasion pour conduire quelqu'un d'un endroit à un autre, il faut voir ce que l'on fait quitter à cet homme, et ce à quoi on le mène. Le porter du mal au bien, c'est être un bon séducteur; l'entraîner du bien au mal, c'est le fait d'un séducteur mauvais. Puisse-t-on nous appeler tous, puissions-nous être réellement des séducteurs, en ce sens que nous décidions les hommes à quitter le mal pour revenir au bien!

2. Le Sauveur "monta" donc ensuite à la fête, "lorsqu'elle était déjà à demi passée, et il enseignait. Et les Juifs s'étonnèrent, disant: Comment celui-ci sait-il lire, puisqu'il n'a point appris?" Celui qui se cachait,

1. Jn 7,12. - 2Co 6,8.

enseignait: il parlait en public, et personne ne mettait la main sur lui. Il ne se faisait pas connaître, afin de nous servir d'exemple; et si personne ne s'emparait de lui, c'était l'effet de sa puissance. Quand il enseignait, "les Juifs s'étonnaient". A mon avis, tous s'étonnaient; mais tous ne se convertissaient pas. D'où venait leur étonnement? Le voici. Beaucoup savaient où il était né, comment il avait été élevé; jamais ils ne l'avaient vu apprendre les Ecritures; pourtant, ils l'entendaient disserter sur la loi, citer à l'appui des passages de la loi, que personne ne pouvait citer sans les avoir lus, et que personne ne pouvait lire sans avoir appris la lecture. Ils s'étonnaient donc. Leur étonnement fut, pour le divin Maître, l'occasion de leur insinuer des vérités plus hautes. Le Sauveur prit occasion de leur étonnement et de leurs paroles, pour leur adresser des paroles profondes et dignes d'être étudiées et discutées avec le soin le plus minutieux. C'est pourquoi je demande instamment à votre charité deux faveurs: l'une pour vous, c'est de nous écouter; l'autre pour nous, c'est de nous aider de vos prières.

3. Que répond le Sauveur à ces hommes qui se demandaient avec étonnement comment il pouvait savoir lire sans avoir appris à le faire? "Ma doctrine", leur dit-il, "ne vient pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé". Voici le premier mystère que je rencontre dans ces paroles, c'est que dans ce peu de mots sortis de la bouche de Jésus, il semble se trouver une contradiction; car il ne dit pas:546

Cette doctrine n'est pas la mienne; mais il dit: "Ma doctrine ne vient pas de moi". Si cette doctrine ne vient pas de vous, comment est-elle la vôtre? Et si elle est la vôtre, comment se fait-il qu'elle ne vienne pas de vous? Vous dites pourtant l'un et l'autre: "C'est ma doctrine, elle ne vient pas de moi". Si Jésus avait dit: Celte doctrine n'est pas la mienne, il n'y aurait aucune difficulté. Mais, mes frères, examinez d'abord la difficulté, puis attendez-en la solution raisonnée; car celui qui ne comprend pas bien l'état de la question, est-il à même d'en bien saisir la solution? Voici donc l'état de la question. Le Sauveur dit: "Ma doctrine ne vient pas de moi"; ces mots: "Ma doctrine", semblent être en contradiction avec ces autres: "Ne vient pas de moi". Rappelons-nous bien ce que l'écrivain sacré dit au commencement de son Evangile: "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (1)". De là sort la solution de la difficulté. Quelle est la doctrine du Père, sinon son Verbe? Le Christ est donc la doctrine du Père, s'il en est le Verbe; mais parce que le Verbe est la propriété de quelqu'un, parce qu'il est impossible qu'il n'appartienne à personne, il s'est appelé lui-même sa doctrine, et il a dit qu'elle ne vient pas de lui; car il est le Verbe du Père. Y a-t-il, en effet, quelque chose qui t'appartienne plus que toi-même? Y a-t-il rien qui t'appartienne moins que toi-même, situ tiens d'un autre ce que tu es?

4. Le Verbe est donc Dieu; il est aussi le Verbe, l'expression d'une doctrine stable, qui ne passe point et ne s'évanouit nullement avec des mots, mais qui demeure avec le Père. Puissent des paroles qui passent nous instruire de cette doctrine! Puissions-nous en subir la bienfaisante influence! Ces sons passagers ne frappent point nos oreilles pour nous appeler à des choses transitoires; elles nous engagent à aimer Dieu. Toutes les paroles que je viens de vous adresser sont dei mots: elles ont frappé et fait vibrer l'air, pour arriver jusqu'à vous par le sens de l'ouïe; elles ont passé en faisant du bruit; mais ce que je vous ai dit, par leur intermédiaire, ne doit point passer; car celui que je vous ai recommandé d'aimer, ne passe pas; et quand, excités par des sons d'un moment

1. Jn 1,1.

vous vous serez portés vers lui, vous ne passerez pas non plus, car vous serez unis d'une manière permanente à Celui qui demeure toujours. Dans un enseignement, ce qui est grand, élevé et éternel, c'est ce qui dure; voilà où nous appelle tout ce qui passe dans le temps, pourvu qu'il s'y attache un sens vrai, et non une signification menteuse. Tout ce que nous donnons à entendre par les sons de notre voix a une signification distincte de ces sons matériels. Ainsi, les deux syllabes dont se compose le mot Dieu, Deus, ne sont pas Dieu; nous ne rendons aucun culte à ces deux syllabes, nous ne les adorons pas; ce n'est pas jusqu'à elles que nous désirons parvenir: on a fini de les entendre, pour ainsi dire, avant d'avoir commencé, et il n'y a place pour la seconde que quand la première est passée. Le son de voix par lequel nous disons: Dieu, ne dure pas, mais il y a, pour demeurer toujours, quelque chose de grand, c'est le Dieu dont on fait retentir le nom. Tel est le point de vue sous lequel vous devez envisager la doctrine du Christ; ainsi parviendrez. vous jusqu'au Verbe de Dieu; et quand vous y serez parvenus, rappelez-vous que "le Verbe était Dieu", et vous verrez que cette parole: "Ma doctrine", est vraie. Rappelez-vous aussi de qui le Christ est le Verbe, et vous comprendrez toute la justesse de cette autre parole: "Ne vient pas de moi".

5. Je le dis donc brièvement à votre charité: il me semble que par ces paroles: "Ma doctrine ne vient pas de moi", le Seigneur Jésus s'est exprimé dans le même sens que s'il avait dit: Je ne viens pas de moi-même. En effet, quoique nous disions et croyions le Fils égal au Père; quoique nous reconnaissions qu'il n'y a entre eux aucune différence de nature et de substance; quoique enfin l'éternité appartienne aussi bien au Fils engendré qu'au Père son générateur, nous disons, cette réserve faite et bien entendue: Ce qu'est le Père, le Fils l'est aussi: le Père n'existe pas sans le Fils, comme le Fils n'existe pas sans le Père. Le Fils est Dieu, et il vient du Père; le Père est Dieu, mais il ne vient pas du Fils. Il est le Père du Fils, mais il n'est pas Dieu venant du Fils; tandis que le Fils est le Fils du Père; il est Dieu venant du Père, car on appelle Notre-Seigneur Jésus-Christ Lumière de Lumière. La Lumière qui ne vient pas de la Lumière, et la Lumière [547] égale à la Lumière, et qui en vient, ne sont ensemble qu'une seule et même Lumière, et non pas deux Lumières.

6. Si nous avons bien compris, que Dieu en soit loué; si quelqu'un n'a pas parfaitement saisi ces vérités, il est allé aussi loin que les forces humaines le lui ont permis, et il doit considérer ce qui surpasse son intelligence, comme l'objet de ses espérances immortelles. Pareils à des ouvriers, nous pouvons bien extérieurement planter et arroser; mais à Dieu seul il appartient de donner l'accroissement (1). "Ma doctrine", dit le Sauveur, "ne vient pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé". Qu'il écoute le conseil du Maître, celui qui dit: Je n'ai pas compris. Car, après avoir dit cette grande et mystérieuse chose, le Sauveur Jésus vit bien que tous ne saisiraient pas un enseignement
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