Augustin sur Jean 27

VINGT-SEPTIÈME TRAITÉ - DEPUIS CET ENDROIT: « IL DIT CES PAROLES DANS LA SYNAGOGUE, ENSEIGNANT À CAPHARNAÜM ».

JUSQU'A CET AUTRE : « CAR C'ÉTAIT CELUI QUI DEVAIT LE TRAHIR, QUOIQU'IL FUT L'UN DES DOUZE ». (Jn 6,60-72.)
C'EST L'ESPRIT QUI VIVIFIE.

Les adversaires de Jésus ne furent pas seuls à murmurer de ses paroles : ses disciples en firent autant. Vous ne savez ce qu'est ma chair, ni ce qu'elle sera un jour, leur dit le Sauveur, car vous en jugez d'une façon matérielle et grossière c'est pourquoi vous en jugez faux mes paroles sont spirituelles, et quand je dis qu'il faut manger ma chair, j'entends qu'il faut faire un avec moi. Vous ne croyez pas en moi, voilà pourquoi vous ne me comprenez pas; et, si vous ne croyez pas en moi, c'est que mon Père ne vous en a pas fait grâce. - Beaucoup s'éloignèrent alors de Jésus; mais les douze qu'il avait choisis, même Judas malgré son indignité, restèrent avec lui, parce que la foi leur avait donné de saisir le vrai sens de son discours. Puissions-nous entrer dans leurs sentiments et suivre leur exemple!

1. Nous venons d'entendre dans l'Evangile les paroles du Sauveur qui viennent après celles dont nous vous avons précédemment entretenus: nous devons en parler à vos oreilles et à vos coeurs; notre discours d'aujourd'hui a toute raison d'être, car, en ce jour, nous célébrons la fête du corps du Seigneur, de ce corps qu'il nous a donné, disait-il aux Juifs, pour nous transmettre la vie éternelle. Il a expliqué la manière dont il nous communique ce bienfait que nous recevons de lui; il nous a dit comment il donne sa chair à manger. Voici ses paroles : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et je demeure en lui (1) ». Tel est le signe auquel nous reconnaissons que nous avons pris cet aliment et bu ce breuvage c'est que nous demeurons en Jésus-Christ, et qu'il demeure en nous; c'est que nous habitons en lui, et qu'il habite eu nous; c'est que nous nous attachons à lui pour ne pas le quitter. Par ces mystérieuses paroles, il nous a donc donné un enseignement : il nous a

1. Jn 6,57.

avertis d'appartenir à son corps, de faire partie de ses membres, de lui obéir comme à notre chef, de manger sa chair, de ne point nous écarter de son unité. Mais la plupart de ceux qui l'entendirent, ne le comprirent pas, et ils se scandalisèrent; comme ils étaient charnels, ils n'attribuaient qu'un sens charnel aux paroles du Sauveur. Mais l'Apôtre a dit, et c'est la vérité : « Juger des choses selon la chair, c'est mourir ». Le Seigneur nous donne sa chair à manger; mais, juger des choses selon la chair, c'est mourir; car il parle de sa chair, comme de la source de la vie éternelle: nous ne devons donc point juger non plus de sa chair d'une manière charnelle, comme faisaient ceux dont il est question dans ce passage.

2. « C'est pourquoi plusieurs », non pas de ses ennemis, mais « de ses disciples, l'ayant entendu, dirent : Cette parole est dure, et qui peut l'écouter? » Si cette parole parut dure à ses disciples, que parut-elle à ses ennemis? Et, pourtant, le Sauveur devait

1. Rm 8,6.

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s'exprimer ainsi pour ne pas être compris de tous; car si Dieu nous communique ses secrets, il doit trouver en nous des auditeurs bien disposés, et non pas des adversaires; pour ceux-ci, ils se raidirent contre ses paroles, aussitôt qu'ils les entendirent tomber des lèvres du Seigneur Jésus. Il leur disait de merveilleuses choses, et, sous le voile de ses paroles, se cachait l'annonce d'une grande grâce; mais ils n'ajoutèrent aucune foi à ses discours : selon leur manière de voir, ils comprirent donc d'une façon tout humaine que Jésus avait le pouvoir ou l'intention de couper, pour ainsi dire, en morceaux, et de distribuer à ceux qui, croiraient en lui la chair dont te Verbe s'était revêtu. « Cette parole est dure », s'écrièrent- ils, « et qui peut l'écouter ? »

3. « Mais Jésus sachant en lui-même que ses disciples murmuraient ». Ils murmuraient entre eux de manière à ne pas être entendus de lui; mais il connaissait jusqu'aux plus secrets replis de leur âme : aussi, les entendant en lui-même, il leur répondit : « Cela vous scandalise ? » Parce que je vous ai dit: Je vous donne ma chair à manger et mon sang à boire, mes paroles vous révoltent? « Que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l'homme monter où il était d'abord ? » Qu'est-ce ceci? Détruisait-il par là la cause de leur émotion ? Faisait-il disparaître à leurs yeux les obscurités qui avaient donné lieu à leur scandale? Evidemment, oui, s'ils avaient voulu le comprendre. Ils s'étaient imaginés qu'il leur distribuerait son corps, et il disait, lui, qu'il monterait au ciel dans tout son entier : « Lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était d'abord ». Oui, vous verrez, même alors, qu'il ne distribue point son corps de la manière que vous vous imaginez : oui, vous comprendrez, même alors, que l'on ne broie pas sa grâce sous les dents.

4. Et Jésus ajouta : « C'est l'esprit qui vivifie; la chair ne sert de rien ». Avant d'expliquer ces paroles, aussi bien que le Seigneur nous le permettra, il est bon de ne point glisser légèrement sur ce passage : « Lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ». Car le Christ est Fils de l'homme, il est né de la vierge Marie. Le Fils de l'homme a donc eu un commencement sur la terre; il a eu ce commencement au moment même où il s'était revêtu d'un corps terrestre. Aussi, le Prophète avait-il dit : « La vérité est sortie du sein de la terre (1) ». Que veut donc dire le Sauveur , quand il s'exprime ainsi
« Lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ? » Il n'y aurait aucune difficulté, s'il avait dit : Si vous voyiez le Fils de Dieu monter où il était auparavant. Mais il dit : « Lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ». Le Fils de l'homme, qui a eu un commencement sur la terre, pouvait-il être auparavant dans le ciel? Il dit: « Où il était auparavant », comme s'il n'y était plus au moment où il parlait. Mais il dit ailleurs : « Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est au ciel (2) ». Il ne dit pas: « le Fils de l'homme » qui était, mais : «qui est au ciel ». Quand il parlait, il était sur la terre, et il disait qu'il était au ciel. Telles ne sont pas ses paroles : Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de Dieu qui est au ciel. En s'exprimant de la sorte, il veut évidemment nous faire comprendre ce que j'ai déjà expliqué à votre charité dans mon dernier discours, à savoir qu'en Jésus-Christ il y a, non pas deux personnes, mais une seule, qui est tout à la fois Dieu et homme : par là, l'objet de notre foi, c'est la Trinité et non une quaternité. Le Christ est donc un : il est composé du Verbe, d'une âme et d'un corps : il est, en même temps, Fils de Dieu et Fils de l'homme: Fils de Dieu dès toujours, Fils de l'homme dans le temps; il est un, parce qu'il n'y a en lui qu'une seule personne. Il était dans le ciel, pendant qu'il parlait sur la terre. Fils de l'homme, il était dans le ciel de la même manière que, Fils de Dieu, il était sur la terre: Fils de Dieu, il était ici-bas dans la chair dont il s'était revêtu : Fils de l'homme, il était au ciel par son union de personne avec le Verbe.

5. Mais pourquoi ajoutait-il : « C'est l'esprit qui vivifie : la chair ne sert de rien ? » Disons-lui donc car il nous permet de lui parlerchair et ne boira pas mon sang,

1. Ps 84,12. - 2. Jn 3,13.

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n'aura pas la vie en lui? » La vie ne servirait-elle non plus de rien ? Pourquoi sommes-nous ce que nous sommes, sinon pour avoir la vie éternelle, que vous promettez comme fruit de la manducation de votre chair ? Qu'est-ce donc à dire : « La chair ne sert de rien ? » Elle ne sert de rien, mais dans le sens que les Juifs y attachaient; car, dans leur idée, il s'agissait, non d'une chair animée, vivante, mais d'une chair morte, comme celle d'un cadavre, que l'on partage par morceaux, ou que l'on vend sur le marché. C'est pourquoi le Sauveur a dit : « La chair ne sert de rien», comme l'Apôtre a dit lui-même: « La science enfle ». Devons-nous, pour cela, détester la science ? Pas du tout. Qu'est-ce à dire: « La science enfle ? » La science seule, sans la charité; aussi ajoute-t-il : « Mais la charité édifie (1)». A la science joins donc la charité, et elle te sera profitable, non par elle-même, mais par la vertu qui l'accompagnera. Ainsi en est-il de ce passage : « La chair ne sert de rien ». La chair seule qu'on y joigne l'esprit comme on joint la charité à la science, et alors elle est grandement utile. Car si elle ne pouvait servir de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. Et si, par la chair, le Christ nous a fait tant de bien, pourrait-on dire qu'elle ne sert de rien? Mais l'esprit s'en est servi pour opérer notre salut. La chair est devenue un vase : fais attention, non à ce qu'elle était, mais à ce qu'elle contenait. Les Apôtres ont été envoyés dans le monde: leur chair ne nous a-t-elle été d'aucun profit? Si elle nous a été grandement utile, celle du Seigneur ne nous aurait-elle servi de rien? Qui est-ce qui nous fait entendre la parole, sinon la voix de la chair ? Qui est-ce qui tient le stylet? Qui est-ce qui écrit ? Ce sont autant d'oeuvres opérées par la chair, mais sous l'action de l'esprit qui s'en sert comme d'un instrument à lui propre. « C'est » donc « l'esprit «qui vivifie, et la chair ne sert de rien ». Ils ont donné au mot de chair un sens tout différent de celui dans lequel je donne la, mienne à manger.

6. Aussi, dit-il, « les paroles que je vous ai adressées, sont esprit et vie ». Nous vous l'avons dit, mes frères, le Sauveur nous a appris que manger sa chair et nous abreuver de son sang, c'est demeurer en lui et lui servant

1. 1Co 8,1.

de demeure. Nous demeurons en lui, lorsque nous sommes ses membres; il demeure en nous, lorsque nous sommes son temple. Pour que nous soyons ses membres, nous nous unissons intimement à lui, et ne faire plus qu'un avec lui, c'est l'effet de la charité seule. Et l'amour de Dieu, d'où nous vient-il ? Interroge l'Apôtre, il te l'apprendra: « L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (1)». « C'est » donc « l'esprit qui « vivifie », car c'est l'esprit qui donne la vie aux membres; mais il ne peut les rendre vivants qu'à la condition de les trouver unis au corps dont il est la vie. En effet, ô homme, l'esprit qui t'anime et te distingue des brutes, peut-il communiquer la vie à un membre séparé de ton corps? Par ton esprit, j'entends ton âme : or, ton âme ne vivifie que les membres unis à ton corps; ôtes-en un, c'en est fait; il ne puise plus en ton âme le mouvement, parce qu'il ne fait plus un avec ton corps. Je vous parle ainsi, pour vous faire aimer l'union avec le Christ, pour vous faire craindre d'en être séparés. Rien ne doit faire trembler un chrétien comme l'appréhension de se voir retranché du corps du Sauveur; car s'il en est retranché, il n'est plus du nombre de ses membres; et, s'il n'est plus un de ses membres, son esprit ne l'anime plus. « Mais », dit l'Apôtre, « celui qui n'a pas l'esprit de Jésus-Christ, n'est point à lui (2)». « C'est » donc « l'esprit qui vivifie, mais la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ». Qu'est-ce à dire : « Esprit et vie ? » Elles doivent être entendues dans un sens spirituel. Les as-tu comprises en ce sens ? « Elles sont » pour toi « esprit et vie »; si tu les as comprises d'une manière charnelle, «elles» n'en « sont » pas moins « esprit et vie »; mais ce n'est pas pour toi.

7. « Mais », ajoute le Sauveur, « il y en a parmi vous qui ne croient pas ». Il ne dit pas : il y en a parmi vous qui ne comprennent pas, mais il fait connaître le motif pour lequel ils ne comprennent point. « Il en est parmi vous qui ne croient pas ». La raison pour laquelle ils ne comprennent pas, c'est qu'ils ne croient pas; car, dit le Prophète, « si vous ne croyez point, vous ne comprendrez pas (3) ». La foi nous unit, l'intelligence nous

1. Rm 5,5 .- 2. Rm 8,9. - 3. Is 7,9 suiv. les Septante.

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communique la vie, commençons par nous attacher à Jésus-Christ, et l'intelligence trouvera en nous de quoi vivifier. Celui qui ne s'attache pas à lui, lui résiste, et quiconque lui résiste, ne croit pas à lui. Comment recevoir la vie de celui à qui on résiste? On met obstacle au rayon de lumière qui doit pénétrer; on n'en détourne point les feux, niais on lui ferme l'accès de son âme. « Il en est donc qui ne croient pas ». Qu'ils croient et ouvrent leur esprit, qu'ils ouvrent leur esprit, et la lumière les pénétrera. « Car Jésus savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point et le trahiraient». Judas en effet se trouvait là. Il y en eut qui furent scandalisés; mais, pour lui, il resta près de son maître afin de lui tendre des piéges et non pour le comprendre, et, parce qu'il était resté, le Sauveur parla de lui: sans le nommer expressément, il laissa entendre qu'il le connaissait, et, par là, il voulait inspirer de la crainte à tous, quoiqu'un seul dût périr. Après avoir parlé et distingué les croyants d'avec les incroyants, il fit connaître le motif pour lequel quelques-uns ne croyaient pas : « C'est pourquoi », dit-il, « je vous assure que nul ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné par mon Père ». Aussi la foi est un don qui nous est accordé, car la foi n'est- pas chose de nulle valeur, et parce qu'elle est précieuse, réjouis-toi de l'avoir reçue, mais n'en conçois aucun orgueil : « Qu'as-tu, en effet, que tu n'aies pas reçu (1)? »

8. « Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent en arrière et ne marchèrent plus avec lui. Ils se retirèrent en arrière e, non pour suivre le Christ, mais pour suivre le démon. Un jour, le Seigneur Jésus donna à Pierre le nom de Satan, mais parce qu'il voulait prendre le pas sur son maître, et lui conseiller de ne pas mourir, quoique le Christ fût venu en ce monde pour subir la mort et nous empêcher, par là, de périr éternellement. Et il lui dit: « Arrière, « Satan ; retire-toi de moi, parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes (2) » Quoiqu'il l'appelât Satan, il ne le força pas néanmoins à se retirer en arrière pour suivre le démon; mais il le fit marcher derrière lui, afin qu'en suivant les traces de son maître, il ne devînt pas

1. 1Co 4,7. - 2. Mt 16,23.

démon. Pour les disciples, dont il est ici question, ils se retirèrent en arrière, comme ces femmes dont parle l'Apôtre: « Quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan (1) ». Ils ne marchèrent plus désormais avec le Sauveur; ils perdirent la vie, en se séparant du corps auquel ils n'avaient peut-être d'ailleurs jamais appartenu: car s'ils portaient le nom de disciples, ils n'en devaient pas moins être rangés au nombre des incroyants; et ces hommes, qui se retiraient en arrière, n'étaient pas en petit nombre: on en comptait beaucoup. Dieu a voulu qu'il en fût ainsi, pour notre consolation. Parfois, en effet, il arrive qu'un homme dise la vérité, et que, pourtant, ses paroles ne soient pas goûtées, et que ses auditeurs se scandalisent et s'éloignent. Cet homme se repent d'avoir tenu des discours conformes à la vérité; il se dit eu lui-même: J'aurais dû ne pas m'exprimer ainsi, j'aurais dû m'exprimer autrement. Pareille chose est arrivée au Sauveur : il a parlé, et plusieurs l'ont quitté, et il est resté avec quelques-uns seulement; mais il ne s'en est nullement ému, car il savait, dès le commencement, quels étaient ceux qui croyaient en lui et ceux qui n'y croyaient pas; et nous, nous nous troublons en cas pareil. Cherchons donc alors, dans l'exemple du Seigneur Jésus, un adoucissement à notre peine, mais n'oublions pas de montrer une grande prudence, lorsque nous parlons.

9. Le Christ s'adressa aux rares disciples qui lui étaient restés fidèles; « Jésus dit donc aux douze », c'est-à-dire aux douze qui étaient restés près de lui : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller?» Judas lui-même ne s'était pas éloigné; mais le motif pour lequel il était resté, le Sauveur le connaissait déjà: nous avons, depuis, appris à le connaître. Au nom de tous, seul pour plusieurs, représentant dans l'unité de sa personne l'universalité des autres, Pierre prit la parole : « Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irons-nous? » Vous nous éloignerez de vous; donnez-nous un autre vous-même. « A qui irons-nous? » Si nous nous éloignons de vous, à qui irons-nous? « Vous avez les paroles de la « vie éternelle». Voyez comment, par ta grâce de Dieu, et sous l'inspiration de l'Esprit Saint, Pierre comprit les paroles de son maître. D'où lui en vint l'intelligence, sinon de sa foi?

1. 1Tm 5,15.

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« Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Vous avez les paroles de la vie éternelle, puisque vous nous donnez votre corps et votre sang. « Et nous avons cru, et nous avons « connu ». Il ne dit pas: Nous avons connu et nous avons cru, mais : « Nous avons cru et nous avons connu ». Nous avons cru, afin de connaître; car si nous voulions connaître d'abord, pour croire ensuite, nous ne parviendrions ni à connaître, ni à croire. Qu'avons-nous cru, et qu'avons-nous connu? « Que vous êtes le Christ, Fils de Dieu», c'est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que mous ne donnez dans votre corps et votre sang que ce que vous êtes.

10. Le Seigneur Jésus leur dit donc: « Ne vous ai-je pas choisis au nombre de douze, et l'un de vous est un démon?» Ne devrait-il pas dire: « J'en ai choisi onze? » Car le démon a-t-il été aussi choisi, et se trouve-t-il au nombre des élus? On ne parle d'élus qu'en bonne part; or, le Sauveur a-t-il pu choisir un homme pour lui faire opérer des merveilles en fait de bonnes oeuvres, malgré lui et sans qu'il le sache? Oui, car si les méchants agissent différemment, c'est le propre de Dieu d'agir ainsi. De même, en effet, que les méchants font mauvais usage des bienfaits de pieu, de même aussi, mais par contre, Dieu emploie-t-il pour le bien les mauvaises actons des méchants. Combien il est avantageux pour nous que les membres de notre corps soient tels que le divin architecte a pu seul les créer; et pourtant, quel triste usage les effrontés font-ils de leurs yeux? et les fourbes, de leur langue? Avec leur langue, les faux témoins commencent par tuer leur âme, et quand ils se sont donné la mort spirituelle, ils s'efforcent de blesser les autres. De ce qu'ils l'emploient à mal faire, il ne s'ensuit nullement que la langue soit une mauvaise chose: c'est l'oeuvre de Dieu ; mais cette oeuvre, toute bonne qu'elle soit, la méchanceté humaine en tire un mauvais parti. fuel usage font de leurs pieds ceux qui cousent pour commettre le crime? Et les homicides, à quoi emploient-ils leurs mains? Et les êtres excellents, sortis des mains de Dieu, qui nous environnent de toutes parts, comme les mauvais chrétiens les détournent de leur destination première ! Avec l'or, on corrompt la justice, on opprime les innocents. Les méchants emploient au mal la lumière du jour. En effet, dans leurs écarts de moeurs, ils vont jusqu'à se servir de cette lumière qui éclaire leurs pas, comme d'un moyen de perpétrer plus sûrement leurs crimes. Dans les démarches qu'il fait pour accomplir ses pernicieux desseins, le pécheur emploie les rayons du soleil à ne se butter à aucun obstacle extérieur, quoiqu'intérieurement il se soit déjà frappé à une pierre d'achoppement et soit tombé; l'inconvénient qu'il redoute pour son corps, il l'a déjà rencontré dans son coeur. Il serait trop long d'énumérer tous les bienfaits de Dieu ; mais il n'y en a pas un seul dont les méchants ne fassent abus; et par une raison toute contraire, l'homme de bien fait tourner au bien la méchanceté même des méchants. Et, de fait, y a-t-il un seul être aussi bon que Dieu? Le Seigneur lui-même ne dit-il pas, en effet : « Dieu seul est bon (1)? » Aussi, meilleur il est, meilleur est l'emploi qu'il fait de nos mauvaises dispositions. Vit-on jamais homme aussi pervers que Judas? Préférablement à tous les adhérents du divin Maître, choisi même parmi les douze Apôtres, il reçut la mission de garder la bourse commune et de distribuer les aumônes aux pauvres; mais un tel bienfait, un si grand honneur ne trouva en lui qu'un ingrat; on lui donna de l'argent, et il perdit la justice ; il était mort, et il livra la vie, et il poursuivit comme un ennemi celui qu'il avait suivi en qualité de disciple. Telle fut l'abominable conduite de Judas voyez le bel usage qu'en fit le Seigneur ! Il se laissa trahir pour nous racheter, et ainsi fit-il contribuer à notre bien le crime de Judas. Combien de martyrs ont été persécutés par Satan; s'il avait cessé de se montrer persécuteur, nous ne célébrerions point aujourd'hui l'admirable victoire de saint Laurent. Dieu tire donc avantage des oeuvres coupables du démon; quand un méchant fait un mauvais emploi des bienfaits de Dieu, il se fait du mal à lui-même, mais il n'infirme en rien la bonté divine. Un ouvrier se sert d'un méchant; mais si le grand ouvrier ne s'en servait pas, il ne lui permettrait pas même d'exister. Aussi le Sauveur dit-il: « Je vous ai choisis au nombre de douze, et l'un d'entre vous est un démon ». Il a pu dire encore : « Je vous ai choisis au nombre de douze » , par cette raison que le nombre douze est sacré ; et parce que l'un des douze a péri, il ne s'ensuit

1. Mc 10,18.

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nullement que ce nombre ait perdu de sa valeur; car un autre a pris la place de celui qui a péri (1). Le nombre consacré, c'est-à-dire le nombre de douze, est demeuré intact, parce que les douze devaient annoncer un Dieu en trois personnes par tout le monde, c'est-à-dire aux quatre coins du monde; ils sont donc au nombre de trois fois quatre. Judas s'est tué lui-même, mais il n'a porté aucune atteinte au nombre de douze; il a abandonné son maître, mais Dieu lui a donné un successeur.

11. Le Sauveur nous a parlé de son corps et de son sang; il nous a promis qu'en lei recevant, nous recevrions aussi la vie éternelle; il a voulu nous faire comprendre que ceux qui mangent son corps et boivent sou sang, sont ceux-là mêmes qui demeurent eu lui et lui servent de demeure : ceux qui ne crurent point à ses paroles n'en saisirent pas le sens, à des choses spirituelles ils donnèrent un sens charnel; aussi s'en scandalisèrent-ils ; et quand ils se furent scandalisés et éloignés de la source de la vie, le Sauveur consola ceux de ses disciples qui étaient restés avec lui. Pour les éprouver, il leur adressa cette question: « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller? » Par la réponse qu'il provoquait, il voulait nous faire connaître leur constante fidélité à sa personne. Comme résultat de ces différentes circonstances, puissions-nous, nos très-chers frères, ne pas nous contenter, à l'exemple d'un grand nombre de mauvais chrétiens, de recevoir le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ! Mangeons son corps et buvons son sang de manière à participer à son esprit : par là, nous demeurerons dans le corps du Seigneur en qualité de membres; son esprit nous animera, et nous ne nous scandaliserons point; quoique beaucoup d'autres mangent et boivent maintenant avec nous, et dans un sentiment tout charnel, le corps et le sang du Sauveur, se condamnant ainsi, pour la fin de leur vie, à d'éternels supplices. Aujourd'hui les membres du Christ se trouvent mêlés les uns aux autres comme des grains de froment dans une aire. Mais Dieu connaît ceux qui lui appartiennent (2). Si tu connais ce que tu foules aux pieds, si par conséquent, tu sais que, sous tes pieds se trouvent des grains cachés, et qu'en les

1. Ac 1,26. - 2. 2Tm 2,19.

foulant tu ne les détruis pas, mais que plus tard le vent séparera les mauvais d'avec les bons; c'est un fait pour nous hors de doute, mes frères, que nous devons tous, nous qui sommes les membres du Christ, et qui demeurons en lui afin de lui servir de demeure, à notre tour, nous devons tous, ici-bas, vivre jusqu'à la fin au milieu des méchants. Et, par ces méchants, je n'entends pas ceux qui blasphèment Jésus-Christ ; car il en est peu, de notre temps, pour l'injurier de bouche: je veux parler de ceux, hélas! trop nombreux, dont la conduite est un blasphème continue.

12. Mais qu'est-ce que le Sauveur dit par ces paroles : « Celui qui demeure en moi, je demeure moi-même en lui (1)?» Que dit-il, sinon ce qu'entendaient les martyrs: « Celui qui persévérera jusqu'à la fin, sera sauvé (2)?» Comment est resté en lui saint Laurent, dont nous célébrons aujourd'hui la fête? Il y est resté jusqu'au moment de l'épreuve, de l'interrogatoire du tyran, des menaces les plus effrayantes, jusqu'à la mort. Que dis-je? Jusqu'au plus douloureux martyre. Car on ne l'a pas fait mourir tout de suite : on lui a fait subir le supplice du feu , on l'a laissé vivre longtemps ; ou plutôt, on ne l'a pas laissé vivre longtemps, mais on l'a forcé à mourir lentement. Dans cette longue agonie, au milieu de ces tourments, il ne ressentit point la douleur, parce qu'ayant mangé le corps et bu le sang du Christ avec des dispositions parfaites, il était comme engraissé de cet aliment et enivré de ce breuvage ; car en lui se trouvait celui qui a dit : « C'est l'esprit qui vivifie ». Son corps subissait les ardeurs du feu, niais l'esprit soutenait son âme : il ne défaillit point, aussi entra-t-il dans le royaume éternel. Le saint martyr Xiste, dont nous avons solennisé la mémoire il y a cinq jours, lui avait dit : « Mon fils, ne t'attrista pas ». (Xiste était l'évêque, et Laurent son diacre.) « Mon fils, ne t'attriste pas: tu me suivras après un triduum ». Il donnait le nom de triduum à l'intervalle qui devait se trouver entre son martyre et celui de saint Laurent, que nous célébrons aujourd'hui. Trois jours, voilà l'intervalle. O consolation ! Il ne dit pas Ne t'attriste pas, mon fils ; la persécution aura un terme, et tu seras en sécurité ; mais ne t'attriste pas : où

1. Jn 6,57 Jn 15,5. - 2. Mt 24,13.

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je vais le premier, tu me suivras : ton voyage n'est pas, à vrai dire, retardé; car dans l'intervalle de trois jours tu seras avec moi. Saint Laurent reçut cette promesse prophétique, remporta la victoire sur le démon et parvint au triomphe.



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VINGT-HUITIÈME TRAITÉ

Jn 7,1-13

LE DIEU HOMME.

DEPUIS CES PAROLES DE L'ÉVANGILE: "APRÈS CELA, JÉSUS S'AVANÇA DANS LA GALILÉE", JUSQU'À CES AUTRES: "TOUTEFOIS, NUL NE PARLAIT OUVERTEMENT DE LUI,DANS LA CRAINTE DES JUIFS".


Jésus-Christ était en même temps Dieu et homme; comme Dieu, possédant une puissance infinie; comme homme, souffrant et donnant à ses membres fidèles l'exemple de ce qu'ils peuvent et doivent faire. pour éviter les persécutions des Juifs, il s'était retiré en Galilée, Au moment de la scénophagie, ses parents, hommes charnels, auraient voulu le décider à se rendre à Jérusalem pour l'y voir opérer des miracles et acquérir un renom. Mais l'heure de la gloire n'était pas encore venue pour lui; elle ne devait sonner qu'après une vie d'humiliations et d'oublis; aussi ne monta-t-il au temple que vers le milieu de la fête, et en secret, afin de ne pas mériter les éloges des mondains. Ainsi doit-il en être de nous pendant le pèlerinage de cette vie: nous ne devons chercher à être connus et glorifiés de personne ici-bas: la gloire du ciel est la seule à laquelle nous devons tendre.

1. Dans ce chapitre de l'Evangile, mes frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ se propose souvent comme homme à notre foi; car mes paroles et ses actes y tendent sans cesse à nous faire reconnaître en lui le Dieu et l'Homme le Dieu qui nous a créés, l'homme qui nous a recherchés; le Dieu éternellement avec son Père, l'homme avec nous dans le temps. Il n'aurait point recherché sa créature, s'il n'était devenu semblable à elle. Mais rappelez-vous-le bien; que vos coeurs en conservent toujours le souvenir: le Christ s'est fait homme sans cesser d'être Dieu. Tout en restant Dieu, il s'est revêtu de l'humanité qu'il avait créée. Aussi, quand sa grandeur divine se cacha sous la faiblesse de l'homme, il n'en conserva pas moins sa puissance suprême, et nous ne devons voir, dans son incarnation, qu'un moyen de nous servir d'exemple au milieu de nos douleurs. Il est, en effet, tombé au pouvoir de ses ennemis, il n'a été mis à mort qu'au moment où il y a consenti. Mais parce qu'il devait s'adjoindre des membres, c'est-à-dire des fidèles qui ne posséderaient pas la même puissance que lui, puisqu'il était Dieu, il se cachait, il se dérobait aux poursuites des Juifs, comme pour éviter la mort, et ainsi donnait-il à entendre que plus tard ses membres s'uniraient à lui, et qu'il serait en chacun d'eux. Car le Christ n'est pas seulement chef: il est aussi corps, et pour être dans sa perfection, il faut qu'il soit tête et corps tout ensemble. Ce que sont ses membres, il l'est donc lui-même; mais ce qu'il est, ses membres ne le sont pas de prime-abord. Si ses membres n'étaient pas un autre lui-même, dirait-il: "Saul, pourquoi me persécuter (1)?" Car ce n'était pas lui en personne que Saul persécutait sur la terre: c'étaient ses membres, c'est-à-dire ses fidèles; néanmoins, il ne les appelle ni ses saints, ni ses serviteurs, ni enfin, d'une manière plus honorable: ses frères; en parlant d'eux, il dit: Moi, ou, en d'autres termes mes membres, dont je suis le chef.

2. D'après ce qui précède, le chapitre qu'on vient de lire ne nous offrira aucune difficulté; car souvent nous y verrons se réaliser dans le chef ce qui devait avoir ensuite lieu dans le corps. "Après cela, Jésus s'avança dans la Galilée, car il ne voulait point aller dans la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir". Voilà bien ce que j'ai dit: le Sauveur servait d'exemple à notre fragilité. Il n'avait rien perdu de sa

1. Ac 9,4.

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puissance, mais il nous consolait dans notre faiblesse. Car suivant la remarque que j'en ai faite, il devait arriver que quelque fidèle se cacherait pour échapper aux recherches de ses persécuteurs; et afin qu'on ne pût faire à ce chrétien un crime de sa fuite, le Christ s'est dérobé le premier aux poursuites des Juifs; il n'est arrivé aux membres que ce qui était d'abord arrivé au chef. "Il ne voulait point aller dans la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir". Comme s'il ne pouvait voyager au milieu des Juifs, sans qu'ils le fissent mourir. Il donna, quand il voulut, la preuve du pouvoir qu'il avait de leur échapper; car, au moment de sa passion, ils cherchèrent à mettre la main sur lui; alors il leur dit: "Qui cherchez-vous? "- Ils lui répondirent: Jésus. - Et il leur dit: C'est moi". Certes, il ne se cachait pas; il se faisait nettement connaître. A cette réponse, ils ne purent se tenir debout; mais, "reculant en arrière, ils tombèrent (1)". Or, parce qu'il était venu en ce monde pour souffrir, ils se relevèrent, s'emparèrent de sa personne, le traduisirent au tribunal de Pilate et le mirent à mort. Mais quel fut le résultat de leur conduite? L'Ecriture nous le dit quelque part: "La terre fut livrée aux méchants (2)". Il abandonna son corps entre les mains des Juifs, afin que le prix de notre rédemption s'en échappât, comme du sein d'une bourse déchirée.

3. "Or, la fête des Juifs, appelée scénophagie, était proche". Qu'était-ce que la scénophagie? Ceux qui lisent 1'Ecriture le savent. En ce jour de fête, les Juifs se faisaient des tentes pareilles à celles qui leur servaient d'abri dans le désert, après la sortie d'Egypte. Ce jour là était un jour de fête, une grande solennité. Les Juifs la célébraient, comme pour se rappeler le souvenir des bienfaits de leur Dieu, et de fait, ils se préparaient à faire mourir ce même Dieu. Or, en ce jour de fête, (les Juifs en solennisaient plusieurs, et ils donnaient à celui-ci le nom de scénophagie, parce qu'il n'était pas le seul, mais qu'il y en avait encore d'autres;) "les frères" du Seigneur Christ vinrent lui parler. Vous n'ignorez pas le sens qu'il faut donner au mot "frères" du Seigneur: ces paroles n'ont rien de nouveau pour vous. On donnait le nom de frères du Seigneur aux parents de la

1. Jn 18,4-6. - 2. Jb 9,24.

vierge Marie. L'Ecriture donne habituellement le nom de frères à tous les parents, et à ceux qui étaient presque parents; nous ne nous exprimons pas de la même manière, parte que cet usage n'est pas entré dans nos moeurs. Parmi nous, en effet, qui est-ce qui s'aviserait de donner le nom de frère à son oncle et au fils de sa soeur? A des parents de ce degré, l'Ecriture le donne pourtant. Effectivement, Abraham et Loth sont appelés frères, quoiqu'Abraham fût l'oncle paternel de Loth (1). Il en est de même de Laban et de Jacob, et cependant celui-ci était le neveu de celui-là (2). Ainsi, rappelez-vous que les frères du Seigneur n'étaient autres que les parents de Marie; car elle ne donna jamais le jour à d'autres enfants. De même, en effet, que le sépulcre dans lequel fut déposé le corps du Sauveur ne servit de tombeau à personne, ni avant ni après; de même, Marie ne conçut aucun homme dans son sein, ni avant ni après Jésus-Christ.

4. Nous venons de dire quels étaient ces frères du Seigneur, écoutons maintenant ce qu'ils ont dit: "Partez d'ici, et allez en Judée, afin que vos disciples aussi voient les oeuvres que vous faites". Les disciples du Sauveur connaissaient ses oeuvres, mais ceux. ci ne les connaissaient pas. Car, en qualité de frères, c'est-à-dire de parents, ils pouvaient bien regarder le Christ comme un de leurs proches; mais à cause de leur parenté, il leur répugnait de croire en lui. L'Evangile lui-même nous le dit: nous n'oserions le penser de nous-mêmes, mais nous en sommes sûrs pour l'avoir entendu. Ils ajoutent cet avertissement: "On ne fait rien en secret, lorsqu'on cherche à se faire connaître. Si vous faites ces choses, montrez-vous vous-même au monde". "Car", dit immédiatement l'Evangéliste, "ses frères mêmes ne croyaient point en lui". Pourquoi ne croyaient-ils pas en lui? Parce qu'ils recherchaient la gloire de ce monde; car si les frères du Sauveur semblent lui donner un conseil, c'est qu'ils veulent assurer sa renommée. Vous faites des merveilles, manifestez-les donc au grand jour; c'est-à-dire, montrez-vous à tous, afin que tous proclament vos louanges. C'était la chair qui parlait à la chair, mais la chair séparée de Dieu, à la chair unie à Dieu: la prudence de la chair parlait au Verbe, qui

1. Gn 11,27-31 Gn 13,8 Gn 13,14.- 2. Gn 28,2 Gn 29,10 Gn 29,15.

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s'est fait chair et qui a habité parmi nous (1)".5. Que répondit à cela le Seigneur? "Or, Jésus leur dit: Mon temps n'est point encore venu; mais votre temps est toujours prêt". Eh quoi! le temps du Christ n'était-il pas encore arrivé? Pourquoi donc le Christ était-il menu, si son temps ne l'était pas encore? N'avons-nous pas entendu dire à l'Apôtre: "Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils (2)?" Si donc le Christ a été envoyé dans la plénitude des temps, il l'a été quand il a dû l'être; il est venu, quand il a fallu qu'il vînt. Quel est donc le sens de ces paroles: "Mon temps n'est pas encore arrivé?" Comprenez bien, mes frères, dans quelle intention lui parlaient ces hommes, peu semblaient lui donner des conseils comme à un frère. Ils l'engageaient à acquérir de la gloire; dominés par je ne sais quel sentiment mondain et terrestre, ils le priaient de ne point rester dans l'obscurité et l'oubli. A des gens qui le conjuraient de penser à la gloire, dire; "Mon temps n'est pas encore venu", c'était dire: Le temps de ma gloire n'est pas encore arrivé. Voyez combien est profond le sens de ces paroles on lui parlait d'acquérir de la gloire, pour lui, il a voulu que sa pudeur fût précédée par les humiliations la voulu que le chemin pour arriver à l'élévation fût celui de l'humilité. Ceux de ses disciples qui désiraient s'asseoir, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, recherchaient aussi la gloire: ils considéraient le but, mais ils ne considéraient pas la voie à suivre. Afin qu'ils pussent arriver à la céleste patrie selon les règles de la justice, le Sauveur les ramena au chemin qui y conduit. La patrie est élevée; humble est la voie. La patrie, c'est la vie du Christ: la voie, c'est sa mort. Le séjour du Christ, voilà la patrie; sa passion, voilà le chemin qui y mène. Pourquoi prétendre entrer dans la pairie, si l'on refuse d'en suivre le chemin? Enfin, telle fut sa réponse à ceux qui recherchaient la grandeur: "Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même (3)?" Voilà par quel chemin on arrive l'élévation que vous désirez. Le calice dont il leur parlait était celui des humiliations et des souffrances.

6. Il dit ici dans le même sens: "Mon temps n'est pas encore venu, mais votre temps", c'est-à-dire la gloire mondaine,

1. Jn 1,14.- 2. Ga 4,4.- 3. Mt 20,21-22.

"est toujours prêt". Voilà bien le temps dont le Christ, c'est-à-dire le corps du Christ, parle par la bouche du Prophète . "Quand le temps sera venu pour moi, je jugerai les justices (1)". Maintenant, c'est le temps, non pas de juger les méchants, mais de les supporter. Que le corps du Christ supporte donc et tolère à présent les iniquités de ceux qui se conduisent mal: qu'il ait aujourd'hui pour lui la justice; plus tard, il exercera le jugement: c'est par la pratique de la justice qu'on arrive à juger les pécheurs. Voici ce que l'écrivain sacré dit, en un psaume, à ceux qui supportent les iniquités de ce monde: "Le Seigneur ne rejettera point son peuple". Ce peuple souffre au milieu des méchants, des pécheurs, des blasphémateurs, de ceux qui murmurent et médisent contre lui, qui le persécutent et le font périr, quand ils le peuvent. Oui, il souffre, "mais le Seigneur ne rejettera point son peuple; il ne délaissera pas son héritage, jusqu'an jour où la justice rendra les jugements (2)". "Jusqu'à ce que la justice", qui se trouve aujourd'hui dans ses saints, "rendra ses jugements", au moment où s'accomplira pour eux celle parole, que leur a adressée le Sauveur: "Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël (3)". L'Apôtre avait déjà la justice, mais il n'exerçait pas encore le jugement dont il parle, quand il dit: "Ignorez-vous que nous jugerons les anges (4)?" Que ce soit donc pour nous maintenant le temps de bien vivre: plus tard, viendra le temps de juger ceux qui auront mal vécu. "Jusqu'au jour où", suivant le Psalmiste, "la justice rendra les jugements". Ce sera le temps du jugement, dont le Christ a dit, tout à l'heure: "Mon temps n'est pas encore venu". Ce sera le temps de la gloire, et alors viendra dans la grandeur celui qui est venu dans les abaissements. Celui qui est venu pour être jugé viendra pour rendre ses jugements celui qui est venu pour mourir de la main de gens morts, viendra juger les vivants et les morts. "Il viendra, notre Dieu", dit le Psalmiste; "il apparaîtra et sortira de son silence (5)". Pourquoi: "Il apparaîtra?" Parce que, quand il est venu, il s'est caché. Alors il ne gardera pas le silence, parce que, quand il est venu, il s'est caché, "il a été conduit à la

1. Ps 74,3. - 2. Ps 93,14-15. - 3. Mt 19,28. - 4. 1Co 6,3. - 5. Ps 49,3.

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mort comme une brebis, et pareil à un agneau qui se tait devant celui qui le tond, il n'a pas ouvert la bouche (1)". Il viendra et ne se taira pas. "Je me suis tû: me tairai-je toujours (2)?"

7. Mais qu'est-ce qui est nécessaire à ceux qui ont la justice? Ce que nous lisons dans le psaume précité: "Jusqu'au jour où la justice rendra les jugements; et près d'elle seront ceux qui la possèdent et ont le coeur droit". Vous désirez peut-être savoir quels hommes ont le coeur droit. Selon le langage de l'Ecriture, les hommes au coeur droit sont ceux qui endurent les peines de la vie sans en accuser Dieu. Voyez, mes frères, combien est rare cet oiseau dont je parle. Quand un homme voit fondre sur lui quelque malheur, je ne sais vraiment de quelle manière il court pour accuser plus vite le Seigneur, tandis qu'il ne devrait accuser que lui-même. Quand tu fais un peu de bien, tu t'en vantes; et quand il t'arrive quelque infortune, tu en accuses Dieu. C'est là le propre d'un coeur tordu, et non la preuve d'un coeur droit. Corrige-toi de cette distorsion et de cette méchanceté de ton coeur, et alors tu agiras d'une manière toute différente. Que faisais-tu précédemment? Tu attribuais à toi-même le bien qui te venait de Dieu, et tu attribuais à Dieu le mal dont tu étais l'auteur. Si tu changes ton coeur et lui donnes une autre direction, tu loueras le Seigneur dans ses bienfaits, et tu t'accuseras toi-même au milieu de tes maux. Voilà ce que font les hommes d'un coeur droit. Enfin, le Prophète n'avait pas encore ce coeur droit quand le spectacle de la félicité des méchants et les peines des justes le révoltaient; mais il était corrigé, quand il disait: "Que le Dieu d'Israël est bon pour ceux qui ont le coeur droit!" Quand je n'avais pas encore le coeur droit, "mes pieds se sont presque égarés, mes pas ont presque chancelé". Pourquoi? "Parce que je me suis indigné contre les pécheurs, en voyant la paix des impies (3)". J'ai vu, dit-il, les méchants au sein du bonheur, et, en cela, la conduite de Dieu m'a déplu; car j'aurais voulu que jamais il ne permît aux méchants d'être heureux. Il faut que l'homme le comprenne bien: Jamais Dieu ne permet pareille chose; et si l'on croit les méchants heureux, c'est parce qu'on ne sait pas en quoi

1 Is 53,7. - 2. Is 52,14 suiv. les Septante. - 3. Ps 72,1-3.

consiste le bonheur. Ayons donc le coeur droit; le temps de la gloire n'est pas encore venu pour nous. Il faut dire à ceux qui aiment le monde, comme l'aimaient les frères du Seigneur: "Votre temps est toujours prêt, mais le, nôtre n'est pas encore venu". Ne craignons pas de leur tenir nous-mêmes ce langage. Et parce que nous formons te corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, parce que nous sommes ses membres, parce que nous le reconnaissons avec bonheur pour notre chef, répétons encore une fois ces paroles qu'il a daigné prononcer lui-même à cause de nous. Quand les amateurs de ce monde nous insultent, répondons-leur: "Votre temps est toujours prêt; le nôtre n'est pas encore venu". Car l'Apôtre nous a dit: "Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ". Mais notre temps, quand viendra. t-il? "Lorsque Jésus-Christ, qui est notre vie, paraîtra, vous paraîtrez avec lui dans la gloire (1)".

8. Que dit ensuite le Sauveur? "Le monde ne peut vous avoir en haine". Que veulent dire ces paroles? Sans doute: le monde ne peut haïr ceux qui l'aiment, les faux témoins; car vous appelez bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien. "Mais pour moi, il me déteste, parce que je rends de lui ce témoignage que ses oeuvres sont mauvaises. Quant à vous, montez à cette fête". Qu'est-ce à dire: "Cette fête?" Où vous désirez trouver la gloire de ce monde. Qu'est-ce à dire: "cette fête?" Où vous prétendez vous réjouir d'une joie charnelle, où vous oubliez les joies éternelles. "Moi, je n'y monte point encore, parce que mon temps n'est pas accompli". Vous cherchez, en ce jour de fête, à acquérir de la gloire humaine; mais "mon temps", c'est-à-dire le temps de ma gloire, "n'est pas encore venu". Mon jour de fête ne devancera ni ne dépassera les jours solennels de la loi, mais il durera toujours: ce sera alors vraiment la fête; ce sera une joie sans fin, une éternité sans limites, une lumière sans ombres. "Et leur ayant ainsi parlé, il demeura en Galilée. Et, quand ses frères furent partis, il monta aussi à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret". Il ne monta donc pas "pour cette fête", parce qu'il ne voulait pas s'attirer une renommée mondaine; il désirait leur donner un conseil

1. Col 3,3-4.

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salutaire, apporter un remède à la faiblesse de leurs vues trop humaines, les porter à penser aux fêtes de l'éternité, détourner de ce monde leurs affections, et les reporter vers lieu. Mais pourquoi "monta-t-il comme en secret à la fête?" Le Seigneur le sait. A non avis, par ce fait, même qu'il est monté anime en secret à la fête, il a voulu nous donner un enseignement; car la suite nous apprendra qu'il est monté à Jérusalem au milieu même de la fête, c'est-à-dire pendant ces jours de fête, afin de prêcher en public; mais l'Evangile se sert de ces mots: "comme en secret", pour dire que le Sauveur n'avait pas l'intention de s'attirer les louanges des hommes. Il est évident que le Christ monta en secret à la fête, puisque, ce jour-là, il se cochait; ce que j'ai dit moi-même est encore chose cachée pour beaucoup. Aussi, puisse-t-on le connaître! Puisse le voile se soulever, et ce qui nous était inconnu, nous apparaître clairement.

9. Tout ce qui a été dit à l'ancien peuple d'Israël dans les nombreuses pages de la loi le Dieu, tout ce qui se faisait soit dans les sacrifices, soit dans les choses du sacerdoce, soit dans les jours de fête, soit dans les circonstances relatives au culte rendu à Dieu par les Juifs, tout ce qui leur a été dit et commandé n'a été que la figure de ce qui devait avoir lieu plus tard. Et qu'est-ce qui devait avoir lieu? Ce qui s'est accompli en Jésus-Christ, Voilà pourquoi l'Apôtre a dit: "Toutes les promesses de Dieu ont en lui leur vérité (1)": c'est-à-dire, se sont réalisées en lui. Il ajoute, en un autre endroit: "Toutes ces choses qui leur arrivaient, étaient des figures, et elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps (2)". Il a dit ailleurs: "Jésus-Christ est la fin de la loi (3)"; et encore: "Que personne ne vous condamne pour le manger, ou pour le boire, ou à cause des jours de fête, des nouvelles lunes et des jours de sabbat, puisque toutes ces choses n'ont été que l'ombre de celles qui devaient arriver (4)". Si tout cela n'était que l'ombre de l'avenir, ainsi en était-il de la scénophagie. De quoi ce jour de fête pouvait-il être la figure? Cherchons à le savoir. Je vous ai dit ce qu'était la scénophagie: c'était la fête des tabernacles, instituée en

1. 2Co 1,20. - 2. 1Co 10,11. - 3. 1R 10,4. - 4 Col 2,16-17.

mémoire de ce que le peuple juif, délivré de la captivité d'Egypte, et marchant dans la solitude du désert vers la terre promise, avait habité sous des tentes. Examinons bien ce qu'était cette fête, et remarquons quelle sera aussi notre fête à nous, qui sommes les membres du Christ, si tant est que nous en soyons les membres; au cas que nous soyons ses membres, c'est l'effet de la grâce, et non pas celui de nos mérites. Reportons donc sur nous notre attention, mes frères: nous avons été conduits hors de l'Egypte, où, comme un autre Pharaon, le démon nous tenait sous sa dépendance: esclaves de nos désirs terrestres, nous y faisions des ouvrages de boue, et dans ce travail, nous souffrions beaucoup; aussi, le Sauveur s'adressant à nous, comme à des ouvriers qui fout des briques, nous a-t-il dit "Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés (1)". Le baptême nous a fait sortir de là et traverser la mer Rouge: elle était vraiment rouge, cette mer, puisque ses eaux ont été sanctifiées par le sang du Christ: tous les ennemis qui nous poursuivaient, la mort nous en a délivrés: en d'autres termes, tous nos péchés ont été effacés. Aujourd'hui, avant d'arriver à la terre de promission, c'est-à-dire au royaume éternel, nous sommes au désert, nous habitons sous des tentes. Ceux qui me comprennent, habitent sous des tentes, et il devait se faire que plusieurs comprendraient. Celui-là habite sous une tente, qui se reconnaît comme voyageur sur la terre celui-là se reconnaît comme étranger ici-bas, qui soupire après la patrie. Or, puisque le corps du Christ se trouve sous les tentes, le Christ y est aussi; mais alors ce mystère n'était pas connu, il était encore caché, car la lumière était encore voilée par l'ombre, et quand elle parut dans son éclat, les ombres s'effacèrent. Le Christ ne se manifestait pas; il assistait à la fête de la scénophagie, mais c'était en secret. Aujourd'hui, il n'y a plus de mystère; aussi reconnaissons-nous que nous voyageons dans la solitude; et si nous le reconnaissons, nous y sommes véritablement. Qu'est-ce à dire: dans la solitude? Dans le désert. Pourquoi dans le désert? Parce que nous sommes, en ce monde, dans une terre où le manque d'eau nous fait souffrir de la soif. Mais puissions-nous avoir soif! Nous serons abreuvés, car: "Bienheureux ceux qui

1. Mt 11,28.

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ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (1)". Et, dans cette solitude, notre soif sera étanchée par l'eau sortie de la pierre; "car la pierre, c'était le Christ". On l'a frappée de la verge pour en faire sortir de l'eau; et pour la faire jaillir on a frappé la pierre par deux fois (2). Il y eut, en effet, deux bras à la croix. Tout ce qui se faisait autrefois en figure, se réalise donc en nous. Ce que l'Evangéliste a dit du Sauveur a donc un sens caché: "Il monta à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret". Ce mot: "en secret", était une figure, puisque réellement, en ce même jour de fête, le Christ se cachait: et ce jour de fête lui-même signifiait le pèlerinage des membres du Sauveur.

10. "Les Juifs donc le cherchaient à la fête", avant qu'il y montât. Car ses frères y étaient montés les premiers: pour le Christ, il ne s'y rendit point au moment où ils pensaient et désiraient l'y voir. Ainsi accomplissait-il cette parole qu'il leur avait adressée: Je n'irai pas "à cette fête", c'est-à-dire, au jour où vous voudriez m'y voir, au premier ou au second jour. Ensuite, ou, comme s'exprime l'Evangéliste, "au milieu de la fête", il y monta: c'est-à-dire il s'y rendit, quand il ne resta plus à solenniser qu'un nombre de jours égal à celui qu'on avait déjà fêté. Autant qu'il est permis de le supposer, cette fête se célébrait pendant plusieurs jours.

11. "Ils disaient donc Où est-il? Et il y avait un grand murmure à cause de lui dans la foule". D'où provenait ce murmure? De leur désaccord. Et pourquoi ce désaccord? "Parce que les uns disaient: Il est bon, et les autres répondaient: Non, il séduit le peuple". Il faut appliquer ces paroles à tous ses membres, car d'eux tous on le dit encore aujourd'hui. Qu'une grâce spirituelle se fasse remarquer en quelqu'un, les uns disent: "Il est bon", les autres s'écrient: "Non, il séduit la foule". D'où cela vient-il? De ce que "notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ (3)". Les hommes ne disent-ils pas aussi pendant l'hiver: Cet arbre est mort? Ce figuier, par exemple, ce poirier ou tout autre arbre fruitier ressemble à un arbre sec, et tant que dure l'hiver, la vie ne se manifeste nullement en eux; mais en été, on l'y aperçoit, comme au jugement on verra

1. Mt 5,6.- 2. 1Co 10,4 Nb 20,11.- 3 Col 3,3.

que nous vivons; notre été, ce sera le moment de la manifestation du Christ. "Dieu, notre Dieu, viendra publiquement, et il ne gardera pas le silence (1). Un feu dévorant marchera devant lui"; et ce feu "consumera ses ennemis (2)". Il réduira en cendres les arbres arides. On reconnaîtra les arbres arides, quand le souverain Juge dira: "J'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger"; de l'autre côté, c'est-à-dire à la droite, apparaîtront la multitude des fruits et la beauté des feuilles: leur verdeur ne sera autre chose que l'éternité. Aux uns il sera dit comme à du bois sec: "Allez au feu éternel (3). Voilà que la hache est déjà placée à la racine de l'arbre, et tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu (4)". Que les hommes disent donc de toi, si tu profites en Jésus-Christ, qu'ils disent: "Il séduit la foule". On en dit autant de Jésus. Christ lui-même et de son corps. Rappelle-toi que le corps du Christ est encore en ce monde, qu'il se trouve encore dans l'aire; remarque aussi comment le froment y est injurié parla paille: on les foule tous les deux aux pieds; la paille est écrasée, le froment est débarrassé de son enveloppe. Ce qui a été dit du Seigneur doit, par cela même, être un sujet de consolation pour tout chrétien contre qui se disent les mêmes choses.

12. "Toutefois, nul ne parlait ouvertement "de lui, dans la crainte des Juifs". Mais quels étaient ceux qui gardaient le silence à son égard, dans la crainte des Juifs? Evidemment, c'étaient ceux qui avaient dit: "Il est bon"; et non pas ceux qui avaient dit: "Il séduit la foule". Les paroles de ceux-ci faisaient un bruit pareil au bruit des feuilles sèches. On entendait clairement ces mots: "Il séduit la foule"; ces autres: "Il est bon", passaient plus rapides, et comme un simple murmure, Mais aujourd'hui, mes frères, quoique n'ait point encore apparu cette gloire du Christ où nous puiserons l'immortalité, aujourd'hui son Eglise se dilate à tel point, et, par sa grâce, se répand de telle manière en tous lieux, qu'à peine on entend dire: "Il séduit la foule", et que de toutes parts retentissent hautement ces autres paroles: " Il est bon".

1. Ps 49,3. - 2. Ps 96,3. - 3. Mt 25,42.- 4. Mt 3,10.





Augustin sur Jean 27