Augustin sur Jean 69

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SOIXANTE-NEUVIÈME TRAITÉ

Jn 14,4-6

LE CHRIST, VOIE, VÉRITÉ ET VIE

SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR: "ET VOUS SAVEZ OU JE VAIS, ET VOUS EN SAVEZ LA VOIE", JUSQU'A CES AUTRES: "PERSONNE NE VIENT AU PÈRE QUE PAR MOI".


Jésus-Christ la Voie, la Vérité et la Vie; c'est donc par lui que nous irons occuper la place qu'il nous prépare au ciel, et c'est à lui que nous irons: de même son humanité sainte a été élevée au ciel par là puissance du Verbe, et s'est trouvée unie à lui dans le séjour de la gloire.



1. Maintenant, mes très-chers frères, il faut, autant que possible, arriver à comprendre les premières paroles de Notre-Seigneur au moyen des dernières, et celles qu'il a dites auparavant par celles qu'il a prononcées ensuite; pour cela, nous nous appuierons sur la réponse qui a été faite à l'apôtre Thomas. Un peu auparavant, en parlant des demeures qu'il disait être dans la maison de 'son Père, le Christ avait affirmé qu'il allait les préparer; de là, nous avons conclu et que ces demeures existent déjà par la prédestination, et qu'elles se préparent quand la foi purifie les tueurs de ceux qui doivent y habiter; la raison en est que ces sortes de personnes sont la maison même de Dieu. Et encore, demeurer dans fa maison de Dieu, qu'est-ce autre chose, que faire partie du peuple de Dieu, puisque: ce peuple est en Dieu et que Dieu est en lui? Pour préparer ces demeures, le Seigneur s'en alla donc, et ainsi, en croyant en lui puisqu'on ne le voyait plus, on pouvait préparer par la foi cette demeure où l'on verra éternellement Dieu face à face. C'est pourquoi il avait dit: "Et quand je m'en serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez vous-mêmes où je serai. Vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie. Sur cela, Thomas lui dit: Seigneur, nous ne savons où vous allez, et comment pouvons-nous en connaître la voie?" Le Seigneur avait dit qu'ils savaient l'un et l'autre, et Thomas répond qu'ils ignorent, et le lieu où il va, et la voie qui y conduit. Mais le Seigneur ne sait pas mentir: ils savaient donc ces choses;



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mais ils ignoraient qu'ils les savaient. "Jésus lui dit: Je suis la voie, et la vérité, et la vie". Eh quoi, mes frères? nous avons entendu la question du disciple, nous avons aussi entendu l'enseignement du Maître et nous n'en comprenons pas encore le sens caché, même après avoir entendu ses paroles retentir à nos oreilles? Mais qu'est-ce donc que nous ne pouvons comprendre? Est-ce que ses Apôtres, avec lesquels il parlait, pouvaient lui dire: Nous ne vous connaissons pas? Si donc ils le connaissaient, puisqu'il est lui-même la voie, ils connaissaient la voie; s'ils le connaissaient, puisqu'il est lui-même la vérité, ils connaissaient la vérité; s'ils le connaissaient, puisqu'il est la vie, ils connaissaient la vie. Les voilà donc convaincus de savoir ce qu'ils ignoraient savoir.

2. Pour nous, mes frères, y a-t-il, à votre avis, dans ce discours quelque chose que nous n'ayons pas compris? N'est-ce pas ce qu'il leur dit: "Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie?" Et nous venons de voir qu'ils connaissaient la voie, parce qu'ils le connaissaient lui-même, et qu'il est la voie. Mais si la voie est le chemin par lequel on marche, est-elle aussi le lieu où l'on va? Or, il avait dit qu'ils connaissaient ces deux choses: et où il va, et la voie qui y conduit; il lui fallait donc dire: "Je suis la voie", pour leur montrer que, puisqu'ils le connaissaient, ils connaissaient la voie qu'ils croyaient ignorer; mais pourquoi dire: "Je suis la voie, et la vérité et la vie", puisque, étant connu le chemin par lequel il marchait, il ne restait à connaître que l'endroit où il allait, sinon parce qu'il allait à la vérité, à la vie? Il allait donc à lui-même, par lui-même, et nous, où allons-nous, si ce n'est à lui-même? et par où y allons-nous, si ce n'est par lui-même? Il va donc à lui-même par lui-même; et nous, nous allons à lui-même par lui-même, et c'est aussi par lui-même que, lui et nous, nous allons au Père. Ailleurs en effet il dit de lui-même: "Je vais au Père (1)"; et ici il dit en parlant de nous: "Personne ne vient au Père, si ce n'est par moi". Ainsi c'est par lui-même qu'il va à lui-même et au Père, et nous, c'est par lui-même que nous allons à lui-même et au Père. Mais ces choses, qui les comprend? Celui-là seul qui a le sentiment des choses spirituelles; et encore, qu'est-ce



1. Jn 16,10.


que comprend à cela, celui-là même qui a le sentiment des choses spirituelles? Mes frères, pourquoi voulez-vous que je vous explique ces choses? considérez combien elles sont élevées. Vous voyez ce que je suis; je vois ce que vous êtes. En nous tous, ce corps de corruption appesantit l'âme, et cette habitation de boue abat l'esprit capable des plus hautes pensées (1). Croyons-nous pouvoir dire: "J'ai élevé mon âme vers vous, qui habitez dans le ciel (2)?" Mais accablé par ce pesant fardeau sous lequel nous gémissons, comment élèverai-je mon âme, si celui qui a donné son âme pour moi n'élève la mienne avec moi? Je dirai donc ce que je pourrai; que parmi vous comprenne qui pourra. C'est celui par la grâce de qui je parle, qui, par sa grâce, donne l'intelligence à celui qui comprend, et la foi à celui qui ne comprend pas. Car, "si vous ne croyez", dit un Prophète, "vous ne comprendrez pas (3)".

3. Dites-moi, mon Dieu, ce que je dois dire à vos serviteurs avec lesquels je vous sers moi-même. L'apôtre Thomas, pour vous interroger, vous avait devant lui, et cependant il ne vous aurait pas compris, s'il ne vous avait pas eu au dedans de lui-même. Pour moi, je vous interroge, parce que je sais que vous êtes au-dessus de moi; je vous interroge, je m'efforce autant qu'il est en moi d'élever mon âme au-dessus de moi, et de pouvoir ainsi entendre, sinon votre parole, du moins vos instructions. Dites-moi, je vous en supplie, comment vous allez à vous-même? Est-ce que, pour venir à nous, vous vous êtes quitté vous-même; surtout que vous n'êtes pas venu de vous-même, mais que le Père vous a envoyé? Je sais que vous vous êtes anéanti; parce que vous avez pris la forme d'esclave (4), mais non parce que vous vous seriez dépouillé de la forme de Dieu pour avoir besoin d'y revenir, ou que vous l'auriez perdue pour avoir à la reprendre. Vous êtes néanmoins venu: non-seulement vous vous êtes montré à des yeux de chair, mais vous vous êtes laissé toucher par des mains d'hommes. Comment cela, sinon par votre chair? C'est par elle que vous êtes venu, tout en restant où vous étiez; c'est par elle que, sans nous quitter, vous êtes retourné à l'endroit d'où vous étiez venu. Si donc c'est par votre



1. Sg 9,15. - 2. Ps 122,1. - 3 Is 7,9 selon les septante. - 4. Ph 2,7.


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chair que vous êtes venu et que vous êtes retourné, c'est par elle, assurément, non-seulement que vous êtes pour nous la voie par laquelle nous viendrons à vous, mais que pour vous-même vous avez été la voie par laquelle vous êtes venu et retourné. Mais comme vous êtes allé à la vie, que vous êtes vous-même la vie, vous avez conduit de la mort à la vie cette même chair qui était la vôtre. En effet, autre chose est le Verbe de Dieu, autre chose est l'homme. Mais le Verbe s'est fait chair, c'est-à-dire homme. C'est pourquoi autre n'est pas la personne du Verbe, autre la personne de l'homme; car l'un et l'autre forment Jésus-Christ, qui est une seule personne; par là, de même que quand en lui la chair est morte, Jésus-Christ est mort, et que quand la chair a été ensevelie, Jésus-Christ a été enseveli (c'est ainsi, en effet, que nous le croyons de coeur pour être justifiés, et que nous le confessons de bouche pour être sauvés (1) ); de même, quand la chair est passée de la mort à la vie, Jésus-Christ est revenu à la vie. Comme d'ailleurs Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, il est la vie. Ainsi est revenu à lui-même, d'une façon admirable et incompréhensible, celui qui ne s'était ni quitté ni perdu lui-même. Par sa chair, comme il a été dit, Dieu était venu vers les hommes, et la vérité vers les menteurs: car Dieu est vérité, et tout homme est menteur (2). Lors donc qu'il enleva du milieu des hommes et qu'il éleva sa chair jusqu'au séjour où personne ne ment; lui-même, puisque le Verbe s'est fait chair par lui-même, c'est-à-dire par sa chair, il est revenu vers la vérité qui est lui-même.



1. Rm 10,10. - 2. Rm 3,4.


Toutefois se trouvant au milieu des menteurs, il garda cette vérité jusque dans les bras de la mort: Jésus-Christ a été en effet mort pendant quelque temps, mais il n'a jamais été séparé de la vérité.

4. Ecoutez une comparaison bien éloignée et bien disproportionnée; mais telle qu'elle est elle servira à vous faire comprendre Dieu, bien qu'elle soit tirée des choses placées immédiatement au-dessous de Dieu. Me voici moi-même, quant à ce qui regarde mon esprit, je suis ce que vous êtes vous-mêmes. Si je me tais, je suis en moi-même: si je vous dis une chose que vous comprenez, je m'avance en quelque sorte vers vous, et je ne me quitte pas moi-même; mais je m'approche de vous et je ne m'éloigne pas du lieu d'où je viens. Que si ensuite je garde le silence, je reviens d'une certaine façon à moi-même, et en quelque manière je reste avec vous, si vous retenez ce que vous m'avez entendu dire. Mais s'il peut en être ainsi de l'image que Dieu a faite, pourquoi n'en serait-il pas de même de cette image qui n'a pas été faite par Dieu, mais qui, étant l'image de Dieu et Dieu elle-même, est née de Dieu, de cette image dont le corps, par le moyen duquel il est venu à nous, et dans lequel il s'est éloigné de nous, n'est pas comme le son passager sorti de ma bouche, mais demeure où il ne mourra plus, et où la mort n'aura plus d'empire sur lui (1)? On pourrait et l'on devrait peut-être dire bien d'autres choses sur ces paroles de l'Evangile. Mais il ne faut pas surcharger vos coeurs d'aliments spirituels, si agréables qu'ils vous paraissent; car si l'esprit est prompt, la chair est faible (2).



1. Rm 6,9. - 2. Mt 26,41.




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SOIXANTE-DIXIÈME TRAITÉ

Jn 14,7-10

LE FILS SEMBLABLE AU PÈRE

SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR: "SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ AUSSI CONNU MON PÈRE", JUSQU'A CES AUTRES: "NE CROYEZ-VOUS PAS QUE JE SUIS DANS LE PÈRE, ET QUE LE PÈRE EST EN MOI?"


Il est la voie qui conduit au Père, et comme il lui est en tout semblable, puisqu'il a la même nature divine, celui qui le connaît connaît aussi le Père sans l'avoir vu.



1. Les paroles du saint Evangile, mes frères, ne sont bien comprises qu'autant qu'entre celles qui précèdent et celles qui suivent il y a parfait accord. Quand la vérité parle, il doit y avoir accord entre ce qui précède et ce qui suit. Plus haut, Notre-Seigneur avait dit: "Après que je m'en serai allé, et vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez vous-mêmes où je serai". Ensuite il avait ajouté: "Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie". Ces paroles ne signifiaient rien autre chose, comme il le montra, que ceci: Ils le connaissaient lui-même. Ce que c'était qu'aller à lui-même par lui-même (et voilà ce qu'il accorde à ses disciples; il les fait aller à lui-même par lui-même), nous vous l'avons expliqué comme nous avons pu dans le précédent discours. Remarquez le sens de ces mots: "Afin que où je suis moi-même, vous soyez vous aussi"; où devaient-ils se trouver, sinon en lui-même? lui-même est en lui-même; et dès lors qu'ils seront, eux aussi, où il est lui-même, ils seront en lui. Il est donc lui-même la vie éternelle, dans laquelle nous nous trouverons, quand il nous aura reçus auprès de lui. Or, cette vie éternelle, qui est lui-même, est en lui, afin que où il est lui-même, nous soyons nous aussi, c'est-à-dire en lui. "Et comme le Père a la vie en lui-même (1)", et que la vie qu'il a n'est autre chose que lui-même puisqu'il la possède, "de même il a donné au Fils d'avoir en lui-même la vie", puisqu'il est lui-même la vie qu'il a en lui-même. Mais est-ce que nous-mêmes nous serons cette vie qu'il est



1. Jn 5,26.


lui-même, quand nous commencerons à être dans cette vie, c'est-à-dire en lui-même? Non, certes, parce que lui-même, étant la vie, possède en lui la vie, et il est lui-même ce qu'il a, et ce que la vie est en lui, il l'est lui-même en lui-même. Mais nous, nous ne sommes pas la vie elle-même, nous ne sommes que participants de sa propre vie à lui, et là nous serons de telle sorte, non pas que nous puissions être en nous-mêmes ce qu'il est lui-même, mais que n'étant pas nous-mêmes la vie, nous ayons pour vie Celui qui possède en lui la vie qui est lui-même, parce qu'il est lui-même la vie. Enfin il est dans lui-même sans pouvoir changer, et dans le Père sans pouvoir s'en séparer. Mais nous, si nous voulions être en nous-mêmes, nous nous troublerions en nous-mêmes; de là cette parole: "Mon âme a été troublée en moi-même (1)", et changés en quelque chose de pire, nous ne pourrions pas rester ce que nous sommes. plais quand par lui-même nous serons venus au Père, ainsi qu'il le dit: "Personne ne vient au Père, si ce n'est par moi"; dès lors que nous resterons en lui, personne ne pourra nous séparer ni du Père, ni de Lui.

2. Unissant donc les paroles suivantes à ce qui précède, Notre-Seigneur ajoute: "Si vous m'avez connu, assurément vous avez aussi connu mon Père". C'est la même chose que ce qu'il a dit: "Personne ne vient au Père, sinon par moi". Il ajoute ensuite:

"Et bientôt vous le connaissez et vous l'avez vu". Mais Philippe, un des Apôtres, ne comprenant pas ce qu'il venait d'entendre, lui dit: "Seigneur, montrez-nous le Père, et il



1. Ps 41,7.


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nous suffit". A quoi le Seigneur répond: "Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m'avez pas connu, Philippe? Qui me voit, voit aussi le Père". Il leur reproche qu'après avoir été si longtemps avec lui, ils ne le connaissaient pas; mais ne venait-il pas de leur dire: "Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie"; et comme ils disaient ignorer ces choses, ne les avait-il pas convaincus qu'ils les savaient, en ajoutant ces mots: "C'est moi qui suis la voie, la vérité et la vie?" Comment maintenant dit-il: "Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m'avez pas connu?" Car s'ils savaient où il allait, s'ils connaissaient la voie, n'était-ce point parce qu'ils le connaissaient lui-même? Mais cette difficulté se résout facilement, si l'on dit que certains de ses disciples le connaissaient, que d'autres ne le connaissaient pas, et que parmi ceux-ci se trouvait Philippe. Comprenez-le donc, il adressait ces mots: "Et vous savez où je vais, et vous savez la voie", à ceux qui le connaissaient, et non à Philippe, puisqu'il lui disait: "Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m'avez pas connu, Philippe?" Pour ceux qui connaissaient déjà le Fils, il leur adressa cette parole relative au Père: "Et bientôt vous le connaîtrez, et vous l'avez vu". Notre-Seigneur parlait ainsi, à cause de la ressemblance si parfaite qui existe entre le Père et lui; et cette ressemblance était si grande, qu'à vrai dire ils connaissaient le Père, puisqu'ils connaissaient le Fils qui est son image parfaite. Si tous ne connaissaient pas le Fils, ceux-là, du moins, le connaissaient, auxquels il dit: "Et vous savez où je "vais, et vous savez la voie u, puisqu'il est lui-même la voie. Mais ils ne connaissaient pas le Père; c'est pourquoi il leur dit: "Si vous m'avez connu, vous avez aussi connu mon Père". C'est par moi que vous l'avez connu lui-même. Car autre je suis moi-même, autre est le Père. Mais, pour les empêcher de le croire dissemblable au Père, il ajoute: "Et bientôt vous le connaîtrez, et vous l'avez a vu". Ils avaient vu en effet son Fils qui lui est entièrement semblable; mais il fallait les avertir que le Père, qu'ils ne voyaient pas encore, était semblable au Fils qu'ils voyaient. Et c'est ce que signifie ce que Jésus dit ensuite à Philippe . "Qui me voit, voit aussi le Père". Non pas qu'il fût tout à la fois le Père et le Fils, erreur que la foi catholique condamne dans les Sabelliens, qu'on appelle aussi Patripassiens, mais parce que le Père et le Fils sont à tel point semblables, que qui connaît l'un, les connaît tous les deux. En parlant de deux personnes absolument semblables, voici ce que nous disons à ceux qui voient l'une et veulent savoir quelle est l'autre: En voyant l'une, vous voyez l'autre. C'est en ce sens que Jésus dit: "Qui me voit, voit aussi le Père"; cela veut dire, non pas, que celui qui est le Fils soit aussi le Père, mais que le Fils ne diffère en rien du Père. Car si le Père et le Fils ne faisaient pas deux, il ne serait pas dit: "Si vous m'avez connu vous avez connu aussi mon Père". Aussitôt, en. effet, après avoir dit: "Personne ne vient au Père, sinon par moi", il ajoute: "Si vous m'avez connu, vous avez connu aussi mon Père": parce que moi, par qui on vient au Père, je vous conduirai à lui, afin que vous le connaissiez lui-même. Mais parce que je lui suis tout à fait semblable, "bientôt vous le connaîtrez", puisque vous me connaissez: "et vous l'avez vu", si vous m'avez vu des yeux du coeur.

3. Pourquoi me dis-tu donc, Philippe: "Montrez-nous le Père, et il nous suffit? Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m'avez pas connu, Philippe? Qui me voit, voit aussi le Père". Si c'est encore beaucoup pour toi de comprendre pareille chose, crois, du moins, ce que tu ne comprends pas. Comment me dis-tu: "Montrez-nous le Père?" Si tu m'as vu, moi qui lui suis parfaitement semblable, tu as vu Celui auquel je ressemble; et si tu ne peux comprendre encore, "ne crois-tu pas", du moins, "que je suis dans le Père, et que le Père est en moi?" Ici Philippe aurait pu répondre: Je vous vois, à la vérité, et je vous crois parfaitement semblable au Père; mais est-il blâmable et mérite-t-il des reproches celui qui de deux personnes semblables aperçoit l'une, et désire aussi voir l'autre? Je connais l'un des semblables, mais je ne connais encore que l'un sans l'autre; il ne me suffit pas de connaître l'un, si je ne connais pas l'autre. C'est pourquoi a montrez-nous le "Père, et il nous suffit u. Mais le Maître ne reprenait son disciple, que parce qu'il voyait le coeur de son interlocuteur. Philippe désirait connaître le Père, parce qu'il croyait le (10) Père meilleur que le Fils; il ne connaissait donc pas même le Fils, puisqu'il s'imaginait qu'il y avait quelque chose de supérieur à lui. C'est pour redresser ses idées à ce sujet que Jésus lui dit: "Qui me voit, voit aussi le Père. Comment dis-tu: montrez-nous le Père?" Je vois bien comment tu le dis; tu demandes à voir, non pas une personne qui soit semblable au Fils, mais une personne meilleure que le Fils. "Ne crois-tu pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi?" Pourquoi veux-tu voir de la différence dans deux sujets en tout semblables? pourquoi veux-tu connaître séparément ceux qui sont inséparables? Ensuite, s'adressant non plus à Philippe, mais à tous les disciples, Notre-Seigneur leur dit des choses qu'il ne faut pas discuter dans le peu de temps qui nous reste; nous voulons les expliquer avec plus de soin, s'il veut bien nous accorder son secours.



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SOIXANTE ET ONZIÈME TRAITÉ

Jn 14,10-14

LE FILS ENGENDRÉ DU PÈRE

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR: "LES PAROLES. QUE JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE MOI-MÊME", JUSQU'À CES AUTRES: "SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE, EN MON NOM, JE LE FERAI".



Le Fils est égal et semblable au Père, c'est pourquoi ils sont inséparables et l'un dans l'autre. Néanmoins, comme le Fils n'est pas de lui-même, puisqu'il a été engendré par le Père, les paroles qu'il dit et les oeuvres qu'il fait viennent du Père: ceux qui ont la foi font des oeuvres en paroles et en actions aussi grandes et même plus grandes que celles du Fils.



1. Ecoutez de toutes vos oreilles et recueillez dans vos esprits, mes très-chers frères, ce que je vais vous dire, mais ce que nous enseigne Celui-là même qui ne s'éloigne pas de nous. Notre-Seigneur dit, comme vous l'avez entendu dans la lecture qu'on vient de vous faire: "Les paroles que je vous adresse, je ne les dis pas de moi-même; mais mon Père qui demeure en moi fait les oeuvres que je fais". Les paroles sont donc des oeuvres? Oui, il en est ainsi. Car assurément celui qui, en parlant, édifie le prochain, fait une bonne oeuvre. Mais que veulent dire ces mots: "Je ne parle pas de moi-même?" Le voici: moi qui parle je ne suis pas de moi-même. Il attribue ce qu'il fait à celui dont il est lui-même, lui qui agit. En effet, Dieu le Père n'est d'aucun autre; Dieu le Fils est, sans doute, égal au Père, mais il est de Dieu le Père. Le Père est Dieu, mais non pas de Dieu; Lumière, mais non pas de lumière; le Fils, au contraire, est Dieu de Dieu, lumière de lumière.

2. Les hérétiques s'attachent à chacune de ces paroles prononcées par Notre-Seigneur; à la première: "Je ne parle pas de moi-même"; à la seconde: "Mais le Père qui demeure en moi, fait les oeuvres que "je fais"; ils partent de là pour s'élever contre nous, et quoique peu d'accord ensemble, mais bien par des chemins opposés, ils s'éloignent également de la voie de la vérité. Les Ariens disent, en effet: Voici bien que le Fils est inégal au Père; il ne parle pas de lui-même. Les Sabelliens, autrement dit les Patripassiens, disent au contraire: Voici que Celui qui est le Père est aussi le Fils. Car que signifient ces paroles: "Le Père, qui demeure en moi, fait les oeuvres que je fais?" Je demeure en moi-même, moi qui fais les oeuvres. Vous dites ainsi des choses opposées l'une à l'autre, non pas comme le faux est opposé au vrai, mais comme deux choses fausses sont opposées entre elles. Dans votre erreur vous avez pris des routes opposées;au milieu d'elles se trouve le chemin (11) que vous avez abandonné. Vous êtes bien plus éloignés les uns des autres, que vous ne l'êtes de la voie que vous avez quittée. Vous qui êtes de ce côté, vous qui êtes de cet autre, venez à nous, ne cherchez pas à aller d'un côté à l'autre, mais de chaque côté venez à nous, et vous vous rejoindrez tous. Sabelliens, reconnaissez Celui que vous supprimez; Ariens, égalez au Père Celui que vous mettez au-dessous de lui, et vous marcherez avec nous dans le vrai chemin. Il y a, en effet, dans les dires de chacun de vous, de quoi vous redresser les uns les autres. Ecoute, Sabellien: il est si vrai que le Fils n'est pas le Père, mais bien une autre personne, que les Ariens le proclament inférieur au Père. Ecoute, Arien: il est si vrai que le Fils est égal au Père, que les Sabelliens disent qu'il est le même que le Père. Toi, ajoute Celui que tu supprimes; toi, laisse dans son intégralité Celui que tu diminues, et tous les deux vous serez d'accord avec nous, parce que toi tu -ne supprimes pas; et toi tu ne diminues pas Celui qui est une autre personne que le Père, contrairement à l'opinion du Sabellien, et qui est égal au Père, contrairement à l'erreur de l'Arien. Aux uns et aux autres il crie, en effet "Le Père et moi nous sommes un (1)". Quand il dit: "un", que les Ariens l'entendent; "quand il dit: "Nous sommes", que les Sabelliens l'écoutent, et qu'ils ne tombent pas dans leur vaine erreur, les uns en niant qu'il soit égal au Père, et les autres en niant qu'il soit une personne distincte. Si ces mots de Notre-Seigneur: "Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même", font penser que le Fils n'est pas égal au Père, comme s'il ne faisait pas ce qu'il veut, écoutez ce qu'il dit ailleurs: "Comme le Père ressuscite "les morts et les vivifie, de même aussi le "Fils vivifie ceux qu'il veut". Si, encore, parce qu'il a dit: "Le Père, qui demeure en "moi, fait les oeuvres que je fais", on s'imagine que autre n'est pas le Père et autre le Fils, on fera bien d'écouter ce qu'il a dit ailleurs: "Toutes les choses que le Père fait, le Fils aussi les fait également (2)". Par là on verra que le même ne fait pas deux fois une chose, mais qu'il y a deux personnes pour faire une seule et même chose. Mais comme l'un est égal à l'autre, de telle sorte pourtant que l'un vient de l'autre, il ne parle pas de



1. Jn 10,30. - 2. Jn 5,19-21.


lui-même, parce qu'il n'est pas de lui-même, et le Père, qui demeure en lui, fait les oeuvres lui-même, parce que celui par qui et avec qui il les fait, n'est pas d'un autre que de lui. Enfin, Jésus-Christ ajoute: "Ne croyez-vous "pas que je suis dans le Père et que le Père "est en moi? Au moins, croyez-le à cause "des oeuvres que je fais". Tout à l'heure, Philippe seul recevait une réprimande; mais il paraît, par ces mots, qu'il ne;devait pas être seul à se voir réprimandé. "A cause des oeuvres que je fais", dit Jésus, "croyez que "je suis dans le Père, et que le Père est en moi". Car, si nous étions séparés l'un de l'autre, nous ne pourrions en aucune façon agir d'une manière inséparable.

3. Mais que veut dire ce qui suit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais, et il en fera aussi de plus grandes, parce que je vais à mon Père. Et toutes les choses que vous demanderez à mon Père en mon nom, je les ferai. Afin que le Père soit glorifié dans le Fils, si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai?" Il a donc promis de faire aussi lui-même ces choses plus grandes. Que le serviteur ne s'élève pas au-dessus du Seigneur, et le disciple au-dessus du maître (1). Il dit qu'ils feront des choses plus grandes que celles qu'il fait lui-même. Mais ce sera lui qui les fera en eux ou par eux, et non pas eux qui les feront comme d'eux-mêmes. C'est à lui que s'adresse le Prophète dans ce passage du psaume: "Je vous aimerai, Seigneur, qui êtes ma force (2)". Mais enfin, quelles sont donc ces "oeuvres plus grandes? Fait-il allusion aux guérisons de malades qu'opérera plus tard leur ombre quand ils passeront quelque part (3)? C'est, en effet, un plus grand miracle de les guérir par son ombre que par l'attouchement de sa robe (4). Notre-Seigneur a fait ce dernier miracle par lui-même, et le premier par ses disciples; et cependant c'est lui qui les a faits tous les deux. Mais, en réalité, quand il parlait ainsi, il voulait parler des oeuvres de ses paroles; il dit, en effet: "Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même; mais le Père qui demeure en moi, fait les oeuvres que je fais". De quelles oeuvres voulait-il parler, si ce n'est des paroles



1. Jn 13,16. - 2. Ps 17,2. - 3. Ac 5,15. - 4. Mt 14,36.


12



qu'il proférait? Ils l'entendaient et ils croyaient en lui, et le fruit de ses paroles, c'était leur foi; mais quand les Apôtres annoncèrent l'Evangile, ce ne fut pas un petit nombre comme le leur, mais l'univers, la gentilité tout entière qui crut en lui. Voilà, évidemment, quelles plus grandes choses ils devaient opérer. Et cependant Notre-Seigneur ne dit pas: Vous ferez encore de plus grandes choses; car il ne voulait pas que nous crussions que les Apôtres seuls devaient les faire; mais il dit "Celui qui croit en moi fera les oeuvres que a je fais, et il en fera de plus grandes". Est-ce à dire que quiconque croit en Jésus-Christ fait ce qu'a fait Jésus-Christ, et opère même des choses plus grandes que les prodiges opérés par Jésus-Christ? Ce n'est pas là un sujet à traiter en passant et avec précipitation; la nécessité de finir ce discours nous oblige à remettre la chose à une autre fois.



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SOIXANTE-DOUZIÈME TRAITÉ

SUR LA MÊME LEÇON.

Jn 14,12

GRANDES OEUVRES DES CROYANTS.


D'après la parole infaillible de Jésus-Christ, celui qui croit, fait des oeuvres aussi grandes et même plus grandes que celles qu'opère le Fils de Dieu, puisque ses fidèles ont converti le monde, fait pratiquer des vertus inouïes, et que ceux qui ont cru en lui se sont changés eux-mêmes, mais avec sa grâce.


1. Que signifie, et en quel sens faut-il entendre ce que dit Notre-Seigneur: "Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais aussi?" c'est ce qu'il n'est pas facile de comprendre. Comme si ce passage n'était pas déjà suffisamment obscur par lui-même, le Christ y ajoute d'autres paroles encore plus obscures: "Et il fera de plus grandes choses encore". Qu'est-ce que cela veut dire? Nous ne trouvions personne capable de faire les oeuvres que Jésus-Christ faisait, trouverons-nous quelqu'un pour en faire de plus grandes? Nous avions déjà dit dans le discours précédent que c'était un plus grand miracle de guérir les malades par sa seule ombre, en passant, comme font fait les disciples (1), que de les guérir par l'attouchement de sa robe, comme l'a fait Notre-Seigneur (2); et comme il y eut un plus grand nombre d'hommes pour croire à la prédication des Apôtres que pour croire à celle de Notre-Seigneur lui-même, c'était là, avons-nous dit encore, ce qu'il nous fallait entendre par ces oeuvres plus grandes. Il ne faut pas, néanmoins, s'y tromper: ni le disciple n'est plus



1. Ac 5,15. - 2. Mt 14,36.


grand que le maître, ni le serviteur que le Seigneur, ni le fils adopté que le Fils unique, ni l'homme que Dieu lui-même; mais Jésus daignait faire par eux-mêmes de plus grandes choses; car il leur dit, en un autre endroit: "Sans moi vous ne pouvez rien faire (1)". Effectivement, sans parler de choses qui sont en nombre infini, il a fait ses disciples sans leur intermédiaire: saris eux il a fait le monde, et comme il a daigné se faire homme, il s'est encore fait lui-même sans eux. Pour eux, qu'ont-ils fait sans lui, si ce n'est le péché? Enfin, ce qui dans ce passage aurait pu nous embarrasser à ce sujet, il le fait bientôt disparaître; car, après avoir dit: "Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes", il ajoute aussitôt "Parce que moi je vais au Père, et toutes les choses que vous demanderez à mon Père en mon nom, je les ferai". Il avait dit: "Il fera"; il dit ensuite: "Je ferai". C'est comme s'il disait: Que cela ne vous paraisse pas impossible. Car celui qui croit en moi ne pourra jamais être plus grand que moi; mais c'est moi qui ferai alors des oeuvres plus



1. Jn 15,5.


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grandes que celles que je fais maintenant; je ferai des oeuvres plus grandes par celui qui croit en moi, que je n'en ai fait sans lui et par moi-même. Cependant, c'est toujours moi qui agis sans lui, comme c'est toujours moi qui agis par lui; mais quand j'agirai sans lui, il ne les fera pas lui-même. Quand j'agirai par lui, il ne les fera point par lui-même, mais il les fera lui-même. Or, faire de plus grandes choses par lui que sans lui, ce n'est point de ma part un abaissement, mais une condescendance. Car, qu'est-ce que les serviteurs du Seigneur peuvent lui rendre pour tout le bien qu'il leur a fait (1)? Entre tous ses dons, le moindre n'est pas d'avoir daigné leur accorder de faire par eux-mêmes des oeuvres plus grandes que celles qu'il avait faites sans eux. Le jeune riche, qui lui demandait le moyen d'acquérir la vie éternelle, ne s'éloigna-t-il pas tout triste après l'avoir entendu (2)? Il l'entendit et s'éloigna. Et cependant, ce qu'un seul n'a pas fait après avoir entendu le Maître lui-même, une foule d'autres l'ont fait, lorsque ce bon maître leur a parlé par ses disciples: méprisé par le riche qu'il avertit lui-même, il a été aimé de ceux qui, étant riches, ont embrassé la pauvreté à la voix de gens pauvres. Ainsi il a fait de plus grandes choses par la prédication de ceux qui ont cru en lui, qu'il n'en a fait par lui-même sur ceux qui l'entendaient.

2. Mais voici encore une difficulté qui m'embarrasse, c'est qu'il a fait ces plus grandes choses par l'entremise de ses Apôtres, et pourtant il ne faisait pas allusion à eux seuls, et n'a pas dit: Vous ferez les oeuvres que je fais, et vous en ferez même de plus grandes. Mais il parlait de tous ceux qui appartiennent à sa famille, et il voulait qu'on le comprit bien; c'est pourquoi il dit: "Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes encore". Si donc quiconque croit, fera ces oeuvres, il va de soi que celui qui ne les fait pas ne croit pas. Ainsi il dit ailleurs: "Celui qui m'aime garde mes commandements (3)", d'où il suit assurément que celui qui ne les garde pas, ne l'aime pas. De même il dit en un autre endroit: "Celui qui écoute les paroles que je dis et les pratique, je le comparerai à l'homme prudent qui bâtit sa maison sur la pierre (4)". Donc



1. Ps 115,12. - 2. Mt 19,16-22. - 3. Jn 14,21. - 4. Mt 7,24.


celui qui n'est pas semblable à cet homme prudent, ou bien entend ces paroles sans les pratiquer, ou bien ne les entend pas du tout. "Celui qui croit en moi", dit-il, "quand il serait mort, vivra (1)". Celui donc qui ne vivra pas, ne croit pas: c'est évident, il en est de même pour ces paroles: "Celui qui croit en moi, fera les oeuvres"; assurément celui qui ne les fera pas ne croit pas. Mais qu'est-ce que cela veut dire, mes frères? Faut- il ne point compter au nombre de ceux qui croient en Jésus-Christ celui qui n'a pas fait des oeuvres plus grandes que celles de Jésus-Christ? Ce serait dur, absurde, intolérable; pour supporter une pareille doctrine, il faut la comprendre. Ecoutons donc l'Apôtre: "L'homme qui croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice (2)". Dans cette oeuvre, faisons les oeuvres de Jésus-Christ; car croire en Jésus-Christ, c'est faire l'oeuvre de Jésus-Christ. Cette oeuvre, il l'opère en nous, mais non pas sans nous. Maintenant donc, écoute et comprends: "Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais moi-même". Je les fais d'abord, ensuite il les fera lui-même, parce que je fais en sorte qu'il les fasse. Et quelles sont ces oeuvres? N'est-ce pas de pécheur devenir juste?

3. "Et il en fera de plus grandes" . De quelles oeuvres est-il ici question, je vous le demande? Est-ce que celui qui opère son salut avec crainte et tremblement fait des oeuvres plus grandes que toutes celles de Jésus-Christ (3)? Cette oeuvre du salut, Jésus-Christ la fait lui-même en lui, mais non sans lui. Or, je n'hésite pas à le dire: c'est là une oeuvre plus grande que la création du ciel et de la terre, et de tout ce que nous voyons dans le ciel et sur la terre. En effet, le ciel et la terre passeront (4), mais le salut et là justification des prédestinés, c'est-à-dire de ceux que Dieu connaît d'avance, demeureront toujours. Dans le ciel et la terre nous voyons l'oeuvre de Dieu, mais dans les élus nous voyons l'image de Dieu. Dans le ciel se trouvent les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances; les Archanges et les Anges, qui sont des oeuvres de Jésus-Christ. Fait-il une oeuvre plus grande que la création de ces esprits, celui qui, avec la coopération de Jésus-Christ, assure son salut éternel et sa justification? Je



1. Jn 11,25. - 2. Rm 4,5. - 3. Ph 2,12. - 4. Mt 24,35.


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n'ose pas vous donner une réponse précipitée. Comprenne et décide qui pourra, s'il est plus grand de créer les justes que de justifier les pécheurs. Ce qu'il y a de certain, c'est que si des deux côtés la puissance est égale, dans ce dernier cas la miséricorde l'emporte. "C'est en effet le grand mystère de piété qui a été manifesté dans la chair, justifié dans l'esprit, qui a apparu aux anges, qui a été prêché parmi les nations, cru dans le monde et élevé dans la gloire (1)!" Mais rien ne nous oblige à croire que Jésus-Christ entend parler de toutes ses oeuvres lorsqu'il dit: "Il en fera de plus grandes que celles-ci": par "celles-ci", il a peut-être voulu nous faire entendre celles qu'il faisait en ce moment. Or, en ce moment il proférait des paroles de foi, et il avait déjà voulu parler de ces oeuvres,



1. 1Tm 3,16.


lorsqu'il disait: "Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même; mais le Père qui; demeure en moi, fait les oeuvres que je fais". Alors ses paroles étaient ses oeuvres, et assurément il est moins grand de prêcher les paroles de justice, chose que Jésus-Christ a faite sans nous, que de justifier les pécheurs, chose qu'il fait en nous, mais concurremment avec nous. Il nous reste à examiner comment il faut entendre ces mots: "Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, je le ferai". Comme les fidèles demandent à Dieu beaucoup de choses qu'ils n'obtiennent pas, il s'élève à ce sujet une difficulté considérable; mais comme aussi il est temps de terminer ce discours, mieux vaut différer un peu pour traiter et examiner cette question plus à loisir.




Augustin sur Jean 69