Augustin, lettres - LETTRE XCV. (A la fin de l'année 408)

LETTRE XCVI. (Année 408)

Olympe, à qui cette lettre est adressée, est le hardi personnage qui sut s'emparer de l'esprit de l'empereur Honorius et organiser le complot par suite duquel succombèrent Stilicon et ses amis. Il prit la place du ministre ambitieux et perfide dont la chute fut une joie pour les catholiques de l'Occident. Cette lettre doit être du mois de septembre 408, puisque Stilicon périt le 23 août et que la nouvelle de l'élévation d'Olympe à la dignité de maître des offices de l'Empire n'était répandue en Afrique que comme un bruit. Saint Augustin recommande à Olympe une affaire d'un de ses collègues dans l'épiscopat.

AUGUSTIN A SON TRÈS-CHER SEIGNEUR ET FILS OLYMPE, SI DIGNE D'ÊTRE AIMÉ PARMI LES MEMBRES DU CHRIST.

1. Quelque rang que vous occupiez selon ce monde qui passe, nous n'écrivons pas moins avec confiance à notre cher Olympe, serviteur, comme nous, de Jésus-Christ; nous savons qu'à vos yeux ce titre surpasse toute gloire et qu'il est au-dessus de toute grandeur. Nous avons entendu dire que vous étiez monté en dignité; en ce moment où s'offre à nous une occasion de vous écrire, la nouvelle de votre élévation ne nous est pas encore confirmée. Mais nous n'ignorons pas que vous avez appris du Seigneur à ne pas mettre votre joie dans les grandeurs humaines, mais à condescendre à ce qui est humble, et c'est pourquoi, à quelque rang que vous soyez parvenu, nous présumons que vous continuerez à recevoir nos lettres avec votre bienveillance d'autrefois, très-cher seigneur et fils, digne d'être aimé parmi les membres du Christ. Nous ne doutons pas que vous n'usiez sagement des prospérités temporelles en vue des biens éternels, et qu'en obtenant plus de pouvoir dans un terrestre empire, vous ne donniez plus de soins à cette cité céleste qui vous a enfanté dans le Christ: ces services vous seront payés avec abondance dans la région des vivants, et dans la paix véritable des joies sans trouble et sans fin.

2. Je recommande de nouveau à votre charité la requête de mon saint frère et collègue Boniface: peut-être ce qui n'a pu être fait jusqu'ici pourra-t-il l'être maintenant. Mon saint collègue pourrait peut-être garder sans aucune difficulté ce que son prédécesseur avait acquis, quoique sous un nom étranger, et ce qu'il avait commencé à posséder comme bien de l'Église: mais, parce que ce prédécesseur était resté débiteur du fisc, nous ne voulons pas avoir ce scrupule sur la conscience. Une fraude, faite aux dépens du fisc, n'en est pas moins une fraude. Ce Paul (1), après son élévation à l'épiscopat, devait renoncer à tous ses biens, a cause de l'immensité de ses dettes envers le fisc; du montant d'un engagement qu'il s'était fait payer et qui représentait une certaine somme d'argent, il acheta, comme pour l'Église, ces petites pièces de terre dont les revenus devaient le nourrir; il les acheta sous le nom d'une maison aloi s puissante, afin de n'en rien payer au fisc, suivant sa coutume, et de n'être en rien molesté. Mais Boniface, en succédant à Paul après sa mort, n'a pas osé se mettre en possession de ces champs; et, quoiqu'il eût pu tout simplement demander à l'empereur la remise de ce qui est dû au fisc pour ces petits quartiers de terre, il a mieux aimé avouer que Paul les avait achetés de son propre argent, dans une vente forcée, tandis qu'il était redevable au fisc; et il désire que l'Église, si c'est possible, possède ce bien par la libéralité manifeste d'un empereur chrétien et non point par la secrète injustice d'un évêque. Si cela ne ce peut, les serviteurs de Dieu préfèrent la souffrance de la pauvreté à la jouissance d'un bien illégitimement acquis.

3. C'est pour cela que nous vous prions de nous accorder votre concours; Boniface n'a pas voulu alléguer ce qu'il avait d'abord obtenu, de peur de fermer la porte au succès de ses supplications nouvelles; car ce n'était pas

1. Paul était le nom du prédécesseur de Boniface sur le siège de Cataigue.

166

une suffisante satisfaction de ses désirs. Maintenant que nous trouvons en vous un plus grand crédit mêlé à la même bienveillance, nous espérons, avec l'aide de Dieu, que vous obtiendrez aisément ce qui est dans nos voeux. Si vous demandiez cela. pour vous-même avec l'intention d'en faire ensuite donation à l'Église de Cataigue, qui vous en blâmerait? ou plutôt qui ne louerait vos démarches, inspirées non point par une cupidité terrestre, mais par le désir de servir de pieux intérêts chrétiens? Seigneur, mon fils, que la miséricorde, de Dieu vous maintienne de plus en plus heureux dans le Christ!




LETTRE XCVII. (Octobre 408)

C'est au même Olympe que la lettre suivante est adressée; saint Augustin lui demande instamment d'obtenir un acte public qui fasse connaître à toute l'Afrique que les lois pour briser les idoles et pour ramener les hérétiques ont été établies de la volonté expresse de l'empereur, L'évêque. d'Hippone s'afflige et s'inquiète des violences des donatistes. Plusieurs de ses collègues africains ont passé la mer pour aller sollicites la protection impériale.

AUGUSTIN A SON ILLUSTRE ET EXCELLENT SEIGNEUR OLYMPE, SON TRÈS-HONORÉ FILS DANS LA CHARITÉ DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Au premier bruit de votre élévation méritée, sans en avoir encore la confirmation, nous n'avions rien pressenti de vos bonnes dispositions pour l'Église, dont nous nous réjouissons de vous voir vraiment le fils, qui ne se trouve exprimé dans votre lettre; pourtant, après avoir lu cette lettre où vous daignez demander à notre humilité, avec un empressement obligeant et comme s'il y 'avait de notre part lenteur et hésitation, de quelle manière le Seigneur, qui vous a fait ce que vous êtes, pourrait, au moyen de votre religieuse obéissance, aider aujourd'hui son Eglise, nous vous écrivons avec une plus grande confiance, illustre et excellent seigneur, et très-honoré fils dans la charité du Christ.

2. A la suite d'un grand trouble dans l'Église, plusieurs dé mes saints frères et collègues sont partis, presque comme des fugitifs, pour se rendre à la très-glorieuse cour; vous les aurez déjà vus, ou bien vous aurez reçu d'eux, par quelque occasion favorable, des lettres de Rome. Bien que je n'aie pu arrêter avec eux aucune détermination, j'ai voulu profiter du départ d'un de mes frères et collègues dans le sacerdoce, qui, au milieu même de l'hiver, est obligé d'entreprendre ce voyage pour sauver la vie d'un concitoyen; je salue doué la charité que vous avez dans Jésus-Christ Notre-Seigneur, et je l'invite à redoubler de soins, pour hâter votre bonne oeuvre, et pour apprendre aux ennemis de l'Église que les lois publiées en Afrique, du vivant de Stilicon, pour briser les idoles et ramener les hérétiques, ont été établies de la volonté du très-pieux et très-fidèle. empereur; ils répètent faussement, ou bien ils croient volontiers que cela s'est fait à l'insu de l'empereur ou malgré lui, et c'est ainsi qu'ils passionnent les Ignorants et qu'ils les déchaînent violemment et dangereusement contre nous.

3. Ce que je demande ici à Votre Excellence vous serait demandé, je n'en doute pas, par tous mes collègue de l'Afrique; je crois qu'à la première occasion on peut et on doit se hâter, pour rappeler, comme je l'ai dit, à ces hommes vains, dont nous cherchons le salut, quoiqu'ils soient nos ennemis, que les lois publiées pour l'Église du Christ l'ont été bien plus par les soins du fils de Théodose que par les soins de Stilicon. Aussi le prêtre, porteur de cette lettre, étant du pays de Milève, son évêque, mon vénérable frère Sévère, qui salue beaucoup avec moi votre très-sincère charité, lui a ordonné de passer par Hippone, où je suis; Sévère et moi, préoccupés des tribulations de l'Eglise, nous cherchions une occasion d'écrire à Votre Excellence, et nous n'en trouvions pas. Déjà, il est vrai, je vous ai. envoyé une lettre sur l'affaire de mon saint frère et collègue Boniface, évêque de Cataigue; mais nous ne connaissions pas encore les maux plus considérables dont nous sommes maintenant si agités; les évêques qui ont passé la mer s'entendront plus facilement avec la grande bonté de votre cour, pour prendre les mesures les plus chrétiennes et les plus propres à réprimer ou à réparer ces désordres; car ils peuvent vous proposer un expédient sur lequel on a délibéré en commun avec la plus grande application, autant du moins qu'il a été possible en si peu de temps. Mais il importe que la province apprenne sans retard les sentiments du très-clément et très-religieux empereur envers l'Église, et que vous n'attendiez pas pour cela d'avoir vu les évêques qui sont partis; il est. nécessaire que cela se fasse aussitôt que le (167) pourra votre éminente vigilance pour les membres du Christ soumis à une très-rude épreuve; je vous le demande, je vous en prie, je vous en conjure. Ce n'est pas, dans nos maux, une petite consolation que le Seigneur nous ait offerte, en voulant que vous ayez en ce moment plus de crédit que vous n'en aviez, lorsque déjà nous nous réjouissions de tant de bonnes et grandes oeuvres parties de votre charité.

4. Nous avons à nous féliciter de la foi solide et durable de beaucoup d'hommes convertis à la religion chrétienne ou à la paix catholique, sous l'empire de ces lois; nous ne craignons pas de nous exposer aux périls de cette vie temporelle pour leur salut éternel; c'est pourquoi nous avons à supporter les haines agressives de ceux qui demeurent opiniâtrement mauvais; quelques-uns des convertis les supportent patiemment avec nous; mais nous redoutons leur faiblesse, jusqu'à ce qu'ils sachent et puissent mépriser courageusement le monde et tout ce qui ne dure qu'un jour, avec l'aide de la très-miséricordieuse grâce du Seigneur. J'ai envoyé un mémoire à mes frères les évêques; si, comme je le pense, ils ne sont pas encore auprès de vous, que Votre Excellence leur remette ce mémoire à leur arrivée. Telle est, en effet, notre confiance dans la sincérité de votre dévoûment, que, le Seigneur notre Dieu aidant, nous voulons non-seulement avoir votre appui, mais encore vos conseils.




LETTRE XCVIII. (A la fin de l'année 389)

L'évêque Boniface, probablement le même dont il est parlé dans les deux précédentes lettres, avait adressé à saint Augustin d'importantes et curieuses questions sur le baptême des enfants; le grand évêque y répond. Il y a dans un passage de cette lettre des expressions sur l'Eucharistie dont les protestants ont abusé, et qu'il nous a paru utile d'expliquer. On lira la note.

AUGUSTIN A BONIFACE, SON COLLÈGUE DANS L'ÉPISCOPAT, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Vous me demandez «si les parents nuisent à leurs enfants baptisés, quand ils cherchent à les guérir par les sacrifices des démons. Et s'ils ne leur nuisent pas, comment la foi des parents peut-elle profiter aux enfants dans le baptême, puisque leur infidélité ne leur fait aucun tort?» Je réponds que telle,est, dans la sainte union avec le corps du Christ, la vertu du sacrement de baptême, que, celui qui a été engendré par la chair, une fois régénéré par la volonté spirituelle, ne saurait être enchaîné à l'iniquité d'autrui, tant que sa propre volonté y demeure étrangère. «L'âme du père est à moi, dit le Seigneur, et l'âme du fils est à moi. Mais c'est l'âme qui aura péché qui mourra (1).» Or, elle ne pèche point lorsque, sans qu'elle le sache, ses parents ou tout autre lui appliquent les sacrifices du démon. Si elle a tiré d'Adam la faute que le baptême efface, c'est qu'alors elle n'avait pas une vie à part; elle n'était pas une âme distincte dont le Seigneur pût dire: «L'âme du père est à moi, et l'âme du fils est à moi.» Ainsi donc, lorsqu'un homme, par son existence propre, devient différent de celui qui l'a engendré, il n'est pas souillé par le péché d'autrui auquel il n'aura donné aucun consentement; et il a hérité du péché d'Adam parce qu'à l'époque de ce péché, il ne faisait qu'un avec celui et en celui qui l'a commis. Mais il ne contracte aucune souillure par la faute d'un autre, du moment qu'il a sa vie propre et qu'on peut dire: «C'est l'âme qui aura péché qui mourra.»

2. Or, la régénération par la volonté d'autrui, au profit de l'enfant qu'on présente, est uniquement l'oeuvre de l'Esprit qui est le principe de cette régénération. Car il n'a pas été écrit qu'il faut renaître par la volonté des parents ou par la foi de ceux gui présentent au baptême ou de ceux qui l'administrent, mais par l'eau et l'Esprit-Saint (2). C'est pourquoi l'homme, né du seul Adam, est régénéré dans le Christ seul par l'eau, qui forme le signe extérieur de la grâce, et par l'Esprit, qui la produit intérieurement en brisant les liens du péché, en réconciliant avec Dieu ce qu'il y a de bon dans notre nature. L'action divine de l'Esprit régénérateur est donc commune aux parents qui présentent et à l'enfant qui est présenté, et c'est cette société dans un seul et même Esprit qui rend profitable à l'enfant la volonté des parents. Mais quand ceux-ci pèchent à l'égard de leur enfant en l'offrant aux démons et en cherchant à l'assujettir à des liens sacrilèges, il n'y a pas là une âme commune, et dès lors la faute ne saurait l'être. Car une faute ne se communique point par la volonté d'un autre, comme la grâce se communique par l'unité de l'Esprit-Saint. Il peut demeurer

1. Ez 18,4. - 2. Jn 3,5.

168

à la fois dans deux hommes, sans que celui-ci sache que la même grâce a été accordée à celui-là. Au contraire, l'esprit de l'un n'est. pas l'esprit de l'autre, et la faute ne saurait être commune à celui qui pèche et à celui qui ne pèche pas. Un enfant engendré selon la chair peut donc être régénéré par l'Esprit de Dieu, qui l'absout de la faute originelle; mais, une fois régénéré par l'Esprit de Dieu, il ne peut être engendré de nouveau selon la chair, de façon à contracter de nouveau la souillure d'Adam. La grâce du Christ qu'il a reçue, il ne la perdra que par sa propre impiété, si avec l'âgé il se pervertit; alors aussi commenceront des fautes personnelles que la régénération baptismale n'effacera plus, et pour lesquelles il faudra d'autres remèdes.

3. Toutefois c'est avec raison qu'on appelle homicides selon l'esprit les parents qui s'efforcent d'engager au culte sacrilège du démon soit leurs fils, soit d'autels enfants baptisés; ils ne tuent pas, mais ils sont meurtriers autant qu'ils peuvent, et méritent qu'on leur dise, pour les détourner de ce crime: Ne tuez pas vos enfants. Car l'Apôtre, en disant: «N'éteignez pas le Saint Esprit (1),» n'entend pas qu'il soit possible de l'éteindre, mais il a raison d'adresser ce langage à des gens qui agissent comme s'ils voulaient y parvenir. C'est en ce sens qu'un peut comprendre le passage de saint Cyprien dans son épître sur ceux qui sont tombés (2), à l'endroit où il blâme les chrétiens assez faibles pour avoir sacrifié aux idoles au temps de la persécution: «Pour que le crime fût complet, dit-il, les parents ont, de leurs propres mains, posé leurs enfants sur les idoles ou bien les leur ont fait toucher, et les enfants ont perdu ce qu'ils avaient gagné aussitôt après leur naissance.» Ils ont perdu, dit saint Cyprien, autant que cela a pu dépendre de ceux qui ont travaillé à leur faire perdre. Ils ont perdu, dans la pensée et la volonté de ceux qui se sont aussi criminellement conduits envers eux. Car, s'ils avaient réellement perdu le bienfait de la régénération baptismale, ils seraient restés sous le coup de la sentence divine sans défense possible; et si tel était le sentiment de saint Cyprien, il ne se hâterait pas de prendre la défense de ces enfants en ces termes: «Quand viendra le jour du jugement. ne diront-ils pas: Nous n'avons rien fait, nous n'avons pas abandonné le pain et le calice

1. I Thes. 5,19. - 2. De lapsis.

du Seigneur pour nous précipiter volontairement vers ces profanations odieuses; c'est l'infidélité d'autrui qui nous a perdus, nous avons eu des parents homicides; ils ont renié pour nous l'Eglise notre mère, et le Seigneur notre père; petits et ne pouvant rien prévoir, ne comprenant rien à un tel crime, c'est par d'autres que nous y avons participé, et c'est par la tromperie d'autrui que nous y avons été poussés.» Puisque saint Cyprien a ajouté cette défense, c'est qu'il la croyait très-juste et profitable aux enfants dans le jugement de Dieu. Car s'il est dit avec vérité: Nous n'avons rien fait, «c'est l'âme qui aura péché qui mourra,» et ils ne périront pas sous le juste jugement de Dieu, ces enfants que leurs parents ont perdus par leur crime autant que cela dépendait d'eux.

4. Il est parlé, dans la même lettre de saint Cyprien, d'une petite fille abandonnée à une nourrice par des parents obligés de fuir; cette nourrice l'avait fait porter aux mystères abominables des démons; conduite ensuite à l'église, elle avait rejeté de la bouche, par des mouvements miraculeux, l'Eucharistie qu'on lui avait donnée; je vois dans cet exemple un avertissement divin pour prouver aux parents qu'en de telles iniquités ils pèchent envers leurs enfants; et ces mouvements de ceux qui ne peuvent pas encore parler, leur font comprendre d'une manière merveilleuse combien ils ont tort de se jeter sur les sacrements après un pareil crime, au lieu de s'en abstenir comme ils le devraient dans des sentiments de pénitence. Quand la Providence divine agit ainsi au moyen de ces enfants, il ne faut pas croire qu'il y ait de leur part connaissance et raison; de même qu'on ne doit pas admirer la sagesse des ânes, parce qu'il plut un jour à Dieu de réprimer la folie d'un prophète en faisant parler une ânesse (1). Or, si quelque chose de semblable à l'homme a été entendu dans un animal irraisonnable (ce qu'il faut attribuer à un miracle, et non pas à l'âne lui-même), le Tout-Puissant a pu, par l'âme d'un enfant, non dépourvue de raison, mais où la raison était encore endormie, montrer, au moyen de mouvements corporels, quels étaient les devoirs de ceux qui avaient péché envers eux-mêmes et envers leurs enfants. Mais, comme l'enfant ne rentre pas dans celui qui lui a donné le jour, pour ne faire qu'un seul et même homme avec

1. Nb 22,28.

169

lui et en lui, et qu'il a une existence propre, sa chair et son âme, «c'est l'âme qui aura péché qui mourra.»

5. Il y a des gens qui présentent des enfants au baptême, non point pour leur procurer la régénération spirituelle, mai, parce qu'ils espèrent par là leur faire conserver ou recouvrer la santé; ne vous en inquiétez pas; ce n'est pas ce défaut d'intention religieuse de leur part qui peut empêcher la régénération; car on pratique avec leur concours les cérémonies nécessaires et on prononce les paroles sans lesquelles l'enfant ne serait pas baptisé; et le divin Esprit qui habite dans les saints, dont l'ardente charité produit cette unique colombe argentée (1) du Psalmiste, fait ce qu'il fait par le ministère des ignorants comme des plus indignes. Les enfants sont moins présentés au baptême par ceux qui les portent dans leurs bras, tout bons chrétiens qu'ils soient, que par la société universelle des saints et des fidèles, car ils sont véritablement présentés par tous ceux à qui plaît cette présentation, et dont l'invisible charité les aide à recevoir le Saint-Esprit. Cela est donc l'ouvrage de toute l'Eglise, notre mère, qui est l'assemblée des saints; toute l'Eglise nous enfante tous et chacun en particulier. Si le sacrement du baptême chrétien, qui est unique et indélébile, est valable et suffit, même chez les hérétiques, pour la consécration, quoiqu'il ne suffise pas pour parvenir à la vie éternelle (et toutefois, ainsi baptisé et coupable de porter le caractère du Seigneur en dehors du troupeau du divin Maître, l'hérétique peut être ramené à la vérité sans être consacré de nouveau); à plus forte raison, dans l'Eglise catholique, le froment, même porté par le ministère de la paille, sera purifié et réuni à la masse du bon grain sur l'aire.

6. Je ne veux pas que vous pensiez que le lien du péché originel ne saurait être brisé, à moins que les parents ne présentent les enfants pour recevoir la grâce du Christ, car vous dites que «la faute leur ayant été transmise «par les parents, c'est la foi des parents qui doit les justifier.» Car vous voyez que plusieurs ne sont pas présentés par les parents, mais par des étrangers quels qu'ils soient, comme quelquefois des fils d'esclaves sont présentés par les maîtres; quelquefois aussi des enfants sont baptisés après la mort des parents,

1. Ps 67,14. Cette colombe argentée dont parle le Psalmiste est une figure de l'Eglise.

et ce sont les premiers venus, de pieuse volonté, qui leur rendent miséricordieusement ces bons offices. Parfois encore de cruels parents abandonnent leurs enfants à qui voudra les nourrir; des vierges sacrées, qui n'ont pas été mères et ne songent pas à l'être, recueillent les petits délaissés et les présentent au baptême; vous voyez s'accomplir ici ce qui est écrit dans l'Evangile, lorsque le Seigneur demande lequel s'est montré le prochain de l'homme blessé parles voleurs et laissé à demi mort sur le chemin; on lui répond: «C'est celui qui a exercé miséricorde envers lui (1).»

7. La question que vous avez réservée pour la fin, vous a paru d'une solution d'autant plus difficile que vous éprouvez un vif éloignement pour le mensonge. Vous me dites: «Si je vous amène un enfant et que je vous demande si en grandissant il sera chaste ou s'il ne sera pas voleur, sans doute vous me répondrez: je n'en sais rien. Vous me ferez la même réponse si je vous demande quelles sont les pensées bonnes ou mauvaises de cet enfant dans son premier âge. Donc si vous n'osez promettre rien de certain sur ses moeurs dans l'avenir ni sur ses pensées actuelles, pourquoi les parents, quand ils présentent des enfants au baptême, se portent-ils leurs garants et répondent-ils que ceux-ci font ce que leur âge ne peut comprendre, ou, s'il le petit, c'est d'une façon cachée? En effet, nous interrogeons ceux qui nous présentent un enfant, et nous disons: Croit-il en Dieu? Au nom d'un âge qui ne sait pas s'il y a un Dieu, ils répondent qu'il croit en Dieu, et ainsi de suite pour chacune des questions. Aussi j'admire ces parents qui affirment avec confiance qu'à l'heure où l'enfant est baptisé il fait les grandes choses sur lesquelles interroge celui qui confère le sacrement; et si, à la même heure, j'ajoutais: Celui qu'on baptise sera-t-il chaste, ou bien ne sera-t-il pas voleur? je ne sais si on oserait me répondre que l'enfant sera ou ne sera pas cela, comme on me répond sans hésitation qu'il croit en Dieu et qu'il se convertit à Dieu.» Puis, en terminant, vous ajoutez ces mots: «Je demande que vous daigniez répondre brièvement à ces questions, et que vous y répondiez non par l'autorité de la coutume, mais par l'autorité de la raison.»

1. Lc 10,37.

170

8. Après avoir lu et relu votre lettre et l'ayant méditée autant que le permettait la brièveté du temps, je me suis souvenu de mon ami Nébride, ce chercheur soigneux et ardent de choses obscures, surtout de celles qui appartenaient à la religion; il détestait les courtes réponses sur les grandes questions. Il supportait mal quiconque en pareil cas demandait de rapides éclaircissements, et si la personne du questionneur n'imposait pas trop de réserve, Nébride laissait échapper de vives paroles et son visage s'enflammait; il ne le jugeait pas même digne d'adresser de telles questions, puisqu'il n'avait pas l'idée de ce qu'on pouvait et devait dire sur une aussi grande chose. Mais moi, je ne m'animerais pas contre vous comme faisait Nébride, car vous êtes évêque, occupé, comme moi, de beaucoup de soins; et vous n'avez pas plus le temps de lire quelque chose d'étendu que moi de l'écrire. Nébride qui refusait d'entendre les trop rapides réponses était un jeune homme; il s'enquérait de beaucoup de choses dans nos entretiens-; il était libre de son temps, et j'avais alors la même liberté que lui. Mais vous, en songeant à vous-même et à moi, vous me commandez d'être bref en répondant à une si grande chose. Je vais le faire dans la mesure de mes forces; que le Seigneur m'aide à faire ce que vous me demandez.

9. Souvent, aux approches de Pâques, nous disons: C'est demain ou après-demain la passion du Seigneur; et pourtant il y a bien des années que le Seigneur a été mis à mort, et sa passion n'a eu lieu qu'une fois. Le jour de Pâques nous disons: C'est aujourd'hui que le Seigneur est ressuscité, et cependant que d'années écoulées depuis sa résurrection! Y aurait-il quelqu'un d'assez inepte pour nous accuser de mentir en parlant ainsi, et pour ne pas comprendre qu'il s'agit ici de la simple ressemblance des jours où ces événements se sont passés, qu'il n'est pas question du jour même, mais du retour d'un jour semblable et de la célébration d'un mystère accompli autrefois? Le Christ n'a été immolé qu'une fois; il s'immole pourtant dans le sacrement, non-seulement à toutes les solennités pascales, mais encore tous les jours, et celui-là ne mentira point qui, interrogé à cet égard, répondra que le Christ chaque jour s'immole; car si les sacrements ne ressemblaient pas d'une certaine manière aux choses dont ils sont les signes, ils ne seraient pas des sacrements. C'est par cette ressemblance qu'ils reçoivent souvent les noms des choses mêmes. De même donc que le sacrement du corps du Christ est le corps du Christ, en quelque manière, et le sacrement du sang du Christ le sang du Christ, de même le sacrement de la foi est la foi (1). Or, croire, ce n'est autre chose que d'avoir la foi. Et quand on répond qu'un enfant croit saris qu'il puisse avoir encore le sentiment et la foi, on répond qu'il a la foi à cause du sacrement de la foi, et qu'il se convertit à Dieu à cause du sacrement de la conversion, parce que cette réponse même appartient à la célébration du sacrement. Ainsi l'Apôtre, en parlant du baptême, dit «que nous avons été ensevelis avec le Christ par le baptême pour mourir au péché (2);» il ne dit pas: nous représentons la sépulture, mais: «nous avons été ensevelis.» Il a donné au sacrement d'une si grande chose le nom de ta chose elle-même.

10. C'est pourquoi un enfant, sans qu'il puisse avoir encore la foi qui consiste dans la volonté, devient cependant fidèle par le sacrement même de la foi. On dit de lui qu'il est fidèle comme on répond qu'il croit, non point par une affirmation de l'intelligence, mais par la réception du sacrement. Quand, devenu homme, il commencera à savoir, il ne recevra pas le baptême une seconde fois, mais il le comprendra et s'y unira de sa propre volonté. Tant qu'il ne sera pas capable de cette volonté

1. Les protestants, en attaquant la présence réelle, ont fouillé dans les écrits de saint Augustin pour y exploiter des obscurités an profit de leur opinion. Le passage qu'on vient de lire est un de ceux dont ils se sont armés. Ils n'ont pas reconnu que l'évêque d'Hippone ne parle ici qu'en passant de l'Eucharistie et qu'il n'en parle, pour le besoin de son sujet, qu'avec l'intention d'y faire remarquer ce qui est signe et sacrement; c'est la croyance de l'Eglise; elle enseigne que tous les sacrements représentent ou signifient la grâce qu'ils produisent. Les mots: en quelque manière (secundum quemdam modum), ne sauraient s'appliquer qu'à ce qui constitue le signe même du corps et du sang de Jésus-Christ. Le signe n'en est pas moins la présence réelle. Les protestants se sont emparés d'un passage du même genre tiré du livre de saint Augustin contre le manichéen Adimaute; on y répond de la même manière. Quant au rameux endroit tiré de la doctrine chrétienne, chapitre 16,où saint Augustin semble prendre au figuré la manducation du corps de Jésus-Christ, il suffit d'un peu d'attention pour reconnaître que l'évêque d'Hippone voulait exclure la pensée judaïque de la manducation comme l'entendaient les capharnaites et que saint Cyrille de Jérusalem condamnait sous le nom de Sarcophagie; saint Augustin, fidèle à sa règle pour l'interprétation des livres saints, songeait ainsi à rejeter le sens qui semblait impliquer une action honteuse et criminelle. Ce qui est évident et au-dessus de toute contestation sérieuse et de bonne foi, ce sont les nombreux passages du grand évêque, qui établissent sa foi à la présente réelle; nous citerons en première ligné le chapitre IX du livre contre l'Adversaire de la toi et des prophètes, puis les commentaires des psaumes XXXIX et XCVII1,le chapitre XX du premier livre des Mérites et de la rémission des péchés, le 11e sermon sur les Paroles du Seigneur. Nous pourrions multiplier les citations. Il faut voir dans la Perpétuité de la foi, ce bel ouvrage trop peu lu, d'habiles et solides réponses aux arguments de Claude et d'Aubertin,qui se sont efforcés d'enlever l'autorité de saint Augustin à la doctrine catholique de la présence réelle. - 2. Rm 6,4.

171

personnelle, le sacrement suffira pour le défendre contre les puissances ennemies; et telle en est la vertu que si un enfant baptisé meurt avant l'âge de raison, il sera délivré, par la grâce du Christ et la charité de l'Eglise, de la condamnation entrée dans le monde à cause de la faute d'un seul homme (1). Celui qui ne croit pas cela et qui juge que cela ne se peut, est infidèle, quoiqu'il ait le sacrement de la foi; l'enfant vaut mieux que lui, et s'il n'a pas encore la foi dans sa pensée, du moins il ne lui oppose pas l'obstacle d'une pensée contraire, ce qui suffit pour recevoir avec fruit le sacrement.

J'ai répondu, je pense, à ces questions; ce ne serait point assez pour de moins pénétrants et de plus contentieux que vous, c'est plus qu'il n'en faut peut-être pour ceux qui sont calmes et intelligents. Je ne vous ai pas répondu en m'appuyant sur la force de la coutume, mais je vous ai rendu raison, autant que je l'ai pu, d'une coutume très-salutaire.

1. Rm 5,12




LETTRE XCIX. (Année 408 ou, commencement de l'année 409 )

Italica était une des pieuses dames romaines qui avaient, comme on sait, le bonheur de correspondre avec saint Augustin. La lettre suivante, qui lui est adressée, fut écrite sous le coup des sinistres bruits mêlés à la marche d'Alaric; le grand évêque avait entendu parler, des malheurs de Rome et ne savait rien encore que par les vagues rumeurs répandues en Attique.

AUGUSTIN A LA TRÈS-RELIGIEUSE SERVANTE DE DIEU ITALICA, TRÈS-DIGNE DE SAINTES LOUANGES ENTRE LES MEMBRES DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je vous écris cette lettre après en avoir reçu trois de votre bénignité: l'une qui me demandait une réponse, l'autre qui annonçait que cette réponse vous était parvenue, la troisième qui exprimait une bienveillante sollicitude pour nous, au sujet de la maison du jeune et illustre Julien, contiguë à nos propres murs. Au reçu de cette dernière lettre, je me hâte de vous écrire, parce que l'intendant de votre excellence m'a informé qu'il allait envoyer à Rome: nous regrettons beaucoup qu'il n'ait pas songé dans sa lettre à nous dire ce qui se passe à Rome ou autour de Rome, afin de savoir ce que nous devons croire des bruits apportés par la renommée. Les nouvelles que nous donnaient les précédentes lettres de nos frères, quelque inquiétantes qu'elles fussent, n'avaient pourtant rien de pareil à tout ce qui se dit en ce moment. Je m'étonne au delà de toute expression que nos saints frères les évêques ne nous aient pas écrit par une si bonne occasion que celle de vos gens, et que votre lettre elle-même ne nous fasse rien entendre de vos grandes tribulations; car ces douleurs nous sont communes dans les entrailles de la charité. Peut-être n'avez-vous pas cru devoir faire ce que vous pensiez ne pouvoir servir de rien, et peut-être aussi n'avez-vous pas voulu nous affliger. Je pense. cependant qu'il n'est pas inutile de connaître ces choses; d'abord parce qu'il n'est pas juste de vouloir se réjouir avec ceux qui se réjouissent et de ne pas vouloir pleurer avec ceux qui pleurent (1); ensuite «parce que la tribulation produit la patience, la patience l'épreuve, l'épreuve l'espérance, et que l'espérance ne trompe point, parce que la charité de Dieu est. répandue dans nos cactus par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2).»

2. C'est pourquoi à Dieu ne plaise que nous refusions d'entendre ce qui est triste et amer pour nos amis! Je ne sais comment il se fait que ce qu'un membre souffre devient plus supportable, lorsque les autres membres souffrent avec lui (3); cet adoucissement du mal n'arrive point par la communauté du malheur qu'on éprouve, mais par le soulagement de la charité: c'est grâce à cette charité que ceux qui souffrent et ceux qui compatissent se trouvent réunis dans une tribulation commune, comme ils sont réunis clans la même épreuve, la même espérance, le même amour et le même esprit. Mais le Seigneur nous console tous; il nous a annoncé ces maux du temps et nous a promis ensuite les biens de l'éternité; celui qui veut être couronné après la bataille ne doit pas se laisser abattre pendant qu'il combat; Dieu lui donnera des forces, Dieu qui réserve aux vainqueurs d'ineffables dons.

3. Que notre réponse ne vous ôte pas la pensée de nous écrire, d'autant plus que vous avez diminué nos craintes par des raisons qui ne sont pas improbables. Nous rendons le salut à vos petits enfants, et nous souhaitons qu'ils grandissent pour vous dans le Christ; à ce premier âge, ils voient déjà ce qu'il y a de périlleux et die funeste dans l'attachement à ce.

1. Rm 12,15. - 2. Rm 5,3-5. - 3. 2Co 12,26

172

monde; et plût à Dieu qu'au milieu de ces grands et terribles ébranlements, ce qui est jeune et flexible pût au moins se corriger! Que vous dirai-je de cette maison, sinon que je rends grâces à vos soins obligeants? Ils ne veulent pas de celle que nous pouvons donner; nous ne pouvons pas donner celle qu'ils veulent. C'est à tort qu'on leur a dit que cette maison a été un legs fait à l'Église par mon prédécesseur; car elle fait partie de ses anciens fonds, et tient à une ancienne église, comme celle dont il s'agit tient à une autre (1).


1. Cette affaire de maison, qui touchait aux intérêts de la communauté de saint Augustin. est un détail particulier qu'il nous est impossible d'éclaircir pleinement; c'est, du reste, de mince importance pour nous. La lettre nous semble se terminer brusquement, et peut-être n'en avons-nous pas la fin.





Augustin, lettres - LETTRE XCV. (A la fin de l'année 408)