Augustin, lettres - LETTRE CXL (1), A HONORÉ. (Année 412)

LETTRE CXLI. (14 juin de l'année 412)

Après la conférence de Carthage, en 411, où les donatistes furent si solennellement condamnés, beaucoup d'évêques du parti vaincu firent courir le bruit que les évêques catholiques avaient gagné à prix d'argent Marcellin, le président et le juge de la conférence. II importait de ne pas laisser sans réponse ces menteuses accusations. Le 14 juin 412, des évêques catholiques, réunis en concile à Zerta en Numidie, adressèrent aux donatistes une lettre qui établissait la vérité et rappelait l'ensemble des actes de la conférence. Saint Augustin nous apprend lui-même que cette lettre synodique fut son ouvrage (1).

SILVAIN L'ANCIEN, VALENTIN, AURÉLE, INNOCENT, MAXIME, OPTAT, AUGUSTIN, DONAT ET LES AUTRES ÉVÊQUES DU CONCILE DE ZERTA AUX DONATISTES.

1. D'après ce que nous entendons dire de toutes parts, vos évêques prétendent que le juge a été gagné à prix d'argent pour porter la sentence contre eux, et vous le croyez sans peine; à cause de cela beaucoup d'entre vous n'ont pas voulu encore acquiescer à la vérité; pressés par la charité du Seigneur, et réunis en concile, il nous a paru bon de vous adresser cette lettre afin de vous prévenir que ces pasteurs vaincus et convaincus vous débitent des mensonges. Dans l'écrit même qu'ils avaient préparé pour cette conférence et qu'ils avaient signé de leurs noms, ils nous appelaient des traditeurs et leurs persécuteurs: mais ils ont été dévoilés et convaincus dans leur fausseté et leur insigne mensonge; en effet, voulant faire parade de leur grand nombre, ils avaient inscrit, comme étant présents, les noms de quelques évêques absents, et bien plus, le nom même d'un mort; on leur demanda où était cet évêque, et, aveuglés par un trouble soudain, ils avouèrent eux-mêmes qu'il était mort en route. Interrogés sur la question de savoir comment il avait pu signer à Carthage puisqu'il était mort en chemin, leur trouble ne fit qu'augmenter, et, ne reculant pas devant un nouveau mensonge, ils répondirent que l'évêque était mort en revenant de Carthage mais ils ne purent jamais se tirer de ce mensonge-là. Voilà ceux que vous croyez, soit qu'il s'agisse des anciens traditeurs, soit qu'il s'agisse de la corruption du juge: ils n'ont pu, sans commettre un crime de faux, écrire cette pièce où ils nous reprochent le crime d'avoir livré les saintes Ecritures. C'est pourquoi nous

1. Voy. Rétract., liv. 2,chap. 40.

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avons jugé à propos de vous donner ici un résumé de ce qu'il importe le plus que vous sa chiez, de peur que vous ne puissiez atteindre au volumineux récit de tout ce qui s'est passé ou que la lecture ne vous en paraisse trop fatigante.

2. Nous arrivâmes à Carthage, nous et vos évêques, et, ce qu'auparavant ils ne voulaient pas en le déclarant indigne d'eux, nous nous réunîmes. Sept évêques de notre côté et autant du leur furent choisis pour parler au nom de tous. On en désigna sept autres des deux côtés avec lesquels les évêques choisis pourraient se concerter en cas de besoin, et encore quatre de part et d'autre pour surveiller les comptes rendus, de peur qu'on ne fît dire à quelqu'un ce qu'il n'aurait pas dit. Il y eut aussi des deux côtés quatre scribes dont deux devaient alterner, pour tout recueillir avec les secrétaires du juge, afin d'empêcher que personne d'entre nous ne prétendît avoir dit ce qui n'aurait pas été consigné. Comme complément de toutes ces précautions, il fut convenu que nous et les évêques donatistes, et le juge lui-même, nous signerions ce que nous aurions dit, pour éviter que nul ne se plaignît plus tard que ses paroles eussent été falsifiées. La publicité de ces actes partout où il le faudra, devant avoir lieu du vivant de ceux qui les ont signés, leur vérité demeurera inattaquable pour la postérité. Ne soyez donc pas ingrats envers une si grande miséricorde de Dieu qui s'est révélée à votre profit par tant de soins prévoyants. Désormais il n'y a plus d'excuse; ce serait trop de dureté de coeur et une opiniâtreté trop diabolique que de résister à une aussi évidente manifestation de la vérité.

3. Les évêques de votre parti, choisis pour parler au nom de tous, s'efforcèrent, autant qu'ils le purent, d'empêcher qu'on ne s'occupât de l'affaire pour laquelle un si grand nombre d'évêques catholiques et donatistes s'étaient rendus à Carthage de tous les points de l'Afrique et de lieux si éloignés. Tandis que toute âme était en suspens dans l'attente de ce qui allait se faire dans cette grande assemblée, vos évêques insistaient violemment pour que rien ne se fît. Pourquoi cela, sinon parce qu'ils savaient leur cause mauvaise et qu'ils ne mettaient pas en doute leur facile défaite dans le cas où la question se traiterait? La peur qu'ils avaient de la discussion laissait déjà voir en eux des vaincus. S'ils avaient obtenu ce qu'ils voulaient, si la conférence n'avait pas eu lieu et que la vérité n'eût point apparu par nos débats, que vous auraient-ils répondu à leur retour de Carthage, que vous auraient-ils montré? Je crois que, les actes en main, ils vous auraient dit: Nous insistions pour que la question ne fût pas traitée, eux insistaient pour qu'elle le fût. Vous voulez voir ce que nous avons fait; tenez, lisez comme nous les avons vaincus en obtenant de ne rien faire. - Peut-être, avec du bon sens, vous leur auriez répondu: Etiez-vous donc allés pour ne rien faire? ou plutôt, puisque vous n'avez rien fait, pourquoi êtes-vous revenus?

4. Enfile, après d'inutiles efforts pour empêcher qu'on n'en vînt à la cause, le débat, où ils furent vaincus en toute chose, fit bien voir pourquoi ils avaient peur. Car ils confessèrent qu'ils n'avaient rien à dire contre l'Eglise catholique, répandue par toute la terre; ils furent accablés des divins témoignages des saintes Ecritures qui nous montrent l'Eglise commençant à Jérusalem, s'étendant aux lieux où ont prêché les apôtres et dont ils ont écrit les noms dans leurs épîtres et leurs actes, et se répandant ensuite à travers les autres nations. Ils ont déclaré à haute voix qu'ils n'avaient rien à dire contre cette Eglise, et c'est là qu'éclate notre victoire au nom de Dieu. En rendant hommage à l'Eglise avec laquelle il est manifeste que nous sommes en communion et dont ils sont eux-mêmes ouvertement séparés, ils attestent leur ancienne défaite; ils vous montrent, si vous savez le comprendre, quelle voie vous devez quitter, quelle voie vous devez suivre, et vous le montrent non pas avec cette fausseté qui les a portés à vous mentir jusqu'à ce jour, mais avec cette vérité qu'ils ont été contraints de reconnaître.

5. Ainsi quiconque est séparé de cette Eglise catholique, quelque louable qu'il pense être dans sa conduite, par ce seul crime d'être séparé de l'unité du Christ, n'aura pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui (1). Mais quiconque a bien vécu dans cette Eglise ne sera pas responsable des péchés d'autrui, parce que «chacun y portera son propre fardeau (2),» selon les paroles de l'Apôtre; et «quiconque

1. Il ne faudrait pas donner à cette pensée de saint Augustin un sens trop absolu. Il s'adresse ici à des schismatiques dont on ne peut plus dire qu'ils sont dans l'ignorance, mais qui peuvent apprécier la vérité sous la forme de faits évidents et palpables. L'Eglise ne condamne pas la bonne foi entière dans l'erreur et l'ignorance invincible. - 2. Ga 6,5.

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y mange indignement le corps du Christ, mange et boit son jugement (1);» l'Apôtre lui-même a aussi écrit cela. Ces mots: «Il mange son jugement,» montrent assez qu'il ne mange pas le jugement d'un autre, mais le sien propre. Voilà ce que nous avons fait, ce que nous avons montré, ce que nous avons fait avouer, parce qu'on n'est pas souillé par les méchants en participant aux mêmes sacrements qu'eux, mais en consentant à leurs oeuvres. Si on ne donne aucun consentement à ce qui est mal, le méchant est seul à porter le poids de ses oeuvres, et ne fait aucun tort à celui qu'il n'a pas eu pour compagnon de son crime.

6. C'est ce que vos évêques ont été aussi forcés de reconnaître à haute voix, non pas au moment où nous disions ces choses, mais après, dans une autre affaire, l'affaire de Cécilien. Nous la distinguions de la cause de l'Église; si par hasard il était trouvé coupable, nous l'anathématiserions sans abandonner pour cela l'Église du Christ, contre laquelle ses torts ne pouvaient rien préjuger; on lut donc, lorsqu'on fut arrivé à cette affaire, les actes du concile de Carthage, où soixante-dix évêques donatistes condamnèrent Cécilien absent; et,nous répondîmes que ce concile ne pouvait pas plus nuire à Cécilien absent, que ne nuisit à Primien absent le concile donatiste, où cent évêques le condamnèrent dans l'affaire de Maximien. Ce nom seul rappela à vos évêques ceux qu'ils avaient reçus dans l'intégrité de leurs honneurs après les, avoir condamnés, et leur approbation du baptême conféré dans le schisme sacrilège de Maximien, et la sentence du concile de Bagaie, par laquelle, en condamnant les hommes de ce parti ils avaient accordé un délai à quelques-uns de ceux-ci, par la raison que les «rejetons sacrilèges de Maximien ne les avaient pas souillés.» Le souvenir de cette affaire les jeta donc dans l'épouvante et le trouble, et, oubliant ce qu'ils nous contestaient peu de moments auparavant, ils s'écrièrent: «Une cause ne fait rien à une autre cause, ni une personne à une autre personne.» Ils confirmèrent ainsi, par leurs paroles, ce que nous disions de l'Église, savoir, que la cause et la personne de Cécilien, quelles qu'elles pussent être, ne pouvaient préjudicier, ni à l'Église catholique d'outre-mer, contre laquelle vos évêques avaient déclaré

1. 1Co 11,29.

n'avoir rien à dire, ni à l'Église catholique d'Afrique, demeurée en communion avec elle. Ils confirmèrent cette doctrine, puisque le parti de Donat ne reçoit aucun dommage de Maximien qui, avec ses autres fauteurs, a condamné Primien; aucun dommage de Félicien qui a condamné Primien, et a été pour cela condamné par le parti de Donat, où il est admis avec sa dignité épiscopale, comme auparavant; enfin notre sentiment triomphe, si Maximien n'a pas préjudicié à ses adhérents auxquels ces évêques accordèrent un délai par la raison que la communion avec Maximien n'avait pas pu être pour eux une souillure, car «une cause ne fait rien à une autre cause, ni une personne à une autre personne.»

7. Que cherchez-vous donc de plus? Vos évêques ont chargé les actes de beaucoup de discours inutiles; n'ayant pu parvenir à empêcher l'examen de l'affaire, ils ont parlé tant qu'ils ont pu pour qu'il devînt au moins difficile de lire ce qui s'est passé. Mais ce peu de mots de leur part doivent vous suffire, et vous empêcher de haïr l'unité de l'Église catholique à cause de je ne sais quels crimes, de je ne sais quels criminels; car, comme vos évêques l'ont dit, l'ont relu et l'ont signé, «une cause ne fait rien à une autre, ni une personne à une autre personne.» Nous avons toutefois défendu Cécilien, quoique sa cause ne soit pas celle de l'Église; nous l'avons défendu pour mettre en lumière, même ici, les calomnies de vos évêques; ils ont, été bien ouvertement vaincus et n'ont pu rien prouver de ce qu'ils reprochaient à Cécilien. De plus, appuyés sur les actes épiscopaux (1), nous fîmes voir que quelques-uns de ceux qui condamnèrent Cécilien absent étaient manifestement eux-mêmes des traditeurs. Vos évêques, ne sachant quoi répondre, dirent que ces actes étaient faux, mais ne purent jamais le prouver.

8. En outre, ils ont avoué, ou plutôt ils ont mis un grand honneur à déclarer que leurs prédécesseurs avaient accusé Cécilien devant l'empereur Constantin; ils ont ajouté un mensonge, la prétendue condamnation de Cécilien par l'empereur. Ici encore ils ont été vaincus car, pour épaissir le nuage de vos erreurs et pour exciter contre nous la haine de votre parti, ils ne manquent pas de répéter que nous

1. Le concile de Cirte, aujourd'hui Constantine, tenu en 305. Il en est question dans le chap. 26I du 3e livre contre Cresconius. Cet ouvrage de saint Augustin est de l'année 406, et se compose de quatre livres.

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portons devant les empereurs la cause de l'Eglise. Voilà donc que ces ancêtres dont ils prononcent les noms avec orgueil ont soumis la cause de l'Eglise au jugement des empereurs; ils ont poursuivi Cécilien devant le tribunal impérial, et se sont vantés de l'avoir fait condamner. Qu'ils cessent de vous tromper par des discours vains et menteurs; rentrez en vous-mêmes, craignez le Seigneur, pensez à la vérité, laissez ce qui est faux. Ce que les lois vous ont fait souffrir, vous l'avez souffert, non point pour la justice, mais pour l'iniquité; et vous n'avez pas le droit de dire que nous sommes injustes, parce qu'il a fallu l'emploi de l'autorité impériale pour vous tirer de l'erreur; car vos évêques avouent que leurs devanciers ont agi avec Cécilien comme vous ne voulez pas qu'on agisse avec vous. Leurs aveux et leurs vanteries prouvent suffisamment qu'ils ont accusé Cécilien devant l'empereur; mais il n'est pas du tout prouvé que Cécilien ait été condamné; au contraire, il est constant qu'il fut deux fois (1) déclaré innocent par des évêques, qu'il le fut ensuite par l'empereur lui-même. Vos évêques l'ont eux-mêmes établi en produisant des actes comme pour leur cause, mais qui leur étaient bien plus contraires, et qui ont tourné à l'avantage de Cécilien. Ils n'ont donc jamais rien pu prouver contre ceux qu'ils ont accusés, et tout ce que nous avons dit pour la cause de l'Eglise et pour la cause de Cécilien, ils l'ont prouvé eux-mêmes par leurs paroles et par tout ce qu'ils ont lu.

9. C'est ainsi qu'ils produisirent d'abord un livre d'Optat, en preuve de la condamnation de Cécilien par l'empereur; ce livre témoignait contre eux, il ne faisait que montrer de plus en plus la justification de Cécilien, et tout le monde se mit à rire. Mais parce que le rire même n'a pas pu s'écrire, vos évêques ont attesté dans les actes qu'on avait ri en ce moment de leurs paroles. Ils lurent ensuite un écrit où leurs devanciers se sont plaints auprès de l'empereur Constantin de ce qu'il les persécutait; ainsi, dans ce même écrit, ils firent voir que Cécilien les avait vaincus devant l'empereur et qu'ils avaient dit faux en soutenant que Cécilien avait été condamné. Ils produisirent en troisième lieu des lettres du même Constantin au lieutenant Vérinus, où l'empereur déteste fortement les donatistes, et dit qu'il faut les rappeler de l'exil pour les livrer

1. A Rome et à Arles.

à leur propre fureur, parce que la main de Dieu commençait déjà à les frapper; ces mêmes lettres de l'empereur établissaient donc encore que vos évêques avaient dit faux en parlant de la condamnation de Cécilien; Constantin montre plutôt que Cécilien les a vaincus devant lui lorsqu'il les exècre violemment et ordonne que la peine de l'exil fasse place à un châtiment divin déjà commencé.

10. Puis ce fut le tour de Félix d'Aptonge, qui ordonna Cécilien; aux yeux de vos évêques, Félix n'était lui-même qu'un traditeur; alors ils produisirent contre eux-mêmes une lettre de Constantin, où il demande au proconsul de lui envoyer Ingentius. Or, cet Ingentius avait avoué dans une enquête en présence du proconsul 1Elien qu'il avait fait un faux contre Félix, ordonnateur de Cécilien. Vos évêques disaient que si l'empereur avait ordonné qu'on lui envoyât Ingentius, c'est que l'affaire de Cécilien était encore pendante; se laissant aller aux plus vaines conjectures, ils imaginaient que peut-être, après le voyage d'Ingentius, l'empereur avait jugé de nouveau Cécilien et cassé sa première sentence qui l'avait absous. Mais on leur demandait de lire des faits au lieu de conjecturer, et ils ne répondaient absolument rien. Or, cette lettre de l'empereur par laquelle il manda Ingentius auprès de lui et que vos évêques lurent contre eux-mêmes pour Cécilien, portait que le proconsul 1Elien avait jugé de sa compétence la cause de Félix et constaté son innocence, et que Constantin ne fit venir Ingentius à sa cour que pour répondre aux sollicitations continuelles de ceux qui étaient là: il voulait leur faire comprendre que c'était en vain qu'ils travaillaient à rendre Cécilien odieux et se tournaient violemment contre lui.

11. Qui croirait que vos évêques aient lu toutes ces choses contre eux et pour nous, si, par la volonté du Dieu tout-puissant, il n'était pas arrivé que leurs paroles fussent consignées dans les Actes et que leurs signatures fussent en bas? Car si quelqu'un veut faire attention à l'ordre des années et des jours, tel qu'il est marqué dans les mêmes Actes, il trouvera d'abord que Cécilien fut absous par un jugement épiscopal. Ensuite, quelque temps après, la cause de Félix d'Aptonge fut portée devant le proconsul Alien qui proclama son innocence: ce fut au moment de cette affaire qu'Ingentius reçut l'ordre de se rendre auprès (330) de l'empereur. Longtemps après, l'empereur lui-même, après avoir entendu les deux parties, prononça son jugement dans l'affaire de Cécilien; il le déclara innocent et déclara calomniateurs ceux qui l'avaient accusé. D'après les dates, il est suffisamment attesté que c'est une fausseté et une calomnie de prétendre que l'empereur, après avoir mandé à la cour Ingentius, changea sa sentence et condamna Cécilien précédemment absous. Non-seulement vos évêques n'ont rien pu lire à l'appui de pareilles assertions, eux qui ont tant lu contre eux-mêmes, mais on leur montre avec la dernière évidence, par les dates, que le jugement de l'empereur en faveur de Cécilien, après avoir entendu les parties, fut prononcé longtemps après le jugement de l'affaire de Félix devant le proconsul, et longtemps après qu'un ordre impérial eût appelé Ingentius à la cour.

12. Que vos évêques ne disent donc plus que nous avons gagné le juge À prix d'argent. N'est-ce point la ressource ordinaire des vaincus? Si nous avons donné quelque chose au juge pour qu'il se prononçât contre eux et à notre profit, que leur avons-nous donné à eux-mêmes pour dire et produire tant de choses contre eux et à notre avantage? Peut-être veulent-ils que nous leur rendions grâces auprès de vous, car pendant qu'ils s'en vont répétant que notre or a corrompu le juge, c'est gratuitement qu'ils ont tant dit et tant lu contre eux et pour nous? S'ils prétendent qu'ils nous ont vaincus parce qu'ils ont mieux servi que nous la cause de Cécilien, ils ont raison, croyez-les. Deux pièces en faveur de Cécilien nous avaient paru suffisantes, eux en ont produit quatre.

13. Mais pourquoi charger de plus de détails et de faits cette lettre? Si vous voulez nous croire, croyez-nous, et attachons-nous ensemble à l'unité que Dieu prescrit et qu'il aime. Si vous ne voulez pas nous croire, lisez ou faites-vous lire les Actes mêmes, et assurez-vous de la vérité de ce que nous vous écrivons. Si vous ne faites rien faire de tout ceci et que vous suiviez encore le parti de Donat malgré ses faussetés démontrées avec tant d'évidence, nous n'aurons pas à nous reprocher votre punition, lorsque, trop tard, vous vous repentirez. Mais si vous ne méprisez pas les grâces que Dieu vous fait, si, après que la cause a été examinée et mise en lumière avec tant de soin, vous renoncez à vos erreurs pour embrasser la paix et l'unité du Christ, nous nous réjouirons de votre retour; les sacrements du Christ que vous. gardez pour votre condamnation dans le sacrilège du schisme deviendront pour vous profitables et salutaires lorsque vous aurez le Christ pour chef dans la paix catholique, «on la charité couvre la multitude des péchés (1).» Nous vous avons écrit ceci le 18 des calendes de juillet, sous le neuvième consulat du très-pieux Honorius Auguste, afin que cette lettre parvienne, quand elle le pourra, à chacun de vous.

1. 1P 4,8.




LETTRE CXLII. (Année 412)

Les efforts de saint Augustin en faveur de l'unité n'étaient pas stériles; il avait de douces paroles pour les donatistes ramenés à la foi catholique; voici ce qu'il écrivait à dés ecclésiastiques revenus à la vérité.

AUGUSTIN, ÉVÊQUE, A SES CHERS SEIGNEURS, AUX PRÊTRES SES FRÈRES SATURNIN ET EUPHRATE, AUX CLERCS RAMENÉS COMME EUX A LA PAIX ET A L'UNITÉ DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Votre retour religieux nous a réjouis, mais que notre absence ne vous attriste pas. Car nous sommes dans cette Eglise qui, quoique répandue en tout l'univers par la grâce de Dieu, ne forme cependant qu'un seul et grand corps dont le chef illustre est le Sauveur lui-même, comme dit l'Apôtre (2). Un prophète, longtemps auparavant, avait annoncé la glorification de ce chef, qui devait éclater après la résurrection, quand il disait: «Dieu, élevez-vous au-dessus des cieux;» et comme, le Christ une fois élevé au-dessus des cieux, son Eglise devait remplir toute la terre de sa fécondité, le même prophète ajoutait: «Et que votre gloire se répande par toute la terre (3).» C'est pourquoi, mes bien-aimés, armés de constance et de force et sous un chef élevé si haut, restons dans ce corps glorieux dont nous sommes les membres. Lors même que les plus lointaines distances me sépareraient de vous, nous serions toujours ensemble en celui dans l'unité de qui nous devons toujours demeurer. Si nous n'avions qu'une même maison, nous dirions que nous sommes ensemble; à plus forte raison le sommes-nous, quand nous n'avons qu'un même corps! Et d'ailleurs la Vérité

2. Ep 5,53 Col 1,18. - 3. Ps 57,12.

elle-même nous enseigne que nous sommes dans la,même maison, car la sainte Écriture, qui dit que l'Eglise est le corps du Christ, dit aussi que l'Église est la maison de Dieu (1).

2. Mais cette maison n'est pas bâtie sur un point quelconque de l'univers, elle couvre toute la terre. Voilà pourquoi le psaume qui a pour titre: «Quand la maison s'édifiait après la captivité,» commence par ces mots, «Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que toute la terre le chante au Seigneur (2).» Le démon avait tenu la terre captive dans les liens du vieil homme; après cette captivité la construction de la maison représente le renouvellement des âmes fidèles dans l'homme nouveau. De là ces paroles de l'Apôtre: «Dépouillez le vieil homme, et revêtez-vous de celui qui a été créé selon Dieu (3);» et parce que ce renouvellement s'accomplit sur toute la terre dans l'unité catholique, selon d'autres paroles où le prophète demande à Dieu de faire éclater partout sa gloire (4), ainsi dans ce psaume, après. que David invite à chanter à Dieu un cantique nouveau pour montrer quand la maison s'édifie, il ajoute aussitôt: «Que toute la terre le chante au Seigneur.» Le même psaume excite les ouvriers par lesquels cette grande maison s'élève: «Annoncez, leur dit-il, de jour en jour son salut; annoncez sa gloire aux nations, ses merveilles à tous les peuples;» et peu après il dit: «Apportez au Seigneur, nations de la terre, apportez au Seigneur la gloire et l'honneur (5).» J'ai expliqué dans un autre endroit ce que,c'est que cette maison, c'est-à-dire l'Église catholique (6).

3. Ces témoignages et d'autres de ce genre, si nombreux dans les Écritures, sur la grande maison, ont tellement vaincu ses ennemis qu'ils ont avoué n'avoir rien à dire contre l'Église d'outre-mer, qu'ils reconnaissent pourtant comme catholique. Nous sommes en communion avec elle pour mériter d'être unis aux membres du Christ et de rester fidèlement et affectueusement attachés à son corps. Car, dans l'unité de cette Eglise, quiconque vit mal, «mangé et boit son jugement,» selon les paroles de l'Apôtre (7); mais quiconque vit bien n'a pas à craindre que son âme soit souillée par les fautes ou la personne d'autrui. Les

1. Ep 1,22-23 1Tm 3,15. - 2. Ps 95,1. - 3. Ep 4,22-24. - 4. Ps 57,12. - 5. Ps 95,7. - 6. Voir le livre Ier contre les lettres de Pétition, chap. 18. - 7. 1Co 11,29.

évêques donatistes, pressés dans l'affaire de Maximien, ont été eux-mêmes contraints d'avouer «qu'une cause ne nuisait pas à une «autre cause, ni une personne à une autre.» Nous sommes toutefois en sollicitude les uns pour les autres comme membres d'un même corps; et nous tous qui devons trouver place avec le bon grain, nous désirons, avec l'aide de Dieu, tolérer la paille pendant que nous sommes encore sur l'aire, et pour cette paille destinée au feu, n'abandonner pas l'aire du Seigneur.

4. Que chacun de vous remplisse fidèlement avec joie les devoirs de sa charge; soyez pieusement exacts dans votre ministère par amour pour ce Dieu, notre Maître commun, à qui nous avons à rendre compte de nos actions. Aussi, vous devez avoir des entrailles de miséricorde, parce que «celui qui n'aura pas fait miséricorde sera jugé sans miséricorde (1).» Priez donc avec nous pour ceux qui souffrent encore, afin qu'ils soient guéris de cette charnelle infirmité, triste fruit d'une longue coutume. Qui ne comprend combien il est doux et bon que des frères habitent ensemble (2), si ce goût est senti par des bouches qui ne soient plus malades, et si l'âme, éprise des douceurs de la charité, rejette l'amertume de la division? Mais il est puissant et miséricordieux le Dieu que nous prions pour nos frères égarés; nous lui demandons de les ramener au salut par les moyens qu'il voudra. Que le Seigneur vous conserve dans la paix!

1. Jc 2,13. - 2. Ps 132,1.




LETTRE CXLIII. (Année 412)

La première partie de cette lettre renferme d'admirables leçons de modestie dont tous ceux qui écrivent doivent profiter. Le reste est consacré à l'examens ou plutôt à l'exposition des opinions diverses sur l'origine de l'âme. Saint Augustin n'a jamais voulu prendre parti dans cette difficile question.

AUGUSTIN A SON EXCELLENT, ILLUSTRE SEIGNEUR ET TRÈS-CHER FILS MARCELLIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Voulant répondre à votre lettre que j'ai reçue par mon saint frère et collègue Boniface, je l'ai cherchée et ne l'ai point trouvée. Je me souviens pourtant que vous y demandiez comment toute l'eau de l'Égypte ayant été changée en sang, les magiciens de Pharaon avaient pu (332) à leur tour faire quelque chose de pareil. Cette difficulté se résout de deux manières: On a pu apporter de l'eau de la mer, ou bien, ce qui est plus croyable, la région où se trouvaient les enfants d'Israël n'avait point été frappée de ces plaies. Cette préservation étant marquée en quelques endroits de l'Écriture, nous savons ce qu'il faut en penser, là même oit l'Écriture n'en parle pas.

2. Mais la lettre que m'a remise de votre part le prêtre Urbain, renferme une difficulté tirée non pas des Livres divins, mais des livres que j'ai écrits sur le Libre Arbitre. - De pareilles difficultés ne me retiennent pas longtemps; si les bonnes raisons manquent pour défendre mon avis, cet avis n'est que le mien; il ne s'agit pas ici d'un auteur dont il n'est pas permis de condamner le sentiment, lors même que, faute de le bien saisir, on comprend quelque chose qu'on né doit pas approuver. Je tâche, je l'avoue, de me mettre au nombre de ceux qui écrivent à mesure qu'ils profitent et profitent à mesure qu'ils écrivent. Si donc, par imprudence ou par ignorance, il m'est échappé quelque chose qui puisse être avec raison relevé par d'autres et aussi par moi-même (car si je profite, je dois m'apercevoir de mes fautes), il ne faut ni s'en étonner ni s'en affliger, mais il faut me pardonner, et me féliciter, non pas de m'être trompé, mais d'avoir été rectifié. Car celui-là s'aime lui-même d'un bien coupable amour qui veut que les autres se trompent pour que sa propre erreur ne soit pas connue. Combien il est meilleur et plus utile que, là où il s'est trompé lui-même, d'autres ne se trompent pas, afin qu'averti par eux il se corrige! S'il ne veut pas se corriger, que d'autres au moins ne partagent pas son erreur. Si Dieu nie fait la grâce d'exécuter un jour le dessein que j'ai d'écrire un ouvrage tout exprès pour marquer ce que pourra m'offrir dé défectueux l'examen de tous mes livres, les hommes alors verront combien peu j'ai égard à ma personne (1).

3. Mais vous qui m'aimez beaucoup; si lorsqu'on me reprend par malice, ignorance ou même avec l'intelligence de la vérité; vous dites que je ne me suis jamais trompé dans mes écrits, vous travaillez en vain, vous soutenez

1. Ces belles lignes, d'une si sincère modestie, nous prouvent que, dès l'année 412, saint Augustin avait l'idée de l'ouvrage intitulé de Recensione librorum (de la révision ou revue des livres) qui occupe les derniers temps de sa vie. Voyez notre Hist. de saint Augustin, chap. LII.

une mauvaise cause, vous perdriez infailliblement votre procès, même devant moi. Je ne trouve pas bon que ceux qui me sont le plus chers me croient autre que je ne suis. S'ils aiment, non point ce que je suis, mais ce que je ne suis pas, ce n'est plus moi qu'ils aiment, mais un autre sous mon nom; c'est moi, si leur affection se fonde sur ce qu'ils savent ou ce qu'ils ont raison de croire; mais en m'attribuant ce qu'ils ne voient pas en moi, ils me prennent pour un autre et c'est un autre qu'ils aiment. Le plus éloquent des Romains, Cicéron, a dit de quelqu'un qu'il ne lui échappa jamais une parole qu'il aurait voulu ne pas avoir prononcée. Quelque belle que paraisse cette louange, elle pourrait plutôt s'appliquer à un fou achevé qu'à un sage accompli. Car ceux qu'on nomme vulgairement des bouffons, plus ils s'écartent du sens commun en multipliant les absurdités et les sottises, plus ils se félicitent de ce qu'ils disent: il n'appartient qu'à des gens sensés de se repentir d'une parole mauvaise, folle ou préjudiciable.

Mais si on prend en bonne part le mot de l'orateur romain et qu'on pense qu'il se soit rencontré des hommes, parlant de toute chose sagement et n'ayant jamais rien dit qu'ils ne voulussent avoir dit, il faut pieusement croire cela des hommes de Dieu qui ont parlé sous l'inspiration de l'Esprit-Saint plutôt que de le croire de celui que Cicéron a entendu louer de cette manière. Quant à moi je suis si éloigné de cette perfection que si je me vantais de ne rien dire que je ne voulusse avoir dit, je serais plus semblable à un fou qu'à un sage. On a écrit -des ouvrages de la plus haute autorité, non point quand on n'y a pas mis un seul mot qu'on regrette, mais quand on n'y a rien mis qu'on doive changer. Quiconque n'est point encore parvenu à ce degré de sagesse doit se résigner à être modeste: n'ayant pas pu tout dire de façon à ne pas s'en repentir, qu'il se repente de ce qu'il sait qu'il n'aurait pas dû dire.

4. Quelques-uns de mes meilleurs amis prétendent que je n'ai rien écrit ou presque rien que je puisse regretter, mais il y a au contraire beaucoup de choses que je voudrais effacer si je le pouvais, et beaucoup plus peut-être que ne le croient mes censeurs les plus malveillants; aussi je ne me flatte pas du mot de Cicéron: Il ne lui échappa jamais une parole qu'il eût voulu ne pas avoir prononcée; mais (333) je me rappelle avec inquiétude cette pensée d'Horace: «une parole lâchée ne revient pas.» Voilà pourquoi je retiens entre ires mains, plus longtemps que vous ne le voudriez, mes livres sur la Genèse (1) et sur la Trinité, où se rencontrent les plus périlleuses questions; si je ne puis les rendre irréprochables, qu'ils soient un peu moins défectueux que si je m'étais imprudemment bâté de les mettre au jour. Vous autres, comme je le vis par vos lettres (car mon saint frère et collègue Florentius me l'écrit aussi), vous me pressez de les publier pour que je puisse, de mon vivant, les défendre s'ils sont attaqués sur quelques points, soit par la malice des ennemis, soit par les interprétations trop peu intelligentes des amis. Vous m'exprimez ce désir parce que, vous ne pensez pas qu'il y ait quelque chose dans ces livres qu'on puisse raisonnablement critiquer; autrement vous ne m'engageriez pas à les livrer, mais plutôt à les corriger avec plus de soin encore. Mais moi je m'inquiète davantage des vrais juges, des juges sévèrement armés de la vérité, parmi lesquels je veux d'abord m'établir moi-même, afin de ne leur laisser à reprendre que les fautes qui auront pu échapper à l'attention vigilante de mon esprit.

5. Dans le troisième livre du Libre Arbitré, en parlant de la substance raisonnable, j'ai dit «L'âme après le péché, établie dans des corps inférieurs, gouverne son corps, non pas tout ««à fait selon sa volonté, mais autant que le «permettent les lois générales.» On a voulu croire qu'en cet endroit j'avais déterminé quelque chose touchant l'origine de l'âme humaine, soit qu'elle vienne des parents par la propagation, soit qu'ayant péché dans une vie supérieure et céleste, elle ait mérité d'être enfermée dans une chair incorruptible. Que ceux qui ont ainsi compris ce passage fassent attention aux expressions dont je me suis servi; je n'y donne pour certain qu'une seule chose, c'est qu'après le péché du premier homme les autres hommes sont nés et naissent dans la chair du péché pour la guérison de laquelle le Seigneur est venu dans une chair semblable à celle du péché; l'ensemble de mes paroles ne préjuge rien contre aucune des quatre opinions sur l'origine de l'âme que j'ai ensuite exposées,.sans soutenir de préférence l'une d'elles, mais je faisais en- sorte que, n'importe laquelle serait conforme à la vérité, Dieu fût toujours loué.

1. L'ouvrage sur le sens littéral de la Genèse, composé de douze bras, fut terminé dés l'année 401 et ne fut publié qu'en 415. L'ouvrage sur la Trinité, composé de quinze livres, avait été commencé dans l'année 400 et ne fut livré à l'impatience des contemporains qu'en 416. Voyez notre Histoire de saint Augustin, chap. XXXV et XXXVI.

6. En effet, soit que toutes les âmes proviennent de celle du premier homme, soit qu'il y ait une âme particulièrement formée pour chacun, soit que Dieu envoie les âmes après avoir été créées en dehors de nous, ou qu'elles se plongent d'elles-mêmes dans les corps, il est certain que cette créature raisonnable, l'âme humaine, établie, après le péché, dans des corps inférieurs, c'est-à-dire terrestres, ne gouverne pas tout à fait son corps selon sa volonté, et vous aurez ainsi une certitude du péché du premier homme. Car je n'ai pas dit après son péché, ou bien: après qu'elle a eu péché; mais j'ai dit: «après le péché.» Par là s'il devient possible de déclarer avec vérité que ce soit le péché de l'âme elle-même ou le péché du premier père qui l'ait condamnée à s'unir à un corps, il demeurera toujours exact de dire «qu'après le péché l'âme établie dans des corps inférieurs ne gouverne pa «tout à fait son corps selon sa volonté;» car, selon les paroles de l'Apôtre, la chair convoite l'esprit (1) nous gémissons sous le poids de nos faiblesses (2), et le Sage nous dit que le corps corruptible appesantit l'âme (3). Et qui pourrait raconter toutes les misères de notre mortalité? elles disparaîtront quand ce corps corruptible sera revêtu de l'incorruptibilité pour que la vie absorbe ce qu'il y a de mortel en nous (4). L'âme alors gouvernera le corps spirituel tout à fait selon sa volonté; mais maintenant ce n'est pas tout à fait, c'est autant que le permettent les lois générales par lesquelles il est établi que les corps naissent et meurent, qu'ils se développent et vieillissent. L'âme du premier homme, avant le péché, gouvernait son corps à volonté, quoique ce corps ne fût pas encore spirituel; mais après le péché, c'est-à-dire après que le péché a été commis dans cette chair d'où devait sortir ensuite la chair de péché, l'âme raisonnable «a été établie dans des corps inférieurs de façon à ne pas gouverner son corps tout à fait selon sa volonté.» Nos paroles ne sauraient déplaire à ceux-là mêmes qui n'admettent pas que les enfants, non encore coupables de péchés personnels, soient cependant une chair de péché: c'est pour la guérir que le baptême est donné comme un

1. Ga 5,17. - 2. 2Co 5,4. - 3. Sg 9,15. - 4. 1Co 15,53

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remède nécessaire, au nom de Celui qui a pris la ressemblance de la chair de péché. Car il est certain, si je ne me trompe, que cette même chair, quoique infirme, non par une faute qui lui soit propre, mais par nature, a pourtant commencé à naître après le péché; Adam n'a pas été créé en cet état et n'a engendré personne avant le péché.

7. Que mes censeurs cherchent donc autre chose qu'ils soient fondés à reprendre, non-seulement dans des ouvrages de moi publiés avec trop de hâte, mais même dans mes livres sur le Libre Arbitre. Je ne nie pas qu'ils puissent y découvrir des points dont la rectification me serait profitable; ces livres ont passé en trop de mains pour qu'ils puissent se corriger; mais moi je vis encore et je puis me corriger moi-même. Les paroles de mon troisième livre, mesurées avec tant de précaution qu'elles ne s'opposent à aucune des quatre opinions sur l'origine de l'âme, ne sauraient être critiquées que par ceux qui me reprocheraient d'hésiter en présence d'une question aussi obscure; je ne me défendrai pas contre eux en leur disant que je fais bien de ne rien affirmer sur cette question, car je ne doute nullement que l'âme soit immortelle, non à la manière de Dieu même qui seul a l'immortalité (1), mais d'une certaine manière conforme à sa nature, et je ne doute pas qu'elle soit créature et non substance du Créateur: je me prononce de la même façon sur tout ce que nous pouvons savoir de certain touchant la nature de l'âme. Ce qui me forcé à rester en suspens devant l'origine de l'âme, c'est la profondeur des ténèbres dont elle est enveloppée: qu'on tende la main à celui qui avoue son ignorance et qui désire savoir ce qu'il en est; qu'on me l'apprenne si on peut; qu'on me le démontre si on a découvert par la raison quelque chose de certain là-dessus, ou si on a trouvé dans les divines Ecritures quelque chose de très-clair qui commande à cet égard notre foi. Car ce que la raison, même la plus habile, peut faire contrairement à l'autorité des saints Livres, n'a qu'un, semblant de vrai et ne saurait être la vérité. Et si l'autorité des saintes Ecritures semble contraire aux enseignements clairs et certains de la raison, c'est qu'on n'a pas pu pénétrer leur vrai sens, et qu'on y a mis du sien: ce n'est pas dans les divins livres, mais en lui-même que le commentateur a trouvé ce qui est en opposition avec la vérité.

1. 1Tm 6,16.

8. En voici un exemple: faites bien attention à ce que je vais dire. A la fin du livre qui se nomme Ecclésiaste, il est question de la dissolution de l'homme qui se fait par la séparation de l'âme et du corps, et l'Ecriture dit; «Que la poussière rentre dans la terre d'où elle a été tirée, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné (1).» Un sentiment de cette autorité ne laisse aucun doute et ne saurait tromper personne; mais si quelqu'un y veut montrer un témoignage favorable à l'opinion qui fait venir toutes les âmes de celle du premier homme; son sentiment semble être appuyé, sur ce qui est dit ici de la chair sous le nom de poussière (car la poussière et l'esprit ne signifient pas autre chose dans cet endroit que le corps et l'âme); il pourrait dire que l'âme retourne à Dieu parce qu'elle tire son origine de cette âme que Dieu donna au premier homme, comme la chair retourne en terre parce qu'elle vient de cette chair qui fut faite de terre dans le premier homme: il soutiendrait ainsi que ce que nous connaissons du corps doit nous déterminer à croire ce qui nous demeure caché sur l'âme, car c'est l'origine de l'âme qui fait doute et non pas l'origine du corps. Les deux questions dans ce passage de l'Ecriture semblent s'expliquer l'une par l'autre: que la chair retourne en terre comme auparavant, car elle en fut tirée quand le premier homme fut fait; que l'esprit retourne à Dieu. qui le donna quand il répandit un souffle de vie sur la face de l'homme qu'il venait de former, et que l'homme devint une âme vivante (2) d'où les hommes devaient sortir, corps et âme, par voie de propagation.

9. Cependant, s'il est vrai que toutes les âmes ne viennent pas de celle du premier homme, mais que, créées ailleurs, Dieu les donne à mesure qu'un corps humain se forme, cette opinion peut encore s'accorder avec ces paroles; «Que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné.» Ces paroles n'exclueraient donc que les deux autres opinions, parce que, si une âme particulière était créée à chaque création d'homme, on ne pense pas que l'Ecriture aurait dû dire; «Que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné;» mais à Dieu qui l'a fait. Ce mot: «il a donné,» suppose l'existence antérieure, de ce qui pouvait se donner. On presse encore ces paroles; «Que l'esprit retourne à Dieu,» et on demanda;

1. Si 12,7. - 2. Gn 2,7.

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Comment l'esprit retournera-t-il là où il n'a jamais été? Au lieu de ces expressions: «Que«l'esprit retourne à Dieu,» il eût mieux valu dire, ajoute-t-on: Que l'esprit s'avance ou qu'il aille vers Dieu, s'il est à croire que cet esprit n'y ait jamais été auparavant. De même il ne serait pas facile d'expliquer comment les âmes se plongeraient, de leur propre volonté, dans le corps, puisqu'il est écrit en parlant de l'esprit: «Dieu l'a donné.» C'est pourquoi, je le répète, ces deux opinions souffrent de ce passage de l'Ecriture: l'une, qui veut que chaque âme soit créée dans le corps qui lui est destiné; l'autre, qui prétend que les âmes se jettent de leur propre volonté dans les corps. Mais ce texte ne repousse pas les deux autres opinions l'une, qui fait venir toutes les âmes de celle du premier homme; l'autre, par laquelle les âmes déjà créées auparavant et établies en Dieu sont données aux corps.

10. Et cependant si les partisans de l'opinion qui veut que chaque âme soit créée dans son corps, soutenaient que ces mots de l'Ecriture «Dieu a donné l'esprit,» doivent être compris comme quand on dit que Dieu nous a donné les yeux, les oreilles, les mains, ou toute autre chose, sans avoir besoin d'admettre que ces membres étaient faits a l'avance et mis en réserve en attendant les desseins- providentiels, mais que le Créateur les a donnés quand il les a faits, je ne vois pas ce qu'on pourrait leur répondre: à moins que d'autres témoignages ne fussent produits contre eux ou qu'il n'y eût des raisons certaines devant lesquelles dût fléchir leur opinion. De leur côté, ceux qui pensent que les âmes passent de leur propre volonté dans les corps, entendent les mots de l'Ecclésiaste: «Dieu a donné l'esprit,» comme ces mots de l'Apôtre: «Dieu les a livrés à la concupiscence de leur coeur (1).» Ces partisans de la création des âmes dans les corps, sont embarrassés de ce qui est dit du retour de l'esprit vers Dieu; ce seul mot les met mal à l'aise; mais, à mon avis, cela ne suffirait pas pour rejeter ce sentiment: on pourrait montrer par le langage accoutumé des saints Livres, que l'esprit créé retourne vers Dieu comme vers son auteur, et non pas comme vers celui en qui il avait été une première fois.

1. Rm 1,24.

11. Je vous ai écrit ces choses pour que celui qui voudra s'attacher à la défense de l'une des quatre opinions sur l'origine de l'âme, établisse son sentiment, soit par des citations des saints Livres qui ne puissent pas être comprises d'une autre manière, comme lorsque l'Ecriture dit que Dieu a fait l'homme, ou par des raisons certaines qu'il soit impossible de contredire sans folie, comme lorsqu'on dit que, pour connaître la vérité ou pour pouvoir se tromper, il faut être vivant. Car on juge de la vérité de ceci, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'autorité des divins Livres; il suffit pour cela du sens commun, et celui qui soutiendrait le contraire serait regardé comme fou. Si quelqu'un peut réunir ces conditions de certitude dans cette question sur l'âme, mêlée à tant d'obscurités, qu'il vienne en aide à mon ignorance; s'il ne le peut pas qu'il ne me reproche point mon hésitation.

12. Quant à ce que j'ai écrit sur la virginité de sainte Marie, on ne saurait en nier la possibilité, sans nier tout ce qui est arrivé miraculeusement dans des corps. Si on ne le croit pas, parce que cette merveille ne s'est accomplie qu'une fois, demandez à l'ami qu'une telle difficulté arrête, s'il ne se rencontre rien, dans les lettres profanes, qui ne soit arrivé qu'une fois: ce qui n'empêche pas qu'on y croie, non point dans la mesure qu'on accorde à des tables, mais, comme on dit, par une foi historique: demandez-le lui, je vous en prie. S'il nie que quelque chose de pareil se trouve dans l'histoire profane, il faut l'en faire souvenir; mais s'il l'avoue, la difficulté est résolue.





Augustin, lettres - LETTRE CXL (1), A HONORÉ. (Année 412)