Augustin, lettres - LETTRE CLXX. (Année 415)

LETTRE CLXXI. (Année 415)

Les lettres à de grands personnages n'étaient écrites que d'un seul côté; on écrivait des deux côtés avec des amis ou avec des personnes qu'on traitait sans cérémonie; la lettre au médecin Maxime avait cette forme; saint Augustin et Alype croient devoir s'expliquer à ce sujet dans un billet adressé à l'évêque Pérégrin.

ALYPE ET AUGUSTIN, A LEUR BIENHEUREUX SEIGNEUR, A LEUR VÉNÉRABLE ET CHER FRÈRE ET COLLÈGUE PÉRÉGRIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Nous avons écrit à notre honorable frère Maxime, pensant qu'il recevra notre lettre avec plaisir. Veuillez toutefois nous apprendre, par la première occasion que vous pourrez trouver, si nous avons obtenu quelque chose. Qu'il sache que quand nous adressons de longues lettres à nos amis, non-seulement laïques mais encore évêques, nous avons coutume de les écrire comme celle-là, parce que c'est plus rapide et que les lettres sont plus aisées à lire; dites-lui cela de peur que, ne connaissant pas notre usage, il ne s'imagine que nous lui avons manqué de respect.


LETTRE CLXXI bis.

Nous donnons ici le fragment d'une lettre de saint Augustin qui ne figure pas dans les éditions latines des lettres de l'évêque d'Hippone, si on excepte l'édition de 1845 (2). On suppose qu'elle est adressée au médecin Maxime, de Ténès, et c'est pourquoi nous la plaçons ici. Ce fragment, qui touche aux sept béatitudes, marque les sept degrés de la vie chrétienne. il a été trouvé dans les commentaires de Primase sur l'Apocalypse.

1. C'est par une crainte religieuse que vous devez commencer à mettre d'accord votre vie et vos moeurs avec les commandements de Dieu que noirs avons reçus pour bien vivre; car «la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, (3)» et c'est par elle que

2. Edition Migne. - 3. Ps 111,10

l'orgueil de l'homme diminue et se brise. Vous devez ensuite, par une piété douce et docile, ne pas repousser ce que vous ne comprenez point encore dans les Ecritures et ce que des ignorants jugent absurde et contradictoire; ne pas mettre dans l'audace de vos contestations, votre propre sens au-dessus du sens des Livres Saints; mais vous aimerez mieux croire avec docilité et attendre de comprendre, que d'accuser violemment ce qui demeure un secret pour vous. Troisièmement, quand votre misère humaine commencera à se connaître; quand vous saurez où vous êtes gisant; quand vous reconnaîtrez la pesanteur de ces chaînes de mortalité dont vous accable le péché d'Adam, et que vous verrez combien vous cheminez loin du Seigneur; enfin quand vous sentirez dans votre corps une loi contraire à la loi de votre esprit et vous retenant captif sous la loi de péché, écriez-vous: «Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort (1)?» afin que Dieu vous console dans vos gémissements en vous promettant la délivrance par sa grâce au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Quatrièmement, souhaitez ensuite, avec beaucoup plus de vivacité et d'ardeur, d'accomplir les oeuvres de justice, que les hommes les plus dépravés ne désirent les voluptés de la chair; et toutefois, avec l'espérance du secours divin, il y a du calme dans l'ardeur de ces souhaits et de la sécurité dans ces flammes sacrées. Dans ce quatrième degré de la vie spirituelle, on prie beaucoup, afin que ceux qui ont faim et soif de justice en soient rassasiés, et que ce ne soit plus une pénible difficulté, mais une douceur de s'abstenir, même avec lutte, des voluptés de toute corruption, qu'elle vienne de nous ou d'autrui. Dans le cinquième degré, on conseille la miséricorde comme moyen d'obtenir aisément cette grâce d'en-haut: aidez le pauvre en ce que vous pouvez, puisque vous désirez que le Tout-Puissant vous aide en ce que vous ne pouvez pas accomplir encore. Il y a deux manières d'exercer la miséricorde; dans la première on renonce à se venger, dans la seconde on est bienfaisant. Le Seigneur a exprimé en deux mots ce double caractère: «Pardonnez, «et l'on vous pardonnera; donnez, et l'on «vous donnera (2).» Ces oeuvres servent aussi à purifier le coeur, afin que nous puissions voir avec la pure intelligence, autant qu'il est permis

1. Rm 7,24. - 2. Lc 7,37-38.

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mis dans cette vie, l'immuable substance de Dieu. Car il y a devant nous un obstacle qui doit disparaître pour que la lumière se montre à nos yeux. Aussi le Seigneur a dit lui-même «Donnez l'aumône, et tout sera pur pour vous (1).» C'est pourquoi la pureté du coeur est elle-même le sixième degré. Mais pour que notre regard s'ouvre droit et pur vers la véritable lumière, il faut que ni nos Oeuvres bonnes et louables, ni nos habiles et ingénieuses découvertes n'aient pour but de plaire aux hommes ni de subvenir aux besoins du corps. Car Dieu veut être servi gratuitement, parce qu'il n'y a rien à cause de quoi on doive le rechercher. Lorsque, dans une marché plus lente ou plus rapide, nous serons arrivés, par les degrés de la vie chrétienne, à cette pureté de l'intelligence, alors nous oserons dire que nous pouvons quelque peu atteindre à l'unité de la souveraine et ineffable Trinité: là sera la paix suprême, parce qu'il n'y aura plus rien à attendre, quand les hommes qui auront été faits enfants de Dieu et rétablis dans leur dignité première jouiront de l'immutabilité de leur Père.

2. Ainsi donc premièrement: «Bienheureux les pauvres d'esprit;» c'est ici la crainte de Dieu. Ensuite: «Bienheureux ceux qui sont doux;» c'est ici la piété docile. Troisièmement: «Heureux ceux qui pleurent;» on apprend ici sa propre infirmité. Quatrièmement: «Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice;» nous apprenons ici par quel effort on soumet ses passions. Cinquièmement: «Heureux les miséricordieux, parce qu'il leur sera fait miséricorde;» c'est un conseil d'aider les autres pour mériter qu'on nous aide. On arrive alors au sixième degré où il est dit: «Heureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (2);» sachons ici que l'entendement purifié et capable de comprendre, ne pénétrera jamais rien de l'auguste mystère de la Trinité, si nous cherchons les louanges des hommes, même en faisant des choses louables. Enfin, par le septième degré, nous arrivons à cette ineffable paix que le monde ne peut pas donner. Les philosophes anciens ont fait d'admirables efforts pour rechercher la prudence, la force, la tempérance et la justice; si, pour la perfection de la religion, nous ajoutons à ces quatre vertus ces trois autres: la foi, l'espérance et la charité, nous trouvons le nombre sept. C'est avec raison qu'on ne doit pas oublier ces trois vertus, puisque, sans elles, nul ne peut ni servir Dieu ni lui plaire.

1. Lc 11,41. - 2. Mt 5,3-8.




LETTRE CLXXII. (Au commencement de l'année 410).

C'est la lettre qu'écrivit saint Jérôme après avoir vu Orose et reçu les deux livres sur l'origine de l'âme et sur le passage de l'épure de saint Jacques; il loue le travail de saint Augustin; le langage du grand solitaire fait bien voir que toute trace d'anciens dissentiments était effacée de son coeur.

JÉRÔME, AU CHER ET VÉNÉRABLE PAPE AUGUSTIN, SON SEIGNEUR VÉRITABLEMENT SAINT, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. J'ai reçu, pour son mérite et à votre recommandation, le prêtre Orose, homme digne d'honneur, mon frère et fils de votre grandeur. Mais nous sommes en un temps difficile où, pour moi, mieux vaut me taire que de parler; mes études sont interrompues, et, selon le mot d'Appius, j'en suis «à l'éloquence des chiens.» Aussi n'ai-je pu répondre pour le moment aux deux livres que vous m'avez adressés, et ou resplendissent le savoir et toutes les beautés de l'éloquence. Ce n'est pas que j'y trouve quelque chose à reprendre, mais, comme dit le bienheureux Apôtre, «que chacun abonde dans son sens; l'un d'une manière, l'autre de l'autre (1).» Assurément, tout ce qui peut se dire, tout ce qu'un sublime esprit peut puiser aux sources des divines Ecritures, vous l'avez dit et expliqué. J'en supplie votre révérence, souffrez que je loue un peu votre génie. Car nous discutons entre nous pour nous instruire. Mais les envieux et surtout les hérétiques, s'ils voient que nous différons d'opinion, ne manqueront pas, dans leur calomnieux langage, de vouloir faire croire qu'il y a entre vous et moi de l'aigreur. Pour moi je suis bien décidé à vous aimer, à vous considérer, à vous honorer, à vous admirer, et à défendre vos sentiments comme s'ils étaient les miens. Dans le dialogue que j'ai publié naguère (2), je me suis souvenu, comme je le devais; de votre béatitude. Travaillons de plus en plus à extirper du milieu des Eglises cette pernicieuse hérésie, qui prend des airs dé pénitence pour qu'on la laisse parler: elle sait bien que si elle se montrait en plein jour, elle serait chassée et mourrait sous l'anathème.

2. Vos saintes et vénérables filles Eustochium, et Paula marchent d'une façon digne de leur naissance et de vos exhortations; elles saluent particulièrement votre béatitude, ainsi que tous les frères qui s'efforcent de servir avec nous le Dieu Sauveur. L'an dernier nous avons envoyé, pour leurs affaires, à Ravenne et de là en Afrique et en Sicile. le saint prêtre Firmus; nous croyons qu'il est en ce moment en Afrique. Je vous prie de

1. Rm 14,5. - 2. Livre 3e contre les pélagiens.

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saluer respectueusement de ma part les saints qui sont auprès de vous. J'ai écrit une lettre au saint prêtre Firmus; si elle vous arrive, je vous demande de vouloir bien la lui faire parvenir. Que le Seigneur Jésus-Christ vous garde en bonne santé et vous fasse souvenir de moi, seigneur véritablement saint et bienheureux pape.

Et plus bas:

Nous manquons beaucoup ici de copistes pour le latin; c'est pourquoi nous ne pouvons faire ce que vous désirez, surtout pour la version des Septante, marquée d'astérisques et de pointes (1). On nous a dérobé la plus grande partie d'un premier travail.

1. Voy. ci-des. let. 71.




LETTRE CLXXIII. (Octobre 416)

Saint Augustin, dans cette lettre adressée à un prêtre donatiste, établit brièvement le crime religieux de la séparation, et nous donne une idée des emportements frénétiques des gens du parti donatiste.

AUGUSTIN, ÉVÊQUE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE, A DONAT, PRÉTRE DU PARTI DE DONAT.

1. Si vous pouviez voir la douleur de mon coeur et mes inquiétudes sur votre salut, peut-être auriez-vous pitié de votre âme et chercheriez-vous à plaire à Dieu (2) en écoutant une parole qui n'est pas la nôtre, mais la sienne; et vous ne mettriez pas ses Ecritures dans votre mémoire de façon à leur fermer votre coeur. Vous vous plaignez qu'on vous pousse à votre salut après que vous avez poussé à leur perte tant de catholiques! Qu'avons-nous voulu si ce n'est qu'on vous prît, qu'on vous amenât, et qu'on vous empêchât de périr? Ce que vous avez souffert dans votre corps, vous vous l'êtes fait vous-même, en ne voulant pas vous servir de la bêce qu'on vous amenait, et en vous jetant violemment par terre: car votre collègue, venu avec vous, n'a pas été blessé, parce qu'il ne s'est pas blessé lui-même.

2. Mais vous ne croyez pas qu'on aurait dû faire cela à votre égard, parce que vous pensez que nul ne doit être forcé au bien. Voyez ces paroles de l'Apôtre: «Celui qui désire l'épiscopat, désire une oeuvre sainte (3);» et pourtant combien y en a-t-il qui reçoivent l'épiscopat malgré eux! on les conduit, on les enferme, on les garde, on leur fait souffrir ce qu'ils ne veulent pas, jusqu'à ce qu'ils consentent à recevoir ce qui est saint: à combien

2. Si 30,24. - 3. 1Tm 3,1.

plus forte raison doit-on vous tirer de la pernicieuse erreur dans laquelle vous vous montrez ennemi de vous-même, pour faire connaître et choisir la vérité! On veut non-seulement que vos dignités vous deviennent profitables, mais encore que vous ne périssiez pas misérablement. Vous dites que, Dieu ayant donné le libre arbitre, l'homme ne doit pas être forcé au bien. Pourquoi donc ceux dont j'ai parlé plus haut sont-ils contraints au bien? Faites attention à ce que vous ne voulez pas voir: la bonne volonté se prodigue miséricordieusement, pour redresser la mauvaise volonté de l'homme. Qui donc ne sait pas que l'homme n'est damné que pour sa mauvaise volonté et que c'est uniquement sa bonne volonté qui le sauve? Par la raison qu'on les aime, ceux qui sont dans l'erreur ne doivent pas être impunément et cruellement livrés à leur mauvaise volonté; mais dès qu'on en a le pouvoir, il faut les détourner du mal et les forcer au bien.

3. Si on doit toujours abandonner à sa liberté une volonté mauvaise, pourquoi tant de fléaux pour détourner du mal les Israélites et les forcer à marcher dans la terre de promission, malgré leurs résistances et leurs murmures? Si on doit toujours abandonner à sa liberté une volonté mauvaise, pourquoi ne fut-il pas permis à Paul de continuer à persécuter cruellement l'Eglise? Pourquoi fut-il renversé pour être aveuglé, aveuglé pour être changé, changé pour être envoyé, envoyé pour souffrir au profit de la vérité ce qu'il avait fait au profit de l'erreur? Si on doit toujours abandonner à sa liberté une volonté mauvaise, pourquoi les saintes Ecritures font- elles au père de famille un devoir, non-seulement de reprendre un mauvais fils avec des paroles, mais même de le battre, afin de l'amener, contraint et dompté, à la pratique du bien (1)? Le sage dit: «Tu le frappes de la verge, mais tu délivres son âme de la mort (2).» Si on doit toujours abandonner à sa liberté une volonté mauvaise, pourquoi l'Ecriture reprend-elle les pasteurs négligents et leur dit-elle: «Vous n'avez pas ramené la «brebis errante, vous n'avez pas cherché celle qui était perdue (3)?» Et vous, vous êtes des brebis du Christ, votes portez le caractère du Seigneur dans le sacrement que vous avez reçu; mais vous êtes errants et vous périssez. Souffrez que nous ramenions les errants et que

1. Si 30,12. - 2. Pr 23,14. - 3. Ez 34,4.

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nous cherchions ceux qui sont perdus. Nous préférons faire la volonté du Seigneur, qui nous demande de vous forcer à revenir au bercail, que de faire la volonté des brebis errantes, pour vous laisser périr. Ne dites donc plus ce que j'apprends que vous dites souvent C'est ainsi que je veux errer, c'est ainsi que je veux périr. - Nous devons nous y opposer tant que nous pouvons.

4. C'est volontairement et librement que vous vous êtes jeté dernièrement dans un puits, pensant y trouver la mort. Mais qu'ils auraient été cruels les serviteurs de Dieu, s'ils vous avaient abandonné à votre volonté mauvaise au lieu de vous sauver de la mort! Qui ne les eût blâmés avec raison et ne les eût regardés comme des gens sans foi? Et cependant c'est bien volontairement que vous vous êtes jeté dans l'eau pour vous faire mourir; eux vous ont tiré de l'eau malgré vous pour vous délivrer; vous avez agi, vous, selon votre volonté, mais pour votre perte; eux ont agi contre votre volonté, mais pour votre salut. Si donc cette vie du corps doit être conservée aux hommes malgré eux par ceux qui les aiment; à plus forte raison faut-il s'occuper de sauver la vie de l'âme en présence du péril de la mort éternelle? Et du reste dans cette mort que vous vouliez vous donner vous-même, vous ne périssiez pas seulement pour le temps, mais même pour l'éternité; car au lieu de vous contraindre au salut, à la paix de l'Eglise, à l'unité du corps du Christ, à la sainte et indivisible charité, si on vous eût contraint à quelque chose de mauvais, vous n'auriez même pas dû tenter de vous donner ainsi la mort.

5. Cherchez dans les divines Ecritures, voyez si jamais des justes et des fidèles ont fait cela, au milieu des plus grands maux qu'on leur ait fait souffrir pour les précipiter à l'éternelle mort et non à cette vie éternelle où vous êtes poussé. J'ai appris que vous citiez à l'appui de votre conduite ce passage de saint Paul «Quand même je livrerais mon corps pour être brûlé (1).» L'Apôtre parlait de tous les biens qui ne servent de rien sans la charité, comme de parler les langues des anges et des hommes, comme tous les sacrements, comme toute science, toute prophétie, toute foi, même celle qui transporte les montagnes, et la distribution aux pauvres de tout ce qu'on possède; c'est pourquoi il vous a semblé que saint Paul

1. 1Co 13,3.

comptait parmi ccs biens la facilité pour chacun de se donner la mort. Mais examinez ces paroles et reconnaissez-en le sens véritable. L'Apôtre n'entend point qu'il faille se jeter dans le feu quand un ennemi nous persécute; il veut dire que nous devons mieux aimer ne rien faire de mal que de ne rien souffrir, lorsqu'on nous propose ou quelque chose de mal ou quelque souffrance: alors, s'il le faut, on livrera son corps au bourreau, comme firent les trois hommes qu'on forçait d'adorer une statue d'or, sous peine d'être jetés dans les flammes en cas de résistance. Ils ne voulurent point adorer l'idole; ils ne se jetèrent pas eux-mêmes dans la fournaise, et cependant l'Ecriture a dit: «qu'ils livrèrent leurs corps plutôt que de servir et d'adorer un autre Dieu que leur Dieu (1).» Voilà comment l'Apôtre a dit: «Quand même je livrerais mon corps pour être brûlé.»

6. Voyez la suite: «Si je n'ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien.» C'est à cette charité qu'on vous appelle, et c'est elle qui ne veut pas que vous périssiez; et vous croyez qu'il vous eût servi de quelque chose de vous précipiter dans la mort, lorsqu'il ne vous servirait de rien de mourir de la main d'un autre si vous restiez l'ennemi de la charité! Etabli en dehors de l'Eglise, séparé de l'unité et du lien de la charité, vous seriez puni de l'éternel supplice, lors même que vous seriez brûlé vif pour le nom du Christ. Tel est le sens de l'Apôtre: «Quand même je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien.» Elevez donc votre esprit vers de plus vraies et de meilleures pensées; examinez attentivement si c'est vers l'erreur ou l'impiété qu'on vous appelle, et souffrez tout pour la vérité. Mais si la voie où vous êtes est celle de l'erreur et de l'impiété, si celle où l'on vous appelle est la voie de la vérité et de la piété, puisque là se trouvent l'unité chrétienne et la charité de l'Esprit-Saint; pourquoi ces persistants efforts pour être ennemi de vous-même?

7. C'est par un effet de la miséricorde de Dieu que nous nous sommes réunis en grand nombre à Carthage avec vos évêques, pour conférer en bon ordre sur nos divisions. Les actes de la conférence sont écrits et portent nos signatures; lisez, ou souffrez qu'on vous les lise, et puis choisissez. J'ai appris que vous

1. Da 3,14-95.

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aviez dit que vous pourriez vous entendre avec nous sur ces actes, si nous mettions de côté ces paroles de vos évêques: «Une cause ne préjuge rien contre une cause, ni une personne contre une autre.» Vous voulez que nous regardions comme non avenus ces mots où la vérité elle-même a parlé par leur bouche sans qu'ils s'en soient doutés. Vous direz qu'ils se sont trompés en cela et qu'ils sont tombés imprudemment dans une fausse opinion. Nous disons, nous, qu'ils ont dit vrai, et nous le prouvons aisément par vous-même. Car si vos évêques choisis par tout le parti de Donat pour le soutenir, avec la condition que ce qu'ils feraient serait accepté par le parti tout entier, rencontrent auprès de vous une contradiction; si vous ne voulez pas qu'une parole de leur part, que vous croyez dite mal à propos, préjuge rien contre vous; ils ont donc eu raison de déclarer qu'une «cause ne préjuge rien contre une cause ni une personne contre une autre.» Et si vous ne voulez pas que la personne de tant d'évêques représentés par sept évêques choisis, préjuge rien contre la personne de Donat, prêtre de Mutugenne, vous devez reconnaître, à plus forte raison, que la personne de Cécilien, eût-on trouvé en lui quelque chose de mal, ne doit rien préjuger contre l'universelle unité du Christ, qui n'est pas enfermée dans la seule bourgade de Mutugenne, mais qui est répandue dans le monde entier!

8. Toutefois nous allons faire ce que vous désirez; nous allons agir avec vous comme si vos évêques n'avaient pas dit «qu'une cause ne préjuge rien contre une cause, ni une personne contre une autre.» Tâchez de trouver ce qu'ils auraient dû répondre quand on leur objecta l'affaire et la personne de Primien qui détesta et condamna avec les autres ceux qui l'avaient condamné; qui les reçut ensuite dans la plénitude de leurs dignités; qui reconnut et accepta le baptême donné par des «morts:» on les nomma ainsi au concile de Bagaïe, lorsqu'on déclara, dans cet arrêt célèbre, que «les rivages étaient couverts de morts.» Primien, par cette conduite, a mis à néant votre façon erronée de comprendre le mot de l'Ecriture: «Que sert-il d'être purifié quand on l'est par un mort (1)?» Si donc vos évêques n'avaient pas dit «qu'une cause ne préjuge rien contre une cause ni une personne contre une autre,» ils n'auraient pas pu se dégager de Primien: en parlant de la sorte, ils ont séparé l'Eglise catholique de l'affaire de Cécilien, et c'est ce que nous avons toujours soutenu nous-mêmes.

1. Ecclésiastiq. 34,30.

9. Mais lisez le reste, examinez le reste. Voyez s'ils ont pu parvenir à prouver quelque chose contre Cécilien lui-même, dont ils voulaient que le crime devînt le crime de l'Eglise. Voyez plutôt si, par des citations de témoignages, ils n'ont pas beaucoup fait pour Cécilien, et soutenu son innocence. Lisez ces pièces ou qu'on vous les lise. Examinez tout, repassez tout soigneusement, et choisissez le parti que vous devez suivre; décidez si vous devez vous réjouir avec nous dans la paix du Christ, dans l'unité de l'Eglise catholique, dans la charité fraternelle, ou endurer plus longtemps l'importunité de notre amour envers vous, pour une séparation criminelle, pour le parti Donat, pour une sacrilège division.

10. Vous répétez souvent, comme je l'entends dire, que les soixante et dix disciples se retirèrent du Seigneur, qu'il les laissa s'éloigner au gré de leur volonté mauvaise et impie, et qu'il répondit aux douze qui étaient restés: «Vous aussi ne voulez-vous pas vous en aller (1)?» Vous ne faites pas attention qu'alors l'Eglise ne faisait que commencer à croître, et qu'en elle ne s'était point encore accomplie cette parole du prophète: «Et tous les rois de la terre l'adoreront; toutes les nations la serviront (2).» Plus cette parole s'accomplit, plus l'Eglise use d'autorité, non-seulement pour inviter, mais encore pour forcer au bien. C'est ce que le Seigneur voulait enseigner alors; car quelque grande que fût sa puissance, il préféra recommander d'abord l'humilité. C'est ce qu'il fit voir aussi, et assez clairement, dans la parabole du festin; les conviés n'ayant pas voulu venir, il dit à un serviteur: «Va sur les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux. Et le serviteur dit à son maître: Il a été fait comme vous avez, commandé, et il y a encore de la place. Et le maître dit au servi«tour: Va dans les chemins et le long des «haies, et force d'entrer afin que ma maison se remplisse (3).» Remarquez qu'il est dit des premiers qui sont venus: «Amène-les ici,» et non pas: «force;» cela représentait le commencement de l'Eglise qui croissait afin d'arriver

1. Jn 6,68. - 2 Ps 71,11. - 3. Lc 14,21-23.

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au point de forcer. Mais il fallait qu'avec ses forces et sa grandeur elle contraignît les hommes au festin du salut éternel; c'est pourquoi, après les mots où il est dit que les ordres du maître sont exécutés et qu'il y a encore de la place, le maître ajoute: «Va dans les chemins et le long des haies, et force d'entrer.» Si donc vous vous en alliez paisiblement hors de ce festin du salut éternel et de l'unité de la sainte Eglise, nous vous trouverions comme dans les chemins; mais, à cause de vos violences répétées contre les nôtres, vous êtes comme rempli d'épines et d'aspérités; nous vous trouvons comme dans des baies, et nous vous forçons d'entrer (1). Celui qui est contraint va où il ne veut pas; mais une fois entré dans la salle du festin, il mange librement. Réprimez donc votre esprit si injuste et si agité pour que vous trouviez un festin salutaire dans la véritable Eglise du Christ.

1. Nous avons eu occasion d'exposer et d'expliquer les idées et la conduite de saint Augustin sur l'emploi de la force en matière de région. Voyez l'Histoire de saint Augustin.




LETTRE CLXXIV. (Année 416)

Saint Augustin, en envoyant à l'évêque de Carthage une copie de ses livres sur la Trinité, qu'il vient d'achever, lui fait comme l'historique de cet ouvrage. Cette lettre a été placée, par ordre de l'évêque d'Hippone, en tête des quinze livres sur la Trinité.

AUGUSTIN A SON BIENHEUREUX SEIGNEUR, A SON CHER ET VÉNÉRABLE FRÈRE, ET SAINT. COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, LE PAPE AURÈLE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

J'avais commencé jeune et je finis vieux les livres sur la Trinité qui est le Dieu véritable et souverain. J'avais laissé de côté cet ouvrage après m'être aperçu qu'on me l'avait dérobé avant que je l'eusse achevé, et avant que je l'eusse retouché comme c'était mon intention. Car ce n'est pas un à un que je voulais publier les livres dont cet ouvrage se compose, mais je voulais les publier tous à la fois, parce qu'ils se tiennent. Mon oeuvre se trouvant ainsi en bien des mains plus tôt que je n'aurais voulu, il ne m'était plus possible de l'améliorer, et je l'avais interrompue; je me proposais de m'en plaindre dans quelque écrit, pour que l'on sût que ce n'était pas moi qui avais publié ces, livres, mais qu'ils m'avaient été dérobés avant qu'ils me parussent dignes de voir le jour. Toutefois, poussé par les vives instances de beaucoup de nos frères, et surtout par vos ordres, je me suis mis à terminer, avec l'aide du Seigneur, un si pénible ouvrage. Après les avoir corrigés, non comme j'aurais voulu, mais comme j'ai pu, de peur de les rendre trop différents de ceux qui sont déjà répandus, j'envoie ces livres à votre révérence par un diacre notre cher fils, et je permets à chacun de les ouïr, de les copier et de les lire (1). Si j'avais pu les revoir entièrement, comme j'en avais l'intention, certainement ils auraient été, tout en gardant le même fond de doctrine, plus développés et plus clairs, autant que comportent de lumière des questions si grandes et si difficiles, et dans la mesure de mon esprit. Il y a des gens qui ont les quatre premiers livres, ou plutôt les cinq sans les commencements, et le douzième livre sans la fin, qui est assez considérable; mais si cette édition vient à leur connaissance, ils corrigeront tout ce qu'ils ont, s'ils le veulent et le peuvent. Je demande que vous ordonniez que cette lettre soit placée, séparément à la vérité, mais cependant en tête de l'ouvrage. Adieu. Priez pour moi.




LETTRE CLXXV. (Année 416)

Les doctrines de Pélage et de Célestius sont condamnées par le concile de Carthage au mois de juin 416; les Pères du concile informent de leurs décisions le pape Innocent Ier.

AURÈLE, NUMIDIUS, RUSTICIEN, FIDENTIEN, EVAGRE, ANTOINE, PALATIN, ADEODAT, VINCENT, PUBLIEN, THÉASE, TUTUS, PANNONIEN, VICTOR, RESTITUT, RUSTICUS, FORTUNACIEN, un autre RESTITUT, AMPÉLIEN, AMBIVIEN, FÉL9,DONATIEN, ADÉODAT, OCTAVIEN, SÉROTIN, MAJORIN, POSTHUMIEN, CRISPULE, un autre VICTOR, LEUCIEN, MARIANUS, FRUCTUOSUS, FAUSTINIEN, QUODVULTDÉUS, CANDORIEN, MAXIME, MÉGASE, RUSTICUS, RUFINIEN, PROCULE, SÉVÈRE, THOMAS, JANVIER, OCTAVIEN, PRÉTEXTAT, SIXTE, QUODVULTDÉUS, PENTHADIUS, QUODVULTDÉUS, CYPRIEN, SERVILIEN, PÉLAGIEN, MARCELLUS, VÉNANTIUS, DIDYME, SATURNIN, BYZACÉNUS, GERMAIN, GERMANIEN, INVENTIUS, MAJORIN, INVENTIUS, CANDIDE, CYPRIEN, ÉMILIEN, ROMAIN, AFRICAIN, MARCELLIN ET LES AUTRES

1. Et cuicumque audiendos, describendos, legendosque permisi. Voilà comment un ouvrage se publiait il y a quatorze siècles.

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ÉVÊQUES QUI ONT ASSISTÉ AU CONCILE DE CARTHAGE, A LEUR TRÈS-HONORABLE, TRÈS-HEUREUX SEIGNEUR ET SAINT FRÈRE INNOCENT.

1. Pendant que, selon la coutume, nous étions solennellement réunis en concile à Carthage pour traiter de différentes affaires, Orose, notre collègue dans le sacerdoce, nous a remis des lettres de nos saints frères et collègues Héros et Lazare, dont nous joignons ici une copie. La lecture de ces lettres nous a appris que Pélage et Célestius sont convaincus d'être les auteurs d'une erreur criminelle et que nous devons tous anathématiser. C'est pourquoi nous avons cru devoir rechercher ce qui s'est fait à Carthage, pour Célestius, il y a près de cinq ans. Quoique, d'après ce que nous avons vu et ce que votre Sainteté pourra voir elle-même, il y ait eu alors un jugement épiscopal par lequel il semblait que cette grande blessure de l'Eglise était guérie, nous avons résolu d'un commun accord et quoique depuis ce temps Célestius ait été élevé, dit-on, à la dignité sacerdotale, d'anathématiser les auteurs de cette doctrine, si eux - mêmes ne l'anathématisent publiquement. Si nous n'obtenons pas le retour de ces auteurs, puissions-nous au moins, avec le bruit de notre sentence, ramener ceux qui ont été trompés et préserver ceux qui pourraient l'être encore!

2. Nous avons cru devoir faire connaître cet acte à votre sainte charité, seigneur notre frère, afin que l'autorité du siège apostolique se joigne à nos humbles décisions (1), pour protéger le salut de plusieurs et corriger la perversité de quelques-uns. Ces novateurs, dans leurs discours damnables, ne défendent pas, mais élèvent le libre arbitre jusqu'à un orgueil sacrilège; ils ne laissent plus de place à la grâce de Dieu par laquelle nous sommes chrétiens et par laquelle aussi notre volonté devient véritablement libre, parce qu'elle est délivrée de la tyrannie des concupiscences charnelles: «Si le Fils vous délivre, dit le Seigneur, alors vraiment vous serez libres (2).» C'est par la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'on obtient ce secours. Mais eux soutiennent, comme nous l'avons appris de ceux de nos frères qui ont lu leurs ouvrages, que la grâce de Dieu c'est le pouvoir donné par la création à la nature

1. Ut statutis nostrae mediocritatis etiam Apostolicae Sedis adhibeatur auctoritas. Nous citons ce texte comme témoignage de la suprématie du siège de Rome. - 2. Jn 8,36

humaine, d'accomplir par sa propre volonté la loi de Dieu, naturelle ou écrite; ils disent que cette loi écrite fait aussi partie de la grâce de Dieu parce que Dieu l'a donnée pour venir en aide aux hommes (1).

3. Ils ne veulent pas du tout reconnaître cette grâce par laquelle nous sommes chrétiens, et dont l'Apôtre est le prédicateur quand il dit: «Car je me plais dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur; mais je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché, qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis! qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2).» En refusant de reconnaître cette grâce, ils n'osent pas l'attaquer ouvertement; mais font-ils autre chose quand ils ne cessent de persuader aux hommes ani. maux, incapables de connaître ce qui est de l'Esprit de Dieu (3), que la nature humaine suffit pour opérer les oeuvres les plus parfaites de justice et accomplir les commandements de Dieu? Ils ne prennent pas garde à ce qui est écrit: «L'esprit vient en aide à notre infirmité (4); Cela ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde (5); Nous ne sommes qu'un seul corps en Jésus-Christ, et les membres les uns des autres; nous avons des dons différents selon la grâce qui nous a été donnée (6). C'est parla grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce n'a pas été stérile en moi, mais j'ai travaillé avec plus de fruit que tous les autres, non pas moi, mais la grâce de Dieu «avec moi; Grâces soient rendues à Dieu qui nous a donné la victoire par Jésus-Christ Notre-Seigneur (7); Non que nous soyons capables de penser quelque chose comme de nous-mêmes, mais ce que nous pouvons et vient de Dieu (8); Nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin qu'on reconnaisse que l'excellence de la vertu vient de Dieu et non pas de nous (9);» ils ne prennent pas garde à une infinité d'autres témoignages que nous pourrions recueillir dans toutes les Ecritures, si le temps ne nous manquait. Mais, en vous rappelant les choses que vous annoncez du haut du Siège Apostolique avec une plus

1. Is 8,20 selon les LXX. - 2. Rm 7,22-25. - 3. 1Co 2,14. - 4. Rm 7,26. - 5. Rm 9,16. - 6. Rm 12,5-6. - 7. 1Co 15,10-57. - 8. 2Co 3,5. - 9. 2Co 4,7.

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grande grâce, nous craignons de manquer de respect envers vous; si nous le faisons, c'est parce que nous sommes plus faibles, et que, de tous côtés, on nous attaque avec d'autant plus de fréquence et d'audace qu'on nous croit plus appliqués à répandre la parole de Dieu.

4. Si donc, aux yeux de votre sainteté même, Pélage a été avec raison absous dans la réunion épiscopale qu'on dit avoir eu lieu en Orient (1); son erreur cependant et son impiété, déjà beaucoup répandues, doivent aussi être anathématisées par l'autorité du Siège Apostolique. Que votre Sainteté, en effet, avec ses entrailles de pasteur, compatisse à nos alarmes, qu'elle considère combien est pernicieuse et mortelle aux brebis du Christ cette conséquence de la nouvelle doctrine, savoir que nous ne devons pas prier de peur de succomber à la tentation comme le Seigneur l'a enseigné à ses disciples (2) et l'a marqué dans son oraison (3); ni de peur de défaillir dans notre foi, comme il dit qu'il a prié lui-même pour l'apôtre Pierre (4). Si ces choses-là dépendent de la nature et sont au pouvoir de la volonté, qui donc ne voit que c'est inutilement que le Seigneur les a demandées? Qui ne voit que la prière n'est plus qu'un mensonge, puisqu'on y demande ce qu'on peut obtenir par les forces seules de la nature? N'est-il pas évident qu'alors le Seigneur Jésus n'a pas dû dire: «Veillez et priez,» mais seulement: «Veillez, pour ne pas succomber à la tentation (5)?» N'est-il pas évident qu'alors il n'a pas dû dire au bienheureux Pierre, le premier des apôtres: «J'ai prié pour toi,» mais: Je t'avertis, je te commande ou je t'ordonne de ne pas laisser défaillir ta foi?

5. La doctrine que nous vous signalons est aussi en contradiction avec nos bénédictions; car ce serait inutilement que nous prierions le Seigneur pour nos peuples afin que, par une droite et pieuse vie, ils se rendent agréables à lui, et que deviendraient ces paroles de l'Apôtre: «Je fléchis les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui toute paternité découle dans le ciel et sur la terre «afin que, selon les richesses de sa gloire, il affermisse votre vertu par son Esprit (6)?» Si donc, bénissant nos peuples, nous venons à

1. L'assemblée de Diospolis au mois de décembre 415. Voyez notre Histoire de saint Augustin, chap. XXXVI. - 2. Mt 26,41. - 3. Mt 6,13. - 4. Lc 22,32. - 5. Mt 26,41. - 6. Ep 3,14-16.

demander à Dieu d'affermir leur vertu par son Esprit, nous aurons contre nous les partisans de cette doctrine; ils diront que c'est nier le libre arbitre que de demander à Dieu ce qui est en notre pouvoir. «Car, disent-ils, si nous voulons être affermis dans la vertu, nous le pouvons avec les propres forces de la nature, que nous n'avons pas maintenant, mais que nous avons reçues quand nous avons été créés.»

6. Ils nient encore que, pour parvenir au salut que nous a mérité le Christ notre Sauveur, les enfants doivent être baptisés; ils les laissent tomber ainsi dans la mort éternelle, tout en promettant que, sans le baptême, ils obtiendront l'éternelle vie; ils prétendent qu'on ne doit pas leur appliquer ce que le Seigneur a dit: «Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui périssait (1);» «parce que, ajoutent-ils, ces enfants n'ont pas péri, et qu'il n'y a rien en eux qui ait besoin d'être sauvé et racheté à un si grand prix; il n'y a rien de corrompu en eux, rien qui soit retenu captif sous le pouvoir du démon, et le sang répandu pour la rémission des péchés n'a pas coulé pour eux (2).» Célestius a reconnu à Carthage que le baptême du Christ procurait la rédemption des enfants même, mais beaucoup de ceux qui sont ou qui ont été les disciples des deux novateurs ne cessent de reproduire ces fausses assertions par lesquelles, autant qu'ils le peuvent, ils sapent les fondements de la foi chrétienne. Aussi lors même que Pélage et Célestius se seraient amendés ou diraient qu'ils n'ont jamais rien soutenu de pareil et désavoueraient tout écrit qu'on leur attribuerait (et l'on ne saurait ici les convaincre de mensonge), il ne s'ensuivrait pas moins que quiconque enseigne et affirme que les forces purement humaines suffisent pour éviter les péchés et pratiquer les commandements de Dieu et se trouve ainsi l'ennemi de la grâce de Dieu, si évidemment établie par les prières des saints; et que quiconque nie que les enfants sont délivrés et obtiennent le salut éternel par le baptême du Christ, doit être anathème. Quand Votre Sainteté aura vu les actes épiscopaux qu'on dit avoir été faits en Orient dans la même cause, nous ne doutons pas qu'elle ne condamne les autres erreurs reprochées à ces novateurs, de manière à nous réjouir tous dans la miséricorde de Dieu. Priez pour nous, bienheureux seigneur pape.

1. Lc 19,10. - 2. Mt 26,28.

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Augustin, lettres - LETTRE CLXX. (Année 415)