Augustin, lettres - LETTRE CLXXVIII. (Année 416)

LETTRE CLXXIX. (Année 416)

Jean était évêque de Jérusalem; nous avons dit dans l'Histoire de saint Augustin (2) quelle fut son attitude en face de Pélage à l'assemblée de Diospolis. Saint Augustin, profitant d'une occasion pour Jérusalem, écrit à Jean pour l'avertir et l'instruire. Toutes ces lettres; à la naissance d'une grande hérésie, sont très-intéressantes, et nous font assister à l'impression même des contemporains.

AUGUSTIN, A SON BIENHEUREUX SEIGNEUR ET VÉNÉRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE JEAN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je n'ose pas me plaindre de n'avoir reçu aucune lettre de votre sainteté; j'aime mieux croire qu'une occasion vous a manqué que de croire à un dédaigneux oubli de votre part, bienheureux seigneur et vénérable frère. Maintenant voici un serviteur de Dieu, Luc, à qui je confie cette lettre, et qui se propose de bientôt revenir; je rendrai d'abondantes actions de grâces à Dieu et à votre bonté, si vous daignez lui confier quelque chose pour moi. J'entends dire que vous aimez beaucoup notre frère Pélage, votre fils: mais les hommes qui le connaissent le mieux par ses discours, craignent que votre sainteté ne se méprenne sur son compte; accordez-lui la grâce de les détromper.

2. Histoire de saint Augustin, chap. XXXVI.

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2. Parmi ses disciples, il en est deux, de noble naissance et versés dans les belles-lettres, qui, d'après ses exhortations ont renoncé aux espérances du siècle et se sont dévoués au service de Dieu. En eux pourtant avaient apparu certaines choses contraires à la saine doctrine renfermée dans l'Evangile du Sauveur et annoncée par les apôtres; on trouvait qu'ils attaquaient la grâce de Dieu par laquelle nous sommes chrétiens et dans laquelle «nous attendons la justice par l'esprit et en vertu de la foi (1).» C'est par nos avis qu'ils ont commencé à revenir à la vérité, et ils m'ont donné un livre qu'ils ont dit être de Pélage, me priant d'y répondre. Ayant vu que je devais faire cela pour mieux ôter de leur âme cette erreur criminelle, j'ai lu et j'ai répondu.

3. Dans ce livre, Pélage n'entend par la grâce de Dieu que la nature par laquelle nous sommes formés avec le libre arbitre. Quant à la grâce que la sainte Ecriture nous marque en d'innombrables endroits, nous apprenant que c'est elle qui nous justifie, c'est-à-dire qui fait qu'on devient juste et que la miséricorde de Dieu nous aide à accomplir, et à accomplir parfaitement toute bonne oeuvre (et les prières des saints nous le montrent clairement aussi, car les saints demandent au Seigneur de pouvoir observer ce que le Seigneur commande) quant à cette grâce, dis-je, non-seulement Pélage n'en parle pas, mais il avance beaucoup de choses contraires. Il affirme en effet et soutient fortement que la nature humaine, par le seul libre arbitre, suffit à l'accomplissement des oeuvres de justice et à l'observance de tous les commandements de Dieu. En lisant ce livre, qui donc ne voit pas combien la grâce de Dieu y est combattue, cette grâce dont l'Apôtre dit: «Malheureux homme que je suis! qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2)?» Il ne s'y trouve plus de place pour le secours divin en vue duquel nous devons dire en priant: «Ne nous induisez pas en tentation (3)?» Si tout peut s'accomplir sans l'aide de Dieu avec le seul pouvoir de la volonté, c'est sans raison que le Seigneur aura dit à l'apôtre Pierre: «J'ai prié pour toi de peur que ta foi ne défaille (4).»

1. Ga 5,5. - 2. Rm 7,24-25. - 3. Mt 6,13. - 4. Lc 22,32.

4. Ces discours pervers et impies ne sont pas seulement en contradiction avec nos prières, par lesquelles nous demandons au Seigneur tout ce que nous croyons que les saints ont de. mandé; ils le sont aussi avec les bénédictions que nous implorons sur le peuple quand nous souhaitons et que nous demandons pour lui au Seigneur qu'il fasse croître de plus en plus la charité au milieu de lui (1), qu'il donne à tous de s'affermir dans la vertu par son Esprit selon les richesses de sa gloire (2), qu'il les remplisse de toute joie et de paix dans la foi et qu'ils abondent dans l'espérance et dans la puissance du Saint-Esprit (3). Pourquoi demander pour eux ces choses, comme faisait l'Apôtre, si déjà notre nature, créée avec le libre arbitre, peut se les attribuer de sa propre volonté? Pourquoi le même Apôtre dit-il encore: «Car tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont enfants de Dieu (4), si c'est notre propre nature qui nous conduit pour devenir enfants de Dieu? Pourquoi saint Paul dit-il: «Que l'Espprit aide notre faiblesse (5),» si notre nature est telle qu'elle n'ait pas besoin du secours de l'Esprit pour les oeuvres de justice? Pourquoi est-il écrit que «Dieu est fidèle, qu'il ne permettra pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces et qu'il nous fera profiter de la tentation elle-même, afin de pouvoir persévérer (6),» si nous trouvons dans les forces du libre arbitre de quoi surmonter toutes les tentations?

5. Que dirai-je de plus à votre sainteté? Je sens que je vous fatigue, d'autant plus que vous avez besoin qu'on vous traduise ma lettre. Si vous aimez Pélage, qu'il vous aime lui aussi, ou, plutôt, qu'il s'aime lui-même, et qu'il ne vous trompe pas. Lorsque vous l'entendez reconnaître la grâce de Dieu et le secours de Dieu, vous croyez qu'il entend ce que vous entendez vous-même d'après l'enseignement catholique; car vous ne savez pas ce qu'il a écrit dans son livre. C'est pour cela que je vous envoie ce livre et ce que j'y ai répondu; votre grandeur verra de quelle grâce et de quel secours il entend parler, quand on lui fait remarquer que son sentiment est en opposition avec la grâce de Dieu et le secours de Dieu. Montrez-lui donc, par vos instructions, vos exhortations, vos prières pour son salut qui doit être dans le Christ, qu'il faut qu'il reconnaisse cette même grâce de Dieu, reconnue par les saints, quand ils demandaient au

1. 1Th 3,12. - 2. Ep 3,16. - 3. Rm 15,13. - 4. Rm 13,44. - 5. Rm 13,26. - 6. 1Co 10,13

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Seigneur de pouvoir exécuter ses commandements: les prescriptions imposées prouvent notre volonté, et les prières des saints prouvent le besoin d'être aidé dans la faiblesse de la volonté humaine.

6. Demandez nettement à Pélage s'il veut qu'on prie pour ne pas tomber dans le péché. S'il ne le veut pas, qu'on lui lise ce passage de l'Apôtre: «Mais nous prions Dieu pour que vous ne fassiez rien de mal (1).» S'il y consent, qu'il prêche ouvertement la grâce par laquelle nous sommes secourus, de peur qu'il ne fasse lui-même beaucoup de mal. Car cette grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, sauve tous ceux qui sont sauvés: personne, sans elle, ne peut l'être en aucune manière. «De même que tous meurent en Adam, dit l'Apôtre, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ (2);» cela ne signifie pas que nul ne sera condamné, mais que nul ne sera sauvé autrement. Comme il n'est point de fils de l'homme qui ne le soit par Adam, ainsi il n'y a d'enfants de Dieu que ceux qui le sont par le Christ. Par Adam seul on peut devenir fils de l'homme, et aucun fils de l'homme ne peut que par le Christ devenir fils de Dieu. Que Pélage nous dise ici franchement sa pensée; veut-il qu'on sauve par la grâce du Christ les enfants qui ne peuvent pas encore vouloir ni connaître la justice? Croit-il que le péché soit entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort, et que la mort ait passé à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché (3)? Croit-il que ce soit aussi pour les enfants, à cause du péché originel, qu'ait été répandu le sang du Christ, qui l'a été pour la rémission des péchés (4)? Voilà principalement les points sur lesquels nous voulons savoir ce qu'il croit, ce qu'il soutient, ce qu'il reconnaît et prêche. Quant aux autres reproches qu'on lui adresse, lors même qu'il serait convaincu d'erreur, qu'on le supporte plus patiemment jusqu'à ce qu'il se corrige.

7. Je vous demande aussi de vouloir bien nous transmettre les actes ecclésiastiques par lesquels on dit qu'il s'est justifié. Je le demande au nom de beaucoup d'évêques qui partagent à cet égard mes doutes inquiets. Si je suis seul à vous écrire, c'est que je n'ai pas voulu perdre l'occasion de ce porteur pressé de s'embarquer et qui se propose, dit-on, de revenir

1. 2Co 13,7. - 2. 1Co 15,22. - 3. Rm 15,12. - 4. Mt 26,28.

bientôt de son voyage. Au lieu de ces actes ou d'une partie de ces actes, Pélage nous a envoyé une sorte de mémoire pour sa défense et comme le résumé des réponses qu'il aurait faites aux objections des évêques des Gaules (1). Dans ce mémoire, répondant au reproche d'avoir dit que l'homme peut vivre sans péché et garder, s'il le veut, les commandements de Dieu: «Je l'ai dit, a-t-il répondu; car Dieu a donné à l'homme ce pouvoir. Je n'ai pas dit qu'il se trouve quelqu'un qui n'ait pas péché depuis son enfance jusqu'à sa vieillesse, mais qu'un homme converti par son propre effort, peut-être sans péché, avec le secours de la grâce de Dieu, et que le péché ne le rend pas inconvertissable pour l'avenir.»

8. Pélage, dans cette réponse, votre sainteté le voit, reconnaît que le premier temps de la vie de l'homme depuis l'enfance n'est pas sans péché, mais qu'il peut, par son propre effort et avec la grâce de Dieu, s'élever à une vie qui soit sans péché. Pourquoi donc, dans le livre auquel j'ai répondu, dit-il qu'il y a des hommes dont toute la vie a été exempte de tout péché? Car voici à cet égard ses propres paroles: «Cela peut très-bien se dire de ceux dont l'Ecriture ne rappelle ni les bonnes ni les mauvaises oeuvres; mais pour ceux dont elle dit qu'ils ont été justes, elle aurait certainement fait mention de leurs péchés si elle avait su qu'ils en eussent commis. J'admets, ajoute-t-il, que l'Ecriture n'ait pas dévoilé les péchés de tout le monde aux époques où la foule humaine était grande; mais au commencement du monde, lorsqu'il y avait sur la terre quatre hommes seulement, pourquoi n'aurait-elle pas marqué les péchés de chacun? S'est-elle arrêtée devant le trop grand nombre d'hommes, puisqu'il n'y avait pas foule alors? N'est-il pas plus vrai de dire qu'elle n'a parlé que des péchés commis, et n'a pas pu marquer des fautes qui n'existaient pas? Au commencement des temps il y avait quatre hommes, Adam et Eve et leurs deux fils, Caïn et Abel. Eve a péché; l'Ecriture le raconte; Adam a péché; la même Ecriture le dit, et dit également que Caïn a péché; elle ne marque pas seulement leurs péchés, elle en marque la qualité. Si Abel eût aussi péché, l'Ecriture l'aurait rapporté sans doute; si elle n'en a pas fait mention, c'est donc qu'il n'a pas péché.»

1. Héros et Lazare.

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9. Ces paroles sont textuellement extraites du livre de Pélage, et votre sainteté pourra les trouver. Vous verrez le cas que vous devez faire de ses dénégations. Il dira peut-être qu'Abel lui-même n'a commis aucun péché, mais qu'il n'a pas été pour cela sans péché, et qu'on ne saurait le comparer au Seigneur, qui seul a vécu sans péché dans une chair mortelle; il dira qu'Abel avait le péché originel qu'il tirait d'Adam et n'avait pas commis en lui-même. Plût à Dieu qu'il tint ce langage! Nous pourrions alors avoir avec certitude son sentiment sur le baptême des enfants. Il ajoutera peut-être que personne, il est vrai, ne demeure sans péché depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, et que s'il dit qu'Abel a été sans péché, c'est qu'il n'est pas devenu vieux. Mais tel n'est pas le sens de ses paroles; il prétend qu'on pèche au premier temps de la vie et que dans la suite on peut ne plus pécher. Il se défend d'avoir dit «qu'il se trouve quelqu'un qui depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse n'ait pas péché,» mais il convient seulement d'avoir dit que «l'homme converti par son propre effort peut, avec le secours de la grâce de Dieu, ne plus pécher.» Car le mot de «conversion» indique une première vie coupable. Qu'il avoue donc qu'Abel a péché dans ce premier temps de la vie qu'il déclare ne pouvoir être sans souillure, et qu'il relise son livre, où il a dit certainement ce que dans sa défense il déclare n'avoir pas dit.

10. S'il répond que ce livre ou que cet endroit de son livre n'est pas de lui, j'invoquerai le témoignage compétent de nobles et pieux hommes qui sont assurément de ses amis; leur témoignage sera ma justification: ils diront qu'ils m'ont eux-mêmes donné ce livre, que cet endroit s'y trouve, que l'ouvrage est de Pélage; il me suffira que Pélage ne puisse pas dire que j'aie moi-même écrit ou falsifié le livre. Chacun est libre de croire celui d'entre eux qu'il voudra; il ne m'appartient pas de m'arrêter plus longtemps là-dessus. Nous vous prions de faire passer à Pélage le livre même, s'il nie ce qu'on lui reproche de soutenir contre la grâce du Christ. Le mémoire qu'il nous a envoyé pour sa défense est si obscur que si, par aucune ambiguïté de paroles, il ne trompe votre sainte prudence qui ne connaît pas ses autres écrits, nous en éprouverons une grande joie, et nous nous occuperons peu de savoir s'il a jamais soutenu des doctrines perverses et impies, ou s'il les a quittées pour rentrer dans la vérité.




LETTRE CLXXX. (Année 416)

On connaît Océanus qui fut l'ami, le correspondant de saint Jérôme. C'est dans cette lettre que saint augustin nous apprend que le grand solitaire de Bethléem avait fini par se ranger à son sentiment sur la célèbre question du mensonge officieux; on remarquera l'humilité de l'évêque d'Hippone qui se borne à dire que saint Jérôme avait adopté en cela l'opinion de saint Cyprien.

AUGUSTIN A SON TRÈS-CHER SEIGNEUR ET VÉNÉRABLE FRÈRE, PARMI LES MEMBRES DU CHRIST, OCÉANUS, SALUT.

1. J'ai reçu deux lettres de votre charité; dans l'une vous en mentionnez une troisième que vous dites m'avoir précédemment envoyée; je ne me rappelle pas l'avoir reçue, ou plutôt je crois bien me rappeler qu'elle ne m'est pas parvenue. Je rends grâces à votre bonté de celles que j'ai reçues. Si je n'y ai pas répondu tout de suite, c'est qu'un ouragan d'affaires m'en a empêché. Maintenant qu'un peu de loisir m'est donné, j'aime mieux vous répondre quelque chose que de garder envers votre charité si pure un plus long silence et vous déplaire par un excès de parole bien plus que par nia taciturnité.

2. Je savais déjà le sentiment de saint Jérôme sur l'origine des âmes, et j'avais lu ce que vous citez de son livre dans votre lettre. Ce qui embarrasse la question, ce n'est pas ce qui préoccupe quelques esprits qui demandent comment Dieu pourrait accorder des âmes aux unions adultères; car si ces âmes vivent bien et s'attachent à Dieu par la foi et la piété, elles ne peuvent éprouver aucun dommage ni de leurs propres péchés, ni, à plus forte raison, des péchés de leurs parents. Mais je me demande avec raison, s'il est vrai que de nouvelles âmes soient créées de rien pour chacun de ceux qui naissent, comment celui «en qui l'iniquité n'est pas (1)» pourrait damner avec justice d'innombrables enfants qu'il sait devoir sortir de ce monde sans le baptême, avant les années de raison, avant qu'ils puissent comprendre ou faire rien de bien ou de mal. Il n'est pas besoin de s'étendre là-dessus, parce que vous savez ce que je veux ou plutôt ce que je ne veux pas dire; je crois m'être assez

1. Rm 9,14.

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expliqué avec un homme tel que vous. Toutefois si vous lisez, ou si vous entendez de la bouche de saint Jérôme, ou si Dieu vous inspire à vous-même quelque chose qui puisse résoudre la question, je vous conjure de me le communiquer, et je vous en rendrai de plus amples actions de grâces.

3. Quant au mensonge officieux et utile pour lequel vous avez cru pouvoir indiquer l'exemple de Notre-Seigneur, qui dit que le Fils ignore le jour et l'heure de la fin du monde (1), je prenais plaisir,, en vous lisant, aux efforts de votre esprit, mais il ne me paraît pas du tout qu'une locution figurée puisse s'appeler un mensonge. Ce n'est pas mentir que de dire qu'un jour est joyeux parce qu'il nous rend joyeux, ou que le lupin est triste parce que son amertume donne une expression de tristesse au visage de celui qui en goûte; ou de dire que Dieu sait quand il permet que l'homme connaisse; vous avez rappelé vous-même que cela a été dit à Abraham (2). Ce ne sont pas là des mensonges; vous le voyez aisément. C'est pourquoi le bienheureux Hilaire, expliquant ce passage obscur, y a reconnu un langage figuré; il nous fait entendre que le Seigneur n'a pas dit qu'il ignorât en lui-même «le jour et «l'heure,» mais qu'il l'ignorait en ceux à qui il voulait le cacher (3); et par là saint Hilaire n'a pas excusé un mensonge, il a montré qu'il n'y en avait pas, non-seulement dans ces tropes moins en usage, mais même dans la métaphore qui est une manière de parler connue de tous (4). Quelqu'un prétendra-t-il que c'est mentir que de dire que les vignes sont perlées, les moissons ondoyantes, les jeunes gens fleuris, par la raison qu'on ne voit ici ni perles ni ondes ni fleurs proprement dites?

4. Avec votre esprit et votre instruction vous comprenez facilement combien il y a loin de là à ces paroles de l'Apôtre: «Comme je vis qu'ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Évangile, je dis à Pierre devant tous: Si vous qui êtes Juif, vous vivez comme les gentils et non comme les Juifs, pourquoi forcez-vous les gentils à judaïser (5)?» Il n'y a ici aucune obscurité qui tienne à des figures, ce sont les termes propres d'un langage très

1. Mc 13,32. - 2. Gn 22,12. - 3. Bossuet a admirablement développé cette pensée dans les Méditations sur l'Évangile, 77e jour et suivants. - 4. Saint Hilaire sur la Trinité, livre 9e. - 5. Ga 2,14.

clair, Le docteur des nations a dit ici vrai ou a dit faux à ceux qu'il enfantait jusqu'à ce que le Christ se formât en eux (1); et à qui il avait déclaré, en prenant Dieu à témoin: «En vous écrivant ceci, me voici devant Dieu! je ne ments pas (2).» S'il a dit faux (ce qu'à Dieu ne plaise!), vous voyez les conséquences: la vérité invoquée et l'admirable exemple de l'humilité de Pierre doivent vous éloigner en même temps de l'une et de l'autre faute.

5. Mais pourquoi s'arrêter plus longtemps ici? Cette question a été suffisamment traitée par lettrés entre le vénérable frère Jérôme et moi. Dans son récent ouvrage publié sous le nom de Clitobule contre Pélage, il a suivi là-dessus le sentiment du bienheureux Cyprien que nous suivions nous aussi (3). Mieux vaudrait s'occuper de la question de l'origine des âmes, non point pour résoudre les objections tirées des unions adultères, mais pour ne pas laisser croire que des innocents puissent être damnés, ce qui ne saurait être. Si vous apprenez d'un aussi grand homme quelque chose qui soit capable de dissiper les doutes, ne nous le refusez pas, je vous en prie. Vous m'apparaissez dans vos lettres si instruit et si aimable que j'attacherais beaucoup de prix à correspondre avec voles. Ne tardez pas à nous envoyer je ne sais quel ouvrage de cet homme de Dieu, que le prêtre Orose a apporté et qu'il vous a donné à copier, et où l'on dit que saint Jérôme a si admirablement parlé de la résurrection de la chair. Si nous ne vous l'avons pas demandé plus tôt, c'est que nous pensions que vous étiez occupé de le copier et de le corriger: mais nous croyons que maintenant vous avez eu amplement tout le temps pour cela. Vivez pour Dieu en vous souvenant de nous.

1. Ga 4,29.- 2. Ga 1,20. - 3. S. Jérôme, liv. I. cont. Pélag. Lett. 71, à Quintus.




LETTRE CLXXXI. (Année 416)

Cette lettre du pape Innocent est belle, éloquente, rapide; on aime à entendre le chef de l'Église déclarer sa conformité de sentiments avec la vieille Afrique chrétienne sur les grands points de la foi.

INNOCENT A AURÈLE, NUMIDE, RUSTICIEN, AURÈLE, NUMIDIUS, RUSTICIEN, FIDENTIEN, EVAGRE, ANTOINE, PALATIN, ADEODAT, VINCENT, PUBLIEN, THÉASE, TUTUS, PANNONIEN, VICTOR, RESTITUT, RUSTICUS, FORTUNATIEN, UN AUTRE RESTITUT, (474 ) AMPÉLIEN, AMBIVIEN, FÉL9,DONATIEN, ADÉODAT, OCTAVIEN, SÉROTIN, MAJORIN, POSTHUMIEN, CRISPULE, UN AUTRE VICTOR, LEUCIEN, MARIANUS, FRUCTUOSUS, FAUSTINIEN, QUODVULTDEUS, CANDORIEN, MAXIME, MÉGASE, RUSTICUS, RUFINIEN, PROCULE, SÉVÈRE, THOMAS, JANVIER, OCTAVIEN, PRÉTEXTAT, SIXTE, QUODVULTDEUS, PENTHADIUS, QUODVULTDEUS, CYPRIEN, SERVILIEN,PÉLAGIEN, MARCELLUS, VENANTIUS, DIDYME, SATURNIN, BYZACENUS, GERMAIN, GERMANIEN, INVENTIUS, MAJORIN, INVENTIUS, CANDIDE, CYPRIEN, ÉMILIEN, ROMAIN, AFRICAIN, MARCELLIN, ET AUX AUTRES BIEN-AIMÉS FRÈRES DU CONCILE DE CARTHAGE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Quand vous vous êtes occupés des questions les plus clignes de la sollicitude sacerdotale, les plus dignes surtout de l'examen d'un concile véritable, légitime et catholique, vous avez aussi efficacement servi la cause de notre religion en nous consultant et en vous référant à notre jugement qu'en prononçant vos décrets; vous vous montriez en cela fidèles à l'antique tradition et à la discipline ecclésiastique; vous saviez ce qui est dû au Siège apostolique, où nous tous qui y sommes assis n'avons d'autre désir que de suivre l'Apôtre lui-même, et d'où découlent tout l'épiscopat et toute l'autorité de ce nom. Aussi, à l'exemple de l'Apôtre, nous condamnons ce qui est mal et nous louons ce qui est bien; nous louons surtout la docilité sacerdotale que vous témoignez aujourd'hui. Persuadés qu'il ne faut pas dédaigner les lois de nos pères, puisqu'ils les ont établies en vertu d'une autorité non pas humaine mais divine, vous pensez que toute décision prise dans les pays les plus éloignés ne doit pas être considérée comme définitive avant qu'elle soit portée à la connaissance de ce siège; afin qu'une sentence justement prononcée se trouve ainsi confirmée par toute son autorité; afin que toutes les eaux partent comme de leur source première, qu'elles coulent pures à travers les diverses régions du inonde entier, et que les autres Eglises apprennent ce qu'elles ont à prescrire, qui sont ceux qu'elles peuvent purifier et ceux dont l'eau sainte ne pouvait plus laver les souillures indélébiles.

2. C'est pourquoi je vous félicite, très-chers frères, de nous avoir écrit par notre frère et collègue Jules; en même temps que vous veillez au salut de vos Eglises, vous montrez votre sollicitude pour toutes les Eglises du monde et vous nous demandez un décret qui puisse leur profiter à toutes; vous désirez ainsi que l'Église, affermie dans ses propres règles et appuyée sur une juste sentence, soit mise en garde contre ces hommes pervers, armés ou. plutôt renversés par des subtilités coupables, qu'ils répandent sous ombre de foi catholique. Ils vomissent un poison mortel, et cherchent à détruire toutes les règles du vrai dogme pour corrompre là foi des coeurs pieux.

3. Il faut donc s'occuper de guérir promptement, de peur que ce mal exécrable ne fasse dans les esprits une plus profonde invasion. Lorsqu'un médecin se trouve en face de quelque maladie de ce corps de terre, il croit avoir donné une grande preuve de l'excellence de son art si ses soins rendent promptement la santé à un malade dont on désespérait. Découvre-t-il une plaie avec de la pourriture? il emploie les fomentations ou tout autre remède pour la cicatriser; s'il ne lui est pas possible de guérir le membre atteint, il le retranche pour préserver le reste du corps. Il faut donc porter le fer là où la plaie menace d'envahir les parties pures et saines du corps, de peur. que, par un trop long retard, le mat ne s'attache aux entrailles et ne devienne incurable.

4.Que pouvons-nous penser de bon de ceux qui s'attribuent à eux-mêmes ce qu'ils valent et ne rapportent rien à celui dont chaque jour ils obtiennent la grâce? Mais que dis-je? de tels hommes n'obtiennent aucune grâce de Dieu; ils prétendent obtenir sans lui ce que méritent à peine de recevoir ceux qui s'adressent à lui. Quoi de plus inique, de plus grossier, de plus étranger à la religion, de plus ennemi des esprits chrétiens que de refuser d'attribuer ce que tu reçois chaque jour de la grâce, à Celui à qui tu reconnais devoir le bienfait de l'existence? Tu vaudras donc mieux pour te conduire que Celui qui t'a fait! Et tandis que tu crois lui devoir de vivre, comment ne crois-tu pas lui devoir de vivre pieusement en obtenant tous les jours sa grâce? Et toi qui ne conviens pas que nous ayons besoin du secours de Dieu, comme si nous ne devions notre perfection qu'à nous-mêmes, comment ne vois-tu pas que, lors même que nous pourrions devenir tels par nous-mêmes,, il nous faudrait demander encore son secours?

5. Je voudrais savoir ce que répondra celui qui nie ce secours de Dieu. Est-ce nous qui ne le méritons pas? est-ce Dieu qui ne peut pas l'accorder,. ou n'y a-t-il rien qui doive déterminer chacun de nous à le demander? Que Dieu le puisse, ses oeuvres même l'attestent; que nous ayons besoin de son aide tous les jours, nous ne pouvons pas le nier. Nous l'implorons si nous vivons sagement, pour une meilleure et plus sainte vie; et si des sentiments pervers nous éloignent du bien, nous en avons plus besoin encore pour rentrer dans la droite voie. Quoi de plus mortel, de plus menaçant, de plus périlleux que de se croire suffisamment pourvu avec le libre arbitre et de ne plus rien demander au Seigneur! C'est oublier notre Créateur, et faire étalage de notre liberté aux dépens de sa puissance, comme si, après nous avoir créés libres, Dieu n'avait plus rien à nous donner! C'est ne pas savoir que si, à force de grandes prières, la grâce de Dieu ne descend pas en nous, nous chercherons bien en vain à triompher de notre corruption et des entraînements de nos sens: la puissance de résister ne peut nous venir du libre arbitre, mais uniquement du secours de Dieu.

6. Il est un homme bienheureux et déjà élu qui (475) n'aurait eu besoin de rien et aurait eu raison de ne rien demander, si le libre arbitre eût mieux valu que le secours divin, et cependant il crie qu'il a besoin de l'aide de Dieu et il le prie: «Soyez mon appui, dit-il au Seigneur, ne m'abandonnez pas, ne me rejetez pas, Dieu mon Sauveur (1).» David appelle Dieu à son secours, et nous le libre arbitre! Nous disons qu'il peut nous suffire d'être nés, et David supplie Dieu qu'il ne le délaisse pas! N'apprenons-nous pas clairement ce que nous devons demander à Dieu, quand un si saint homme, conjure le Seigneur de ne pas le rejeter? Ceux qui professent des sentiments pareils doivent condamner ces endroits du Psalmiste. Il faudra dire que David ne savait pas prier et ne connaissait pas sa nature, puisque, sachant tout ce qu'il y a de force en elle, il demande, dans ses oraisons, que Dieu soit son aide et son aide continuel! Il ne lui suffit pas de demander son assistance continuelle, il lui demande avec instance de ne l'abandonner jamais, il le dit et le crie dans tout le psautier. Si donc un aussi grand homme, en implorant sans cesse le Seigneur, nous a enseigné la nécessité du secours divin, comment Pélage et Célestius, mettant de côté les psaumes et les enseignements qu'on y trouve, espèrent-ils persuader à quelques-uns que nous ne devons pas chercher le secours de Dieu et que nous n'en avons pas besoin, pendant que tous les saints nous attestent qu'ils ne peuvent rien sans lui?

7. Cet homme éprouva ce que vaut tout seul le libre arbitre, lorsque, usant imprudemment de ses forces, il plongea dans les profondeurs de la prévarication et ne trouva rien pour en sortir; victime de sa liberté, il serait resté éternellement sous le coup de cette ruine, si le Christ à son avènement, ne l'en eût relevé par sa grâce. Le Christ, en effet, dans une régénération nouvelle, efface parle baptême tous ses péchés passés; il affermit ses pas dans une voie plus droite et ne refuse pas sa grâce pour l'avenir. Quoiqu'il ait racheté l'homme des fautes anciennes, cependant, sachant que l'homme pouvait pécher de nouveau, le Sauveur a mis pour lui en réserve de nombreux moyens de s'amender encore. Il a des remèdes quotidiens, et si nous ne nous appuyons pas sur eus avec confiance, nous ne pourrons surmonter les erreurs humaines: il faut vaincre avec son secours ou être vaincu sans lui. J'insisterais davantage si vous n'aviez pas tout dit.

8. Quiconque donc soutient que nous n'avons pas besoin du secours divin, se déclare ennemi de la foi catholique et se montre ingrat envers les bienfaits de Dieu. Ils ne sont plus dignes de notre communion ceux qui l'ont souillée en prêchant une telle doctrine. En pratiquant ce qu'ils disent, ils se sont grandement écartés de la vraie religion. Toute notre religion, nos prières de chaque jour ont pour but unique d'obtenir la miséricorde de Dieu; comment pourrions-nous supporter des discours pareils? Quel est l'aveuglement de ces âmes pour ne pas voire que si, par

1. Ps 26,9.

leur indignité, elles ne sentent aucune grâce de Dieu, il en est d'autres que la grâce divine comble chaque jour de ses dons? Il n'est pas d'aveuglement que ne méritent ceux qui ne se sont pas même laissé la ressource de revenir de leurs erreurs avec le secours divin. En niant ce secours, ils ne l'ont point ôté aux autres, mais ils l'ont ôté entièrement à eux-mêmes. Il importe de les repousser, de les rejeter bien loin du sein de l'Eglise, de peur que l'impunité de l'erreur ne la fasse croître et devenir inguérissable. Une plus longue condescendance exposerait beaucoup de fidèles, beaucoup d'imprudents à tomber dans les pièges de la perversité: s'ils voyaient qu'on laissât ces gens-là en paix dans l'Eglise, ils pourraient croire que leur doctrine est bonne.

9. Qu'elle soit donc séparée d'un corps sain la partie qui ne l'est pas; que ce qui est en bon état soit préservé soigneusement de la contagion; que les brebis malades soient enlevées du milieu du troupeau; que dans le corps tout entier éclate cette pureté de doctrine qui est la vôtre et dont votre jugement en cette occasion est pour nous le témoignage; il y a entre nous communauté de sentiments. Si cependant ces hommes-là venaient à invoquer le secours de Dieu qu'ils ont nié jusqu'à présent, et à reconnaître qu'ils en ont besoin; si, guéris de la maladie produite en eux par les inclinations corrompues de leur coeur, si, délivrés de tout ce qui obscurcit leur âme et les empêche de voir la vérité, ils passaient de l'épaisseur de leurs ténèbres à la lumière, et qu'ils condamnassent ce qu'ils ont soutenu jusqu'ici; enfin si dociles à de bons enseignements et déjà quelque peu amendés, ils se montraient disposés à se laisser désabuser par les conseils de la vérité; les évêques pourraient leur prêter assistance jusqu'à un certain point et donner à leurs blessures les soins que l'Eglise ne refuse pas aux pécheurs lorsqu'ils viennent à résipiscence. Ainsi ramenés des précipices, ils rentreraient dans le bercail du Seigneur: laissés dehors et n'étant plus protégés par les remparts de la foi, ils demeureraient exposés à tous les périls et à la fureur des loups; ils seraient d'autant moins en état de leur résister que la perversité de leur doctrine les aurait déjà excités contre eux. Mais vos instructions et l'abondance des témoignages de notre loi ont déjà suffisamment répondu aux novateurs; il ne nous reste plus rien à dire parce que vous n'avez rien omis, rien supprimé de ce qui est de nature à les réfuter et à les convaincre. C'est pourquoi nous n'avons cité aucun passage de l'Ecriture; votre relation est remplie de ces saintes autorités; on voit assez que tant de doctes évêques n'ont rien oublié: il ne conviendrait pas de croire que vous eussiez passé quelque chose d'important pour la cause.

Et d'une autre main. Portez-vous bien, frères. Et à côté. Donné le sixième des calendes de février (1) après le vifs consulat de Théodose et le Ve de Junius Quartus.

1. Le 26 Janvier.




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LETTRE CLXXXII. (Année 416)

Le pape Innocent répond aux pères du concile de Milève sur les erreurs de Pélage et de Célestius.

INNOCENT A SILVAIN L'ANCIEN, A VALENTIN ET A SES AUTRES BIEN-AIMÉS FRÈRES QUI ONT ASSISTÉ AU CONCILE DE MILÉVE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Au milieu des soins de l'Église romaine et des occupations du Siège apostolique, où il nous faut répondre brièvement et exactement aux questions qui nous arrivent de toutes parts, notre frère et collègue Jules nous a remis inopinément la lettre que vous nous avez adressée du concile de Milève dans votre intérêt pour la foi, en y joignant la lettre du concile de Carthage exprimant les mêmes plaintes. L'Église se réjouit beaucoup fille les pasteurs montrent une si grande sollicitude pour les troupeaux qui leur sont confiés; ils ne se bornent pas à empêcher leurs brebis d'errer, mais s'ils apprennent que d'autres brebis sont séduites par l'attrait cruel de pâturages dangereux et qu'elles persistent dans l'égarement, ces pasteurs veulent les séparer complètement du troupeau ou bien les rappeler de leurs longs désordres et les soumettre à la vigilance d'autrefois. Toujours prudents dans le parti qu'ils prennent, ils redoutent la contagion des mauvais exemples par de faciles admissions et prennent garde aussi de ne pas exposer des brebis aux loups en les repoussant dans leur. sincère retour. Votre consultation à cet égard est pleine de sagesse et de foi catholique. Qui peut supporter l'erreur ou ne pas accueillir le repentir? De même que je trouverais mauvais d'agir de connivence avec les pécheurs, ainsi je trouverais impie de ne pas tendre la main à ceux qui se convertissent.

2. Vous consultez donc avec empressement et convenance, sur le parti à prendre dans les choses difficiles, les oracles du Siège apostolique, de ce siège, dis-je, qui demeure chargé de la sollicitude de toutes les Eglises, sans compter les affaires du dehors; vous ne faites que suivre en cela D'ancienne règle qui, vous le savez comme moi, s'est toujours pratiquée dans tout l'univers. Mais je laisse cela, car je ne crois pas que votre sagesse l'ignore: que prouve en effet votre démarche si ce n'est que vous savez bien que de la source apostolique coulent sans cesse à travers tous les pays des réponses aux questions adressées? C'est surtout quand on agite les matières de foi que tous nos frères et collègues doivent, je le crois, comme le fait maintenant votre charité, s'en référer uniquement à Pierre, c'est-à-dire à l'auteur même de leur nom et de leur dignité, à cause du profit commun que peuvent en tirer toutes les Églises du monde entier. Car nécessairement elles y prendront garde davantage, lorsqu'elles verront que, sur le rapport de deux conciles, notre sentence a retranché de la communion catholique les inventeurs de cette détestable doctrine.

3. Votre charité accomplit donc un double bien: vous avez le mérite de suivre les canons, et tout l'univers y trouve son profit. Quel catholique voudrait désormais communiquer avec des ennemis du Christ? qui voudrait même partager avec eux la même lumière par la communauté de vie? Qu'on fuie donc les auteurs de la nouvelle hérésie. Que pouvaient-ils faire de pis contre Dieu que d'anéantir la prière de tous les jours en niant les secours divins? C'est comme si on disait: qu'ai-je besoin de Dieu? - C'est bien contre eux que le Psalmiste peut dire: «Voilà des hommes qui n'ont pas pris Dieu pour leur appui (1).» En niant le secours de Dieu, ils disent que l'homme peut se suffire, qu'il n'a pas besoin de la grâce divine sans laquelle il tombe dans les pièges du démon, pendant qu'il prétend qu'avec sa seule liberté il accomplira parfaitement tous les commandements. O mauvaise doctrine d'intelligences dépravées! Qu'on se rappelle comment cette même liberté trompa le premier homme; en la gouvernant mollement, il tomba par orgueil dans la prévarication, et il n'en serait jamais sorti si, par une régénération providentielle, l'avènement de Jésus-Christ Notre Seigneur n'avait rétabli la liberté humaine dans son ancien état. Qu'on écoute David lorsqu'il dit: «Notre secours est dans le nom du Seigneur (2); soyez mon appui, ne m'abandonnez pas, ne me rejetez pas, Dieu mon Sauveur (3)!» A quoi bon ces paroles si ce que David demande au Seigneur en gémissant dépend de sa seule volonté?

4. Cela étant ainsi et toutes les pages nous montrant que la volonté libre doit s'appuyer sur l'as. sistance de Dieu, et qu'elle ne peut rien sans elle, comment Pélage et Célestins, d'après ce que vous nous dites, se persuadent-ils à eux-mêmes que la volonté suffit, et, ce qui est plus douloureux, comment l'ont-ils déjà persuadé à beaucoup d'autres? Les témoignages des Écritures ne nous manque. raient point pour renverser un pareil enseignement, si nous ne savions pas que votre sainteté possède à fond les Livres Saints; les autorités,et en si grand nombre, que renferme votre lettre suffisent bien pour faire justice de cette doctrine; il n'est pas besoin de ce qui reste caché, puisqu'ils n'osent, ni ne peuvent répondre aux témoignages qui se sont présentés sans peine à vous. Ils s'efforcent donc de détruire la grâce de Dieu qu'il est nécessaire que clous demandions, même après le rétablissement de notre ancienne liberté; ah! sans cette grâce il ne nous est pas possible d'échapper aux artifices du démon.

5. Quant à ce que votre fraternité nous rapporte de leur opinion, que les enfants peuvent, sans la grâce du baptême, obtenir la vie éternelle, c'est là vraiment une doctrine insensée. Car s'ils n'ont pas mangé la chair du Fils de l'homme, ni bu sou sang, ils n'auront pas la vie en eux (4). Or, ceux qui soutiennent que les enfants parviennent à la vie éternelle sans la régénération, me paraissent vouloir

1. Ps 51,7. - 2. Ps 123,7. - 3. Ps 26,9. - 4. Jn 6,54

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anéantir le baptême même, puisque les enfants auraient ainsi ce que nous croyons que le baptême seul leur confère. Si, pour les partisans de cette doctrine, il n'y a pas de mal à n'être pas régénéré, il faut qu'ils avouent que les eaux de la régénération ne servent de rien. Le Seigneur dans l'Évangile a, d'un mot, coupé court à l'erreur de ces esprits légers: «Laissez venir à moi les enfants, a-t-il dit, et ne les empêchez, pas; car à de tels est le royaume des cieux. (1)»

6. C'est pourquoi, armé de toute l'autorité apostolique, nous croyons devoir retrancher de la communion de l'Église Pélage et Célestius, c'est-à-dire les inventeurs «de ces nouveautés profanes de paroles (2)» qui, comme dit l'Apôtre, n'édifient pas, mais ont coutume d'engendrer les vaines disputes; nous les retranchons de l'Église jusqu'à ce qu'ils sortent des piéges du démon «qui les tient captifs pour en faire ce qu'il lui plaît (3);» ils ne doivent plus faire partie de la bergerie du Seigneur qu'ils ont voulu eux-mêmes abandonner en s'enfonçant dans une voie perverse: il faut qu'ils soient retranchés «ceux qui mettent le trouble parmi vous et qui veulent changer l' Évangile du Christ (4).» Nous ordonnons en même temps que ceux qui s'efforcent de défendre cette doctrine avec une opiniâtreté pareille soient frappés du même châtiment. «Ce ne sont pas seulement ceux qui font le mal qui sont dignes de mort, mais encore ceux qui approuvent ceux qui le font (5);» et je ne vois pas grande différence entre faire le mal et y acquiescer. Je dis plus: souvent or, ne reste pas dans son erreur lorsqu'on s'y voit tout seul. Que cette sentence, très-chers frères, demeure donc contre les susdits; qu'ils n'entrent pas dans les demeures du Seigneur, qu'ils ne soient plus sous la garde pastorale, de peur que la funeste contagion de deux brebis ne gagne le peuple imprudent, et que le loup ne mette cruellement sa joie à faire un vaste carnage dans la bergerie du Seigneur, tandis que les gardiens négligent de découvrir la blessure des deux brebis. Il ne faut pas que des complaisances pour des loups fassent croire que nous sommes des mercenaires plutôt que des pasteurs.

7. Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant déclaré lui-même qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie «, nous ordonnons que s'ils reviennent de leur erreur et s'ils condamnent ce qui les a fait condamner, on ne leur refuse pas le remède accoutumé, c'est-à-dire le refuge dans l'Église: il ne faudrait pas qu'au moment peut-être où nous les empêcherions de revenir, et où ils resteraient et attendraient, hors de la bergerie, l'ennemi qu'ils ont excité contre eux par l'aiguillon de leur doctrine impie, vint les engloutir. Portez-vous bien, frères. Donné le sixième des calendes de février, sous le consulat des illustres Honorius et Constance.

1. Lc 23,16. - 2. 1Tm 6,20. - 2. 2Tm 2,26. - 3. Ga 1,7. - 4. Rm 1,32. - 5. Mt 9,13





Augustin, lettres - LETTRE CLXXVIII. (Année 416)