Augustin et Maximin - CHAPITRE XIV. DE LA PROCESSION DU SAINT-ESPRIT.

CHAPITRE XV. LE FILS EST PAR NATURE CE QU'EST LE PÈRE.

1. Vous ne refusez pas au Fils la forme de Dieu, et nous niez qu'il soit égal à Dieu le Père, parce que vous vous imaginez que la forme du Père est plus parfaite que celle du Fils: comme si le Père n'avait pas lieu de donner sa forme complète au Fils, qu'il n'a pas fait de rien, ni fait d'une autre chose. Ou bien, si le Père, pouvant engendrer sa forme complète dans son Fils unique, l'a cependant engendrée moins parfaite: remarquez la conséquence de cette proposition, et revenez sur vos pas, pour ne pas être entraîné à dire que le Père est jaloux. Vous dites que le Fils est Dieu et Seigneur; mais vous faites par là même deux dieux et deux seigneurs, en dépit de l'Ecriture qui vous crie: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique (1)». Mais quel profit vous revient-il de donner au Père, dans une pensée sacrilège, une forme plus parfaite que celle que vous accordez au Fils? Est-ce que, si l'un est plus grand, et l'autre inférieur, il n'y a pas par là même deux seigneurs et deux dieux? Si vous désirez échapper à cette erreur, alors dites que le Père et le Fils, malgré la différence que vous mettez entre eux, sont néanmoins, selon vous, non pas deux, mais un seul Seigneur Dieu. Vous dites que le Fils est né roi de son Père roi; et vous ne remarquez pas que dans le genre humain les fils de rois sont hommes, devant leur nature à des hommes, quoiqu'ils ne soient pas rois, nés de rois; et que, bien qu'ils ne partagent pas la puissance royale avec leurs pères, ils tiennent d'eux cependant une nature tout à fait semblable. Vous accordez au Fils de Dieu le royaume que vous lui faites partager avec le roi son Père, et, par une légèreté impie, vous lui refusez la nature paternelle; vous le dites inégal à Dieu le Père, lui qui «n'a pas cru commettre un larcin», c'est-à-dire, s'emparer d'un bien appartenant à un autre «en s'égalant à Dieu; mais» néanmoins, prenant en main nos intérêts plutôt que les siens, «s'est anéanti lui-même»; ne perdant point pour cela sa forme de Dieu, mais «prenant la forme de serviteur», en laquelle «il s'est rendu obéissant» au Père «jusqu'à la mort de la croix (2)». Vous ne voulez pas reconnaître qu'il a été en cette forme inférieur à Dieu le Père, afin d'être amené à reconnaître qu'il est égal au Père en la forme de Dieu. Pour nous, ce sont vos paroles, nous sommes

1. Dt 6,4 - 2. Ph 2,6-8

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appelés enfants par grâce, nous ne le sommes pas par nature: le Fils est l'unique engendré, parce qu'il est né ce qu'il est suivant la nature de sa divinité. Ces paroles, nous les revendiquons aussi pour nous. Puisque vous confessez que le Fils de Dieu est tel par nature, et non par grâce, pourquoi donc ne soutenez-vous pas qu'il est de la même nature que le Père, et ne voyez-vous pas l'incohérence de votre langage? Est-ce qu'il vous serait plus permis d'ôter au Fils du Dieu-Roi la royauté paternelle que la nature paternelle?

2. Le Christ n'est vrai Fils de Dieu, qu'à la condition d'avoir avec lui une seule et même nature, c'est-à-dire une seule et même substance, et de lui être en tout semblable. - Déjà précédemment nous avons démontré, autant que nous avons cru devoir le faire, comment le Saint-Esprit est de Dieu, et cependant n'est pas son fils, parce qu'il est de Dieu, non par naissance, mais par procession. Pour nous, dites-vous, nous n'admettons pas de nature en Dieu le Père, puisqu'il n'est pas né. Et comme pour rendre raison de cette affirmation, vous ajoutez: Nous croyons ce qu'a dit le Christ: «Dieu est esprit (1)» comme si le Christ, que vous reconnaissez pourtant pour être Fils de Dieu par nature, n'était pas esprit, en tant que Dieu. De ce que le Père est esprit, il ne s'ensuit donc pas qu'il n'ait pas de nature. Mais peut-être la lui refusez-vous, en vous fondant sur cette raison qu'il n'est pas né: car vous vous imaginez que nature vient du mot naître. Sachez donc qu'on dit de tout ce qui existe qu'il est en raison de sa substance, en d'autres termes, eu égard à sa nature. Certes, si vous ne pensez pas qu'on doive dire que le Fils est de la même nature que le Père, dites qu'il est de la même substance: cela suffit pour le besoin de notre discussion. Toutefois il est nécessaire de vous rappeler cette parole de l'Apôtre: «Vous serviez autrefois ceux qui ne sont point dieux par nature (2)»: passage qui montre évidemment que nous servons celui qui est Dieu par nature. Voyez donc où vous placerez Dieu le Père, vous qui croyez qu'il n'est pas Dieu par nature: et s'il vous reste encore une ombre de pudeur, rougissez de honte, Voici ce que nous vous disons Nous ne servons pas un Dieu qui ne soit pas Dieu par nature, de peur de ressembler à

1. Jn 4,24

ceux dont il est écrit: «Vous serviez ceux qui «ne sont point dieux par nature». Si vous voulez leur ressembler, nous demandons que tel ne soit pas votre désir et que vous reconnaissiez que Dieu le Père est Dieu par nature; nous demandons aussi, qu'après avoir professé que le Fils est son Fils, non par grâce, mais par nature, vous ne refusiez pas d'admettre qu'il est de la même nature que le Père, afin de ne pas nier qu'il soit autre chose que son vrai Fils. En effet, comment dites-vous que vous reconnaissez en lui le vrai Fils de Dieu, et que vous ne niez pas sa ressemblance avec le Père, quand vous niez qu'il soit de la même substance que le Père? De même que l'identité de substance prouve la vérité de sa filiation, ainsi la différence de substance prouve le contraire. Comment donc dites-vous que le Fils est semblable au Père, quand vous refusez de lui accorder la substance du Père? Est-ce qu'un tableau ou une statue ne peuvent pas ressembler à l'homme? et cependant l'on ne dit pas que ces images soient fils de l'homme, parce qu'elles sont d'une substance différente. L'homme, il est vrai, a été fait à la ressemblance de Dieu; cependant, comme il n'est pas d'une seule et même substance, il n'est pas son vrai fils; et il est son fils par grâce, parce qu'il ne l'est point par nature. Si donc vous voulez professer ouvertement que le Christ est le vrai Fils de Dieu, d'abord et avant tout dites qu'il est d'une seule et même substance, pour en venir à déclarer qu'il est vrai Fils et Fils; de Dieu, en tout semblable à son Père. En effet, quand vous imaginez en lui une substance différente, vous le rendez plutôt différent que semblable, et vous lui refusez absolument la qualité de vrai Fils. Vous voulez savoir en quoi l'unité et l'identité de substance peuvent servir à prouver la vérité de la filiation du Fils: quoique le fils né de l'homme soit un homme semblable à son père en certaines choses, et diffère de lui sous d'autres rapports, cependant, comme il est de la même substance, on ne peut nier qu'if soit vraiment son fils; et comme il est son vrai fils, on ne peut nier qu'il soit de la même substance. Mais vous, vous voulez que le vrai Fils de Dieu soit semblable au Père, quoiqu'il soit d'une substance différente, tandis qu'il n'y a que l'identité de substance qui puisse prouver la vérité de la filiation, (625) En effet, voici deux hommes; quoique l'un ne soit pas le fils de l'autre, ils sont cependant d'une seule et même substance; et l'homme, né d'un autre, le vrai fils d'un homme, ne peut être absolument d'une substance différente de celle de son père, quoiqu'il ne lui soit pas semblable en toutes choses. Quant au vrai Fils de Dieu, il est d'une seule et même substance avec,le Père, parce qu'il est son vrai Fils; et il est en tout semblable au Père, parce qu'il est Fils de Dieu. Car il n'est pas permis de tenir le même langage au sujet du Fils de Dieu qu'au sujet des enfants des hommes ou des petits des autres êtres, et de dire que le vrai Fils est d'une même substance que le Père, mais qu'il n'est pas en tout semblable au Père. Donc, si vous voulez dire que le Christ est le vrai Fils de Dieu, confessez avec nous la foi du concile de Nicée.

3. L'esprit du Fils est de la même nature que celui du Père. - Nous sommes accusés, observez-vous, d'admettre des natures différentes. Hé! dites-vous autre chose de Dieu le Père et de Dieu le Fils? Dites-vous autre chose? Et pensez-vous vous laver de cette accusation, parce que vous vous empressez d'ajouter Apprenez que, selon nous, le Père, qui est esprit, a engendré un esprit avant tous les siècles; qu'étant Dieu, il a engendré un Dieu? Voilà ce que vous enseignez, et en cela vous êtes dans le vrai: mais vous passez sous silence ce qui constitue votre erreur, et une erreur exécrable. En effet, étant esprit, il a engendré un esprit, voilà une vérité; mais, cette vérité, vous la dites avec une prétention perfide, parce qu'on dit qu'il y a des esprits de nature différente. L'Esprit de Dieu, ou autrement l'Esprit divin et l'esprit de l'homme sont effectivement d'une nature différente; et cependant l'un et l'autre sont esprits. De même, l'esprit de l'homme et l'esprit de la bête sont de différente nature; et cependant on dit l'esprit de l'un et de l'autre. On dit encore: Dieu qui est Dieu, et l'homme qui est dieu, comme dans ce passage: «Vous êtes des dieux (1)». C'est ainsi que Moïse fut donné pour dieu à Pharaon (2). Et quoiqu'il lait de la différence entre la substance de l'homme et celle de Dieu, cependant l'un et l'autre sont appelés dieux. En vain dites-vous de Dieu le Père et de Dieu le Fils:

1. Ps 131,6 - 2. Ex 7,1

Celui qui est esprit a engendré un esprit; c'est avec raison qu'on vous fait un reproche d'admettre entre eux des natures différentes; et tout en disant: Un Dieu a engendré un Dieu, de ne pas écarter la différence de nature, parce que vous n'accordez pas que le Fils soit en tout semblable au Père. Car, si vous accordiez qu'il lui est en tout semblable, on comprendrait que vous admettiez comme conséquence qu'ils sont d'une seule et même nature ou substance. Si donc vous pensez à vous laver du crime qu'on vous reproche, d'admettre qu'il y ait diversité de natures entre Dieu le Père et Dieu le Fils; de même que vous dites: Celui qui est esprit a engendré un esprit; dites: Celui qui est esprit a engendré un esprit de même nature ou substance. De même encore que vous dites: Un Dieu a engendré un Dieu; dites: Un Dieu a engendré un Dieu d'une même nature ou substance. Si vous croyez cela et si vous le proclamez, désormais vous né serez plus accusé de ce chef. Mais si vous ne faites pas cet aveu, qu'importe que vous disiez: Le Père, qui n'a point véritablement pris naissance, a engendré un vrai Fils? puisqu'il est hors de doute que le Christ n'est pas le vrai Fils de Dieu, s'il n'est d'une seule et même substance que celui qui l'a engendré.

4. Refuser au Fils et au Saint-Esprit ce qui leur est commun avec le Père, c'est nier leur divinité. - Il est vrai que le Fils dit au Père: «La vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (1)» c'est-à-dire, à reconnaître pour seul vrai Dieu vous et Jésus-Christ que vous avez envoyé. En appliquant ces paroles uniquement au Père, et en ne reconnaissant pour vrai Dieu que lui- seul, à l'exclusion du Fils, que voulez-vous, sinon refuser d'admettre que le Fils est vrai Dieu? Mais comme le Père et le Fils ne sont pas deux dieux, mais un seul Dieu, il est indubitable que le Fils est aussi vrai Dieu, et, avec le Saint-Esprit, seul Dieu. De ce que le Saint-Esprit n'est pas nommé dans ce passage, il ne faut pas en effet s'en émouvoir, comme s'il y avait lieu de douter qu'il fût Dieu, ou vrai Dieu. C'est comme si l'on disait que le Christ ne connaît pas ce qui est en Dieu, parce que l'Apôtre a dit: «Nul ne connaît ce qui est en Dieu, que l'Esprit de

1. Jn 17,3

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Dieu (1)»; car: «Nul ne sait, que l'Esprit de Dieu», revient à dire: Seul, l'Esprit de Dieu connaît ces choses. Donc, de même que le Christ n'est pas exclu de cette science, qui est censée n'appartenir qu'à l'Esprit de Dieu; ainsi l'Esprit-Saint n'est pas exclu de la qualité de seul vrai Dieu, qui est attribuée au Père et au Christ. Il en est de même de ce nom qui, dans l'Apocalypse, n'était connu que de celui qui le portait, c'est-à-dire du Christ (2). Assurément le Père le connaissait aussi, et vous n'oseriez le nier; il faut en dire autant du Saint-Esprit, en dépit de vos dénégations: «Car cet Esprit sonde tout, même les profondeurs des secrets de Dieu (3)»; à moins que vous ne lui refusiez l'intelligence, parce qu'il est dit qu'il sonde: mais alors il faudra nier que Dieu pénètre les coeurs et les reins des hommes, parce qu'il est écrit

«Dieu sonde les reins et les coeurs (4)». De ce que Dieu le Père et Jésus-Christ sont appelés le seul Dieu, il ne s'ensuit donc nullement que le Saint-Esprit ne soit pas aussi véritablement Dieu. Mais le Fils ne dit pas, comme cela vous le semble, que le Père est le seul Dieu puissant, sage et bon. La Trinité est le seul et unique Dieu, comme le démontrent les raisons que nous avons fréquemment exposées plus haut.

5. Dieu a pu engendrer son Fils égal à lui-même: donc il l'a engendré tel. - Dieu le Père, dites-vous, a engendré Dieu le Fils non perfectible, mais parfait: en cela vous dites vrai. Mais quand vous refusez d'égaler la perfection du Fils à la perfection du Père, vous êtes dans l'erreur, et vous vous mettez en contradiction avec la Vérité même qui est le Fils. Si, dites-vous, l'homme pouvait engendrer un fils parfait, il n'engendrerait pas un petit enfant, qui ne pourrait accomplir la volonté de son père qu'après de longues années. Vous tenez ainsi contre vous-même le langage de la plus pure vérité. Pour ne pas vous contredire, admettez donc l'égalité du Père et du Fils. Car, si cela était en son pouvoir, l'homme lui-même engendrerait tout de suite un fils égal à lui, et il n'attendrait pas les années pour que son fils fût capable de mettre ses volontés à exécution. Pourquoi donc Dieu n'aurait-il pas engendré son Fils égal à lui-

1. 1Co 2,11 - 2. Ap 19,12 - 3. 1Co 2,10 - 4. Ps 7,10

même, puisque les années ne lui sont pas nécessaires à cet effet, et que la toute-puissance ne lui fait pas défaut? ou bien, par hasard, ne l'aurait-il pas voulu? Alors, chose in. croyable, il serait donc jaloux. Mais il ne l'est pas: donc il a engendré son Fils égal à lui-même. Il suit de là qu'ils sont d'une seule et même substance, puisque l'homme, qui n'engendre pas son égal, parce qu'il n'en a pas le pouvoir, engendre cependant un fils de la même substance que lui-même. Sans cela, il ne serait pas son véritable fils. Comment donc dites-vous: Le Père a engendré son Fils tel qu'il est maintenant et qu'il demeurera sans fin? Vous parleriez comme il faut, si vous ne niiez pas l'égalité du vrai Fils de Dieu avec son Père. Mais quand vous le dites parfait, et niez qu'il soit égal au Père, affirmant en même temps qu'il demeure sans fin tel qu'il est né, évidemment vous faites entendre que le Fils demeure toujours dans un état d'infériorité relativement au Père. Ainsi le fils né de l'homme vient au monde inférieur à son père; et comme il naît dans un état imparfait, il arrive avec l'âge à atteindre la forme de son père: le Fils de Dieu naît inférieur au Père; et parce qu'il est né parfait et immortel, il ne reçoit aucun accroissement, mais sa perfection même le condamne éternellement à ne pouvoir atteindre la perfection du Père. Voilà ce que vous croyez, ce que vous dites; et, chose plus déplorable encore, ce que vous enseignez. Mais, dites-vous, les auditeurs ont la liberté de choisir entre les deux: ou l'obéissance du Fils, qui «s'est anéanti, en prenant la forme de serviteur», et à qui le Père «a donné un nom au-dessus de tous les noms (1)»; ou votre interprétation. Point du tout: les auditeurs, à qui le Seigneur donne l'intelligence, ne choisissent pas entre la deux, mais admettent ces deux vérités, je veut dire, l'obéissance du Fils à l'égard du Père,el notre interprétation, ou plutôt, notre exposé, où nous faisons voir qu'en obéissant en sa forme de serviteur, il n'a pas perdu la forme de Dieu, dans laquelle il est égal au Père, Pour vous, comprenez l'outrage que vous faites au Fils de Dieu, quand vous lui attribuez l'obéissance, pour en venir à déprécier sa nature divine.

1. Ph 2,7-9

627


CHAPITRE XVI. JÉSUS-CHRIST, PARLANT COMME HOMME, A DIT DE SON PÈRE QU'IL EST SON DIEU: ET EN CELA IL A DIT VRAI.

1. Quand m'avez-vous entendu dire que le Fils a dit de son Père qu'il est son Dieu, par égard pour les Juifs, et cela par humilité, non point conformément à la vérité? Vous n'avez jamais pu entendre sortir ces paroles de ma bouche, parce que je ne les ai jamais prononcées; mais j'ai dit formellement que le Christ parlait ainsi, eu égard à sa forme de serviteur. Or, comme sa forme de serviteur est elle-même réelle et vraie, il a dit avec vérité que son Père était aussi son Dieu, eu égard à sa forme de serviteur, et en cela il n'a pas eu recours à une feinte humilité. Qu'est-ce en effet qu'une humilité qui se produit aux dépens de la vérité? Mais vous avez fait tous vos efforts pour réfuter cette vérité d'une certitude irréfragable, en soutenant que ces paroles du Seigneur: «Mon Dieu et votre Dieu», ne se rapportent pas à sa nature humaine, parce qu'il s'est servi des mêmes paroles après sa résurrection: comme si le Seigneur avait anéanti sa forme de serviteur et ne l'avait pas plutôt rendue plus parfaite par la résurrection; comme si celui qui est mort n'était pas le même qui est aussi ressuscité; comme si la forme qui a subi la mort n'était pas la même qui est revenue à la vie; comme si ce n'était pas cette même forme qui s'est élevée dans le ciel, dans laquelle le Fils de Dieu est assis à la droite du Père, et dans laquelle il viendra un jour pour juger les vivants et les morts! Le témoignage suivant des anges n'est-il pas d'une clarté parfaite: «Il viendra de la même manière que a vous l'avez vu monter au ciel (1)?» Pourquoi donc, après sa résurrection, n'aurait-il pas dit: «Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu (2)», puisqu'il devait monter au ciel dans la forme qui était la cause pour laquelle son Père, en dehors de tous les temps, était devenu son Dieu dans le temps? C'est en raison de cette forme de serviteur que, non-seulement après sa résurrection, mais encore après le jugement, «il sera assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses (3)». Quels que soient donc les textes que vous avez réunis, pour démontrer que celui qui est le Père du Christ a été appelé le

1. Ac 1,11 - 2. Jn 20,17 - 3. 1Co 15,28

Dieu du Christ, je regarde comme superflu de discuter la manière dont ils ont été dits: mais je pense que vous ne devez pas douter vous-même de l'inutilité des soins que vous avez mis à les collectionner.

2. De quelque manière qu'on entende le texte: «Data est mihi omnis potestas», il confond les Ariens. - Pourquoi avez-vous rappelé ce passage, où le Seigneur, revêtu de cette même chair qu'il avait ressuscitée, et accomplissant toujours sa mission en tant qu'homme, dit à ses disciples: «Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre allez enseigner toutes les nations et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit; leur apprenant à observer tout ce que je vous ai ordonné (1)?» En vérité, je ne vois pas quel argument vous avez prétendu tirer de ce passage. Car le Seigneur a-t-il dit: Toute puissance m'a été donnée par mon Dieu? Il l'eût dit, qu'on ne devrait pas hésiter à l'entendre par rapport à sa nature humaine. Mais comme il ne l'a pas dit, je ne comprends pas ce que vous voulez faire de ce texte; ou plutôt, je le comprends bien, vous avez voulu avoir matière à parler. En réalité, s'il a reçu ce pouvoir comme Dieu, il le tient de son Père dès sa naissance, et non comme en ayant éprouvé ensuite le besoin: le Père le lui a donné en l'engendrant, et non à titre d'accroissement. Et si ce pouvoir a été donné au Christ en tant qu'homme, quelle difficulté y a-t-il à cela? Auriez-vous eu l'intention par hasard de nous apprendre que le Seigneur a donné l'ordre de baptiser les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit? Or, ici il n'y a qu'un seul nom, et vous vous refusez à y reconnaître une seule divinité.

3. C'est dans un sens erroné que Maximin entend l'onction du Christ annoncée par les Prophètes. - Vous dites que, même avant l'incarnation, le Père était appelé le Dieu du Christ, puisqu'il est écrit: «Dieu, votre Dieu vous a oint»; et cela, de longs siècles avant que le Christ fût venu dans la chair: mais ne comprenez-vous point que la prophétie parle ici de choses à venir comme de choses accomplies? N'est-ce pas de la même manière que le Seigneur lui-même dit prophétiquement: «Ils ont percé mes mains et mes pieds (2)», et tout le reste, où il annonce sa passion si longtemps à l'avance, et exprime les choses

1. Mt 28,18-20 - 2. Ps 21,18

628

futures comme si déjà elles étaient réalisées? La prophétie a donc annoncé des événements futurs, sous la forme de récit d'événements passés, quand elle a dit: «Dieu, votre Dieu vous a oint d'une huile d'allégresse, d'une manière plus excellente que vos adeptes qui y ont part avec vous»: sous le nom des adeptes du Christ, elle désigne ceux qui devraient être ses serviteurs, ses compagnons, ses amis, ses frères, ses membres. Il a donc été prédit qu un jour le Dieu du Christ oindrait l'humanité du Christ, lequel, tout en se faisant homme, n'est pas moins resté Dieu. Or, il devait être oint, non avec une huile visible et corporelle, mais par l'Esprit-Saint, que l'Ecriture désigne sous le nom de l'huile d'allégresse, expression figurée qui n'est point étrangère à sa manière de parler. Elle dit: «Il a oint», au lieu de: Il oindra; parce que ce qui devait s'accomplir en son temps, était déjà fait en prédestination. Ici, craignant que le Saint-Esprit, dont fut oint le Christ, ne parût plus grand que le Fils, parce qu'il est réellement supérieur à l'humanité du Christ; celui qui sanctifie était en effet plus grand que celui qui est sanctifié: craignant, dis-je, cette conséquence, vous avez prétendu que l'huile d'allégresse figurait la joie dont le Fils tressaillit avec le Père; quand eut lieu la création. Et, selon votre habitude, vous avez accumulé des textes qui ne servaient en rien à votre cause, touchant la joie du Père et du Fils. Mais que faites-vous? où allez-vous? Comment irez-vous nier ce qui est plus clair que le jour, ou le détourner de son sens, tandis qu'on vous répète cette parole du bienheureux Pierre, aux Actes des Apôtres: «Ce Jésus de Nazareth, Dieu l'a oint de l'Esprit-Saint (1)». Voilà ce que prophétisait ce passage: «Votre trône, ô Dieu, subsiste éternellement; le sceptre de votre règne est un sceptre de droiture: vous avez aimé la justice, et haï l'iniquité. C'est pourquoi, Dieu, votre Dieu vous a oint (2)»: le Fils, qui, tout en se faisant homme, est demeuré Dieu, a été oint par Dieu le Père; il était rempli de cette onction, c'est-à-dire de l'Esprit-Saint. C'est pourquoi il est écrit de lui: «Jésus étant plein du Saint-Esprit, s'éloigna du Jourdain (3)».

1. Ac 10,38 - 2. Ps 44,7-8 - 3. Lc 4,1


CHAPITRE XVII. LE SAINT-ESPRIT EST CRÉATEUR COMME LE FILS, QUOIQUE SAINT JEAN, AU DÉBUT DE SON EVANGILE, NE LE DISE PAS EXPRESSÉMENT.

4. Vous dites qu'on ne peut pas entendre du Saint-Esprit ces paroles qui s'appliquent au Fils: «Toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui (1)». Et vous dites cela, pour persuader à qui vous pouvez, ce dont vous vous persuadez à tort, que le Saint-Esprit n'est pas créateur: comme si vous lisiez: Toutes choses ont été faites sans le Saint-Esprit; ou: Toutes choses n'ont été faites que par lui (le Verbe). Lors même que vous liriez quelque chose de semblable, nous ne devrions pas croire pour cela que le Saint-Esprit fût exclu de l'oeuvre de la création; de même que le Fils n'est pas exclu de cette science dont il est dit: «Nul ne connaît ce qui est en Dieu, que l'Esprit de Dieu (2)». Si, parce qu'il n'est pas dit expressément que l'Esprit-Saint prit part à la création, dansa passage où il est question du Fils: «Toutes choses ont été faites par lui», vous penses pour cela qu'il n'est pas créateur: assuré ment vous ne pouvez pas croire non plus qu'ils aient été baptisés en son nom, ceux à qui saint Pierre a dit: «Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (3)»; car il n'a pas ajouté: Et du Saint-Esprit; ni: Au nom du Père, car le Père lui-même n'est pas nommé dans ce passage. Or, s'ils durent recevoir le baptême au nom de Jésus-Christ, sans que le Père et le Saint-Esprit aient été nommés, et qu'on admette qu'ils n'aient pas été baptisés autrement qu'au nom du Père, et du Fils d du Saint-Esprit, pourquoi n'entendez-vous pas ces paroles qui regardent le Fils: «Toute choses ont été faites par lui», en ce sens qu'elles se rapportent aussi bien au Sainte Esprit, quoiqu'elles ne le nomment point?

2. L'Esprit-Saint est créateur, comme le Fils, et créateur même de la chair du Fils: preuves scripturales. - Qu'y a-t-il de plus excellent parmi les créatures que les vertus des cieux? Or, il est écrit: «C'est parle Verbe du Seigneur que les cieux ont été affermis, et par l'Esprit de sa bouche, toute leur vertu (4)». Vous m'aviez défié de trouver dans les divines Ecritures des textes à l'aide

1. Jn 1,3 - 2. 1Co 2,11 - 3. Ac 2,38 - 4. Ps 32,6

629

desquels je pourrais prouver que le Saint-Esprit est égal au Fils. Et voilà que j'en ai trouvé, qui pourraient nous le montrer plus grand, n'était la foi qui confesse, conformément à la vérité, qu'il est son égal. Car les vertus des cieux, affermies par l'Esprit de la bouche du Seigneur, c'est-à-dire par l'Esprit-Saint, sont certainement quelque chose de plus que les cieux, affermis par le Verbe du Seigneur, c'est-à-dire par son Fils unique. lais si vous consultez la vérité, les cieux et les vertus des cieux ont été affermis par l'un et par l'autre; et ce qui est dit de l'un, sans qu'il soit fait mention de l'autre, s'entend de tous les deux. Or, qu'y a-t-il de plus inconsidéré que de nier que l'Esprit de Dieu soit créateur, quand David adresse au Seigneur ces paroles: «Vous leur ôterez l'esprit, et ils tomberont en défaillance, et retourneront dans leur poussière: vous enverrez votre Esprit, et ils seront créés, et vous renouvellerez la face de la terre (1)?» à moins peut-être que l'Esprit-Saint n'ait pas été propre à créer des choses sujettes au changement, tandis qu'il l'était à en créer qui devaient durer sans fin. J'ai dit un peu plus haut: Qu'y a-t-il, parmi les créatures, de plus excellent que les vertus des cieux? Que dirai-je de la chair du Créateur? car le Créateur lui-même, par qui toutes choses ont été faites, a dit: «Le pain que je donnerai, est ma chair pour la vie du monde (2)». Quoi donc? le monde a été fait par le Fils, et le Fils est Créateur; sa chair, qui a été donnée pour la vie du monde, a été faite par l'Esprit-Saint, et l'Esprit-Saint ne serait pas Créateur? Lorsque la Vierge Marie eut dit à l'Ange, qui lui promettait un fils: «Comment cela se fera-t-il? car je ne connais point d'homme», l'Ange lui répondit: «Le Saint-Esprit descendra en vous, et il a vertu du Très-Haut vous couvrira de son sombre; c'est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous, s'appellera le Fils de Dieu (3)». Ici, comme je l'ai remarqué en passant, à un endroit de votre discussion, vous vous efforciez de prouver que le Saint-Esprit vint d'abord, afin de purifier et de sanctifier la Vierge Marie; puis, que la vertu du Très-Haut, c'est-à-dire la sagesse, qui est le Christ (4), vint ensuite, et, suivant ce qui est écrit, s'éleva une maison (5), c'est-à-dire, se créa à

1. Ps 103,29-30 - 2. Jn 6,52 - 3. Lc 1,34-35 - 4. 1Co 1,24 - 5. Pr 9,1

elle-même une chair, au lieu de la devoir au Saint-Esprit. Mais qu'est-ce donc que dit le saint Evangile: «Elle fut reconnue enceinte, ayant conçu du Saint-Esprit (1)?» C'est ainsi que la bouche de ceux qui disent des choses injustes, se trouve fermée (2). Si donc vous avez l'intention d'ouvrir la bouche pour dire la vérité, confessez que ce n'est pas le Fils seul mais encore le Saint-Esprit qui est le créateur de la chair du Fils.

3. Le Fils et le Saint-Esprit sont inséparables dans l'oeuvre de la création. - Direz-vous par hasard que le Saint-Esprit est l'auteur des choses dont j'ai parlé, c'est-à-dire qu'il a affermi toute vertu des cieux; qu'il créera de nouveau les hommes créés d'abord pour être changés en poussière; qu'il a façonné lui-même la chair du Christ (je ne veux point parler de son âme, car cette question est extrêmement difficile); et enfin qu'il a pu créer d'autres choses encore, mais qu'il n'a pas néanmoins fait toutes choses, comme le Fils unique, dont il est dit: «Tout a été fait par lui?» Si vous tenez ce langage, ne craignez-vous point qu'on vous dise que le Saint-Esprit est d'autant plus élevé que le Fils, qu'il s'est réservé de créer des choses plus parfaites, et qu'il n'a pas daigné s'abaisser à des choses d'un ordre inférieur? Mais qui pense ainsi, à moins d'être insensé? Donc tout a été fait par le Fils, et à Dieu ne plaise . que nous considérions le Saint-Esprit comme étranger à cette création; de même que quand il est dit des opérations merveilleuses de la grâce: «C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses (3)», le Fils n'est pas néanmoins exclu de cette opération divine.

4. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul principe, comme ils sont un seul Dieu. - Vous vous flattez sans doute d'avoir avancé quelque chose de bien favorable à votre cause, quand vous avez dit: Le Fils était au commencement, avant qu'il y eût quelque chose; quant au Père, il était avant le commencement. Où avez-vous lu de pareilles choses, pour y croire? Où avez-vous pris l'assurance de les mettre en avant, quand elles ne reposent sur aucune autorité, sur aucune raison? Que signifie en effet: «Avant le commencement», puisque tout ce qui était auparavant était le principe lui-même? Si donc le Père est avant le principe, il est avant

1. Mt 1,18 - 2. Ps 62,12 - 3. 1Co 12,11

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lui-même, parce qu'il est lui-même le principe. Maintenant, que veut dire: «Au commencement était le Verbe (1)», sinon: le Fils était dans le Père? Du reste, le Fils répondant aux Juifs, qui lui demandaient qui il était, leur dit: «Je suis le principe, moi-même qui vous parle (2)». Le Père est donc le principe, sans venir du principe; le Fils est le principe tirant son origine du principe;mais l'un et l'autre réunis ne forment pas deux principes, mais un seul principe; de même que, le Père étant Dieu, et le Fils également, l'un et l'autre ne sont pas deux dieux, mais un seul Dieu. Je ne dénierai pas non plus le nom de principe au Saint-Esprit, qui procède de l'un et de l'autre; mais je dirai qu'ils sont tous les trois ensemble un seul principe, comme ils sont un seul Dieu.


CHAPITRE XVIII. PREUVE DE LA CONSUBSTANTIALITÉ DU VERBE, TIRÉE DU PSAUME CIXe, SUR CES MOTS MAL INTERPRÉTÉS PAR LES ARIENS: Ex utero ante luciferum genui te.

1. Que serait-ce, dites-vous, si vous entendiez ces paroles du Père: «La domination est avec vous au jour de votre puissance, dans les splendeurs des saints: je vous ai engendré de mon sein avant l'apparition de l'aurore (3)?» Quelles sont ces promesses ou ces menaces que vous nous annoncez, si j'entendais ce que j'entends fréquemment et ce que je crois d'une foi très-ferme? Mais je suis profondément étonné que vous me voyiez pas ici l'inutilité de vos efforts. Car, soit que le Prophète s'adresse lui-même, dans ce passage, au Seigneur Jésus, soit qu'il mette ces paroles dans la bouche du Père s'adressant à son Fils, ce texte ne me contredit point, puisque j'admets, vénère et enseigne les deux générations du Christ, celle qu'il tient de Dieu le Père en dehors des temps, et celle qu'il a reçue de sa mère, selon la chair, dans la plénitude des temps. Cela fait voir que vous avez voulu simplement allonger la discussion, là où j'ai sur vous l'avantage de comprendre le motif pour lequel le Prophète a dit: «Je vous ai engendré de mon sein»; car vous admettez aussi que ces paroles s'entendent du Père. Or, Dieu n'a pas de sein comme le comporte la conformation du corps de l'homme;

1. Jn 1,1 - 2. Jn 8,25 - 3. Ps 109,3

mais ce mot, emprunté à un objet sensible, signifie au figuré la substance incorporelle et nous donne à entendre que le Fils unique a été engendré de la substance du Père; qu'est-ce à dire, en d'autres termes, sinon qu'il est d'une seule et même substance que lui? J'ai donc été obligé d'apporter ce texte en preuve contre vous; mais je vous remercie de m'en avoir donné l'occasion. Considérez par conséquent la grandeur de votre faute, quand, après avoir reconnu que le Fils est engendré du sein du Père, vous en venez à lui refuser l'identité de substance, faisant ainsi à Dieu la plus grave injure, comme s'il avait pu engendrer de son sein autre chose que ce qu'il est lui-même. Quand vous osez dire que du sein du Père il est sorti une nature différente de la sienne, ne sentez-vous pas que vous admettez en Dieu une génération défectueuse et que vous prêchez en cela quelque chose de monstrueux? Mais si, comme c'est votre devoir, vous repoussez ce blasphème, et l'avez en horreur avec nous, avec nous aussi approuvez enfin, et gardez la foi et l'omoúsion du concile de Nicée.

2. Faux-fuyant de Maximin, pour échapper à la logique de son adversaire. - Quand vous eûtes entendu ce passage cité par moi, où le Christ dit prophétiquement à son Père: «Vous êtes mon Dieu dès le sein de ma mère (1)»; passage où il nous est donné d'entendre que le Père est son Dieu, quant à la nature qu'il a reçue du sein de sa mère dans le temps; et qu'il est son Père, quant à la nature que celui-ci a engendrée de lui-même; ne trouvant rien à répondre, et cependant ue voulant pas rester muet, vous avez dit: Vous confessez que le Christ est né selon la chair du sein de sa mère; et vous avez ajouté: Les Juifs ne le mettent pas non plus en doute: or, qui ne voit le défaut où vous tombez ici? Pourquoi, demandez-vous ensuite, ne pas produire ici les preuves qui démontrent cette naissance dans le principe, comme nous le fait voir le texte allégué précédemment? Comme si je n'admettais, ne prêchais, et n'embrassais pas cette naissance, non temporelle, mais éternelle, qu'ont en vue ces paroles: «Au commencement était le Verbe», et comme si je ne reconnaissais que la naissance temporelle du Christ du sein de sa mère. Voici ma profession de foi: je dis que

1. Ps 21,11

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Dieu le Fils a été engendré par Dieu le Père avant tous les temps. Maintenant, comment celui qui est son Père est-il son Dieu, je l'ai fait voir, en disant que c'est en raison de l'humanité dont il s'est revêtu, en prenant naissance au sein maternel, sans avoir eu aucun homme pour père. Et pour en donner la preuve, j'ai cité ce verset où il dit à son Père par la voix du Prophète: «Vous êtes mon Dieu dès le sein de ma mère». Vous qui dites que je reconnais la naissance du Christ selon la chair, ce que les Juifs eux-mêmes ne font pas difficulté de croire, comme si je n'admettais que cette seule naissance; n'allez pas ici chercher une échappatoire, et dites-nous plutôt pourquoi vous ne répondez rien sur ces paroles du Christ à son Père: «Dès le sein de ma mère, vous êtes mon Dieu». Voyant que vous n'aviez rien à objecter sur ce texte, vous avez pensé vous tirer d'embarras en mettant en avant cette autre naissance que le Christ a reçue comme Dieu de Dieu. Je vous le demande: quand vous n'avez rien à répondre, combien ne feriez-vous pas mieux de vous taire?

3. Si le Christ est inférieur au Père, comme homme, il ne lui est pas moins consubstantiel, comme Dieu. - S'il se reconnaît, dites-vous, redevable à celui qui l'a engendré, eu égard au corps dans lequel il s'est anéanti, combien plus doit-il vénérer celui qui l'a engendré si grand et si parfait, et lui offrir toujours ses sentiments de soumission! Quelque vénération et quelque obéissance que vos idées charnelles exigent de la part du Fils à l'égard du Père, son Père n'est toujours son Dieu que depuis qu'il est né du sein de sa mère. Et quelle que soit la soumission de Dieu le Fils à l'égard de Dieu le Père, comme je vois que vous ne comprenez pas la parfaite égalité du Père et du Fils dans cette génération divine, je vous le demande, est-ce que la nature d'un homme est différente de celle de son fils, parce que le fils obéit au père? Voilà ce due nous ne pouvons absolument supporter de votre part, que de l'obéissance du Fils vous vouliez conclure logiquement la différence de nature entre le Père et le Fils. Certes, cette question: Le Père et le Fils sont-ils d'une seule et même substance? n'est pas la même que celle-ci: Le Fils est-il soumis au Père? N'allons pas là-dessus renier le vrai Fils de Dieu, qui ne peut l'être absolument qu'à la condition qu'il y ait unité et identité de substance entre le Père et le Fils. Avouez donc que Dieu le Père et Dieu le Fils sont d'une seule et même substance. Que la divinité vous contraigne de reconnaître en elle ce qu'elle a elle-même accordé à l'humanité! Un homme obéit à son père, de qui il tient sa nature d'homme; cependant il ne cesse pas d'être homme, parce qu'il obéit. Et si son fils était, je ne, dis pas aussi honoré, mais plus honoré que lui, un père en serait ravi de joie, loin de lui en porter en vie; cependant ce fils honorerait encore son père, lors même qu'il ne serait pas venu au monde petit enfant, destiné à grandir avec l'âge, mais qu'il serait né son égal. Que si son père avait pu l'engendrer égal à lui-même, nul doute qu'il aurait usé de ce pouvoir. Qui donc oserait dire que le Tout-Puissant n'a pas eu la puissance d'agir ainsi? J'ajoute même que si l'homme le pouvait, il engendrerait un fils plus grand et plus parfait que lui-même; or, il ne peut rien exister de plus grand ni de plus parfait que Dieu: donc nous devons croire que son vrai Fils lui est égal. Si vous dites: Le Père est d'autant plus grand que le Fils, que, n'ayant été engendré de personne, il a engendré néanmoins son égal; je me hâterai de répondre C'est tout le contraire: le Père n'est pas plus grand que le Fils, parce qu'il l'a engendré, non inférieur à lui-même, mais son égal. La question d'origine est en effet celle-ci: De qui est-il fils? et la question d'égalité: Qui est-il ou quelles sont ses qualités? Conséquemment, si la vérité exige que le Fils obéisse au Père dont il est l'égal, nous ne nous opposons pas à ce qu'il en soit ainsi; mais si vous voulez prétendre que cette obéissance établit en lui l'infériorité de nature, nous protestons: car Dieu le Père ne consentirait pas à refuser sa nature à son Fils unique, pour avoir de lui l'obéissance.

4. Si le Christ est soumis au Père, ce n'est pas comme Dieu, mais comme homme. - Que le Christ se soit soumis à ses parents, ce n'est pas sa majesté divine, mais la faiblesse de sa nature humaine qui s'est inclinée devant eux. C'est donc à tort que vous avez dit S'il fut soumis aux parents qu'il a créés (1), combien plus l'est-il à l'égard de celui qui l'a engendré et si grand et si parfait? Car voici ce qu'on vous répond: S'il fut soumis à ses

1. Lc 2,51

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parents à cause de son jeune âge, à combien plus forte raison l'est-il à Dieu à cause de sa nature humaine! Comme il a rendu cette forme immortelle et ne l'a point perdue parla mort, pourquoi vous étonner qu'après la fin de ce siècle il doive être soumis à celui qui lui a soumis toutes choses? Pour vous, vous prétendez que le Fils est soumis au Père, non point à raison de la forme de serviteur dont il s'est revêtu, mais parce que le Père l'a engendré si grand et si parfait, c'est-à-dire, un Dieu grand, il est vrai, mais néanmoins inférieur au Père lui-même . mais, en tenant ce langage, vous faites injure et au Père et au Fils: au Père, parce qu'il n'aurait pu ou voulu engendrer son Fils unique égal à lui-même; au Fils unique du Père, parce qu'il n'aurait pas été engendré son égal, mais serait né avec les perfections relatives, auxquelles il n'aurait pu rien ajouter dans la suite, pour atteindre le degré de perfection qu'il n'avait pas en naissant.

5. Le corps et l'âme de Jésus-Christ sont soumis au Père; mais, comme Dieu, il est le maître de tout. - Mais ce n'est pas seulement, comme vous le pensez, le corps du Fils, c'est-à-dire le corps humain qu'il a pris, mais encore son âme humaine, que nous déclarons soumise au Père; et c'est à son humanité que nous rapportons ces paroles: «Lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera assujetti à celui qui lui aura soumis toutes choses (1)». Nous l'entendons en ce sens que le Christ est la tête et le corps: la tête, c'est le Sauveur lui-même, ressuscité d'entre les morts et assis à la droite du Père; et l'Eglise, c'est son corps, sa plénitude, comme le dit très-clairement l'Apôtre (2). Par conséquent, lorsque toutes choses seront soumises au Christ, elles le seront assurément à la tête et au corps. Car, en tant qu'il est né Dieu avant tous les temps, rien n'a jamais pu échapper à son empire.

6. Le texte de l'Apôtre: «Lorsque tout sera soumis au Fils», n'est pas favorable aux Ariens; il prouve seulement qu'après les humiliations de la crèche et du Calvaire, viendra la glorification de l'humanité de Jésus-Christ au jugement dernier. - Je sais que vous avez cru devoir nous rappeler ce texte: «Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout pouvoir de juger (3)».Je voudrais cependant

1. 1Co 15,28 - 2 Col 1,18 - 3. Jn 5,22

que vous nous fassiez connaître en quel sens le Père ne juge personne, puisque le Fils dit lui-même. «Je ne cherche pas ma gloire; un autre en prendra soin et me fera justice (1)»; afin que vous sachiez que s'il est écrit: «Le Père ne juge personne, mais il a donné à son Fils tout pouvoir de juger», c'est parce que sa nature humaine, que n'a point le Père, apparaîtra pour juger les vivants et les morts: c'est pourquoi le Prophète a dit; «Ils contempleront celui qu'ils ont percé (2)». Mais le Père sera aussi invisiblement avec lui, parce qu'il en est inséparable. Car si Jésus-Christ a dit, avant de mourir: «Je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec moi (3)», combien plus cela sera-t-il vrai, quand il viendra pour juger les vivants et les morts! L'Esprit-Saint sera également avec lui. Comment en effet l'Esprit-Saint, dont il fut rempli au sortir du Jourdain (4), se séparerait-il de lui, quand il siégera sur son trône royal? Ces paroles de l'Epître aux Hébreux: «Nous ne voyons pas encore que tout lui soit assujetti; mais nous voyons ce Jésus un peu abaissé au-dessous des anges à cause des souffrances de sa mort (5)», doivent nous donner l'intelligence de ces autres paroles écrites aux Corinthiens: «Lorsque toutes choses lui seront assujetties»: elles ont été dites, non par rapport à la divinité, mais par rapport à l'humanité du Christ. Il apparaîtra donc avec cette nature d'homme, dans laquelle il s'est abaissé au-dessous des anges par sa passion et sa mort, lorsqu'il jugera les vivants et les morts, et dira: «Venez, les bénis de mon Père, partager le royaume (6)». Vous avez prétendu tirer de ce texte la preuve que le Christ est, non pas comme homme, mais comme Dieu, inférieur à son Père: mais votre preuve est encore à faire, aux yeux des esprits intelligents.



Augustin et Maximin - CHAPITRE XIV. DE LA PROCESSION DU SAINT-ESPRIT.