Augustin et Maximin - CHAPITRE XXII. ON NE DIT DE PLUSIEURS CHOSES, QU'ELLES FONT UN OU UNE MÊME CHOSE QUE LORSQU'ELLES SONT D'UNE SEULE ET MÊME SUBSTANCE.

CHAPITRE XXIII. LE PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT SONT UN SEUL DIEU: PREUVES TIRÉES DE L'ÉCRITURE.

1. Comment me demandez-vous de prouver que le Père et le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu, quand les divines Ecritures l'établissent ainsi dans les termes les plus formels: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est un seul et unique Seigneur (1)?» C'est aussi ce que vous entendriez vous-mêmes certainement, si vous consentiez à être Israël, non pas à la manière charnelle des Juifs, mais à la manière spirituelle des chrétiens. En effet, quand on ne veut plus se résoudre à entendre cette parole: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur», il ne reste plus qu'à prendre pour un menteur celui qui l'a dite. Or, s'il n'est pas un menteur, sa parole est vraie; et si parole est vraie, la question est terminée. Car la vérité vous contraint sans aucun doute à confesser que le Père et le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Seigneur Dieu. Niez la divinité du Saint-Esprit, dont le temple n'est pas fait de main d'homme, mais notre corps lui-même; dont le temple ne se compose pas de bois et de pierres, mais est formé des membres de Jésus-Christ: que direz-vous du Christ lui-même, que vous reconnaissez pour être notre Dieu et Seigneur? Répondez-nous donc si le Père et le Fils sont un seul Seigneur Dieu. En effet, s'ils ne sont pas un seul Dieu, ils sont deux; et s'ils sont deux, c'est un menteur, celui qui a dit: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur»; c'est un menteur, celui qui a dit: «Considérez que je suis Dieu, et qu'il n'y en a pas d'autre que moi (2)». Mais parce que vous n'oseriez pas dire qu'il a menti, pourquoi hésitez-vous de réformer votre jugement, et de venir ou de revenir à la foi catholique, qui ne reconnaît pas trois Seigneurs dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, mais un seul Seigneur Dieu, et se rend à cet appel du Seigneur à son peuple. «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur»; à cet autre: «Considérez que je suis le Seigneur, et qu'il n'y en a point d'autre que moi?» Si je dis que vous êtes un aveugle et un sourd, parce

1. Dt 6,4 - 2. Dt 32,39

que vous ne voyez ni n'entendez cela, vous penserez sans doute que je vous fais injure. Eh bien 1 je ne le dis pas: seulement expliquez-nous quel sens vous attachez à ces paroles: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur»; dites-nous s'il faut entendre aussi le Christ dans ce passage, ou non. Car, si voles dites Oui, vous confesserez avec moi que le Père et le Fils sont un seul Seigneur Dieu. Et si vous répondez que non, alors contrairement à la parole divine, vous supposerez deux seigneurs, puisque vous ne niez pas que le Christ soit Seigneur Dieu. De même je vous demanderai en quel sens vous entendez ces paroles; «Considérez que je suis le Seigneur, et qu'il n'y en a point d'autre que moi». Le Christ est-il compris dans ces paroles, oui ou non? Si oui, le Père et le Fils sont certainement un seul Seigneur; si non, comme il est cependant Seigneur, alors c'est un démenti donné à celui qui a dit: «Il n'y en a point d'autre que moi». Le Fils est en effet un autre Seigneur, si le Père et le Fils ne sont pas un seul Seigneur. Quoi que vous fassiez pour exalter le Père et mettre le Fils au-dessous de lui, votre but est de soutenir qu'ils ne sont point égaux, et non pas qu'ils ne sont point deux dieux. Criez, tant que vous voudrez, que le Père est plus grand et le Fils plus petit; on vous répondra qu'ils sont deux néanmoins, l'un plus grand et l'autre plus petit. Le texte sacré ne porte pas: Le Seigneur ton Dieu qui est le plus grand, est le seul et unique Seigneur; mais: «Le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur». Il ne porte pas non plus: Il n'y en a point d'autre égal à moi; mais: «Il n'y a point d'autre Seigneur que moi». Reconnaissez donc que le Père et le Fils ne sont qu'un seul Seigneur Dieu, ou niez formellement que le Christ soit Seigneur Dieu, de même que vous le niez ouvertement pour le Saint-Esprit. Si vous le faites, je ne vous presserai plus avec ces divines paroles; mais je produirai d'autres oracles, avec lesquels je démontrerai que votre erreur est plus détestable encore. Et maintenant si vous niez que le Saint-Esprit soit Seigneur Dieu, il suffira, pour que ces divines paroles vous confondent, que vous reconnaissiez le Christ pour Seigneur Dieu: que si le Christ n'est pas avec le Père un seul Seigneur Dieu, nous aurons alors deux seigneurs dieux, et (641) nous verrons un mensonge dans ces divines paroles: «Le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur»; et: «Il n'y en a pas d'autre que moi». Or, combien vos paroles savamment châtiées seront-elles préférables aux paroles mensongères de Dieu?

2. C'est la Trinité elle-même qui dit dans l'Ecriture: «Le Seigneur Dieu est un Dieu unique»; et: «Je suis le Seigneur; et il n'y en a point d'autre que moi». - Vous me demandez si je vous- exhorte à professer là croyance en un seul Dieu, à la manière des Juifs; ou si, de préférence; conformément à la foi chrétienne, je conclus de la soumission du Fils qu'il n'y a, qu'un Dieu, dont le Fils est notre Dieu.Vous parlez de la sorte, comme s'il fallait attribuer aux Juifs ces paroles: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est un seul et unique Seigneur»; ou bien: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi». Mais c'est Dieu qui a tenu ce langage, reconnaissez-le et gardez le silence; ou plutôt expliquez-nous comment il a dit la vérité, celui que nul d'entre nous n'ose taxer de mensonge. Expliquez-nous, vous dis-je, la vérité de ces paroles: «Le Seigneur ton Dieu est un seul et unique Seigneur», si nos seigneurs dieux, pour m'exprimer comme vous; sont au nombre de deux, l'un supérieur, l'autre inférieur; expliquez-nous encore la vérité de ces autres paroles: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi». Lequel en effet, je vous le demande, du Père ou du Fils, s'est exprimé ainsi? Si le Père a dit: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi», il n'a pas dit vrai, parce qu'il y a un autre Seigneur, qui est le Fils. Et si c'est le Fils qui l'a dit, il n'a pas dit vrai non plus, parce qu'il y a un autre Seigneur, qui est le Père. Mais si c'est la Trinité, assurément elle a dit vrai et elle vous convainc de soutenir le faux. En effet, la Trinité, que la foi droite reconnaît, c'est-à-dire, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, cette Trinité, dis-je, au nom de laquelle nous sommes baptisés, est notre unique Seigneur Dieu, et en même temps il n'y en a point d'autre. C'est ce même Dieu dont l'Apôtre parle en ces termes: «Il n'y a nul autre Dieu que le Dieu-unique (1)». Que si vous rapportez ces paroles au Père, Jésus-Christ ne sera plus un Dieu pour vous, parce que l'Ecriture ne peut être contredite, quand

1. 1Co 8,4

elle affirme ceci: «Nul autre Dieu que le Dieu unique»: soit dit, sans faire mention du Saint-Esprit, dont j'ai prouvé la divinité précédemment, en dépit de vos dénégations. Si donc vous étiez des hérétiques macédoniens; qui ne sont séparés de la foi catholique qu'en ce qui concerne le Saint-Esprit, reconnaissant que le Père et le Fils sont deux personnes distinctes, l'une le Père, et l'autre le Fils, admettant qu'ils sont égaux et d'une seule et même substance, et néanmoins qu'ils ne sont pas deux seigneurs dieux, mais que tous deux sont ensemble un seul Seigneur Dieu: si du moins vous n'alliez pas plus loin qu'eux dans l'erreur, vous ne seriez pas pressés par ces divins oracles. Vous affirmeriez effectivement que le Père et le Fils sont un seul Seigneur Dieu, qui a dit: «Il n'y en a point d'autre que moi». Plût au ciel qu'il ne nous restât plus qu'à vous faire admettre en outre le Saint-Esprit, et à reconnaître, à la place d'une dualité, la Trinité pour unique Seigneur Dieu. Mais maintenant que vous proclamez le Père Seigneur Dieu, et le Fils également, de manière que tous deux ne soient pas un seul Seigneur Dieu, mais deux, dont l'un est supérieur et l'autre inférieur, vous êtes évidemment percé du glaive de la vérité, qui brille dans ces paroles: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est un seul et unique Seigneur»; «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi». Car Dieu le Père n'aurait pas voulu arracher les Israélites au culte des faux dieux du polythéisme, pour les induire en erreur au sujet du seul Dieu et Seigneur, en leur disant qu'il n'y avait point d'autre Seigneur que lui, tandis que l'on savait que son Fils était Dieu et Seigneur. Il était impossible que la Vérité et le Père de la vérité trompât son peuple par un mensonge: qu'un blasphème aussi horrible et aussi détestable retombe sur les hérétiques; les catholiques n'en sont point capables. En résumé, Dieu dit vrai dans ces paroles: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est le seul et unique Seigneur», parce que le Père et le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu; ni trois seigneurs, mais un seul Seigneur. Il est dans le vrai en disant «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi», parce que ce n'est pas le Père seulement, mais la Trinité elle-même qui s'exprime ainsi: elle est cet unique Seigneur, en dehors duquel il n'y en a point. En effet, (642) si le Père disait: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi», il refuserait par là même à son Fils unique la qualité de Seigneur. Et qui de nous oserait accorder au Fils cette qualité, quand le Père s'élèverait contre nous par ces paroles: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi?» Par conséquent, suivant la vraie foi, cette parole ne vient pas du Père, mais de la Trinité; elle vient du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Que les langues de ceux qui ignorent la vérité se taisent donc: cette Trinité est un seul Dieu. C'est donc de ce Dieu unique qu'il est dit: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est un seul et unique Seigneur». C'est ce Dieu unique qui dit. «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi». Le Fils, il est vrai, est inférieur au Père en tant qu'homme; il n'y a pas cependant deux dieux et deux seigneurs, en tant qu'il est Dieu; mais tous deux sont avec le Saint-Esprit un seul Seigneur.

3. Réfutation des allégations maladroites de Maximin. - Les textes de saint Paul que vous alléguez vous contredisent, et vous ne le voyez pas. Car voici ce qu'il dit: «Que la grâce et la paix vous soient données de la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ notre Seigneur (1)». Or, comment Jésus-Christ est-il Seigneur, si le Père a dit: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi?» Ainsi que je l'ai observé, cette parole ne vient donc pas du Père exclusivement, mais de la Trinité. Vous produisez encore un autre témoignage, et cela contre vous-même, en citant ce passage de l'Apôtre . «Il n'y a qu'un seul Dieu, qui est le Père, de qui toutes «choses procèdent, et qui nous a faits pour «lui; et il n'y a qu'un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, et en qui nous sommes», pour parler votre langage; mais l'Apôtre a dit: «Et par qui nous sommes», au lieu de: «en qui nous sommes». De pareilles inadvertances sont ordinaires quand on cite de mémoire, sans avoir le texte sous les yeux: mais venons-en plutôt à l'affaire en question. Voici ce que dit l'Apôtre: «Il n'y a qu'un seul Dieu, qui est le Père, de qui toutes choses procèdent, et qui nous a faits pour lui; et il n'y a qu'un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, et par qui nous

1. Rm 1,9 1Co 1,3 2Co 1,2 Ga 1,3 Ep 1,2

sommes tout ce que nous sommes (1)». Il distingue parfaitement deux personnes, celle du Père et celle du Fils, sans aucune confusion et sans aucune erreur. Car il n'y a pas deux dieux pères, mais un seul Dieu le Père; ni deux seigneurs Jésus-Christ, mais un seul Seigneur Jésus-Christ. Il n'y a effectivement dans cette Trinité qui est Dieu, qu'un seul Père, et non deux ou trois; et qu'un seul Fils, et non deux ou trois; et qu'un Esprit du Père et du Fils, et non deux ou trois; et ce Père unique est certainement Dieu; et ce Fils unique est aussi Dieu, même de votre propre aveu; et, malgré vos dénégations, l'Esprit de l'un et de l'autre est également Dieu. C'est ainsi que si vous me demandez qui est le Seigneur, je réponds que chacun d'eux l'est; mais que tous ensemble, au lieu d'être trois seigneurs dieux, sont un seul Seigneur Dieu, Voilà notre foi, parce qu'elle est la foi droite, qui s'appelle encore la foi catholique. Pour vous, qui vous insurgez contre cette foi, je vous en prie, expliquez-nous comment Jésus Christ est aussi Seigneur, quand vous attribuez au Père seul, et non à la Trinité, cette parole: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi». Mais vous vous troublez; mais vous ne trouvez rien à répondre; seulement vous ne voulez pas garder le silence lors même due vous êtes convaincu, Si, en réalité, ce n'est pas la Trinité divine, amis-le Père, qui a dit: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi», il n'y a pas de doute qu'il a renié son Fils pour Seigneur: et si son Fils est Seigneur avec lui, il n'a pas dit vrai en s'exprimant ainsi: «Il n'y a point d'autre Seigneur que moi». Ici, en effet, il ne s'agit pas d'un Seigneur pareil aux maîtres de la terre, qui ont des hommes pour serviteurs, et que l'Apôtre appelle les maîtres selon la chair (2); mais il s'agit du Seigneur, à qui est dû le culte de latrie, comme le nomme la langue grecque, conformément à ces paroles: «Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul (3)». Si ce Seigneur Dieu n'est pas la Trinité, mais le Père seul, assurément nous ne pouvons rendre un pareil culte à Jésus-Christ, à cause de ces paroles: «Tu ne serviras que lui seul», dès lors qu'elles doivent s'entendre en ce sens, qu'il ne faut rendre de culte qu'à Dieu le Père. Si c'est lui seul et non la Trinité qui a

1. 1Co 8,6 - 2. Ep 6,5 - 3. Dt 6,13

643

dit: «Je suis le Seigneur, et il n'y en a point a d'autre que moi», il a nié que son Fils fût un Seigneur, à qui dût être offert le culte de religion, qui n'est dû qu'à Dieu. Il n'a pas dit en effet: Je suis un Dieu plus grand ou meilleur, et il n'y en a point d'égal ou de pareil à moi; mais, voulant qu'on rendît à lui seul le culte qui n'est dû qu'au Seigneur Dieu, il s'est ainsi exprimé: «Je suis le Seigneur, et il n'y a en a point d'autre que moi». Or, si cette parole, conformément à la déclaration de la foi catholique, doit être attribuée à un seul Dieu, qui est la Trinité même, il est hors de doute qu'il ne faut rendre qu'à lui seul le culte qui n'est dû qu'au Seigneur Dieu, parce qu'il est lui-même le Seigneur, et qu'il n'y en a point d'autre que lui.

4. Nouvelles preuves de la Trinité, tirées de saint Paul. - Je demande ensuite comment vous entendez ce passage: «Il n'y a qu'un seul Dieu, qui est le Père, duquel toutes choses tirent leur être, et qui nous a faits pour lui; et il n'y a qu'un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, comme c'est aussi par lui que nous sommes». Est-ce que toutes choses ne tirent pas également leur être du Fils, puisqu'il dit lui-même: «Tout ce que fait le Père, «le Fils le fait également (1)?» Si vous établissiez cette distinction que toutes choses n'ont pas été faites par le Père, mais procèdent de lui; et que toutes choses ne procèdent pas du Fils, mais ont été faites par lui: lequel des deux vous semble être l'objet de ces réflexions du même Apôtre: «O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! Que oses jugements sont incompréhensibles, et oses voies impénétrables! Car qui a connu les desseins de Dieu? Ou qui est entré dans le secret de ses conseils? Qui lui a donné quelque chose le premier, pour en prétendre récompense? Car tout est de lui, tout est par lui, et tout est en lui: gloire à lui dans tous les siècles. Amen (2)» . Est-il question ici du Père ou du Fils? Car il a nommé Dieu d'abord, en disant: «O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu!» Puis il a nommé le Seigneur en disant: «Qui connaît en effet les desseins du Seigneur?» Mais ceci n'a point de rapport à notre discussion: car vous assignez, vous aussi, ces deux noms au Père et au Fils. Vous ne donnez pas

1. Jn 5,19 - 2. Rm 11,33-36

le nom de Dieu au Père, pour le dénier au Fils, ni réciproquement le nom de Dieu au Fils, pour le dénier au Père, bien que dans le passage de l'Apôtre allégué par vous, le nom de Dieu soit donné au Père, et le nom de Seigneur au Fils: «Il n'y a, dit-il, qu'un Dieu, qui est le Père, de qui toutes choses tirent leur être; et il n'y a qu'un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites». Mais remarquez où il a été dit: «O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu!» Car, qu'il soit question ici du Père, ou du Fils, «tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui». Comment donc toutes choses tirent-elles leur être du Père, et non pas du Fils; et comment toutes choses ont-elles été faites par le Fils, et non par le Père, puisque c'est l'un des deux que l'Apôtre a voulu désigner dans ce passage: «Tout, dit-il, est de lui, tout est par lui, et tout est en lui?» Si donc, qu'il s'agisse du Père ou qu'il s'agisse du Fils, il est dit néanmoins, suivant la plus pure vérité, que «tout est de lui, tout est par lui et tout est en lui», c'est là indubitablement la; démonstration de l'égalité qui existe entre le Père et le Fils. Que si, par la raison qu'il n'a pas nommé le Père et le Fils et le Saint-Esprit, mais Dieu et le Seigneur, termes également applicables à la Trinité elle-même, on peut rapporter chacune de ces trois particularités à chacune des trois personnes: De lui, au Père; par lui, au Fils; et en lui, au Saint-Esprit; pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître que cette Trinité est l'unique Seigneur Dieu? Le texte ne porte pas en effet: d'eux, et par eux, et en eux; mais «tout est de lui, tout est par lui et tout est en lui»; et le texte ne porte pas non plus: A eux soit la gloire, mais: «gloire à lui dans tous les siècles. Amen».

5. Maximin se trompe, en rapportant au Père exclusivement, au lieu de le rapporter aux trois personnes, ce qui est dit de Dieu dans les saintes Ecritures. - Vous tombez certainement dans l'erreur, quand vous pensez que ces paroles: «Il n'y a que Dieu qui «soit bon», se rapportent au Père exclusivement. En effet, quand même on lirait textuellement,: Il n'y a que le Père qui soit bon, on ne devrait pas l'entendre en ce sens que le Fils et le Saint-Esprit seraient exclus de cette bonté unique; parce que ces mots, que j'ai déjà rapportés: «Nul ne fait ce qui est de (644) Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu (1)», où se trouve une manière de parler analogue, n'excluent pas le Fils de Dieu de cette science: Quelle latitude n'avons-nous donc pas pour interpréter ce passage, puisqu'il n'y est pas dit: Il n'y a que le Père, mais: «Il n'y a que Dieu qui soit bon», c'est-à-dire la Trinité elle-même? Car celui à qui Jésus fit cette réponse, ne cherchait pas un bien quelconque, mais le bien qui le rendrait heureux. Que dis-je? il désirait la vraie béatitude elle-même, en d'autres termes, la vie éternelle; et il avait questionné le Christ comme homme, sans savoir qu'il était Dieu en même temps. Il lui avait dit: «Bon maître, que faut-il que je «fasse pour obtenir la vie éternelle?» Et il lui dit: «Pourquoi me dites-vous bon? Il n'y «a que Dieu qui soit bon (2)»; ou, comme on lit dans un autre évangéliste, et ce qui revient au même: «Il n'y a de bon que Dieu seul (3)». Cela signifiait: Vous serez dans le vrai en m'appelant bon, si vous connaissez que je suis Dieu. Car quand vous ne me prenez pas pour autre chose qu'un homme, pourquoi me dites-vous bon? Il n'y a pour rendre bon ou heureux, que le bien immuable, qui est Dieu seul. Il y a de la bonté dans l'ange, dans l'homme ou toute autre créature; mais ces êtres n'ont pas en partage une bonté capable de rendre heureux ceux qui les possèdent; et il n'y a point de vie heureuse en dehors de la vie éternelle. Or, comment le vrai Fils de Dieu ne serait-il pas un bien de cette nature, puisqu'il est Dieu véritable et la vie éternelle à laquelle désirait parvenir celui qui l'interrogeait?

6. Inconvenance du sentiment de Maximin: combien plus la doctrine catholique est conforme à la raison elle-même. - Je soutiens que ces mots: «Il n'y a que Dieu, et Dieu seul, qui soit bon», se rapportent à la Trinité elle-même, qui est le seul et unique Dieu; et vous, vous prétendez qu'ils se rapportent au Père exclusivement, parce qu'étant Dieu sans le tenir de nul autre, il est bon aussi sans le tenir d'aucun autre; tandis que le Fils étant Dieu de par le Père, tient du Père sa grandeur et sa bonté. Or, remarquez bien lequel de nous conçoit de Dieu le Père et de Dieu le Fils la meilleure idée; est-ce moi qui dis: Dieu le Père est Dieu, il est vrai, sans le tenir d'un autre Dieu, et Dieu le

1. 1Co 2,11 - 2. Mc 10,13-17 - 3. Lc 18,19

Fils est Dieu de par, le Père, mais celui-ci tient de celui-là une grandeur égale à celle que celui-là même ne tient de - personne; en outre, le Père est bon d'une bonté qu'il ne reçoit de personne, tandis que le Fils est bon de la bonté qu'il tient du Père, mais la bonté qu'il tient du Père est égale à celle que celui-ci ne tient de personne; ou bien est-ce vous, qui prétendez que Dieu le Père est le seul bon, parce qu'il ne tient sa divinité d'aucun autre Dieu et sa bonté d'aucun autre être bon; et que le Fils ne doit pas être égal au Père, parce qu'il est Dieu de par lui, et qu'il tient également sa bonté de lui? Vous blasphémez contre l'un et l'autre, en tenant un pareil sentiment; contre le Père, parce que, selon vous, il n'a pas engendré un Fils ni aussi grand, ni aussi parfait que lui-même; contre le Fils, parce qu'il n'a pas mérité de naître ni aussi grand ni aussi parfait que celui qui l'a engendré. Enfin, d'après votre opinion, ces deux choses qui font l'objet de notre débat, la divinité et la bonté, n'ont plus de raison d'être, puisqu'il est dit: «Il n'y a de bon que Dieu seul». En effet, comment le Père est-il Dieu, s'il n'a pu engendrer un Fils aussi grand et aussi parfait que lui-même? et s'il ne l'a pas voulu, où est sa bonté?

7. Pour être logique dans leur erreur, les Ariens en viennent précisément à nier que Jésus-Christ soit Fils de Dieu par nature. - Le Père, dites-vous, est la source de la bonté, et cette bonté, il ne la tient de personne. Est-ce que le Fils est moins bon, parce due la bonté qu'il a en partage, il l'a reçue du Père, qui a pu donner à son Fils, à sa naissance, une bonté égale à la sienne, attendu qu'il est Dieu, et qui la lui a donnée effectivement, attendu qu'il ne peut pas être jaloux? En effet, si le Père a donné à son Fils unique moins de bonté qu'il n'en a lui-même, il est moins bon qu'il doit l'être: sentiment qui tient de la folie. Donc il a donné au Fils autant de bonté qu'il en a lui-même. Et parce que le Fils est tel par nature, et non par grâce, Dieu lui a donné cette bonté à sa naissance, et non quand il en était dépourvu; il l'a rempli de sa plénitude, et source de la bonté il a fait jaillir en lui cette source. Par conséquent celui qui a reçu, n'a pas éprouvé d'accroissement, et celui qui a donné n'a rien diminué en lui: parce que l'immutabilité n'est pas susceptible de diminution; ni la plénitude, (645) d'accroissement. Qu'est-ce d'ailleurs que la bonté en soi, sinon la vie qui communique la vie? C'est parce que la source a engendré la source, que «comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne a la vie à qui il lui plaît (1)». Voilà le langage du Fils; ce n'est pas le mien. C'est pourquoi les paroles suivantes s'adressent convenablement à Dieu le Père: «Avec vous est la source de vie». Or, quelle est cette source de vie auprès du Père, si ce n'est celui que désignent ces mots: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était dès le commencement avec Dieu»; de qui l'Evangile dit encore un peu plus loin: «Et la vie était la lumière des hommes (2)?» Cette vie est la source de la vie, et cette lumière, la source de la lumière. Aussi ces paroles: «Avec vous est la source de vie», sont elles suivies immédiatement de celles-ci: «En votre lumière nous verrons la lumière (3)», c'est-à-dire, en votre Fils nous verrons l'Esprit-Saint: cet Esprit, à qui vous avez reconnu vous-même, dans la première partie de notre conférence, le don d'illuminer. Le Fils, né du Père, est donc la source émanée de la source, et tous deux ensemble ne sont qu'une source; le Fils, né du Père, est la lumière émanée de la lumière, et tous deux ensemble ne sont qu'une lumière; de même qu'il est Dieu de Dieu, et que tous deux ensemble ne sont qu'un seul Dieu: et tout cela, non sans l'Esprit de l'un et de l'autre. De cette source de bonté, de cette source de vie, de cette lumière immuable, de cette plénitude inépuisable, c'est-à-dire, du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, seul et unique Seigneur Dieu, tous ceux qui ont la foi véritable, reçoivent une part de bonté, de vie, de lumière et de plénitude en proportion avec la mesure de leur foi. Or, par je ne sais quelle incroyable témérité (je le dirai avec votre permission), vous osez bien assimiler le Fils unique de Dieu à ces simples fidèles. Voici effectivement vos propres paroles: Qu'il soit question du Fils, ou de ceux qui ont été créés par le Fils, pour être bons, ils ont reçu chacun de cette source de la bonté une part proportionnelle à leur foi. Qu'est donc devenu ce que vous professiez naguère, que Jésus-Christ est Fils de Dieu par nature, et non par grâce? Voilà que

1. Jn 5,21 - 2. Jn 1,1-4 - 3. Ps 35,10

vous renversez votre propre sentiment; c'est maintenant que vous mettez au grand jour le secret perfide de votre hérésie, en déclarant que le vrai Fils unique de Dieu, vrai Dieu lui-même, n'est pas son Fils par nature, mais par grâce. En effet si, pour être bon, il a, comme le crient vos paroles, reçu une part de bonté proportionnelle à sa foi, il s'ensuit qu'il est Fils par grâce, et non par nature; et il y a eu un temps où il n'était pas bon, et c'est en croyant qu'il est devenu bon, puisque, pour être tel, il a, comme vous le dites, reçu de cette source de bonté, qui est le Père, une part de bonté en rapport avec la mesure de sa foi. Nous lisons, il est vrai, que «Jésus croissait en âge et en sagesse, et que la grâce de Dieu était en lui (1)»: mais ces paroles concernent la nature humaine que Jésus-Christ a prise de nous et pour nous-mêmes, et non sa nature divine, en laquelle il n'a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu (2). Si nous lisons qu'il croissait en âge et en sagesse, même par rapport à sa nature d'homme, nous ne lisons pas cependant qu'il ait mérité par sa foi une bonté qu'il n'avait pas auparavant. La question ne roule pas entre nous maintenant sur sa nature de fils de l'homme, en laquelle le Fils de Dieu est inférieur au Père; mais sur sa nature de Fils de Dieu, en laquelle il est égal au Père, comme nous le disons et contrairement à vos dénégations: le vrai Fils, le Fils unique, le Fils vrai Dieu du vrai Dieu, n'a dégénéré en rien du Père. Et nulle part vous n'avez pu lire dans les saintes Ecritures que le Père soit incomparable au Fils. Vous n'avez pas été non plus de bonne foi, en disant que le Père est immense; car vous n'avez avancé cette assertion, que pour représenter ce Fils privé de cette immensité et sujet à être délimité dans une certaine mesure. Conservez pour vous votre mesure, pour en mesurer votre faux seigneur, et mentir au sujet du Seigneur véritable.


CHAPITRE XXIV. OBSTINATION DES ARIENS À NE VOIR LE FILS DE DIEU QUE DES YEUX DE LA CHAIR.

Vous avez raison de reconnaître que le Père aime le Fils et que le Fils aime le Père; mais c'est à la condition que vous n'imaginerez pas

1. Lc 2,52 - 2. Ph 2,6

646

dans le Père un amour supérieur à celui du Fils. Car, étant égaux sous le rapport de la nature divine, ils se portent mutuellement un amour égal, mais comme homme, le Fils accomplit le commandement de son Père;. car en tant que Dieu, il est lui-même le commandement du Père, puisqu'il en est le Verbe. C'est pour cela qu'il dit ailleurs, en parlant du commandement du Père, c'est-à-dire de lui-même: «Je sais que son commandement est la vie éternelle (1)». Maintenant, que le Fils de Dieu soit lui-même la vie éternelle, c'est ce que la sainte Ecriture atteste. Et quand il s'exprime ainsi: «Celui qui me voit, voit aussi mon Père (2)», qui ne comprendrait que le sens de ces paroles est celui-ci . que quiconque voit le Fils par l'intelligence, voit en lui assurément l'égal du Père? Vous ne voulez pas de cette doctrine, parce que vous ne voyez pas le Fils des yeux du coeur, autant que cela est possible dans cette vie.


CHAPITRE XXV. SAINT AUGUSTIN JUSTIFIE CETTE PROPOSITION QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE LE FILS, CONSIDÉRE COMME HOMME, ET QUE CELA SUFFIT À SA GLOIRE.

Vous pensez que, je m'écarte de la vérité, en disant que le Père est plus grand que le Fils, eu égard à la forme de serviteur dont celui-ci s'est revêtu (3). Vous prétendez, en effet, conformément à votre hérésie, que le Père est supérieur au Fils, même quant à sa nature divine; vous voyez de mauvais oeil que le Fils ait la nature de son Père, et pour qu'il ne puisse y parvenir au moins dans la suite, vous voulez qu'il soit né parfait d'une perfection éternelle. Mais c'est en vain que l'homme voit d'un mauvais oeil la nature du Père communiquée au Fils de Dieu,. quand le Père ne lui envie point cette nature, puisqu'il a engendré son Fils unique égal à lui-même. Cependant vous dites que la gloire du Père n'est pas grande, s'il n'est supérieur au Fils que par rapport à cette forme de serviteur, dans laquelle les anges eux-mêmes sont plus grands que celui-ci. Voyez vous-même, si vous vous proposez autre chose que de parvenir à célébrer la gloire exclusive du Père, aux dépens de celle de son Fils unique; eu d'autres termes, si vous ne vous efforcez pas

1. Jn 12,50 - 2. Jn 14,9 - 3. Ph 2,7

d'accroître la gloire du Père, uniquement en portant atteinte à la nature du Fils. Allons donc ne voyez-vous pas que vous faites injure et au Père et au Fils, si le Père n'a pu ou voulu engendrer un Fils égal à lui-même, et si le Fils n'a pu naître égal à son Père? Dieu ne consent pas à être loué comme Père, si l'on dit qu'il a engendré de lui-même un Fils dégénéré. Dans sa bonté et son amour pour son Fils, il ne veut pas des louanges prodiguées à sa nature divine, à la condition que son Fils unique n'aurait pu, la recevoir en naissant, ou y parvenir après avoir pris de l'accroissement. Il vous semble que ce n'est pas dire quelque chose de bien glorieux pour Dieu le Père, si l'on dit qu'il a sur la nature de serviteur une supériorité, qui paraît être égale. ment le partage même des anges; mais vous ne vous faites pas une idée exacte de la place occupée dans la création par la nature humaine, formée â l'image de Dieu. On peut dire des anges qu'ils sont supérieurs à l'homme, parce qu'ils sont supérieurs à sa nature corporelle, ils sont même plus grands que son âme, toutefois dans ce sens qu'elle est, en punition du péché originel, appesantie par un, corps sujet à la corruption. Mais il n'y a que Dieu qui soit plus grand que la nature humaine, telle que Jésus-Christ l'a prise avec une âme humaine, que n'a pu souiller jamais aucun péché. Enfin l'Ecriture a déterminé le sens de ces mots: «Vous l'avez mis un peu au-dessous des anges (1)», quand elle a dit: «.Nous voyons ce Jésus abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges à cause de la mort qu'il a soufferte (2)». Il est donc question ici, non de la nature de l'homme, mais de la mort endurée par le Sauveur. Quant à cette nature humaine, qui surpasse toutes les autres créatures par son union à une âme intelligente et raisonnable, Dieu seul,est plus grand qu'elle; et l'Ecriture ne l'humilie point certainement parce qu'elle dit: «Dieu est plus grand que notre coeur (3)». Lors donc que le Fils de Dieu, revêtu de cette nature humaine, qu'il devait élever jusqu'à son Père, disait: «Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez certainement de ce que je m'en vais vers mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi (4)»; ce n'était pas, seulement sa chair, mais encore l'âme humaine qu'il avait prise, qu'il mettait au-

1. Ps 8,6 - 2. He 2,9 - 3. 1Jn 3,20 - 4. Jn 14,28

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dessous de Dieu son Père: on reconnaît là, sans aucun doute, la forme entière du serviteur, parce que la créature obéit tout entière au Créateur.



Augustin et Maximin - CHAPITRE XXII. ON NE DIT DE PLUSIEURS CHOSES, QU'ELLES FONT UN OU UNE MÊME CHOSE QUE LORSQU'ELLES SONT D'UNE SEULE ET MÊME SUBSTANCE.