Augustin, les Psaumes 12

DISCOURS SUR LE PSAUME 11 - LES ÉLUS SUR LA TERRE.

12
Ps 12

Ici-bas les justes sont en butte aux manoeuvres scandaleuses des impies. Le Seigneur les console par la promesse du Sauveur, qui mettra fin aux gémissements des opprimés. 

POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID POUR L'OCTAVE Ps 11,1).

1201 1. Nous avons dit, au psaume sixième, que cette octave peut s'entendre du jour du jugement. L'octave peut se dire encore de ce siècle éternel que Dieu doit donner aux saints, quand sera écoulé ce temps qui marche de sept jours en sept jours.

1202 2. «Sauvez-moi, Seigneur, car l'homme saint a fait défaut Ps 2,2)», c'est-à-dire qu'on ne le trouve plus; c'est ainsi que nous disons que le blé manque, et que l'argent manque. «Car les vérités se sont affaiblies parmi les enfants des hommes (Ps 2,2)». Il n'y a sans doute qu'une vérité qui éclaire les âmes saintes, mais comme il y a plusieurs âmes, on peut dire qu'il y a en elles plusieurs vérités comme une seule figure se réfléchit dans chaque miroir.

1203 3. «Chacun tient à son prochain le langage du mensonge (Ps 2,3)». Par prochain, il faut comprendre tout homme, puisqu'il n'est permis de nuire à personne, et que «l'amour du prochain ne fait point ce qui est mal (Ps 11,3), d'une manière perverse. Cette répétition «en un coeur et en un coeur», montre la duplicité.

1204 4. « Que le Seigneur perde toutes les lèvres trompeuses». «Toutes les lèvres», dit le Prophète, afin que nul ne se croie exempt: comme l'Apôtre a menacé de l'affliction l'âme de tout homme qui fait le mal, du juif d'abord, puis du gentil (Rm 2,9), «La langue qui se glorifie» est la langue de l'orgueilleux.

1205 5. «Ils ont dit: Nous glorifierons nos paroles, nos lèvres sont indépendantes, qui nous dominera Ps 11,5)?» Ce langage est celui des superbes et des hypocrites, qui espèrent de leur langage la séduction des hommes, et qui sont indociles à Dieu.

1206 6. «A cause de la désolation des opprimés, et des gémissements des pauvres, je me lèverai, dit le Seigneur Ps 11,6)». C'est ainsi que, dans l'Evangile, le Seigneur prend en pitié ce peuple disposé à l'obéissance, mais qui n'avait point de pasteur. Aussi disait-il: «La  moisson est abondante, mais il y a peu d'ouvriers Mt 9,37)». Nous pouvons attribuer ces paroles à Dieu le Père, qui a daigné envoyer son Fils à cause des pauvres et des misérables, c'est-à-dire de ceux qui étaient dans la pauvreté, dans l'indigence des biens spirituels. De là vient qu'il commença son discours sur la montagne en s'écriant: «Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient Mt 5,3). «Je mettrai dans le Sauveur», il ne dit point ce qu'il mettra, mais «dans le Sauveur» se doit entendre de Jésus-Christ, d'après cette parole: «Mes yeux ont vu votre Sauveur Lc 2,30)». Dès lors nous devons comprendre qu'il a mis dans le Sauveur ce qui est nécessaire pour mettre fin à la misère des pauvres, et consoler le gémissement des opprimés. «J'agirai en lui avec confiance»; ainsi qu'il est dit dans l'Evangile, «que Jésus les enseignait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes Mt 7,29)».

1207 7. «Les paroles du Seigneur sont des paroles pures Ps 11,7)». C'est le Prophète qui, en son propre nom, apprécie «les paroles du Seigneur comme des paroles pures». Ces paroles sont pures, parce que le déguisement ne les a point altérées. Beaucoup prêchent la vérité, mais non d'une manière pure, car ils l'échangent contre les avantages de ce monde. C'est de ceux-là que l'Apôtre a dit qu'ils (179) n'annoncent pas Jésus-Christ avec des vues pures  Ph 1,17). «C'est un argent que le feu a purifié de toute terre». Car la  persécution excitée par les impies a éprouvé la parole du Seigneur. «Purifié sept fois», par la crainte de Is 11,2) Dieu, par la piété, par la science, par la force, par le conseil, par l'intelligence et par la sagesse Mt 5,3-9). Les degrés de béatitude sont aussi au nombre de sept, et le Seigneur les énumère dans un même discours sur la montagne, rapporté par saint Matthieu: «Bienheureux les pauvres en esprit, bienheureux ceux qui sont doux, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, bienheureux les miséricordieux, bienheureux ceux qui ont le coeur pur, bienheureux les pacifiques Mt 7,29). Ce sont là sept chefs principaux, dont tout le discours peut être regardé comme le développement. Car le huitième : «Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice», désigne ce feu qui a sept fois épuré l'argent. C'est à la fin de ce sermon qu'il est dit de Jésus-Christ qu' «il enseignait comme ayant l'autorité, et non comme leurs scribes Ps 7,29)», ce qui a rapport à ces paroles: «J'agirai en lui avec confiance (Ps 11,6)».

1208 8. «Pour vous, Seigneur, vous nous garderez, et nous préserverez éternellement de cette génération Ps 11,8)», ici-bas comme des pauvres et des opprimés, là-haut comme des riches et des opulents.

1209 9. «Les impies tournent dans leur cercle Ps 11,9)»; c'est-à-dire qu'ils sont insatiables de ces biens temporels, et cette soif est comme une roue qui accomplit sa révolution en sept jours, et qui n'arrive jamais à l'octave ou à l'éternité, qui fait le titre du psaume. Salomon a dit aussi: «Un roi sage dissipe les impies, et leur envoie un cercle de maux Pr 20,26)» .«Dans la profondeur de vos jugements, vous multipliez les enfants des hommes Ps 11,9)». Parce qu'il y a dans les choses du temps, cette multiplicité qui nous éloigne de l'unité de Dieu. « De là vient que le corps corruptible appesantit l'âme, et cette habitation terrestre abat l'esprit, capable des plus hautes pensées Sg 9,15)».Or, les justes se multiplieront selon la profondeur de Dieu, quand ils s'élèveront de vertu en vertu Ps 83,8).




DISCOURS SUR LE PSAUME XII - SOUPIRS DU JUSTE

13 Ps 13

Ceux qui gémissent à la vue de l'iniquité appellent de leurs voeux le Sauveur, qui doit nous aider à combattre victorieusement l'ennemi du salut. 

POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID Ps 13,1).

1301 1. «Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront Rm 10,4)». «Jusques à quand, «Seigneur, m'oublierez-vous dans la fin Ps 12,2)?» ou tarderez-vous à me faire connaître, d'une manière spirituelle, ce Christ qui est la sagesse de Dieu, et la fin que doit se proposer toute âme chrétienne. «Jusques à quand détournerez-vous de moi vos regards?» En réalité, Dieu ne nous oublie point et ne nous perd point de vue, mais l'Ecriture s'accommode à notre manière de parler. Dire que Dieu détourne de nous ses regards, c'est dire qu'il ne se fait point connaître à l'âme dont l'oeil n'est pas assez pur.

1302 2. «Jusques à quand prendrai-je mes conseils dans mon âme Ps 12,2)?». Ce n'est que dans l'adversité que nous avons besoin de conseil. Ainsi, jusques à quand puiserai-je mes conseils dans mon âme? signifie: Jusques à quand serai-je dans l'adversité? ou bien cette (180) parole serait une réponse qui signifierait Jusqu'à ce que j'arrête une résolution dans mon âme, Seigneur, vous m'oublierez par rapport à ma fin, et vous détournerez de moi vos regards: si un homme en effet n'a formé t dans son âme le dessein de pratiquer parfaitement la miséricorde, le Seigneur ne le dirige point vers sa fin, et ne se fait pas connaître à lui pleinement, ou face à face. «La douleur dans mon coeur pendant tout le jour», sous-entendez: Je mettrai cette douleur. «Pendant tout le jour» signifie une douleur sans fin, et le jour se prend ici pour le temps, et quiconque veut être délivré du temps, ressent la douleur en son coeur, et demande à passer dans l'éternité pour être délivré du jour terrestre.

1303 3. «Jusques à quand mon ennemi s'élèvera-t-il contre moi Ps 12,3)?» L'ennemi, c'est le démon ou l'habitude charnelle.

1304 4. «Regardez-moi, Seigneur, exaucez-moi, ô mon Dieu Ps 12,4)». Regardez-moi, est la conséquence de cette plainte: «Jusques à quand vos regards se détourneront-ils de moi n; et «Exaucez-moi», de cette autre plainte: «Jusques à quand m'oublierez-vous par rapport «à ma fin?» Illuminez mes yeux, pour que u je ne m'endorme jamais dans la mort (Ps 12,4)». Ces yeux sont ceux du coeur, que pourrait fermer le plaisir mortel du péché.

1305 5. «Que jamais l'ennemi ne puisse dire : « Je l'ai vaincu Ps 12,5)». Craignons le persiflage du démon. «Ceux qui me persécutent seront dans la joie, si je suis ébranlé (Ps 12,5)» Cet ennemi, c'est le diable avec ses anges, qui ne dut point se réjouir d'avoir mis à l'épreuve le saint homme Job cet homme juste qui ne fut point ébranlé Jb 1,22), c'est-à-dire qui demeura ferme dans la foi.

1306 6. «Pour moi, j'ai mis mon espoir en votre miséricorde Ps 12,6)». Si l'homme, en effet, demeure ferme dans le Seigneur et ne se laisse point ébranler, il ne doit point se l'attribuer, de peur qu'en se félicitant de sa fermeté, il ne soit ébranlé par l'orgueil. «Mon coeur a tressailli dans celui qui est votre salut», c'est-à-dire en Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu. «Je chanterai le Seigneur qui m'a comblé de biens»; de biens spirituels et qui ne touchent point à cette vie. «Je dirai sur la harpe le nom du Très-Haut (Ps 12,6)», c'est-à-dire, dans ma joie je lui rendrai grâces, et je n'userai de mon corps que selon ses préceptes; tel est l'harmonie spirituelle de l'âme. Si l'on veut établir ici une différence, «je chanterai le Seigneur», exprimera le concert du coeur, et «je dirai sur la harpe», du concert des bonnes oeuvres, que Dieu seul peut connaître. «Le nom du Seigneur», c'est la connaissance qu'il nous donne de lui-même, connaissance qui est avantageuse pour nous et non pour lui.



DISCOURS SUR  LE PSAUME XIII - LES BLASPHÈMES

14 Ps 14

Ici toute âme gémit quand retentissent à ses oreilles ces blasphèmes que l'impie vomit contre Dieu. Elle voit avec horreur l'impiété qui prévaut; elle en appelle à Dieu qui doit faire sortir de Sion le salut d'Israël ou des saints.

POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID Ps 13,1)

1401 1. Il est inutile de redire si souvent le sens de cette expression «pour la fin», puisque l'Apôtre nous dit que «le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront (Rm 10,4). Nous croyons en lui quand nous commençons à prendre la bonne voie; et nous le verrons au terme de cette voie, dont il est ainsi la fin.

1402 2. «L'insensé a dit dans son coeur: Dieu (181) n'est pas n. Certains philosophes, que leur impiété et leurs sentiments faux et pervers sur la divinité signalent à l'exécration, n'ont pas même osé dire: Dieu n'est pas. Cette parole se «dit donc dans le coeur», car celui-là même qui en a la pensée, n'oserait la prononcer. «Ils sont devenus pervers et abominables, par leurs affections», c'est-à-dire, parce qu'ils ont donné au monde leur amour, et non à Dieu; ce sont les affections qui causent dans l'âme une corruption et un aveuglement tels que l'insensé puisse dire en son coeur: «Dieu n'est pas». Comme ils n'ont pas fait usage de la connaissance de Dieu, voilà que le Seigneur les a livrés au sens réprouvé (Rm 1,28)». «Il n'y en a pas un qui fasse le bien, non, pas jusqu'à un (Ps 13,1)». Cette expression, «jusqu'à un», peut signifier ou avec celui-là seul, de manière à exclure tout homme, ou à l'exception de celui-là seul, pour désigner Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est ainsi que nous disons d'un champ qu'il va jusqu'à la mer, sans y comprendre la mer elle-même. Il est mieux d'entendre que nul n'a fait le bien jusqu'à Jésus-Christ, car nul homme, s'il n'est instruit par Jésus-Christ même, ne peut faire le bien, puisque ce bien lui est impossible sans la connaissance de Dieu.

1403 3. «Le Seigneur, du haut du ciel, a jeté les yeux sur les enfants des hommes, afin de voir s'il en est pour comprendre et rechercher Dieu Ps 13,2)». Ceci peut s'entendre des Juifs, que le Prophète appelle enfants des hommes, parce qu'ils n'adoraient qu'un seul Dieu, ce qui les rendait supérieurs aux Gentils, dont le Prophète me paraît avoir dit: «L'insensé a dit dans son coeur: Dieu n'est pas», et le reste. Le regard du Seigneur s'effectue par le moyen de ces âmes saintes, et qui sont marquées par cette expression de «ciel»; puisque pour lui, rien ne lui échappe.

1404 4. «Tous se sont égarés, et sont devenus inutiles Ps 13,3)», c'est-à-dire que les Juifs sont devenus comme les Gentils dont il est parlé plus haut. «Il n'en est aucun pour faire le bien, il n'y en a pas jusqu'à un». Il faut donner à ces expressions le sens exposé plus haut. «Leur gosier est un sépulcre ouvert (Ps 13,3)». On peut voir ici les excès de l'intempérance, ou, dans un sens allégorique, les pécheurs scandaleux qui tuent et qui dévorent en quelque sorte ce qu'ils entraînent dans leurs dérèglements. C'est ainsi, mais dans un sens opposé, qu'il fut dit à Pierre; «Tue et mange», afin qu'il amenât les Gentils à sa croyance et aux saintes  moeurs. «Leurs langues distillent le mensonge». La flatterie accompagne toujours l'intempérance et les autres vices. «Leurs lèvres recèlent un poison d'aspic Ps 13,3)». Le venin désigne la fraude, et l'aspic tous ceux qui demeurent sourds aux préceptes de la loi, comme l'aspic à la voix de l'enchanteur Ps 57,5), ainsi qu'il est dit dans un autre psaume; « Leur bouche est pleine de malédiction et d'amertume». C'est le venin de l'aspic. «Leurs pieds se hâtent pour répandre le sang Ps 13,3)»; ce qui désigne l'habitude invétérée du mal. «La meurtrissure et l'infortune sont dans leurs voies». Car toute voie du méchant est laborieuse et misérable. Aussi le Seigneur a-t-il dit: «Venez à moi, vous tous qui gémissez sous le poids du travail et de la douleur, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur; car mon joug est doux, et mon fardeau léger Mt 11,28)». «Ils n'ont point connu la voie de la paix», de cette paix que désigne le Seigneur, par la douceur de son joug et la légèreté de son fardeau. « La crainte du Seigneur n'est pas devant leurs yeux»; sans dire que Dieu n'est pas, ils n'en craignent pas davantage le Seigneur.

1405 5. «Ne comprendront-ils pas enfin, tous ces ouvriers d'iniquité?»Dieu les menace du jugement, «Ils dévorent mon peuple, comme on dévore un morceau de pain Ps 13,4)», c'est-à-dire chaque jour; car le pain est la nourriture quotidienne. Ces dignitaires dévorent le peuple, qui en tirent leurs avantages, sans faire tourner leur ministère .à la gloire de Dieu, et au salut de leurs subordonnés.

1406 6. «Ils n'ont point invoqué le Seigneur». Car c'est ne point l'invoquer, que désirer te qui lui déplaît. «ils ont tremblé, où n'était pas la crainte Ps 13,5)»,c'est-à-dire devant un dommage temporel. Car ils ont dit: « Si nous le laissons ainsi, chacun croira en lui, et les Romains viendront, et nous extermineront, nous et notre ville Jn 11,48)». Ils ont craint ce qui n'était point à craindre, la perte d'un royaume terrestre, et voilà qu'ils ont perdu le royaume des cieux, ce qu'ils auraient dû redouter Ainsi en est-il de tous les avantages temporels; plus les hommes en redoutent la perte, et moins ils arrivent aux biens éternels.

1407 7. «Le Seigneur habite avec la génération des justes Ps 13,6)», c'est-à-dire qu'il n'est point avec ceux qui aiment le monde. Car il y a injustice à négliger le Créateur du monde pour s'attacher au monde, à servir la créature plutôt que le Créateur Rm 1,25). «Vous avez méprisé le dessein du pauvre, qui met son espoir dans le Seigneur Ps 13,6)», c'est-à-dire, vous avez méprisé l'humble avènement du Christ, parce qu'il n'étalait pas à vos yeux le faste du siècle; forçant ainsi ceux qu'il appelait à mettre leur espoir en Dieu, et non pas en des biens passagers.

1408 8. «Qui fera sortir de Sion le salut d'Israël Ps 13,7)?» Sous-entendez, sinon celui-là même dont vous avez méprisé l'humilité! Car il viendra dans l'éclat de sa gloire pour juger les vivants et les morts, et mettre les justes en possession de son royaume; en sorte que si l'humilité de ce premier avènement a frappé d'aveuglement une partie d'Israël, pour donner lieu aux Gentils d'entrer complètement dans l'Eglise; dans le second, tout Israël sera sauvé, selon la prédiction de saint Paul. Car c'est encore en faveur des Juifs que l'Apôtre invoque ce témoignage d'Isaïe: «De Sion viendra celui qui détournera de l'impiété les enfants de Jacob Is 59,20)». C'est dans le même sens qu'il est dit ici: «Qui fera sortir d'Israël l'auteur du salut? - Quand le Seigneur  aura brisé les chaînes de la captivité de son peuple, Jacob sera dans la joie et Israël dans l'allégresse Ps 13,7)». C'est une répétition, comme beaucoup d'autres; car je pense que la joie de Jacob est identique à l'allégresse d'Israël.



DISCOURS SUR LE PSAUME XIV - LE VRAI JUSTE.

15Ps 15

Après avoir gémi sur les blasphèmes, le Prophète nous expose les vertus dont l'âme doit être ornée pour jouir du Seigneur et entrer dans ses tabernacles.

PSAUME POUR DAVID Ps 15,1).


1501 1. Le titre ne soulève aucune difficulté. «Seigneur, quel voyageur trouvera un abri sous votre tente (Ps 14,1)?» Quelquefois la tente ou tabernacle, se dit de la demeure éternelle; mais dans son acception propre, c'est un logement de guerre; de là vient que les soldats se nomment contubernales, compagnons de la tente, comme si leurs tentes étaient contiguës. Une raison de plus de l'entendre ainsi, c'est qu'il est dit: «Quel voyageur trouvera un abri?» Sur la terre en effet nous sommes en guerre avec le démon, et nous avons besoin d'une tente pour nous reposer. Cette tente désigne surtout notre foi à l'économie temporelle de l'Incarnation qui s'est accomplie en cette vie par notre Seigneur et pour notre salut. « Qui se reposera sur votre montagne sainte Ps 14,1)?» Peut-être nous marque-t-il ici déjà la demeure éternelle, et par cette montagne faut-il entendre la charité suréminente du Christ dans la vie éternelle.

1502 2. «Celui qui marche dans l'innocence, et dont la vie est pure Ps 14,2)». C'est là une proposition qu'il va détailler.

1503 3. «Qui dit la vérité qu'il a dans son coeur Ps 14,3)». Quelques-uns, en effet, ont sur les lèvres une vérité qui n'est pas dans leur coeur. Ainsi, qu'un homme nous montre un chemin, qu'il sait être infesté par les voleurs, et nous dise: Dans cette voie, vous n'avez aucun voleur à craindre. Si en réalité nous ne rencontrons aucun voleur, il a dit une vérité qui (183) n'était pas en son coeur. Il pensait le contraire et a dit la vérité à son insu. C'est donc peu que la vérité soit dans notre bouche, si elle n'est aussi dans notre coeur. «Dont la langue n'a point menti». La langue est menteuse, quand il y a désaccord entre la parole extérieure et la pensée qui se cache dans notre coeur. «Qui n'a fait aucun mal à son prochain». Ce mot de prochain, on le sait, doit s'étendre à tous les hommes. «Qui n'adopte point l'injure que l'on fait à ses frères Ps 14,3)», c'est-à-dire, qui ne croit ni volontiers, ni témérairement aux paroles accusatrices.

1504 4. «Celui dont la présence anéantit le méchant Ps 14,4)». La perfection pour l'homme c'est que le méchant n'ait aucune prise sur lui, et qu'il ne soit rien à ses yeux, c'est-à-dire que cet homme sache bien qu'il n'y a point de méchant, à moins que l'âme ne se détourne de l'éternelle et immuable beauté du Créateur, pour s'attacher à cette beauté d'une créature tirée du néant. «Mais il honore ceux qui craignent le Seigneur», comme le Seigneur le fait lui-même; car la sagesse commence par la crainte du Seigneur Si 1,16)». Ce qui précède regarde les parfaits, et maintenant ce qui va suivre est pour ceux qui commencent.

1505 5. «Celui qui s'engage par serment envers le prochain, mais sans le tromper; qui ne donne point son argent à usure, et ne reçoit e point de présents contre l'innocent Ps 14,4-5)». Ce ne sont point là de grandes vertus; mais celui qui ne peut les pratiquer pourra bien moins encore parler selon la vérité qu'il connaît en son coeur, sans employer sa langue à la fourberie, disant toujours au dehors ce qu'il croit être vrai, ayant dans la bouche: Oui, oui; non, non Mt 5,37). Il pourra moins encore ne pas nuire à son prochain, c'est-à-dire à qui que ce soit, ne point écouter l'injure contre ses frères: ces oeuvres sont de l'homme parfait, dont la présence anéantit les pervers. Bien que ces vertus soient moins élevées, le Prophète ne laisse pas de conclure ainsi: «Quiconque fait ces oeuvres, ne doit point déchoir dans l'éternité»; c'est-à-dire qu'il arrivera aux oeuvres plus parfaites, qui nous valent cette grande et inébranlable stabilité. Car ce n'est probablement pas sans raison que le Prophète a passé d'un temps à un autre, que la première conclusion est au passé, tandis que celle-ci est au futur. Dans la première, il disait: «Le méchant s'est anéanti en sa présence»; et ici: «il demeurera ferme éternellement».




DISCOURS SUR LE PSAUME XV - LE CHANT DE LA RÉSURRECTION.

16 Ps 16

Parce que le Christ a mis sa confiance dans le Seigneur, qu‘il n'a voulu d'autre héritage que lui seul, le Seigneur l'a fait triompher de ses ennemis par la résurrection. Ces sentiments peuvent être aussi ceux de l'âme juste qui se confie en Dieu et qui triomphe aussi de la mort éternelle.

INSCRIPTION DU TITRE, POUR DAVID Ps 15,1).

1601 1. Ce Psaume est le chant de notre roi, dans son humanité, lui qui dans sa passion obtint sur l'inscription le titre de roi.

1602 2. Voici ses paroles: «Conservez-moi, Seigneur, parce que j'ai mis en vous mon  espoir; j'ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu; vous n'avez nul besoin de mes biens Ps 15,2)» .Vous n'avez que faire de mes biens pour votre félicité.

1603 3. «Aux âmes saintes qui habitent ses domaines Ps 15,3)», c'est-à-dire à ces saints qui ont mis leur espoir dans la terre des vivants, aux  (184) citoyens de la Jérusalem céleste, dont la conversation spirituelle est fixée par l'ancre de l'espérance, dans cette terre qui est fort bien nommée la terre de Dieu, quoique selon le corps ils vivent en ce bas monde,-e il a fait «admirer tout l'amour que j'ai pour eux (Ps 15,3)». Le Seigneur donc a fait connaître à ces âmes saintes, mes desseins merveilleux pour leurs progrès, et ils ont alors compris l'avantage que leur procure ce mystère d'un Dieu qui est homme pour mourir, et de cet homme qui est Dieu pour ressusciter.

1604 4.  « Leurs infirmités se sont multipliées»; non pour leur perte, mais pour leur faire désirer le médecin. «C'est pourquoi ils ont hâté leur course». Donc, à la vue de leurs nombreuses maladies, ils se sont hâtés d'en chercher la guérison. «Je ne les assemblerai pas pour des sacrifices sanglants Ps 15,4)». Leurs assemblées ne seront plus charnelles, et ce n'est point en faveur du sang des animaux que je les rassemblerai pour les exaucer. «J'oublierai leur nom qui ne sera plus sur mes lèvres». Par un changement tout spi-r rituel, ils oublieront ce qu'ils étaient autrefois; et moi, dans la paix que je leur donnerai, je ne verrai plus en eux des pécheurs ou des ennemis, ou même des hommes, mais je les appellerai des justes, des frères, et des enfants de Dieu.

1605 5. «Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice Ps 15,5)». Car ils posséderont aussi avec moi cet héritage qui est Dieu même. Que d'autres se choisissent, pour en jouir, l'héritage des biens temporels et passagers; le partage des saints, c'est Dieu qui est éternel. Que d'autres s'enivrent de mortelles voluptés, le Seigneur est la part de mon calice. En disant «de mon calice», je comprends aussi l'Eglise avec moi, car où est la tête, là est aussi le corps. Je ferai en effet mon héritage de leurs assemblées, et dans l'ivresse de mon calice j'oublierai leurs noms anciens. «C'est vous, ô Dieu, qui me rétablirez dans mon héritage (Ps 15,5)», afin que ceux que je délivre, connaissent l'éclat que j'avais en vous avant la création du monde Jn 17,5)». Ce n'est point pour moi que vous me rendrez ce que je n'ai point perdu, mais pour ceux qui ont perdu la connaissance de cette gloire; et comme je suis en eux, «c'est à moi que vous la rendrez».

1606 6. «Le cordeau a mesuré ma part dans des lieux ravissants Ps 15,6)». Comme le Seigneur devint autrefois la possession des prêtres et des lévites, mon héritage m'est échu comme par le sort, dans la splendeur de votre gloire, ô mon Dieu. «Et cet héritage est glorieux pour moi», car il n'est pas glorieux pour tous, mais pour ceux qui le comprennent; et comme je suis en eux, c'est pour moi qu'il est glorieux.

1607 7. «Je bénirai le Seigneur qui m'a donné l'intelligence», nécessaire pour voir et posséder cette part glorieuse. «De plus, jusqu'à la nuit, mes reins m'ont donné une sévère leçon». En outre de l'intelligence, cette partie inférieure de moi-même, ou la chair, dont je me suis revêtu, m'a donné une leçon, en me faisant éprouver les ténèbres de la mort, qu'ignore cette intelligence.

1608 8. «Je plaçais toujours le Seigneur en ma présence Ps 15,8)». En venant dans ce monde qui passe, je n'ai point perdu de vue celui qui demeure éternellement, avec le dessein de rentrer en lui, après cette vie des temps. «Car il est à ma droite, afin que je ne sois point ébranlé». Il m'assiste, afin que je demeure ferme en lui-même.

1609 9. «C'est pour cela que mon coeur a tressailli, que ma langue a chanté sa joie». La joie donc a rempli mes pensées, et l'allégresse a éclaté dans mes paroles. «En outre, ma chair reposera dans l'espérance». Ma chair ne sera point absorbée par la mort, mais elle s'endormira dans l'espérance de la résurrection.

1610 10. «Parce que vous ne laisserez point mon âme dans les enfers Ps 15,10)». Vous ne donnerez pas mon âme comme une proie aux enfers, «et vous ne permettrez pas que votre saint «éprouve la corruption». Vous n'abandonnerez pas à la pourriture un corps sanctifié, qui doit sanctifier les autres. «Vous m'avez fait connaître les voies de la vie». C'est par moi que vous avez enseigné la voie de l'humilité, afin que les hommes revinssent à la vie, qu'ils avaient perdue par l'orgueil: et comme je suis en eux, c'est à moi que vous l'avez fait connaître. «Vous me remplirez de joie en me faisant voir votre face». Quand ils vous verront face à face, leur joie sera telle qu'ils n'auront plus aucun désir; et comme je suis en eux, c'est moi que vous (185) remplirez de joie. «A votre droite sont d'éternelles délices Ps 15,11)». Vos faveurs et vos bontés nous sont délicieuses dans le chemin de cette vie, et nous font arriver au comble de la gloire en votre présence.



DISCOURS SUR LE PSAUME XVI - L'ÉGLISE DE LA TERRE.

17 Ps 17

Environnée d'ennemis pervers, l'Eglise fait appel à Dieu. Elle le remercie de la protection qu'il lui accorde chaque jour, et a la ferme espérance de triompher par cette protection. 

PRIÈRE DE DAVID Ps 16,1).

1701 1. Il faut attribuer cette prière à Jésus-Christ uni à l'Eglise, qui est son corps.

1702 2. «Seigneur, écoutez ma justice, entendez ma prière. Prêtez l'oreille à mes supplications, mes lèvres ne sont point trompeuses Ps 16,2)». Cette prière ne vous arrive pas de lèvres qui déguisent. «Que mon jugement émane de votre visage». Que votre connaissance m'éclaire et me fasse juger selon la vérité. Ou bien, que mon jugement n'émane point de lèvres menteuses, mais de votre clarté, afin que je ne prononce rien de contraire à ce que je découvre en vous. «Que mes yeux voient l'équité», c'est-à-dire les yeux de mon coeur.

1703 3. «Vous avez sondé mon coeur en le visitant la nuit». Car ce coeur a été mis à l'épreuve quand la tribulation l'a visité. «Vous m'avez éprouvé par le feu, et vous n'avez point trouvé l'iniquité en moi Ps 16,3)». Cette épreuve de l'affliction qui a fait ressortir ma justice, peut être appelée, non-seulement une nuit qui nous trouble, mais un feu qui brûle.

1704 4. «En sorte que ma bouche ne parle point selon les oeuvres des hommes Ps 16,4)». Afin que rien ne sorte de ma bouche qui ne soit pour votre gloire et votre louange; et non pour les oeuvres des hommes qui agissent contre votre volonté. «A cause des paroles de votre bouche», paroles de votre paix, ou de vos prophètes; «j'ai traversé des voies difficiles» ; ces voies pénibles de la mortalité humaine et des douleurs.

1705 5. «Pour affermir mes pieds dans vos sentiers Ps 16,5)». Afin que la charité de l'Eglise devînt parfaite dans ces étroits sentiers qui conduisent à votre repos. «Afin que mes pas ne chancellent point», afin que ne s'effacent jamais les marques de mon passage, empreintes comme des pas, dans les sacrements et dans les écrits de mes Apôtres, et que ceux qui ont la volonté de me suivre puissent les regarder et les connaître. Ou bien, afin que je demeure inébranlable dans l'éternité, après avoir parcouru des chemins difficiles, et marqué mes pas dans vos étroits sentiers.

1706 6. «J'ai crié, ô mon Dieu, parce que vous m'avez exaucé Ps 16,6)». Je vous ai adressé ma prière avec force et avec ferveur, parce que vous m'avez exaucé quand ma prière plus faible vous demandait cette ferveur. «Prêtez-moi l'oreille, écoutez mes paroles (Ps 16,6)». Que votre bonté n'abandonne point ma bassesse.

1707 7. «Faites éclater vos miséricordes Ps 16,7)», de peur que ces bontés ne retombent dans le mépris, et n'obtiennent un amour trop imparfait.

1708 8. «Vous qui protégez ceux qui espèrent en vous, contre ceux qui refusent votre droite», ou ces faveurs que vous m'accordez. «Conservez-moi, Seigneur, comme la prunelle de l'oeil Ps 16,8)», qui paraît petite et rétrécie; c'est elle néanmoins qui donne à la (186) vue sa puissance, et nous fait discerner la lumière des ténèbres, comme c'est par l'humanité de Jésus-Christ que doit s'exercer, au jugement, le pouvoir divin de discerner les justes des pécheurs. «Protégez-moi, sous l'ombre de vos ailes», c'est-à-dire, que votre amour miséricordieux me serve de bouclier «contre les impies qui me persécutent Ps 16,9)».

1709 9. «Mes ennemis ont environné mon âme, ils ont fermé leurs entrailles Ps 16,10)». Ils se sont enveloppés d'une joie charnelle, après avoir saturé de crimes leur avidité. «Leur bouche a exhalé des paroles d'orgueil». Leur bouche a décoché des paroles insolentes, quand ils ont dit: «Salut au roi des Juifs Mt 27,29)», et autres blasphèmes semblables.

1710 10. «Après m'avoir chassé, voilà que maintenant ils m'environnent». Ils m'ont fait sortir de leur ville, et maintenant ils m'environnent à la croix. «Ils se sont résolus à fixer les yeux vers la terre Ps 16,11)». C'est leurs coeurs qu'ils ont résolu de fixer aux choses terrestres, quand ils ont infligé à celui qu'ils mettaient à mort un mal qu'ils voulaient s'épargner à eux, qui étaient ses bourreaux.

1711 11. «Ils m'ont reçu, comme le lion prêt à dévorer sa proie Ps 16,12)». Ils ont épié mes démarches, comme cet ennemi qui rôde autour de nous, cherchant à nous dévorer 1P 5,8). «Et comme le lionceau embusqué dans un fourré». Ce peuple à qui vous avez dit : «Vous avez le diable pour père Jn 8,44)», c'est comme le lionceau méditant des embûches pour circonvenir et perdre le juste.

1712 12. «Levez-vous, Seigneur, prévenez-les, et renversez-les Ps 16,13)». Levez-vous, Seigneur, vous qu'ils croient endormi et peu soucieux des péchés des hommes. Châtiez d'avance leur malice par l'aveuglement, afin que la vengeance prévienne leur crime, et renversez-les de la sorte.

1713 13. «Délivrez mon âme des impies». Délivrez mon âme en me faisant triompher par la résurrection de cette mort que m'ont infligée les impies. «Délivrez votre glaive des ennemis de votre main Ps 16,14)». Mon âme est votre glaive, ce glaive qu'a saisi votre main, ou votre force éternelle, afin de détruire les royaumes de l'iniquité, et de séparer les justes des impies. C'est ce glaive qu'il faut arracher aux ennemis de votre main, c'est-à-dire de votre puissance, ou de mes ennemis. «Seigneur, en les faisant disparaître de la terre, dispersez-les, pendant toute leur vie (Ps 16,14)». Faites-les disparaître de cette terre qu'ils habitent, et dispersez-les dans l'univers, pendant toute cette vie qu'ils croient la vie unique, puisqu'ils ne croient point à la vie éternelle. «Leur ventre est saturé de vos mystères (Ps 16,14)». Leur châtiment ne se bornera point à cette peine sensible, mais ces péchés qui leur cachent la lumière de votre vérité, occupent leur mémoire, et leur font oublier Dieu. «Ils se sont rassasiés de la chair des pourceaux». Ils ont pris goût à l'immondice, eux qui foulent aux pieds les perles de la parole de Dieu. «Ils ont laissé leurs restes pour leurs jeunes enfants (Ps 16,14)», en criant : «Que son sang retombe sur nous et sur nos fils Mt 27,25

1714 14. «Pour moi, j'apparaîtrai devant vous, lors de votre justice (Ps 16,15)»: moi que n'ont point reconnu ceux dont le coeur impur et ténébreux est impuissant à voir la lumière de la sagesse, voilà que j'apparaîtrai devant vous, au jour de votre justice. «Je serai rassasié, quand vous manifesterez votre gloire». Quand, saturés d'impureté, mes ennemis ne pourront me connaître, je serai rassasié de cette gloire que vous ferez éclater dans ceux qui me comprennent. Au lieu de cette expression: «Ils se sont rassasiés de la chair des pourceaux», on trouve dans quelques exemplaires: «Ils se sont rassasiés d'enfants». Cette double traduction vient du mot grec, qui est ambigu. Par ces enfants nous entendons les oeuvres. Les bons seront les bonnes oeuvres, et les méchants seront les oeuvres mauvaises. (187)




Augustin, les Psaumes 12