Augustin, les Psaumes 18

DISCOURS SUR LE PSAUME XVII - CHANT DE DÉLIVRANCE.

18 Ps 18

L'Eglise unie à Jésus-Christ et triomphant des embûches des méchants, s'empare des paroles de David après que Dieu l'eût délivré de Saül et de ses ennemis; elle bénit le même Dieu qui l'a délivrée du démon et des convoitises charnelles.

1801 1. «Pour la fin, à David, serviteur de Dieu Ps 18,1)», c'est-à-dire au Christ, qui en son humanité, est la main forte. «Il chanta au Seigneur les paroles de ce cantique, au jour où le Seigneur l'arracha à la puissance de ses ennemis, à la puissance de Saül 2S 22,11 Ps 17,2)»; ce Saül était le roi des Juifs, qu'eux-mêmes avaient demandé pour roi. De même que David signifie la main forte, Saül signifie demande. Or, on sait comment ce peuple demanda au Seigneur un roi 1S 8,5), qui lui fut donné, non d'après les volontés de Dieu, mais selon sa propre volonté.

1802 2. C'est donc le Christ uni à l'Eglise, ou le Christ tout entier, la tête et le corps, qui s'écrie: «Je vous aimerai, Seigneur, qui êtes ma force Ps 17,2)»», ou, je vous aimerai parce que vous me rendez fort.

1803 3. «Vous êtes, ô Dieu, mon protecteur, mon refuge et mon libérateur Ps 17,3)». C'est vous qui m'avez protégé parce que je me suis réfugié en vous, et je me suis réfugié en vous, parce que vous m'avez délivré. «Le Seigneur est mon aide, en lui sera mon espoir». C'est vous, ô Dieu, qui m'avez accordé la faveur de m'appeler, afin que je pusse espérer en vous. «Vous êtes mon protecteur, le boulevard de «mon salut, et mon rédempteur (Ps 17,3)». Vous êtes mon protecteur, parce que je n'ai point trop présumé de moi en élevant contre vous le boulevard de mon orgueil; mais c'est en vous que j'ai trouvé la puissance ou la haute et solide forteresse de mon salut; et pour me la faire trouver, vous m'avez racheté.

1804 4. «Je louerai le Seigneur, et je l'invoquerai, et il me délivrera de mes ennemis Ps 17,4)». Ce n'est point en cherchant ma gloire, mais bien celle du Seigneur, que je l'invoquerai, et je n'aurai plus à craindre que les erreurs de l'impiété me soient nuisibles.

1805 5. «Les douleurs de la mort», ou douleurs corporelles, «m'ont environné, et les torrents de l'iniquité m'ont troublé Ps 17,5)» . Ces multitudes impies un moment soulevées, comme les eaux de l'hiver qui se gonflent pour cesser bientôt, se sont efforcées de me troubler.

1806 6. «Les douleurs de l'enfer m'ont assiégé Ps 18,6)». Chez ceux qui m'environnaient pour me perdre, il y avait ces tortures de la jalousie qui causent la mort, et aboutissent à l'enfer du péché. «Les filets de la mort m'ont prévenu», et ils me prévenaient, en cherchant les premiers à me faire un mal qui est retombé sur eux. Ces filets enveloppent pour la mort les hommes qu'ils ont surpris en leur vantant cette fausse justice, ce vain nom sans réalité, dont ils se glorifient contre les Gentils.

1807 7. «Au milieu de l'angoisse, j'ai invoqué le Seigneur; j'ai crié vers mon Dieu, et de son saint temple il a entendu ma voix Ps 17,7)». Il a entendu ma voix dans mon coeur où il habite, « et le cri que j'ai poussé en sa présence». Ce cri que n'entendent point les oreilles des hommes, et que j'exhale intérieurement en sa présence, «est parvenu à son oreille».

1808 8. «La terre s'en est émue et a tremblé Ps 18,8)». Ainsi, quand le Fils de l'homme fut glorifié, les pécheurs furent émus et tremblèrent. «Et les fondements des montagnes ont été ébranlés» Les espérances que les superbes avaient fondées sur les biens de cette vie ont été renversées. « Ils ont été ébranlés, parce que le Seigneur s'est irrité contre eux», afin que l'espérance dans les biens terrestres ne s'affermît pas désormais dans les coeurs des hommes.

1809 9. «Un tourbillon de fumée s'est élevé (188) devant sa colère». Les hommes, touchés de repentir à la vue des menaces du Seigneur contre les impies, ont fait monter vers le ciel des prières et des larmes. «Un feu s'est allumé en sa présence Ps 17,9)». Au repentir a succédé le feu de la charité, qu'allumait la connaissance du Seigneur. «Des charbons ont été embrasés». Ceux qui étaient déjà morts, n'ayant plus ni le feu des saints désirs, ni la lumière de la justice, qui étaient plongés dans de froides ténèbres, ont reçu de nouveau le feu et la lumière de la vie.

1810 10. «Il a abaissé les cieux, et il est descendu». Il a humilié le juste qui s'est abaissé jusqu'à la faiblesse des hommes. «Les ténèbres étaient sous ses pieds Ps 17,10)», Aveuglés par leur malice, les méchants ne l'ont pas connu, eux qui goûtent les choses de la terre, et la terre est sous les pieds du Seigneur, elle est comme son marchepied.

1811 11. «Il est monté sur les chérubins et a pris son vol Ps 18,11)». Il s'est élevé au-dessus de la plénitude de la science, afin que nul ne pût venir à lui que par la charité. Car la charité est la plénitude de la loi Rm 13,10). Et bientôt il s'est montré incompréhensible à ceux qui l'aimaient, de peur qu'ils ne crussent que l'on pouvait le comprendre au moyen des images temporelles. «Son vol était plus rapide que celui des vents»; c'est-à-dire que la promptitude avec laquelle il s'est montré incompréhensible dépasse ces vertus qui sont pour l'âme comme des ailes, dont elle se sert pour s'élever des frayeurs de la terre dans les régions de la liberté.

1812 12. «Il a choisi les ténèbres pour sa retraite Ps 18,12)». Il a choisi l'obscurité des sacrements, l'espérance qui est invisible dans le coeur des fidèles, pour s'y cacher, sans néanmoins les abandonner. Il se cache aussi dans ces ténèbres où nous marchons encore par la foi, et non par la claire vue 2Co 5,7), tant que nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, et que nous l'attendons par la patience Rm 8,25). «Son tabernacle est autour de lui». Ceux qui se convertissent et croient en lui l'environnent de toutes parts; il est au milieu d'eux, parce  qu'il répand sur eux d'égales faveurs, et qu'en cette vie il habite en eux comme dans une tente. «Il y a dans les nuages de l'air une eau ténébreuse» . Que nul ne s'imagine que l'intelligence des Ecritures lui donnera cette lumière dont nous jouirons quand nous aurons passé de la foi à la vision. Il y a quelque chose d'obscur dans la doctrine des Prophètes, et de tout prédicateur de la parole de Dieu.

1813 13. «En comparaison de la lumière de sa présence Ps 18,13)»; en comparaison de cette splendeur qu'il fera éclater en se manifestant à nous. «Ses nuées ont passé»; voilà que les hérauts de sa parole ne se restreignent plus dans les confins de la Judée, mais passent chez les nations. «Voilà que tombent la grêle et les charbons ardents». C'est la figure de ces reproches qui doivent tomber comme une grêle sur les coeurs endurcis; mais s'agit-il d'une terre cultivée et douce, ou mieux d'une âme pieuse, cette grêle se change en eau; c'est-à-dire que ces menaces dures comme les glaçons, redoutables et impétueuses comme la foudre, se changent en une doctrine désaltérante, au feu de la charité les coeurs prennent une vie nouvelle. Voilà ce qu'ont produit parmi les Gentils, les nuées du Seigneur.

1814 14. «Du haut des cieux le Seigneur a tonné Ps 17,14)». Le Seigneur s'est fait entendre de ce coeur juste qu'animait la confiance pour prêcher l'Evangile. «Et le Très-Haut a fait retentir sa voix n, afin qu'elle arrivât jusqu'à nous, et que du profond abîme des choses humaines, nous pussions entendre les choses célestes.

1815 15. «Il a décoché ses flèches, et les a dispersés Ps 17,15)». Il a envoyé les Evangélistes sur les ailes des vertus, et ils ont tracé dans leur vol des chemins droits, non par leurs propres forces, mais par la force de Celui qui les envoyait. Il a dispersé ceux à qui il les envoyait, de sorte qu'ils ont été aux uns une odeur de vie pour la vie, aux autres une odeur de mort pour la mort 2Co 2,16). «Il a multiplié ses foudres et les a jetés dans la stupeur». Ses miracles nombreux les consternaient.

1816 16. «Alors ont apparu les sources d'eau  vive Ps 17,6)». Alors apparurent ceux que leurs prédications changeaient en sources d'eau vive, rejaillissant jusqu'à la vie éternelle Jn 4,14). «Et les fondements du monde ont été mis à découvert». Alors a été connu ce qui demeurait caché dans les Prophètes, qui sont la base de ce monde rattaché à Dieu par la foi. «Au bruit de vos menaces, ô Dieu», quand (189) vous avez crié: «Le royaume de Dieu est proche de vous Lc 10,9)». «Au souffle bruyant de votre colère», ou quand vous avez dit: «Si vous ne faites pénitence, vous mourrez tous de la même manière Lc 13,5)».

1817 17. «Il a envoyé d'en haut, et il m'a reçu», en appelant du milieu des Gentils cette Eglise qui est son héritage ou qui est sans tache et sans ride Ep 5,27); «Il m'a retiré du milieu des eaux», c'est-à-dire du milieu des peuples.

1818 18. «Il m'a délivré de mes puissants ennemis Ps 17,18)». Il m'a délivré de ces ennemis qui ont eu le pouvoir de m'affliger, et de troubler ma vie en ce bas monde. «Et de ceux qui me haïssaient, parce qu'ils l'emportaient sur moi (Ps 17,18), pendant que, soumis à leur domination, j'ignorais le Seigneur.

1819 19. «Ils m'ont prévenu au jour de mon affliction Ps 17,19)». Ils furent les premiers à me nuire pendant que je me fatiguais à porter un corps mortel. «Et le Seigneur fut mon appui», et comme l'amertume des misères avait ébranlé et même renversé la hase des terrestres plaisirs, le Seigneur m'a servi d'appui.

1820 20. «Le Seigneur m'a conduit dans un lieu spacieux». Comme j'étais à l'étroit, il m'a conduit dans les spirituelles ailleurs de la foi. «il ma sauvé à cause de sa bienveillance pour moi». Avant même que je l'eusse choisi, il m'a délivré d'ennemis puissants, jaloux de mon amour pour lui, et de ceux qui me haïssent maintenant, parce que c'est lui que je veux posséder.

1821 21. «Le Seigneur me rendra selon ma justice Ps 17,21)». li me rendra selon le mérite de ma bonne volonté, lui qui, le premier, a été miséricordieux pour moi, avant que j'eusse cette volonté. « Et il me traitera selon la pureté de mes mains»; c'est-à-dire, selon la pureté de mes actions, lui qui m'a donné le pouvoir de faire le bien, en m'introduisant dans les lieux spacieux de la foi.

1822 22. «Parce que j'ai gardé les voies du Seigneur Ps 17,22)», afin d'y trouver amplement ces bonnes oeuvres qu'opère la foi, et le courage de persévérer.

1823 23. «Je n'ai point commis l'iniquité contre mon Dieu, car j'ai devant les yeux tous ses jugements Ps 17,23). Ces jugements, ou les récompenses des justes, les châtiments des pécheurs, les afflictions qui corrigent, les tentations qui éprouvent, voilà ce que j'ai continuellement sous les yeux. «Et je n'ai point repoussé de moi sa justice»; comme le font ceux qui succombent sous le fardeau, et retournent à leur vomissement.

1824 24. «Je serai sans tache devant lui, et me garderai de toute iniquité Ps 17,24)».

1825 25. «Et le Seigneur me rendra selon ma justice Ps 17,25)». Non-seulement à cause de l'ampleur de cette foi qui agit par l'amour (Ga 5,6 ), mais à cause de ma longue persévérance; voilà pourquoi le Seigneur me rendra selon ma justice. «Et selon la pureté de mes mains qui est visible à ses yeux Ps 17,25)», car ses yeux ne voient point comme voient les hommes. «Ce qu'ils voient en effet, n'est que temporel, et ce qu'ils ne voient point est éternel». C'est à ces hauteurs que s'élève l'espérance.

1826 26. «Vous serez saint avec celui qui est saint». Il y a une profondeur cachée qui fait comprendre que vous êtes saint avec celui qui est saint, parce que c'est vous qui le sanctifiez. «Que vous êtes innocent avec l'innocent 2Co 4,18)». Pour vous, en effet, vous ne nuisez à personne, mais chacun est garrotté par les chaînes de ses propres fautes Ps 17,26).

1827 27. «Avec l'homme choisi vous serez choisi»; car l'homme de votre choix vous choisit à son tour. «Et pervers avec le pervers Pr 5,22)». Aux yeux de l'homme injuste vous paraissez injuste; car il dit que la voie du Seigneur n'est pas droite (Ez 18,25), tandis que c'est la sienne qui est tortueuse.

1828 28. «Vous sauverez la race des humbles Ps 17,28)». L'homme pervers regarde comme une injustice que vous accordiez le salut à ceux qui confessent leurs péchés. «Et vous humilierez l'oeil des superbes»; vous abaisserez ceux qui méconnaissent la justice de Dieu et veulent établir leur propre justice Ps 10,3.

1829 29. «C'est vous, Seigneur, qui faites luire mon flambeau Ps 17,29)». Car notre lumière ne vient pas de nous-mêmes: c'est vous, Seigneur, qui en allumez le flambeau. «C'est vous encore qui dissipez mes ténèbres». Car nous sommes dans la nuit à cause de nos péchés, mais le Seigneur dissipera ces obscurités.

1830 30. «C'est encore vous qui me délivrerez de la tentation Ps 17,30)». Je ne pourrais, sans vous, triompher de l'épreuve. «C'est en mon Dieu (190) que je franchirai la muraille». Ce n'est point par ma puissance, mais par le secours de Dieu que je franchirai cette muraille que les péchés ont élevée entre les hommes et la Jérusalem céleste.

1831 31. «Les voies de mon Dieu sont irréprochables Ps 17,31)». Il ne vient point chez les hommes qu'ils n'aient d'abord purifié la voie de la foi, afin qu'il puisse venir en eux, lui dont les voies sont pures. «Ses paroles sont éprouvées par le feu», c'est-à-dire par le feu des afflictions. «Il est le protecteur de ceux qui espèrent en lui (Ps 17,31)». Et ceux qui, loin d'espérer en eux-mêmes, espèrent en lui, ne seront point consumés par la tribulation, car l'espérance vient après la foi.

1832 32. «Qui donc serait Dieu, sinon le Seigneur» que nous servons? «Qui est Dieu si ce n'est notre Dieu Ps 17,32)?» Qui est le vrai Dieu, sinon le Seigneur, que nous, ses enfants, devons posséder comme notre héritage, après l'avoir bien servi?

1833 33. «C'est le Dieu qui m'a revêtu de force Ps 17,33)». Le Dieu qui m'a donné une ceinture afin que je devinsse fort, et que la robe flottante des convoitises ne retardât point mes oeuvres et mes démarches. «Et qui m'a aplani la voie de l'innocence». Il a voulu m'aplanir la voie de la charité, afin que j'allasse à lui, comme j'ai dû aplanir la voie de la foi, par laquelle il vient à moi.

1834 34.  «Il a rendu mes pieds légers comme ceux du cerf Ps 17,34)».Il a rendu parfait cet amour qui me fera franchir les obstacles épineux et ténébreux de ce monde. «Il m'établira sur des lieux élevés». Il fixera mes désirs dans le céleste séjour, afin que je sois rassasié de la plénitude de Dieu Ep 3,19).

1835 35. «C'est lui qui dresse mes mains au combat Ps 17,35)». Il me dresse à ces oeuvres capables de vaincre ces ennemis qui s'efforcent de nous fermer le passage vers le royaume dès cieux. «Vous avez tendu mes bras comme un arc d'airain», puisque vous me rendez infatigable dans la volonté des bonnes oeuvres.

1836 36. «Vous m'avez protégé pour me sauver, votre main m'a soutenu Ps 17,36)». Votre main, c'est-à-dire votre grâce. «Vos leçons m'ont dirigé vers ma fin». Vos châtiments ne me permettent point de m'égarer, et me redressent afin que je rapporte mes actions à cette fin qui doit m'unir à vous. «Cette leçon doit m'instruire encore», car vos sévérités me feront atteindre le but où elles me dirigent.

1837 37. «Vous avez élargi la voie sous mes pas Ps 17,37)», et les voies étroites de la chair ne retarderont point ma course; car vous m'avez dilaté dans cette charité qui opère le bien avec joie, et à qui les membres et tout ce qu'il y a de mortel en moi servent d'instruments. « Mes pieds n'ont pas été vacillants», c'est-à-dire qu'il n'y a incertitude ni dans la voie que j'ai suivie, ni dans les traces que j'ai laissées à ceux qui veulent me suivre.

1838 38. «Je poursuivrai mes ennemis, et les atteindrai Ps 17,38)». Je poursuivrai en moi les convoitises charnelles qui ne me captiveront plus, mais je les atteindrai pour les détruire. Et je ne retournerai point qu'elles ne soient détruites. Je ne cesserai cette poursuite et ne me donnerai de repos, qu'après avoir anéanti tout ce qui me nuit.

1839 39. «Je les briserai, et ils ne pourront se soutenir». Ils ne soutiendront pas mes attaques. «Ils tomberont sous mes pieds Ps 17,39)». Après les avoir abattus, je leur préférerai cet amour qui me fait marcher vers l'éternité.

1840 40. «Vous m'avez revêtu de force pour le  combat». Vous avez relevé par la force la robe flottante de mes désirs charnels, afin que rien ne m'embarrasse dans ce combat. «Vous avez renversé à mes pieds ceux qui s'élevaient contre moi Ps 17,39)». Vous avez jeté dans l'erreur ceux qui me trompaient, et ils se sont trouvés sous mes pieds, ceux qui voulaient s'élever au-dessus de moi.

1841 41. «Vous avez jeté derrière moi mes ennemis Ps 17,41)». C'est-à-dire, vous les avez convertis, et vous les avez placés derrière moi, en les portant à me suivre. «Vous avez dissipé  ceux qui me haïssent». Vous avez conduit à leur perte ceux qui ont persévéré dans leur haine.

1842 42. «Ils ont crié, et nul ne pouvait les sauver Ps 17,42)». Qui pourrait sauver ceux que vous ne sauvez pas? «Ils ont crié vers le Seigneur, qui ne les a point exaucés». C'est bien au Seigneur et non à tout autre qu'ils ont adressé leurs prières, et il n'a point jugé dignes de ses faveurs ceux qui n'abandonnaient point leurs désordres. (191)

1843 43. «Je les disperserai comme la poussière qu'emporte le vent (Ps 17,43)». Je les réduirai en poussière, car ils sont desséchés, n'ayant point reçu la rosée des divines miséricordes; et alors soulevés et enflés par l'orgueil, ils perdent l'inébranlable solidité de l'espérance, comme on est parfois secoué de dessus la terre qui est stable et ferme. «Je les détruirai comme la  boue des rues». Dans ces voies larges que suit le grand nombre, je ferai glisser, pour les perdre, les hommes de la luxure.

1844 44. «Vous me délivrerez des contradictions du peuple Ps 17,44)», c'est-à-dire des contradictions de ceux qui disent: «Si vous le renvoyez, chacun va le suivre Jn 11,48)».

1845 45. «Vous m'établirez chef des nations, et voilà qu'un peuple que je n'avais pas connu, se range sous mes lois Ps 17,45)». Ce peuple des Gentils que je n'ai point visité d'une manière corporelle, s'est rangé à mon culte. «Il m'a obéi quand il a entendu ma voix». Il ne m'a point vu des yeux; mais en accueillant mes prédicateurs, il a obéi à l'appel de ma voix.

1846 46. «Les fils de l'étranger ont menti contre moi Ps 17,46)». Des enfants, indignes de ce nom, ou plutôt des étrangers, à qui il est dit à juste titre: «Vous avez le diable pour père Jn 8,44)», ont menti contre moi. «Ces enfants étrangers ont vieilli». Ces fils, devenus étrangers, que je voulais rajeunir en leur apportant le Nouveau Testament, sont demeurés dans le vieil homme. «Ils ont chancelé dans leurs voies». Faibles sur un seul pied, parce qu'ils tenaient l'Ancien Testament, ils ont méprisé le Nouveau, et sont devenus boiteux; et même dans l'ancienne loi, ils suivaient plutôt leurs traditions que celles de Dieu. Ils faisaient un crime de ne point se laver les mains Mt 15,2); telle était, en effet, la voie qu'ils s'étaient eux-mêmes tracée, qu'une longue habitude avait battue, loin du sentier des préceptes du Seigneur.

1847 47. «Vive le Seigneur, et béni soit mon Dieu Ps 17,47)». C'est mourir que vivre selon la chair Rm 8,6) ; car le Seigneur est vivant, et mon Dieu est béni. «Qu'il soit exalté, le Dieu de mon salut». Que je n'aie pas sur le Dieu de mon salut des pensées trop terrestres; que je n'attende point de lui un salut temporel, mais bien des choses célestes.

1848 48. «C'est vous, ô Dieu, qui savez me venger, et qui m'assujettissez les peuples Ps 17,48)». C'est me venger, ô Dieu, que de les assujettir à mon joug. «Vous me délivrerez de ces ennemis furieux»; de ces Juifs qui crient: «Crucifiez-le, crucifiez-le Jn 19,6)»,

1849 49. «Vous m'élèverez au-dessus de ceux qui se révoltent contre moi  Ps 17,49)».  Vous m'élèverez par la résurrection au-dessus de ces Juifs qui persiflent mes douleurs. «Vous me sauverez de l'homme injuste», de leur inique domination.

1850 50. «C'est pour cela, Seigneur, que je vous bénirai parmi les nations Ps 17,50)». C'est par moi, Seigneur, que les nations vous béniront comme leur Dieu. «Je chanterai votre nom». Mes bonnes oeuvres vous feront connaître au loin.

1851 51. «Il célèbre le salut du roi qu'il a choisi Ps 17,51)». C'est Dieu qui nous fait admirer ces moyens de salut, que donne son Fils à ceux qui croient en lui. «Il fait miséricorde à son Christ». C'est Dieu qui fait miséricorde à celui qui a reçu l'onction, «à David et à sa race dans l'éternité Ps 17,52)», à ce libérateur dont la main puissante a vaincu le monde, et à ceux qu'il a engendrés à l'éternité par leur foi à l'Evangile. Toutes les paroles de ce psaume, qui ne pourraient s'approprier à Jésus-Christ ou au Chef de l'Eglise, doivent se rapporter à l'Eglise elle-même. Ces paroles sont de Jésus-Christ tout entier, de Jésus-Christ uni à ses membres. (192)


PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XVIII - LE VERBE DE DIEU.

19 Ps 19 Sous le voile de l'allégorie, le Prophète célèbre la prédication de l'Evangile, qui est la parole du Verbe confiée aux Apôtres, et par les Apôtres répandue par toute la terre, où elle opère des oeuvres de conversion. Condition de cette conversion ou renoncement au péché. 

POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID.

1901 1. Ce titre nous est connu: et ce n'est point Jésus-Christ Notre-Seigneur qui parle dans ce psaume, mais c'est de lui qu'il est question.

1902 2. «Les cieux annoncent la gloire de Dieu Ps 18,2)». Les saints évangélistes, en qui Dieu habite comme dans les cieux, nous prêchent la gloire de Jésus-Christ, ou cette gloire que le Fils vivant ici-bas a rendue à son Père. «Et le firmament publie les oeuvres de ses mains (Ps 19,2)». Elle publie les oeuvres merveilleuses du Seigneur, cette force de l'Esprit-Saint qui est devenue un firmament et un ciel, après avoir été une terre faible, sous l'influence de la crainte.

1903 3. «Le jour parle au jour (Ps 18,3)». L'esprit découvre à l'homme spirituel, et dans sa plénitude, cette immuable sagesse de Dieu, ce Verbe qui est Dieu, et qui est en Dieu dès le commencement Jn 1,1). «Et la nuit enseigne la nuit». Et cette chair mortelle qui insinue la foi aux hommes charnels, comme s'ils étaient fort éloignés, leur annonce la science qui vient après la foi.

1904 4. «Il n'est point d'idiome, point de langage, dans lequel on n'entende ces voix Ps 18,4). Qui n'a pas entendu ces voix des évangélistes, prêchant l'Evangile en toute langue?

1905 5. «Ce bruit s'est répandu par toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu'aux extrémités du monde Ps 18,5).

1906 6. «C'est dans le soleil qu'il a établi son pavillon Ps 18,6)». Le Seigneur, venant livrer bataille aux puissances temporelles de l'erreur, et apporter ici-bas le glaive et non la paix Mt 10,34), s'est fait connaître dans le temps, ou a manifesté le mystère de son incarnation, qui était pour lui comme une tente militaire. «Il a été comme un époux qui sort du lit nuptial». Il est sorti du sein de la vierge, où il a contracté avec la nature humaine de saintes épousailles. «Comme le géant, il s'est élancé dans sa carrière». Il s'est élancé dans sa force, précédant les autres hommes dans son incomparable puissance, non pour demeurer dans sa voie, mais pour la parcourir. «Car il ne s'est point arrêté dans la voie des pécheurs Ps 1,1).»

1907 7. «Il part du haut des cieux», ou plutôt il nous vient du Père, non point d'une manière temporelle, mais par une génération éternelle. «Et sa course aboutit au sommet des cieux Ps 18,7)». Et parce qu'il est pleinement Dieu, il arrive à l'égalité de son Père. «Et nul ne se dérobe à ses feux», car le Verbe divin s'étant fait chair, et s'étant revêtu de notre mortalité pour habiter parmi nous Jn 1,14) , n'a permis à aucun homme de prendre pour excuses les ombres de la mort, puisque la mort elle-même a ressenti la chaleur du Verbe.

1908 8. «La loi du Seigneur est sans tache, elle convertit les âmes Ps 18,8)». La loi du Seigneur est donc celui-là même qui est venu perfectionner la loi et non la détruire Mt 5,7). Il est une loi pure, lui qui n'a point commis le péché, dont la bouche n'a point proféré le mensonge 1P 2,22); qui n'accable point les âmes sous le joug de la servitude, mais qui les amène librement à l'imiter. «Le témoignage du Seigneur est fidèle, il donne la sagesse aux petits Ps 18,8)». Ce témoignage est fidèle, parce que nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et ceux à qui le Fils a voulu le révéler Mt 11,27). Ce qui est caché pour les sages, et révélé aux petits; (193) parce que Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles (Jc 4,6).

1909 9. «Les jugements du Seigneur sont droits, ils réjouissent les coeurs Ps 18,9)». Tous les jugements du Seigneur sont droits en celui qui n'a rien enseigné, qu'il ne l'ait fait lui-même afin que ceux qui devaient l'imiter, fussent dans la joie du coeur, et pussent agir, non plus avec une crainte servile, mais avec la liberté de l'amour. «Le précepte du Seigneur est lumineux, il éclaire les yeux». Ce précepte lucide, que ne cache point le voile des cérémonies charnelles, éclaire les yeux de l'homme intérieur.

1910 10. «La crainte du Seigneur est chaste, elle demeure dans le siècle des siècles Ps 18,10)». Cette crainte du Seigneur n'est plus celle qui était un châtiment sous la loi, et qui appréhende la perte de ces biens temporels dont l'amour est pour notre âme une fornication; mais c'est une crainte chaste, qui porte l'Eglise à éviter ce qui peut offenser son époux avec un soin qui égale son amour pour lui: or, l'amour parfait ne bannit point cette crainte 1Jn 4,18), qui demeure éternellement.

1911 11. «Les jugements du Seigneur sont véritables; ils se justifient par eux-mêmes Ps 18,10)». Les jugements de celui qui ne juge personne par lui-même, et qui a donné tout jugement au Fils Jn 5,22), sont véritablement d'une justice immuable. Car Dieu ne trompe ni dans ses menaces ni dans ses promesses; et nul ne peut soustraire l'impie aux supplices, ni le juste aux récompenses. «Ils sont plus désirables que l'or et que les pierres précieuses. - Beaucoup (Ps 18,1)», soit que «beaucoup» désigne de l'or et des pierres précieuses en grande quantité, ou l'or qui est beaucoup précieux, ou beaucoup désirable; néanmoins les jugements de Dieu sont préférables aux pompes de ce monde, dont le désir fait qu'on ne désire plus, mais qu'on redoute, ou qu'on méprise, ou que l'on ne croit plus les jugements de Dieu. Si chaque fidèle, à son tour, est un or pur ou une pierre précieuse, inaltérable au feu et réservé pour les trésors du Seigneur, alors il aime les jugements de Dieu plus que lui-même, et préfère à sa propre volonté, celle de Dieu. «Ils sont plus doux que le miel dans son rayon». Que l'âme fidèle soit ce miel exquis, et que déjà dégagée des biens de la vie, elle attende le jour du festin du Seigneur; ou qu'elle ne soit encore qu'un rayon de miel, enveloppée encore dans cette vie, comme dans les alvéoles qu'elle remplit sans s'y attacher, ayant besoin que la main de Dieu la presse, non pour l'accabler, mais pour l'exprimer comme un miel, et la faire passer du temps à l'éternité, alors les jugements de Dieu seront pour elle plus doux qu'elle ne l'est elle-même; car ils sont plus délicieux que le miel et que le rayon.

1912 12. «Pour votre serviteur, il observe ces lois Ps 18,12)», et 1e jour du Seigneur sera bien amer pour quiconque les méprise. «On trouve, à les pratiquer, une ample récompense (Ps 18,12)»; et cette ample récompense n'est dans aucun autre avantage extérieur que dans la pratique même des préceptes du Seigneur; elle est grande, parce que cette pratique porte en elle-même sa joie.

1913 13. «Qui peut connaître ses égarements Ps 18,13)?» Et dans ces égarements, quelle douceur peut. on trouver, puisqu'il n'y a point d'intelligence? Comment, en effet, comprendre ces égarements, quand ils obscurcissent l'oeil de cette âme qui fait ses délices de la vérité, qui trouve doux et dignes d'envie, les jugements de Dieu? Comme les ténèbres nous ferment les yeux, les péchés sont pour l'esprit un bandeau qui lui dérobe et la lumière et eux-mêmes.

1914 14. « Purifiez-moi, Seigneur, de ce qui est caché en moi (Ps 18,13)». Seigneur, délivrez-moi de ces convoitises qui se cachent en mon coeur. «Préservez votre serviteur des péchés des autres», afin que les autres ne me séduisent point. Car l'homme purifié de ses fautes ne se laisse point prendre aux péchés des autres, Préservez donc des étrangères convoitises, non l'homme superbe qui cherche l'indépendance, mais moi, votre serviteur. «Si elles ne me tyrannisent plus, alors je serai sans tache Ps 18,14)». Assurément, je serai sans tache, si mes passions, ni celles des autres ne me tyrannisent. Car il n'y a pas une troisième source de péché, après cette suggestion intérieure qui fit tomber le diable, et cette suggestion extérieure qui séduisit l'homme et devint son péché par le consentement qu'il y donna. «Et je serai pur d'un grand péchés. De quel autre péché, sinon de l'orgueil? Il n'y a pas de plus grand crime que de se séparer (194) de Dieu, et tel est le commencement de l'orgueil chez l'homme Si 10,14). Il est vraiment sans tache celui qui n'a pas même ce péché, qui est pour nous le dernier quand nous revenons à Dieu, comme il a été le premier quand nous l'avons abandonné.

1915 15. «Et alors les paroles de ma bouche vous seront agréables, et les pensées de mon coeur seront toujours en votre présence ( Ps 18,15)» . Mon coeur ne recherchera plus cette vaine gloire de plaire aux hommes, puisqu'il n'y a plus en moi nul orgueil; mais je le tiendrai toujours en votre présence, car vous voyez les coeurs purs. «Seigneur, vous êtes mon soutien et mon rédempteur». Vous êtes mon soutien quand je me dirige vers vous, et c'est pour que j'aille à vous que vous m'avez racheté. Quiconque ose attribuer à sa propre sagesse de s'être tourné vers vous, ou à ses forces d'arriver à vous, n'en sera que rejeté plus loin, puisque vous résistez aux superbes (Jc 4,6) et il n'est point exempt de cette faute principale, ni agréable à vos yeux, Seigneur, qui nous rachetez afin que nous nous convertissions à vous, et qui nous aidez afin que nous parvenions auprès de vous.


DEUXIÈME DISCOURS SUR LE MÊME PSAUME.

Dans ce second discours saint Augustin tire les conséquences morales et pratiques de l'exposé précédent: 1. quant à la grâce de Dieu qui nous est acquise par les mérites de Jésus Christ; 2. quant à l'unité et à la visibilité de l'Eglise, contre les hérétiques; 3. quant aux dispositions qu'exige de nous la vraie conversion.

1921 1. Après avoir supplié le Seigneur de nous purifier de nos fautes ignorées, de préserver ses serviteurs des péchés des autres, il nous faut comprendre le sens de cette prière, afin de chanter en esprit les louanges du Seigneur, en hommes raisonnables, et non comme les oiseaux; car on voit chaque jour le merle et le perroquet, le corbeau et la pie, apprendre des hommes à former des sons qu'ils ne comprennent point. Mais Dieu a bien voulu faire à l'homme le don de comprendre ce qu'il chante; et c'est avec douleur que nous voyons tant d'impies et de libertins exhaler des chants dignes de leurs oreilles et de leurs coeurs d'autant plus coupables en cela qu'ils ne peuvent ignorer ce qu'ils chantent. Car ils savent que leurs chants sont criminels, et néanmoins ils les redisent avec une allégresse d'autant plus vive qu'elle est plus immonde, et ils se croient d'autant plus joyeux qu'ils sont plus lubriques. Pour nous, qui avons appris à chanter dans l'Eglise les cantiques divins, nous devons nous efforcer d'atteindre cette perfection ainsi formulée: «Bienheureux le peuple qui entend la louange Ps 88,16)». Il faut donc, mes bien-aimés, étudier et comprendre avec le calme du coeur, ce que nous avons chanté à l'unisson des voix. Chacun de nous, dans ce cantique, a supplié le Seigneur, et a dit à Dieu: «Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes cachées, préservez votre serviteur des péchés des autres. Si je n'en ressens point la tyrannie, je serai sans tache, et pur d'un grand péché Ps 18,13-14)». Pour bien comprendre le sens et la portée de ces paroles, voyons rapidement, et avec le secours de Dieu, le texte du psaume.

1922 2. C'est une allégorie du Christ, et nous le voyons clairement dans ces paroles: « Il est sorti comme l'époux de son lit nuptial Ps 18,16)». Quel est cet époux, sinon celui à qui l'Apôtre a fiancé une vierge? et dans ses chastes sollicitudes, ce fidèle ami de l'époux craint que, comme Bye fut séduite par les artifices du serpent, les sens de cette virginale épouse du Christ ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Christ 2Co 11,3). C'est donc (195) en ce même Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur que Dieu a mis ces trésors, cette plénitude de la grâce dont l'Apôtre saint Jean nous a dit: «Nous avons vu sa gloire, comme la gloire que reçoit de son Père le Fils unique, plein de grâce et de vérité Jn 1,14). C'est cette gloire que racontent les cieux». Car les cieux, ce sont les saints, élevés au-dessus de la terre, et qui portent le Seigneur; et toutefois le ciel a raconté la gloire du Christ, à sa manière. Quand l'a-t-il racontée? Quand, à la naissance de ce même Sauveur, il fit paraître une étoile nouvelle, et jusqu'alors inconnue. Il est néanmoins d'autres cieux plus véritables et plus sublimes, dont il est dit dans un verset suivant: «Il n'est point d'idiome, point de langage, dans lequel on n'entende leurs voix. Ce bruit s'est fait entendre par toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu'aux extrémités du monde Ps 18,4)». De qui ces paroles, sinon des cieux? et de quels cieux, sinon des Apôtres? Ce sont eux qui redisent à la louange de Dieu, cette grâce que Dieu a mise en Jésus-Christ pour la rémission des péchés. «Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu; ils sont justifiés gratuitement par le sang de Jésus-Christ Rm 3,23)». Comme c'est gratuitement, c'est donc une grâce, car il n'y a point de grâce qui ne soit gratuite. Nous n'avions fait aucune bonne oeuvre qui nous méritât ces dons de Dieu, et même ce n'eût pas été gratuitement qu'il nous eût infligé un supplice; de là vient que ses bienfaits pour nous sont gratuits. Dans notre vie passée, nous n'avions mérité rien autre chose qu'un juste châtiment. Dieu donc, non plus à cause de notre justice, mais par un effet de sa miséricorde, nous a sauvés par le bain de la régénération Tt 3,5). C'est là, dis-je, la gloire de Dieu que racontent les cieux; car tu n'as rien fait de bon, et néanmoins tu as reçu ces biens immenses. Si donc tu as une part à cette grâce que les cieux ont chantée, tu dois dire au Seigneur ton Dieu: «Il est mon Dieu, puisqu'il me prévient par sa miséricorde Tt 3,5)». C'est lui en effet qui t'a prévenu, et tellement prévenu, qu'il n'a rien trouvé de bon en toi. Tu avais prévenu ses châtiments par ton orgueil, et il a prévenu ton supplice en effaçant tes péchés. En toi donc, le pécheur est devenu juste, l'impie est sanctifié, le damné recouvre ses droits au ciel; aussi dois-tu dire à Dieu: «Ce n'est point à nous, Seigneur, non ce n'est  point à nous, mais à votre nom, qu'il faut en attribuer la gloire Ps 113,9)». Disons bien

«Non pas à nous», à qui la donnerait-il, s'il nous considérait? Encore une fois, disons: «Non pas à nous, Seigneur». S'il nous traitait selon nos mérites, il ne trouverait pour nous que des peines. «Que son nom donc soit glorifié, et non point nous, parce qu'il ne nous a point traités selon nos fautes Ps 102,10).» Ne nous la donnez donc point, Seigneur, ne nous la donnez point. Cette répétition fortifie la pensée. «Ce n'est point à nous, Seigneur, mais à votre nom, qu'il faut donner la gloire». C'est ce que comprenaient ces cieux qui ont chanté la gloire de Dieu.

1923 3. «Et le firmament publie l'ouvrage de ses mains Ps 18,2)». Cette expression: «La gloire de Dieu», est répétée dans cette autre: «L'ouvrage de ses mains». Quels sont les ouvrages de ses mains? N'allons pas croire avec plusieurs, que Dieu a tout fait de sa parole, mais que l'homme, créature supérieure aux autres, est l'ouvrage de ses mains. Loin de nous cette pensée qui est basse et peu exacte, car Dieu a tout fait par son Verbe. Bien que l'Ecriture nous expose les oeuvres si diverses du Créateur, et nous dise qu'il fit l'homme à son image; tout néanmoins a été fait par son Verbe, et sans lui rien n'a été fait Jn 1,3). Quant aux mains de Dieu, il est dit encore: «Les cieux sont l'oeuvre de ses mains Ps 101,16)», et pour que vous ne confondiez pas ces cieux avec les saints, le Prophète ajoute: «Pour eux, ils périront, mais vous, Seigneur, vous demeurez Ps 101,27)». Donc, non-seulement les hommes, mais aussi les cieux qui doivent périr, sont l'ouvrage des mains de Dieu, à qui il est dit: «Les cieux sont l'oeuvre de vos mains». C'est encore ce qui est dit de la terre: «La mer est à lui puisqu'elle est son ouvrage, et ses mains ont fait une base à la terre Ps 94,5)». Donc s'il a fait le ciel de ses mains, la terre de ses mains, l'homme n'est pas seul l'oeuvre de ses mains; mais s'il a fait le ciel par son Verbe, la terre par son Verbe, il a fait aussi l'homme par son Verbe. L'oeuvre du Verbe est l'oeuvre de sa main, comme l'oeuvre de sa main est celle de son Verbe. Dieu n'a point comme nous des membres qui (196) dessinent sa force, puisqu'il est tout entier en tout lieu, et n'a point de limite. L'oeuvre de son Verbe est l'oeuvre de sa sagesse, et l'oeuvre de sa main celle de sa puissance. «Or, le Christ est la puissance de Dieu, comme la sagesse de Dieu 1Co 1,24); et c'est par lui que tout a été fait, et rien n'a été fait sans lui Jn 1,3)». Les cieux donc ont raconté la gloire de Dieu, la redisent encore et la rediront toujours. Oui, ils chanteront la gloire de Dieu, ces cieux, ou plutôt ces saints qui sont élevés au-dessus de la terre, qui portent le Seigneur, qui font retentir ses préceptes et briller sa sagesse; ils raconteront cette gloire du Seigneur qui nous a sauvés malgré notre indignité. Il reconnaît cette indignité, ou la gloire dont nous ne sommes pas dignes, ce fils le plus jeune, que presse l'indigence; il reconnaît cette indignité, ce jeune homme qui s'éloigne de son père, pour adorer les démons et faire paître les pourceaux; il reconnaît la gloire de Dieu, mais quand l'indigence le presse. Et comme cette gloire nous a faits ce que nous n'étions pas dignes d'être, il dit à son père: «Je ne suis pas digne d'être appelé votre fils Lc 15,21)». Il est dans le malheur, et l'humilité lui obtient le bonheur; et il s'en montre digne parce qu'il s'en confesse indigne. Telle est «la gloire de Dieu, qu'annoncent les cieux, cet l'oeuvre de ses mains, que prêche le firmament». Ce ciel firmament, c'est le coeur du juste dans sa force, étranger à la crainte. Ces oeuvres donc ont été prêchées parmi les impies, parmi les antagonistes de Dieu, parmi ces hommes épris du monde et persécuteurs des justes; oui, dans ce monde frémissant de rage, Mais que pouvait le monde avec sa rage, quand c'était le firmament qui les prêchait? «Le firmament prêche», et que prêche-t-il? « Les oeuvres de ses mains». Quelles sont, les oeuvres de ses mains? Cette gloire de Dieu qui nous a sauvés, et qui nous a créés dans les bonnes oeuvres. «Car c'est par lui, et non par nous-mêmes Ps 79,3), que nous sommes non-seulement hommes, mais justes», si tant est que nous soyons justes.

1924 4. « Le jour parle au jour, et la nuit instruit la nuit Ps 18,3)». Qu'est-ce à dire? On comprend facilement peut-être: «Le jour parle au jour», aussi facilement et aussi clairement que le jour. Mais «que la nuit instruise la nuit», voilà qui est ténébreux comme la nuit. Ce jour qui parle au jour, c'est le saint qui parle aux saints, l'Apôtre aux fidèles, le Christ aux Apôtres, et qui leur dit: «Vous êtes la lumière du monde Mt 5,14)». Voilà qui paraît clair et facile à comprendre. Mais comment «la nuit peut-elle instruire la nuit?». Quelques-uns l'ont pris à la lettre, et c'est peut-être le vrai sens; selon eux, la science que les Apôtres ont recueillie de Jésus-Christ pendant son séjour sur la terre, ils l'ont transmise à leurs successeurs de siècle en siècle. Le jour parle donc au jour, et la nuit à la nuit; le premier jour au jour suivant, la première nuit à la nuit qui succède; parce que cette doctrine est annoncée jour et nuit. Celui-là peut se contenter de cette explication si simple qui la trouve suffisante. Mais l'obscurité de certains passages des saintes Ecritures a eu cet avantage de produire plusieurs interprétations. Si donc ces paroles étaient claires, vous n'y trouveriez qu'un sens unique; et parce qu'il est obscur, vous en entendrez plusieurs. On explique autrement: «Le jour parle au jour et la nuit à la nuit», c'est-à-dire l'esprit à l'esprit, et la chair à la chair. Puis encore: «Le jour qui parle au jour», figurerait l'homme spirituel parlant à ceux qui vivent selon l'esprit; et «la nuit à la nuit», l'homme charnel aux hommes charnels. Les uns et les autres entendent cette parole, mais ne la goûtent pas également, Pour les uns, c'est une parole prêchée; pour les autres, une science que l'on annonce. Car prêcher n'a lieu que pour ceux qui sont présents, annoncer pour ceux qui sont éloignés. On pourrait trouver aux cieux d'autres significations, mais le peu de temps qui nous reste, nous force d'en rester là; donnons toutefois une explication, que plusieurs ont donnée comme une conjecture. Selon eux, quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parlait aux Apôtres, le jour parlait au jour; et quand Judas trahissait le Christ, la nuit donnait la science à la nuit.

1925 5. «Il n'est point d'idiome, point de langage, dans lequel cette voix ne se fasse entendre Ps 18,4)». De qui cette voix, sinon des cieux qui racontent la gloire de Dieu? «li n'est «point d'idiome, point de langage, dans lequel cette voix ne se fasse entendre». Lisez, dans les actes des Apôtres, comment ils furent (197) tous remplis de l'Esprit-Saint qui descendait sur eux: et comme ils parlaient en toutes les langues, selon que l'Esprit-Saint les faisait parler Ac 2,4). Voilà comment. «il n'est point d'idiome, point de langage, dans lequel leur voix ne se fasse entendre». Et non-seulement leur voix a retenti dans l'endroit où ils avaient reçu l'Esprit-Saint, mais «elle a parcouru toute la terre, et leurs prédications ne s'arrêtent qu'aux extrémités du monde». De là vient que nous prêchons ici. Car cette voix qui a parcouru toute la terre est venue jusqu'à nous, et la parole de l'hérésie n'entre point dans l'Eglise. Cette voix donc a parcouru toute la terre, afin de vous faire entrer dans le ciel. O esprit de pestilence, de contention, de méchanceté, et qui te plais dans l'erreur! écoute, ô fils orgueilleux, le testament de ton père. Le voici, quoi de plus clair et de plus net? «Le bruit de leur voix a parcouru toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu'aux confins du monde». Est-il besoin d'aucun éclaircissement? Pourquoi tourner tes efforts contre toi-même? Tu veux contester pour retenir une partie, quand la paix te mettrait en possession du tout.

1926 6. «Il a établi son tabernacle dans le soleil Ps 18,5)»; en mettant son Eglise en évidence et en grand jour, non dans l'obscurité, non dans le mystère et sous un voile, de peur qu'elle ne se dérobât comme les assemblées des hérétiques Ct 1,6 selon les LXX)». Il est dit à un coupable dans l'Ecriture sainte: «Parce que tu as péché  dans le secret, tu seras châtié au grand jour 2S 12,12)»: c'est-à-dire que sous les yeux de tous tu subiras le châtiment de ta faute commise dans le secret. «Il a donc établi son tabernacle dans le soleil». Pourquoi dès lors, enfant de l'hérésie, t'enfuir dans les ténèbres? Es-tu chrétien? écoute Jésus-Christ. Es-tu serviteur? écoute le maître. Es-tu fils? écoute un père: corrige-toi, reviens à la vie. Que nous puissions dire de toi: Il était mort et il est ressuscité, il était perdu et il est retrouvé. Garde-toi de me dire: Pourquoi me chercher, si je suis perdu? car c'est précisément parce que tu es perdu que je te cherche. Ne me cherchez point, dira-t-il. Tel est le voeu de l'iniquité qui nous divise, mais non de la charité qui nous fait frères. Je ne serais point criminel si je cherchais un serviteur, et l'on me fait un crime de chercher mon frère ! Que telle soit la sagesse de celui qui n'a point la charité fraternelle, pour moi, je recherche mon frère. Qu'il s'irrite, il n'en faut pas moins le chercher, il s'apaisera si nous le retrouvons. Je cherche donc mon frère, et j'en appelle au Seigneur mon Dieu, non contre lui, mais en sa faveur. Et nia prière ne sera point: Dites, Seigneur, à mon frère qu'il divise l'héritage avec moi, mais bien: Dites à mon frère qu'il jouisse avec moi de tout l'héritage Lc 12,13). Pourquoi donc errer de la sorte, ô mon frère? Pourquoi fuir dans les lieux écartés? Pourquoi ces efforts pour vous cacher? «Dieu a placé son tabernacle dans le soleil. Il est comme le jeune époux qui sort du lit nuptial Ps 18,6)». Sans doute qu'il ne vous est pas inconnu «cet époux qui sort du lit nuptial, qui s'élance comme un géant pour parcourir sa carrière», c'est lui «qui a placé dans le soleil son tabernacle»; c'est-à-dire que le Verbe s'étant fait chair Jn 1,15) a trouvé, comme le jeune époux, un lit nuptial dans le sein d'une vierge; et alors uni à la nature humaine, il est sorti comme d'un lit très-chaste, plus humble que tous dans sa miséricorde, plus fort que tous dans sa majesté: de là vient «qu'il a bondi comme un géant dans sa carrière»; naître, grandir, enseigner, souffrir, ressusciter, monter aux cieux, c'est là courir et non s'arrêter dans la voie. Le même époux qui a fait tout cela, a donc placé dans le soleil, ou dans l'évidence, son tabernacle, qui est son Eglise.

1927 7. Voulez-vous connaître cette voie qu'il a parcourue avec tant de vitesse? «Il part du  haut des cieux, pour retourner jusqu'à leur sommet Ps 18,7)». Mais après qu'il en est descendu, et qu'il y est retourné dans sa course rapide, il a envoyé son Esprit. On vit, sur chacun de ceux qui le reçurent, comme des langues de feu qui se divisaient  Ac 2,3)». L'Esprit-Saint est donc venu comme un feu, qui doit consumer la chair comme une paille desséchée, et purifier l'or dans le creuset. Il est donc venu comme un feu; aussi est-il dit que «nul ne se dérobe à son embrasement».

1928 8. «La loi du Seigneur est pure, elle convertit les âmes». C'est là l'Esprit-Saint. «Le témoignage du Seigneur est fidèle, il donne la sagesse aux petits Ps 18,8)»; non pas aux superbes. Tel est encore l'Esprit-Saint.

1929 9. «Les jugements du Seigneur sont droits»; ils portent «dans les coeurs la joie n et non la crainte. C'est l'oeuvre de l'Esprit-Saint. « Le précepte du Seigneur est lumineux, il éclaire  les yeux Ps 7)» sans les éblouir; non les yeux de la chair, mais les yeux du coeur; non ceux de l'homme extérieur, mais de l'homme spirituel. Tel est encore l'effet de l'Esprit-Saint.

1930 10. «La crainte du Seigneur n n'est pas servile, mais chaste»; elle aime gratuitement ce qu'elle appréhende; ce n'est point le châtiment de celui qu'elle redoute, mais la séparation de celui qu'elle aime. Telle est la crainte chaste qui ne disparaît pas devant la charité parfaite Jn 4,18), mais «qui demeure dans le siècle des siècles». C'est là l'Esprit-Saint, ou plutôt, c'est lui qui la donne, qui la répand dans nos âmes, qui la greffe en nous. «Les jugements du Seigneur sont vrais, et se justifient par eux-mêmes Ps 18,10)», sans porter aux querelles, mais à nous unir dans la paix; c'est ce que signifie « en eux-mêmes». Tel est encore l'effet du Saint-Esprit. Aussi, ceux qui le reçurent à sa première descente, reçurent-ils aussi le don des langues, pour nous montrer par là qu'il ramènerait à l'unité toutes les langues de la terre. L'unité de l'Eglise parle en toutes les langues, et continue aujourd'hui cette merveille d'un seul homme qui s'exprimait alors dans la langue de tous Ac 2,4), après avoir reçu l'Esprit-Saint. Aujourd'hui c'est encore un seul homme qui parle à toutes les nations et dans toutes les langues, un seul homme, c'est-à-dire la tête et le corps, un seul homme, qui est le Christ et l'Eglise, l'homme parfait, l'époux et l'épouse. «Ils seront deux dans une même chair (Gn 2,24)», a dit l'Ecriture. «Les jugements de Dieu sont véritables, ils se justifient par eux-mêmes», à cause de l'unité.

1931 11. «Ils sont plus désirables que l'or et que les pierres précieuses. Beaucoup Ps 18,11)». Ce «beaucoup» signifie beaucoup d'or, ou beaucoup précieuses, ou beaucoup désirables; mais beaucoup, c'est peu pour l'hérétique. Ils n'aiment pas avec nous id ipsum ou l'unité, et avec nous ils confessent le Christ. Mais ce Christ que tu confesses avec moi, aime-le donc avec moi. Et celui qui ne veut point l'unité, qui refuse, qui regimbe, qui méprise, celui-là ne la croit point préférable à l'or et aux pierres précieuses. Ecoutez encore: «Ils sont»; dit le Prophète, «plus doux que le miel et que le rayon». Mais ceci condamne celui qui s'égare. Le miel est amer pour une bouche fiévreuse, quelque douceur qu'il ait pour une bouche en santé, parce qu'il est précieux pour l'homme qui se porte bien. «Ils sont donc plus désirables que l'or et que les pierres les plus précieuses, plus doux que le miel et que le rayon de miel».

1932 12. «Aussi votre serviteur les observe-t-il», et en éprouve-t-il ainsi la douceur, non plus en paroles, mais en pratique. Votre serviteur les garde parce qu'ils sont doux en cette vie et utiles pour l'autre vie. «Il trouve à les garder une ample récompensez». Mais dominé par son obstination, l'hérétique ne peut voir cette lumière, ni goûter cette douceur.

1933 13. «Qui peut connaître ses péchés? - Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font Lc 18,34)». Celui-là donc, dit le Prophète, est votre serviteur, qui peut goûter une semblable douceur, qui a cette tendresse de charité, cet amour de l'unité. Et moi qui la goûte, poursuit le Prophète, je vous en supplie, qui peut en effet connaître ses fautes? Que jamais en moi, nulle faiblesse ne se glisse chez l'homme, et que cet homme ne se laisse point séduire. « Purifiez-moi, Seigneur, des fautes qui m'échappent». Nous l'avons chanté, nous y arrivons dans nos explications. Disons donc avec intelligence: Chantons et comprenons, prions en chantant, afin que notre prière soit exaucée; disons: «Purifiez-nous, Seigneur, des fautes qui nous échappent». Qui peut connaître ses péchés? On ne peut les comprendre qu'en voyant ses ténèbres, et nous ne sommes enfin dans la lumière que quand nous nous repentons de nos fautes. Un homme qui se roule encore dans le péché, ne peut voir ce péché, tant ses yeux sont obscurcis et fermés; que l'on vous mette, en effet, un bandeau sur les yeux du corps, vous ne voyez plus rien, pas même le bandeau. Adressons-nous donc à Dieu, qui sait voir en nous ce qu'il doit purifier, et pénétrer ce qu'il doit guérir, et disons-lui

«Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes cachées, épargnez à votre serviteur les péchés des autres n. Mes péchés, dit-il, me souillent, et ceux des autres me contristent; épargnez-moi les uns et purifiez-moi des autres. Enlevez de mon coeur toute pensée mauvaise, éloignez de moi ce qui inspire le mal. Voilà ce que signifie: «Purifiez-moi de mes fautes cachées, épargnez à votre serviteur les péchés des autres Ps 18,14)». Telles sont en effet les deux sortes de péchés qui ont paru d'abord, au commencement du monde, les nôtres et ceux des autres. Le diable est tombé par son propre péché Is 14,12), Adam par celui d'un autre (Gn 3). De là vient que le serviteur de Dieu, qui observe les jugements de Dieu et y trouve une ample récompense, prie ainsi dans un autre psaume: «Que l'orgueil n'entre point en moi; que la main du pécheur ne m'ébranle point Ps 35,12)». «Que l'orgueil donc n'entre point en moi», c'est-à-dire, purifiez-moi de mes fautes cachées; et que la main du pécheur ne m'ébranle point», c'est-à-dire, épargnez à votre serviteur les péchés des autres.

1934 14. «Si» mes fautes cachées et les péchés des autres «ne me dominent plus Ps 18,14), alors je serai sans tache». Il n'ose point l'espérer de ses propres forces, mais il supplie le Seigneur de l'accomplir, et lui dit dans un autre psaume: «Dirigez mes pas selon votre parole, et ne permettez pas que l'iniquité domine jamais en moi Ps 118,133)». Tu es chrétien, et dès lors garde-toi de craindre la domination extérieure d'un homme; crains toujours le Seigneur ton Dieu. Crains le mal qui est en toi, ou les passions; non point ce que le Seigneur a tait en toi, mais ce que toi-même y as fait. Le Seigneur t'avait créé bon serviteur, et toi, tu t'es créé dans ton coeur un maître méchant. C'est justement que tu es soumis à l'iniquité, soumis au maître que tu t'es imposé toi-même, puisque tu n'as pas voulu servir celui qui t'a créé.

1935 15. «Si donc je ne suis plus esclave de leur tyrannie, alors je serai sans tache et pur d'un grand crime Ps 18,14)». De quel crime, pensez-vous? Quel est ce grand péché? Il peut n'être pas ce que je vais dire, et toutefois je ne déguiserai point mon opinion; ce grand crime, à mon avis, c'est l'orgueil. C'est là peut-être ce qu'il exprime en d'autres termes, en disant: «Et je serai pur d'un grand crime». Me demanderez-vous combien est  grand le crime qui a fait tomber l'ange, qui a changé cet ange en démon, et lui a fermé pour toujours le royaume des cieux? C'est là le grand crime, la source, l'origine de tous les crimes. Car il est écrit: «Le commencement de tout péché, c'est l'orgueil Si 10,15)». Et de peur qu'on ne le regarde comme une faute légère, l'Ecriture ajoute : «Le commencement de l'orgueil chez l'homme est de lui faire apostasier Dieu Si 10,14)». Non, mes frères, ce vice n'est point une faute légère; c'est à ce vice que répugne l'humilité chrétienne, chez les grands personnages que vous voyez. C'est ce vice qui leur fait dédaigner de courber la tête sous le joug du Christ, eux qui sont asservis au joug du péché. Car ils ne peuvent échapper à la servitude; ils se veulent affranchir de la servitude, quand il leur est avantageux de servir. Ce qu'ils gagnent en cherchant l'indépendance, c'est de refuser de servir un bon maître, mais non de s'affranchir complètement; car on devient nécessairement esclave du péché, quand on ne veut point l'être de la charité. Ce vice, que l'on peut appeler la source de tous les autres, puisque les autres lui doivent leur origine, nous a fait apostasier Dieu; et l'âme, par un déplorable usage de sa liberté, se plonge dans les ténèbres, chargée qu'elle es-t de toute sorte de péchés. Voilà qu'il vit dans la prodigalité, il dissipe ses richesses avec les femmes sans pudeur, il devient le pâtre des pourceaux Lc 15,13), celui qui était le compagnon des anges. C'est à cause de ce vice, de cette grande iniquité de l'orgueil que Dieu s'est humilié parmi les hommes. Tel est le motif, telle est la plaie profonde, la grande maladie des âmes, qui a fait descendre du ciel le Médecin tout-puissant, qui l'a humilié sous la forme de l'esclave, qui l'a outragé, suspendu au gibet, afin qu'une semblable tumeur trouvât sa guérison dans un si grand remède. Que l'homme donc rougisse de son orgueil, quand un Dieu s'est fait humble pour lui. Alors, dit le Prophète, «je serai pur d'un grand péché», devant le «Dieu qui résiste aux orgueilleux et qui donne la grâce aux humbles Ps 18,15)».

1936 16. « Ainsi vous deviendront agréables les paroles de ma bouche, et les pensées de mon coeur seront toujours en votre présence Ps 18,15)». Car si je ne suis point purifié de (200) ce grand vice, mes paroles pourront être agréables devant les hommes, et non devant vous; puisque l'âme superbe demande aux hommes ses applaudissements, mais l'âme vraiment humble veut plaire dans ce secret que pénètre-Dieu seul; et si elle vient à plaire aux hommes par quelques bonnes oeuvres, elle s'en réjouit pour-ceux qui se complaisent dans ses oeuvres, et non pour elle-même; il doit lui suffire d'avoir fait le bien. «Notre gloire», dit l'Apôtre, «c'est le témoignage de notre conscience 2Co 1,12)». Chantons donc aussi à Dieu le verset suivant: «Seigneur, vous êtes mon aide, mon rédempteur». Vous m'aidez dans le bien et me délivrez du mal. Vous êtes mon aide, afin que je demeure dans la charité; mon rédempteur, en me rachetant de mon iniquité.





Augustin, les Psaumes 18