Augustin, de la musique - CHAPITRE IV. DU MÈTRE IAMBIQUE.

CHAPITRE IV. DU MÈTRE IAMBIQUE.


5. Le M. Je vais te satisfaire. Mais combien d'espèces de mètres venons-nous de voir? - L'E. Quatorze. - Le M. Combien d'espèces de mètres iambiques crois-tu qu'il y ait aussi? L'E. Quatorze également. - Le M. Et si je voulais dans cette espèce de mètre substituer le tribraque à l'iambe, ne trouverait-on pas une variété plus considérable? - L'E. C'est trop évident. Mais, pour abréger, je dé.sire n'avoir d'exemples qu'à propos de l'iambe; car la substitution de deux brèves à n'importe quelle longue est une règle facile. - Le M. Je vais faire ce que tu veux, et je te sais gré de rendre ma tâche plus aisée par ta pénétration. Prête donc l'oreille aux mètres iambiques. - L'E. J'y suis; commence. - Le M.

Bonus vir,

Beatus.

Malus, miser,

Sibi est malum.

Bonus beatus,

Deus bonum ejus.

Bonus beatus est,

Deus bonum ejus est.

Bonus vir est beatus,

Videt Deum beate.

Bonus vir et sapit bonum,

Videns Deum beatus est.

Deum videre qui cuspiscit,

Bonusque vivit, hic videbit.

Bonum videre qui cupit diem.

Bonus sit hic, videbit et Deum.

Bonum videre qui cupit diem illum,

Bonus sit hic, videbit et Deum illic.

Beatus est bonus, fruens enim est Deo;

Malus miser, sed ipse ptena fit sua.

Beatus est videns

Deum, nihil cupit plus;

Malus bonum fris requirit, bine egestas.

Beatus est videns Deum, nitril boni ampliusr

Malus bonum foris requirit, hinc eget miser.

Beatus est videns Deum, nihil boni amplius vult;

Malus foris bonum requirit, hinc egenus errat.

Beatus est videns Deum, nihil boni amplius volet;

Malus foris bonum requirit, bine eget miser bono

(1) L'homme de bien est heureux.

Le méchant est malheureux, il fait lui-même son malheur.

L'homme de bien est heureux: Dieu est son bonheur.

L'homme de bien est heureux, il voit heureusement Dieu.

L'homme de bien a aussi le goût du bien: en voyant Dieu il est heureux.

Celui qui désire voir Dieu et qui vit en homme de bien, le verra.

Celui qui désire voir le beau jour, n'a qu'à être bon et il verra aussi Dieu.

Celui qui désire voir ce beau jour n'a qu'à être bon ici et là, il verra aussi Dieu.

L'homme de bien est heureux; car il jouit de Dieu.

Le méchant est malheureux: mais il devient son propre bourreau.

L'homme de bien voit Dieu; il ne désire rien au-delà.

Le méchant cherche le bien au-dehors: là le vide qu'il éprouve.

L'homme de bien voit Dieu: c'est le souverain bien.

Le méchant cherche le bien au-dehors: de là ses besoins et son malheur.

L'homme de bien voit Dieu, il n'aspire plus à aucun bien.

Le méchant cherche le bien au-dehors: aussi erre-t-il en proie au besoin.

L'homme heureux voit Dieu: il n'aspirera plus à aucun autre bien.

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CHAPITRE V. DU MÈTRE TROCHAÏQUE.


6. L'E. C'est à présent le tour du trochée. Donne-moi des exemples de mètres trochaïques: ceux que tu viens de m'offrir sont excellents. Le M. - Je vais t'en donner comme j'ai fait pour les mètres iambiques.

Optimi

Non egent.

Veritate,

Non egetur.

Veritas sat est,

Semper haec manet.

Veritas vocatur

Ars Dei supremi.

Veritate faclus est

Mundus iste quem vides.

Veritate facta cuncta

Quaeque gignier videmus.

Veritate facta cuncta sunt,

Omniumque forma veritas.

Veritate cuncta facta cerno

Veritas martel, moventur istar

Veritate facta cernis omnia,

Veritas manet, moventur omnia.

Vernate facta cernis ista cuncta,

Veritas tamen manet, moventur ista.

Veritate facta cuncta cernis optime.

Verilas manet, moventur haec, sed ordine.

Veritate facta cuncta cernis ordinata;

Veritas manet, novans movet quod innovatur.

Veritate facta cuncta sont, et ordinata sunt;

Veritas novat manens, moventur ut noventur haec.

Veritate facta cuncta sunt, et ordinata cuncta;

Veritas manens novat, moventur ut noventur ista (1).

(1) Les parfaits ignorent le besoin. La vérité soustrait au besoin. La vérité suffit, elle est immuable. La vérité s'appelle l'astre du Très-Haut. Le monde que tu vois est l'ouvrage de la vérité. Tout ce qui nuit à nos yeux est créé par la vérité. Tout a été fait par la vérité la vérité est l'idéal de toute chose. Tout a été fait, je le vois, par la vérité. La vérité est immuable, le monde est en mouvement. Tu vois que tout a été fait par la vérité. La vérité est immuable, tout se meut. Tu vois que toutes ces choses sont l'oeuvre de la vérité; cependant la vérité est immuable, ces choses se meuvent. Tu vois que tout a été excellemment créé par la vérité. La vérité est.immuable, tout se ment, mais avec régularité. Tu vois que tout a été créé et ordonné par la vérité. La vérité est immuable: en renouvelant les choses, elle les met en mouvement du môme coup. Tout a été fait, tout a été ordonné par la vérité. La vérité renouvelle tout, quoi qu'elle reste immuable tout est mis par elle en mouvement ponts renouveler. Tout a été fait par là vérité, tout a été mis en ordre pu elle; la vérité, quoique immuable, renouvelle les choses; elles sa mises en mouvement pour se renouveler.

CHAPITRE VI. DU MÈTRE SPONDAÏQUE.


7. L'E. Arrivons au spondée. Le trochée a satisfait mon oreille. - Le M. Eh bien! voici les diverses espèces de mètres spondaïques:

Magnorum est,

Libertas.

Magnum est munus

Libertatis.

Solus liber rit,

Qui errorem vincit.

Solus liber vivit,

Qui errorem jam vivit.

Solus liber vere fit,

Qui erroris vinclum vieil.

Solus liber vere vivit,

Qui erroris vinclum jam vieil.

Solus liber non falso vivit,

Qui erroris vinclum java devicit.

Sol us liber jure ac vere vivit,

Qui erroris vinclum magnus devicit.

Solus liber jure ac non falso vivit,

Qui erroris vinclum funestum devicit.

Solus liber jure ac vere magnus vivit,

Qui erroris vinclum funestum jam devicit.

Solus liber jure ac non falso magnus vivit,

Qui erroris vinclum funestum prudens devicit.

Solus liber jure ac. non falso securus vivit,

Qui erroris vinclum funestum prudens jam devicit.

Solus liber jure ac non falso securus jam vivit,

Qui erroris vinclum tetrum ac funestum prudens devicit

Solus liber jure ac non falso securam vitam vivit,

Qui erroris vinclum tetrum ac funestum prudens jam devicit (1).

(1) La liberté est le privilège des grands coeurs. Immense est le bienfait de la liberté. Celui-la seul devient libre qui triomphe de l'erreur. Celui-là seul vit en liberté qui déjà a triomphé de l'erreur. Celui-là devient seul libre qui brise les chaires de l'erreur. Celui-là mène une vie vraiment libre qui a déjà brisé les chaînes de l'erreur. Celui-là seul n'a pas une vie trompeuse, qui déjà a brisé les chaînes de l'erreur. Celui-là seul vit légitimement et véritablement libre, qui dans sa grandeur d'âme a brisé les chaînes de l'erreur. Celui-là seul vit réellement et sans mensonge en liberté, qui a brisé les claies funestes de l'erreur. L'homme libre seul mène une vie pleine d'une grandeur réelle et sans mensonge, quand il a déjà brisé les fumes chaînes de l'erreur. L'homme libre seul a une vie pleine de grandes et sans mensonge, quand il a prudemment brisé les chaînes de l'erreur. L'homme libre seul vit réellement et sans mensonge en sécurité, quand il a déjà prudemment brisé les funestes chaînes de l'erreur. L'homme libre seul vit déjà en sécurité réellement et sans feinte quand il a déjà brisé prudemment les chaînes cruelles et funestes de l'erreur. L'homme libre seul mène une vie tranquille réellement d sans feinte, quand il a déjà prudemment brisé les chaires cruelles et funestes de l'erreur.

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CHAPITRE VII. DU TRIBRAQUE: COMBIEN DE MÈTRES PEUT-IL FORMER


8. L'E. Je n'ai plus rien à demander sur le spondée: arrivons au tribraque. - Le M. Oui. Mais si les quatre pieds dont nous venons de parler produisent chacun quatorze mètres, en tout cinquante-six mètres, il faut en attendre plus encore du tribraque. Dans ces mètres en effet, où il y a un silence d'un demi-pied, le silence ne peut se prolonger au delà d'une syllabe. Mais quand nous observons un silence dans le tribraque, faut-il, à ton avis, que ce silence ne dure qu'une brève, ou qu'il comprenne le temps de deux brèves? car le tribraque admet ce double mode de division: il commence par une brève et finit par deux; ou il commence par deux et finit par une. Ainsi le tribraque donne nécessairement naissance à vingt et un mètres. - L'E. C'est fort vrai. Le moindre mètre est en effet de 4 brèves avec un silence de deux temps: viennent ensuite les mètres de 5 brèves avec un silence d'un temps; celui de 6 brèves, sans silence; de 7 brèves,avec un silence de deux temps; de 8 brèves avec un silence d'un temps; de 9 brèves, sans silence. Et si on continue ainsi jusqu'au nombre de 24syllabes, qui forment 8 tribraques, on a un total de 21 mètres.

Le M. Tu as calculé juste et avec aisance. Nais crois-tu qu'il soit nécessaire de donner des exemples pour chaque mètre? Ceux que nous venons de donner pour les quatre premiers pieds (1) ne suffiront-ils pas pour jeter de la lumière sur tous les autres? - L'E. Ils suffiront, à mon avis du moins. - Le M. C'est ton avis seul que je demande. Une question toutefois; tu sais que si l'on change le mode de battement dans le pyrrhique, on peut mesurer un tribraque. Or, le premier mètre pyrrhique peut-il admettre le premier mètre du tribraque? - L'E. Cela est impossible; car le mètre doit être plus grand que le pied. - Le M. Et le second? - L'E. C'est possible. En effet quatre brèves font deux pyrrhiques, ou un tribraque plus un demi-pied, là, sans aucun silence, ici, avec un silence de deux temps dans le battement de la mesure. - Le M. Donc, en changeant le mode de battement, tu trouveras dans les


1. Cf. Chapitre 3,IV, 5,VI.

pyrrhiques mêmes des exemples de tribraques jusqu'à seize syllabes; en d'autres termes, jusqu'à cinq tribraques plus un demi-pied, et cela doit te suffire. Car tu peux former tous les autres toi-même, soit en chantant soit en marquant la mesure, si toutefois tu crois nécessaire de soumettre ces combinaisons au jugement de l'oreille. - L'E. Je ferai ce que tu jugeras à propos; mais voyons ce qui nous reste à examiner.

CHAPITRE VIII. DU DACTYLE.


9. Le M. Vient maintenant le dactyle. Il n'admet qu'un mode de division, n'est-ce pas vrai? - L'E. Oui. - Le M. Quelle partie y est susceptible de silence? - L'E. La moitié. - Le M. Et si, après avoir m is un trochée à la suite d'un dactyle, on veut observer le silence d'un temps ou d'une brève qui est nécessaire pour avoir un dactyle complet, que répondre? Car nous ne pouvons dire que le silence ne doive pas être moindre qu'un demi-pied, la raison exposée plus haut nous ayant démontré que ce silence, loin de ne pas égaler, devait au contraire dépasser la durée d'un demi-pied. Dans le choriambe, en effet, le silence est moindre qu'un demi-pied, quand on fait suivre le choriambe d'un bacchius; exemple: fonticolae puellae. Car tu reconnais que nous mettons ici un silence équivalent à une brève et nécessaire pour compléter les six temps. - L'E. Tu as raison. - Le M. Si donc nous mettons un trochée après un dactyle, pourrons-nous observer aussi le silence d'un temps? - L'E. Je suis contraint de l'avouer. - Le M. Et qui t'y contraindrait si tu te rappelais ce que nous -avons établi plus haut? Car tu ne tombes dans cette inconséquence que par oubli du principe démontré tout à l'heure, à savoir, l'indifférence de la finale et le privilège qu'a l'oreille de faire longue la dernière syllabe, fût-elle brève, lorsqu'il reste le temps nécessaire pour l'allonger. - L'E. Je comprends à présent; car, si l'oreille peut allonger une finale brève, quand il reste un silence, comme le raisonnement et les exemples nous l'ont prouvé, il est tout à fait indifférent de faire suivre le dactyle d'un trochée ou d'un spondée. Ainsi, puisque le retour au commencement du métro, doit être marqué expressément par un silence, il faut, après le (440) dactyle, placer une syllabe longue, en ménageant un silence de deux temps. - Le M. Et si l'on met un pyrrhique après un dactyle, est-ce régulier? - L'E. Non; peu importe en effet que ce soit un pyrrhique ou un iambe. Car un pyrrhique équivaut nécessairement à un iambe, à cause de la finale que l'oreille allonge, parce qu'il reste un silence. Or, l'iambe ne peut venir après un dactyle, à cause de la différence du levé et du posé dans ces deux sortes de pied, le levé et le posé ne pouvant, dans le dactyle, comprendre trois temps, c'est trop clair.

CHAPITRE IX. DU BACCHIUS.


10. Le M. Cette remarque est fort juste et fait honneur à ta pénétration. Et que penses-tu de l'anapeste? faut-il lui appliquer le même raisonnement? - L'E. Le même absolument (1). - Le M. Examinons donc le bacchius, s'il te plait, et dis-moi quel en est le premier mètre. - L'E. Il se compose, je pense, de quatre syllabes, une brève et trois longues: deux de ces longues appartiennent au bacchius et 1a troisième au commencement du pied qui peut suivre immédiatement le bacchius, de telle sorte qu'il trouve son complément dans un silence. Toutefois je souhaiterais quelque exemple pour vérifier la théorie avec l'oreille. - Le M. Il est facile de donner des exemples mais je ne crois pas qu'ils te fassent le même plaisir que les précédents. Car les pieds de cinq temps et ceux de sept ont une marche moins agréable que ceux qui se divisent soit en parties égales, soit dans le rapport de 1 à 2 ou de 2 à 1. La même différence existe entre les mouvements sesquialtères et les mouvements égaux ou compliqués; mouvements dont nous avons amplement parlé dans notre premier entretien. Et voilà pourquoi les pieds de cinq ou de sept temps sont aussi rares en poésie que fréquents en prose. On peut aisément faire cette remarque sur des exemples, comme tu m'en as demandés; en voici un

Laborat magister docens tardos (2).

Reprends ce vers, en interposant un silence de trois temps; pour que tu aies moins de

(1) Le levé et le posé sont dans un rapport différent.

(2) Le maître se fatigue à instruire des esprits lourds.

peine à remarquer ce silence, j'ai mis au quatrième pied une syllabe longue, qui forme le commencement d'un crétique, pied dont le mélange avec le bacchius est autorisé. Si je ne t'ai pas donné d'exemple pour la première espèce de mètre, c'est que j'ai craint qu'un seul pied ne fût insuffisant pour avertir ton oreille Ae la durée du silence qu'il fallait observer après ce pied et une syllabe longue. Je vais maintenant donner un exemple de cette première espèce de mètre et je le répéterai, afin que tu puisses sentir les trois temps dans mon silence:

Labor nullus, Amor magnus (1).

L'E. Je vois bien clairement que ces sortes de pieds conviennent mieux à la prose et il est inutile de multiplier les exemples. - Le M. Tu as raison. Mais, puisqu'il faut observer un silence, crois-tu qu'on ne puisse faire suivre le bacchius que d'une syllabe longue? - L'E. Non, certes. On peut le faire suivre d'une brève et d'une longue, ce qui constitue le premier demi-pied du bacchius. Car si nous avons pu régulièrement commencer un crétique, parce que ce pied peut se mêler avec un bacchius, à plus forte raison pourrons-nous commencer un bacchius même, surtout n'ayant pas mis du crétique la fraction dont les temps équivalent à la première moitié du bacchius.

CHAPITRE X. QUE FAUT-IL AJOUTER, AVANT LE SILENCE, A UN PIED DÉJÀ COMPLET?


11. Le M. A présent, si tu le veux bien, je vais me borner au rôle d'auditeur et de juge. Tu vas développer tout seul ce qui nous reste à dire et exposer ce qu'on doit ajouter à un pied complet, quand il y a, dans tous les pieds qui restent, un vide qui doit être rempli par un silence.

L'E. La réponse à ta question est courte et facile, ce me semble: on peut appliquer au péon second tout ce qui vient d'être dit du bacchius. Après le crétique, il est permis de mettre soit une longue, soit un iambe, soit un spondée, en observant un silence de trois, de deux ou d'un temps. Et ce qui vient d'être

(1) Où l'amour est sans bornes, l'effort est insensible.

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dit du crétique peut s'appliquer au premier et au dernier péon. Il convient d'ajouter au palimbacchius ou une longue et un spondée, et par conséquent on observera dans ce mètre un silence de trois temps ou d'un seul temps. Il en est de même du troisième péon. L'anapeste est régulier partout où se place le spondée. Quant au molosse, selon le mode de division qu'on emploie, on le fait suivre, soit d'une longue avec un silence de quatre temps, soit de deux longues avec un silence de deux temps. Mais l'oreille (1) et le raisonnement nous ayant découvert qu'on pouvait unir à ce pied tous les pieds de six temps, on pourra le faire suivre d'un iambe, avec un silence complémentaire de trois temps; d'un crétique, avec un silence complémentaire d'un temps; ou enfin d'un bacchius, avec un silence d'égale durée. Et si nous décomposons en deux brèves la première syllabe du crétique et la seconde du bacchius, on pourra le faire suivre du quatrième péon, avec le même silence complémentaire. Et ce que je viens de dire du molosse, je pourrais le dire de tous les autres pieds de six temps. Quant au procéleusmatique, il rentre, selon moi, dans la classe des pieds composés de quatre temps, sauf quand on le fait suivre de trois brèves; ce qui revient à le faire suivre d'un anapeste, là dernière syllabe, à cause du silence, devenant longue. Il est régulier de faire suivre le premier épitrite d'un iambe, d'un bacchius, d'un crétique, d'un quatrième péon. Même remarque pour le second épitrite, à condition d'observer un silence de quatre ou de deux temps. Quant aux deux autres épitrites, on peut- régulièrement les faire suivre d'un spondée ou d'un molosse, à condition toutefois qu'on décompose en deux brèves la première syllabe du spondée, la première ou la deuxième du molosse. Par conséquent on ajoutera à ces mètres un silence de trois temps ou d'un temps. Reste le dispondée. Si on le fait suivre d'un spondée, il faudra ajouter un silence de quatre temps; si on le fait suivre d'un molosse, il faudra ajouter un silence de deux temps, bien entendu, en gardant le privilège de décomposer en deux brèves la syllabe longue du spondée ou du molosse, à l'exception de la finale. Voici le développement que tu m'as invité à faire. Si tu y trouvais quelque chose à reprendre...

(1) Nous lisons sensu et non censu: censu, le calcul des temps, formant avec ratione une tautologie.

CHAPITRE 11. L'IAMBE NE VA PAS BIEN APRÈS LE DITROCHÉE.


12. Le M. Tu te chargeras toi-même de te corriger, en consultant l'oreille. Car, je te le demande, quand je débite ce mètre et que j'en marque le battement: Verus optimus; ou celui-ci: Verus optimorum, ou enfin: Veritatis inops, ce dernier mètre frappe-t-il aussi agréablement ton oreille que les deux premiers? Elle sentira aisément la différence, si tu reprends chaque mesure et si tu la bats en tenant compte des silences complémentaires. - L'E. Il est clair que les deux premiers flattent l'oreille, tandis que le dernier l'offense. - Le M. On aurait donc tort de faire suivre un ditrochée d'un iambe? - L'E. Oui. - Le M. Mais on demeure aisément d'accord que l'iambe va bien après tous les autres pieds, si l'on reprend chaque mètre, en observant la règle des silences:

Fallacem cave.

Male castum cave.

Mutiloquum cave.

Fallaciam cave.

Et invidum cave.

Et infirmum cave (1).

L'E. Je comprends ce que tu veux dire et j'y souscris. - Le M. Vois aussi si tu ne trouves rien de choquant dans là marche de ce mètre qui, avec une interposition d'un silence de deux temps, offre une reprise d'inégale durée. A-t-il la même cadence.que ceux qui viennent d'être cités?

Veraces regnant.

Sapientes regnant.

Veriloqui regnant.

Prudentia regnat.

Bona in bonis regnant.

Pura cuncta regnant (2).

L'E. Mais non: ici il y a une cadence égale et pleine d'harmonie; là, discordante. - Le M. Ainsi nous nous souviendrons que, dans les

(1) Garde-toi-du fourbe. Garde-toi du débauché. Garde-toi du bavard. Garde-toi de la fourberie. Garde-toi aussi de l'envieux, et enfin de l'homme sans énergie.

(2) Les gens sincères sont rois. Les sages sont rois. Ceux qui disent la vérité sont rois. La prudence est reine. Les bons règnent sur les bons. Tout ce qui est pur règne.

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mètres dont les pieds forment six temps, l'iambe termine mal le ditrochée, le spondée, l'antispaste. - L'E. Oui.


13. Le M. Eh quoi! la raison de cette règle ne te semble-t-elle pas incontestable, quand tu viens à songer que le levé et le posé partagent un pied en deux, de telle manière que, s'il se trouve au milieu une ou deux syllabes, elles s'ajoutent soit au commencement soit à la fin du pied, ou se répartissent entre le commencement et la fin? - L'E. Je connais cette règle, elle est exacte. Mais quel rapport a-t-elle avec la question? - Le M. Fais attention à ce que je vais te dire et tu t'expliqueras aisément ce rapport. Tu sais pertinemment, j'imagine, qu'il y a des pieds sans syllabes intermédiaires, comme le pyrrhique et tous les pieds de deux syllabes; qu'il en est d'autres. où le milieu correspond en durée, soit au commencement, soit à la fin; d'autres où il correspond au commencement et à la fin, ou bien ne correspond ni à l'un ni à l'autre: an commencement, comme dans l'anapeste, ou le palimbacchius, ou le premier péon; à la fin, comme dans le dactyle, le bacchius ou le quatrième péon; aux deux, comme dans le tribraque, le molosse, le choriambe et l'ionique majeur ou mineur; il ne correspond ni au commencement ni à la fin dans le crétique, le second et le troisième péons, le diiambe, le ditrochée, l'antispaste. En effet, les pieds qui peuvent se diviser en trois parties égales, ont un milieu qui correspond à la fois au commencement et à la fin. Dans ceux qui n'admettent pas ce mode de division, le milieu correspond soit au commencement,, soit à la fin, ou ne correspond ni à l'un ni à l'autre. - L'E. Je conçois également ce principe et j'attends la conséquence.

Le M. Et que peut-elle être, sinon de te faire sentir que l'iambe, avec un silence complémentaire, va mal. avec un ditrochée, précisément parce que ce pied a un milieu qui n'est égal ni au commencement ni à la fin, et par conséquent que le levé et le posé offrent un rapport différent? On peut en dire autant du spondée, qui va si mal après un antispaste après un silence complémentaire. Aurais-tu quelque objection à me faire? - L'E. Aucune, si ce n'est que le déplaisir causé à l'oreille par cette combinaison de pieds, n'est sensible que par comparaison avec la sensation agréable que nous éprouvons quand ces pieds, avec l'interposition d'un silence, suivent d'autres pieds de six temps. Car si tu me demandais, sans me parler des autres pieds, quelle est la cadence d'un iambe après un ditrochée, d'un spondée après un antispaste, avec un silence, et que tu m'en donnes des exemples, je l'avoue franchement, peut-être le goûterais-je avec délices. - Le M. Je ne t'en empêche pas. Mon seul but est de te montrer que la combinaison de ces pieds, si on la compare à l'alliance de pieds équivalents mais plus harmonieux, blesse l'oreille, comme tu le remarqueras toi-même; elle est répréhensible par cette seule raison que toute discordance entre ces pieds et les pieds de la même famille était condamnable. Ces derniers, en effet, avec le demi-pied qui les terminent, ont, nous le reconnaissons, une marche plus agréable. D'après ce raisonnement, ne te semble-t-il pas qu'on doive éviter de mettre à la suite du second épitrite un iambe avec un silence complémentaire? Dans le second épitrite, en effet, l'iambe est placé au milieu, de telle sorte qu'il ne correspond pas aux temps du commencement et de la fin? - L'E. C'est une conséquence rigoureuse du raisonnement que tu viens de faire.

CHAPITRE XII. TOTAL DES MÈTRES.


14. Le M. A présent récapitule-moi le nombre des mètres dont nous avons déjà parlé; ils sont de deux sortes: commençant par leurs pieds complets, les uns finissent par des pieds également complets, ce qui n'exige l'interposition d'aucun silence pour revenir au commencement; les autres par des pieds incomplets suivis d'un silence, ce qui rétablit, comme nous l'avons vu, leur symétrie. Débute par deux pieds incomplets et va jusqu'à huit pieds complets, sans toutefois dépasser trente-deux temps. - L'E. Le calcul que tu me donnes à faire n'est pas aisé, mais il vaut la peine d'être, fait. Je me rappelle que nous avons compté tout à l'heure 77 mètres, depuis le pyrrhique jusqu'au tribraque, les pieds de deux syllabes donnant chacun naissance à 74 mètres, ce qui fait en tout 56 (1). Quant au tribraque, il produit,

(1) Ces pieds de deux syllabes sont le pyrrhique, l'iambe, le trochée, le spondée (14 X 4 = 56)

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à cause de son double mode de division, 21 mètres. Cela fait 77 mètres. A ces 77 mètres, il faut ajouter les 14 mètres que forme le dactyle et les 14 que forme l'anapeste. Car, si on pose des pieds complets sans aucun silence, depuis deux pieds jusqu'à huit pieds, on trouve 7 mètres. Et si on ajoute les demi-pieds suivis de silence, depuis 1 pied et demi jusqu'à 7 pieds et demi, on arrive également à une somme de 7 mètres pour le dactyle comme pour l'anapeste. Nous avons déjà un total de 15 mètres. Quant au bacchius, il ne peint former de mètres qui aillent jusqu'à huit pieds: car on dépasserait la limite de 32 temps, et il en est de même de tous les pieds de cinq temps. Mais tous ces pieds peuvent atteindre jusqu'à six. Or le bacchius et le second péon qui lui est égal, non-seulement par le nombre des temps, mais encore par le mode de division, de 2 à 6 pieds, sans silence complémentaire, produisent chacun 5 mètres lorsqu'ils commencent par un demi-pied avec un silence, et vont jusqu'à cinq demi-pieds; ils en forment aussi chacun cinq, si on les fait suivre d'une longue; 5 encore, si on les fait suivre d'une brève et d'une longue. Ils donnent donc naissance chacun à 15 mètres, au total 30. Nous voici donc arrivés en tout au nombre de 135.

Le crétique et les pieds qui admettent le même mode de division, le premier et le quatrième péon, admettant après eux une longue, un iambe, un spondée, un anapeste, forment 75 mètres. Ces trois pieds, en effet, forment chacun 5 mètres sans silence, et avec un silence, 20,nombres qui, ajoutés entre eux, donnent un total de 75 mètres, comme je viens de le dire. Ajoutons cette somme a la somme déjà obtenue et nous aurons un total de 210. Le palimbacchius et le troisième péon, qui ont un mode de division analogue, forment chacun 5 mètres quand ils sont complets, avec silence complémentaire; ils en forment 5 s'ils sont suivis d'une longue; d'un spondée, 5; d'un anapeste, 5. Ajoutons ces 40 mètres au nombre déjà trouvé et nous aurons un total de 250.


15. Le molosse et les autres pieds de 6 temps, en tout 7,forment chacun, quand ils sont complets, 4 mètres; avec un silence, comme ils peuvent être tous suivis d'une longue, d'un iambe, d'un spondée, d'un anapeste, d'un bacchius, d'un crétique, d'un quatrième péon, ils forment chacun 28 mètres, en tout 996 qui, ajoutés aux 4 premiers, nous font arriver au chiffre de 224. Mais il faut déduire de cette somme huit mètres, l'iambe n'allant pas bien après le ditrochée, ni le spondée après l'antispaste. Reste donc 296 mètres qui, ajoutés à la somme précédente, font un total de 466. Quant au procéleusmatique, quoiqu'il ait de l'affinité avec ces pieds, on n'a pu en tenir compte à cause des demi-pieds, dont il est suivi en trop grand nombre. Car on peut le faire suivre d'une longue avec un silence, aussi bien que le dactyle et les pieds analogues, en observant, sur une longue, un silence d'un temps; pour trois brèves, un silence d'un temps, ce qui rend la finale longue.

Les épitrites, quand ils sont complets, donnent naissance chacun à trois mètres, de 2 à 4 pieds; car si on ajoutait un cinquième pied, on irait, contre la règle, au delà de trente-deux temps. Avec un silence, le premier et le second épitrite forment chacun 3 mètres, si on les fait suivre d'un iambe; 3,si on les fait suivre d'un bacchius; 3,si on les fait suivre d'un crétique; 3,si on les fait suivre d'un quatrième péon. Ajoutés aux 3 mètres qui sont complets, on a un total de 30. Le troisième et .le quatrième épitrite produisent chacun 3 mètres, sans silence complémentaire; unis au spondée, 3; à l'anapeste, 3; au molosse, 3; à l'ionique mineur, 3; au choriambe, 3. Somme qui, ajoutée à celle des mètres qu'ils forment sans silence, font un total de 36. Les épitrites forment donc 66 mètres: ajoutés aux 21 du procéleusmatique, et au total précédent, ils font un chiffre de 553. Reste le dispondée qui, quand il est complet, forme trois mètres, et, quand il est suivi d'un silence, 3 avec un spondée, 3 avec un anapeste, 3 avec un molosse, 3 avec un ionique mineur, 3 avec un choriambe, nombre qui, ajouté à celui des mètres complets, s'élève à 18. Le chiffre total des mètres est donc de 571.

CHAPITRE XIII. MÉTHODE POUR BATTRE LA MESURE DES MÉTRES ET POUR INTERPOSER LES SILENCES.


16. Le M. Ce nombre serait exact, s'il ne fallait retrancher trois mètres du total; car on ne doit pas mettre d'iambe après le second

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épitrite (1). Du reste, c'est fort bien. Maintenant une autre question. Quel effet, dis-moi, produit sur ton oreille ce mètre:

Triplici vides ut ortu Triviae rotetur ignis (2).

L'E. Un effet charmant. - Le M. Pourrais-tu me dire de quelle sorte de pieds il se compose? - L'E. Je ne le puis. Les pieds dont je marque la mesure ne forment point un ensemble harmonieux. Si je commence par un pyrrhique ou un anapeste, ou un troisième péon,, les pieds suivants ne vont plus avec eux. Je trouve bien, après le troisième péon, un crétique suivi d'une longue, alliance que le crétique permet. Mais un mètre composé de cette espèce de pieds ne peut être régulier qu'en interposent un silence de trois temps. Or, il n'y a ici aucun silence, puisqu'on recommence immédiatement la mesure et que c'est là ce qui, fait sa grâce. - Le M. Vois donc si tu ne pourrais commencer par un pyrrhique; puis mesurons par le battement un ditrochée et un spondée qui complètent les deux temps qu'offre le commencement du mètre

Triplici vides ut ortu Triviae rotetur ignis.

On peut aussi commencer par un anapeste, puis mesurer par le battement un diiambe, de sorte que la syllabe longue qui reste réunie aux quatre temps de l'anapeste fasse six temps complets qui répondent à ceux du diiambe. Et par là tu peux comprendre qu'on peut placer des tronçons de pied non-seulement à la fin, mais encore au commencement du mètre. - L'E.: Je le comprends.


17. Le M. Et si je retranche la finale longue, de façon à ce que le mètre devienne celui-ci:

Segetes meus labor;

Ne vois-tu pas que je fais la reprise avec un silence de deux temps? D'où il est évident qu'on peut placer une partie de pied au commencement, un autre à la fin et en remplacer un autre par un silence.- L'E. Cela est également évident. - Le M. C'est ce qui arrive, si dans ce mètre on bat la mesure d'un ditrochée

(1) L'élève, on l'a vu, avait combiné un second épitrite avec un iambe suivi d'un silence.

(2) Tu vois comme le triple lever d'Hécate fait tourbillonner la flamme.

complet. Car si on bat la mesure d'un diiambe et qu'on commence par un anapeste, tu vois bien qu'on met au commencement une frac. tion de pied de 4 temps et qu'il en faut encore deux que l'on complète avec un silence à li fin. Cela nous apprend qu'un mètre peut commencer par une fraction de pied et finir par un pied complet, mais jamais sans silence. - L'E. C'est un point également hors de doute, - Le M. Eh bien! pourrais-tu battre la me. sure de ce mètre et dire de quels pieds il se compose?

Jam satis terris nivis atque dirae

Grandinis misit Pater, et rubente

Dextera sacras jaculatus arces (1).

L'E. Je puis mettre en tête un crétique, je trouve ensuite deux pieds de six temps, à sa. voir, un ionique majeur et un ditrochée, puis j'observe un silence d'un temps qui s'ajoute au crétique pour compléter les six temps.

Le M. Il y a une erreur assez grave dans cette mesure; la voici: lorsqu'un ditrochée est à la fin du mètre, s'il y a un silence complémentaire, la finale, qui est naturellement brève, devient longue pour l'oreille. Le nieras tu? - L'E. Loin de là, j'en demeure d'accord. - Le M. Ainsi donc on ne peut terminer un mètre par un ditrochée, sauf le cas où il n'1 aurait aucun silence complémentaire, si on veut éviter de faire entendre un épitrite second à la place du ditrochée. - L'E. C'est évident. - Le M. Comment donc trouver la mesure de ce mètre? - L'E. Je n'en sais rien.


Augustin, de la musique - CHAPITRE IV. DU MÈTRE IAMBIQUE.