Augustin, les Psaumes

DISCOURS SUR LES PSAUMES.


1

DISCOURS SUR LE PSAUME I.

Ps 1

L'homme céleste et l'homme terrestre. - Le premier est Jésus Christ, le second est Adam pécheur. - Jésus-Christ ayant évité les piéges dans lesquels Adam trouva la mort, aura dans l'Eglise une postérité que formeront les saints. - Adam pécheur sera le père des impies.

101 1. «Bienheureux l'homme qui ne s'est point laissé aller au conseil des impies (Ps 1,1)» Cette bénédiction doit s'appliquer à Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est l'homme divin (Rétract. 11X). «Bienheureux l'homme qui ne s'est point laissé aller au conseil des impies», comme l'Adam terrestre, qui écouta sa femme séduite par le serpent, et méprisa le précepte du Seigneur (Gn 3,6). «Et qui ne s'est pas arrêté dans la voie des pécheurs». A la vérité, Jésus-Christ est venu dans la voie du péché, puisqu'il est né comme les pécheurs, mais il ne s'y est pas arrêté, car il ne s'est pas épris des attraits du monde. «Et ne s'est point assis dans la chaire de pestilence». Car il ne voulut point avoir sur la terre un trône fastueux, et voilà ce qui est justement appelé trône pestilentiel; de même en effet que l'amour de la domination, que l'appétit de la vaine gloire se glisse dans presque toute âme humaine; de même la peste est cette maladie qui se répand au loin, attaquant tous les hommes ou à peu près. Une chaire de pestilence se dirait mieux néanmoins d'une doctrine perverse, dont l'enseignement est envahissant comme la gangrène (2Tm 2,17). Voyons ensuite la gradation de ces termes : «S'en aller, s'arrêter, s'asseoir». L'homme s'en est allé, quand il s'est retiré de Dieu; il s'est arrêté, quand il a pris plaisir au péché; il s'est assis, quand affermi dans son orgueil, il n'a pu retourner sans avoir pour libérateur celui qui ne s'est point laissé aller au conseil de l'impie, ne s'est point arrêté dans la voie des pécheurs, ni assis dans la chaire de pestilence.

102 2. «Mais qui s'est complu dans la loi du Seigneur, et qui méditera cette loi jour et nuit (Ps 1,2)». La loi n'est pas établie pour le juste (1Tm 1,9), a dit l'Apôtre. Mais être dans la loi n'est pas être sous la loi. Etre dans la loi, c'est l'accomplir; être sous la loi, c'est en recevoir l'impulsion. Dans le premier cas, c'est la liberté, dans le second, c'est l'esclavage. Autre encore est la loi écrite qui s'impose à l'esclave, et autre la loi que lit, dans son coeur, celui qui n'a pas besoin de loi écrite. «Méditer la loi jour et nuit», signifie la méditer continuellement, ou bien «le jour» s'entendra de la joie, et «la nuit», de la tribulation; car il est dit: «Abraham vit mon jour et il en tressaillit de joie (Jn 8,56)»; et à propos de la tribulation, le Psalmiste a dit: «Bien avant dans la nuit, mon coeur a été dans l'angoisse (Ps 15,7).

103 3. «Il sera comme l'arbre planté près du courant des eaux», c'est-à-dire près de la Sagesse elle-même, qui a daigné s'unir à l'homme pour notre salut, afin que l'homme fût un arbre planté près du courant des eaux; car c'est ainsi qu'on peut entendre cette autre parole du Psalmiste: «Le fleuve de Dieu  (122) est rempli d'eau (Ps 64,10)». On peut encore entendre par les eaux, l'Esprit-Saint, dont il est dit: «C'est lui qui vous baptisera dans l'Esprit-Saint (Mt 3,11)»; et cette autre: «Qu'il vienne, celui qui a soif, et qu'il boive (Jn 7,37)»; et encore «Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te demande à boire, tu  lui en aurais u demandé toi-même, et il t'aurait donné cette eau vive qui étanche pour jamais la soif de celui qui en a bu; et qui devient en lui une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle(Jn 4,10-14)» . Ou bien, «près du courant des eaux»signifiera près des péchés des peuples; dans l'Apocalypse, en effet, les eaux désignent les peuples (Ac 17,15), et le courant se dirait de la chute qui est le propre du péché. Cet arbre donc, c'est Notre-Seigneur, qui prend les eaux courantes, ou les peuples pécheurs, et se les assimile par les racines de son enseignement;» il «donnera du fruit», c'est-à-dire établira des églises, «en son temps», quand il aura été glorifié en ressuscitant et en montant au ciel. Ayant alors envoyé l'Esprit-Saint aux Apôtres, qu'il confirma dans la confiance en lui-même, et dispersa parmi les peuples, il recueillit pour fruits les églises. «Et son feuillage ne tombera point», car sa parole ne sera point inutile : «Toute chair, en effet; n'est qu'une herbe, toute beauté de l'homme est comme la fleur des champs; l'herbe s'est fanée, la fleur est tombée, mais la parole de Dieu demeure éternellement(Is 11,6-8)». «Et tout ce qu'il  établira, sera dans la prospérité», c'est-à-dire tout ce que portera cet arbre; car cette généralité embrasse les fruits et les feuilles, ou les actes et les paroles.

104 4. «Il n'en est pas ainsi de l'impie, vaine poussière que le vent soulève de la surface  de la terre (Ps 1,4)». Terre se dit ici de la permanence qui est le propre de Dieu, et dont il est écrit: «Le Seigneur est la part de mon héritage, et cet héritage m'est glorieux (Ps 15,7)». Et ailleurs: «Attends le Seigneur, garde ses voies, et il t'élèvera jusqu'à te mettre en  possession de la terre (Ps 36,34)»; et encore: «Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre (Mt 5,4)». Voici, en effet, le point de comparaison: c'est que la terre invisible sera pour l'homme intérieur ce qu'est pour l'homme extérieur cette terre visible qui lui donne l'aliment et l'espace. C'est de la surface de cette terre invisible que le vent ou l'orgueil qui enfle (1Co 8,1), chassera l'impie. Mais celui qui s'enivre de l'abondance qui règne en la maison de Dieu, qui s'abreuve au torrent de ses voluptés, se prémunit contre l'orgueil et dit: «Loin de moi le pied de l'orgueilleux (Ps 35,9-12)». De cette terre encore l'orgueil a banni celui qui disait: « Je placerai mon trône vers l'Aquilon, je serai semblable au Très-Haut (Is 14,13-14)». Enfin, de cette terre l'orgueil a expulsé celui qui osa goûter du fruit défendu, afin de devenir semblable à Dieu, et voulut se dérober à la présence du Seigneur (Gn 3,6-8). Voici des paroles de l'Ecriture qui nous font bien comprendre que cette terre est l'apanage de l'homme intérieur, et que l'orgueil en a expulsé l'homme du péché: «De quoi t'enorgueillir, cendre et poussière? pendant ta vie, tu as rejeté loin de toi ton intérieur (Si 10,9-10)»; d'où l'on peut dire avec raison que s'il est rejeté, c'est par lui-même.

105 5. «Aussi, l'impie ne doit-il point ressusciter pour le jugement (Ps 1,5)», puisqu'il est balayé de la terre comme une vaine poussière. C'est avec justice que le Psalmiste dit ici que l'orgueilleux sera frustré de ce qu'il ambitionne, ou du pouvoir de juger: aussi nous fait-il mieux comprendre cette parole dans la phrase suivante: «Ni le pécheur dans l'assemblée des justes». Il est d'ordinaire, dans l'Ecriture, que la seconde partie du verset explique la première, en sorte que «par l'impie» on doit entendre le pécheur, et par «le jugement», l'assemblée des justes. Ou du moins, s'il y a entre l'impie et le pécheur cette différence que tout impie soit pécheur, quoique tout pécheur ne soit pas toujours impie, «l'impie ne ressuscitera point pour le jugement», c'est-à-dire qu'il ressuscitera, sans aucun doute, mais non pour être jugé, car il est déjà condamné à des peines indubitables. «Mais le pécheur ne se relèvera point dans l'assemblée des  justes», ou pour juger, mais bien pour être jugé, comme il est dit de lui: «Le feu doit éprouver l'oeuvre de chacun: celui dont l'ouvrage pourra résister, en recevra la récompense; celui dont l'ouvrage sera consumé en subira la peine; lui cependant sera «sauvé, mais comme par le feu (1Co 3,13-15)». (123) 

106 6. «Le Seigneur, en effet, connaît la voie des justes (Ps 1,6)». Comme on dit: «La médecine connaît la guérison, mais non la maladie», et toutefois la maladie elle-même est connue par l'art médical; on peut dire dans le même sens que Dieu connaît la race des justes, et non la race des impies; non pas que Dieu ignore quelque chose, bien qu'il dise aux pécheurs: «Je ne vous connais-point (Mt 7,23)». «Mais la voie de l'impie doit périr», se dit dans le même sens que si on lisait: Le Seigneur ne connaît point la voie de l'impie. Mais nous voyons clairement par là que celui qui est ignoré de Dieu doit mourir, comme celui qui en est connu doit subsister. En Dieu, être connu, c'est être; être ignoré, c'est n'être pas. Il a dit en effet: «Je suis celui qui suis», et «Celui qui est, m'a envoyé (Ex 3,14)».



DISCOURS SUR LE PSAUME II - L'ÉGLISE ET SES PERSÉCUTEURS.

2Ps 2


Les méchants veulent secouer le joug de Dieu et de son Christ; mais il a établi, ce Christ chef de sou royaume ou de l'Eglise qui s'étendra partout. Comprenez cette puissance, et faites-vous de la foi un abri contre ses vengeances.

201 1. «A quoi bon ce frémissement des nations, et ces vaines machinations des  peuples? Les rois de la terre se sont levés, les princes ont formé des ligues contre le Seigneur et contre son Christ (Ps 2,1-2)» . Le psalmiste dit: «A quoi bon», comme il dirait: C'est en vain; car ces ligueurs n'ont pas atteint le but qu'ils se proposaient, l'extinction du Christ: c'est la prédiction des persécuteurs de Jésus dont il est fait mention dans les Actes des Apôtres (Ac 4,26).

202 2. «Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de nous (Ps 2,3)». Bien que ces paroles soient susceptibles d'un autre sens, il est mieux de les appliquer à ceux dont le Prophète a dit qu'ils machinaient en vain; en sorte que «brisons leurs chaînes, et rejetons leur joug loin de nous», signifie: appliquons-nous à éluder les devoirs et à rejeter le fardeau de la religion chrétienne.

203 3. «Celui qui habite dans les cieux se rira d'eux, le Seigneur les persiflera (Ps 4)». La même pensée est deux fois exprimée: car au lieu de: «Celui qui habite dans les cieux», le Psalmiste a dit: «Le Seigneur»; et «se rira», est remplacé par «persiflera». Gardons-nous toutefois d'entendre ces expressions d'une manière humaine, comme si Dieu plissait des lèvres pour rire, et des narines pour se moquer. Il faut entendre par là, le pouvoir qu'il donne à ses élus de lire dans l'avenir, d'y voir le nom du Christ se transmettant jusqu'aux derniers humains, s'emparant de tous les peuples, et de comprendre ainsi combien sont vaines les trames des méchants. Ce pouvoir qui leur découvre cet avenir, c'est la moquerie et le persiflage de Dieu. «Celui qui habite les cieux se rira d'eux». Si, par les cieux, nous comprenons les âmes saintes, c'est en elles que le Seigneur connaissant ce qui doit arriver, se rit des vains complots et tourne en dérision.

204 4. «Alors il leur parlera dans sa colère, et les confondra dans sa fureur (Ps 2,5)». Pour nous mieux préciser l'effet de cette parole, David a dit: «Il les confondra»; en sorte que «la colère» de Dieu est identique «à sa fureur». Mais cette colère et cette fureur du Seigneur Dieu, ne doit pas s'entendre d'une perturbation de l'âme; c'est le cri puissant de la justice dans toute créature, soumise à Dieu pour le servir. Car il faut bien nous rappeler et croire ce qu'a écrit Salomon: «Pour toi, ô Dieu de force, tu es calme dans tes jugements, et tu nous gouvernes avec une sorte (124) de respect (Sg 12,18)». En Dieu donc, la colère est ce mouvement qui se produit dans une âme connaissant la loi de Dieu, quand elle voit cette même loi violée par le pécheur; elle est cette indignation des âmes justes qui flétrit par avance bien des crimes. Cette colère de Dieu pourrait fort bien se dire encore des ténèbres de l'esprit qui envahissent tout infracteur de la loi de Dieu.

205 5. «Moi, je suis établi par lui, pour régner en Sion, sur la montagne sainte, pour prêcher sa loi (Ps 2,6)». Ces paroles s'appliquent évidemment à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Si, pour nous, comme pour beaucoup d'autres, Sion veut dire contemplation, nous ne pouvons mieux l'entendre que de l'Eglise, dont l'âme s'élève chaque jour pour contempler en Dieu ses splendeurs, selon ce mot de l'Apôtre: «Nous verrons à découvert la gloire du  Seigneur (2Co 3,18)»; voici donc le sens: «Moi, je suis  établi par lui pour régner sur la sainte Eglise», appelée ici montagne à cause de sa hauteur et de sa solidité. «C'est moi qu'il  a établi roi»: moi, dont les impies cherchaient à briser les chaînes et à secouer le joug. «Pour prêcher sa loi»: qui ne comprendrait cette expression, en voyant la pratique de chaque jour?

206 6. «Le Seigneur m'a dit: Tu es-mon Fils; je t'ai engendré aujourd'hui (Ps 2,7)». Dans ce jour, on pourrait voir la prophétie du jour où Jésus-Christ naquit en sa chair. Néanmoins comme «aujourd'hui» indique l'instant actuel, et que dans l'éternité, il n'y a ni un passé qui ait cessé d'être, ni un futur qui ne soit pas encore, mais seulement un présent; car tout ce qui est éternel est toujours cette expression: «Aujourd'hui, je t'ai engendré», s'entendra dans le sens divin, selon lequel la foi éclairée et catholique professe la génération ininterrompue de la puissance et de la sagesse de Dieu, qui est son Fils unique.

207 7. «Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage (Ps 8)». Ceci n'est plus éternel, et s'adresse au Verbe fait homme, qui s'est offert en sacrifice, à la place de tous les sacrifices, « qui intercède encore pour nous (Rm 8,34)»; en sorte que c'est à Jésus-Christ, dans l'économie temporelle de l'Incarnation opérée pour le genre humain, qu'est adressée cette parole: «Demande-moi»: oui, demande que tous les peuples soient unis sous le nom chrétien, afin qu'ils soient rachetés de la mort, et deviennent la possession de Dieu. «Je te donnerai les nations en héritage», afin que tu les possèdes pour leur salut, et qu'elles te produisent des fruits spirituels. «Et ta possession s'étendra jusqu'aux confins de la terre». C'est la même pensée répétée. «Les confins de la terre» sont mis ici pour les nations, mais dans un sens plus clair, afin que nous comprenions toutes les nations: le Psalmiste a dit «possession» au lieu de «héritage».

208 8. «Tu les gouverneras avec un sceptre de fer», dans l'inflexible justice. «Tu les briseras comme un vase d'argile (Ps 2,9)», c'est-à-dire tu briseras en eux les passions terrestres, les immondes soucis du vieil homme, et tout ce qu'il a puisé, pour se l'inculquer, dans la fange du péché. «Et maintenant, ô rois, comprenez» (Ps 2,10)». «Maintenant», c'est-à-dire, quand vous aurez une vie nouvelle, ayant brisé cette enveloppe de boue, ces vases charnels de l'erreur, qui sont l'apanage de la vie passée, oui, «alors comprenez, vous qui êtes rois», puisque vous pouvez d'une part diriger tout ce qu'il y a chez vous de servil et d'animal, et d'autre part combattre, non comme frappant l'air, mais châtiant vos corps et les réduisant en servitude (1Co 9,26-27). «Instruisez-vous, vous tous qui jugez la terre». C'est une répétition. «Instruisez-vous» est mis pour «comprenez»; et, «vous qui jugez la terre», pour «vous qui êtes rois». Le Prophète veut dire que l'homme spirituel doit juger la terre; car ce que nous jugerons nous est inférieur; et tout ce qui est inférieur à l'homme spirituel, peut bien s'appeler terre, puisqu'il est meurtri par la chute terrestre.

209 9. «Servez le Seigneur avec crainte (Ps 2,11)»; parole qui prévient l'orgueil que nous donnerait cette autre: «O rois qui jugez la terre». «Et tressaillez en lui avec tremblement». «Tressaillez», est fort bien ici pour corriger ce qu'aurait de pénible: «Servez. le Seigneur avec crainte». Mais afin que cette jubilation n'aille point jusqu'à la témérité, le Prophète ajoute: «avec tremblement»: ce qui nous invite à garder avec soin et vigilance le principe de la sanctification. «Et maintenant comprenez, ô rois», peut encore. s'entendre (125) ainsi: Et maintenant que je suis constitué roi, ne vous en affligez point, ô rois de la terre, comme d'un empiétement sur vos privilèges; mais plutôt instruisez-vous et comprenez qu'il vous est avantageux de vivre sous la tutelle de celui qui vous donne l'intelligence et l'instruction. L'avantage qui vous en reviendra, sera de ne point régner à l'aventure, mais de servir avec tremblement le Seigneur de tous, de vous réjouir dans l'attente d'une félicité sans mélange, vous tenant en garde et dans la circonspection contre l'orgueil qui vous en ferait déchoir.

210 10. «Emparez-vous de la doctrine, de peur qu'un jour le Seigneur n'entre en colère, et que vous ne perdiez la voie de la justice (Ps 2,2)». C'est ce qu'a déjà dit le Prophète: «Instruisez- vous et comprenez»; car s'instruire et comprendre, c'est s'emparer d'une doctrine. Cependant l'expression: «apprehendite, emparez-vous», désigne assez clairement un certain abri, un rempart contre tout ce qui pourrait arriver, si l'on apportait moins de soin à s'emparer. «De peur qu'un jour le Seigneur ne s'irrite», renferme un certain doute, non point dans la vision du prophète, qui en a la certitude, mais dans l'esprit de ceux qu'il avertit; car ceux qui n'ont point une révélation claire de la colère n'y pensent d'ordinaire qu'avec doute. Ceux-là donc doivent se dire: «Emparons-nous de la doctrine, de  peur que le Seigneur ne s'irrite, et que nous ne perdions la voie de la justice». Déjà nous avons exposé plus haut comment «s'irrite le Seigneur (Sup. n. 4)». «Et que vous perdiez la voie de la justice». C'est là un grand châtiment, que redoutent ceux qui ont déjà goûté les douceurs de la justice. Celui qui perd la voie de la justice, doit errer misérablement dans les voies de l'iniquité.

211 11. «Quand bientôt s'enflammera sa colère, bienheureux ceux qui auront mis en lui leur confiance (Ps 2,13)». C'est-à-dire, quand éclatera cette vengeance qui est préparée aux pécheurs et aux impies, non-seulement elle épargnera ceux qui auront mis leur confiance dans le Seigneur, mais elle servira à leur établir, à leur élever un trône bien haut. Le Prophète ne dit pas: «Quand bientôt s'enflammera sa colère, ceux qui se confient en lui seront en sûreté»; comme s'ils devaient seulement échapper à la vengeance: mais il les appelle «bienheureux», ce qui exprime la somme, le comble de tous les biens. Quant à l'expression: «In brevi, bientôt», elle signifie, je crois, quelque chose de soudain, pour les pécheurs, qui ne l'attendront que dans un lointain avenir.



DISCOURS SUR LE PSAUME 3 - DAVID EN FACE D'ABSALON OU JÉSUS EN FACE DE JUDAS.

3 Ps 3  

L'Eg1ise triomphe de ses persécuteurs, et l'âme chrétienne de ses passions.

PSAUME DE DAVID QUAND IL FUYAIT DEVANT LA FACE DE SON FILS ABSALON.

301 1. Ces paroles du psaume: «Je me suis endormi, j'ai pris mon sommeil; puis je me suis éveillé, parce que le Seigneur est mon protecteur (Ps 3,6)», nous font croire qu'il faut l'appliquer à la personne du Christ; car elles conviennent beaucoup mieux à la passion et à la résurrection du Seigneur, qu'à ce fait que nous raconte l'histoire, que David s'enfuit devant la face de son fils révolté contre lui (2S 15,17). Et comme il est écrit des disciples du Christ: «Tant que l'époux est avec eux, les fils de (126) l'époux ne jeûnent point (Mt 9,15)»; il n'est pas étonnant qu'un fils impie soit la figure de ce disciple impie qui trahit son maître. Au point de vue historique, on pourrait dire, il est vrai, que le Christ a fui devant lui, alors qu'il se retira sur la montagne avec les autres, quand le disciple se séparait de lui; mais au sens spirituel, quand le Fils de Dieu, la force et la sagesse de Dieu, se retira de l'âme de Judas, le démon l'envahit aussitôt, ainsi qu'il est écrit: «Le diable entra dans son coeur (Jn 13,2)»; on peut dire alors que le Christ s'enfuit de Judas; non pas que le Christ ait cédé devant le diable, mais bien qu'après la sortie du Christ, le diable prit possession. Cet abandon de la part de Jésus, est appelé une fuite par le Prophète, selon moi, parce qu'il se fit promptement. C'est encore ce que nous indique cette parole du Seigneur: «Fais promptement ce que tu fais (Jn 13,27)». Il nous arrive aussi de dire en langage ordinaire: Cela me fuit ou m'échappe, quand quelque chose ne revient point à notre pensée, et l'on dit d'un homme très-savant que rien ne lui échappe. Ainsi la vérité échappait à l'âme de Judas quand elle cessa de l'éclairer. Absalon, d'après plusieurs interprètes, signifie, en langue latine, Paix de son père. Il paraît sans doute étonnant que, soit Absalon qui, selon l'histoire des rois, fit la guerre à son père, soit Judas, que l'histoire du Nouveau Testament nous désigne comme le traître qui livra le Seigneur, puisse être appelé Paix de son père. Mais un lecteur attentif voit que dans cette guerre, il y avait paix dans le coeur de David, pour ce fils dont il pleura si amèrement le trépas, en s'écriant: «Absalon, mon fils, qui me donnera de mourir pour toi (2S 18,33)?» Et quand le récit du Nouveau Testament nous montre cette grande, cette admirable patience du Seigneur, qui tolère Judas comme s'il était bon; qui n'ignore point ses pensées, et néanmoins l'admet à ce festin où il recommande et donne à ses disciples son corps et son sang sous des figures; qui, dans l'acte même de la trahison, l'accueille par un baiser, on voit aisément que le Christ ne montrait que la paix au traître, alors que le coeur de celui-ci était en proie à de si criminelles pensées. Absalon est donc appelé Paix de son père, parce que son père avait pour lui des sentiments de paix, dont ce criminel était loin.

302 2. «Seigneur, combien sont nombreux ceux qui me persécutent (Ps 3,2)!» Si nombreux, que même parmi mes disciples, il s'en trouve pour grossir la foule de mes ennemis: «Combien se soulèvent contre moi; combien de  voix crient à mon âme: Point de salut pour toi en ton Dieu ! (Ps 3,3)» Il est évident que s'ils croyaient à sa résurrection ils ne le mettraient point à mort. De là viennent ces provocations: «S'il est Fils de Dieu, qu'il descende de la croix»; et: «Il a sauvé les autres, et ne peut se sauver (Mt 27,42)». Judas lui-même ne l'aurait donc point livré s'il n'eût été du nombre de ceux qui disaient au Christ avec mépris: «Point de salut pour lui, en son Dieu».

303 3. «Mais toi, ô Dieu, tu es mon protecteur (Ps 3,4).» C'est dans son humanité que Jésus parle ainsi à son Père; car pour protéger l'homme, le Verbe s'est fait chair. «Vous êtes ma gloire». Il appelle Dieu sa gloire, cet homme auquel s'est uni le Verbe de Dieu, de manière à le faire Dieu avec lui. Belle leçon aux superbes, qui ferment l'oreille quand on leur dit: «Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu? et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier,  comme si vous n'aviez point reçu (1Co 4,7)?» «C'est vous, Seigneur, qui relevez ma tête». La tête, selon moi, se dit ici de l'esprit humain, qui est bien la tête de notre âme; et cette âme s'est tellement unie, et en quelque sorte mélangée par l'Incarnation, à la sublime grandeur du Verbe, que les opprobres de la passion ne l'ont point fait déchoir.

304 4. «De ma voix j'ai crié vers le Seigneur (Ps 3,5)»: non pas de cette voix corporelle, qui devient sonore par la répercussion de l'air; mais de cette voix du coeur, que l'homme n'entend point, mais qui s'élève à Dieu comme un cri; de cette voix de Susanne () qui fut exaucée, et avec laquelle Dieu nous a recommandé de prier, dans nos chambres closes, ou plutôt sans bruit, et dans le secret des coeurs (Mt 6,6). Et que l'on ne dise point qu'il y a moins de supplication dans cette voix, quand notre bouche ne laisse entendre aucune parole sensible: puisque dans la prière silencieuse de notre coeur, une pensée étrangère au sentiment de nos supplications nous empêche de dire: «Ma voix s'est élevée jusqu'au Seigneur». Cette parole n'est vraie en nous que quand l'âme, s'éloignant, dans l'oraison, et de la chair, et de (127) toute vue terrestre, parle seule à seul au Seigneur qui l'entend. Elle prend le nom de cri, à cause de la rapidité de son élan. «Et il m'a exaucé du haut de sa montagne sainte». Un autre prophète appelle montagne le Seigneur lui-même, quand il écrit qu'une pierre détachée sans la main d'un homme, s'éleva comme une grande montagne (Da 2,35). Mais cela ne peut s'entendre de sa personne même, à moins de faire dire au Christ: Le Seigneur m'a exaucé, «de moi-même» comme de sa montagne sainte, car il habite en moi comme en sa hauteur. Mais il est mieux et plus court d'entendre que le Seigneur l'a exaucé du haut de sa justice. Car il devait à sa justice de ressusciter l'innocent mis à mort, à qui l'on a rendu le mal pour le bien, et de châtier ses persécuteurs. Nous lisons en effet que «la justice de Dieu est élevée comme les montagnes (Ps 35,7)».

305 5. «Pour moi, je me suis endormi, j'ai pris mon sommeil (Ps 3,6)». Il n'est pas inutile de remarquer cette expression, «pour moi», qui montre que c'est par sa volonté qu'il a subi la mort, selon cette parole: «C'est pour cela que mon Père m'aime, parce que je donne ma vie, afin que je la reprenne de nouveau. Nul ne me l'ôte: j'ai le pouvoir de la donner, comme j'ai le pouvoir de la reprendre (Jn 10,17-18)». Ce n'est donc pas vous, dit-il, qui m'avez saisi malgré moi, et qui m'avez tué: mais «moi, j'ai dormi, j'ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur me protège». Mille fois dans l'Ecriture le sommeil se dit pour la mort; ainsi l'Apôtre a dit: «Je ne veux rien vous laisser ignorer, mes frères, au sujet de ceux qui dorment (1Th 4,12)». Ne demandons point pourquoi le Prophète ajoute: «J'ai pris mon sommeil», après avoir dit: «J'ai dormi». Ces répétitions sont d'usage dans les Ecritures, comme nous en avons montré beaucoup dans le psaume second. Dans d'autres exemplaires, on lit: « J'ai dormi, j'ai goûté un profond sommeil», et autrement encore en d'autres comme ils ont pu comprendre ces mots du grec, ego de ekoimeten kai uposa. Peut-être l'assoupissement désignerait-il le mourant, et le sommeil celui qui est mort, puisque l'on passe de l'assoupissement au sommeil, comme de la somnolence à la veille complète. Gardons-nous de ne voir dans ces répétitions des livres saints que de futiles ornements du discours. «Je me suis assoupi, j'ai dormi profondément», se dit très-bien pour: Je me suis abandonné aux douleurs que la mort a couronnées. «Je me suis éveillé, parce que le Seigneur me soutiendra (Ps 3,6)». Remarquons ici que dans le même verset, le verbe est au passé, puis au futur. Car «j'ai dormi» est du passé; et «soutiendra» est au futur; comme si le Christ ne pouvait en effet ressusciter que par le secours du Seigneur. Mais dans les prophéties, le futur se met pour le passé, avec la même signification. Ce qui est annoncé pour l'avenir est au futur selon le temps, mais dans la science du Prophète, c'est un fait accompli. On trouve aussi des expressions au présent, et qui seront expliquées à mesure qu'elles se présenteront.

306 6. «Je ne craindrai pas cette innombrable «populace qui m'environne (Ps 3,7)».  L'Evangile a parlé de cette foule qui environnait Jésus souffrant sur la croix (Mt 27,39). «Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu (Ps 3,7)». Cette expression, «lève-toi», ne s'adresse pas à un Dieu qui sommeille, ou qui se repose; mais il est d'ordinaire, dans les saintes Ecritures, d'attribuer à la personne de Dieu ce qu'il fait en nous: non point toujours, sans doute, mais quand cela se peut dire convenablement, comme on dit que c'est Dieu qui parle, quand un prophète ou un apôtre, ou quelque messager de la vérité, a reçu de lui le don de parler. Delà ce mot de saint Paul: «Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par ma bouche?» Il ne dit pas: De celui qui m'éclaire, ou qui m'ordonne de parler; mais il attribue sa parole même à celui qui l'a chargé de l'annoncer.

307 7. «Parce que c'est toi qui as frappé tous ceux qui s'élevaient contre moi sans motif (2Co 13,3)». N'arrangeons point les paroles, de manière à ne former qu'un même verset: «Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu, voilà que tu as frappé tous ceux qui s'élevaient contre moi sans motif». Si le Seigneur l'a sauvé, ce n'est point parce qu'il a frappé ses ennemis, il ne les a frappés au contraire qu'après l'avoir sauvé. Ces paroles appartiennent donc à ce qui suit, de manière à former ce sens: «Voilà que tu as frappé ceux qui s'élevaient contre moi sans motif, tu as brisé les dents des (128) pécheurs (Ps 3,9)»: c'est-à-dire, c'est en brisant les dents des pécheurs, que tu as frappé mes adversaires. C'est en effet le châtiment des adversaires qui a brisé leurs dents, ou plutôt anéanti et comme réduit en poussière les paroles des pécheurs qui déchiraient le Fils de Dieu par leurs malédictions: ces dents seraient alors des malédictions, dans le même sens que l'Apôtre a dit: «Si vous vous mordez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous détruisiez les uns les autres (Ga 5,15)». Ces dents des pécheurs peuvent se dire encore des princes des pécheurs, qui usent de leur autorité pour retrancher quelque membre de la société des bons et l'incorporer avec les méchants. A ces dents sont opposées les dents de l'Eglise, qui s'efforce d'arracher à l'erreur des païens et des dogmes hérétiques, les vrais croyants, et de se les unir, à elle qui est le corps du Christ. C'est encore avec ces dents qu'il fut recommandé à Pierre de manger des animaux mis à mort (Ac 10,13), c'est- à-dire de faire mourir chez les Gentils ce qu'ils étaient, pour les transformer en ce qu'il était lui-même. Enfin, ces mêmes dents ont fait dire à l'Eglise: «Tes dents sont comme un troupeau de brebis qui montent du lavoir; nulle qui ne porte un double fruit, ou qui demeure stérile (Ct 4,2 Ct 6,5)». Belle image de ceux qui instruisent, et qui vivent selon les préceptes qu'ils donnent; qui accomplissent cette recommandation: «Que vos oeuvres brillent aux yeux des hommes, afin qu'ils bénissent votre Père qui est dans les cieux (Mt 5,16)». Cédant à l'autorité de ces prédicateurs, les hommes croient au Dieu qui parle et qui agit en eux, se séparent du siècle selon lequel ils vivaient, pour devenir membres de l'Eglise. Des prédicateurs qui obtiennent de semblables résultats, se nomment avec raison des dents semblables aux brebis que l'on vient de tondre, parce qu'ils ont déposé le fardeau des terrestres soucis, qu'ils montent du lavoir, ou du bain du sacrement de baptême, qui les a purifiés de toute souillure, et qu'ils engendrent un double fruit. Ils accomplissent en effet les deux préceptes dont il est dit: «Ces deux préceptes renferment la loi et les Prophètes (Ibid. 12,40)»; car ils aiment Dieu de tout leur coeur, de toute leur âme, de tout leur esprit, et le prochain comme eux-mêmes. Nul chez eux n'est stérile puisqu'ils fructifient ainsi pour Dieu. En ce sens donc nous devons entendre: «Tu as brisé les dents des pécheurs», puisque tu as anéanti les princes des pécheurs en frappant ceux qui gratuitement s'élevaient contre moi. Le récit de l'Evangile nous montre en effet que les princes persécutaient Jésus, et que la multitude le traitait avec honneur.

308 8. «Le salut vient du Seigneur; et que tes bénédictions, ô Dieu, se répandent sur ton peuple (Ps 3,9)». Dans le même verset, le Prophète enseigne aux hommes ce qu'ils doivent croire, et il prie pour ceux qui croient. Car cette partie: «Le salut vient du Seigneur», s'adresse aux hommes; mais l'autre partie n'est pas : «Et que sa bénédiction se repose sur son peuple», ce qui serait entièrement pour les hommes. Le Prophète s'adresse à Dieu en faveur du peuple à qui il a dit: «Le salut vient du Seigneur». Qu'est-ce à dire? sinon : Que nul ne se confie en soi-même, parce que c'est à Dieu seul de nous délivrer de la mort du péché. «Malheureux homme que je suis», dit en effet l'Apôtre, «qui me délivrera de ce corps de mort? la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rm 7,24-25)». Mais toi, Seigneur, bénis ton peuple qui attend de toi son salut.

309 9. On pourrait, dans un autre sens, appliquer ce psaume à la personne du Christ, qui parlerait dans sa totalité. Je dis totalité, à cause du, corps dont il est le chef, selon cette parole de l'Apôtre: «Vous êtes le corps et les membres du Christ (1Co 12,27)». Il est donc le chef de cette corporation. Aussi est-il dit ailleurs: «Faisant la vérité dans ta charité, croissons de toute manière en Jésus notre chef, par qui tout le corps est joint et uni (Ep 4,15-16)». C'est donc l'Eglise avec son chef, qui, jetée dans les tourmentes des persécutions, sur toute la terre, comme nous l'avons déjà vu, s'écrie par la bouche du Prophète; «Combien sont nombreux, Seigneur, ceux qui me persécutent, combien s'élèvent contre moi (Ps 3,2)», pour exterminer le nom chrétien! « Beaucoup disent à mon âme: Point de salut pour toi dans ton Dieu (Ps 3,3)». Car ils ne concevraient point l'espoir de perdre l'Eglise qui s'accroît partout, s'ils ne croyaient que Dieu n'en prend aucun souci. «Mais toi, Seigneur, tu me soutiendras (Ibid. 4)» par Jésus-Christ. C'est en son humanité que l'Eglise a trouvé l'appui du Verbe, « qui s'est fait chair pour habiter parmi nous (Jn 1,14)», et qui nous a fait asseoir dans les cieux avec lui (Rm 8,35)?» L'Eglise a donc raison de dire à Dieu: «Tu es mon appui, ma gloire». Loin de s'attribuer son excellence, elle comprend qu'elle la doit à la grâce et à la miséricorde de Dieu. «Toi qui élèves ma tête», ou celui qui s'est levé le premier d'entre les morts pour monter aux cieux. «Ma voix s'est élevée jusqu'au Seigneur, et il m'a exaucé du haut de sa montagne sainte (Ps 3,5)». Telle est la prière des saints, parfum suave qui s'élève en présence du Seigneur. L'Eglise est exaucée du haut de cette montagne sainte qui est son chef, ou des hauteurs de cette justice qui délivre les élus et châtie les persécuteurs. Le peuple de Dieu peut dire aussi: «Moi, j'ai sommeillé, je me suis endormi, et je me suis levé, parce que le Seigneur me protégera (Ps 3,6)», afin de l'unir intimement à son chef. C'est à ce peuple qu'il est dit encore: «Lève-toi de ton sommeil: sors d'entre les morts, et tu seras éclairé par le Christ (Ep 5,14)». Ce peuple est tiré du milieu des pécheurs enveloppés dans cette sentence: «Ceux qui dorment, dorment dans les ténèbres (1Th 5,7)». Qu'il dise encore: «Je ne redoute point cette populace innombrable qui m'environne (Ps 3,7)», ces nations infidèles qui me serrent de près, pour étouffer, si elles pouvaient, le nom chrétien. Pourquoi les craindre, quand le sang des martyrs est comme une huile qui attise le feu de l'amour du Christ? «Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu (Ps 3,7)». Telle est la prière du corps à son chef. Le corps fut sauvé, quand ce chef se leva pour monter aux cieux, emmenant captive la captivité, et distribuant ses dons aux hommes (Ps 68,19). Le Prophète voyait par avance toutes les terres, où la moisson mûre, dont il est question, dans l'Evangile (Mt 9,37), a fait descendre le Seigneur; et cette moisson trouve son salut dans la résurrection de Celui qui a daigné mourir pour nous. «Tu as frappé ceux qui se déclaraient mes ennemis sans sujet, tu as brisé les dents des pécheurs (Ps 3,8)». Le triomphe de l'Eglise a couvert de confusion les ennemis du nom chrétien, et anéanti leurs malédictions comme leur puissance. Croyez donc bien, enfants des hommes, que «le salut vient du Seigneur», et «toi, ô mon Dieu, que ta bénédiction se répande sur ton peuple (Ps 3,9)».

310 10. Quand les vices et les passions sans nombre nous assujettissent au péché malgré nos efforts, chacun de nous peut dire: «Seigneur, combien sont nombreux ceux qui me persécutent, combien s'élèvent contre moi (Ps 3,2)!»Et comme bien souvent l'accumulation des maladies fait désespérer de la guérison, notre âme se trouvant en butte à l'arrogance du vice, aux suggestions du diable et de ses anges, et arrivant au désespoir, peut dire en toute vérité: «Combien me disent: Point de salut pour toi en ton Dieu. Mais toi, Seigneur, tu es mon soutien (Ps 3,4)». Car notre espérance est dans le Christ qui a daigné prendre la nature humaine. «Tu es ma gloire», d'après cette règle qui nous défend de nous rien attribuer. «C'est toi qui élèves ma tête», ou celui qui est notre chef à tous, ou même notre esprit, qui est la tête pour l'âme et pour le corps. Car «l'homme est le chef de la femme,  comme le Christ est le chef de l'homme (1Co 11,3)». Mais l'esprit s'élève, quand nous pouvons dire: «Je suis soumis par l'esprit à la loi de Dieu (Rm 7,5)», en sorte que tout dans l'homme soit soumis et apaisé, quand la résurrection de la chair absorbera la mort dans son triomphe (1Co 15,54). «Ma  voix s'est élevée jusqu'au Seigneur»: cette voix intime et puissante. «Et il m'a exaucé du haut de la montagne sainte», ou par celui qu'il envoie à notre aide, et dont la médiation lui fait exaucer nos prières. «Moi, j'ai sommeillé, je me suis endormi; et je me suis levé, parce que le Seigneur sera mon appui (1Co 15,54)». Quelle âme fidèle ne peut tenir ce langage, en voyant que ses péchés ont disparu, par sa régénération gratuite? «Je ne craindrai point ce peuple nombreux qui m'environne (Ps 3,5)». En dehors, des épreuves que l'Eglise a dû subir et subit encore, chacun a ses tentations; et quand il se sent entravé, qu'il s'écrie: «Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu»; c'est-à-dire, fais-moi triompher. «Tu as frappé tous ceux qui s'élevaient contre moi sans sujet (Ps 3,7)».Cette prophétie s'applique à Satan et à ses anges, qui luttent, non-seulement contre tout le corps mystique de Jésus-Christ, mais contre chacun des membres. «Tu as brisé les dents des pécheurs». Chacun de nous a ses ennemis qui le maudissent; il a en outre les fauteurs du mal qui cherchent à nous retrancher du corps de Jésus-Christ. Mais le salut appartient au Seigneur». Evitons l'orgueil et disons: «Mon âme s'est attachée à ta suite (Ps 62,3)», et « que ta bénédiction soit sur ton peuple (Ps 3,9)», ou sur chacun de nous.




Augustin, les Psaumes