Augustin, les Psaumes 592

DEUXIEME DISCOURS SUR LE PSAUME LVIII.

592 Ps 59,12-18DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.

1. Le long discours que je vous ai adressé hier, m'a laissé pour aujourd'hui en dette vis-à-vis de vous; et, puisque Dieu l'a permis, et que le temps de m'acquitter est venu, je vais le faire. Plus nous nous montrons dévoué à remplir nos obligations à votre égard, plus aussi vous devez vous montrer avares créanciers: en d'autres termes, puisque le Seigneur nous donne ce que nous devons vous communiquer, car il est le Maître et nous les serviteurs, c'est à vous de recevoir ses dons de manière à faire voir dans votre conduite le fruit que vous tirerez de nos discours. En effet, le champ que l'on cultive, et qui ne produit rien de bon, le champ qui ne récompense point le cultivateur et lui donne des épines au lieu de moissons abondantes, ne verra jamais sa récolte enfermée dans les greniers du Père de famille: elle sera jetée au feu. Le Seigneur, notre Dieu, daigne répandre sur notre coeur la rosée fécondante de sa parole, comme il répand sur les campagnes d'abondantes ondées, parce que notre coeur est comme un champ qui lui appartient: et il a droit d'en attendre du fruit, puisqu'il sait quelle semence et quelles pluies il y a fait tomber. En réalité, nous ne sommes rien sans lui: nous n'étions rien avant qu'il nous eût créés; et quiconque, devenu homme, prétend se passer de lui, n'est autre, en fin de compte, qu'un homme pécheur: c'est donc avec raison que le Prophète a dit: « Je vous garderai ma force». Puisque toute cette force, nous la conservons avec lui et pour lui, et que nous la perdons en nous en éloignant, notre âme doit donc toujours veiller, non pas seulement à ne pas s'éloigner de lui, mais encore, si elle en est éloignée, à se diriger vers lui et à s'en approcher chaque jour davantage; pour cela, elle n'a besoin ni de marcher vite, ni d'employer le secours de chariots, ni de monter un coursier agile, ni de se servir de grandes ailes: la pureté des affections et des moeurs irréprochables et saintes, voilà ce qui est nécessaire pour s'approcher de Dieu.

2. Achevons d'expliquer notre psaume. Nous nous sommes arrêté à l'endroit où le Prophète commence à parler à Dieu de ses ennemis, et lui dit: «Ne les tuez point, Seigneur, de peur qu'on oublie votre loi  1.» Il       leur donnait le nom d'ennemis, et, pourtant, il priait le Seigneur de ne point les tuer, dans la crainte de voir oublier sa loi. Se souvenir de la loi divine, c'est-à-dire ne pas l'oublier, ce n'est encore ni la perfection, ni l'assurance d'être récompensé, ni une garantie contre les supplices éternels. Il en est qui gardent le souvenir de la loi, mais qui ne la pratiquent pas; ceux, au contraire, qui l'accomplissent, eu conservent la mémoire. Aussi,

1. Ps 58,12

quand un homme remplit tous les devoirs àlui imposés par Dieu, quand il s'efforce incessamment de ne point laisser effacer de la mémoire de son coeur ce qu'il sait de la loi du Seigneur, et que par toute sa conduite il se rappelle à chaque instant les préceptes que l'Eternel y a tracés, cet homme connaît utilement la loi divine, et il ne sera pas considéré comme un ennemi du Très-Haut. Les Juifs sont les ennemis de Jésus-Christ; le Psalmiste semble les désigner ici: ils ont la loi de Dieu entre les mains, ils la conservent; voilà pourquoi le Prophète adresse au Seigneur cette prière: «Ne les tuez pas, de peur qu'on oublie votre loi». Il demande que la nation juive subsiste toujours, et que, ce peuple continuant à subsister, le nombre des chrétiens s'accroisse tous les jours. C'est un fait indiscutable; on rencontre des Juifs au milieu de tous les autres peuples; ils sont toujours tels, et n'ont pas cessé d'être ce qu'ils étaient; c'est-à-dire, que cette nation n'est point passée sous la domination romaine de manière à perdre son autonomie; mais en pliant sous le joug de l'empire, elle a conservé ses lois, qui sont les lois divines. Mais comment les observe-t-elle? «Vous payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et vous négligez ce qu'il y a de plus important dans la loi, à savoir: la justice, «la miséricorde et la foi. Vous avez grand soin de filtrer ce que vous buvez, dans la crainte d'avaler un moucheron, et vous avalez un chameau 1». Ainsi leur parle le Seigneur; et, de fait, ils agissent de la sorte; ils conservent entre leurs mains la loi et les Prophètes, ils lisent et chantent toutes ces paroles saintes, et ils n'y voient point désigné le Christ lui-même, qui est la lumière des Prophètes. Non-seulement ils ne l'aperçoivent pas, maintenant qu'il est dans le ciel; ils ne l'ont pas même reconnu, quand il vivait dans l'humiliation au milieu d'eux, et qu'ils sont devenus coupables à son égard en répandant son sang; toutefois, je n'entends point parler d'eux tous. C'est ce que je vous prie, mes frères, de bien remarquer aujourd'hui. J'ai dit qu'il n'est pas question de tous les Juifs, parce que beaucoup d'entre eux se sont convertis à celui qu'ils avaient fait mourir, ont cru en lui, et mérité, de sa part, le pardon de leur déicide; par là ils ont montré aux hommes

1. Mt 23,23-24

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à ne point désespérer de leur propr pardon, quels que soient, d'ailleurs, le nombre et l'énormité de leurs crimes, puisqu'en s'a vouant coupables, ils ont obtenu miséricorde et que l'indulgence divine s'est étendue même à l'assassinat commis par eux sur la personne du Christ. Voilà pourquoi le Psalmiste s'exprime ainsi: «Parce que, mon Dieu, vous avez bien voulu me recevoir, et que la miséricorde de Dieu me préviendra». C'est-à-dire, avant aucune bonne action de ma part, sans aucuili mérite, j'ai été prévenu par sa miséricorde. Quoiqu'il n'ait rien trouvé de bon en moi, il n'a pas laissé de me rendre bon; il rend juste celui qui se convertit, et il avertit celui qui s'égare, de rentrer dans la voie droite. «Mon Dieu», ajoute le Prophète, «mon Dieu me l'a montré dans mes ennemis»; c'est-à-dire, en me comparant avec mes ennemis, je vois combien il m'aime, combien de preuves de bonté il me donne; car les vases de colère et les vases de miséricorde, sortant tous de la même masse, les premiers apprennent aux seconds quelle grâce ceux-ci ont reçue 1. Nous lisons ensuite: «Ne les tuez pas, de peur qu'on oublie votre loi». Ces paroles s'appliquent aux Juifs. Mais quel châtiment leur infligerez-vous? «Dispersez-les dans votre puissance». Montrez-leur que la force appartient à vous, et non à ceux qui mettent leur confiance en leur propre pouvoir, et qui méconnaissent votre éternelle vérité. Montrez-leur que si vous êtes fort,ce n'est point à la manière de ces forts dont il est écrit: «Les forts se sont jetés sur moi»; mais que votre force vous donne le pouvoir de les disperser. «Et conduisez-les, Seigneur, qui êtes mon protecteur». C'est-à-dire, dispersez-les, mais ne les abandonnez pas, «de peur qu'on oublie votre loi». Et protégez-moi de telle sorte que leur dispersion me fournisse un témoignage de votre miséricordieuse bonté.

3. Le Psalmiste ajoute: «Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres». Comment unir et lier à ce qui précède ce passage: «Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres?» Nous ne voyons pas entre les paroles suivantes assez de liaison pour apercevoir le rapport qui existe entre ces paroles et celles qui précèdent. «Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs

1. Rm 9,21


 lèvres, et qu'ils soient pris dans leur orgueil. Leur malédiction et leur mensonge produiront leur perfection dans la colère, qui perfectionne tout, et ils ne seront plus». Je l'ai déjà dit hier; ce passage est obscur voilà pourquoi j'ai voulu attendre, pour vous en donner l'explication, que vos esprits fussent reposés. Puisque vous n'êtes point encore fatigués de m'entendre, veuillez donc en ce moment élever vos coeurs, afin de m'aider par votre application; par ses obscurités et ses embarras notre langage pourrait ne pas répondre à ce que vous attendez de moi; aussi devez-vous apporter votre part de bonne volonté; de la sorte, vous suppléerez, par votre promptitude à pénétrer le sens de mes paroles, à ce qui pourrait leur manquer de clarté.

Ce verset se trouve donc au milieu du psaume, sans que nous puissions voir facilement sa liaison avec ce qui précède. «Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres». Néanmoins, ayons recours aux versets précédents. Le Prophète avait dit: «Ne les tuez pas, de peur qu'on oublie votre loi»; telle était sa prière en faveur d'hommes en qui il reconnaissait ses ennemis; et il avait ajouté: «Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres». C'est-à-dire, mettez fin à i leurs discours et non à leur existence: «Ne les tuez donc pas, de peur qu'on oublie votre loi». Mais il y a en eux quelque chose que vous devez tuer, pour que l'on voie l'accomplissement de cette parole: «N'ayez compassion d'aucun de ceux qui commettent l'iniquité; dispersez-les donc par votre puissance et conduisez-les», c'est-à-dire, ne les abandonnez pas, tout en les dispersant; parce qu'en ne les abandonnant point, et en ne les tuant pas, vous avez encore quelque chose à faire en eux. Qu'y tuerez-vous donc? «Les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres». Que tuerez-vous en eux? Les cris qu'ils ont fait entendre: «Crucifie-le! crucifie-le 1!» et non leur propre personne. Pour eux, ils ont voulu perdre, exterminer et anéantir le Christ; et vous, en ressuscitant celui qu'ils ont voulu perdre, vous tuez «les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres». En effet, ils avaient crié qu'il fallait le mettre à mort, et ils s'aperçoivent ave. étonnement qu'il vit encore; ils l'ont méprisé

1. Jn 19,6

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pendant sa vie mortelle, et ils le voient avec stupéfaction adoré de tous les peuples de la terre; ainsi sont tués les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres.

4. «Et qu'ils soient pris eux-mêmes dans leur orgueil». Que veulent dire ces paroles: «Qu'ils soient pris eux-mêmes dans leur orgueil?» C'est inutilement que les forts se sont jetés sur le Christ, et qu'il a paru céder à leurs efforts pour leur laisser croire qu'ils avaient réussi dans leurs desseins contre lui; c'est en vain qu'ils ont semblé prévaloir contre le Sauveur. Ils ont bien pu crucifier son humanité sainte, leur faiblesse a pu l'emporter sur la force, la force a pu être mise à mort; ils se sont imaginé qu'ils étaient quelque chose; ils se sont considérés comme des hommes robustes, puissants et incapables de se laisser dominer par n'importe quelle résistance; ils étaient, à leurs yeux, pareils àun lion tout préparé à dévorer sa proie, ou semblables à ces taureaux gras dont il est parlé dans un autre psaume: «Des taureaux gras se sont jetés sur moi 1». Mais qu'ont-ils fait au Christ? En lui ils ont tué, non la vie, mais la mort. En effet, au moment où Jésus-Christ rendait le dernier soupir, le règne de la mort finissait en lui, et celui de la vie commençait, lorsque, par sa résurrection, il reprenait cette ‘vie au sein même de la mort; il est ressuscité, car il y avait en lui une source de vie qu'ils ne pouvaient tarir. Quel a donc été le résultat de leur méchanceté à l'égard du Sauveur? Ecoute; le voici. Ils ont détruit le temple. Et lui, qu'a-t-il fait? Il l'a rebâti le troisième jour 2. Par là ont été tués les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres. Et qu'est-il advenu de ceux qui se sont convertis? «Qu'ils soient pris dans leur propre orgueil». On leur a dit que celui qu'ils avaient attaché à la croix, était ressuscité d'entre les morts, et ilsont cru au prodige de sa résurrection, quand ils ont vu que, du haut du ciel où il était monté, il avait envoyé l'Esprit-Saint, pour remplir de ses dons ceux qui avaient cru en lui 3,et alors ils ont compris qu'en faisant mourir le Christ, ils avaient inutilement employé leur temps et leurs forces. Tout ce qu'ils avaient fait se réduisait à rien; il ne leur restait que la responsabilité de leur coupable conduite; et dès lors que leurs projets avaient été anéantis, et qu'ils

1. Ps 21,13. - 2. Jn 2,19. - 3. Ac 1,9 Ac 2,4

n'avaient recueilli d'autre bénéfice que celui d'avoir commis le'crime, ils furent pris dans leur propre orgueil, et ils se virent accablés sous le poids de leur faute, Ils n'avaient donc plus d'autre ressource que celle de confesser leur péché; c'était la condition pour Obtenir leur pardon de celui qui avait cédé à leurs efforts criminels; à cette condition, il devait pardonner sa mort corporelle aux morts spin. fuels qui lui avaient ôté la vie, et donner la vie de l'âme à ceux qui l'avaient perdue. Ils ont donc été pris dans leur orgueil.

5. «Leur malédiction et leur mensonge produiront leur consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront plus». Il est vraiment difficile de comprendre comment les mots: «Et ils ne seront plus», se lient avec les précédents. Quel en est le sens? Voyons le verset que nous venons d'expliquer. Lorsqu'ils auront été pris dans leur propre orgueil, «leur malédiction et leur mensonge produiront leur consommation». Que doit-on entendre par consommation? ce terme signifie: Perfection; car être consommé veut dire être perfectionné. Autre chose est d'être consommé, autre chose est d'être consumé. On dit d'un objet qu'il est consommé, quand il est arrivé à son dernier degré de perfection: on dit qu'il est consumé, lorsqu'il est détruit èt qu'il n'en reste plus rien. L'orgueil empêchait l'homme de devenir parfait, car rien ne met obstacle à la perfection, comme ce malheureux vice. Que votre charité veuille bien apporter un peu d'attention à mes paroles, et considérer que l'orgueil est un mal singulièrement dangereux, un mal infiniment à craindre. A votre avis, quel mal est l'orgueil? Pourrais-je exagérer en vous dépeignant sa malice et ses suites? Le démon n'a commis que ce péché: voilà la cause de ses tourments sans fin. Sans aucun doute, il est le chef de tous les pécheurs, c'est lui qui les entraîne au mal: on ne l'accuse ni d'adultère, ni d'intempérance, ni de fornication, ni d'enlèvement du bien d'autrui: sa chute n'est venue que de l'orgueil. Et parce que l'envie est la compagne ordinaire de l'orgueil, il est impossible que le coeur de l'orgueilleux ne soit pas dévoré par l'envie. Comme conséquence de ce vice, qui est la suite nécessaire de l'orgueil, le démon, après sa chute, porte envie à l'homme qui persévère dans le bien, et il s'efforce de le séduire,

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pour l'empêcher de parvenir à ce séjour heureux d'où il est lui-même tombé. Et comme il sait que notre juge n'acceptera pas de fausses accusations contre nous, il cherche à nous précipiter en des fautes réelles: si notre avenir devait se décider au tribunal d'un homme, facile à tromper par des calomnies et des impostures, il ne prendrait ni tant de peines, ni de si minutieuses précautions pour nous faire commettre le péché; car il pourrait jeter notre juge dans l'erreur, et opprimer ainsi l'innocence; et alors, il nous entraînerait aisément dans le piégé, et rien ne lui serait plus facile que de s'emparer de nous, et de nous faire condamner avec lui. Mais il ne l'ignore pas, nous avons un juge qu'on ne peut surprendre, un juge équitable qui ne fait acception de personne, un juge, enfin, devant lequel il ne veut faire paraître que de vrais coupables, parce que Dieu étant souverainement juste, les condamnera nécessairement. L'envie seule, compagne obligée de son orgueil, porte donc le démon à nous pousser dans l'abîme du péché. D'où il suit que l'orgueil est un grand mal, puisqu'il nous empêche de devenir parfaits. Qu'on se vante autant qu'on voudra de ses richesses, de la beauté et de la force de son corps; tous ces avantages ne dureront qu'un temps, et ceux-là sont vraiment ridicules, qui se glorifient de choses périssables, qu'ils sont très-souvent exposés à perdre pendant leur vie, et dont ils devront, de toute nécessité, se séparer au moment de la mort. L'orgueil est un vice capital, puisqu'il suffit d'une seule tentation d'orgueil pour faire perdre à un homme, déjà avancé dans la pratique du bien, tout le terrain qu'il a précédemment parcouru. Les autres vices sont à craindre pour les mauvaises actions que nous pouvons commettre; nous devons redouter encore davantage l'orgueil, quand nous en taisons de bonnes. Il n'est donc pas étonnant que saint Paul ait été assez humble pour dire: «Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort», Pour l'empêcher d'être tenté par l'orgueil, savez-vous quel remède a employé le sage médecin qui connaissait le mal, et voulait le guérir? L'Apôtre va nous le dire: «De peur que la grandeur de mes révélations ne m'inspirât de l'orgueil, Dieu a permis que je ressente dans ma chair un aiguillon, qui est l'ange et le ministre de Satan, pour me donner des soufflets. C'est pourquoi j'ai prié le Seigneur par trois fois, afin que cet ange de «Satan se retirât de moi, et il m'a répondu «Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse 1». Voyez en quoi consiste la consommation dont parle le Psalmiste. L'Apôtre, le docteur des nations, le père des fidèles qu'il a engendrés par l'Evangile, a reçu l'aiguillon de la chair pour en être souffleté. Y en aurait-il un seul parmi nous, pour oser s'exprimer ainsi à l'égard de saint Paul, s'il ne l'avait lui-même déclaré humblement? En disant qu'il n'a pas eu à supporter une pareille humiliation, nous croirions lui faire honneur, et en définitive, nous le taxerions de mensonge. Mais comme il était sincère, et qu'il a dit la vérité, nous devons ajouter foi entière à ses paroles, quand il nous dit que Dieu lui a envoyé l'ange de Satan pour l'empêcher de s'enorgueillir de la sublimité de ses révélations. Le serpent de l'orgueil est donc bien à craindre. Mais qu'est-il advenu des Juifs? Ils ont été pris dans leur péché, car ils ont fait mourir le Christ, et plus grand a été leur crime, plus aussi ils se sont humiliés, et plus ils ont mérité par là d'être relevés; ainsi, «qu'ils soient pris dans leur propre orgueil: et leur malédiction et leur mensonge produiront leur «perfection»; c'est-à-dire, ils deviendront d'autant plus parfaits, qu'ils ont été surpris à maudire et à mentir. En effet, l'orgue il ne -leur permettait point de s'avancer vers la perfection: il leur a fait commettre un grand crime, mais par l'humble confession qu'ils en ont faite, ils se sont débarrassés de ce malheureux vice; alors, ils en ont obtenu le pardon; la miséricorde divine leur a rendu l'innocence, et, parce que de leur bouche étaient sortis la malédiction et le mensonge, ils sont devenus parfaits. lia été dit à l'homme: Tu as vu et compris, par ton expérience, ce que tu es: tu t'es égaré, tu es tombé dans l'aveuglement, tu as commis le péché et fait une lourde chute; tu as reconnu ta faiblesse, aie donc recours au médecin, et ne te crois pas en bonne santé. Vois l'abîme où t'a précipité ta frénésie ! Tu as fait mourir ton médecin, et tout en le livrant à la mort, tu n'as pu l'anéantir; mais, du moins, as-tu agi dans la mesure de tes forces pour l'exterminer. « Votre malédiction et votre mensonge serviront à

1. 2Co 12,7-10

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vous faire devenir parfaits». O Juifs, vous avez fait tout ce qu'il faut pour opérer la malédiction, car «maudit soit l'homme pendu au gibet». Vous avez crucifié le Christ et vous l'avez considéré comme un homme maudit; puis, à la malédiction, . vous avez ajouté le mensonge, en plaçant des gardes près de son tombeau, et en achetant au poids de l'or les mensonges que vous vouliez leur faire dire 2. Voilà que le Christ est ressuscité. Qu'est devenue cette malédiction de la croix que vous lui avez infligée? A quoi a servi le mensonge répandu par les gardes que vous avez corrompus à prix d'or?

6. «La malédiction et le mensonge serviront à la consommation dans la colère de consommation». Que veulent dire ces paroles: «Dans la colère de consommation?» Il y a une colère de consommation, et il y a une colère de consomption: toute vengeance de la part de Dieu se nomine la colère de Dieu; mais tantôt il se venge pour perfectionner, tantôt il se venge pour détruire. Comment se venge-t-il pour perfectionner? «Il frappe de verges ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants 3». Comment se venge-t-il pour détruire? Il le montrera, lorsqu'il dira à ceux qui seront placés à sa gauche: «Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et pour ses anges 4». La colère divine sera alors une colère de consomption, et non pas une colère de consommation. Mais «on annoncera la consommation dans la colère de consommation»; c'est-à-dire, les Apôtres annonceront que, là où le péché s'est trouvé en abondance, il y aura une surabondance de grâce 5,et que la faiblesse de l'homme a produit le remède destiné à le guérir, l'humilité. Dans cette pensée, les Juifs reconnaîtront leurs fautes ils en feront l'aveu, et «ils ne seront plus», Quel est le sens de ces mots? Ils ne seront plus orgueilleux. Car le Psalmiste avait dit plus haut: «Qu'ils soient pris dans leur propre orgueil. La malédiction et le mensonge serviront à la consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront plus» dans les sentiments d'orgueil où ils ont été surpris.

7. «Et ils sauront que le Seigneur est le dominateur de Jacob et des extrémités de la terre». Auparavant, les Juifs s'imaginaient

1. . - 2. Mt 28,12. - 3. He 12,6. - 4. Mt 25,41. - 5. Rm 5,20

qu'ils étaient justes, parce que leur nation avait reçu la loi, et qu'elle avait observé les commandements de Dieu; mais la preuve évidente qu'ils n'en avaient pas été les observateurs fidèles, c'est qu'ils n'y ont point reconnu le Christ: l'aveuglement de l'esprit était, en effet, tombé en partie sur le peuple d'Israël 1. Ils doivent s'apercevoir que les Gentils, considérés par eux comme des pécheurs et des chiens, ne sont pourtant pas à mépriser. Car s'ils ont été les uns et les autres surpris en état de péché, ils seront de même, les uns et les aigres, admis au salut éternel. «Il est», dit saint Paul, «pour les Juifs et pour les Gentils 2. La pierre qu'ils ont rejetée en bâtissant, est devenue la principale pierre de l'angle». Pourquoi? Afin de réunir en elle deux choses différentes, car l'angle est le point de jonction entre deux murailles. A leurs propres yeux, les Juifs étaient gens élevés et honorables: les Gentils, au contraire, leur apparaissaient faibles, pécheurs, esclaves du démon, adorateurs des idoles; et néanmoins, ils se trouvaient également plongés dans l'abîme de l'iniquité. Il a été démontré aux Juifs qu'ils étaient pécheurs, «car il n'y a personne qui fasse le bien, il n'y en a pas un seul 3». Ils se sont dépouillés de leurs idées de hauteur et n'ont plus porté envie aux Gentils; ils ont reconnu que les uns et les autres étaient également faibles, se sont réunis au moyen de la pierre angulaire, et ont ensemble adoré Dieu. «Ils sauront que le Seigneur est le dominateur de Jacob et des extrémités de la terre». Il sera le maître, non-seulement des Juifs, mais des extrémités de la terre: mystère caché pour eux, s'ils persévéraient dans leur orgueil ! Orgueil toujours subsistant, s'ils continuaient à se considérer comme des justes! Mais justice impossible à supposer en eux en présence de la malédiction et du mensonge; parce que de là est venue pour eux la consommation dans la colère de consommation, et qu'ils ont été surpris dans leur orgueil, à la suite de la malédiction qu'ils ont prononcée en crucifiant le Sauveur. Voici ce qu'a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il est mort entre les mains des Juifs, et il a racheté la multitude des Gentils. Les uns ont répandu son sang, les autres en ont profité, il a été versé pour l'utilité de tous ceux qui se sont convertis; en effet, ceux-

1. Rm 9,21. - 2. Rm 9,21.- 3. Ps 117,22. - Rm 3,12

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là même qui l'ont fait mourir ont reconnu sa grandeur, et ainsi ont-ils obtenu le pardon de leur coupable déicide.

8. Que leur adviendra-t-il donc? Ce que le Psalmiste a déjà dit plus haut: «Ils se convertiront sur le soir». Ils se convertiront quoique un peu tard, c'est-à-dire après avoir mis à mort Notre-Seigneur Jésus-Christ. «Ils se convertiront un peu tard, et ils souffriront de la faim comme les chiens» . «Comme les chiens», et non pas comme les brebis et les veaux: «comme les chiens», c'est-à-dire les Gentils et les pécheurs: parce qu'après s'être considérés comme des justes, ils ont reconnu leur péché. Il avait été dit d'eux en un autre psaume: «Ensuite ils se sont hâtés». C'est dans le même sens qu'il est dit ici: «Sur le soir». Au psaume précité, nous lisons: «Leurs infirmités se sont multipliées; ensuite ils se sont hâtés 2». Pourquoi se sont-ils hâtés ensuite? Parce que «leurs infirmités s'étaient multipliées». Car jamais ils n'auraient hâté leur course, s'ils avaient continué à se regarder comme des hommes sains; le sens de ces paroles: «Leurs infirmités se sont multipliées», est donc sous une autre forme le même que celui de ces autres paroles: «Qu'ils soient pris dans leur orgueil; à cause de la malédiction et du mensonge, on annoncera la consommation dans la colère de la consommation». De même les mots: « Ils se sont hâtés ensuite», ont la même signification que ceux-ci: «Ils ne seront plus» dans leur orgueil. «Et ils sauront que le Seigneur dominera Jacob et les extrémités de la terre, et ils se convertiront sur le soir». Il est donc utile, pour le pécheur, de s'humilier, et la guérison la plus difficile à opérer est celle de l'homme qui se croit en bon état de santé. «Et ils environneront la ville». Hier déjà, il m'a été donné de vous expliquer cette parole, et de vous faire voir dans cette ville d'environnement toutes les nations.

9. «Ils seront dispersés afin de manger 3», c'est-à-dire, afin d'en gagner d'autres, de les amener à la foi et de les faire entrer dans leur corps. «Et s'ils ne sont pas rassasiés, ils murmureront». Le Prophète nous a déjà fait connaître la manière dont ils murmureront. «Qui est-ce qui nous a écoutés? Et vous, Seigneur, vous vous moquerez d'eux», et

1. Ps 58,15. - 2. Ps 15,4. - 3. Ps 58,16

vous rirez de ce qu'ils diront: «Qui est-ce qui nous a écoutés?» Pourquoi? «Parce que vous considérez comme rien de sauver toutes les nations».Voilà ce que veut dire: «Et s'ils ne sont pas rassasiés, ils murmureront».

10. Achevons d'expliquer le psaume. Voyez les transports d'allégresse de l'angle, et la joie qu'il éprouve à joindre ensemble les deux murs 1. Les Juifs s'enorgueillissaient, ils ont été humiliés; les Gentils désespéraient d'eux-mêmes, ils ont appris à espérer. Qu'ils viennent les uns et les autres se réunir dans l'angle; qu'ils viennent en hâte s'y rejoindre et s'y donner le baiser de paix. Qu'ils y viennent de côtés opposés, mais pas pour s'y combattre; qu'ils y viennent, ceux-ci du milieu d'un peuple de circoncis, ceux-là du milieu des peuples incirconcis. Les murs se trouvaient bien éloignés l'un de l'autre, mais c'était avant de se rapprocher de l'angle maintenant qu'ils se sont rejoints, puissent-ils demeurer fermement unis! et alors, l'Eglise tout entière, formée de ces deux murs, s'écriera: «Pour moi, je relèverai votre puissance par mes cantiques; et, le matin, je louerai votre miséricorde». Le matin, quand toutes les tentations seront passées; le matin, lorsque sera venue à son terme la nuit de ce siècle; le matin, quand nous n'aurons plus à craindre ni les embûches des voleurs, ni les embûches du démon et de ses anges; le matin, quand nous contemplerons, non plus la lumière des Prophètes, destinée à nous éclairer pendant le pèlerinage de cette vie, mais les rayons du soleil, c'est-à-dire le Verbe de Dieu lui-même. «Et le matin, je louerai votre miséricorde». C'est avec raison que le Prophète a dit ailleurs: «Le matin, je me tiendrai debout devant vous, et je verrai 2». C'est aussi un grand mystère que la résurrection du Sauveur ait eu lieu au point du jour, car ainsi s'est trouvée accomplie cette prophétie prononcée ailleurs par le Psalmiste: «On sera dans les larmes le soir, et le matin dans la joie». A la chute du jour, les disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ pleuraient sa mort; au lever du soleil, sa résurrection les remplit de joie. «Le matin, je louerai leur miséricorde».

11. «Parce que vous êtes devenu mon protecteur et mon refuge au jour de mon

1. Ep 2. - 2. Ps 5,5

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affliction. O mon appui, je vous chanterai des «hymnes, parce que, ô mon Dieu, vous êtes mon protecteur». Que serais-je, si vous n'étiez venu à mon secours? Combien mes maux seraient désespérés, si vous n'étiez venu vous-même me guérir ! En quel abîme serais-je plongé, si vous ne m'aviez tendu la main. Une plaie profonde mettait ma vie en danger; il me fallait un médecin tout-puissant pour la guérir, mais rien n'est impossible pour le médecin: ses soins sont acquis à tous les malades; il faut que tu consentes à te laisser guérir par lui; il faut te remettre entre ses mains, tu ne saurais t'écarter de lui. Si tu refuses de te guérir, ta blessure elle-même te recommande de te soigner; tu lui tournes le dos, il te rappelle, et quand tu t'écartes de lui, il te force en quelque sorte à t'en rapprocher; ses instances sont de tous les moments, et pour tous il accomplit cette parole: «Sa miséricorde me préviendra». Faites bien attention à ces mots: «Me préviendra». Si tu lui as offert quelque chose qui t'appartient en propre, si tu as mérité sa grâce par tes bonnes oeuvres antécédentes, sa miséricorde ne t'a pas prévenu. Mais comprendras-tu jamais bien que le Seigneur t'a prévenu, si d'abord tu ne saisis pas bien le sens des paroles de l'Apôtre: «Qu'as-tu que tu n'aies pas reçu? Et si tu l'as reçu, pourquoi t'en glorifier, coin me si tu ne l'avais pas reçu». En d'autres termes «Sa miséricorde me préviendra». En présence de tous les dons qui peuvent faire notre partage ici-bas, soit par l'effet de notre nature, soit comme conséquence de l'éducation ou de la fréquentation de la société, la foi, l'espérance, la charité, les bonnes moeurs, la

1. 1Co 4,7

justice, la crainte de Dieu, le Prophète arrive à cette conclusion, que tous ces dons ne peuvent nous venir que de Dieu, et il dit: «Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde». Comblé des bienfaits du Seigneur, il ne sait quel nom lui donner, il ne sait que l'appeler sa miséricorde. Nom ineffable, qui ne permet plus à personne de tomber dans le désespoir. «Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde». Qu'est-ce à dire: «Vous êtes ma miséricorde?» Si tu dis: Vous êtes mon Sauveur, je comprends qu'il donne le salut. Si tu dis: Vous êtes mon refuge, je comprends que tu te jettes dans ses bras pour y trouver le calme. Si enfin tu t'écries: Vous êtes ma force, j'imagine qu'il te soutient. Mais: «Vous êtes ma miséricorde!» cette manière de s'exprimer signifie: Tout ce que je suis est un don de votre miséricorde. Mais l'ai-je méritée par mes prières? Pour devenir ce que je suis, qu'ai-je fait? Qu'ai-je fait pour exister et me trouver à même de vous prier? Si j'ai contribué en quelque chose à mon existence, j'existais donc avant d'exister ! Mais si je n'étais rien avant d'exister, je n'ai donc pu contribuer en rien à me donner l'être. Vous êtes l'auteur de ma vie, et vous ne sauriez être l'auteur de ce qu'il y a de bon en moi? C'est vous qui m'avez communiqué l'être, et un autre aurait pu me rendre bon? Si je tenais de vous la vie, et d'un autre la bonté, il s'ensuivrait qu'un autre serait meilleur que vous, car la bonté est préférable à l'existence. Mais comme personne n'est ni meilleur, ni plus puissant, ni plus miséricordieux que vous, vous m'avez donné et la vie et la vertu. «Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde».



DISCOURS SUR LE PSAUME LIX - TRIOMPHE DE JÉSUS-CHRIST

60 Ps 60

SERMON AU PEUPLE.



David a remporté sur ses ennemis de grandes victoires; après les avoir exterminés, il a régné avec gloire; ainsi Jésus-Christ a-t-il triomphé des hommes; il a détruit en eux l'orgueil et les autres vices, et il les a soumis à son empire par la crainte de ses jugements; ils se sont convertis, et alors l'Eglise a triomphé malgré ses humiliations et les persécutions qu'elle a endurées; elle s'est répandue partout, et elle règne nième sur les pécheurs, parce que Dieu la protége et la soutient dans ses combats.

1. Le titre de ce psaume est un peu long, mais ne nous en effrayons pas, car le psaume en lui-même est de peu d'étendue. Apportons à le comprendre la même attention que si nous devions lui consacrer un temps considérable. Nous vous parlons, en effet, au nom de Jésus-Christ, comme à des enfants nourris de la parole sainte dans l'Eglise de Dieu, comme à des personnes qui doivent puiser encore à la même source l'aliment de leurs âmes: vous savez apprécier la valeur de ces Ecritures sacrées, pour lesquelles les mondains ne ressentent aucun goût: vous êtes donc familiarisés avec elles, et elles ne doivent plus vous paraître aussi difficiles à comprendre. En effet, si vous avez écouté avec plaisir ce que nous vous avons dit si souvent; si, au lieu de laisser tomber en oubli nos instructions, comme certains êtres laissent tomber dans leur estomac une nourriture qu'ils ne doivent point ruminer, vous les avez rappelées à votre souvenir pour en tirer un utile profit; la mémoire fidèle que vous en avez gardée nous sera d'un grand secours; elle nous dispensera de vous parler comme à des personnes peu instruites, puisque nous saurons que nous vous adressons des instructions auxquelles vous n'êtes pas étrangers. - Il est un point sur lequel nous avons souvent attiré votre attention; le voici: dans presque tous les psaumes, tu dois reconnaître tantôt les paroles du Christ et de l'Eglise tout ensemble, tantôt celles du Christ pris isolément, ou de l'Eglise dont nous faisons partie: et ainsi, quand nous reconnaissons notre voix, il nous est impossible de ne pas éprouver un certain plaisir, et ce plaisir est d'autant plus vif que nous nous retrouvons plus parfaitement figurés par le Prophète. Le roi David fut un homme unique, mais il en figura plus d'un, T car il représenta d'avance l'Eglise, composée d'un grand nombre d'hommes et répandue jusqu'aux extrémités de la terre: et dans les circonstances où il n'en figura qu'un seul, il fut l'image de l'Homme-Dieu, de Jésus-Christ, médiateur de Dieu et des hommes'. Dans ce psaume, ou plutôt dans le titre de ce psaume, il est question de certains faits glorieux de la vie de David, d'actions mémorables par lesquelles il a illustré son nom, soit en triomphant de ses ennemis, soit en les rendant tributaires, lorsqu'après la mort de Saül son persécuteur, il entra publiquement, à sa place, en possession du royaume d'Israël. Avant d'être persécuté, il était déjà roi, mais, comme tel, il n'était encore connu que de Dieu: dans la suite, lorsque sa royauté fut déclarée et qu'il fut monté sur le trône avec une gloire si éclatante, il triompha des ennemis auxquels fait allusion le titre de ce psaume, et ce titre fut ainsi conçu: «Pour la fin. A ceux qui seront changés pour l'inscription du titre. A David, pour l'instruction, lorsqu'il brûla la Mésopotamie de Syrie et la Syrie de Sobal; lorsqu'il mit Joab en fuite, qu'il frappa Edom et douze mille hommes dans la vallée des Salines». Nous lisons, dans les livres des Rois, que David a vaincu tous ceux dont les noms sont mentionnés ici: les habitants de la Mésopotamie de Syrie, ceux de la Syrie de Sobal, Joab et Edom 2. Ces événements ont eu vraiment lieu, et nous en voyons ici l'histoire, écrite conformément à ce qui

1. 1Tm 2,5. - 2. 2S 8

666

s'est passé. Néanmoins, il est facile de le remarquer, dans la plupart des titres des psaumes, l'esprit du Prophète s'écarte un peu du strict récit des faits historiques, pour dire des choses qu'on ne rencontre point dans le narré des événements: par là, il veut nous avertir que ces titres ont été écrits, moins pour nous rappeler ou nous apprendre des faits passés, que pour nous prédire l'avenir. Ainsi, il est dit dans le titre d'un psaume, que David changea son visage en présence d'Abimélech, et que celui-ci s'en alla après l'avoir congédié 1; au contraire, le livre des Rois nomme le roi Achis, et ne cite point Abimélech 2 ; de même trouvons-nous, dans le cas présent, une allusion à l'avenir. Effectivement, dans cette histoire des guerres et des actions mémorables qui ont illustré le règne de David, il est question de tous ceux que cite le titre et que le saint roi a vaincus, mais il n'est pas dit qu'il ait porté l'incendie quelque part; et ce que l'histoire ne mentionne pas, nous le trouvons formellement rapporté dans le titre, car nous y voyons qu'il a fait brûler la Mésopotamie de Syrie, et la Sine de Sobal. Commençons donc à chercher là le secret des choses à venir qui s'y trouvaient figurées; faisons, par nos paroles, sortir de ces ombres épaisses une éclatante lumière.

2. Vous savez le sens de ces paroles: «Pour la fin». Car «la fin de la loi, c'est le Christ 3». Vous n'ignorez pas non plus quels sont ceux qui sont changés. Il est impossible d'en douter: ce sont ceux qui passent de la vieille vie à la vie nouvelle: loin de nous, en effet, la pensée de prendre ce changement en mauvaise part. Adam a subi un changement, ç'a été de passer de l'état d'innocence à l'état de péché, du sein du bonheur à un abîme de tourments. Au lieu de lui ressembler, ceux dont il est ici question deviennent tels qu'on peut leur appliquer aussi ces paroles de l'Apôtre: «Autrefois, vous avez été ténèbres, mais maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur 4». Ces hommes sont changés pour l'inscription du titre. Vous connaissez la teneur de ce titre il a été attaché à la croix du Sauveur, et il était conçu en ces termes: « Voici le roi des Juifs 5». Tous ceux qui passent du royaume

1. Ps 33,1.- 2. 1S 21,13.- 3. Rm 10,4.- 4. Ep 5,8. - 5. Mt 27,37

du démon au royaume du Christ, sont changés pour l'inscription de ce titre: un changement de cette nature leur est très-utile, et il s'opère en eux, suivant le texte sacré, «pour  l'instruction». Car après ces mots: «A ceux qui seront changés pour l'inscription du titre», nous lisons ces autres: «A David, pour l'instruction»; c'est-à-dire, ils sont changés, non pour eux-mêmes, mais pour David, ils le sont pour l'instruction. Jésus-Christ n'est pas roi pour régner en ce siècle, car il l'a publiquement déclaré: «Mon royaume», a-t-il dit, «n'est pas de ce monde 1». Passons donc à ces instructions, si nous voulons être changés pour l'inscription du titre, non pas pour nous, muais pour David: de la sorte, ceux qui vivent ne vivront plus pour eux-mêmes, ils vivront pour celui qui est mort et ressuscité en leur faveur 2. Toutefois, comment le Christ aurait-il opéré notre changement, s'il n'avait réalisé ces paroles: «Je «suis venu jeter le feu dans le monde 3?» Si donc il est venu jeter le feu dans le monde, ç'a été pour le bien et l'utilité de l'homme mais, remarquez-le, il n'est pas venu jeter le monde dans le feu. Comment est-il venu jeter «le feu dans le monde?» Puisqu'il est venu dans ce but, cherchons à connaître cette Mésopotamie de Syrie, et cette Syrie de Sobal, qu'il a incendiées. La langue hébraïque ayant servi à la première rédaction des psaumes, consultons l'hébreu pour savoir le sens de ces différents noms. Au dire des interprètes, Mésopotamie signifie une vocation élevée. Déjà, le monde tout entier a été élevé par sa vocation. Syrie veut dire sublime, mais cette Syrie, qui était si haute, a été livrée au feu et réduite en cendres: puisse-t-elle se relever de son humiliation, comme elle a été d'abord précipitée, du haut de sa grandeur, dans l'abîme de la faiblesse et du mépris public! Vaine vieillerie, voilà le sens du mot Sobal. Grâces soient rendues au Christ de ce qu'il l'a brûlée ! Lorsqu'on brûle de vieilles broussailles, de nouveaux bourgeons croissent à leur place; et quand le feu a passé quelque part et qu'il a détruit les vieilles herbes sèches, on y voit pousser de nouvelles herbes, et plus vigoureuses, et plus abondantes, et plus vertes. Le feu apporté par le Christ dans le monde n'est pas à craindre, il ne consume que l'herbe sèche: or, toute chair n'est que

1. Jn 18,38. - 2. 2Co 5,15. - 3. Lc 12,49

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de l'herbe desséchée, et l'éclat de l'homme ressemble à l'éclat de la fleur du foin 1. Le Christ met donc le feu à ces vanités, «et il convertit Joab». Par Joab, il faut entendre l'ennemi. L'ennemi a donc été converti. Interprète ce mot comme tu voudras, si cet ennemi s'est retourné pour prendre la fuite, c'est le démon; s'il s'est converti pour embrasser la foi, c'est le chrétien. De quel endroit le démon a-t-il pu s'enfuir? Du coeur du chrétien; car, dit le Sauveur, « le prince de ce monde a été chassé dehors 2». Mais pour le chrétien, qui s'est converti au Seigneur, comment peut-on dire qu'il est un ennemi converti? Parce que, d'ennemi de Dieu, il est devenu son disciple fidèle. «Il a frappé Edom». Edom veut dire terrestre. Il a fallu que l'homme terrestre fût frappé: ne devait-il pas, en effet, mourir, puisqu'il devait faire place à l'homme céleste? En nous la vie terrestre a été anéantie; puisse la vie céleste lui succéder ! Puisque nous avons porté l'image de l'homme terrestre, nous devons de même porter l'image de l'homme céleste 3. Vois de quelle manière l'homme terrestre est frappé de mort. Faites mourir vos membres qui sont sur la terre 4. Lorsque David eut frappé Edom, «il tua encore douze mille hommes dans la vallée des Salines». Douze mille est un nombre parfait, et à ce nombre parfait correspond celui des douze apôtres: et ce n'est pas sans raison, car la parole de Dieu devait être prêchée par tout le monde. Or, la parole de Dieu, qui est le Christ, se trouve dans les nuées, c'est-à-dire dans les prédicateurs de la vérité. Pour le monde, il est partagé en quatre parties, que tous connaissent, et qui sont très-souvent indiquées dans l'Ecriture sous le nom des quatre vents 5: ce sont l'Orient, l'Occident, l'Aquilon et le Midi. Le Seigneur a fait entendre sa parole dans ces quatre directions, pour appeler à lui tous les hommes au nom des trois personnes de la sainte Trinité. Trois fois quatre font douze. C'est donc à juste titre que l'on dit que douze mille hommes terrestres ont été frappés de mort, puisque le monde entier l'a été, et que l'Eglise, sortie du tombeau de la vie terrestre, a été formée de membres venus de toutes les parties du monde. Pourquoi est-il dit que le massacre des douze mille

1 Is 40,6.- 2. Jn 12,31 - 3.1Co 15,49. - 4. Col 3,5. - 5. Ez 37,9

hommes a eu lieu «dans la vallée des Salines?» Par vallée, on entend l'humilité; et par Salines, ce qui donne de la saveur. Il en est beaucoup qui subissent des humiliations, mais inutilement et sans profit; ils ne sont humiliés que dans leur vaine vieillesse. Les uns sont affligés par une perte d'argent, les autres par la privation d'un fragile honneur, d'autres encore par le retranchement des aises de la vie; dès lors qu'ils souffrent, ils subissent une sorte d'humiliation; mais pourquoi ne pas la souffrir pour Dieu, pour le Christ, afin d'avoir la saveur du sel? Ne sais-tu pas que le Sauveur t'a dit: «Vous êtes le sel de la terre; si le sel devient fade et insipide, il n'est plus bon à rien qu'à être jeté dehors 1?» Il est donc bon d'être sage. ment humilié. Ne voyez-vous pas les hérétiques plongés dans l'humiliation? Condamnés déjà par les lois divines, à l'empire desquelles ils ne peuvent se soustraire, ne le sont-ils pas encore par les lois humaines publiées contre eux? Oui, ils sont humiliés, puisqu'ils sont mis en fuite et qu'ils souffrent persécution; mais c'est d'une manière insipide; c'est pour des choses fadès et vaines, car leur sel s'est affadi et il a été jeté dehors, parce qu'il n'était plus bon à rien qu'à être foulé aux pieds par les hommes.

Nous avons expliqué le titre du psaume: passons maintenant au psaume lui-même.

3. «Mon Dieu, vous nous avez rejetés et détruits». Sont-ce les paroles de David, qui a frappé, consumé par le feu, et exterminé ses ennemis? Ne sont-ce pas plutôt les paroles de ceux qu'il a ainsi traités, pour frapper et détruire ce qu'il y avait de mal en eux, pour leur rendre une nouvelle vie et les ramener au bien? Telle est la grande et sanglante victoire remportée en ce monde par le Christ, par le véritable David, par celui qui fut vraiment fort, et que figurait le saint roi d'Israël. Il a opéré ces merveilles: par le glaive et le feu qu'il est venu apporter en ce monde, il a fait ce massacre immense; car tu trouves dans l'Evangile ces deux passages: «Je suis venu jeter le feu dans le monde 2» . «Je suis venu apporter le glaive sur la terre 3». il a apporté le feu qui devait consumer la Mésopotamie de Syrie, et la Syrie de Sobal; il a apporté le glaive qui devait frapper Adam. Ce carnage a donc eu lieu en faveur de ceux qui

1. Mt 5,13. - 2. Lc 12,49. - 3. Mt 10,34

667

sont changés pour David, pour l'inscription du titre. Ce sont eux qui parlent ici: ils ont été frappés pour leur salut, qu'ils se relèvent donc, et qu'ils parlent; puisqu'ils sont devenus meilleurs, puisqu'ils ont été changés pour l'inscription du titre, pour leur instruction, pour David, qu'ils disent donc: «Mon Dieu, vous nous avez rejetés et détruits; vous vous êtes irrité et vous avez pris pitié de nous». Vous nous avez détruits pour nous réédifier; vous avez détruit en nous ce qui était mauvais, notre vaine vieillerie, afin d'y reconstruire l'édifice de l'homme nouveau, qui doit subsister toujours. Le Prophète dit avec raison que «vous vous êtes irrité et que vous avez pris pitié de nous». Car si vous ne vous étiez pas mis en colère, vous n'auriez pas eu compassion de nous. Vous nous avez détruits dans votre colère, mais votre colère ne s'est allumée que contre notre vieillerie, afin de l'anéantir. Vous nous avez pris en pitié en vue de notre renouvellement, en vue de ceux qui sont changés pour l'inscription du titre; parce que si en nous l'homme extérieur se corrompt, l'homme intérieur s'y renouvelle de jour en jour 1.

4. «Vous avez ébranlé la terre, et vous l'avez troublée». Comment la terre a-t-elle été troublée? Par le remords qui naît du péché. Où irons-nous? où fuirons-nous pour éviter les coups de cette épée que le Seigneur fait vibrer à nos yeux: «Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche 2?» Vous «avez ébranlé la terre et vous l'avez troublée. Guérissez ses meurtrissures, parce qu'elle a u été ébranlée». Elle n'est pas digne d'être guérie, si elle n'est pas ébranlée. Tu parles, tu prêches, tu menaces de la colère de Dieu, tu annonces le jugement à venir, tu fais connaître les volontés du Très-Haut: ton zèle à cet égard ne se refroidit pas; mais celui qui t'écoute n'éprouve aucun sentiment de crainte; rien ne l'ébranle: il n'est pas digne d'être guéri. Pour celui que ta parole remue, qui se sent pénétré jusqu'au fond du coeur; qui se frappe la poitrine et répand des larmes, on peut lui appliquer ces paroles: « Guérissez ses meurtrissures, parce qu'elle est ébranlée».

5. L'homme terrestre donc a été frappé à mort, notre vieillerie a été consumée par le feu; l'homme est devenu meilleur; ceux qui

1. 2Co 4,16. - 2. Mt 3,2

étaient plongés dans les ténèbres sont arrivés à la lumière: aussi lisons-nous maintenant ce qui se trouve encore écrit ailleurs: «Mon fils, lorsque vous entrerez au service de Dieu, demeurez ferme dans la justice etn dans la crainte, et préparez votre âme à la tentation». Ton premier soin doit être de te déplaire, afin de te purifier de tes péchés, et de devenir meilleur. Tu devras,en second lieu, puisque tu seras converti,supporter patiemment les tribulations et les épreuves de la vie, et y persévérer courageusement jusqu'à la fin. Le Prophète a donc voulu y faire allusion et en parler, quand il a dit: «Vous avez fait voir de dures choses à votre peuple», à ce peuple, qui est devenu le vôtre, puisque David l'a rendu tributaire par sa victoire. «Vous avez montré de dures choses à votre peuple». En quoi? Dans les persécutions souffertes par l'Eglise du Christ, lorsque le sang des martyrs a coulé à grands flots. «Vous avez fait voir de dures choses à votre peuple; vous nous avez abreuvé d'un vin aigre»; qu'est-ce à dire, d'un vin aigre? C'est-à-dire, d'un vin qui ne donnait pas la mort: ce n'était pas un poison qui tue, c'était une médecine cuisante. «Vous nous avez abreuvés d'un vin aigre».

6. Comment cela? «Vous avez donné un signe à ceux qui vous craignent, afin qu'ils prennent la fuite et s'écartent de l'arc». En nous éprouvant par les tribulations de cette vie, vous nous avez avertis d'éviter les douleurs causées par le feu éternel, car l'apôtre saint Pierre a dit: «Le temps est venu où Dieu commencera son jugement par sa propre maison». Lorsque le monde faisait éclater partout sa fureur, lorsque les persécuteurs répandaient de tous côtés la souffrance et la mort, que le sang des fidèles coulait à longs et larges flots, et que les chrétiens enduraient d'intolérables tourments au milieu des chaînes des prisons et des instruments de supplice, saint Pierre exhortait les martyrs à la patience, et leur disait: «Voici le temps où Dieu commence son jugement par sa propre maison; et s'il commence ainsi par nous, quelle sera la fin de ceux qui n'obéissent pas à l'Evangile de Dieu? Si le juste lui-même se sauve avec tant de peine, que deviendront alors les impies et les pécheurs 2?» Qu'arrivera-t-il donc au jugement? L'arc est

1. Si 2,1 - 2. 1P 4,17-18

tendu pour menacer, mais non encore pouu frapper. Voyez ce qu'il y a sur cet arc: ce sont des flèches. Ne doivent-elles pas être lancées en avant, et pourtant c'est par derrière que le nerf se tend; c'est du côté opposé à celui où l'on doit envoyer la flèche: plus on tire le nerf en arrière, plus impétueuse, plus agile est la flèche pour atteindre le but. Par la même raison, le jugement de Dieu fondra sur nous d'autant plus inopinément et plus terrible qu'il aura été différé davantage. Il nous faut donc rendre grâces à Dieu de ce qu'il nous éprouve en ce monde, puisqu'il fait voir à son peuple un signe qui l'avertit «de fuir de devant l'arc». A la suite de cet avertissement salutaire, les fidèles tourmentés par les peines de la vie, deviendront dignes d'échapper à la peine du feu éternel, réservé à tous ceux qui ne croient point à ces vérités. «Vous avez donné un signe à ceux qui vous craignent, afin qu'ils prennent la fuite et s'écartent de l'arc».

7. «Afin que vos bien-aimés soient délivrés. Sauvez-moi par votre droite, et exaucez-moi». Seigneur, sauvez-moi par votre droite: sauvez-moi de manière que je sois placé à la droite. «Sauvez-moi par votre droite». Je ne vous demande point mon salut temporel; qu'à cet égard votre volonté soit faite. Nous ignorons complètement ce qui nous est avantageux pour cette vie; nous ne savons ce qu'il faudrait demander 1. Mais «sauvez-moi par votre droite», en sorte qu'après avoir été éprouvé, s'il le faut, pendant le cours de mon existence terrestre, je puisse du moins voir se dissiper les ombres épaisses de la tribulation, me trouver à votre droite, au milieu de vos brebis, et éviter le malheur d'être placé à votre gauche avec les boucs. «Sauvez-moi par votre droite, et exaucez-moi». Je ne vous demande que ce que vous désirez vous-même me donner: ce n'est point avec la voix de mes péchés que je crie vers vous et le jour et la nuit, pour que vous ne m'écoutiez pas, et que vous ne me répondiez pas, afin d'ajouter à ma folie 2. Je crie vers vous, pour que vous me donniez une salutaire instruction, en ajoutant à mon humiliation la saveur du sel: par là, mes tribulations m'apprendront ce que je dois vous demander: aussi, je vous demande la vie éternelle; exaucez-moi donc, puisque

1. Rm 8,26. - 2. Ps 21,2-3

mon plus vir désir est d'être placé à votre droite. Que votre charité veuille bien le remarquer: tout fidèle qui garde dans son coeur la parole de Dieu, qui éprouve à l'égard du jugement à venir la crainte la plus vive, et qui vit avec assez de prudence pour ne point donner aux autres l'occasion de blasphémer le saint nom de Dieu à cause de lui, ce fidèle adresse souvent au Seigneur des prières pour obtenir des avantages temporels, et il n'est pas exaucé: quand, au contraire, il sollicite ce qui peut le conduire à la vie éternelle, il parvient toujours au comble de ses désirs. Y a-t-il un seul malade qui ne souhaite pas revenir à la santé? Néanmoins, il lui est peut-être utile de souffrir encore. Il est possible que Dieu repousse les demandes que tu lui adresses pour ta guérison; mais s'il refuse d'accéder à tes désirs, c'est afin de pourvoir àton plus grand bien. Quand, au contraire, tu lui demandes la grâce- de la vie éternelle, la faveur d'être admis dans le royaume des cieux et d'être placé à la droite de son Fils, lorsqu'il viendra juger les vivants et les morts, sois tranquille sur le résultat de ta prière: si elle n'est pas exaucée aujourd'hui, elle le sera infailliblement plus tard, parce que le moment d'y donner suite n'est pas encore venu. Ta demande est déjà exaucée, mais tu ne t'en aperçois pas encore: ce que tu désires se fait, quoique tu ignores la manière dont il se fait: l'effet de ta prière existe, comme la rêve, encore renfermée dans la racine de l'arbre, avant de produire des fruits. «Sauvez-moi par votre droite et exaucez-moi».

8. «Dieu a parlé dans son saint». Peux-tu douter de l'accomplissement des paroles du Tout-Puissant? Si tu avais un ami sage et sérieux, comment t'exprimerais-tu à son égard? Il a dit cela? il fera ce qu'il a dit, c'est immanquable, car c'est un homme sérieux; il ne parle pas à la légère; quand il a promis une chose, il y tient, parce qu'il ne change pas facilement d'avis. Pourtant ce n'est, en définitive, qu'un homme; il peut avoir la volonté d'accomplir ses promesses; sera-t-il toujours à même de n'y pas manquer? en aura-t-il toujours le pouvoir? Mais, du côté de Dieu, il n'y a rien à craindre, parce qu'il est la vérité même et qu'il possède- la souveraine puissance; il est sûr; il ne peut te tromper; rien ne dépasse son pouvoir. Pourquoi donc craindre d'être déçu dans tes espérances? Tu as

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besoin de ne pas te tromper toi-même et de persévérer jusqu'à la fin, jusqu'au moment où il accomplira ses promesses. «Dieu a parlé dans son saint». Quel est ce saint qui est celui de Dieu? «Dieu était dans le Christ, et il s'y réconciliait le monde 1». C'était celui dont il a été dit ailleurs: «O Dieu, toutes vos voies sont dans le saint 2. Dieu a parlé dans son saint. Je me réjouirai et je diviserai les champs de Sichem». Puisque Dieu l'a dit, l'événement aura lieu. C'est la parole de l'Eglise: «Dieu a parlé dans son saint». Elle ne répète point simplement les paroles que Dieu a prononcées. Mais, puisque «Dieu a parlé dans son saint», et que les choses doivent nécessairement arriver comme il les a prédites, il est sûr qu'elles auront lieu. «Je me réjouirai et je diviserai les champs de Sichem, et je partagerai la vallée des tentes». Sichem signifie épaules. Au rapport de l'historien sacré, lorsque Jacob revint de chez Laban, son beau-père, avec tous ses biens, il cacha en Sichem les idoles qu'il apportait de la Syrie, où il avait si longtemps séjourné et d'où il venait enfin de sortir pour retourner dans son pays natal 3. Arrivé là, il y dressa quelques tentes pour abriter ses brebis et ses troupeaux, et il donna à cet endroit le nom de « tentes 4» . Je diviserai ces tentes, dit l'Eglise. Que veulent dire ces mots: «Je partagerai Sichem?» Si on les rapporte à ce trait de la vie de .Jacob relatif aux idoles qu'il cacha en Sichem, ces paroles désignent les Gentils. Je divise les Gentils. Qu'est-ce à dire: Je divise? La foi n'est pas donnée à tous 5. Qu'est-ce à dire: Je divise? Les uns croiront, les autres ne croiront pas; et pourtant, que ceux qui croient ne tremblent pas de ce qu'ils se trouvent au milieu des incroyants: ils sont aujourd'hui divisés par la foi; au jugement dernier ils le seront encore, puisque les brebis seront placées à la droite et les boucs à la gauche 6. Il nous est maintenant facile de comprendre comment l'Eglise divise Sichem. Mais, puisque Sichem signifie épaules, comment l'Eglise divise-t-elle les épaules? Les épaules sont divisées en ce sens que, chez les uns, elles sont surchargées de péchés, et que, chez les autres, elles portent le joug du Christ. Car il réclamait des épaules dévouées, quand il disait: «Mon joug est doux et mon fardeau

1. 2Co 5,19. - 2. Ps 86,14. - 3. Gn 35,4. - 4. Gn 33,17. - 5. 2Th 3,2 - 6. Mt 20,33

«est léger 1». Les autres fardeaux t'accablent et t'écrasent, mais celui du Christ te soulève; les autres fardeaux t'appesantissent, celui du Christ, au contraire, te donne des ailes. Si tu ôtes à un oiseau ses ailes, il semblerait que tu le débarrasses d'un poids incommode; et néanmoins plus tu l'en décharges, plus tu le condamnes et le forces à s'abattre. Tu avais voulu le soulager et tu n'as fait que l'empêcher de quitter la terre; il ne vole plus, parce que tu l'as déchargé; rends-lui son fardeau et il reprendra son essor. Ainsi en est-il du fardeau du Christ; puissent les hommes ne point se laisser dominer par la paresse et se décider à le porter! puissent-ils ne pas s'arrêter à considérer le nombre de ceux qui ne s'en chargent pas! Que les hommes de bonne volonté le prennent sur leurs épaules, et ils verront par eux-mêmes combien il est doux, léger et agréable, combien il est puissant pour nous détacher de la terre et nous élever jusqu'au ciel. «Je diviserai Sichem, et je partagerai la vallée des tentes». Par la vallée des tentes on entend le peuple juif, peut-être à cause des brebis qu'y amena Jacob; ce peuple lui-même a été divisé, car ceux d'entre les Juifs qui se sont soumis à la foi chrétienne, sont sortis de là pour entrer dans l'Eglise; les autres y sont restés et ne se sont point incorporés à Jésus-Christ.

9. «Galaad m'appartient». Ces noms se trouvent dans les divines Ecritures. Le mot Galaad s'explique aussi dans un sens particulier, et il renferme un grand mystère. Il veut dire: Monceau du témoignage. Quel monceau de témoignages on a vu dans les martyrs ! «Galaad m'appartient». Je possède le monceau du témoignage: les vrais martyrs sont les miens. Que les autres meurent pour leur vieille vanité, leur mort sera dépourvue de la saveur du sel; pourra-t-on dire alors qu'ils contribuent à grossir le monceau du témoignage? Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, mon sacrifice ne me sert de rien 2.Dans un endroit de l'Evangile Jésus-Christ nous recommande de conserver la paix, mais auparavant il exige l'emploi du sel: «Ayez», dit-il, «du sel en vous; ayez la paix entre vous 3». Donc, «Galaad m'appartient». Mais Galaad, c'est-à-dire le monceau du témoignage, a été visiblement en butte à de grandes épreuves. En

1. Mt 11,30. - 2. 1Co 13,3. - 3. Mc 9,49

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effet, l'Eglise était alors aux yeux du monde un objet de mépris; on faisait à cette veuve un reproche sanglant de ce qu'elle appartenait au Christ et portait au front le signe de la croix. On ne l'honorait pas encore, on l'accusait. En ce moment où les honneurs la fuyaient, où elle se voyait accablée de calomnies, s'éleva le monceau du témoignage, et par lui se répandit l'amour du Christ; alors cet amour divin gagna tous les peuples. Le Prophète ajoute: «Manassé est à moi» . Manassé signifie oublié. Il avait été dit à l'Eglise «Tu oublieras à jamais ta confusion, et tu ne te souviendras plus de l'opprobre de ton veuvage». L'Eglise était donc autrefois plongée dans une confusion qu'elle a depuis oubliée; elle a perdu tout souvenir de la confusion et de l'opprobre où l'avait jetée son veuvage. Quand les hommes la méprisaient, on voyait s'élever en sa faveur un monceau de témoignages. Personne, aujourd'hui, ne se souvient qu'il fut un temps où elle était couverte de confusion, où c'était une honte de porter le nom de chrétien; personne n'en a gardé la mémoire: tous l'ont oublié; et désormais «Manassé est à moi. Et Ephraïm est la force et l'appui de ma tête». Ephraïm veut dire, production de fruits. J'ai fructifié, dit l'Eglise, et par là j'ai trouvé la force et le soutien de ma tête. Car ma tête, c'est le Christ. Et d'où vient que la production des fruits est le principe de sa force? c'est que si, en tombant dans la terre, le grain ne s'y multipliait pas, il resterait seul. Par sa mort, le Christ est tombé en terre, et par sa résurrection il a ensuite porté des fruits. «Et Ephraïm est la force et l'appui de ma tête». Pendant qu'il était cloué à la croix, on le considérait avec mépris; intérieurement c'était un grain qui avait la force d'attirer tout à lui 2. L'oeil n'aperçoit pas dans le grain de froment l'innombrable quantité de germes qui s'y trouvent renfermés; il y voit seulement je ne sais quels dehors méprisables; et toutefois le grain recèle une force telle qu'il s'assimile la sève de la terre pour en former des fruits. Ainsi apercevait-on l'infirmité de la chair sur la croix du Sauveur, sans y voir la force toute-puissante qu'elle recélait. O l'admirable grain de froment! Sans doute il semblait à tous dépourvu de force pendant qu'il se mourait sur le bois de la croix; le peuple qui l'environnait

1 Is 54,4. - Jn 12,21-32

secouait la tête en passant devant lui et s'écriait: «S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende donc de sa croix 1 !» Mais vois quelle était sa force: «Ce qui est faible en Dieu est plus fort que tous les hommes 2». Ce n'est donc pas sans raison qu'il a ensuite produit une si grande quantité de fruits; ces fruits sont à moi, dit l'Eglise.

10. «Juda est mon roi: Moab est le vase de mon espérance». «Juda est mon roi». Qui est Juda, sinon celui qui est sorti de la tribu de Juda? qui est Juda, sinon celui à qui Jacob a parlé ainsi: «Juda, tes frères prononceront tes louanges 3?» «Juda est mon roi»; et quand Juda, mon roi, me dit: «Ne craignez pas ceux qui tuent le corps 4», puis-je craindre quelque chose? «Juda est mon roi: Moab est le vase de mon espérance». Pourquoi «le vase?» Parce que «le vase», environné de flammes, est le signe de la tribulation. Pourquoi « le vase de mon espérance?» Parce que Juda, mon roi, a marché devant moi. Pourquoi craindre de le suivre partout où il a marché avant toi? Dans quelle voie t'a-t-il précédé? Dans la voie des tribulations, des angoisses et des opprobres. Cette voie douloureuse nous était interdite avant qu'il s'y engageât; maintenant qu'il y a passé, suis-le; depuis qu'il y a laissé la trace de ses pas, ce chemin est ouvert devant toi. «Je suis seul», dit-il, «mais seulement jusqu'à ce que je passe 5». Ce grain de froment est seul, mais seulement jusqu'à ce qu'il passe; quand il sera passé, alors il produira des fruits. «Juda est mon roi», et parce qu'il « est mon roi, Moab est le vase de mon espérance». Moab signifie la multitude des Gentils. La race des Moabites doit son origine à un crime, car elle descend des filles de Loth, qui, voyant leur père en état d'ivresse, abusèrent honteusement de lui et commirent avec lui le péché de la chair 6. Il eût mieux valu pour elles rester stériles que de devenir mères à ce prix. Ces malheureuses préfiguraient ceux qui abusent de la loi. Que ce mot, loi, soit du féminin en latin ou du masculin en grec, peu importe, et nous ne devons pas nous en occuper, parce que masculin ou féminin, dans une langue ou dans l'autre, il ne saurait, par son genre, préjudicier à la vérité; néanmoins, le caractère de la loi a quelque chose de mâle, puisqu'elle

1. Mt 27,40. - 2. 1Co 1,25. - 3. Gn 49,8. - 4. Mt 10,28.- 5. Ps 140,10.- 6. Gn 19,31-38

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gouverne et qu'elle n'est pas gouvernée, Or, que dit l'apôtre saint Paul? «La loi est bonne, pourvu qu'on en use légitimement 1». Les filles de Loth avaient, au contraire, abusé de leur père. De même que les bonnes oeuvres procèdent de l'usage légitime de la loi, ainsi les péchés viennent de l'abus criminel de la loi. C'est pourquoi, en abusant de leur père, c'est-à-dire de la loi, ces filles mirent au jour les Moabites, qui représentent les oeuvres de péché. De là sont venus à l'Eglise les tribulations et le vase brûlant sous l'action de la flamme. Il est question de ce vase dans le livre d'un Prophète: Un vase échauffé du côté de l'Aquilon 2,c'est-à-dire, du côté du démon, qui a dit: «J'établirai mon trône vers l'Aquilon 3». Les plus pénibles tribulations de l'Eglise ne lui viennent donc que de la part de ceux qui abusent de la loi. Eh quoi ! l'Eglise défaudra-t-elle parce qu'il y en a pour faire un mauvais usage de la loi? et le vase brûlant, c'est-à-dire la multitude des scandales, l'empêchera-t-elle de durer jusqu'à la fin des siècles? Est-ce que Juda, son roi, ne lui a pas annoncé d'avance les afflictions dont elle sera abreuvée? Ne lui a-t-il pas dit: «La charité se refroidira, parce qu'on verra se multiplier l'iniquité 4?» A mesure que le vase s'échauffe, la charité se refroidit. Mais pourquoi, ô divine charité, ne point consumer par tes propres ardeurs le feu qui met ce vase en ébullition? Tu ne saurais l'ignorer, ton Roi te parlait quand il faisait allusion à cette multitude de scandales; il te disait: «Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé». Ne cesse donc, jusqu'à la fin, de t'opposer à l'ardeur des scandales. Le feu de l'iniquité est ardent; mais plus ardent est le feu de la charité. Ne te laisse donc pas vaincre; persévère jusqu'à la fin. Craindrais-tu les Moabites, les oeuvres criminelles de ceux qui abusent de la loi? Eh quoi! Juda, ton Roi, n'a-t-il pas marché devant toi? n'a-t-il pas subi de pareilles épreuves? Ne sais-tu pas que, par abus de la loi, les Juifs ont fait mourir le Christ? Espère donc, et marche où ton Roi a marché le premier. Dis donc aussi: «Juda est mon roi», et parce «qu'il est mon roi», qu'est devenu «Moab?» Il est devenu pour moi, non un vase de mort, mais «le vase de mon espérance». Tu dois voir dans les

1. 1Tm 1,8. - 2. Jr 1,13. - 3. Is 14,13. - 4. Mt 24,12

tribulations un vase d'espérance, car l'Apôtre a dit: «Nous nous glorifions même au sein de la tribulation». Le vase est là; mais écoute saint Paul: il te dira que c'est un vase d'espérance. « Nous savons que la tribulation produit la patience, que la patience produit la pureté, et que la pureté produit l'espérance». Effectivement, si la patience est le résultat de la tribulation, la pureté celui de la patience et l'espérance celui de la pureté, dès lors que la tribulation est ce vase brûlant, il est réellement un vase d'espérance, et Moab est avec raison ainsi nommé. «Or, l'espérance ne confond pas». Quoi donc? L'ardeur de ta charité surpasse-t-elle l'ardeur de ce vase échauffé par la flamme? Oui, certes; parce que l'amour de Dieu a été répandu en nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 1.

11. «J'étendrai ma chaussure jusqu'en Idumée». C'est l'Eglise qui parle: Je viendrai, dit- elle, «jusqu'à l'Idumée». Que ses tribulations se multiplient, que le feu des scandales s'allume avec violence, « j'étendrai ma chaussure jusqu'en Idumée»: c'est-à-dire, selon le sens de ce mot hébreu qui signifie terrestre, je m'étendrai jusqu'à ceux qui vivent d'une vie terrestre. «J'étendrai ma chaussure jusqu'en Idumée»; qu'est-ce que le Prophète entend par chaussure, sinon la prédication de l'Evangile? «Combien sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent les biens 2 ! Et que vos pieds aient une chaussure pour être toujours préparés à aller annoncer l'Evangile de la paix 3. Puisque «la tribulation produit la patience, que la patience produit l'épreuve, que l'épreuve produit l'espérance», le vase brûlant des afflictions ne me consumera pas, « car l'amour de Dieu a été répandu en nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné». Ne cessons ni de prêcher l'Evangile ni d'annoncer le Seigneur Jésus. «J'étendrai ma chaussure jusqu'en Idumée». Est-ce que les hommes terrestres ne lui sont pas soumis? Est-ce que ceux qui sont enchaînés par les passions de ce monde, ne l'adorent pas? Mes frères, combien de personnes terrestres commettent aujourd'hui le vol pour faire plus vite fortune, et se rendent coupables de parjure, afin de soutenir leurs tromperies ! et, quand la crainte les saisit, elles

1. Rm 5,3.- 2. Rm 10,15.- 3. Ep 6,15

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consultent les sorciers et ceux qui observent les astres: par là elles donnent la preuve qu'elles sont des Iduméens, des hommes terrestres; et, pourtant, elles adorent toutes le Christ, il les tient sous ses pieds: par conséquent, il étend sa chaussure jusqu'en Idumée. « Les Allophyles mc sont soumis». Qu'est-ce que les Allophyles? ce sont des étrangers, des hommes qui ne font point partie de mon peuple. «Ils me sont soumis», parce que beaucoup d'entre eux adorent le Christ, et ne régneront cependant pas avec lui. «Les Allophyles me sont soumis. Qui est-ce qui me conduira dans la ville qui environne?» Quelle est cette ville qui environne? Si vous vous en souvenez, mes frères, je vous l'ai déjà dit à l'occasion d'un autre psaume, en vous expliquant ces paroles: «Et ils environneront la ville». Cette ville n'est autre que la masse des Gentils répandus dans tous les pays de l'univers; ils environnaient de toutes parts le peuple juif: ce petit peuple adorait un Dieu unique; pour eux, ils étaient adorateurs des idoles, et esclaves des démons. Le Prophète donne donc aux Gentils le nom mystérieux de ville environnante, parce qu'ils s'étaient répandus partout, et qu'ils enveloppaient cette autre ville où l'on adorait un seul Dieu. «Qui est-ce qui me conduira dans la ville environnante?» Qui est-ce, si ce n'est Dieu? En d'autres termes: Comment me conduira-t-il, sinon par ces nuées dont il est dit: «Le bruit de votre tonnerre se fait entendre dans la roue 1». Cette roue n'est autre chose que la ville environnante. Elle est appelée roue, parce qu'elle signifie le globe terrestre, l'univers. «Qui est-ce qui me conduira dans la ville environnante? Qui est-ce qui me conduira jusqu'en Idumée?» Afin que j'étende mon règne même sur les personnes terrestres, afin que ceux-là mêmes m'adorent qui ne m'appartiennent pas, et ne veulent en rien profiter des avantages que je leur offre.

12. «Qui est-ce qui me conduira jusqu'en Idumée? N'est-ce pas vous, Seigneur, qui nous avez rejetés? Et vous ne sortirez point à la tête de nos armées 2». Est-ce qu'après nous avoir rejetés, vous ne nous conduirez pas? Mais pourquoi nous avez-vous rejetés? Parce que «vous nous avez détruits !» Et pourquoi nous avez-vous détruits? Parce que

1. Ps 77,19. - 2. Ps 59,12

vous vous êtes irrité, et que vous avez eu «compassion de nous»; c'est donc vous qui nous conduirez, après nous avoir rejetés vous qui ne sortirez pas à la tête de nos armées, vous nous conduirez. Qu'est-ce à dire «Vous ne sortirez pas à la tête de nos armées?» Le monde nous persécutera: il nous foulera à ses pieds; alors coulera à grands flots le sang des martyrs; alors s'élèvera le monceau du témoignage, et les païens, qui nous persécuteront, diront: «Où est donc leur Dieu 1?» En ce moment, «Seigneur, vous ne sortirez pas à la tête de nos armées». Vous ne vous déclarerez pas visiblement contre eux: vous ne manifesterez pas votre puissance en notre faveur, comme vous l'avez fait autrefois en faveur de David, de Moïse et de Jésus, fils de Navé, lorsque les Gentils se virent obligés de céder devant leur valeur guerrière, et qu'après les avoir exterminés et avoir ravagé leur pays, vous avez introduit votre peuple dans la terre promise. Vous n'agirez pas ainsi pour nous; «vous ne sortirez point, Seigneur, à la tête de nos armées». Vous agirez au dedans de nos coeurs. Que signifient ces mots: «Vous ne sortirez pas?» Ils signifient: Vous n'agirez pas visiblement. Autrefois, les martyrs marchaient chargés de chaînes, on les jetait en prison, on les exposait en public à la risée de tous, on les donnait en pâture aux bêtes, on les précipitait au milieu des flammes n'étaient-ils pas alors des objets de mépris, parce qu'ils semblaient abandonnés et privés de tout soutien? Comme Dieu agissait au dedans de leurs coeurs! Quelles consolations intérieures il leur procurait! Combien leur était douce l'espérance de la vie éternelle! Leur coeur n'était point délaissé par lui, ce coeur où l'homme demeure en silence, comblé de joie, s'il est bon; accablé de remords, s'il est du nombre des méchants. Le Seigneur ne sortait point à la tête de leurs armées et, pourtant, les abandonnait-il à eux-mêmes? Et n'est-ce pas précisément parce qu'il n'est pas sorti à la tête de leurs armées, qu'il a conduit l'Eglise jusqu'en Idumée, jusque dans la ville environnante? Si l'Eglise voulait combattre et se servir du glaive, ne semblerait-elle pas se battre pour défendre son existence temporelle? mais comme elle méprisait souverainement la vie présente, un

1. Ps 78,10

monceau de témoignages s'est élevé en sa faveur pour la vie éternelle.

13. Seigneur, puisque vous ne sortirez pas à la tête de nos armées, «donnez-nous du secours du milieu de l'affliction, parce que le salut qui vient de l'homme n'est que vanité». Loin de nous ceux qui n'ont pas en eux-mêmes la saveur du sel! Qu'ils souhaitent et recherchent pour les leurs un salut temporel qui n'est qu'une vaine vieillerie. « Donnez-nous du secours»: puisez le secours là même où vous sembliez ne pouvoir en puiser; qu'il nous vienne de cette source. « Donnez-nous du secours du milieu de l'affliction, parce que le salut qui vient de l'homme n'est que vanité. En Dieu nous ferons des actes de courage, et il anéantira nos ennemis» . Pour faire des actes de courage, nous ne nous servirons ni de glaives, ni de coursiers, ni de cuirasses, ni de boucliers, ni de troupes nombreuses, ni de secours du dehors: où puiserons-nous donc notre force? au dedans de nous; dans ce lieu secret où nous nous cachons. Où sera-ce donc? Ce sera en Dieu, que nous ferons des actions d'éclat: nous semblerons méprisés, foulés aux pieds: à nous voir, on dirait des hommes qui n'ont rien de recommandable; mais «il anéantira nos ennemis». Voilà, en effet, ce qui est arrivé à nos ennemis. Les martyrs ont été foulés aux pieds; par leur patience à souffrir, par leur persévérance jusqu'à la fin, ils ont fait en Dieu des actes de courage. Que sont devenus maintenant leurs ennemis? ces ennemis ne les persécutent plus comme autrefois d'une manière sanglante. Mais peut-être pourrait-on dire qu'ils les persécutent encore aujourd'hui en les affligeant par leurs ignobles excès de gourmandise.



Augustin, les Psaumes 592