Augustin, les Psaumes 71

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME LXX - LA GRÂCE PAR LE CHRIST (SUITE).

Ps 70,16-24

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.



L'orgueil nous a éloignés de Dieu, la fatigue nous y ramènera par la grêce, qui est un dors gratuit et que n'a précédée en nous aucun mérite, car c'est de l'homme animal créé le premier, que nous vient la captivité, et dis second homme, ou de l'homme spirituel, la délivrance. Ecoutons le Seigneur, et ne tuons point l'héritier. Dès notre jeunesse il nous a montré que nous sommes des déserteurs, que la grâce seule nous ramène comme le Prodigue, que depuis notre conversion, c'est encore lui qui est notre guide, car il est la voie, en dehors de laquelle nous uie pouvons marcher sans trouver la mort, puisqu'il est la vie. Et l'Eglise publiera jusqu'à la fin du monde la grâce du Christ, la délivrance par le Christ, les merveilles qui sont l'oeuvre du Christ. L'homme a voulu être comme Dieu, et s'éloigner de Dieu, tandis qu'il ne peut être comme Dieu qu'en demeurant en lui. La défense de toucher à l'arbre de la science du bien et du mal était le moyen de maintenir l'homme dans une soumission qu'il voulut secouer, et en dehors de Dieu qui est le bien, il ne trouva qu'une profonde misère. Il ne revient à Dieu qu'en disant: «Qui est semblable à Dieu?» Le Christ alors nous tire de l'abîme, une première fois en ressuscitant dans cette chair qu'il tient de nous; une seconde fois, en nous donnant l'espérance de la résurrection; une troisième fois, quand nous ressusciterons réellement. Chantons, et des lèvres et du coeur, sa justice qui se multiplie. Bénissons-le avec l'Eglise jusqu'à la fin des temps.

1. Hier nous avons démontré à votre charité que ce psaume nous prêche la grâce de Dieu, qui nous sauve gratuitement, sans que nous ayons auparavant mérité autre chose que la damnation; mais comme nous ne pouvions l'expliquer entièrement hier, nous avons réservé pour aujourd'hui la seconde partie, vous promettant d'acquitter notre dette (143) avec le secours de Dieu. Et maintenant qu'il nous faut l'acquitter, soyez attentifs et ouvre; vos coeurs comme des champs fertiles qui rendent la semence au centuple, et ne sont point rebelles à la céleste rosée. Nous avons parlé hier du titre du psaume, et toutefois pour le rappeler à votre mémoire et le faire connaître à ceux qui étaient absents hier, nous en disons rapidement un mot, que doivent se rappeler ceux qui ont entendu, et écouter ceux qui ne le savent point. Ce psaume est pour les enfants de Jonadab, nom qui signifie volontaire de Dieu, et nous enseigne qu'il faut servir Dieu avec une volonté spontanée, c'est-à-dire une volonté bonne, pure, sincère et parfaite, et non avec déguisement: c'est ce qu'indiquent encore ces paroles d'un autre psaume: «Je vous offrirai des sacrifices volontaires 1». C'est donc pour les fils de Jonadab, ou pour les fils de l'obéissance, que l'on chante ce psaume, et pour ceux qui les premiers furent conduits en captivité, afin que nous reconnaissions aussi notre gémissement, et qu'à chaque jour suffise sa malice 2. Si l'orgueil nous a éloignés de Dieu, que la fatigue nous ramène à lui. Et comme nous ne pouvons retourner à lui que par la grâce, cette grâce nous est donnée gratuitement; car si elle n'était gratuite, elle ne serait plus une grâce. Or, si elle est grâce, parce qu'elle est gratuite, nul mérite en vous ne l'a précédée, pour vous la faire accorder. Car si vos bonnes oeuvres l'avaient précédée, ce serait une récompense, et non un don gratuit: or, le salaire que nous méritions, c'est l'enfer, Notre délivrance n'est donc point due à nos mérites, mais bien à la grâce de Dieu. Bénissons-le donc, et reconnaissons que nous lui sommes redevables de tout ce qui est en nous, et de notre salut. C'est ainsi que le Prophète conclut tout ce qu'il a déjà dit: «Seigneur, je me souviendrai uniquement de «votre justice 3». C'est là que nous avons terminé hier notre instruction. Ces premiers captifs sont donc ceux qui appartiennent au premier homme: car c'est à cause du premier homme, en qui nous mourons tous, que nous sommes captifs. «En effet, ce n'est point l'homme spirituel qui fut formé le premier, mais bien l'homme animal d'abord, ensuite l'homme spirituel 4». Le premier homme a donc l'ait les premiers captifs, et le second

1. Ps 53,8.- 2. Mt 6,34.- 3. Ps 60,16.- 4. 1Co 15,46

homme les seconds rachetés. Car ce nom de rachetés dit hautement que nous étions captifs. D'où nous eût-on rachetés, si auparavant nous n'eussions été eu servitude? Pour exprimer plus clairement cette captivité que nous insinuait l'épître de saint Paul, nous avons emprunté ses paroles, afin de la prêcher en répétant avec lui: «Je vois dans mes membres une loi qui résiste à la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui règne dans mes membres 1». Telle est notre première captivité qui fait conspirer la chair contre l'esprit 2. C'est là le châtiment du péché, de diviser contre lui-même l'homme qui n'a pas voulu avoir un seul maître. Car rien n'est aussi avantageux pour l'âme que l'obéissance. Et si cet assujétissement est si avantageux à l'âme, dans un serviteur pour obéir à son maître, dans un fils pour obéir à son père, dans une épouse pour obéir à son mari; combien le sera-t-il plus dans l'homme pour obéir à Dieu? Adam fit l'expérience du mal, et tout homme est Adam, de même que tout homme est Christ en ceux qui croient, parce que tous sont membres du Christ: Adam fit donc l'expérience du mal, qu'il n'eût jamais ressenti s'il fût demeuré fidèle à cette parole: «N'y touche point 3». Après cette expérience du mal, qu'il obéisse au médecin qui veut le relever, lui qui n'a point voulu croire au médecin pour n'être point malade. Car un bon, un fidèle médecin donne à ceux qui sont en santé le moyen de ne point leur devenir nécessaire. Car ce n'est point l'homme en santé, mais bien le malade qui a besoin du médecin 4. Or, un médecin habile qui vous aime assez pour ne point chercher à vendre son art, qui a plus de joie de vous voir en santé que de vous voir malade, donne aux hommes qui se portent bien des conseils qu'ils doivent observer pour ne point tomber malades. Mais qu'on néglige Ces conseils, et qu'on arrive à la maladie, on a recours au médecin. On invoque, sous l'empire du mal, celui que l'on méprisait en santé. Qu'on le supplie du moins, et que dans le délire de la fièvre on ne s'emporte pas jusqu'à le frapper. Vous avez entendu tout à l'heure, dans la lecture de l'Evangile, une parabole contre ces frénétiques. Etaient-ils sains d'esprit ceux qui disaient: «Voici l'héritier, venez, tuons-le, et l'héritage sera pour

1. Rm 7,23. - 2. Ga 5,17. - 3. Gn 2,17. - 4. Mt 9,12

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nous 1?» Assurément non: car après avoir tué le fils, ils eussent tué le père; est-ce là de la sagesse? Enfin les voilà qui ont tué le fils: mais le fils est ressuscité, et la pierre qu'ont repoussée ceux qui bâtissaient, est devenue la pierre angulaire 2. Ils se sont heurtés contre elle, et se sont meurtris; elle tombera sur eux pour les écraser. Mais il n'en est pasde même de celui qui chante dans notre psaume, et qui dit: «J'entrerai dans la puissance du Seigneur»: non pas dans la mienne; mais dans celle «du Seigneur» . «Seigneur, je me souviendrai uniquement de votre justice». Je ne reconnais en moi aucune justice, je me souviendrai uniquement de la vôtre. C'est de vous que je tiens tout le bien qui est en moi; et tout le mal qui est en moi vient de moi. Au lieu du supplice que je méritais, vous m'avez donné la grâce que je ne méritais point. C'est donc uniquement de votre justice que je veux me souvenir.

2. «O Dieu, vous m'avez instruit dès ma jeunesse 3». Que m'avez-vous enseigné? Que je dois me souvenir uniquement de votre justice. Si je considère en effet ma vie passée, je comprends ce que je méritais, et ce qui m'a été accordé au lieu de ce que je méritais. Je méritais la peine, j'ai reçu la grâce; je méritais l'enfer, j'ai reçu la vie éternelle. «O Dieu, vous m'avez instruit dès ma jeunesse». A la première lueur de cette foi qui m'a renouvelé, vous m'avez appris qu'il n'y avait en moi rien qui pût me faire croire que vos dons étaient mérités. Qui peut se tourner vers Dieu, s'il n'est dans l'iniquité? Qui est racheté, sinon le captif? Qui peut dire que sa captivité était injuste, quand il a quitté son général pour suivre un déserteur? C'est Dieu qui est le général, et le déserteur, c'est le diable: le général a intimé un ordre, le déserteur a insinué la révolte 4; est-ce an commandement ou à la fourberie que tu as prêté l'oreille? Le diable te paraît-il préférable à Dieu? Celui qui fait défaut, à celui qui t'a créé? Tu as cru à la promesse du diable, et tu as rencontré la menace de Dieu. Maintenant donc, délivré de sa servitude, heureux en espérance, mais pas encore en réalité, marchant dans la foi, et non dans la claire vue, notre interlocuteur s'écrie: «O Dieu, vous m'avez instruit dès ma jeunesse». De-

1. Mt 21,38. - 2. Ps 117,22. - 3. Ps 61,17. - 4. Gn 2,17 Gn 3,1

puis que je me suis tourné vers vous, que vous avez renouvelé en moi ce que vous aviez fait, créé de nouveau ce que vous aviez créé, réformé ce que vous aviez formé; depuis que je me suis tourné vers vous, j'ai compris qu'il n'y avait d'abord en moi aucun mérite, mais que votre grâce m'a été donnée gratuitement, afin que je me souvinsse uniquement de votre justice.

3. Mais après la jeunesse? Car «vous m'avez instruit», dit le Prophète, «dès mes jeunes années»; qu'est-il arrivé après la jeunesse? Dès l'abord de ta conversion, tu as compris qu'avant ton retour à Dieu, il n'y avait rien de juste en toi, et que l'iniquité a précédé tout d'abord, afin que, à l'iniquité une fois bannie, pût succéder la charité; ayant revêtu l'homme nouveau, seulement par l'espérance, et pas encore dans la réalité, tu as compris qu'en toi nul bien n'avait précédé, que la grâce de Dieu t'a seule tourné vers Dieu. Mais depuis ta conversion, as-tu du moins quelque mérite qui t'appartienne, et dois-tu compter sur tes forces? Les hommes disent quelquefois: Laissez maintenant, j'avais besoin d'être mis sur le bon chemin; il suffit, je suivrai ma route. Le guide qui t'a montré le chemin reprend: Ne veux-tu point que je te conduise? Mais toi, dans ta présomption: Non, non, c'est assez, je suivrai ma route. On te laisse, et ton ignorance t'égare de nouveau. Il eût été bien pour toi qu'il te conduisît toujours, celui qui t'avait mis d'abord sur la voie. S'il rie le fait, tu vas t'égarer encore; dis-lui donc: « Seigneur, conduisez-moi dans voire voie, et je marcherai dans votre vérité». Mais prendre une voie nouvelle, c'est la jeunesse pour toi; c'est un renouvellement, le commencement de la foi. Car auparavant tu errais dans tes propres voies, tu t'égarais dans les sentiers âpres et épineux; meurtri dans tous tes membres, tu cherchais ta patrie, ou cette stabilité d'esprit qui te fît dire: C'est bien, et le le fît dire avec une pleine confiance, libre de toute épreuve, et enfin de toute captivité; or, c'est là ce que tu ne trouvais point. Que dirai-je? Qu'un guide est venu te montrer la voie? C'est la voie elle-même qui est venue vers toi, et tu as été remis dans cette voie, sans que tu l'aies aucunement mérité, puisque tu étais dans l'erreur. Mais depuis

1. Ps 85,11

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que tu y marches, es-tu ton propre guide Celui qui t'a enseigné la voie t'a-t-il délaissé ? Non, dit le Psalmiste:, «Vous m'avez enseigné dès ma jeunesse; et jusqu'à ce jour, je publierai vos merveilles». Car il y a du merveilleux dans ce que vous faites pour moi, pour me diriger et me mettre sur la route; et ce sont là vos merveilles. Quelles sont, crois-tu, les merveilles de Dieu? et de toutes ces merveilles, qu'y a-t-il de plus admirable que de ressusciter les morts? Mais suis-le donc un mort, diras-tu? Si tu étais mort, on ne te dirait point: «Lève-toi, ô toi o qui dors, sors d'entre les morts, et le Christ «t'illuminera 1». Tous les infidèles sont morts, comme tous les pécheurs, ils ont la vie corporelle, mais l'âme est morte. Or, rendre la vie à celui dont le corps est mort, c'est le mettre en état de voir encore cette lumière, et de respirer l'air; mais ce n'est pas être pour lui l'air et la lumière; il commence à revoir ce qu'il voyait auparavant. Ce n'est pas ainsi que l'on ressuscite une âme. Dieu seul ressuscite une âme, comme il est vrai de dire que seul il rend la vie au corps; mais pour Dieu, ressusciter un corps, c'est le rendre au monde; tandis que ressusciter une âme, c'est la ramener à lui-même. Supprimez l'air de ce monde, et le corps meurt aussitôt; que Dieu se retire, et notre âme est morte. Pour Dieu, ressusciter une âme, c'est la mettre en lui-même; en dehors de lui, elle meurt de nouveau. Or, il ne la ressuscite point pour l'abandonner à elle-même, comme il ressuscita Lazare, mort depuis quatre jours, et rendu à la vie du corps par la présence corporelle du Sauveur. Il approcha son corps du sépulcre et cria: «Lazare, sortez, dehors»: Lazare se leva et sortit du sépulcre, tout lié qu'il était, puis on le délia et il s'en alla 2. La présence du Seigneur le rendit à la vie, mais il vécut en l'absence du Seigneur. Et toutefois, en le ressuscitant par sa présence corporelle et visible, il le ressuscita encore par cette invisible majesté dont aucun lieu n'est privé. Or, bien que le Seigneur fût présent, d'une manière visible, pour ressusciter Lazare; quand le Seigneur s'éloigna de cette ville ou de ce lieu, Lazare cessa-t-il de vivre? Ce n'est pas ainsi que notre âme revient à la vie. Dieu la ressuscite, et voilà qu'elle meurt de nouveau, si Dieu l'abandonne.

1. Ep 5,14. - 2. Jn 11,41-44

donne. Je vais vous dire une chose hardie, et vraie néanmoins: nous avons deux vies, la vie de l'âme et la vie du corps, De même que l'âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de isotte âme; et comme le corps meurt quand il perd son âme, l'esprit meurt quand il perd son Dieu. C'est donc une grâce de la part de Dieu de nous ressusciter et de demeurer avec nous. Aussi, parce qu'il nous délivre de notre mort, et qu'il renouvelle en quelque sorte notre vie, nous lui disons: «O Dieu, vous m'avez instruit dès mes jeunes années». Et parce qu'il ne s'éloigne point de ceux qu'il ressuscite, de peur que son éloignement ne leur donne la mort, nous lui disons : « Et jusqu'à présent j'annoncerai vos merveilles», car je ne vis qu'en union avec vous; c'est vous qui êtes la vie de mon âme; elle meurt si vous l'abandonnez à elle-même. «C'est donc jusqu'à présent», c'est-à-dire, tandis que ma vie, ou plutôt mon Dieu est en moi. Mais après?

4. «Et jusqu'à ma vieillesse, et mes derniers jours 1». Voilà deux expressions pour désigner la vieillesse, et dont le sens est distinct du grec. L'âge mûr qui succède à la jeunesse, a chez les Grecs un nom particulier, et il en est un autre pour la vieillesse qui vient après l'âge mûr: on appelle presbutes, l'homme de l'âge mûr, et geron le vieillard. Mais comme ces deux noms sont confondus en latin, on a désigné la vieillesse par deux expressions, vieillesse et derniers jours; vous savez que ce sont là deux âges différents. «Vous m'avez instruit de votre grâce, dès u ma jeunesse; et jusqu'à présent», après ma jeunesse, « j'annoncerai vos merveilles», car vous êtes avec moi pour me garantir de la mort, vous qui êtes venu me ressusciter : «Et jusqu'à ma vieillesse, et le déclin de ma vie»; c'est-à-dire, jusqu'à mon dernier moment, si vous n'êtes avec moi, je n'aurai aucun mérite; que votre grâce demeure donc en moi. Ainsi parlerait un homme seul, toi, lui ou moi; mais comme c'est la parole d'un noble interlocuteur, c'est-à-dire de l'unité même, c'est la parole de l'Eglise; cherchons la jeunesse de l'Eglise. A son avènement, le Christ est crucifié, il meurt, il ressuscite, il appelle les nations, les voilà qui se convertissent, de généreux martyrs se présentent pour le Christ, le sang des fidèles est répandu,

1. Ps 70,18

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voilà que s'élève dans l'Eglise une abondante moisson: c'est sa jeunesse. Mais, à mesure que le temps marche, que l'Eglise confesse toujours et dise: «Jusqu'à ce jour j'annoncerai vos merveilles». Non-seulement dans ma jeunesse, alors que Paul et Pierre, que les premiers Apôtres les annonçaient; mais dans le cours des âges, moi ou plutôt l'unité des membres qui composent votre corps, «j'annoncerai vos merveilles». Et après? «Jusque dans la vieillesse et mes derniers jours, je publierai vos merveilles»; car l'Eglise sera ici-bas jusqu'à la fin des temps. Eh! Si elle ne devait subsister ici-bas jusqu'à la fin des siècles, à qui le Seigneur aurait-il dit : « Je suis avec vous, jusqu'à la consommation des temps 1?» Pourquoi fallait-il nous tenir ce langage dans les saintes Ecritures? C'est qu'on devait rencontrer des ennemis de la foi chrétienne qui diraient: Les chrétiens ne sont que pour un instant, ils disparaîtront, le culte des idoles reviendra, tout sera rétabli comme auparavant 2. Combien de temps subsisteront les chrétiens? «Jusqu'à la vieillesse, et les dernières années»; c'est-à-dire jusqu'à la fin des siècles. Et toi, misérable infidèle, tu attends que le Christianisme passe, et tu passeras sans être chrétien: tandis que les chrétiens doivent demeurer jusqu'à la fin des temps; et toi, dans ton infidélité, à la fin d'une vie si courte, de quel front te présenteras-tu devant un juge que tu auras blasphémé pendant ton existence? Donc, «depuis ma jeunesse jusqu'aujourd'hui, et jusqu'à ma vieillesse et mes derniers jours, Seigneur, ne m'abandonnez pas». Et cela ne sera point pour un temps, comme le disent nos ennemis. «Ne m'abandonnez point, que je n'aie publié votre puissance devant toute génération à venir». A qui le bras du Seigneur a-t-il été montré 3? Le bras du Seigneur, c'est le Christ. Ne m'abandonnez donc point: qu'ils ne soient point dans la joie, ceux qui disent: Les chrétiens ne sont que pour un temps. Qu'il y ait toujours des hommes pour annoncer votre bras. A qui? «A toutes les races futures». Si donc c'est à toutes les races futures, c'est jusqu'à la fin des siècles; car à la fin du monde, il n'y aura plus de génération à venir.

5. « Je publierai votre puissance et votre

1. Mt 28,20. - 2. Voir Discours sur le Ps 40,1. - 3. Ps 53,1

justice 1». C'est là montrer votre bras à toutes les générations à venir. Et quelle est l'oeuvre de votre bras? notre délivrance gratuite. Voilà ce que je dois publier, votre grâce à toute génération à venir; je dirai à tout homme qui doit naître: Tu n'es rien par toi-même, invoque le Seigneur; le péché vient de toi, le mérite vient de Dieu: ce qui t'est dû, c'est le châtiment, et si tu reçois une récompense, Dieu couronnera ses dons, et non pas tes mérites. Je dirai à toute génération à venir: Tu es venu de la captivité, tu appartenais à Adam. A toute génération à venir, je montrerai non mes forces, non ma justice, mais « votre puissance et votre justice, ô Dieu, jusqu'aux plus hautes merveilles qui sont votre ouvrage». Jusqu'à quel point « votre justice et votre puissance?» jusqu'à la chair et au sang? Bien plus «jusqu'aux merveilles les plus élevées qui sont votre ouvrage». Les cieux sont en haut, les Anges sont en haut, ainsi que les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances; ils vous doivent ce qu'ils sont, ils vous doivent la vie, et surtout la vie de justice, et la vie heureuse. Jusqu'où donc « publierai-je votre  justice et votre puissance?» « Jusqu'aux plus hautes merveilles qui sont votre ouvrage». Ne croyez pas que l'homme seul ait part à la grâce de Dieu. Qu'était l'ange avant d'être créé? Que serait-il s'il était délaissé de son Créateur? Donc «je publierai votre justice et votre puissance, jusqu'aux plus hautes merveilles qui sont votre ouvrage».

6. Toutefois l'homme se glorifie: et pour être de la première captivité, il écoute la suggestion du serpent: « Goûtez, et vous serez comme des dieux 2». Des hommes comme des dieux ! «O Dieu, qui est semblable à vous?» Rien, ni dans l'abîme, ni dans l'enfer, ni sur la terre, ni dans les cieux; car c'est vous qui avez tout créé. Comment l'oeuvre entre-t-elle en lice avec l'ouvrier? «O Dieu, qui est semblable à vous?» Pour moi, dit ce misérable Adam, et tout homme est en Adam, lorsque, cédant à la perversité, je veux être semblable à vous, je me vois réduit à en appeler à vous, de ma triste captivité; heureux jadis sous un roi plein de bonté, je suis devenu l'esclave de mon séducteur; et maintenant je crie vers vous, parce que je suis tombé en me séparant de vous. Et pourquoi

1. Ps 70,19.- 2. Gn 3,5

147

suis-je tombé loin devons? Parce que j'ai cédé à la malice, et voulu être semblable à vous. Quoi donc? N'est-ce pas à devenir semblable à lui, que le Seigneur nous appelle? N'est-ce point lui qui nous dit: « Aimez vos ennemis; priez pour ceux qui vous persécutent: faites du bien à ceux qui vous haïssent?» C'est là nous inviter à lui devenir semblables. Et puis, que dit-il ensuite? «Afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux». Or, que fait ce Père? Le voici assurément: «Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1». Donc vouloir du bien à ses ennemis, c'est ressembler à Dieu; et ce n'est point là de l'orgueil, mais de l'obéissance. Pourquoi? Parce que nous sommes faits à l'image de Dieu. «Faisons l'homme», dit-il, «à notre image et à notre ressemblance 2». Il n'y a donc point usurpation à garder,en nous l'image de Dieu, et puissions-nous ne point la perdre par notre orgueil. Mais qu'est-ce que cette prétention orgueilleuse d'être semblable à Dieu? Quel motif, pensez-vous, fait dire à cette âme captive: «Seigneur, qui est semblable à vous?» Quelle malice y a-t-il dans cette ressemblance? Ecoutez et comprenez, si vous le pouvez; nous espérons que celui qui nous met lui-même ces paroles dans la bouche, nous donnera aussi le pouvoir de les comprendre. Dieu n'a besoin d'aucun bien, il est le bien suprême, et tout bien vient de lui. Pour être bons, nous avons besoin de Dieu; mais lui, pour être bon, n'a nul besoin de nous, et non-seulement de nous, mais pas même «de ces merveilles si hautes qui sont son ouvrage»; il n'a besoin ni des esprits célestes, ni des esprits supérieurs encore, ni de ce que l'on nomme le ciel des cieux, pour être supérieur en bonté, en puissance, en félicité. Que serait tout ce qui n'est point lui, si lui-même ne l'eût créé? Quel besoin peut avoir de toi celui qui était avant toi, et qui est si puissant, qu'il t'a créé lorsque tu n'étais pas? Mais cette oeuvre, est-ce l'oeuvre des parents à l'égard des enfants? Cette génération est plutôt l'oeuvre d'une convoitise charnelle, qu'une création: Dieu crée alors qu'ils engendrent. Mais situ crées aussi bien que Dieu, dis-moi ce que ta femme doit mettre au monde. Pourquoi te demander de me le dire? Que ta femme le

1. Mt 5,44-45.- 2. Gn 1,26

dise, elle qui ne sait ce qu'elle porte. Et toutefois les hommes engendrent des fils, pour être la consolation et le soutien de leur vieillesse. Or, Dieu n'a-t-il créé tout ce qui existe que pour avoir un soutien dans ses vieux jours? Dieu connaît ce qu'il crée, et ses desseins de bonté sur sa créature, et ce qu'elle deviendra par sa propre volonté: Dieu connaît tout cela, et le coordonne avec sagesse, Mais l'homme, pour être quelque chose, se tourne vers celui qui l'a créé. Pour lui, s'en éloigner, c'est se glacer; s'en rapprocher, c'est se réchauffer; s'en éloigner, c'est la nuit; s'en rapprocher, c'est la lumière. Celui qui lui a donné l'être lui donne encore le bien-être. Enfin ce fils le plus jeune qui voulut avoir en main la part de cet héritage que son père lui gardait si avantageusement, devint maître de lui-même et s'en alla dans un pays éloigné, où il servit un maître méchant et garda les pourceaux. Mais la faim corrigea cet orgueilleux, que l'abondance avait éloigné 1. Donc tout homme qui aspire à être semblable à Dieu, qui veut se tenir auprès de lui, qui lui garde toute sa force 2,comme a dit le Prophète, ne doit point s'en éloigner; qu'il s'attache à lui, afin d'en recevoir l'empreinte, comme la cire reçoit l'empreinte d'un anneau; qu'en s'attachant à lui, il en reçoive l'image, et dise avec le Prophète: «Il m'est bon de m'attacher à Dieu 3», alors il gardera cette image, cette ressemblance à laquelle il a été fait. Mais si vouloir imiter Dieu n'est qu'un acte pervers, et de même que Dieu n'a besoin de personne pour le gouverner et le conduire, si l'homme veut user de sa puissance pour se diriger et se conduire comme Dieu, sans aucune main étrangère, que lui restera-t-il alors, mes frères, sinon de languir loin de ce feu divin, de s'évanouir loin de cette vérité, de changer toujours et d'aboutir au néant, loin de celui qui est souverainement, qui est immuable?

7. Voilà ce qu'a fait le diable: il a voulu imiter Dieu, mais d'une manière criminelle. Loin d'être soumis à la puissance divine, il a voulu une puissance à l'encontre de Dieu même. Quant à l'homme, il entendit le Seigneur Dieu qui lui intimait ce précepte «Ne touchez point 4». A quoi? A cet arbre. Et qu'était-ce que cet arbre? S'il est bon.

1. Lc 15,12-16.- 2. Ps 58,10.- 3. Ps 72,28.- 4. Gn 2,17

pourquoi n'y pas toucher? S'il est mauvais, que fait-il dans le paradis? C'est au contraire parce qu'il est un bon arbre qu'il est dans le paradis: mais je te défends d'y toucher. Pourquoi n'y pas toucher? Parce que je veux ton obéissance et non tes contradictions. Voilà ton service, ô serviteur; mais ne sers point d'une manière perverse. Serviteur, écoute avant tout l'ordre du Maître, et tu comprendras le sens du précepte. Cet arbre est bon, et je te défends d'y toucher. Pourquoi? Parce que je suis maître, et toi serviteur. C'est là toute la raison. Te paraît-elle faible, et dédaignerais-tu de me servir? Quel est ton avantage, sinon d'être soumis à ton maître? Or, s'il est avantageux pour toi d'être sous un maître, et d'obéir, que devait-il te commander? Pouvait-il exiger quelque chose de toi? Devait-il te dire: Offre-moi un sacrifice? N'a-t-il pas fait toutes les créatures, et toi-même entre ces créatures? Devait-il te dire: Sois à mon service, ou près de ma couche, quand je prends mon repos, ou à table quand je répare mes forces, ou dans le bain quand je me lave? Eh quoi! parce que Dieu n'avait nul besoin de tes services, ne devait-il rien te commander? Mais s'il fallait t'intimer un ordre, afin de te faire sentir, pour ton avantage, que tu es sous la dépendance d'un maître, il devait faire quelque défense, non pas que l'arbre fût mauvais, mais parce que tu avais besoin d'obéir. Or, le Seigneur ne pouvait te faire mieux sentir l'avantage de l'obéissance, qu'en prohibant pour toi ce qui n'était point mauvais. Il n'y a que l'obéissance qu'on puisse rémunérer, il n'y a que la désobéissance que l'on châtie. L'arbre est bon, mais je te défends d'y toucher. Tu ne mourras point, situ n'y touches point. Interdire cet arbre, était-ce donc interdire tous les autres? Le jardin n'est-il pas plein d'arbres fruitiers? Te manquerait-il quelque chose? Je t'interdis celui-là, je te défends d'en goûter. Il est bon, mais l'obéissance est meilleure encore. Si tu viens à y toucher, cet arbre deviendra-t-il un poison, qui te fera mourir? Non: mais toucher au fruit défendu est une désobéissance qui t'assujétit à la mort. Aussi cet arbre est-il appelé l'arbre de la science du bien et du mal 1, non que ses fruits la pussent donner; mais peu importe la nature de l'arbre, et la nature de ses fruits, il était ainsi appelé parce que l'homme qui ne voudrait

1. Gn 2,7

point faire le discernement du bien et du mal, d'après le précepte de Dieu, le devait faire par sa propre expérience, et n'enfreindre la défense que pour trouver la mort. Mais d'où vient, mes frères, qu'Adam y toucha? Que lui manquait-il? Oui, dites-le-moi, que lui manquait-il dans le paradis, au milieu de ces richesses, au milieu des délices, alors que ses délices étaient de voir la face de Dieu, cette face qu'il craignait après le péché comme la face d'un ennemi? Que lui manquait-il pour toucher à cet arbre? N'est-ce pas qu'il voulut user de sa puissance, et mit son bonheur à violer une défense, afin de n'être sous aucune domination, et d'être comme Dieu, puisque Dieu n'a aucun maître? Funeste liberté! criminelle présomption ! Le voilà qui mourra parce qu'il s'est éloigné de la justice! Voilà qu'il a violé le précepte, qu'il a secoué de ses épaules le joug de la discipline, et brisé dans sa fureur le frein qui le dirigeait; où est-il maintenant? Le voici captif, et il s'écrie; «Seigneur, qui est semblable à vous?» J'ai voulu follement devenir semblable à vous, et me voilà semblable aux bêtes. Sous votre empire, assujéti à vos lois, j'étais véritablement semblable à vous: mais l'homme était en honneur, et il ne l'a pas compris, il s'est comparé aux animaux sans raison, et leur est devenu semblable Dans cette malheureuse ressemblance avec l'animal, crie donc enfin, et dis au Seigneur: «O Dieu, qui est semblable à vous?»

8. «Que d'angoisses, et nombreuses et accablantes, vous m'avez fait éprouver 2 !» Tout cela est bien juste, esclave orgueilleux; car tu as voulu, dans ton insolence, être semblable à ton Seigneur, toi qui étais fait à son image. Et tu voudrais trouver le bonheur en t'éloignant du bien suprême? Dieu te dit alors: Si tu trouves la félicité en t'éloignant de moi, je ne suis pas le bien pour toi. Mais si Dieu est bon, souverainement bon, d'une bonté qui lui soit propre et ne lui vienne point d'ailleurs; s'il est pour nous le souverain bien,que serais-tu loin de lui, sinon mauvais? Et s'il est notre bonheur, que peux-tu espérer en t'éloignant de lui, sinon le malheur? Reviens donc, instruit par le malheur, et dis: «Seigneur, qui est semblable à vous? Que d'angoisses, et nombreuses et accablantes, m'avez-vous fait éprouver!»

1. Ps 48,13. - 2. Ps 20,20

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9. Toutefois ce n'était point un abandon, mais bien un châtiment, une épreuve. Ecoutons cette action de grâce du Prophète: «Vous êtes revenu, et vous m'avez rendu à la vie et retiré une seconde fois des entrailles de la terre 1». Quelle fut donc la première fois ?

Pourquoi «une seconde fois?» O homme, tu es tombé de bien haut, esclave rebelle, orgueilleux contre Dieu, tu es tombé de bien haut! Cette parole s'est accomplie en toi: « Quiconque s'élève sera humilié»; que cette autre s'accomplisse de même: «Quiconque s'abaisse sera élevé 2». Sors enfin de l'abîme. Me voici, dit-il, je reviens et je le reconnais: «O Dieu, qui est semblable à vous? Quelles tribulations, et nombreuses et accablantes, vous m'avez fait éprouver! Mais vous êtes revenu, vous m'avez rendu à la vie, et m'avez une seconde fois retiré des entrailles de la terre». Je comprends. Vous m'avez retiré des abîmes de la terre: vous m'avez retiré des profondeurs et de l'abîme du péché. Mais comment une seconde fois?» Quelle fut la première? Voyons la suite du psaume. Elle vous expliquera peut-être ce que nous ne comprenons pas encore, ce que signifie « une seconde fois». Ecoutons donc. «Combien d'angoisses, et nombreuses et accablantes, m'avez-vous fait éprouver! Et vous êtes revenu, et m'avez rendu à la vie, vous m'avez retiré une seconde fois des entrailles de la terre 3». Mais ensuite? «Vous avez multiplié votre justice, vous vous êtes tourné vers moi pour me consoler, et me retirer de nouveau des entrailles de la terre 4» Voici encore une fois « de nouveau». S'il nous paraissait difficile d'en préciser le sens une première fois, que sera-ce maintenant qu'il est répété? «De nouveau», signifie d'abord deux fois, et le voici encore une fois. Puisse m'aider celui de qui vient la grâce; puisse m'aider ce bras que nous annonçons à toute créature à venir; puisse-t-il m'aider lui-même, et que sa croix soit une clef qui m'ouvre ce mystère sacré. Ce n'est pas sans raison en effet qu'à sa mon sur la croix, le voile du temple 4 fut déchiré en deux parties, parce que la passion de Jésus-Christ mettait à découvert les mystères les plus cachés. Puisse-t-il assister ceux qui retournent à lui; que le voile soit enlevé 5; et que Jésus-Christ

1. Ps 60,20. - 2. Lc 14,11. - 3. Ps 59,21. - 4. Mt 27,51. - 5. 2Co 3,16

notre Seigneur et Sauveur nous dise pourquoi le Prophète parle ainsi: «Vous m'avez fait éprouver des peines sans nombre et accablantes; et revenant à nous, vous nous avez vivifié, et retiré de nouveau des entrailles de la terre». Voilà une première fois « de nouveau». Cherchons ce qu'il signifie et nous trouverons pourquoi il est répété une seconde fois.

10. Qu'est-ce que le Christ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui». Prodigieuse élévation! Incommensurable élévation! Et toi captif, où es-tu? Dans la chair, dans la mort. Qui est donc ce Verbe? Et toi qui es-tu? Qu'a fait ensuite ce Verbe? Et pour qui? Qui est-il, sinon le Verbe, comme on l'appelle? Quel Verbe? Est-ce une parole qui résonne et qui passe? C'est le Verbe qui est Dieu et en Dieu, le Verbe par qui tout a été fait. Qu'est-il pour toi? «Le Verbe qui s'est fait chair, pour habiter parmi nous 1. Celui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous, que ne nous donnera-t-il pas avec lui 2?» Voilà ce qu'il est, ce qu'il devient, et pour qui Le Fils de Dieu prend une chair à cause du pécheur, de l'homme inique, du déserteur, de l'orgueilleux, de ce misérable qui voulait être semblable à son Dieu. Il est devenu ce que tu es, ô fils de l'homme, afin que nous devinssions fils de Dieu. Il s'est fait chair; d'où est venue cette chair? De la vierge Marie 3. D'où venait la vierge Marie? D'Adam. C'était donc de ce premier captif, et la chair du Christ venait de cette niasse de servitude. A quoi bon? Pour te servir de modèle. Il à pris en toi le moyen de mourir pour toi; il a pris en toi de quoi offrir pour toi, afin de t'instruire par son exemple. Que devait-il t'apprendre? Que tu dois ressusciter. Comment pourrais tu le croire, si tu ne voyais la résurrection dans une chair tirée de la masse de ta mortalité? C'est donc en lui que nous sommes ressuscités tout d'abord, et nous sommes ressuscités, parce que le Christ est ressuscité; car ce n'est point le Verbe qui est mort, puis ressuscité: mais c'est la chair qui, dans le Verbe, est morte, puis ressuscitée. Le Christ est mort dans cette chair qui doit mourir en toi, et ressuscité dans cette

1. Jn 1,13-14. - 2. Rm 8,32.- 3. Lc 2,7

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même chair comme tu dois ressusciter. Son exemple t'apprend à ne rien craindre, mais à espérer. Tu redoutais la mort, et le voilà qui meurt; tu désespérais de ressusciter, le voilà qui ressuscite. Mais, diras-tu, le Christ est ressuscité; et moi, ressusciterai-je? Il est ressuscité dans cette chair qu'il a prise de toi et pour toi. C'est donc ta nature qui t'a précédé en lui: c'est ce qu'il tenait de toi qui est monté au ciel avant toi; tu y es donc monté aussi toi-même. Le Christ y est monté le premier, et nous en lui: parce que sa chair était de nature humaine. Donc, à sa résurrection nous avons été retirés des entrailles de la terre. Alors cette parole: «Vous m'avez retiré des entrailles de la terre», se justifie à la résurrection de Jésus-Christ. Et quand nous avons cru en lui, «il nous a tirés de nouveau des entrailles de la terre». Voilà encore «de nouveau». Ecoute l'Apôtre qui nous en prêche l'accomplissement: «Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est d'en haut, goûtez ce qui est d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez ce qui est du ciel, non ce qui est sur la terre 1». Le Christ est donc ressuscité le premier; nous aussi nous sommes ressuscités, mais seulement par l'espérance. Ecoute le même apôtre saint Paul qui nous dit: «Nous gémissons intérieurement dans l'attente de l'adoption, qui sera la délivrance de notre corps». Tu es encore dans les gémissements, encore dans l'attente. Qu'as-tu donc reçu du Christ? Ecoute ce qui suit: «Nous sommes sauvés par l'espérance; or, l'espérance qui verrait, ne serait plus une espérance. Car, comment espérer ce que l'on voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons par la patience 2». Ainsi donc, c'est par l'espérance que nous sommes tirés de l'abîme une seconde fois. Pourquoi une « seconde fois?» Parce que le Christ nous avait déjà précédés; et comme nous ressusciterons en réalité; puisque nous vivons dans l'espérance, et que maintenant nous marchons dans la foi; nous avons été retirés des entrailles de la terre, par la foi en celui qui est ressuscité avant nous des entrailles de la terre; notre âme est sortie de l'infidélité, de l'incrédulité, Ainsi s'est accomplie en nous une première résurrection par la foi. Mais si elle doit être la seule, que devient cette parole de saint

1 Col 3,1-2. - 2. Rm 8,23-25


Paul: «Nous attendons l'adoption qui délivrera notre corps?» et cette autre du même endroit: «Le corps est mort à cause du péché, mais l'esprit vit à cause de la justice? Or, si l'esprit qui a ressuscité le Christ d'entre les morts, vit en nous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts, vivifiera aussi vos corps mortels à cause de son esprit qui habite en vous». Donc, nous sommes déjà ressuscités en esprit par la foi, l'espérance et la charité. Mais il nous reste à ressusciter dans notre corps. Te voilà donc une première fois et une seconde fois tiré des entrailles de la terre. Une première fois, dans le Christ qui nous à précédés; une seconde fois, en espérance, et cette espérance deviendra une réalité. «Vous avez multiplié votre justice», dans ceux qui ont embrassé la foi, et qui sont ressuscités d'abord en espérance: « Vous avez multiplié votre justice». Car le châtiment vient de cette justice: « Et le temps est venu», dit saint Pierre, «de commencer le jugement par la maison de Dieu 2», ou par les saints. «Or, Dieu châtie tout homme qu'il adopte pour fils 3». Vous avez multiplié votre justice»: puisque vous n'avez pas épargné vos fils eux-mêmes, et que vous ne préservez pas du châtiment ceux à qui vous réservez l'héritage éternel. «Vous avez multiplié votre justice et vous vous êtes retourné pour me consoler»: et comme vous ressusciterez mon corps à la fin des temps, « vous m'avez tiré de la terre encore une fois».

11. «Pour moi, je chanterai toujours votre vérité sur les instruments du psaume 4». L'instrument du psaume est le psaltérion. Mais qu'est-ce que le psaltérion? Un instrument de bois avec des cordes. Que signifie-t-il? Il diffère quelque peu de la harpe: ceux qui le connaissent prétendent qu'il y a cette différence, que dans le psaltérion, ce bois creux auquel sont ajustées ces cordes qui doivent résonner, est à la partie supérieure, tandis qu'il est à la partie inférieure dans la harpe. Et comme l'esprit vient du ciel, tandis que la chair vient de la terre, le psaltérion paraît être un instrument céleste, tandis que la harpe serait terrestre. Or, comme le Prophète avait parlé de nous tirer deux fois des entrailles de la terre, une fois selon l'esprit et par l'espérance, une seconde fois, d'une

1. Rm 8,10-11. - 2. 1P 4,17.- 3. Pr 3,12 He 12,6. - 4. Ps 60,22

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manière corporelle et en réalité; écoutez ces deux résurrections: «Pour moi, je chanterai, en votre honneur, votre vérité sur l'instrument du psaume». Voilà pour l'esprit: et que sera-ce du corps? « Je vous chanterai sur la harpe, ô saint d'Israël».

12. Ecoutez encore cette résurrection, une première fois et une seconde fois. «Mes lèvres tressailliront quand je chanterai votre gloire 1». Comme les lèvres peuvent se dire de l'homme intérieur aussi bien que de l'homme extérieur, et que le sens qu'elles ont ici peut être incertain; le Prophète ajoute: « Ainsi que mon âme que vous avez rachetée». Donc, avec ces lèvres intérieures, sauvés en espérance, retirés des abîmes de la terre par la foi et la charité, et attendant néanmoins la délivrance de notre corps 2,que disons-nous à Dieu? Le Prophète a déjà parlé «de notre âme que Dieu a rachetée» .Mais pour ne point nous laisser croire que notre âme seule est rachetée par la délivrance dont il a parlé, «et encore», dit-il. Qu'est-ce à dire encore? «Mais encore ma langue», c'est bien la langue du corps, «publiera tout le jour votre justice 3»; c'est-à-dire éternellement, à jamais. Mais quand est-ce qu'il en sera ainsi? A la fin des siècles, lorsque notre corps sera ressuscité et semblable aux anges. Comment savons-nous que c'est de la fin du siècle qu'il est dit: «Et mon âme chantera votre justice pendant tout le jour?» C'est qu'alors « seront couverts de honte et de confusion ceux

1. Ps 60,23. - 2. Rm 8,23. - 3. Ps 60,24

qui cherchent à me nuire». Or, quand seront-ils dans la honte et dans la confusion, sinon à la fin des siècles? Ils ne peuvent être confondus qu'en deux manières, ou quand ils croiront au Christ, ou quand le Christ viendra les juger. Tant que l'Eglise, en effet, sera sur la terre, tant que le froment gémit au milieu de la paille, tant que gémissent les épis mêlés à l'ivraie 1, les vases de miséricorde parmi les vases de colère destinés à l'ignominie 2,tant que gémit le lys au milieu des épines, il ne manquera pas d'ennemis pour dire: « Quand mourra-t-il? quand périra sa mémoire et n son nom 3?» C'est-à-dire: A bientôt, et il n'y aura plus de chrétiens; ils ne sont que depuis un temps, et un temps viendra qu'ils disparaîtront. Mais en parlant de la sorte, ces ennemis meurent pour l'éternité et l'Eglise demeure, montrant le bras de Dieu à toute génération à venir. Mais à la fin des temps le Christ viendra dans sa gloire, et les morts ressusciteront tous, chacun portant ses oeuvres: les bons seront séparés et mis à la droite, et les méchants à la gauche 4; et nos insulteurs d'autrefois seront confondus, et nos railleurs couverts de honte; et c'est ainsi qu'après la résurrection, ma langue publiera votre justice et chantera votre louange pendant tout le jour, pendant que la honte et l'ignominie feront le partage de ceux qui cherchent à me nuire.

1. Mt 3,12 Mt 13,30. - 2. 2Tm 2,20. - 3. Ps 40,6. - 4. Mt 25,33




Augustin, les Psaumes 71