Augustin, Sermons 38

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SERMON XXXVIII. DÉTACHEMENT DU MONDE. (1).

1. Si 2,1-3

ANALYSE. - Nous contenir et souffrir sont deux vertus que tout ici nous invite à pratiquer avec soin. - I. C'est le moyen de conquérir le ciel. En effet 1. les biens et les maux sont mêlés ici bas, distribués indistinctement aux bons et aux méchants; il faut mériter par la souffrance et la tempérance les biens qui seront l'exclusif partage des justes. 2. Sans doute il faut travailler; mais n'est-ce pas la loi naturelle, que tout serviteur travaille, avant d'obtenir son salaire? 3. Ne ferons-nous pas pour un bonheur aussi important ce que l'on fait pour donner aux passions une satisfaction si vice et si douteuse? - II. C'est le moyen de conserver les biens de la terre. En effet 1. Jésus-Christ l'assure formellement dans l'Évangile en s'adressant au jeune homme riche qui demandait à le suivre. 2. Il assure même que faire l'aumône en son nom c'est lui prêter et lui donner à lui-même. Est-il des mains plus sûres que les siennes? 3. Les pauvres deviennent ainsi comme les porteurs au ciel des aumônes des riches chrétiens. - Dont réveillons notre foi, surtout dans ces temps de calamité, et ne nous attachons qu'à ce qui dure.

1. Deux vertus nous sont commandées dans cette vie laborieuse: nous contenir et souffrir. Il nous est ordonné de nous contenir à l'égard de ce que l'on appelle biens dans ce monde et de souffrir ce que l'on y appelle maux. La première de ces vertus se nomme tempérance, la seconde patience; et toutes deux purifient l'âme et la rendent capable de recevoir la nature divine. Nous avons besoin de tempérance pour mettre (159) un frein aux passions et réprimer nos convoitises, pour ne pas nous laisser séduire par de funestes caresses ni énerver par ce que l'on nomme la prospérité, pour ne pas nous fier au bonheur de la terre et pour chercher sans fin ce qui ne doit pas avoir de fin. Or, de même que la tempérance doit ne se pas fer au bonheur du inonde, ainsi la patience doit ne pas céder devant les malheurs du temps; et que nous soyons dans l'abondance ou dans la gêne, nous devons attendre le Seigneur pour recevoir de lui ce qui est vraiment bon et suave et pour être délivrés par lui des maux véritables.

2. Dieu réserve pour la fin de la vie les biens qu'il promet aux justes, et pour cette fin aussi les maux dont il menace les impies. Quant aux biens et aux maux qui se rencontrent et se mêlent dans le siècle, ils ne sont le partage exclusif ni des bons ni des méchants. Les bons et les méchants possèdent à la fois ce qu'ici bas l'on appelle biens: ainsi la santé est pour les bons et les méchants; tu trouveras aussi les richesses chez les uns et chez les autres. Ne voyons nous pas qu'il est donné aux bons et aux méchants d'avoir des enfants pour leur succéder; que s'il y a des bons il y a aussi des méchants pour vivre longtemps? Enfin quels que soient les autres biens du siècle que tu passes en revue, tu les rencontres indistinctement chez les bons et chez les impies. Également les bons et les méchants souffrent les peines et les afflictions de la vie, la faim et la maladie, la douleur et les pertes, l'oppression et le deuil: ce sont là pour tous des sujets de larmes. Il est donc facile de reconnaître que les biens du monde sont pour les bons et pour les méchants, et que les uns comme les autres supportent le poids de la vie.

Pour ce motif plusieurs chancellent dans les voies de Dieu et tendent à s'en écarter. Combien en effet s'égarent misérablement, après avoir entrepris et s'être déterminés de servir Dieu pour s'enrichir des biens de la terre, être préservés ou délivrés des afflictions du siècle! Quand, après s'être proposé ce bien et l'avoir considéré comme la récompense de leur piété et de leur religion, ils se voient dans la peine tandis que les impies prospèrent, ils s'imaginent être frustrés de leur récompense, être trompés par Celui qui les a appelés à son service; ils croient même devant cette déception que Dieu ne leur a commandé de travailler que pour se jouer d'eux, et ils l'abandonnent. Malheureux! Où vont-ils en s'éloignant de Celui qui les a créés pour s'attacher à ce qu'il a fait? Lorsque le monde commencera à leur échapper, que deviendront ces amis du temps qui ont perdu l'éternité?

3. Ainsi donc, quand Dieu veut qu'on se donne à lui, c'est en vue de ces biens qu'il ne réserve qu'aux bons et en vue de ces maux qu'il infligera seulement aux méchants et qui comme les biens ne se montreront qu'au terme de la carrière. Quelle serait la récompense de la foi, la foi même mériterait-elle son nom si tu voulais jouir maintenant de ce qui ne doit plus t'échapper? Tu ne dois donc pas voir ce que tu as à croire, mais croire ce que tu dois voir et le croire jusqu'au moment où tu le verras, dans la crainte que cette vue ne te couvre de confusion. Ainsi croyons durant l'époque de la foi, avant l'époque où nous serons admis à voir. «Tant que nous sommes dans ce corps, dit en effet l'Apôtre, nous voyageons loin du Seigneur, car c'est avec la foi que nous marchons (1).» Ainsi nous marchons par la foi tant que nous croyons ce que nous ne voyons pas; nous verrons un jour, nous verrons Dieu face à face tel qu'il est.

L'Apôtre Jean distingue aussi ces deux temps dans une épître. «Mes biens aimés, dit-il, nous sommes maintenant les enfants de Dieu, et ce que nous serons ne paraît pas encore.» Voilà le temps de la foi: voici celui de la claire vue. «Nous savons, dit-il encore, que nous lui serons semblables quand il se montrera, car nous le verrons tel qu'il est (2).»

4. Ce temps de la foi est un temps laborieux; qui le nie? Il est laborieux; mais n'est-ce pas le travail qui prépare la récompense? Ne sois point indolent à faire le travail dont tu convoites le prix. Si tu avais loué un ouvrier, tu ne lui compterais pas son salaire avant de l'avoir vu à l'oeuvre; tu lui dirais: Travaille, je te paierai ensuite; lui-même ne dirait pas: Paie, et je travaillerai. Ainsi fait Dieu. Si tu as la crainte de Dieu, tu ne tromperas point ton ouvrier, et en te défendant de tromper un ouvrier, Dieu te tromperait? Il est possible néanmoins que tu ne donnes point ce que tu as promis; malgré toute la sincérité du coeur, la faiblesse humaine rencontre parfois des obstacles dans la pénurie. Mais nous n'avons rien à craindre de Dieu; il ne peut tromper, car il est la vérité; et il possède tout en abondance car il a tout fait.

1. 2Co 5,5-7 - 2. 1Jn 3,2

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5. Ainsi confions-nous à Lui, mes frères; c'est notre premier devoir. Oui le premier acte de notre religion et de notre vie doit être de tenir, notre cour affermi dans la confiance, et par cette confiance de bien vivre, de nous abstenir des séductions et de supporter les afflictions du temps; de demeurer invincibles à leurs caresses et à leurs menaces, pour ne point nous laisser aller aux unes et pour ne nous briser pas contre les autres. Ainsi donc avec la tempérance et la patience, nous posséderons tous les biens sans aucun mélange de maux, lorsque les biens temporels auront cessé et qu'il n'y aura plus de maux à craindre.

C'est pourquoi il était dit dans la lecture: «Mon fils, quand tu t'approches du service de Dieu, demeure dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme à la tentation. Réprime ton coeur et souffre afin que ta vie croisse aux derniers jours.» - «Afin que ta vie croisse aux derniers jours;» et non pas maintenant. Et de combien croîtra-t-elle, pensons-nous? Jusqu'à devenir éternelle. Aujourd'hui en effet la vie humaine en s'allongeant ou en paraissant s'allonger, décroît plutôt qu'elle ne croit. Examinez et voyez, raisonnez et comprenez qu'elle décroît. Un homme vient de naître, c'est un exemple; Dieu lui donne, soixante-dix ans de vie. Il avance en âge et nous disons qu'il avance clans la vie. Mais avance-t-il ou recule-t-il? Sur soixante-dix ans il en a vécu soixante, il lui en reste dix; quelle diminution de la somme! Et plus il vit, moins il lui en reste. Donc en croissant ta vie décroît, plutôt qu'elle ne croit. Ah! Tiens ferme aux promesses de Dieu, «afin que» cette «vie croisse aux derniers jours.»

6. Ce qui suit n'a pas été lu: «Accepte tout ce qui t'arrive, demeure en paix dans la douleur et pendant ton humiliation garde la patience; car l'or et l'argent s'épurent par la flamme et les hommes agréables à Dieu, dans le creuset de l'humiliation (1).» Tu trouves cette épreuve difficile et tu succombes. Mais ne perds-tu point ce qui dure toujours? Combien d'hommes souffrent beaucoup pour l'argent qui passe, et tu ne veux pas souffrir pour la vie qui demeure? Tu refuses de travailler en vue des divines promesses; refuses-tu de le faire quand il s'agit de tes passions? Que n'endurent pas les voleurs pour leurs injustices? Que n'endurent pas les scélérats pour leurs crimes, les débauchés pour leurs

1. Si 2,1-5

désordres, et pour leur avarice les marchands qui passent les mers, qui jettent aux tempêtes et leur corps et leur âme, qui laissent ce qu'ils possèdent pour courir à l'inconnu? L'exil est un châtiment quand le juge y condamne; il devient un sujet de joie quand il est commandé par l'avarice. L'avarice ne pourrait-elle exiger de toi ce que la sagesse t'ordonne de plus difficile? Tu le fais toutefois pour obéir à l'avarice, et après l'avoir fait qu'obtiendras-tu en retour? - Une maison remplie d'or et d'argent. Mais n'as-tu pas lu: «L'homme passe comme une ombre, cependant il s'agite en vain; il amasse des trésors et il ne sait pourquoi.» Pourquoi donc as-tu chanté: «Seigneur, ne soyez pas sourd à mes sanglots (1)?» Pourquoi es-tu sourd à ses paroles quand tu veux qu'il ne le soit pas à tes gémissements? Condamne ton avarice et il t'appellera à sa sagesse.

Mais le joug de la sagesse ne te paraîtra-t-il point difficile à supporter? Soit; mais ne perds pas de vue le but, la récompense. Si tu amasses des trésors avec la sagesse, ne sais-tu pour qui? N'est-ce pas pour toi? Réveille-toi, courage! Aies au moins l'intelligence de la fourmi (2). Voici l'été, fais des provisions pour l'hiver. Cherche aux beaux jours ce qui te soutiendra durant les jours mauvais. Voici les beaux jours, tu es en été: ne sois pas indolent, recueille les grains laissés sur l'aire du Seigneur, écoute la parole de Dieu dans l'Église de Dieu; et cache-la dans ton cour. Oui, tu es aux beaux jours; mais viendront pour toi les mauvais. Tout homme doit s'attendre aux tribulations; posséda-t-il tous les biens de la terre, il faut au moins qu'il aille vers les angoisses de la mort pour arriver à une autre vie. Quel homme pourrait dire: Je suis heureux, et je ne mourrai pas?

7. Et si tu aimes la vie, si tu crains la mort, cette crainte même de la mort n'est-elle pas un hiver de chaque jour? N'est-ce pas au moment de la prospérité que la crainte de la mort affecte plus vivement, puisqu'au moment de l'adversité nous ne redoutons pas la mort?

Aussi ce riche qui était si satisfait de ses richesses, car il possédait de nombreux trésors et de vastes domaines, était, je crois, troublé par la peur de la mort, et cette mort le desséchait au milieu des délices. Il faudrait, se disait-il, abandonner ces biens, il les avait amassés et ne savait pour qui Il aurait voulu des biens éternels,

1. Ps 38,7-13 - 2. Pr 6,6

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il vint donc au Seigneur et lui dit: «Bon Maître, qu'ai-je à faire de bien pour obtenir la vie éternelle?» J'ai du bien, mais il s'échappe de mes mains; dites-moi comment faire pour en jouir toujours; dites-moi comment arriver à ne rien perdre. «Si tu veux parvenir à la vie, lui répondit le Seigneur, observe les commandements.» Lesquels demanda-t-il? Ils lui furent rappelés et il répliqua qu'il les avait gardés depuis sa jeunesse. Le Seigneur, le divin conseiller de la vie éternelle, reprit alors: «Une chose te manque: si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel.» - Remarquez, le Seigneur ne dit pas: Jette, mais «Vends, viens et suis-moi (1).»

Cet homme mettait son bonheur dans ses richesses; s'il demandait au Seigneur le bien qu'il devait faire pour obtenir la vie éternelle, c'est qu'il voulait quitter délices pour délices et redoutait de laisser celles dont il jouissait: il retourna donc plein de tristesse à ses trésors de terre. Il ne voulut pas croire que le Seigneur peut conserver au ciel ce qui sur la terre doit périr. Il ne voulut pas aimer réellement ce qu'il possédait; en le tenant mal il le laissa tomber, en l'aimant beaucoup il le perdit, Ah! S’il l'avait bien aimé, il l'aurait envoyé au ciel pour ensuite y aller lui-même. Le Seigneur lui avait montré une maison pour l'y déposer, non un lieu pour l'y perdre: car «où est ton trésor, dit-il encore, là aussi sera ton coeur (2).»

8. Mais les hommes veulent voir leurs richesses. - Toutefois ne craignent-ils pas de laisser voir les trésors qu'ils amassent sur la terre? Ils les enterrent, ils les enferment, ils les cachent; les voient-ils donc après les avoir enfermés et cachés? Le possesseur même ne les voit pas; il désire que personne ne les voie, il craint qu'ils ne soient découverts. N'est-ce pas chercher à être riche dans la pensée et non dans la réalité? Ne semble-t-il pas qu'il suffise à cet homme d'avoir conscience de ce qu'il conserve en terre? Oh! Que ta conscience serait bien plus à l'aise et en meilleur état si tu conservais ton bien dans le ciel! Quand ici tu l'as enfoui, tu crains que ton serviteur ne vienne à savoir où, pour l'enlever et s'enfuir. Ici donc tu crains parce que ton serviteur pourrait te le dérober; mais là rien n'est à craindre, car ton Seigneur est pour toi un sûr gardien.

1. Mt 19,16-22. -2 Mt 6,21

Mon serviteur est fidèle, réponds-tu; il sait où est mon trésor, mais il ne me trahira pas, il ne me l'enlèvera pas. Compare-le à ton Seigneur. Ton serviteur est fidèle; ton Dieu t'a-t-il jamais trompé? Ton serviteur est incapable de dérober, mais il peut laisser périr; ton Dieu ne peut ni l'un ni l'autre. Il te conserve ton trésor et il t'attend; il te délivre et t'inspire de l'attendre lui-même; il ne perdra non plus ni toi ni ce que tu lui confies. Viens, dira-t-il, reçois ce que tu as déposé près de moi. Que dis-je? Il ne te parle pas ainsi. Je t'ai défendu de prêter à usure, dit-il, et à usure je t'ai emprunté. Tu voulais en prêtant accroître tes richesses, tu donnais à un homme pour en recevoir davantage: il était gai en recevant, mais il pleurait en rendant. Voilà ce que tu voulais et je m'y opposais, car c'est moi qui ai loué «celui qui n'a point prêté son argent à usure (1).» Je t'interdisais l'usure; je te l'ordonne maintenant; prête-moi à usure.

Ainsi donc te parle ton Seigneur: Tu veux donner peu et recevoir beaucoup; laisse-là ce malheureux qui pleure quand tu lui réclames; viens à moi qui suis si heureux de rendre. Me voici; donne et reçois; au temps des comptes je te rendrai. Que te rendrai-je? Tu as donné peu, reçois davantage; tu m'as donné de la terre, voici le ciel; tu m'as donné du temps, voici l'éternité; tu m'as donné ce qui m'appartient, me voici moi-même. En effet m'as-tu rien donné que tu ne l'aies reçu de moi? Je ne te rendrais pas ce que tu as donné, moi qui t'ai mis en mesure de donner; moi qui t'ai donné le Christ à qui tu as donné et qui te dira: «Quand vous l'avez fait à l'un de mes petits, c'est à moi que vous l'avez fait (2)?» Ainsi Celui à qui tu donnes nourrit les autres et il a faim à cause de toi; il donne et reste dans le besoin. Tu veux bien recevoir quand il donne, et ne donner pas quand il a besoin! Le Christ est dans le besoin quand le pauvre y est; il est prêt à donner l'éternelle vie à tous ses serviteurs, et maintenant il daigne recevoir dans la personne de chaque pauvre!

9. II indique même où tu dois mettre ton bien, il dit le lieu où tu devrais l'envoyer. Pour ne pas le perdre transporte-le de la terre au ciel. Combien ont déjà perdu ce qu'ils voulaient conserver et n'ont pas appris par ces accidents, à prendre mieux leurs précautions! Que l'on vienne à te dire: Transporte tes richesses d'Occident en Orient, si tu ne veux pas les perdre; tu es embarrassé

1. Ps 14,5 - 2. Mt 25,40

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en peine, inquiet; tu examines ce que tu possèdes et à la vue de tant d'objets tu reconnais pour toi l'impossibilité d'aller t'établir au loin peut-être même pleures-tu dans cette obligation d'émigrer sans trouver moyen d'emmener ce que tu as amassé.

C'est plus loin encore qu'il te faut émigrer puisque Dieu t'a dit, non pas: Va d'Occident en Orient, mais: va de la terre au ciel. Tu es plus embarrassé encore, parce que tu vois une difficulté plus grande et tu dis en toi-même: Si je ne trouvais ni assez de bêtes de charge ni assez de vaisseaux pour me mener d'Occident en Orient, comment trouver des échelles capables de, tout me monter au ciel? - Ne sois pas en peine, reprend le Seigneur, ne sois pas en peine; c'est moi qui t'ai fait riche, moi qui t'ai mis en mesure de donner et je t'ai préparé des portefaix dans les pauvres. Si par exemple tu trouvais dans le besoin un homme d'outre-mer, ou bien si tu trouvais dans quelque embarras un citoyen du pays où tu veux aller, ne dirais-tu pas: Cet homme est du lieu où je veux me rendre; il manque ici de quelque chose, je vais le lui avancer afin qu'il me le rende par là? Le pauvre est ici dans l'indigence, et le pauvre est citoyen du royaume des cieux: pourquoi hésiter à le prendre pour l'aider à faire la traversée? Quand on avance ainsi à un étranger, c'est dans l'espoir de recevoir davantage lorsqu'on sera arrivé au pays de cet étranger: faisons de même.

10. Pour cela il suffirait de croire, de ranimer notre foi. Nous nous livrons en effet à des agitations vaines. Pourquoi des agitations vaines? Lorsque le Christ était endormi dans la barque, ses disciples faillirent être engloutis par les flots. Vous connaissez l'histoire: Jésus dormait, et ses disciples étaient dans le trouble; les vents soufflaient avec violence, les flots se soulevaient et la barque allait être submergée (1). Pourquoi? Encore une fois c'est que Jésus dormait. Ainsi ta barque est agitée, ainsi ton coeur se trouble quand le vent des tentations souffle avec violence sur la mer du siècle. Pourquoi, sinon parce que ta foi est endormie? Et l'Apôtre Paul dit que par la foi le Christ habite dans nos coeurs (2). Réveille donc le Christ dans ton âme, ranime

1. Mt 8,23-27 - 2. Ep 3,17

ta foi, apaise ta conscience et ton esquif est sauvé du naufrage. Comprends que l'auteur des promesses ne saurait tromper. Toutes encore ne te paraissent pas accomplies, parce que l'époque n'en est pas venue. Déjà néanmoins tu vois l'accomplissement d'un grand nombre. Dieu a promis son Christ, il l'a donné; il a promis sa résurrection, il est ressuscité; il a promis que son Église se répandrait dans tout l'univers, elle y est répandue; il a prédit les tribulations mêmes et d'énormes calamités, n'en a-t-on pas vu? Que reste-t-il? Les promesses sont accomplies, les prédictions le sont aussi, et tu as peur que le reste ne s'accomplisse pas! Ah! Tu devrais craindre, si tu ne voyais rien de ce qui a été annoncé. Voici des guerres, voici des famines, voici des renversements; voici royaume contre royaume, voici des tremblements de terre, des calamités immenses; les scandales se multiplient, la charité se refroidit, l'iniquité s'étend: lis, tout cela a été prédit. Lis et reconnais-le; tout ce que tu vois était annoncé, et en comptant ce qui est arrivé, crois fermement que tu verras ce qui ne l'est pas encore. Quoi! En voyant Dieu te montrer ce qu'il a prédit, tu ne crois pas qu'il donne ce qu'il a promis? Tes inquiétudes mêmes doivent être l'affermissement de ta foi.

11. Si nous sommes à la fin du monde, il faut le quitter et non l'aimer. Comment! Il est agité et tu l'aimes? Que serait-ce donc s'il était tranquille? Comment t'attacherais-tu à sa beauté, puisque tu l'embrasses ainsi dans sa laideur? Comment en cueillerais-tu les fleurs, puisque tu ne retires point la main du milieu de ses épines? Tu ne veux pas laisser le monde, il te laisse et tu cours après?

Ah! Mes très-chers, purifions nos coeurs et ne perdons point la patience; appliquons-nous à la sagesse et observons la tempérance. Le travail passe, voici le repos; les fausses douceurs passent aussi, et voici le bien désiré par l'âme fidèle, le bien après lequel soupire ardemment quiconque est étranger dans ce siècle: c'est la bonne patrie, la patrie céleste, la patrie où on voit les anges, la patrie où nul habitant ne meurt et où n'entre aucun ennemi; la patrie où tu pourrais avoir Dieu pour éternel ami sans avoir aucun ennemi à redouter.




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SERMON XXXIX. LE DÉTACHEMENT DU MONDE ET L'AUMONE. (1).

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ANALYSE. - Si le jour de la mort est incertain pour nous, c'est afin de nous tenir constamment prêts à mourir. Comment donc s'attacher aux biens du monde, que l'on est toujours exposé à quitter? Comment rechercher avec tant d'avidité les richesses, si remplies de périls? Comment ne les pas distribuer en larges aumônes? N'est-ce pas le moyen de les conserver sûrement, puisque l'aumône s'adresse à Jésus-Christ même? Faites l'aumône chacun selon vos moyens, et dans l'intention d'obtenir les grâces nécessaires au salut.

1. Frères, nous l'avons entendu, le Seigneur nous dit par l'organe du prophète: «Ne tarde point de te convertir à Dieu et ne remets point de jour en jour; car sa colère viendra soudain et il te perdra au moment de la vengeance.» Il t'a promis qu'au jour de la conversion il oublierait tous tes péchés passés; mais a-t-il promis que tu vivras demain? Ou bien, Dieu ne l'ayant pas promis, l'astrologue te l'aurait-il assuré pour te faire condamner, avec lui? Il est utile que Dieu ait laissé dans l'incertitude le jour de la mort; chacun doit méditer avec avantage sur son dernier jour. C'est par miséricorde que le Seigneur cache à chacun le moment où il mourra; et si l'on ignore le dernier, c'est pour que l'on sanctifie tous les jours,

2. Mais le monde fait obstacle; partout il flatte et il attire; on aime la grandeur de la fortune, l'éclat des honneurs, le respect qu'impose la puissance. On aime tout cela; que néanmoins on écoute l'Apôtre: «Nous n'avons rien apporté dans ce monde, dit-il, et nous n'en pouvons rien emporter.» C'est aux honneurs de te chercher, non à toi de chercher les honneurs. Car tu dois prendre la dernière place, afin que celui qui t'a invité te fasse monter à une place plus honorable (2). S'il ne le fait pas, mange où tu es, puisque tu n'as rien apporté dans ce monde. Est-ce peu pour toi de manger le bien d'autrui? Reste donc en quelque lieu que ce soit et mange. Tu diras: Je mange mon bien. Écoute l'Apôtre «Nous n'avons rien apporté dans ce monde.» En y venant tu as trouvé une table servie. Mais au Seigneur appartient la terre et tout ce qu'elle renferme (3).

1. Si 5,8-9 - 2. Lc 14,10 - 3. Ps 23,1

3. «Ceux en effet qui veulent devenir riches,» dit l'Apôtre. Il ne dit pas: Ceux qui sont riches; mais: «Ceux qui veulent le devenir,» c'est la passion, qu'il condamne, non la richesse. «Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition.» Tu aimes l'argent, et tu ne crains pas cela? C'est une bonne chose que la fortune, une bonne chose qu'une grande fortune. Mais «ils tombent dans la tentation:» tu ne crains pas? «Ils tombent dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles:» tu n'as point peur? Crains où mènent ces désirs. Et où mènent-ils? «Ils plongent les hommes dans la ruine et la perdition.» Et tu restes sourd? Tu ne crains pas la ruine et la perdition? Dieu tonne si fort et tu dors si profondément?

4. A ceux qui sont déjà riches l'Apôtre donne encore un conseil. «Commande, dit-il, aux riches de ce siècle de ne s'enfler, pas d'orgueil.» L'orgueil est le ver rongeur produit par les richesses. Il est difficile au riche de n'être pas superbe. Supprime l'orgueil, les richesses n'ont rien de nuisible. Mais que dois-tu en faire pour ne laisser pas inutiles les largesses du Seigneur? Tu dois «ne pas t'enfler D'orgueil;» à bas ce vice; «n'espérer pas aux richesses fragiles;» à bas ce vice encore. Après avoir écarté ces désordres, exerce-toi aux bonnes oeuvres. Auxquelles? Écoute: «Qu'ils soient riches en bonnes oeuvres, continue l'Apôtre, et qu'ils n'espèrent point aux richesses incertaines.» En quoi espèreront-ils? «Au Dieu vivant qui nous donne «tout abondamment pour en jouir.» Il donne le monde au pauvre, il le donne également au riche. Celui-ci, pour être riche, a-t-il deux corps à nourrir? Considérez et remarquez comme les pauvres dorment quand ils sont rassasiés des dons de Dieu. Celui qui vous nourrit, les nourrit aussi par vous.

5 Ainsi donc que l'on n'aime pas la fortune mais si on en a, voici ce qu'il en faut faire. Vous qui en avez, enrichissez-vous. En quoi? «En bonnes oeuvres. Qu'ils donnent aisément, dit l'Apôtre, qu'ils partagent.» Je vois d'ici l'avarice se contracter en entendant ces mots (164): «Qu'ils donnent aisément, qu'ils partagent;» on dirait qu'arrosée d'eau froide elle se raidit et se serre le sein en disant: Je ne perds pas, moi, le fruit de mes travaux. Infortuné, tu ne veux pas perdre le fruit de tes travaux; mais tu mourras; tu n'as rien apporté dans ce monde, tu ne saurais non plus en rien emporter; et n'en rien emporter, n'est-ce pas perdre le fruit de tous tes travaux? Écoute donc le conseil de Dieu, même.

Ne t'effraie point d'avoir entendu: «Qu'ils donnent aisément, qu'ils partagent.» conte encore ce qui suit, attends, ne me ferme pas la porte ni l'entrée de ton coeur, attends. Veux-tu savoir qu'en donnant aisément, qu'en partageant tu ne perdras pas et que même tu ne conserveras que ce que tu auras donné? «Qu'ils s'amassent, est-il dit ensuite, un trésor qui soit pour l'avenir un solide fondement, afin d'acquérir la vie éternelle,» Elle est donc fausse cette vie qui te charme; tu vis ici comme dans un songe. Si cette vie est un songe, la mort en sera le réveil; qu'auras-tu alors dans les mains? Vois-tu dormir ce mendiant? Il voit en songe un héritage lui advenir, rien n'est plus heureux que lui avant le réveil. Il croit avoir au moins de riches vêtements, des vases précieux, d'or et d'argent; il croit prendre possession de beaux et vastes domaines et voir à ses pieds de nombreuses familles: mais il s'éveille et pleure; il accuse celui qui l'a éveillé comme nous accuserions celui qui nous aurait dépouillés. Un psaume parle manifestement de ceci. «Ils ont dormi leur sommeil, dit-il, et tous ces hommes de richesses n'ont rien trouvé dans leurs mains (2),» après s'être éveillés.

6. Ainsi donc tu n'emporteras rien, puisque tu n'as rien apporté. Veux-tu ne rien perdre? Envoie là haut ce que lu as rencontré; donne au Christ, car le Christ consent à recevoir ici. Donne au Christ et tu ne perdras pas. Tu ne perds point en confiant à ton esclave ce que tu as gagné; et tu perdrais en confiant à ton Seigneur ce que tu as reçu de lui-même? Le Christ

1. 1Tm 6,7-19 - 2. Ps 75,6

veut bien être ici dans l'indigence; mais c'est à cause de nous. Il pouvait nourrir tous ces pauvres que vous voyez, comme il a nourri Elie, par le ministère d'un corbeau. Cependant il a ôté le corbeau à Elie même en faisant nourrir ce prophète par une veuve, c'est une grâce qu'il accordait non à Elie mais à cette veuve (1).

Ainsi donc, quand pieu fait des pauvres, en ne voulant pas qu'ils possèdent, quand Dieu fait des pauvres, il éprouve les riches, car il est mit «Le pauvre et le riche se sont rencontrés.» Où se sont-ils rencontrés? Dans cette vie. L'un est né, l'autre aussi, ils se sont trouvés, ils se sont rencontrés. Et qui les a faits tous deux? Le Seigneur (2). Il a fait le riche pour aider le pauvre, et le pauvre pour éprouver le riche.

Que chacun agisse selon ses moyens; nous ne disons pas qu'on aille jusqu'à se mettre à la gêne. C'est ton superflu dont un autre a besoin. Vous avez entendu tout à l'heure, quand on lisait l'Evangile: «Quiconque donnera à l'un de ces petits un verre d'eau froide à cause de moi, ne perdra point sa récompense (3).» Le Sauveur met en vente le royaume des cieux et il l'adjuge pour un verre d'eau froide. Mais c'est quand celui qui fait l'aumône est pauvre qu'il doit verser des charités de verre d'eau froide. Celui qui a plus doit donner davantage. Cette veuve donna deux oboles (4); Zachée donna une moitié de tous ses biens, et il réserva l'autre moitié pour réparer ses injustices (5).

L'aumône profite à qui a chante de vie. Quand en effet tu donnes au Christ indigent, c'est pour racheter tes péchés passés. Car si tu donnais pour obtenir de pouvoir pécher toujours impunément, ce ne serait point nourrir le Christ; ce serait essayer de corrompre ton juge. Faites donc l'aumône pour demander que vos prières soient exaucées et que Dieu vous aide à améliorer votre vie. Oui, en changeant de vie, améliorez votre vie, afin d'obtenir, par vos aumônes et vos prières, que vos péchés soient effacés et que vous parveniez aux biens à venir et éternels.

1. 1R 17,6 - 2. Pr 22,2 - 3. Mt 10,42 - 4. Mc 12,42 - 5. Lc 19,8




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SERMON XL. CONTRE LE DÉLAI DE LA CONVERSION. (1)

ANALYSE. - Notre devoir est de servir Dieu avec une patience et une confiance inaltérables. Combien donc ils se trompent ceux qui ne veulent point revenir à lui, soit par désespoir soit par présomption! Combien se méprennent aussi ceux qui diffèrent de se convertir! - En effet, 1. fussent-ils surs de se convertir plus tard, pourquoi mener une vie mauvaise quand ils peuvent la rendre bonne? 2. Qu'ils montrent le passage de l'Écriture qui leur promet de vivre demain: partout au contraire ils y sont pressés de se convertir. 3. Donc qu'ils regardent comme un bienfait mes instances importunes à les tirer de leur sommeil. 4. Que leur servirait-il d'être rassurés par moi si Dieu me désavoue? - Ainsi tous demandons avec ferveur notre conversion et la parfaite sanctification de nos âmes.

1. Souvent, mes frères, nous avons chanté avec le Psalmiste: «Attends le Seigneur, agis avec courage; fortifie ton coeur et attends le Seigneur (2).» Que veut dire: «Attends le Seigneur?» Que tu reçoives quand il donnera, que tu n'exiges point quand il te plaît. L'époque de ses récompenses n'est point encore arrivée; attends-le, puisqu'il t'a attendu. Mais qu'ai-je dit: Attends-le puisqu'il t'a attendu? Si déjà tu vis dans la justice, si déjà tu es converti, si tes anciens péchés te déplaisent, si tu es déterminé à mener dans la pratique du bien une vie nouvelle; ne te hâte point d'exiger la récompense. Dieu a attendu que tu corrigeasses la perversité de ta vie; attends qu'il en couronne la vertu. Car si lui-même n'attendait encore, il n'y aurait personne à qui il pût donner. Attends donc, puisqu'on t'a attendu.

2. Pour toi, qui ne veux pas té corriger, oh! qui que tu sois qui refuses de revenir à Dieu; hélas! je parle comme s'il n'y en avait qu'un seul et j'aurais dû dire plutôt: Qui que vous soyez ici; cependant toi qui es ici et qui n'es point résolu de te corriger, et pour parler comme s'il n'y en avait qu'un; qui que tu sois qui ne veux pas te convertir, que te promets-tu? Est-ce le désespoir ou la présomption qui te perd? Victime du désespoir, tu dis en ton coeur, qui que tu sois Mon péché m'accable, mes iniquités me dévorent, quel espoir ai-je de vivre? Écoute le prophète. «Je ne veux pas la mort de l'impie, je veux seulement que l'impie se convertisse de sa voie détestable et qu'il vive (3).» Et toi que perd la présomption, tu dis aussi dans ton coeur Dieu est bon, Dieu est miséricordieux, il pardonne tout, il ne rend pas le mal pour le mal. Mais écoute l'Apôtre: «Ignores-tu, dit-il, que la patience de Dieu t'invite à la pénitence? (4).»

1. Si 5,8-9 - 2. Ps 26,14 - 3 Ez 33,11 - 4. Rm 2,4

3. Qu'as-tu donc encore à répondre? Si nous avons gagné sur toi quelque chose, si tu as saisi ce que je viens de rappeler, je vois ce que tu m'objecteras. J'en conviens, diras-tu; mais je ne m'abandonne ni au désespoir pour en être victime, ni à la présomption pour en être également accablé. Je ne répète pas: mon iniquité m'écrase, je n'ai plus d'espoir. Je ne dis pas non plus: Dieu est bon, il ne châtie personne. Je m'abstiens de ces deux extrêmes, également pressé par l'autorité dit Prophète et par l'autorité de l'Apôtre. - Alors que dis-tu? - Je vivrai encore un peu de temps à ma fantaisie. - Voilà ceux qui nous fatiguent; ils sont nombreux et importuns. - Je vivrai encore un peu de temps à nia fantaisie, je me corrigerai ensuite; et comme la vérité est dans ces paroles du prophète: «Je ne veux pas la mort de l'impie, je veux seulement qu'il sorte de sa voie perverse et qu'il vive:» quant je me serai converti, Dieu effacera toutes mes fautes. Pourquoi n'ajouter pas à mes plaisirs et ne pas suivre mes désirs aussi longtemps que je veux, puisque je dois ensuite me convertir au Seigneur?

4. - pourquoi ce langage, mon frère, pourquoi? - Parce que Dieu m'a promis le pardon si je change. - Je le vois, je le sais, Dieu a promis le pardon. Il le promet par son saint prophète, il le promet par moi-même, le dernier de ses serviteurs; il est bien vrai qu'il le promet, il l'a promis encore par son Vils unique. Mais pourquoi vouloir joindre des jours mauvais à de mauvais jours? Qu'à chaque jour suffise son mal (1). Le jour d'hier était mauvais, celui-ci l'est encore, demain le sera aussi. Crois-tu bons en effet les jours où tu satisfais tes passions, où tu plonges ton coeur dans l'a débauche, où tu tends des pièges à la pudeur, où tu aigris le

1. Mt 6,34

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prochain par la fraude, où tu nies un dépôt, où pour une pièce de monnaie tu fais un faux serment? Le bonheur du jour consiste-t-il pour toi dans un bon repas? Eh! comment le jour serait-il bon pour toi si tu es mauvais? A de mauvais jours tu veux donc ajouter des jours mauvais?

5. - Qu'on me laisse donc un peu, dit ce pécheur. - Pourquoi? - Parce que Dieu m'a promis le pardon. - Mais personne ne t'a promis de vivre demain. Tu lis bien dans le Prophète, dans l'Évangile et dans l'Apôtre que Dieu effacera tes iniquités lorsque tu te seras converti montre-moi mais de la même manière quel est le texte sacré qui t'assure du lendemain, et demain je te permettrai de faire le mal. Mais non, mon frère, je ne puis t'adresser ce langage. Peut-être cependant ta vie sera-t-elle longue. Si elle est longue, qu'elle soit donc bonne. Pourquoi chercher une vie à la fois longue et mauvaise? Mais si elle n'est pas longue, aime alors cette autre vie qui sera vraiment longue, puisqu'elle n'aura pas de fin. Si d'ailleurs elle est longue, comment te repentir d'avoir mené une vie bonne et longue en même temps? Voudrais-tu mal vivre pendant longtemps? Voudrais-tu ne pas bien vivre? Personne toutefois ne t'a promis de lendemain. Corrige-toi, écoute l'Écriture. «Ne diffère pas, dit-elle, de te convertir à Dieu.» Ces paroles ne sont pas de moi et elles sont à moi. Elles sont à moi, si je les aime aimez-les, et elles seront également pour vous. Elles viennent de la sainte Écriture; méprise-les, elles seront pour toi l'ennemi, l'ennemi avec lequel, dit le Seigneur, il faut t'empresser de te mettre d'accord (1). Que tous soient attentifs, je répète ici les paroles de l'Écriture divine. Malheureux qui diffères, malheureux ami du jour de demain, écoute le Seigneur quand il parle, écoute l'Écriture quand elle prédit. Je suis ici une sentinelle avancée. «Ne tarde pas de te convertir au Seigneur et ne diffère pas de jour en jour.» - N'est-il pas ici question, n'est-ce pas ici le caractère de ceux qui disent: c'est demain que je commence à bien vivre, je vis mal aujourd'hui? Demain encore tu tiendras le même langage. «Ne tarde pas de te convertir à Dieu et ne diffère pas de jour en jour. Car sa colère viendra soudain et il te perdra au jour de la vengeance.» Est-ce moi qui ai écrit cela? Puis-je l'effacer? Et si je l'efface ne serai-je pas effacé? Je puis le taire sans douté, mais je crains

Mt 5,25

ce silence. Je suis contraint de publier cette vérité, et je communique la crainte qu'elle m'inspire. Partagez ma crainte pour partager ma joie. «Ne tarde pas de te convertir à Dieu.» Voyez, Seigneur, ce que je dis; vous savez, Seigneur, que vous m'avez effrayé à la lecture de votre prophète. Vous connaissez, Seigneur, l'effroi dont alors j'étais glacé sur cette chaire. Écoutez, je répète encore: «Ne tarde pas de te convertir à Dieu et ne diffère pas de jour en jour; car sa colère viendra soudain et il te perdra au jour de la vengeance.» Or je ne veux pas qu'il te perde.

6. Ne me dis pas: Je veux périr; car je ne veux pas, moi. Mon refus est préférable à ton vouloir. Je suppose que ton père malade soit tombé en léthargie; il est entre tes bras et c'est toi qui, jeune encore, dois assister ce vieillard. Le médecin te dit: Ton père est en danger; ce sommeil est un appesantissement mortel. Attention! Ne le laisse pas dormir; si tu le vois céder, au sommeil, excite-le; si c'est peu, va jusqu'à le pincer; si c'est peu encore, emploie l'aiguillon pour le dérober à la mort. N'est-il pas vrai que malgré ta jeunesse tu ne craindrais point de te rendre importun à sa vieillesse? Il se laisserait aller aux douceurs d'un sommeil maladif, dans ce lourd assoupissement il fermerait les yeux et tu lui crierais: Ne t'endors pas. Laisse-moi, je veux dormir, répondrait-il. Mais le médecin a dit, répliquerais-tu, qu'il ne faut point te laisser dormir. - Je t'en conjure, reprendrait-il, laisse-moi, je veux mourir. - Et moi je ne le veux pas, dit le fils à son père, à son père qui appelle la mort. Toi donc, tu veux retarder cette mort, tu veux vivre un peu plus longtemps encore avec ce vénérable vieillard condamné pourtant à mourir. Maintenant le Seigneur te crie lui-même: Ne t'endors point pour ne pas dormir toujours, éveille-toi pour vivre avec moi et posséder en moi un père dont tu ne conduiras point le deuil. Tu l'entends et tu es sourd.

7. Sentinelle avancée, qu'ai-je fait? J'agis libéralement, je ne, vous veux point de mal. Je bais néanmoins que plusieurs diront: Que prétend-il? Il nous a effrayés, accablés, condamnés. Ah! J’ai voulu plutôt vous sauver de la condamnation. Il serait pour moi hideux, honteux, pour ne pas dire coupable, dangereux et funeste; donc il serait pour moi honteux de vous tromper, puisque Dieu ne me trompe pas.

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Le Seigneur menace de la mort les impies, les débauchés, les trompeurs, les scélérats, les adultères, les chercheurs de plaisirs, les contempteurs d'eux-mêmes, ceux qui se plaignent des temps sans changer de moeurs; le Seigneur les menace de la mort, il les menace de la géhenne, il les menace de la ruine éternelle. Pourquoi veulent-ils que je leur promette ce que Dieu ne promet point? En vain le régisseur te laisse en paix: quel, service te rend-il si le père de famille n'y consent pas? Je suis ici régisseur, serviteur moi-même. Tu veux que je te dise: Vis à ta fantaisie et Dieu ne te perdra point? Ce serait une assurance de régisseur, assurance inutile. Ah! Mieux vaudrait qu'elle te vint du Seigneur et que l'inquiétude vint de moi. L'assurance du Seigneur aurait son effet malgré moi; la mienne serait sans valeur malgré lui. Or, mes frères, quelle peut être ma sécurité ou la vôtre, sinon d'écouter avec attention et avec soin les ordres du Seigneur et d'attendre ses promesses avec confiance? Ce travail nous fatigue, parce que nous sommes hommes: donc implorons son secours, élevons jusqu'à lui nos gémissements. Ne prions pas pour obtenir les biens du siècle qui passent, qui fuient, qui s'évanouissent comme une vapeur; prions pour obtenir l'accomplissement de la justice et la sainteté au nom du Seigneur; non pour la défaite d'un voisin, mais pour la défaite de la cupidité; non pour la guérison du corps, mais pour la ruine de l'avarice. Prions ainsi; la prière alors nous fortifiera intérieurement dans la lutte et nous couronnera dans la victoire.





Augustin, Sermons 38