Augustin, Sermons 7

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SERMON VII. MOÏSE ET LE BUISSON ARDENT.

Ex 3

ANALYSE. - Ce discours, plus étendu que le précédent, est un développement beaucoup plus long de ce qui en faisait simplement la première partie. Evidemment saint Augustin a ici en vue les Ariens et il s'attache à réfuter les objections qu'attiraient, contre la divinité de Jésus-Christ, de ce qu'ici il est parlé d'un Ange. Les trois circonstances de l'apparition, déjà expliquées précédemment, font comme les divisions de ce deuxième discours.

1. Pendant qu'on faisait la divine lecture, nous avons considéré de tout notre coeur l'étonnant miracle qui avait déjà rendu si attentif Moïse, le serviteur de Dieu. Nous aussi nous nous demandions comment le buisson paraissait tout en feu sans se consumer. Nous avons remarqué encore que d'après un autre livre sacré l'Ange du Seigneur s'était montré d'abord à Moïse dans ce buisson (1); et Moïse toutefois ne converse pas avec un Ange, mais avec le Seigneur même. Nous avons remarqué, en troisième lieu,

- 2. Ac 7,30

que Moïse ayant demandé à, connaître le nom de Dieu, afin de pouvoir répondre aux fils d'Israël lorsqu'ils lui adresseraient cette question, et lui demanderaient qui l'a envoyé, il lui fut répondu: «Je suis, l'Etre.» Cette réponse ne fut pas faite comme en passant; afin d'en mieux faire sentir l'importance, elle fut renouvelée: «Tu diras donc aux fils d'Israël: c'est l'Être qui m'a envoyé vers vous.» Enfin, après avoir ainsi fait connaître son nom, le Seigneur ajouta: «Tu leur diras: Le Seigneur Dieu de vos pères, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob, (31) m'a envoyé vers vous, et tel est mon nom pour l'éternité (1).»

Entendez sur ces mystères ce que le Seigneur me communique. Ils sont grands, ils recèlent en quelque sorte de divins secrets, et si nous entreprenions de les développer comme il convient, nous n'en aurions ni le temps ni la force.

2. Ce que nous pouvons observer d'abord, c'est que si la flamme est dans le buisson sans le réduire en cendres, ce n'est pas en vain, ce n'est pas inutilement, ce n'est point sans indiquer une vérité cachée. Le buisson est une espèce d'épines; mais produite pour punir l'homme de son péché, l'épine ne saurait être employée comme symbole de bonheur; car ce fut seulement après la faute première qu'il fut dit: «La terre portera pour toi des épines et des chardons (2).» Ce buisson qui ne brûle point, c'est-à-dire que la flamme ne saurait pénétrer, n'est pas non plus un heureux indice. La flamme sans doute est de bon augure, puisque c'est un Ange ou le Seigneur même qui s'y montre; puisqu'au moment où le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres, ils virent des langues divisées comme des langues de feu. Il faudrait donc que ce feu nous pénétrât et que notre dureté ne l'empêchât point de nous enflammer. Mais ce buisson qui ne brûlait point, désignait le peuple qui résistait à Dieu et par conséquent le peuple coupable des Juifs à qui Moïse était envoyé. Si ce buisson résistait au feu, c'est que ce peuple, comme je l'ai dit, se révoltait contre la loi divine, et si ce peuple n'avait les épines pour symbole il n'en aurait point fait une couronne au Christ (3).

3. Le personnage qui s'adressait à Moïse s'appelle en même temps le Seigneur et l'Ange du Seigneur. Lequel des deux est-il? C'est une grande question. On ne doit pas se prononcer avec témérité, mais examiner avec soin. Or deux opinions peuvent s'élever sur ce point et quelle que soit la vraie chacune est orthodoxe. Quelle que soit la vraie, c'est-à-dire quelle qu'ait été la pensée de l'écrivain sacré; car s'il nous arrive, en étudiant l'Écriture, de penser autrement que l'auteur, nous devons prendre garde de nous écarter de la règle de la foi, de la règle de la vérité. Je vais donc vous exposer ces deux opinions, sans nier qu'il y en ait une troisième que j'ignore, et vous choisirez celle que vous voudrez.

Selon les uns ce personnage s'appelle le Seigneur

1. Ex 3,14 - 2. Gn 3,18 - 3. Mt 27,29

et l'Ange du Seigneur, parce que c'était le Christ, nommé expressément par un prophète l'Ange du grand conseil (1). Le mot Ange désigne l'office et non la nature, car en grec il signifie messager; or ce terme de messager indique un être qui agit, qui annonce. Mais le Christ ne nous a-t-il point annoncé le royaume des cieux? De plus, l'Ange ou le messager est envoyé par qui le charge d'annoncer quelque chose. Le Christ n'a-t-il pas été envoyé? Ne dit-il pas souvent: «Je suis venu accomplir non pas ma volonté, mais la volonté de qui m'a envoyé (2)?» Il est l'envoyé par excellence; il est cette piscine mystérieuse de Siloë qui signifie envoyé. Aussi est-ce là qu'après avoir couvert de boue les yeux de l'aveugle-né, il lui commanda de se lever (3). Nul en effet ne recouvre la vue s'il n'est purifié par le Christ. Ainsi l'Ange de Moïse peut être le Seigneur.

4. Mais voici un écueil à éviter. Il y a des hérétiques qui soutiennent qu'il y a des différences entre la nature du Père et la nature du Fils, et qu'ils n'ont pas une seule et même substance. La foi catholique croit au contraire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul. Dieu, trois personnes en une même essence, inséparables, égales, sans mélange ni confusion, sans division ni séparation. Or pour prouver que le Fils n'a point la même nature que le Père, ils s'appuient sur ce que le Fils a apparu aux anciens. Mais le Père, disent-ils, ne leur a point apparu; or une nature visible est différente d'une nature invisible. Aussi, poursuivent-ils, est-il dit du Père que «nul homme ne l'a vu ni ne peut le voir (4).» Ils veulent conclure ainsi que celui qui s'est montré à Moïse et à Abraham, à Adam et aux autres patriarches, n'est pas Dieu le Père, mais plutôt le Fils et qu'il est une créature.

Tel n'est point le langage de l'Église Catholique. Que dit-elle? Le Père est Dieu, le Fils est Dieu; le Père est immuable et le Fils immuable; le Père est éternel, le Fils également éternel; le Père est invisible et le Fils invisible: dire que le Père est invisible mais le Fils visible, ce serait distinguer, séparer même les natures. Comment trouver la grâce quand on perd la foi? Voici donc comment se résout cette question.

Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, est invisible dans sa propre nature. Il s'est montré quand il a voulu et à qui il a voulu, non tel qu'il est, mais comme il a voulu, car tout est à ses ordres.

1. Is 9,6 - 2. Jn 6,38 - 3. Jn 9,7 - 4. 1Tm 6,16

32

Ton âme est invisible dans ton corps, et pour se montrer elle prononce une parole. Mais cette parole où se révèle ton âme n'en est pas la substance, elle en diffère, et néanmoins ton âme se montre dans ce qu'elle n'est pas. Ainsi Dieu a pu se manifester dans le feu sans être le feu; dans la fumée sans être la fumée; et dans le bruit sans être le bruit. Rien de cela n'est Dieu, mais un témoignage qui le rappelle. En nous conformant à ces principes, il n'y a aucun danger à croire que le Fils de Dieu a pu apparaître à Moïse et se nommer à la fois le Seigneur et l'Ange du Seigneur.

5. La seconde opinion enseigne que c'était véritablement un Ange du Seigneur, non pas le Christ, mais un Ange envoyé par Dieu. Il faut donc lui demander pourquoi cet Ange est nommé le Seigneur. A c'eux qui soutiennent que c'était le Christ on demande pourquoi il est appelé Ange; à ceux qui estiment que c'était un Ange il convient de demander aussi pourquoi il est désigné sous le nom de Seigneur. Je l'ai rappelé déjà, les premiers se tirent d'embarras en observant que s'il est appelé Ange, c'est qu'un prophète a dit expressément que le Christ Notre-Seigneur est l'Ange du grand conseil; les seconds doivent donc expliquer également comment un Ange a pu être appelé le Seigneur.

Or voici comment ils répondent: Quand un prophète parle dans l'Écriture, on dit que c'est le Seigneur qui parle, non que le Seigneur soit le prophète, mais parce que le Seigneur est dans le prophète. De la même manière, lorsque le Seigneur daigne s'exprimer par l'organe d'un Ange, comme il s'exprime par l'organe d'un Apôtre, d'un Prophète, cet Ange conserve, à cause de lui-même, son nom propre d'Ange, et on le nomme Seigneur, à cause de Dieu qui habite en lui. Paul assurément était un homme et le Christ est Dieu. Paul dit néanmoins: «Voulez-vous éprouver celui qui parle en moi, le Christ (1)?» Un prophète dit aussi: «J'écouterai comment parlera, en moi le Seigneur Dieu (2)» Celui qui parle dans l'homme est le même qui parle dans l'Ange: Voilà pourquoi on peut soutenir que ce fut l'Ange du Seigneur qui apparût, à Moïse et qui dit: «Je suis l'Être.» Ce n'est pas la voix du temple, mais de celui qui l'habite.

6. Mais si ce personnage qui porte le nom d'Ange était le Christ parce qu'il se trouvait seul; n'est-il pas vrai que trois Anges se montrèrent

1. 2Co 13,3 - 2. Ps 64,9

à Abraham? Comment répondre? Ils étaient trois, et comme si Abraham ne parlait qu'à un seul, il dit: Seigneur. Que répondre encore? Pourquoi étaient-ils trois? Etait-ce alors la divine Trinité? Mais pourquoi dire: Seigneur? - Parce que la Trinité est un seul Seigneur, et non pas trois Seigneurs; un seul Dieu et non trois; une seule nature en trois personnes. Car le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père, et l'Esprit n'est ni le Père ni le Fils. Le Père n'a qu'un Fils, le Fils n'a qu'un Père et l'Esprit-Saint est l'Esprit du Père et du Fils. Il est vrai néanmoins, quelques-uns prétendent que parmi les trois personnages l'un s'élevait au dessus des autres; c'est celui-là qu'Abraham appelait Seigneur, il apparaissait entre deux comme le Christ entre ses Anges. Mais quoi? N'y en eut-il pas deux seulement qui furent envoyés à Sodome et qui apparurent à Lot frère d'Abraham? Lot cependant reconnut en eux la divinité, et quoiqu'il en vit deux, il dit Seigneur, au singulier (1). Ainsi dans les trois Anges, Abraham reconnaît le Seigneur, Lot le reconnaît également dans deux. Ne séparons pas la Trinité, ne faisons pas une dualité dans Sodome; et il est mieux, je pense, de croire que nos Pères adoraient le Seigneur dans ses Anges l'habitant divin dans sa demeure; ils rendaient gloire, non aux porteurs mais à Celui qu'ils portaient.

Ce sentiment est confirmé par l'Épître aux Hébreux. Il y est dit: «Si la parole annoncée pas les Anges est demeurée ferme (2).» L'auteur ici faisait mention du vieux Testament; il le recommande en observant que les Anges y parlaient: mais on honorait Dieu dans ses Anges et l'on écoutait en eux Celui qui demeurait en eux. Étienne fournit aussi une preuve dans les Acte des Apôtres. Il accuse et réprimande les Juifs: «Durs de tête, leur dit-il, incirconcis de coeur et d'oreilles.» Durs de tête, épines incombustibles. «Toujours vous résistez à l'Esprit-Saint.» Si donc le buisson ne brûlait pas, c'est que ses épines, symboles d'iniquités, refusaient de s'enflammer sous le feu du Saint-Esprit. «Toujours; vous résistez à l'Esprit-Saint. Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas mis à mort? De là vient que vous avez reçu la loi par le ministère des Anges et que vous ne l'avez point gardée (3).» S'il disait de l'Ange et non des Anges; quelques-uns prétendraient qu'il s'agit du Christ appelé l'Ange du grand conseil. Le Christ peut

1. Gn 18,19 - 2. He 2,2 - 3. Ac 7,51-53

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être nommé un Ange, peut-il être nommé des Anges? L'Apôtre Paul dit aussi que la race d'Abraham a été servie, «administrée par les Anges et par l'entremise d'un médiateur (1).»

7. Lors donc que Moïse demandait à l'Ange ou plutôt au Seigneur présent dans l'Ange, quel était son nom: «Je suis l'Être, répondit-il; c'est l'Être qui m'a envoyé vers vous.» L'Être est le nom de l'immuabilité; car tout ce qui change cesse d'être ce qu'il était et commence à être ce qu'il n'était pas. L'Être vrai, l'Être pur, l'Être réel ne peut appartenir qu'à celui qui ne change pas. Il possède cet Être, Celui à qui l'on dit: «Tu les changeras et ils seront changés, pour toi tu demeureras toujours le même (2).» Que signifie «je suis l'Être,» si non je suis éternel? Que signifie je suis l'Être sinon je ne puis changer? Il n'est donc aucune créature; il n'est ni le ciel, ni la terre, ni un Ange; ni une Vertu, ni un Trône, ni une Domination, ni une Puissance. Son nom étant un nom d'éternité, qui ne serait attendri qu'il ait daigné prendre un nom de miséricorde?

«Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob.» Il prend le premier nom par rapport à lui-même et celui-ci à cause de nous. Eh! que serions-nous, s'il avait voulu demeurer uniquement ce qu'il est en lui-même? Si Moïse comprit, ou plutôt puisque Moïse comprit ces mots: «Je suis l'Être; c'est l'Être qui m'a envoyé avec vous,» il reconnut que les derniers rapprochaient beaucoup Dieu des hommes et que les premiers l'en éloignaient beaucoup. Comprendre dignement, comprendre à la

1. Ga 3,19 - 2. Ps 101,27-28

lumière de l'essence véritable, ne fut-ce que sommairement et sous une inspiration rapide comme l'éclair, ce que c'est que l'Être proprement dit, c'est se voir bien au-dessous, bien éloigné et bien différent de lui. Tel fut celui qui s'écriait: «J'ai dit dans mon extase.» Dans un transport d'esprit il vit je ne sais quoi de bien élevé au dessus de lui. C'était l'Être véritable. «J'ai dit, s'écrie-t-il; dans mon extase.» Qu'as-tu dit? «Je suis jeté loin de tes yeux (1).» Moïse aussi se sentit bien au-dessous, non de ce qu'il voyait, mais de ce qu'il entendait; et comme incapable de le saisir. Enflammé alors du désir de voir l'Être même, il disait familièrement à Dieu: «Découvrez-vous à moi vous-même (2).» Et parce que, trop diffèrent de cette suprême nature, il désespérait en quelque sorte d'y atteindre, Dieu releva son courage (car il le vit pénétré de sa crainte) comme s'il lui eut parlé de la manière suivante: Parce que je t'ai dit: «je suis l'Être,» et encore: «c'est l'Être qui m'a envoyé,» tu as compris qu'est-ce que l'Être et tu as désespéré de pouvoir t'élever jusqu'à lui; courage donc! «Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob;» je suis ce que je suis, je suis l'Être même, et je suis avec l'Être, mais sans vouloir m'éloigner des hommes.

Si nous pouvons de quelque manière chercher le Seigneur, découvrir qu'il est l'Être et qu'il n'est pas loin de chacun de nous, car c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes (3), louons avec transport sa nature et chérissons sa miséricorde.

1. Ps 30,23 -2. Ex 33,18 - 3. Ac 17,27




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SERMON VIII. LES DIX COMMANDEMENTS ET LES DIX PLAIES D'ÉGYPTE.

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ANALYSE. - Nous n'avons point ce discours tout entier: il y manque évidemment un exorde et une péroraison. Aussi porte-t-il le nom de Fragment dans les éditions latines. Salut Augustin a pour but d'établir une corrélation entre les dix préceptes du Décalogue et les dix plaies d'Égypte. Celles-ci indiquent à ses yeux les châtiments dont Dieu frappe les violateurs de sa loi. A la transgression du premier commandement il réserve comme punition l'aveuglement du coeur; à la violation du second, la folie de sa raison; du troisième, l'inquiétude et l'agitation de l'âme; du quatrième, un honteux avilissement; du sixième, l'assimilation aux animaux; du cinquième, les fureurs de la colère; du septième, l'indigence de l'âme; du huitième, la malignité des langues; du neuvième; une sorte de folie; du dixième enfin, la perte de la foi. Saint Augustin termine en disant que si les magiciens de Pharaon ont été vaincus à la troisième plaie ou au troisième prodige, c'est que cette troisième plaie correspond au troisième précepte, au précepte attribué spécialement au Saint-Esprit, à l'Esprit sanctificateur. Aussi avouent-ils que le doigt de Dieu est avec Moïse, et le doigt de Dieu désigne quelquefois l'Esprit-Saint dans le style même de l'Écriture.

1. Après avoir établi d'abord la certitude historique de ces évènements, nous devons en chercher la signification, il fallait poser le fondement pour ne paraître point bâtir dans les airs.

Le premier miracle accompli, le changement de la verge en serpent, n'est point du nombre des dix plaies. C'était un moyen d'arriver jusqu'à Pharaon et de donner à Moïse l'autorité nécessaire pour tirer de l'Égypte le peuple de Dieu. Le Seigneur ne frappait pas encore des opiniâtres, il voulait leur inspirer une divine frayeur.

La verge désigne le royaume de Dieu et le royaume de Dieu n'est autre que le peuple de Dieu. Le serpent au contraire rappelle cette vie mortelle, puisque c'est le serpent qui nous a fait boire la mort. Nous sommes devenus mortels en tombant de la main de Dieu sur la terre; aussi la verge s'est échappée de la main de Moïse pour devenir un serpent. Les Mages de Pharaon firent de même. Mais le serpent de Moïse c'est-à-dire la verge de Moïse commença par dévorer tous leurs serpents (1); Moïse le saisit par la queue, il redevint une verge; c'est le royaume de Dieu qui se replaçait sous sa main. Les verges des Mages figurent donc les peuples impies vaincus au nom du Christ: quand ils s'assimilent à son corps, ils sont comme dévorés par le serpent de Moïse, jusqu'à ce que le royaume de Dieu se replace sous sa main. Ce grand miracle n'aura lieu qu'à la fin des siècles, désignée par la queue du serpent.

Voilà ce que vous devez désirer, voici ce que vous devez éviter,

1. Ex 7,10-12

2. Le premier précepte de la Loi regarde le culte d'un seul Dieu. «Tu n'auras point d'autres dieux que moi, dit le Seigneur (1).» La première plaie d'Égypte est l'eau changée en sang (2). Compare ce premier précepte à cette première plaie. Dans l'eau, qui engendre tout, considère la ressemblance du Dieu unique qui a tout créé. Mais que désigne le sang, sinon la chair mortelle? Et que signifie, en conséquence, le changement d'eau en sang, sinon que «leur coeur insensé a été obscurci? Car en se disant sages ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible (3).» La gloire du Dieu incorruptible est pure comme l'eau; l'image d'un homme corruptible est changée comme le sang. Voilà ce qui se passe dans le coeur des impies; car en lui-même Dieu demeure immuable, et il n'est pas changé, quoique l'Apôtre ait dit: «Ils ont changé.»

3. Voici le second précepte: «Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu (4).» On ne se purifiera point en prenant en vain le nom du Seigneur son Dieu. Or le nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur est la vérité, puisqu'il a dit: «Je suis la vérité (5). Donc la vérité purifie, comme la vanité souille.

Mais dire la vérité, c'est parler avec la grâce de Dieu, puisque dire le mensonge c'est parler de son propre fonds (6). De plus, dire la vérité c'est parler raisonnablement, et parler, en vain c'est plutôt faire du bruit que parler; d'où il suit que l'amour de la vérité est l'objet du second précepte et que l'amour de la vanité est défendu par lui: Comme la vanité ne fait qu'un

1. Ex 20,3 - 2. Ex 7,20 - 3. Rm 1,21-23 - 4. Ex 20,7 - 5. Jn 14,6 - 6. Jn 8,44

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vain bruit, voyez avec quelle convenance la seconde plaie est opposée au second précepte! Quelle est cette seconde plaie? Une étonnante multitude de grenouilles (1). Leur coassement n'est-il pas la naturelle image de la vanité? Considère les amis de la vérité qui ne prennent pas en vain le nom du Seigneur leur Dieu: ils enseignent la sagesse au milieu des parfaits, des imparfaits même (2). Ils n'enseignent pas sans doute ce qu'on ne saurait comprendre; néanmoins ils ne quittent pas la vérité pour se jeter dans la vanité. Si les imparfaits ne saisissent point des discussions d'un ordre un peu plus élevé sur le Verbe de Dieu, qui est Dieu en Dieu et par qui tout a été fait (3), s'ils ne peuvent comprendre que ce que Paul prêche au milieu d'eux comme au milieu des petits enfants du Christ, savoir Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifiés il ne s'ensuit pas que la vérité soit uniquement dans ce haut enseignement et que la vanité soit le partage de l'enseignement populaire. Or ce dernier serait vain si nous disions que le Christ n'est pas mort en réalité mais en apparence; que ses blessures n'étaient que des simulacres, qu'il n'a point répandu véritablement son sang, mais fait semblant de le répandre; et que ses blessures ayant été de fausses blessures, il n'a montré que de fausses cicatrices. En assurant toutes ces vérités, nous assurons des faits, nous croyons, nous prêchons qu'ils sont certains et réellement accomplis, et sans parler de cette sublime et immuable vérité; nous ne tombons point dans la vanité.

Mais ceux qui montrent tout cela comme étant, dans le Christ, faux et simulé, sont des grenouilles coassant dans un marais; ils peuvent faire du bruit en paroles, ils ne sauraient enseigner la sagesse. Dans l'Église, au contraire, on est attaché à la vérité et on prêche la Vérité par laquelle tout a été fait; la Vérité ou le Verbe fait chair et habitant parmi nous; la Vérité ou le Christ né de Dieu, fils unique d'un seul Dieu et coéternel à Dieu; la Vérité qui, après avoir pris la nature d'esclave, est née de la Vierge Marie, a souffert, a été crucifiée, est ressuscitée, montée aux cieux; la Vérité partout, et celle que peuvent comprendre les parfaits et celle que peuvent saisir les petits; la Vérité devenue pain et lait, pain pour les grands et lait pour les petits; car pour devenir lait, le pain doit passer par la chair. Quant à ceux qui crient contre cette Vérité et qui cherchent à prendre dans le mensonge où ils sont

1. Ex 8,6-1 - 2. 1Co 2,6 - 3. Jn 1,3

pris eux-mêmes, ce sont des grenouilles qui fatiguent l'oreille sans fortifier l'âme.

Écoute enfin des hommes qui parlent raisonnablement: «Il n'y a point d'idiomes, point de langues où ne soient entendues leurs paroles, non pas des paroles vides de sens, car leur voix a retenti dans toute la terre, et leurs discours jusqu'aux extrémités du monde (1).» Veux-tu aussi voir des grenouilles? Rappelle-toi ce verset d'un Psaume: «Chacun fait entendre des choses vaines à son prochain (2).»

4. Troisième précepte: «Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat (3).» Ce troisième précepte impose comme le tribut d'un repos qui consiste dans la paix du coeur et de l'esprit, et que produit la bonne conscience. Ce repos sanctifie parce que l'Esprit-Saint y réside. Voyez-le en effet: «Sur qui reposera mon Esprit? Sur «l'homme humble, paisible et tremblant à ma voix (4)» Les âmes agitées échappent donc à l'Esprit-Saint. Elles aiment les querelles, répandent des calomnies, recherchent plutôt la dispute que la vérité, et leurs mouvements continuels éloignent d'elles le repos spirituel du sabbat. Pour combattre cette inquiétude et pour inviter à ouvrir leurs coeurs au repos du sabbat, à l'action sanctifiante de l'Esprit de Dieu: «Écoute avec douceur la parole pour comprendre, leur est-il dit (5).» Et que comprendrai-je? Dieu qui me dit: Assez d'agitation; qu'il n'y ait plus de tumulte dans ton coeur; que ces pensées corrompues cessent de voltiger et de te tourmenter. C'est bien alors que tu entendras Dieu te dire: «Soyez en repos, et voyez que c'est moi qui suis Dieu (6).»

Mais toi, toujours inquiet, tu refuses de te mettre en repos, et aveuglé dans le trouble de tes disputes, tu prétends voir quand tu en es incapable. Considère donc la troisième plaie opposée à ce troisième précepte, ce sont des moucherons nés en Egypte du limon de la terre (7); c'est-à-dire des mouches très-petites, toujours en mouvement. Leur vol est irrégulier, elles se jettent dans les yeux, ne laissent point de repos; on les chasse et elles reviennent; chassées encore elles reviennent sans cesse. Telles sont les vaines imaginations des coeurs contentieux. Soyez fidèles au précepte, en garde contre le châtiment.

5. «Honore ton père et ta mère (8),» tel est le quatrième précepte. La quatrième plaie égyptienne qui y correspond se nomme en grec

1. Ps 18,4-5 - 2. Ps 11,3 - 3. Ex 20,8 - 4. Is 57,2 - 5. Si 5,13 - 6. Ps 45,2 - 7. Ex 8,17 - 8. Ex 20,12

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xunomuia. Que signifie xunomuia? Une mouche canine. C'est dont s'assimiler au chien que de ne reconnaître pas ses parents. Est-il rien d'aussi digne d'un chien que cette conduite envers ceux à qui on doit le jour? Aussi les petits chiens naissent aveugles.

6. Cinquième précepte: «Tu ne seras point adultère (1);» et cinquième plaie: mort sur les troupeaux des Égyptiens (2). Établissons les rapports. Suppose un homme qui médite de commettre un adultère et qui ne se contente pas de son épouse; il ne veut point dompter eu lui ce honteux désir de la chair, commun à l'homme et aux bêtes. Les bêtes peuvent aussi se livrer aux plaisirs de la chair et se reproduire; à l'homme le raisonnement et l'intelligence. Aussi la raison, qui siège et règne dans l'esprit, doit-elle réprimer avec autorité les mouvements désordonnés de la chair et ne les laisser pas courir de tous côtés, sans mesure et sans règle. C'est pourquoi la nature fait que les animaux eux-mêmes, grâce à l'institution du Créateur, ne recherchent qu'à des époques déterminées les jouissances brutales ce n'est pas la raison qui les réprime alors, c'est l'ardeur qui se refroidit.

Si l'homme y est toujours sensible, c'est qu'il peut les contenir. Le Créateur t'a donné l'autorité de la raison, et il veut que ses préceptes de continence soient pour toi comme des rênes pour diriger des animaux sans raison. Tu as ce que ne saurait avoir l'animal, et tu espères ce qu'il ne peut espérer. C'est parfois un travail pour toi de garder la continence; ce n'en est pas un pour l'animal; mais pour toi quelles jouissances dans l'éternité où il ne parvient pas! Si ce travail te fatigue, que la récompense te console; car il y a un exercice de patience à mettre un frein à ces mouvements intérieurs qui te sont communs avec la bête, et à ne pas t'y abandonner comme elle. Mais si tu te ravales, si tu ne prends pas soin de cette divine image avec laquelle Dieu t'a créé, si tu te laisses vaincre aux tentations de la concupiscence, tu perdras en quelque sorte ton caractère d'homme pour n'être plus qu'un vil animal: tu n'en auras point la nature, mais tu lui ressembleras, tout en conservant la nature humaine. N'entends-tu pas: «Ne soyez point comme le cheval et le mulet sans intelligence (3)?» Peut-être néanmoins préfères-tu mener la vie des bêtes, te livrer librement à tes passions, et ne t'astreindre à aucune loi pour

1. Ex 20,14 - 2. Ex 9,6 - 3. Ps 147,7-8

contenir tes appétits charnels. Vois donc le châtiment, et si tu ne crains point d'être une bête, redoute au moins la mort.

7. Sixième précepte: «Tu ne tueras point (1).» Sixième plaie: des ulcères et des tumeurs qui bouillonnent et se lèvent dans tout le corps, la chaleur dévorante des blessures produites par le feu d'une fournaise (2). Telles sont les âmes homicides; elles sont enflammées par la colère, car pour elles il n'y a plus de frère. On distingue la chaleur de la colère et la chaleur de la grâce: celle-ci tient de la santé et l'autre d'un ulcère. Des desseins homicides produisent partout des tumeurs brûlantes, rien n'en est exempt; il y a chaleur, mais elle ne vient pas de l'Esprit de Dieu. Car s'il y a de l'ardeur dans qui vole au secours du malheur, il y a de l'ardeur aussi à quand on court au meurtre; la première vient du commandement, la seconde, de la maladie; l'une est due aux borines oeuvres, l'autre aux plaies corrompues. Ah! s'il nous était donné de voir une âme homicide, nous pleurerions plus amèrement qu'à la vue des corps dévorés par la gangrène.

8. Nous voici arrivés au septième précepte: «Tu ne déroberas point (3),» et à la septième plaie la grêle sur les fruits de la terre (4). Dérober malgré cette défense, c'est perdre au ciel, car il n'y a point de gain injuste qu'il n'y ait de juste dommage. Ainsi gagner par le vol un vêtement, c'est perdre la foi au jugement du ciel. Le gain est donc une perte. Mais le gain est visible, la perte descend des nuées du Seigneur. Rien n'arrive i sans la Providence, mes bien-aimés. Eh! vous imagineriez-vous véritablement que les hommes souffrent parce que Dieu est endormi? Les nuages se condensent, la pluie se répand, la grêle tombe, le tonnerre ébranle la terre, l'éclair l'épouvante tout cela semble se produire sans ordre et se faire en dehors de la divine providence. Mais n'a-t-on point entendu la condamnation de cette pensée dans ces paroles d'un psaume: «Habitants de la terre, louez le Seigneur, y est-il dit après qu'il a été loué par les habitants du ciel, louez-le, dragons et abîmes, feu, grêle, «neige, glace, souffle des tempêtes, qui obéissez à sa parole (6)?» Aussi ceux qui suivent leurs désirs et dérobent extérieurement, sont, d'après le juste jugement de Dieu, ravagés intérieurement par la grêle. Ah s'ils pouvaient contempler ce champ de leur coeur, comme ils

1. Ex 20,13 - 2. Ex 9,10 - 3. Ex 20,15 - 4. Ex 4,23-25 - 5. Ps 147,7-8

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pleureraient en n'y rencontrant plus l'alignent de l'âme! En vain ce bien mal acquis pourrait de venir la nourriture du corps, on ressentirait à l'intérieur une faim bien plus cruelle, de plus dangereuses blessures et une mort plus alarmante. Il est, hélas! beaucoup de morts ambulants, beaucoup de coupables qui mettent leurs joies dans de vaines richesses. L'Écriture ne place-t-elle point dans l'âme les trésors du serviteur de Dieu? «Votre coeur, l'homme caché, dit-elle, qui est riche devant Dieu (1).» Riche, non pas devant les hommes, mais devant Dieu et là où pénètre son regard. Que te sert-il de dérober quand un mortel ne te voit pas, et d'être ravagé par la grêle dans l'âme où Dieu te voit?

9. Huitième précepte: «Tu ne feras point de faux témoignage (2).» Plaie huitième: les sauterelles (3), dont la dent est terrible. Que veut le faux témoin, sinon blesser par ses morsures et perdre par ses mensonges? D'ailleurs, pour inviter les hommes à ne point s'accuser faussement, «Si vous vous mordez et dévorez les uns les autres, dit l'Apôtre de Dieu, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres (4).»

10. Neuvième précepte: «Tu ne convoiteras point l'épouse de ton prochain (5).» D'épaisses ténèbres sont la neuvième plaie (6). Il y a en effet une espèce d'adultère, défendue par un des préceptes précédents, qui consiste à ne pas même désirer de jouir d'une épouse étrangère; car sans aller vers la femme d'autrui, c'est être adultère que de ne se point contenter de la sienne. Mais convoiter la femme d'autrui après s'être rendu coupable contre la sienne propre, n'est-ce point réellement d'épaisses ténèbres? Rien ne blesse aussi vivement le coeur de qui endure cette humiliation, et celui qui fait à autrui cet outrage jamais ne consentira à le souffrir lui-même. Chacun a plus d'inclination pour une étrangère, mais j'ignore s'il est un seul homme capable de supporter patiemment une injure semblable. Quelles épaisses ténèbres dans une telle conduite, dans de pareils désirs! Il y a vraiment l'aveuglement d'une exécrable fureur. Avilir l'épouse d'un frère, n'est-ce pas une fureur indomptée?

11. Dixième précepte: «Tu ne convoiteras rien qui appartienne à ton prochain, ni son troupeau, ni son bien, ni sa charrue, ni absolument rien qui lui appartienne (7).» A ce

1. 1P 3,4 - 2. Ex 20,16 -3. Ex 10,13 - 4. Ga 5,15 - 5. Ex 20,17 - 6. Ex 10,22 - 7. Ex 20,17

crime est destinée la dixième plaie, la mort des premiers-nés (1).

Quand je cherche ici quelque rapprochement, il ne s'en présente point d'abord; peut-être en découvrirait-on en examinant avec plus de soin et d'attention. Cependant n'y aurait-il point dans cette plaie la condamnation de quiconque garde pour ses héritiers absolument tout ce qu'il possède?

Ce dixième précepte dit hautement que convoiter le bien du prochain c'est être coupable de larcin, comme celui qui vole et qui dérobe en réalité:

Mais nous avons déjà vu un précepte relatif au larcin et ce précepte comprend également la rapine. Car l'Écriture ne défendrait pas expressément le larcin sans parler de la rapine, si elle ne voulait faire entendre que le vol secret étant digne de châtiment, le vol accompagné de violence mérite des peines encore plus graves. Il existe donc un précepte qui défend de rien enlever au prochain malgré lui soit secrètement soit ouvertement. Mais il n'est pas permis non plus de convoiter intérieurement son bien, sous l'oeil de Dieu, fut-ce à titre de légitime succession. Car ceux qui aspirent à posséder justement le bien d'autrui, désirent être institués les héritiers des mourants: est-il rien qui leur semble aussi juste que de recueillir ce qu'on leur abandonne? N'est-ce pas être dans le droit commun? On m'a légué ce bien, peut dire cet homme; je l'ai comme héritier; voici le testament. Est-il quelque chose qui semble plus juste que ce raisonnement de l'avare?

Tu le loues comme un homme juste; Dieu condamne ses injustes désirs. Et toi, qui aspires à être établi héritier de quelqu'un, considère ce que tu es. Tu ne veux pas que ce quelqu'un ait des héritiers naturels. Mais parmi ces héritiers nul n'est plus cher qu'un fils aîné. Aussi pour avoir convoité sous l'ombre d'une espèce de droit le bien que ne t'adjugeait par le droit naturel, tu seras puni dans ce que tu as de plus cher, ce qui est pour toi comme un fils aîné. Mes frères, il est facile encore de perdre des aînés; puisque tout mortel meurt soit avant soit après ses parents. Ce qui est à craindre, c'est qu'en te livrant à cette secrète et injuste convoitise, tu ne perdes les premiers-nés de ton coeur. Or le premier-né en nous est comme l'empreinte de la grâce de Dieu, et ce nouveau-né, ce premier-né

1. Ib. Ex 12,29.

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entre les fils de notre coeur, c'est la foi, car sans elle on ne peut bien faire. Toutes tes bonnes oeuvres sont comme tes fils spirituels, mais la foi occupe entre elles le premier rang, et si tu convoites intérieurement le bien d'autrui, intérieurement tu perds la foi. D'abord en effet tu dissimuleras, tu te montreras obséquieux plutôt par feinte que par charité. Tu voudras paraître aimer celui dont tu veux devenir l'héritier; mais cet amour te fait souhaiter sa mort, et pour te voir maître de ce qu'il possède, tu ne lui veux pas d'autre successeur.

12. Frères, en parcourant ainsi les dix préceptes et les dix plaies, en comparant les contempteurs des commandements aux Égyptiens opiniâtres, qu'avons-nous fait? Nous avons voulu vous déterminer à établir votre fortune sur les divins préceptes; fortune que vous devez conservera l'intérieur, dans votre trésor secret; fortune que ne puissent vous enlever ni voleur, ni larron, ni voisin; fortune qui n'ait à redouter ni teigne ni rouille et que l'homme opulent emporte avec lui comme celui qui meurt dans un naufrage. A cette condition vous serez comme le peuple de Dieu au milieu des Egyptiens impies. Ceux-ci souffriront intérieurement les dix plaies, et vous en serez exempts à l'intérieur, jusqu'à ce que le peuple quitte la terre de captivité. Cette espèce de sortie se fait encore aujourd'hui. La première n'a eu lieu qu'une fois, cette dernière ne cesse de s'accomplir.

13. Aucune sainteté véritable et divine ne peut s'obtenir sans le Saint-Esprit. Ce M'est point sans motif qu'il porte spécialement le nom d'Esprit-Saint. Le Père est saint, le Fils est saint; ce nom toutefois est proprement attribué à l'Esprit et la troisième personne de la Trinité se nomme le Saint-Esprit. Il repose sur l'homme humble et pacifique (1). Il y est comme en son jour de sabbat.

Aussi le nombre sept est consacré à l'Esprit-Saint: les Écritures le montrent clairement. Des hommes meilleurs pourront faire des considérations meilleures, des esprits plus élevés découvrir des aperçus plus hauts, et donner sur le nombre sept des explications plus spirituelles et plus divines. Ce que je vois, et ce qui suffit pour le moment, ce que je vous invite à considérer aussi, c'est que le nombre sept est proprement attribué à l'Esprit-Saint, parce que, la sanctification est recommandée au septième jour.

Et comment prouver qu'au Saint-Esprit est

1. Is 66,2

consacré ce nombre sept? Isaïe représente l'Esprit de Dieu descendant sur le fidèle, sur le chrétien, sur le membre du Christ, et il se nomme l'Esprit de sagesse et d'intelligence, de conseil et de force, de science et de piété, enfin l'Esprit de crainte de Dieu (1). Si vous avez suivi, j'ai montré l'Esprit de Dieu descendant sur nous comme par sept degrés, depuis la sagesse jusqu'à la crainte, afin de nous élever à lui comme par sept degrés encore, depuis la crainte jusqu'à la sagesse; «car la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse (2).» L'Esprit est donc à la fois sept et un, sept dans ses opérations et un dans son essence.

Voulez-vous le voir avec plus d'évidence? La Pentecôte est, d'après l'Écriture, la fête des semaines. C'est ce que dit expressément le livre de Tobie (3). Sept fois sept en effet produisent quarante-neuf. Mais il faut se réunir à son chef, attendu que l'Esprit-Saint nous attache à l'unité, au rien de nous en séparer. A quarante neuf ajoutez donc une unité; vous obtenez cinquante; et ce n'est plus sans raison que le Saint-Esprit est descendu le cinquantième jour après la résurrection du Sauveur. Le Seigneur est ressuscité; il est remonté des enfers avant de s'élever au ciel, et depuis qu'il est ressuscité, depuis qu'il est ainsi remonté des enfers, cinquante jours s'écoulent, et arrive le Saint-Esprit qui célèbre en quelque sorte sa fête au milieu de nous, en ce cinquantième jour. Le Sauveur avait conversé quarante jours avec ses disciples; au quarantième jour il est monté au ciel, et quand il y a passé dix jours, comme si le dixième commandement était accompli, le Saint-Esprit descend, rappelant ainsi que nul n'accomplit la loi sans sa grâce. Frères, il est donc évident que le nombre de sept est spécialement attribué au Saint-Esprit.

Or on doit considérer comme n'ayant pas le Saint-Esprit quiconque ne tient pas à l'unité du, Christ et aboie contre elle; car il n'y a pour faire des divisions et des dissensions que cet homme animal dont parle ainsi l'Apôtre: «L'homme animal, dit-il, ne perçoit pas ce qui est de Dieu (4).» Il est aussi écrit dans l'Épître de l'Apôtre Jude: «Ce sont des gens qui se séparent eux-mêmes,» et il les dit pour les blâmer: «Ce sont des gens qui se séparent eux-mêmes, hommes de vie animale, n'ayant point l'Esprit (5).» Qu'y a-t-il

1. Is 11,2-3 - 2. Pr 1,7 - 3. Tb 2,1 - 4. 1Co 2,11 - 5. Jud 19

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de plus clair, qu'y a-t-il de plus évident? Qu'ils viennent donc! S'ils ont la même foi que nous, ils recevront l'Esprit-Saint qu'ils ne peuvent posséder tant qu'ils restent les ennemis de l'unité. Mais l'Apôtre les compare aux Mages de Pharaon qui succombaient au troisième prodige. «Ils ont, dit-il, l'apparence de la piété, mais ils en repoussent la réalité (1).»

14. Mais pourquoi ont-ils succombé au troisième prodige? Rappelez-vous que celui qui combat l'unité n'a point le Saint-Esprit. Or les trois premiers préceptes du Décalogue se rapportent à l'amour de Dieu, les sept autres à l'amour du prochain; et dans les deux tables ou les dix préceptes, sont compris ces deux commandements sommaires: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force; tu aimeras aussi ton prochain comme toi-même: ces deux commandements «embrassent toute la Loi et les prophètes (2).» Donc rapportons à l'amour de Dieu les trois premiers préceptes.

Quels sont-ils? Voici le premier: «Tu n'auras point d'autres dieux que moi.» La plaie contraire est l'eau changée en vin, pour rappeler comment le principe suprême, le Créateur a été assimilé à un homme de chair. Le second précepte «: Ne prends pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu» se rapporte, me semble-t-il, au royaume de Dieu, c'est-à-dire à son Fils. Car il n'y a qu'un seul Dieu et un seul Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui tout existe. Pour venger ce Verbe de Dieu voici la plaie des grenouilles. Elles sont à la parole comme le bruit est à la raison, comme la vanité à la vérité. Le troisième précepte, relatif au sabbat, se rapporte à l'Esprit-Saint, à cause de la sanctification qui s'y trouve principalement attachée; nous venons

1. 2Tm 3,6 -2. Mt 22,37-40

nous de vous le rappeler aussi bien que nous l'avons pu. A ce précepte est opposée l'agitation produite par les mouches qui naissent de la corruption et se jettent dans les yeux. Voilà pourquoi ces ennemis de l'unité qui n'avaient point: l'Esprit-Saint, ont succombé au troisième prodige. Ainsi l'Esprit-Saint l'a voulu pour les punir, car s'il fait grâce, il châtie aussi, il enrichit de sa présence et il délaisse.

Enfin pour comprendre plus clairement ce que confessent les Mages de Pharaon, voyons quel nom a été donné à l'Esprit de Dieu dans l'Évangile, comment il a été désigné. Les Juifs ayant dit outrageusement du Seigneur: «Il ne chasse les démons qu'au nom de Béelzébud, prince des démons,» il répondit: «Si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons, le règne de Dieu est assurément arrivé au milieu de vous (1).» Ce qu'un autre Evangéliste exprime ainsi: «Si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons (2).» Ce qu'un Evangéliste appelle l'Esprit de Dieu est nommé par l'autre le doigt de Dieu. Ainsi le doigt de Dieu est l'Esprit de Dieu. C'est pourquoi il est dit que la loi donnée aux Juifs sur le mont Sinaï le cinquantième jour après l'immolation de l'agneau pascal, est écrite par le doigt de Dieu. Cinquante jours s'écoulent donc depuis l'immolation de l'agneau, et la loi est publiée; cinquante jours s'écoulent également après l'immolation du Christ et le Saint-Esprit descend. Grâces au Seigneur qui cache avec sagesse pour montrer avec plaisir.

Considérez maintenant, frères, que les Mages de Pharaon reconnaissent aussi très expressément ce que nous disons. Ils dirent en succombant au troisième prodige: «Le doigt de Dieu est ici, etc. (3)»

1. Mt 12,24-28 - 2. Lc 11,20 - 3. Ex 8,19





Augustin, Sermons 7