Augustin, Sermons 182

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SERMON CLXXXII. DE LA CROYANCE A L'INCARNATION (1).

1. 1Jn 4,1-3 (142)

ANALYSE. - Dans ce discours et dans le discours suivant, qui n'est que comme une seconde partie de celui-ci, saint Augustin veut faire comprendre la vérité de cette assertion de saint Jean l'évangéliste, que tout esprit, croyant véritablement à l'Incarnation, vient de Dieu, et qu'il n'y a pour venir de Dieu que ceux qui y croient de cette sorte. Après avoir rapporté le texte et en avoir établi le sens; donc, conclut-il, les Manichéens ne viennent pas de Dieu, puisqu'ils nient ouvertement l'incarnation du, Christ. En vain s'appuient-ils sur le texte même de saint Jean pour essayer de prouver la réalité des deux natures opposées qu'ils présentent comme les principes de toutes choses. Il est évident que d'après l'Apôtre c'est l'erreur môme et non l'homme qui ne vient pas de Dieu; ce qui démontre en même temps que la nature humaine n'est pas une partie de Dieu, puisque Dieu ne saurait se tromper. Or, non-seulement l'homme se trompe, mais il pèche encore très-souvent par faiblesse. L'orateur termine en annonçant qu'il continuera dans le discours suivant le développement du même sujet.

1. Pendant qu'on lisait l'apôtre saint Jean, nous avons entendu l'Esprit-Saint nous dire par sa bouche: «Mes bien-aimés, gardez-vous de croire à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour savoir s'ils viennent de Dieu». Je répète, car il est nécessaire de répéter et d'imprimer fortement, avec la grâce de Dieu, ce texte dans vos esprits: «Mes bien-aimés, gardez-vous d'ajouter foi à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour savoir s'ils viennent de Dieu; parce que beaucoup de faux prophètes se sont élevés dans le monde». Le Saint-Esprit nous défend donc de croire à tout esprit; de plus, il fait connaître le motif de cette défense. Quel est ce motif? «C'est que beaucoup de faux prophètes se sont élevés dans le monde». D'où il suit que mépriser cette défense et avoir confiance en tout esprit, c'est se jeter nécessairement dans les bras des faux prophètes, et, ce qui est pire, outrager les prophètes de vérité.

2. Une fois sur la réserve, à cause de cette défense, ne va-t-on pas me dire: J'entends, je n'oublierai pas, je veux obéir, car ni moi non plus je ne veux pas me briser contre les faux prophètes? Eh! qui voudrait être dupe du mensonge? Or, le faux prophète est un prophète de mensonge. Voici un homme religieux; il ne veut pas tromper. Voici un impie et un sacrilège; il veut bien tromper, mais il ne veut pas être trompé. Il s'ensuit que si les bons ne veulent pas tromper, ni les bons ni les méchants ne veulent être déçus. Qui donc veut être séduit par les faux prophètes? Je connais le conseil que l'on me donne; mais ce n'est mais que malgré soi qu'on se laisse abuser par un faux prophète. J'ai entendu cette défense de Jean, ou plutôt du Seigneur s'exprimant par sa bouche: «Gardez-vous de croire à tout esprit». J'y acquiesce, je veux m'y conformer. Il ajoute: «Mais éprouvez les esprits, pour savoir s'ils viennent de Dieu»; Comment les éprouver? Je désirerais le faire; mais ne puis-je me tromper? Et pourtant, si je n'éprouve pas les esprits qui viennent de Dieu, je me jetterai inévitablement dans ceux qui ne viennent pas de lui, et conséquemment je serai dupe des faux prophètes. Que faire donc? Que considérer? Oh! si non content de nous avoir dit: «Gardez-vous de croire tout esprit, mais éprouvez quels esprits viennent! de Dieu», saint Jean nous daignait indiquer encore à quels signes on les reconnaît! - Eh bien! ne t'inquiète pas, écoute. «Voici comment se distingue l'Esprit de Dieu», dit-il. Que voulais-tu savoir? Le moyen d'éprouver que les esprits viennent de Dieu. Or, «voici comment se distingue l'Esprit de Dieu», dit encore saint Jean, saint Jean et non pas moi, et c'est ce qui suit immédiatement dans le passage que j'explique. En effet, après nom avoir avertis d'être sur nos gardes et de ne pas ajouter foi à tout esprit, mais d'éprouver quels esprits viennent de Dieu, attendu que beaucoup de faux prophètes sont entrés dam le monde, il remarqua aussitôt quel désir s'éveillait en nous; et prévenant ce désir, fixant le regard sur notre pensée silencieuse, (143) il ajouta, et Dieu soit béni de nous avoir daigné donner par lui encore cet enseignement: «Voici comment on distingue l'Esprit de Dieu».

Courage, écoutez; écoutez, saisissez, distinguez bien; attachez-vous à la vérité, résistez à ce qui est faux. «Voici comment se reconnaît l'Esprit de Dieu». Comment, de grâce? C'est ce que j'ambitionne d'apprendre: «Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair, est de Dieu; et tout esprit qui nie que Jésus-Christ se soit incarné, n'est pas de Dieu (1)». Par conséquent, mes bien-aimés, repoussez dès maintenant loin de vous tout raisonneur, tout prédicateur, tout écrivain et tout calomniateur qui nie l'Incarnation de Jésus-Christ. Par conséquent aussi, éloignez les Manichéens de vos demeures, de vos oreilles et de vos coeurs; car les Manichéens nient hautement cette Incarnation du Christ; d'où il suit que leurs esprits ne viennent pas de Dieu.

3. Je vois ici par où le loup cherche à pénétrer; je le vois et je vais montrer de toutes mes forces combien il faut s'en détourner. J'ai dit, ou plutôt j'ai rappelé ces paroles de l'Apôtre: «Tout esprit qui nie l'Incarnation de Jésus-Christ, ne vient pas de Dieu». Or les Manichéens incidentent sur ce passage et s'écrient: Puisque l'esprit qui nie l'Incarnation de Jésus-Christ ne vient pas de Dieu, d'où vient-il? Oui, d'où vient-il, s'il ne vient pas de Dieu? Dès qu'il existe, ne vient-il pas sûrement d'ailleurs? Mais, dès qu'il ne vient pas de Dieu et qu'il vient d'ailleurs, ne vois-tu pas ici l'existence des deux natures?

Voilà bien le loup; tendons des rêts pour nous préserver, poursuivons-le, saisissons-le, puis l'égorgeons. Oui, égorgeons-le, mort à l'erreur; mais aussi salut à l'homme. Ces seuls mots que je viens de prononcer: Saisissons-le et l'égorgeons; mort à l'erreur et salut à l'homme, tranchent la question. Mais rappelez-vous ce que j'ai avancé; car si vous oubliez la question, vous ne comprendriez pas la réponse. «Tout esprit qui nie l'Incarnation de Jésus-Christ ne vient pas de Dieu».

D'où vient-il donc, s'écrie aussitôt le Manichéen? S'il ne vient pas de Dieu, il vient d'ailleurs; et s'il vient d'ailleurs, voilà mes deux natures. - Retenez bien cette objection

1. 1Jn 4,1-3

et reportez vos esprits sur ces mots: Saisissons et égorgeons, mort à l'erreur et salut à l'homme. L'erreur ne vient pas de Dieu, mais de Dieu vient l'homme. Encore les paroles qui renferment la question: «Tout esprit qui nie l'Incarnation de Jésus-Christ ne vient pas de Dieu». J'ajoute: «Par lui tout a été fait (1). - Que tout esprit loue le Seigneur (2)». Mais si tout esprit ne vient pas de Dieu, comment l'esprit qui ne vient pas de lui est-il appelé à louer le Seigneur? Oui, que tout esprit loue le Seigneur. Je vois ici deux choses, je vois un malade; guérissons le mal et sauvons la nature. Le mal n'est pas la nature, il en est l'ennemi. Supprime le mal qui te fait languir, restera la nature qui te portera à bénir. N'est-ce pas contre le mal et non contre la nature que se déclare la médecine? «Tout esprit qui nie l'Incarnation de Jésus-Christ ne vient pas de Dieu». C'est en tant qu'il nie cette Incarnation, qu'il ne vient pas de Dieu, attendu que ce n'est pas de Dieu que vient cette erreur.

Pourquoi, mes frères, notre régénération? Pourquoi une seconde naissance, si la première était parfaite? Cette seconde naissance est destinée à réparer la nature corrompue, à relever la nature tombée, à réformer et à embellir la nature dégradée et défigurée. Car au seul Créateur, Père, Fils et Saint-Esprit; à cette unité en trois personnes, à cette Trinité en une seule nature, à cette seule nature immuable et invariable, qui ne peut ni défaillir ni progresser, il appartient et de ne pas tomber pour s'amoindrir, et de ne pas s'élever pour s'agrandir, car elle est seule parfaite, seule éternelle et seule immuable sous tous rapports. Quant à la créature, toute bonne qu'elle soit, à quelle distance elle est du Créateur! Vouloir égaler la créature au Créateur, c'est chercher à s'unir à l'ange apostat.

4. Que l'âme sache donc ce qu'elle est; elle n'est pas Dieu. En se croyant Dieu elle outrage Dieu, et au lieu d'être sauvée par lui, elle est par lui condamnée. En condamnant les âmes perverses, Dieu ne se condamne pas; or, il se condamnerait, si l'âme était Dieu. Ah! mes frères, honorons notre Dieu. Nous lui crions: «Délivrez-nous du mal (3)». Un souffle tentateur vient-il te troubler durant la prière et te dire: Pourquoi crier «délivrez-nous du

1. Jn 1,3 - 2. Ps 150,6 - 3. Mt 6,13

mal?» Ne prétends-tu point que le mal ne subsiste pas? - Réponds-lui: C'est moi qui suis mal, et si Dieu me délivre du mal, je serai bon, de mauvais que je suis. Ah! qu'il me délivre de moi, pour que je ne me jette pas en toi. Quant au Manichéen, dis-lui: Si Dieu me délivre de moi, je ne m'abandonnerai pas à toi. En effet, si Dieu me délivre de moi, qui suis mauvais, je serai bon; si je suis bon, je serai sage; si je suis sage, je ne m'égarerai pas; et si je ne m'égare pas, je ne pourrai être séduit par toi. Oui,. que Dieu me délivre de moi, pour que je ne me livre pas à toi. Le mal en moi serait de m'égarer et de te croire; car mon âme est remplie d'illusions (1). Pour moi donc je ne suis pas lumière; lumière, je ne m'égarerais pas. C'est ce qui prouve que je ne suis pas une portion de la divinité. En effet, la nature de Dieu, la substance même de Dieu ne saurait tomber dans l'erreur. Or j'y tombe, moi; tu l'avoues toi-même, puisque avec la prétention d'être sage tu travailles à me sauver de l'erreur. Mais tomberais-je dans l'erreur, si j'étais de la nature. de Dieu? Rougis et rends-lui gloire. Je soutiens même qu'aujourd'hui encore tu es dans de profondes erreurs, et tu avoues, toi, avoir été dans l'égarement. C'était donc la nature de Dieu qui s'était égarée? la nature de Dieu qui se plongeait dans la débauche? la nature de Dieu qui se livrait à l'adultère? la nature de Dieu qui commettait des abominations? la nature de Dieu qui marchait en aveugle? la nature de Dieu qui se précipitait dans toutes sortes de forfaits et d'impuretés? Rougis et rends gloire à Dieu.

5. Tu ne saurais être ta propre lumière, non, non. «Il existait une lumière véritable». C'est par rapport à Jean qu'il est écrit: «Il existait une vraie lumière». - Mais Jean n'était-il pas lumière aussi? «Il était un flambeau ardent et luisant», a dit de lui le Seigneur (2). - Mais un flambeau n'est-il pas une lumière? Sans doute, mais il est parlé ici de «la lumière véritable». On peut allumer un flambeau, on peut aussi l'éteindre. Quant à la lumière véritable, on peut y allumer, mais on ne saurait l'éteindre. «Celui-là donc était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (3)». Ainsi nous avons besoin d'être éclairés et nous ne sommes pas la lumière.

1. Ps 37,8 - 2. Jn 5,35 - 3. Jn 1,9

Réveille-toi donc et crie avec moi; «C'est Seigneur qui m'éclaire (1)».

Et maintenant, diras-tu encore qu'il n'y a pas des choses mauvaises? Il y en a, mais et sont susceptibles de changement; et une fois changées elles sont bonnes, attendu que mal est en elles un défaut et non pas leur nature. Que signifie: «Délivrez-nous du mal?» Ne pourrions-nous pas, ne pouvons-nous dire encore: Délivrez-nous des ténèbres? De quel ténèbres? De nous-mêmes, s'il y reste encore quelques traces d'erreurs, et jusqu'à ce que nous ne soyons plus que lumière, ne ressentant plus rien d'opposé à la charité, d'opposé à la vérité, rien qui soit sujet à la faiblesse, rien qui fléchisse sous le poids de la mortalité. Ah! quelle transformation totale, lorsque corps corruptible sera revêtu d'incorruptibilité, lorsque ce corps mortel se revêtira d'immortalité! «Alors s'accomplira cette parole de l'Ecriture: La mort est anéantie dans sa victoire. O mort, où est ton ardeur au combat? O mort, où est ton aiguillon? Cet aiguillon de la mort est le péché». Où donc alors sera le mal?

6. Quels sont maintenant les maux de l'humanité? L'ignorance et la faiblesse. Car ou on ne sait ce qu'on fait, et l'erreur fait pécher, ou on sait ce qu'on doit faire, et on est vaincu par la faiblesse. D'où il suit que tous les maux de l'humanité consistent dans l'ignorance et la faiblesse. Pour combattre l'ignorance, écrie-toi: «Le Seigneur est ma lumière»; et pour combattre la faiblesse: «Il est aussi mon salut (1)». Aie la foi, travaille à devenir bon, et tu le seras, si mauvais que tu sois aujourd'hui. Point de scission; c'est ta nature qu'il faut guérir et non diviser. Veux-tu savoir ce que tu es? Ténèbres. Pourquoi ténèbres? Eh! mon ami, se peut-il rien de plus ténébreux qu'un homme qui prétend que Dieu est corruptible? Crois donc, reconnais que le Christ est venu s'incarner; qu'il a pris ce qu'il n'était pas, sans rien perdre de ce qu'il était; qu'il a élevé l'homme jusqu'à lui, sans confondre sa nature avec la nature de l'homme. Reconnais cela, et de pervers tu deviendras bon; de ténèbres, lumière. Est-ce une assertion fausse, et n'y a-t-il pas de quoi te convaincre? Tu reconnais l'autorité de l'Apôtre moins toutefois que tu ne manques de sincérité.

1. Ps 26,1 - 2. 1Co 15,53-56 - 3. Ps 36,1

Tu lis donc l'Apôtre; de plus tu es trompé, tu trompes aussi. Comment es-tu trompé? En t'égarant pour ton malheur. Crois-tu ensuite et dissipes-tu cette erreur? l'Apôtre te dira: «Autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière». Lumière, dit-il, mais «dans le Seigneur (1)». Réduit à toi, tu es donc ténèbres, et lumière avec le Seigneur. Incapable de t'éclairer toi-même, tu t'éclaires en approchant de lui, comme tu redeviens ténèbres en le quittant; n'étant pas ta lumière, tu la reçois d'ailleurs. «Approchez-vous de lui, et soyez éclairés (2)».

7. Je le vois, mes bien-aimés, ce passage de saint Jean m'a retenu bien longtemps sur une même idée; je sais aussi que je ne dois ni trop vous fatiguer ni vous donner outre mesure; il faut également tenir compte de notre propre faiblesse; car il y a dans ces paroles de saint Jean de nouvelles et immenses profondeurs. En attendant, repoussez ceux qui nient l'Incarnation du Christ, car il est sûr qu'ils ne viennent pas de Dieu. Ils n'en viennent pas,

1. Ep 5,8 - 2. Ps 33,6

considérés comme égarés, comme pécheurs et comme blasphémateurs; qu'ils guérissent et ils viendront de lui, car ils en viennent au point de vue de leur nature; et quoi que j'aie dit sur ce sujet, soyez attentifs à l'enseignement des Ecritures, n'ajoutez pas foi à ceux qui nient l'Incarnation du Christ.

Tu me feras sans doute cette objection Quoi! on vient de Dieu quand on reconnaît l'Incarnation du Christ? Ecoutons alors et les Donatistes qui la reconnaissent, et les Ariens qui la confessent également; écoutons aussi soit les Eunomiens, soit les Photiniens qui professent cette croyance. Si tous les esprits qui admettent publiquement l'Incarnation viennent de Dieu, combien il y a pour l'admettre d'hérésies menteuses, séductrices, insensées! - A cela que répondre? Comment résoudre cette difficulté? Quelle qu'en doive être la solution, elle ne peut se donner aujourd'hui. Je vous la dois, et exigez-la; mais en même temps implorez le secours de Dieu et pour vous et pour moi.

Tournons-nous avec un coeur pur, etc.




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SERMON CLXXXIII. DE LA CROYANCE A L'INCARNATION (1).

1. 1Jn 4,2

ANALYSE. - Nous l'avons dit, ce discours n'est que la suite et comme la seconde partie du précédent. Les Manichéens ne ment pas de Dieu, puisqu'ils n'admettent pas l'Incarnation du Christ. Mais dans quel sens saint Jean dit-il encore que tous si qui l'admettent viennent de Dieu? Doit-on regarder comme venant de Dieu les Ariens, les Eunomiens, les Sabelliens, les Photiniens? Doit-on regarder aussi comme animés de son esprit les Pélagiens, les Donatistes et en général tous les hérétiques tous les mauvais catholiques? Assurément non, car ils professent, au moins en pratique, une idée fausse de Jésus-Christ: les Ariens, en ne reconnaissant pas sa génération éternelle; les Eunomiens, en n'admettant pas même sa ressemblance avec le père; les Sabelliens, en le confondant avec lui; les Photiniens, en ne voyant en lui qu'un homme; les Donatistes, en croyant qu'il est pas l'Epoux de l'Eglise universelle; les Pélagiens, en ne voulant pas qu'il ait pris une chair semblable à notre chair de péché. Ainsi en est-il de toutes les hérésies, si nous voulions les examiner en détail. Mais tout en confessant de bouche la vérité de l'Incarnation, les mauvais catholiques la renient par leurs oeuvres. C'est à Dieu qu'il faut demander la grâce de conformer sa à sa croyance.

1. L'attente où je vois votre charité, exige que je paie ma dette. Vous vous souvenez, en suis sûr, de ce que je vous ai promis, avec aide du Seigneur, à propos de la dernière dure de saint Jean. Aussi en entendant le lecteur, vous m'avez senti, je n'en doute pas, obligé de m'acquitter.

Le précédent discours prenant une longue étendue, nous avons ajourné l'importante question de savoir dans quel sens on doit entendre ces paroles d'une épître du bienheureux Jean, non pas de saint Jean-Baptiste, (146) mais de saint Jean l'Evangéliste: «Tout esprit qui confesse l'Incarnation de Jésus-Christ, vient de Dieu». Combien d'hérésies ne voyons-nous pas confesser cette Incarnation, sans que nous puissions admettre, toutefois, qu'elles viennent de Dieu! Le Manichéen nie l'Incarnation; mais il ne faut travailler ni beaucoup ni longtemps pour vous persuader que cette erreur n'a point Dieu pour auteur. Or, l'Arien, l'Eunomien, le Sabellien et le Photinien confessent l'Incarnation. Pourquoi chercher ici des témoins pour les confondre? Qui pourrait compter toutes ces espèces de contagion? Arrêtons-nous toutefois à ce qui est plus connu. Beaucoup en effet ignorent les hérésies que je viens de citer, et cette ignorance est préférable. Ce que nous savons tous, c'est que les Donatistes aussi confessent l'Incarnation; loin de nous pourtant la pensée que cette erreur vienne de Dieu! Pour parler même d'hérétiques plus récents, les Pélagiens admettent l'Incarnation également; sûrement néanmoins, ce n'est pas Dieu qui leur enseigne l'erreur.

2. Appliquons-nous donc avec soin; mes bien-aimés; et comme nous ne révoquons point en doute la vérité de cette assertion «Tout esprit qui confesse l'Incarnation de Jésus-Christ vient de Dieu», prouvons à tous ces hérétiques que réellement ils ne la confessent pas. Si nous admettions avec eux qu'ils la confessent, ce serait avouer qu'ils viennent de Dieu. Et comment alors pourrions-nous vous détourner, vous éloigner de leurs erreurs et vous protéger contre leurs assauts avec le bouclier de la vérité? Daigne le Seigneur nous accorder le secours que sollicite pour nous votre attente, et nous leur, montrerons qu'ils ne confessent véritablement pas l'Incarnation du Christ.

3. L'Arien entend parler et il parle à son tour du Fils de la Vierge Marie. Ne confesse-t-il pas ainsi l'Incarnation? - Non. - Comment le prouver? - Très-facilement, si le Seigneur répand sa lumière dans vos esprits. En effet, que cherchons-nous, si l'Arien confesse l'Incarnation du Christ? Mais comment peut-il confesser l'Incarnation du Christ, puisqu'il nie le Christ? Qu'est-ce que le Christ. Adressons-nous au bienheureux Pierre. Vous venez d'entendre ce qu'on a lu dans l'Evangile. Notre-Seigneur Jésus-Christ demandait ce que les hommes pensaient de lui, Fils de l'homme; ses disciples rapportèrent quelles étaient leurs différentes manières de voir: «Les uns, dirent ils, croient que vous êtes Jean-Baptiste, d'autres Elie, d'autres encore Jérémie ou l'un des prophètes». Avec ces idées on ne voyait et on ne voit encore dans Jésus-Christ que l'humanité. Mais ne voir dans Jésus-Christ que son humanité, c'est ne le pas connaître; car il n'est pas vrai de dire que Jésus-Christ ne soit qu'un homme. «Pour vous, demanda alors le Sauveur, qui dites-vous que je suis?» Et parlant au nom de tous, parce que tous ont la même foi: «Vous êtes, répondit Pierre, le Christ, le Fils du Dieu vivant (1)».

4. Voilà pour former une profession de foi vraie, une profession de foi entière. Joins a que le Christ a dit de lui à ce que Pierre dit du Christ. Qu'est-ce que le Christ a dit di lui-même? Il a demandé ce que les homme pensaient de lui, «Fils de l'homme». Et Pierre? «Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant». Unis ces deux idées, et voilà le Christ incarné. Le Christ a dit de lui ce qui est plus humble, et Pierre a dit du Christ ce qui est plus glorieux. L'humilité a rendu témoignage à la vérité, et la vérité à l'humilité en d'autres termes, l'humilité de l'homme la vérité de Dieu, et la vérité de Dieu à l'humilité de l'homme. «Qui pense-t-on que je suis, moi, Fils de l'homme?» J'exprime ici ce que je me suis fait pour vous; à toi nous dire, Pierre, quel est Celui qui vous faits.

Ainsi donc confesser l'Incarnation de Jésus-Christ, c'est confesser l'Incarnation du Fils de Dieu. Dis-nous, maintenant, ô Arien, si tu a mets réellement cette Incarnation. Il l'admet, s'il confesse que le Christ est le Fils de Dieu mais s'il nie que le Christ soit le Fils de Dieu il ne connaît pas le Christ, il nomme l'un pour l'autre, il parle d'un autre que de lui. Qu'est-ce en effet que le Fils de Dieu? Nous nous demandions tout à l'heure: Qu'est-ce que le Christ? Et on nous répondait: C'est le Fils de Dieu. Demandons-nous maintenant: Qu'est-ce que le Fils de Dieu? Le voici: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était Dieu dès le commencement. - Au commencement était le Verbe». Mais toi, Arien, que dis-tu? «Au commencement, lisons-nous dans

1. Mt 16,13-16

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la Genèse, Dieu a fait le ciel et la terre (1)»; et toi tu dis au contraire: Au commencement Dieu a fait le Verbe; car tu prétends que le Verbe a été fait, qu'il est une créature, et tu dis ainsi que Dieu l'a fait au commencement, tandis que selon l'Evangéliste il était. Et c'est parce qu'il était que Dieu a fait au commencement le ciel et la terre. «Tout a été fait par lui (2)»; et tu dis, toi, qu'il a été fait. S'il l'avait été, il ne serait pas le Fils de Dieu.

5. Car il s'agit ici d'un Fils par nature et non d'un fils par grâce; d'un Fils unique, d'un Fils unique engendré et non pas adopté. Le Fils qu'il nous faut est un Fils vrai, un Fils «qui étant de la nature de Dieu», comme s'exprime l'Apôtre, que je nomme ici à cause des moins instruits, et pour qu'ils ne m'attribuent passes paroles, «qui étant donc, dit saint Paul, de la nature de Dieu, ne crut point usurper en s'égalant à Dieu». Cette égalité n'était pas une usurpation, c'était sa nature même; il l'avait de toute éternité, éternel avec son Père, égal, absolument égal à lui. «Mais il s'est anéanti»; c'est publier son incarnation. «Il s'est anéanti». Comment? Est-ce en quittant ce qu'il était et en prenant ce qu'il n'était pas? Continuons à écouter l'Apôtre: «Il s'est anéanti en prenant une nature d'esclave (3)». Ainsi donc s'est-il anéanti, en prenant une nature d'esclave et non pas en laissant sa nature de Dieu. Il s'est uni l'une sans se dépouiller de l'autre: voilà comment il faut confesser l'Incarnation; d'où il suit que l'Arien ne la confesse pas. En effet, en ne croyant pas le Fils égal au Père, il ne le croit pas Fils. En ne croyant pas qu'il est Fils, il ne croit pas non plus qu'il est le Christ. Or, en ne croyant pas au Christ, comment croire à l'Incarnation du Christ?

6. Ainsi en est-il de l'Eunomien, son pareil, son associé et qui a peu de différences avec lui. Les Ariens, dit-on, admettaient au moins que le Fils est semblable au Père; ils ne le disaient point égal à lui, mais semblable; tandis que l'Eunomien ne veut même pas de cette similitude. N'est-ce pas aussi nier le Christ? Effectivement, si le Christ, si le vrai Fils de Dieu est à la fois égal et semblable à son Père, n'est-ce pas le nier que de prétendre qu'il n'a ni cette égalité ni cette similitude? N'est-ce pas aussi nier par là même son incarnation? Je demande: Le

1. Gn 1,1 - 2. Jn 1,1-3 - 3. Ph 2,6-7

Christ s'est-il incarné? - Oui, répond l'Eunomien. - Nous serions portés à croire qu'il a la foi. Je poursuis. - Quel est le Christ qui s'est incarné? Est-il égal ou inégal au Père? - Il est inégal. - Ainsi c'est un être inégal au Père qui selon toi s'est incarné. Donc ce n'est pas le Christ, puisque le Christ est égal au Père.

7. Voici le Sabellien. Le Fils, dit-il, n'est pas distinct du Père; c'est là qu'il fait une large ouverture à la foi pour répandre au loin le poison de sa doctrine. Le Fils, selon lui, n'est pas différent du Père. Dieu, comme il le veut, est tantôt Père et tantôt Fils. Mais ce n'est pas là le Christ, et tu t'égares si tu crois à l'incarnation d'un tel Christ; ou plutôt tu ne crois pas à l'Incarnation du Christ, puisque cet être n'est pas le Christ.

8. Et toi, Photin, que dis-tu? - Que le Christ n'est pas Dieu et qu'il est simplement un homme. - Ainsi tu admets en lui la nature humaine et non la nature divine. Pourtant le Christ, dans sa nature divine, est égal à Dieu, tandis que sa nature humaine le rend semblable à nous. Toi donc aussi, tu nies l'Incarnation du Christ.

9. Que pensent les Donatistes? Il en est parmi eux qui admettent avec nous que le Fils est égal au Père et de même nature que lui; d'autres reconnaissent l'identité de nature et rejettent l'égalité. Pourquoi argumenter contre ces derniers? En rejetant l'égalité ils nient la filiation; en niant la filiation ils nient le Christ. Mais dès qu'ils nient le Christ, comment croient-ils à l'Incarnation du Christ?

10. Il faut raisonner davantage contre ceux qui confessent avec nous que le Fils est égal au Père, qu'il a la même nature et la même éternité, tout en restant Donatistes. Disons-leur donc: Vous confessez de bouche, mais vous niez par vos actes. On peut en effet nier par ses actes, et toute négation ne consiste pas en paroles, il est des négations par effets. Adressons-nous à l'Apôtre: «Tout est pur, dit-il, pour ceux qui sont purs; mais pour les impurs et les infidèles rien, n'est pur; leur esprit et leur conscience sont souillés. Ils publient qu'ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs oeuvres (1)». Qu'est-ce que le nier par ses oeuvres? C'est se livrer à l'orgueil et établir des divisions; c'est mettre sa gloire, non pas en Dieu, mais dans un homme. N'est-ce pas

1. Tt 1,15-16

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aussi nier le Christ, puisque le Christ aime l'unité?

Disons plus clairement encore comment les Donatistes nient le Christ. Pour nous, le Christ est celui dont saint Jean-Baptiste disait: «L'Epoux est celui à qui appartient l'épouse (1)». Sainte union! noces heureuses! Le Christ même est l'Epoux, l'Eglise est l'épouse. Or, c'est l'Epoux qui nous fait connaître l'épouse. Ah! que cet Epoux nous dise donc quelle est son épouse; qu'il nous l'apprenne pour nous empêcher de nous égarer et de troubler la solennité sainte où il nous a conviés; qu'il nous instruise, en nous enseignant d'abord lui-même qu'il est véritablement l'Epoux.

11. Après sa résurrection il disait à ses disciples: «Ne saviez-vous pas qu'il fallait que fût accompli tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes? Alors, poursuit l'Evangéliste, il leur ouvrit l'esprit, pour leur faire comprendre les Ecritures; et il leur dit: «C'est ainsi que devait souffrir le Christ et ressusciter, le troisième jour, d'entre les morts». Voilà quel est l'Epoux confessé par Pierre; c'est le Fils même du Dieu vivant qui était destiné à souffrir ainsi et à ressusciter le troisième jour. Or, cet événement était accompli; les disciples en étaient témoins; ils voyaient le Chef divin, mais où était son corps? Le Christ est ce Chef qui a souffert et qui est ressuscité le troisième jour; et c'est de l'Eglise qu'il est le Chef; d'où il suit que l'Eglise est son corps. Encore une fois, les disciples voyaient le Chef, mais non pas le corps. Dites-leur, ô Chef sacré, où est votre corps, qu'ils ne voient pas. Parlez, Seigneur Jésus, parlez, ô saint Epoux, parlez-nous de votre corps, de votre épouse, de votre bien-aimée, de votre colombe, de celle à qui vous avez donné pour dot votre propre sang; dites: «Il fallait que «le Christ souffrit et ressuscitât d'entre les a morts, le troisième jour». Voilà pour l'Epoux. Parlez maintenant de l'épouse, écrivez sur les tablettes, dans l'acte de mariage. - Voici donc pour l'Epouse: «Et qu'on prêchât»; c'est ce qui suit ces mots: «Il fallait que le Christ souffrît, qu'il ressuscitât d'entre les morts, et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés au milieu de toutes les nations». Ou te

1. Jn 3,29

cacher? «Au milieu de toutes les nations, à commencer par Jérusalem (1)». Ce qui a été fait. Si nous lisons cette promesse, nous la voyons accomplie. Voilà à quelle lumière je marche. D'où fais-tu venir les ténèbres où tu te plonges?

Ainsi le Christ a pour épouse cette Eglise que l'on prêche au milieu de toutes les nations, qui se multiplie et qui s'étend jusqu'aux extrémités de la terre, à partir de Jérusalem: c'est bien de cette Eglise que le Christ est l'Epoux. Mais toi, que prétends-tu? Quelle est selon toi l'épouse du Christ? La faction de Donat? Non, non, non, non, homme, le Christ n'est pas l'Epoux de cette faction; ou plutôt, non, méchant, il n'est pas son Epoux. Nous voici près du contrat, lisons-le et point de disputes. Diras-tu encore que le Christ est l'Epoux de la faction de Donat? Je lis l'acte de mariage et je constate au contraire que le Christ a pour épouse l'Eglise répandue par tout l'univers. Or, dire de lui ce qu'il n'est pas, c'est nier son incarnation.

12. Des hérésies que j'ai rappelées dans le peu de temps que j'ai à vous donner, reste le Pélagianisme; car il est beaucoup d'autres hérésies encore, et j'ai dit moi-même: Qui pourrait nombrer ces sortes de contagion? Que disent donc les Pélagiens? Ecoutez: Ils semblent d'abord admettre l'Incarnation; mais en y regardant de près on voit qu'ils à rejettent. En effet le Christ a pris une chair qui n'était pas une chair de péché, mais qui en avait la ressemblance. - Voici les termes mêmes de l'Apôtre: «Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché (2)». Il ne l'a pas envoyé dans une espèce de chair, dans une chair qui n'en était pas une; mais «dans une chair semblable à la chair de péché»; chair réelle, mais qui n'était pas une chair de péché. Or Pélage ne veut-il pas que la chair de tous les enfants sont tout à fait semblable à la chair du Christ? Il n'en est rien, mes bien-aimés. Pourquoi mettre si fort en relief que le Christ n'avait qu'une chair semblable à la chair de péché, si toute autre chair n'était pas une chair de péché? Qu'importe de dire que le Christ s'est incarné, quand on ne fait de lui, sous le rapport de la chair, qu'un enfant comme tous les autres? Je te dirai donc ce que j'ai dit au Donatiste: Ce

1. Lc 24,44-47 - 2. Rm 8,3

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n'est pas lui. Ne vois-je pas les entrailles mêmes de l'Église notre mère rendre témoignage à la vérité? Les mères ne courent-elles pas, leurs petits enfants dans les bras, les offrir au Sauveur pour qu'il les sauve, et non à Pélage pour qu'il les perde? Qu'on le baptise et qu'il soit sauvé, s'écrie toute mère pieuse en apportant à la hâte son cher petit. - Qu'il soit sauvé? réplique Pélage: il n'y a rien à sauver en lui, il n'y a en lui aucun vice, il n'a rien puisé de condamnable en puisant la vie. - S'il est vraiment égal au Christ, pourquoi recourir au Christ? Écoute-moi donc: L'Époux, le Fils de Dieu incarné est le Sauveur des grands et des petits, des hommes mûrs et des enfants; voilà quel est le Christ. Tu prétends au contraire qu'il est le Sauveur des grands seulement et non pas des petits; tel n'est pas le Christ. Or, si ce n'est pas lui, il est évident que tu nies son incarnation.

13. Nous constaterions, en étudiant chaque hérésie, que toutes sont contraires à l'Incarnation; oui, tous les hérétiques nient l'Incarnation du Christ. Pourquoi vous étonner que les païens la nient, que les Juifs la nient, que les Manichéens la nient ouvertement? J'ose même dire à votre charité que tous les mauvais catholiques, tout en la confessant de bouche, la nient par leurs oeuvres.

De grâce donc, ne comptez pas sur la foi seule. Joignez à la vraie foi une vie sainte; confessez l'Incarnation du Christ par la justice de vos Couvres aussi bien que par la vérité de vos paroles. La confession de bouche accompagnée de la négation des oeuvres est une foi de mauvais catholiques qui ressemble beaucoup à la toi des démons. Écoutez-moi, mes bien-aimés, écoutez-moi, de peur que ma sueur ne dépose contre vous: Ah! écoutez-moi. L'apôtre saint Jacques parlait de la foi et des bonnes oeuvres pour condamner des esprits qui croyaient la foi suffisante, sans vouloir y joindre la pratique des vertus. Or, il s'exprimait ainsi: «Tu crois qu'il n'y a qu'un Dieu; les démons le croient aussi, et ils tremblent (1)». De ce que les démons croient et tremblent, faut-il conclure qu'ils seront tirés du feu éternel? Vous venez d'entendre dans l'Evangile cette réponse de Pierre: «Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant». Lisez encore, et vous verrez que les démons ont dit

1. Jc 2,19

aussi: «Nous savons que vous êtes le Fils de Dieu». Pierre cependant est applaudi, et le démon repoussé. Les paroles sont les mêmes, mais les oeuvres sont diverses. D'où vient la différence de ces deux confessions? De ce que l'une est inspirée par un amour louable et l'autre par une crainte condamnable. Car ce n'est pas l'amour qui faisait dire aux démons: «Vous êtes le Fils de Dieu»; c'est la peur et non l'amour. Aussi s'écriaient-ils, tout en le proclamant: «Qu'y a-t-il entre nous et vous (1)?» tandis que Pierre lui répétait: «Je vous accompagne même à la mort (2)».

14. Cependant, mes frères, comment Pierre lui-même pouvait-il lui dire avec amour «Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant?» D'où lui venait cet amour? Uniquement de lui-même? Nullement. Le même passage de l'Évangile nous fait connaître et ce qui en lui venait de Dieu et ce qui venait de son propre fonds. Tout y est; lis, tu n'as pas besoin de mes explications. Je rappelle le texte sacré. «Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant», dit Pierre. «Tu es heureux, Simon, fils de Jonas», reprend le Seigneur. Pourquoi? Est-ce de toi que te vient ce bonheur? Nullement. «C'est parce que ni la chair ni le sang ne t'ont révélé cela»; car tu es chair et sang; «mais mon Père qui est dans les cieux». Et le Sauveur ajoute beaucoup d'autres choses qu'il serait trop long de rapporter.

Un peu après cependant, après ces éloges donnés à la foi de Pierre qu'il a montrée comme une pierre mystérieuse, le Seigneur commença à apprendre à ses disciples qu'il lui fallait aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup, y être réprouvé par les anciens, par les scribes, par les prêtres, être mis à mort et ressusciter le troisième jour. Inspiré alors par lui-même, Pierre trembla, l'idée de la mort du Christ lui fit horreur; pauvre malade qui reculait devant le remède: «Non, non, Seigneur, s'écria-t-il, ayez pitié de vous-même et que cela ne vous arrive point». Oublies-tu donc: «J'ai le pouvoir de donner ma vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre (3)?» Oublies-tu cela, Pierre? Oublies-tu encore: «Nul n'a un amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis (4)?» Tu n'y penses pas. Cet oubli venait de lui-même; sa peur, l'horreur qu'il éprouvait, la frayeur de la mort, tout cela venait de Pierre ou plutôt

1. Mc 1,24-25 - 2. Lc 22,33 - 3. Jn 10,18 - 4. Jn 15,1

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de Simon et non pas de Pierre. Aussi: «Arrière, Satan, dit alors le Seigneur. - Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas.

«Arrière, Satan. - Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas»: voilà qui vient de Dieu. «Arrière, Satan»; d'où cela vient-il? Rappelez-vous d'où vient son bonheur. Je l'ai déjà dit, «c'est que tu n'as été instruit ni par la chair ni par le sang, mais par mon Père qui est au cieux». Pourquoi est-il Satan? apprenons-le du Seigneur même: «C'est que tu ne goûtes pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes, lui dit-il».

15. Espérez donc au Seigneur, et à la vraie foi joignez les bonnes oeuvres. Confessez l'incarnation du Christ par la pureté de votre croyance et par la sainteté de votre vie; si vous avez reçu de lui cette double grâce, attachez-vous-y, et espérez-en par lui l'accroisse ment et-la consommation. Maudit soit, est-il écrit en effet, quiconque met sa confiance dans l'homme; et pour celui qui se glorifie il est bon de se glorifier dans le Seigneur (1). Tournons-nous avec un coeur pur, etc.

1. Jr 17,5 1Co 1,31





DEUXIÈME SÉRIE.

SOLENNITÉS (184-272) ET PANÉGYRIQUES (273-340).





Augustin, Sermons 182