Augustin, Sermons 194

194

SERMON CXCIV. POUR LE JOUR DE NOEL. XI. LE PAIN DE VIE.

ANALYSE. - En naissant de son Père, Jésus-Christ est l'aliment des Anges, et il se fait l'aliment des hommes en naissant de à Mère. Mais si les hommes s'attachent à vivre de lui sur la terre, ils jouiront de lui comme les Anges dans le ciel et seront pleinement heureux. Pourquoi hésiter?

1. Ecoutez, enfants de lumière, adoptés pour faire partie du royaume de Dieu; mes très-chers frères, écoutez; écoutez, justes, et tressaillez dans le Seigneur, ainsi vos coeurs droits seront dignes de chanter ses louanges (1). Ecoutez ce que vous savez, rappelez-vous ce qui vous a été dit, aimez ce que vous croyez et publiez ce que vous aimez. Puisque nous célébrons le retour anniversaire de ce grand jour, attendez les quelques mots qu'il réclame. Le Christ est né; comme Dieu, de son Père, de sa Mère, en tant qu'homme; de son Père, sans nuire à son immutabilité, de sa Mère, sans altérer sa virginité; de son Père, sans avoir de Mère, de sa Mère, sans avoir de Père; de son Père en dehors du temps, de sa Mère en dehors de l'homme; de son Père comme principe de vie, de sa Mère comme anéantissant la mort; de son Père comme dirigeant tous les jours, de sa Mère comme consacrant (170) celui-ci. Quand il a envoyé Jean devant lui, il a voulu qu'il naquît au moment où les jours commencent à diminuer; pour lui, il est né quand les jours commencent à grandir emblème mystérieux de ce que Jean devait dire plus tard: «Il faut qu'il croisse et que je diminue (1)». C'est qu'en soi, la vie humaine doit décroître, et croître en Jésus-Christ; «en sorte que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort et qui est ressuscité dans l'intérêt de tous (2)»; et que chacun de nous dise avec l'Apôtre: «Je vis, mais ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi (3)»; à lui de croître, à moi de diminuer.

2. Les anges lui adressent des louanges dignes de lui; aussi bien est-il leur aliment éternel, il leur communique une incorruptible vigueur. Mais c'est comme Verbe de Dieu qu'ils vivent de sa vie, participant à son éternité et partageant son bonheur. Ils le louent magnifiquement comme Dieu dans le sein de Dieu, ils glorifient en lui le Dieu qui réside au plus haut des cieux. «Pour nous, qui sommes son peuple et les brebis de ses mains (4)», travaillons, dans la mesure de notre faiblesse, à mériter la paix par notre bonne volonté, après nous être réconciliés avec lui. N'est-ce pas aujourd'hui que les anges eux-mêmes, en célébrant avec transport le Sauveur qui nous est né, ont dit: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté (5)?» Si donc les anges le louent avec magnificence, louons-le, nous, avec obéissance. Ils sont ses messagers, nous sommes son troupeau. Il couvre d'un mets divin leur table dans les cieux, il remplit aussi notre étable sur la terre. Ce qui couvre leur table, c'est Celui dont il est écrit: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». Ce qui remplit notre étable, c'est Celui dont il est dit: «Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (6)». Ainsi, pour permettre à l'homme de manger le pain des anges, le Créateur des anges s'est fait homme. Les anges le louent par leur vie même, et nous par notre foi; eux, en jouissant, et nous, en demandant; eux, en saisissant, et nous, en cherchant; eux, en entrant, et nous, en frappant.

1. Jn 3,20 - 2. 2Co 5,15 - 3. Ga 2,20 - 4. Ps 94,7 - 5. Lc 2,14 - 6. Jn 1,1-14

3. Quel est en effet celui d'entre nous qui connaît tous les trésors de sagesse et de science enfermés dans le Christ et cachés sous le voir de sa pauvreté matérielle? Car «pour nous il s'est fait pauvre quand il était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté (1)»; il s'est montré pauvre, lorsque pour anéantir la mort il s'est revêtu de notre mortalité. Toutefois il n'a point perdu alors ses richesses, il nous les a promises pour plus tard. Qu'elles sont grande les jouissances qu'il cache pour ceux qui le craignent et qu'il montre à ceux qui espèrent en lui (2)! Car nous ne connaissons que, partiellement et jusqu'à ce qu'arrive ce qui est par fait. Or pour nous rendre capables de goûter ainsi ce qui est parfait, Celui qui comme Dieu est égal au Père et qui comme serviteur est devenu semblable à nous, nous réforme su l'image de Dieu même. Fils unique de Dieu, à venu fils de l'homme, il élève en grand nombre les fils des hommes jusqu'à la dignité de fils de Dieu; par sa nature visible de serviteur, il nourrit ses serviteurs et en fait des enfants capable de voir la nature même de Dieu. «Nous sommes les enfants de Dieu, est-il écrit, et ce que nous serons n'apparaît pas encore: Nous savons que quand Dieu apparaîtra nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est (3)». Pourquoi en effet ces expressions de trésors de sagesse et de science, de divines richesses, sinon pour dire que Dieu nous suffit? Pourquoi parler encore de grandes jouissances, sinon pour faire entendre qu'il nous satisfait pleinement? «Montrez-nous donc votre Père, et c'est assez (4)». Aussi est-il dit par l'un de nous est-il dit en nous ou pour nous dans u psaume: «Je serai rassasié, lorsque se manifestera votre gloire (5)». De plus, comme le Père et le Fils font un, voir le Fils, c'est vous aussi le Père (6); et «le Seigneur des vertus est» par là même «le Roi de gloire (7)». En se tournant vers nous, il nous montrera face, et nous serons sauvés, et nous seront rassasiés, et cela nous suffira.

4. Ah! disons-lui donc du fond du coeur: «J'ai recherché votre présence, je la rechercherai, Seigneur; ne détournez pas de moi votre face (8)». Et qu'à notre coeur aussi lui-même réponde: «Celui qui m'aime garde mes

1. 2Co 8,9 - 2. Ps 30,20 - 3. 1Jn 3,2 - 4. Jn 14,8 - 5. Ps 16,15 - 6. Jn 10,3 Jn 14,9 - 7. Ps 23,10 - 8. Ps 26,8-9

171

commandements; de plus, celui qui m'aime sera aimé par mon Père; moi aussi je l'aimerai et je me révélerai à lui (1)». Ceux à qui il parlait ainsi le voyaient bien des yeux du corps, entendaient sa voix, et considéraient l'homme en lui; mais ce qu'il promettait de montrer à ceux qui l'aiment, c'est ce que l'oeil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce qui ne s'est point élevé dans le coeur de l'homme (2), c'est lui-même encore.

Jusqu'à ce que s'accomplisse cette promesse, jusqu'à ce que le Sauveur nous montre ce qui nous suffira; en attendant que nous puisions en lui, la vraie source de vie, le rassasiement même; pendant que vivant de la foi nous sommes éloignés de lui; pendant que nous

1. Jn 14,21 - 2. 1Co 2,9

avons faim et soif de la justice, et qu'avec une ardeur ineffable nous aspirons à contempler la beauté de la nature même de Dieu, célébrons avec une humble dévotion le jour où il naît comme esclave. Incapables encore de contempler ce qu'il reçoit du Père qui l'engendre avant l'aurore, chantons ce qu'il reçoit de sa Mère qui l'enfante dans la nuit. Nous ne voyons pas encore le nom qu'il porte dès avant le soleil (1); considérons dans le soleil sa tente qu'il y a placée. Nous ne voyons pas encore le Fils unique subsistant dans le sein de son Père; rappelons-nous l'Epoux sortant du lit nuptial (2). Nous ne pouvons nous asseoir encore au festin de notre Père; saluons la crèche de Jésus-Christ Notre-Seigneur.

1. Ps 71,17 - 2. Ps 18,6




195

SERMON CXCV. POUR LE JOUR DE NOEL. XII. LES TITRES DU SAUVEUR.

ANALYSE. - Celui dont nous honorons aujourd'hui la naissance est à la fois le Fils de Dieu et le Fils de Marie, l'Epoux de l'Eglise et le Sauveur des hommes, en faveur de qui il sait user de douceur et de force, de sévérité et de bonté.

1. Celui qui est à la fois Fils de Dieu et fils de l'homme, Jésus-Christ Notre-Seigneur, comme Fils de Dieu n'a point de Mère et il a créé tous les jours; comme fils de l'homme il n'a point de Père et il a consacré ce jour. Invisible par sa naissance divine, rendu visible par sa naissance humaine, il est admirable dans l'une et dans l'autre. Quand donc un prophète disait de lui: «Qui racontera sa génération (1)?» de laquelle parlait-il préférablement? Il est difficile de décider si c'est de celle où par sa naissance éternelle il est coéternel au Père, ou bien de celle où, formé dans le temps, il avait auparavant créé sa Mère afin de naître d'elle; si c'est de celle où il n'a jamais commencé puisqu'il a existé toujours.

1. Is 53,8

Eh! qui pourrait expliquer comment la Lumière est née de la Lumière, en ne formant toutefois qu'une seule et même Lumière; comment un Dieu est né d'un Dieu, sans faire néanmoins plusieurs dieux; comment on présente cette naissance à titre de fait accompli, quand il a été impossible de distinguer en elle soit un temps passé qui la montre comme passée, soit un temps futur qui l'ait indiquée comme devant avoir lieu, soit un temps présent qui la désigne comme s'accomplissant, sans être accomplie encore? Qui donc racontera cette génération, puisque l'acte à raconter subsiste au-dessus du temps, et que les paroles du récit passent avec le temps? Quant à cette autre génération qui lui donne une Vierge pour Mère, qui la racontera encore, puisque sa conception dans la chair n'a pas eu lieu d'une manière (172) charnelle, et puisqu'en naissant de la chair, il a rempli de lait le sein de sa nourrice, sans altérer l'intégrité de sa Mère. Qui donc racontera ces deux générations ou l'une d'elles?

2. Ah! voici le Seigneur notre Dieu; voici le Médiateur de Dieu et des hommes, notre Sauveur fait homme. Fils du Père, il a créé sa Mère; Fils de sa Mère, il a glorifié son Père; comme Fils unique du Père, il n'a point de Mère, et comme Fils unique de sa Mère, il n'a point de Père parmi les hommes. Voici le plus beau des enfants des hommes (1), le Fils de sainte Marie, l'Époux de la sainte Église, qu'il a rendue semblable à sa Mère, puisqu'il nous l'a donnée pour être notre mère et puisqu'il lui conserve pour lui-même une pureté virginale. N'est-ce pas à elle que dit l'Apôtre: «Je vous ai parée, comme une vierge pure, pour vous présenter au Christ, votre unique Époux (2)?» N'est-ce pas de cette mère qu'il dit encore qu'elle est, non pas la servante, mais la femme libre dont les enfants sont plus nombreux, malgré son délaissement, que les fils de celle qui a un époux (3)? L'Église a donc, comme Marie, une virginité inaltérable et une inviolable fécondité. Ce que Marie a mérité de posséder dans sa chair, l'Église le conserve dans son âme seulement Marie n'a mis au monde qu'un Fils, l'Église en enfante une multitude entre lesquels sera établie l'unité par la grâce du Fils unique de Marie.

3. Ce jour est donc celui où est venu au monde le Créateur même du monde; où il s'y est rendu corporellement présent, quoique par sa puissance il n'en ait jamais été absent,

1. Ps 44,3 - 2. 2Co 11,12 - 3. Ga 4,26-27

puisqu'il a toujours été dans ce monde, et qu'il y est descendu chez lui-même. Sans doute il était dans ce monde, mais il y était caché; la Lumière luisait dans les ténèbres, sans que les ténèbres la comprissent (1). Il y est venu avec un corps de chair, pour purifier les vices de la chair. Il y est venu avec un corps de terre, qui devait aider à guérir en nous les yeux du coeur, privés de lumière par notre corps de boue: ainsi, après notre guérison, nous deviendrions lumière dans le Seigneur, de ténèbres que nous étions (2); ainsi encore à Lumière ne luirait plus dan les ténèbres près d'hommes absents, elle se révélerait à des regards qui ne douteraient plus de la vérité.

Tel est le but pour lequel l'Époux est sorti du lit nuptial, et le géant s'est élancé afin de fournir sa carrière (3); car le Fils de Marie est beau comme un époux et fort comme un géant; il est à la fois aimable et terrible, doux et sévère, plein de charmes pour les bons, de rigueurs pour les méchants, demeurant dans le sein de son Père et remplissant celui de sa Mère. C'est dans ce sein de la Vierge, dans ce lit nuptial, que la nature divine s'est unie la nature humaine; que pour nous le Verbe s'est fait chair afin de demeurer au milieu de nous après l'avoir quitté (4), et afin de nous précéder près de son Père pour nous y préparer une; demeure. Aussi célébrons ce jour avec allégresse, avec solennité, et par la grâce de l'éternel qui pour nous est né dans le temps, aspirons avec une fidélité constante à contempler l'éternel jour.

1. Jn 1,10 Jn 11,5 - 2. Ep 5,8 - 3. Ps 18,6 - 4. Jn 1,14




196

SERMON CXCVI. POUR LE JOUR DE NOEL. XIII. POUR QUI L'INCARNATION?

ANALYSE. - La génération du Fils de Dieu dans le sein de son Père est ineffable; sa naissance du sein de sa mère n'est-elle pas merveilleuse aussi? Pour qui est-il né? Pour tous les genres de vie qui sont dans l'Eglise, pour les vierges, les époux et les veufs. C'est donc pour nous et pour nous tous qu'il s'est tant abaissé et qu'il a tant souffert! Abus censuré à propos des calendes de janvier.

1. Voici pour nous la fête de la naissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur; ce jour natal est celui où est né le Jour même, et s'il l'a choisi, c'est par ce qu'à dater d'aujourd'hui le jour commence à grandir.

Notre-Seigneur Jésus-Christ a deux naissances: l'une est divine, l'autre humaine, et toutes deux admirables; dans l'une il n'a point de femme pour Mère, et dans l'autre point d'homme pour Père. Aussi peut-on appliquer à ces deux naissances le cri du saint Prophète Isaïe: «Qui racontera sa génération (1)?» Eh! qui pourrait expliquer convenablement comment un Dieu engendre, comment enfante une Vierge? La génération divine est en dehors de tout jour, l'enfantement virginal est à un jour déterminé; mais ces actes tous deux merveilleux surpassent tous deux les conceptions de l'homme. Ecoutez; voici la première génération: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (2)». Le Verbe de qui? Du Père. Quel est ce Verbe? Le Fils. Le Père n'a jamais été sans son Fils; et le Père néanmoins a engendré son Fils. Il l'a engendré; et pourtant le Fils n'a pas commencé. Comment aurait-il commencé, puisque jamais il n'y a eu de commencement à sa génération? Toutefois, je le répète, il est réellement son Fils et engendré réellement.

Comment, dira-t-on, a-t-il été engendré, s'il n'a pas eu de commencement? S'il est engendré, il a sûrement commencé; s'il n'avait pas commencé, pourrait-il être engendré? - Comment? Je l'ignore. Est-ce à un homme que tu oses demander comment un Dieu a été

1. Is 53,8 - 2. Jn 1,1

engendré? Ta question m'embarrasse; néanmoins j'en appellerai au Prophète: «Qui racontera, dit-il, sa génération?» Viens considérer avec moi cette génération humaine, cette génération où il s'est anéanti en prenant une nature d'esclave: pourrons-nous au moins la comprendre? nous sera-t-il possible d'en dire au moins quelque chose? Eh! qui serait capable de comprendre ceci: «Il avait la nature de Dieu, et il n'a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu?» Oui, qui peut comprendre cela? Qui peut s'en faire une juste idée? Quelle intelligence oserait sonder cet abîme? Quelle langue aurait la hardiesse d'en parler? Quel esprit assez fort pour concevoir ce mystère? Mais laissons-le pour le moment; il est trop au-dessus de nos forces. Afin de s'abaisser jusqu'à nous, «il s'est anéanti en prenant une nature d'esclave, en se faisant semblable aux hommes (1)». Où l'a-t-il prise? Dans le sein de la Vierge Marie. Parlons donc de cet événement. Mais pourrons-nous? Un ange l'annonce; la Vierge l'écoute, y croit et conçoit. Elle a la foi dans le coeur, et le Christ est dans son sein. Vierge, elle conçoit: qui ne serait étonné? Vierge, elle enfante, étonnez-vous davantage; après avoir enfanté elle demeure Vierge, qui raconterait cette génération?

2. Voici qui vous fera plaisir, mes bien-aimés. Il y a dans l'Eglise trois genres de vie pour les membres du Christ: la vie conjugale, la vie de veufs et la vie des vierges. Or, comme ces vies devaient être, dans toute leur pureté, les vies des membres saints du Christ, toutes ont été appelées à lui rendre témoignage. La

1. Ph 2,6-7

174

première de ces vies est la vie conjugale. Quand Marie conçut en demeurant Vierge, Elisabeth, épouse de Zacharie, avait déjà conçu et elle portait dans ses entrailles le héraut du grand Juge. Sainte Marie alla vers elle, comme pour rendre ses hommages à une parente, et l'enfant que portait Elisabeth tressaillit dans son sein. L'enfant tressaillit, mais la mère prophétisa: n'est-ce pas le témoignage de la pureté conjugale? Et le témoignage des veuves? Voici Anne. Vous venez de l'entendre encore pendant la lecture de l'Evangile: c'était une sainte prophétesse âgée de quatre-vingt-quatre ans, qui en avait passé sept avec son mari, et qui depuis son veuvage était souvent au temple, servait Dieu en le priant nuit et jour. Elle aussi reconnut le Christ. Dans ce petit enfant elle vit une grandeur toute divine et elle lui rendit témoignage. Voilà pour les veuves. Quant aux vierges, elles sont représentées par Marie (1).

A chacun de choisir entre ces trois vies; vouloir être en dehors de toutes, c'est ne pas vouloir compter parmi les membres du: Christ. Que les épouses ne disent donc pas: Nous sommes pour le Christ des étrangères; de saintes femmes ont été mariées. Que de leur côté les vierges prennent garde de s'enorgueillir. Plus elles sont grandes, plus elles doivent s'abaisser en toutes choses (2). Il n'est pas de saints exemples qui ne nous aient été mis sous les yeux. Que nul ne s'égare loin de la voie; que nul n'aille à d'autre. qu'à son épouse. Il est préférable de n'en pas avoir; mais si on veut des modèles de chasteté conjugale, en voici dans Susanne; de pureté dans le veuvage, voici Anne; de sainteté virginale, voici Marie.

3. C'est pour nous qu'a voulu se faire homme le Seigneur Jésus. Ne dédaignons point sa miséricorde; c'est la Sagesse étendue sur la terre. «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». O Pain divin et aliment des Anges! c'est vous que mangent les Anges, de vous qu'ils se rassasient sans dégoût, de vous qu'ils vivent, en vous qu'ils puisent la sagesse et la félicité. Ah! où êtes-vous descendu à cause de moi? Dans une étroite hôtellerie; sur des langes, dans une crèche; et pour qui? Oui, Celui qui dirige les astres prend le sein d'une

1. Lc 1,11 - 2. Si 3,20

femme; Celui qui nourrit les Anges et qui parle dans le sein de son Père, garde le silence sur le sein de sa Mère. Mais il- parlera quand sera venu l'âge convenable; pour nous alors il publiera tout l'Evangile. Il souffrira pour nous, pour nous il mourra, et afin de montrer en lui quelle sera notre biture récompense, il ressuscitera, montera au ciel sous les yeux de ses disciples et en reviendra pour juger l'univers. Ainsi donc en s'abaissant dans une crèche il n'a rien perdu de lui-même; il a pris ce qu'il n'était pas, tout en demeurant ce qu'il était. Nous l'avons, ce divin Enfant, croisons avec lui.

4. Que votre charité veuille bien se coin tenter de cela. La solennité ayant amené ici une nombreuse assistance, je dois faire uns observation.

Les calendes de Janvier vont arriver; vous êtes tous chrétiens; oui, par la grâce de Dieu, la ville est chrétienne. Il y a pourtant dans cette ville des Juifs mêlés aux chrétiens. Ah! qu'on ne fasse rien de ce qui déplaît à Dieu: il est des divertissements où se commet l'iniquité, des jeux où se pratique l'injustice. Gardez-vous d'appeler la vengeance des juges, pour ne tomber pas entre les mains du Juge suprême. Vous êtes chrétiens, vous êtes membres du Christ. Réfléchissez à votre dignité, songez au prix qui a été donné pour vous acheter. Mais que faites-vous donc? Je m'adresse aux seuls coupables. Vous à qui déplaît cette conduite, ne vous offensez pas; je parle qu'à ceux qui se livrent et qui se plais à ces désordres. Voulez-vous savoir enfin ce que vous faites et de quelle douleur vous nous pénétrez? Vous imitez les Juifs. N'est-ce assez pour vous porter à rougir et à ne plus recommencer?

Le jour de la nativité de saint Jean, il y a six mois, car le héraut précède le Juge de tout ce temps, des chrétiens vinrent se laver dans la mer, conformément à un usage superstitieux des païens. Je n'étais pas ici; mais, m'a-t-il dit, quelques prêtres, zélés pour la discipline chrétienne, imposèrent à quelques-uns de ces coupables une pénitence convenable et canonique. On en murmura, et plusieurs s'écrièrent: En coûtait-il tant de nous prévenir? Si nous avions été avertis d'avance, nous n'aurions pas agi ainsi. Que ces prêtres eux-mêmes ne nous prévenaient-ils? Nous n'aurions pas fait cela. Eh bien! votre évêque aujourd'hui (175) vous prévient; je vous avertis, je le fais hautement, je le fais clairement. Qu'on se rende donc à l'évêque quand il commande, à l'évêque quand il prévient, à l'évêque quand il supplie, à l'évêque quand il adjure; oui, au nom de Celui qui est né aujourd'hui, je vous adjure, je vous y oblige, ne continuez pas. Ainsi je me décharge; mais il vaut mieux que vous écoutiez mes avertissements que de sentir le poids de ma douleur.




197

SERMON CXCVII. POUR LE PREMIER JANVIER. I. ORGUEIL ET HUMILITÉ.

ANALYSE. - Ce discours n'est pas entier; il est composé de plusieurs fragments qui ne sont pas toujours liés. entre eux et dont le but est de montrer que comme l'orgueil a conduit les païens à tous les désordres oh ils se sont livrés, ainsi l'humilité est le caractère essentiel des vertus chrétiennes.

1. «La colère de Dieu éclate effectivement du haut du ciel sur toute l'impiété». De qui, sinon des Juifs et des Gentils?

On pourrait objecter: Pourquoi, sur l'impiété des Gentils? Les Gentils ont-ils jamais reçu la loi pour avoir pu la violer? Il est juste que la colère divine éclate sur les Juifs, puisque la loi leur a été donnée et qu'ils ont refusé de l'observer; mais elle n'a pas été donnée aux Gentils. - Regardez, mes frères, et voyez comment l'Apôtre prouve que tous sont coupables et ont besoin tous du salut et de la miséricorde de Dieu. «La colère de Dieu, dit-il donc, éclate du haut du ciel sur toute l'impiété et l'iniquité de ces hommes qui a retiennent la vérité dans l'injustice». Remarquez-le bien; il ne dit pas: Ces hommes ne possèdent pas la vérité; mais: «Ils la retiennent dans l'injustice». Tu pourrais demander encore: Comment leur est-il possible de connaître la vérité, puisqu'ils n'ont pas reçu la Loi? Aussi l'Apôtre continue-t-il: «Car, ce qui est connu de Dieu leur a été manifesté». Comment encore, sans qu'ils aient reçu la Loi, ce qui est connu de Dieu leur a-t-il été manifesté? Le voici dans la suite du texte: «C'est que ses perfections invisibles; rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité»; sous-entendu, sont devenues visibles, pour avoir été comprises. Pourquoi en effet considérer l'ouvrage sans remonter à l'ouvrier? Voici la terre et ses produits, voici la mer et les animaux qui la remplissent, voici l'air et les oiseaux qui l'animent, voici le ciel et l'éclat de ses astres, voici tant d'autres merveilles, et tu ne cherches pas quel en est l'auteur?

Je vois bien ces merveilles, diras-tu, mais je n'en vois pas l'auteur. - Pour les voir il t'a donné les yeux du corps, et l'intelligence pour le voir lui-même. Vois-tu l'âme de l'homme? Les mouvements et la direction imprimée au corps te révèlent l'existence de l'âme que tu ne vois pas: ainsi le gouvernement de tout l'univers et la conduite de l'âme elle-même doivent te faire connaître le Créateur.

Il ne suffit pas toutefois de le connaître. Ces païens le connaissaient; et néanmoins que dit d'eux l'Apôtre? «Que connaissant Dieu ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé s'est obscurci». Pourquoi, sinon à cause de leur orgueil? Aussi considère ce qui suit: «En disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous». Ils ne devaient point s'attribuer les dons de Dieu, ni se vanter de ce qu'ils tenaient, non pas d'eux-mêmes, mais de lui.

176

Ils devaient au contraire lui en rendre grâces afin d'êtres guéris par lui et de pouvoir conserver les connaissances qu'il leur avait accordées. En agissant ainsi ils auraient pratiqué l'humilité, ils auraient pu se purifier et s'attacher inséparablement à la beauté suprême qui aurait fait leur bonheur. Mais comme ils étaient orgueilleux, ils furent séduits par cet esprit faux, trompeur et superbe qui leur promit de purifier leurs âmes par je ne sais quelles pratiques d'orgueil, et ils en vinrent ainsi à adorer les démons. Telle est l'origine de tous les usages religieux des païens, représentés comme devant leur communiquer la pureté de l'âme. Aussi remarque comment l'Apôtre enseigne ensuite que c'est pour eux un juste châtiment de leur orgueil, d'avoir été ainsi punis pour n'avoir pas glorifié Dieu comme il doit l'être. «Et ils ont échangé la gloire du Dieu incorruptible contre l'image d'un homme corruptible». Nous voilà déjà aux idoles, aux idoles des Grecs et des autres peuples qui adorent des images d'hommes.

Mais de tous les genres d'idolâtrie, il n'y en a point de plus accentué ni de plus superstitieux que celui des Egyptiens, car c'est l'Egypte qui a couvert le monde des vains simulacres dont parle ensuite l'Apôtre. Après avoir dit: «Contre l'image d'un homme corruptible», il ajoute en effet: «Des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles». Dites-moi, mes frères, avez-vous vu dans d'autres temples des statues avec des têtes de chien ou de boeuf, et d'autres représentations d'animaux sans raison? Ces idoles sont toutes égyptiennes, et l'Apôtre parle des unes comme des autres dans le passage suivant: «Contre l'image représentant un homme corruptible, et des oiseaux, et des quadrupèdes, et des reptiles. Aussi Dieu les a livrés au désir de leurs coeurs, à l'impureté, au point qu'ils déshonorent leurs propres corps en eux-mêmes». Ces péchés viennent de leur impiété orgueilleuse. Or, en tant qu'ils viennent de l'orgueil, ils sont des châtiments aussi bien que des péchés. Voilà pourquoi ces expressions: «Dieu les a livrés» elles désignent la vengeance de quelque crime, et cette vengeance consiste à laisser commettre ces honteux désordres à ces hommes «qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge». Qu'est-ce à dire: «Qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge?» C'est-à-dire qu'ils l'ont «échangée contre l'image représentant un homme corruptible, et des oiseaux, et des quadrupèdes et des reptiles». Quelqu'un de ces païens aurait pu dire: Moi, je n'adore pas la statue, mais ce qu'elle représente. L'Apôtre dit donc immédiatement; «Ils ont adoré et servi la créature plutôt que le Créateur (1)». Appliquez ici toute votre attention. Ils adorent la statue même ou l'ouvrage de Dieu. Adorer la statue, c'est transformer la vérité de Dieu en mensonge. En effet, on peut considérer la mer comme étant une vérité, et Neptune comme un mensonge fabriqué par l'homme. Or, c'est changer alors la vérité de Dieu en mensonge, puisque la met est l'ouvrage de Dieu, tandis que la statue de Neptune est de création humaine. C'est aine encore que Dieu ayant fait le soleil, l'homme qui fabrique l'idole du soleil change en mensonge la vérité de Dieu. Afin donc que l'on n'ait pas même le prétexte de dire: Ce n'est pas l'image du soleil, c'est le soleil que j'adore, saint Paul a écrit: «Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur»......

2. Ne pourrait-on pas faire cette objection; Sans doute il est né dans l'humilité, mais il a prétendu mettre sa gloire dans l'honneur de ses disciples? Or, il n'a choisi ni des rois, ni des sénateurs, ni des orateurs; il a préféré des hommes du peuple, des pauvres, des ignorants, des pêcheurs. Le pêcheur Pierre a devancé Cyprien l'orateur; et si le pêcheur ne s'était montré fidèle d'abord, l'orateur ne serait pas devenu un humble disciple. Que nul donc ne désespère, si petit qu'il soit; qu'on s'attache au Christ et on ne sera point déçu dans son espoir.....

3. A quoi prétendait Simon? N'est-ce pas à la gloire de faire des miracles, à l'élévation que donne l'orgueil? C'est l'orgueil effectivement qui le porta à croire; qu'on pouvait acheter à prix d'argent le don de l'Esprit-Saint (2). Ah! que l'Apôtre était loin de cet orgueil quand avec une humilité si constante, un ferveur spirituelle si brûlante et une prudence si éclairée, il disait: «Ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose qui sont quelque chose, mais Dieu, qui donne l'accroissement». C'est qu'il venait d'écrire ces mots: «J'ai planté, Apollo a arrosé; mais l'accroissement a été donné par Dieu (3)»; et ces autres: «Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous!

1. Rm 1,18-25 - 2. Ac 8,18 - 3. 1Co 3,6-7

177

«Est-ce au nom de Paul que vous avez reçu le baptême (1)?» Vois comme il refuse les honneurs dus au Christ, comme il est éloigné de vouloir prendre la place de l'Epoux aux yeux de l'âme infidèle. N'y a-t-il pas du mérite à planter et à arroser? Cependant «ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose». Comme il a peur! Il n'est rien pour le salut de ces âmes qu'il désirait avec tant d'ardeur faire progresser dans les voies du Christ.

4. Il ne voulait pas non plus qu'on espérât en lui, mais seulement dans la vérité dont il était le héraut. Ce qu'il disait valait mieux que lui. «Si nous-mêmes», écrivait-il; ce n'est pas assez, écoute ce qui suit: «ou un ange vous évangélisait, du haut du ciel, autrement que vous n'avez été évangélisés, qu'il soit anathème (2)!» Il savait qu'un faux médiateur pouvait se transformer en ange de lumière et prêcher le mensonge. Des hommes superbes cherchent à se faire adorer à la place de Dieu, à se faire attribuer tout ce qu'ils peuvent, à prendre le nom du Christ, à recevoir même, s'ils le pouvaient, plus de gloire que lui: ainsi font le démon et ses anges. Pour les Donatistes, Donat n'est-il pas le Christ? Entendent-ils un païen outrager le Christ? ils pourront montrer plus de patience que de l'entendre outrager Donat.

5. Cependant le Christ parle dans ses saints. «Voulez-vous éprouver, dit saint Paul, Celui

1. 1Co 1,13 - 2. Ga 1,8

qui parle en moi, le Christ (1)?» Le même Apôtre disait sans doute aussi: «Ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais Dieu, qui donne l'accroissement». C'était pour attirer les affections, non pas sur lui, mais sur Dieu en lui. Il ne rend pas moins à plusieurs le témoignage suivant: «Vous m'avez reçu comme un ange de Dieu, comme Jésus-Christ même (2)». C'est le Christ donc qu'il faut aimer dans ses saints; aussi a-t-il dit: «J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger (3)»; non pas: Vous leur avez donné, mais: «Vous m'avez donné»; tant est vif l'amour du Chef pour son corps!....

6. Qu'est-ce que Junon? Junon, disent-ils, est l'air. On voulait tout à l'heure nous faire adorer la mer dans un simulacre de terre; c'est maintenant pour l'air qu'on réclame nos hommages. Mais ce sont là des éléments dont ce monde est composé, et l'apôtre saint Paul parle ainsi de ce sujet dans une de ses épîtres «Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie, par des raisonnements faux et trompeurs, à propos des éléments du monde (4)». Ainsi faisait-il allusion à ces esprits qui prétendent expliquer aux sages le sens des idoles. Voilà pourquoi il rapproche de la philosophie, les éléments du monde; il veut qu'on évite, non pas précisément les adorateurs des idoles en général, mais ceux qui paraissent en interpréter plus savamment la signification.

1. 1Co 13,3 - 2. Ga 4,14 - 3. Mt 25,35 - 4. Col 2,8




198

SERMON CXCVIII. POUR LE PREMIER JANVIER. II. ÉTRENNES DES CHRÉTIENS.

178

ANALYSE. - Vous venez de demander à Dieu de vous séparer des gentils; séparation qui doit s'entendre, non de la séparation des corps, mais de la séparation des moeurs. Or les gentils se livrent aujourd'hui à des divertissements indignes d'un chrétien, et se donnent réciproquement des étrennes. Mieux inspirés, faites l'aumône et livrez-vous aux exercices de piété.

1. En vous voyant réunis aujourd'hui comme pour un jour de fête et plus nombreux que de coutume, nous invitons votre charité à se rappeler ce qu'elle vient de chanter, à n'avoir pas le coeur muet quand la langue parle si haut, à porter avec ardeur jusqu'aux oreilles (178) de Dieu ce que vous avez fait entendre extérieurement aux oreilles les uns des autres. Voici en effet ce que vous venez de chanter: «Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils, afin que nous bénissions votre nom (1)». Or, vous serez séparés des gentils si vous ne prenez aucun plaisir à ce qu'ils font aujourd'hui, à leurs joies profanes et charnelles, au bruit de leurs chants si vains et si honteux, à leurs festins et à leurs danses ignobles, à la solennité et à la fête menteuse qu'ils célèbrent.

2. Oui, vous avez chanté, et l'écho de ce chant sacré est encore à vos oreilles: «Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentil». Comment être rassemblé du milieu des gentils autrement qu'en se sauvant? Rester mêlé au milieu d'eux, c'est ne pas se sauver; mais se rassembler du milieu d'eux, c'est obtenir le salut que donne la foi, que donne l'espérance, que donne une charité sincère, en un mot le salut spirituel attaché aux promesses de Dieu. Il ne suffit donc pas, pour être sauvé, de croire, d'espérer et d'aimer; l'important est ce que l'on doit croire, espérer et aimer; car nul ne vit ici-bas sans ces trois sentiments de foi, d'espérance et d'amour. Mais pour être rassemblé du milieu des gentils, c'est-à-dire pour être séparé d'eux, il ne faut ni croire ce qu'ils croient, ni espérer ce qu'ils espèrent, ni aimer ce qu'ils aiment. Ainsi séparé d'esprit, ne crains pas d'être de corps parmi eux. Se peut-il une différence plus tranchée entre eux et toi que de croire de ton côté qu'il n'y a qu'un Dieu unique et véritable, quand ils croient, eux, que les démons sont des dieux; que d'espérer, comme tu fais, la vie éternelle avec le Christ, quand ils espèrent, eux, les frivolités du siècle; que d'aimer avec toile Créateur du monde, quand eux n'aiment que le monde?

Mais si on diffère d'eux par la foi, par l'espérance et par l'amour, on doit le prouver par sa vie, le montrer par ses actions. Si tu dois donner des étrennes, te livrer à des jeux de hasard et à l'ivresse comme un païen, as-tu une autre foi, une autre espérance, un amour autre que lui, et comment oses-tu lever le front pour chanter: «Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils?» Cette séparation

1. Ps 105,47

consiste à mener une vie différente de celle des gentils, tout en demeurant extérieurement au milieu d'eux. Combien doit être tranchée cette différence? Reconnaissez-le, si toutefois vous voulez la faire passer dans votre vie. N'est-il pas vrai que le Fils de Dieu, Jésus-Christ Notre-Seigneur, après s'être fait homme pour l'amour de nous, a payé lui-même notre rançon? Il l'a payée de son sang, il l'a payée pour nous racheter et nous rassembler du milieu des gentils. Or, en te mêlant à eux, tu refuses de marcher à la suite de ton Rédempteur; et tu t'y mêles par ta vie, par tes actions par les sentiments de ton coeur, par la communauté de foi, d'espérance et d'amour; tu te montres, par là, ingrat envers ton Sauveur, sans égard pour ta rançon, pour le sang de l'Agneau sans tache. De grâce donc, pour suivre ton Rédempteur, Celui qui t'a racheté de son sang, évite de te mêler aux gentils par la ressemblance des moeurs et de la conduite. Eux donnent des étrennes; faites-vous, des aumônes. Ils se distraient par des chant lascifs; sachez vous distraire par les paroles de l'Ecriture. Ils courent au théâtre; courez à l'Eglise. Ils s'enivrent; jeûnez, et si vous ne pouvez jeûner aujourd'hui, mangez avec sobriété. Vous conduire ainsi, ce sera avoir chanté dignement: «Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils».

3. Mais beaucoup vont se préoccuper aujourd'hui d'un mot qu'ils ont entendu. Nous avons dit: Ne donnez point d'étrennes, donnez plutôt aux pauvres. Ce n'est pas assez de donner autant, donnez encore plus. Ne voulez-vous point donner davantage? donnez au moins autant. - Mais, répliques-tu, lorsque je donne des étrennes, j'en reçois aussi. - Et quand tu donnes aux pauvres, ne reçois rien? Assurément tu ne voudrais ni croire que croient les gentils ni espérer ce qu'ils espèrent. Si néanmoins tu répètes que tu ne reçois rien en donnant aux pauvres, tu fais partie des gentils; c'est sans résultat que tu as chanté: «Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu et rassemblez-nous du milieu des gentils». N'oublie pas cette recommandation: «Ce qui donne aux pauvres ne sera jamais dans le besoin (1)». Tu ne te souviens donc pas de ce que dira le Seigneur à ceux qui auront

1. Pr 28,26

179

assisté les indigents: «Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume»; ni des paroles qu'il adressera à ceux qui ne les auront pas assistés: «Jetez-les au feu éternel (1)?»

S'il en est ici qui ne m'ont pas entendu avec plaisir, il en est sûrement qui sont satisfaits. C'est à ces vrais chrétiens que je m'adresse pour le moment. Si votre foi, si votre espérance, si votre amour différent des leurs, vivez autrement qu'eux et montrez par la différence de vos moeurs cette autre différence. Ecoutez l'avertissement de l'Apôtre: «Ne traînez point le même joug que les infidèles. «Quoi de commun entre la justice et l'iniquité? ou quelle alliance entre la lumière et les ténèbres? Quel commerce entre le fidèle et l'infidèle? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles (2)?» Il dit encore ailleurs: «Ce qu'immolent les gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu. Je ne veux pas, s'écrie-t-il, que vous ayez aucune société avec les démons (3)». Les moeurs des gentils plaisent à leurs dieux. L'Apôtre donc en disant: «Je ne veux pas que vous fassiez société avec les démons», entend que les chrétiens se distingueront,

1. Mt 25,34-41 - 2. 2Co 6,14-15 - 3. 1Co 10,20

par leur conduite et par leurs moeurs, des esclaves des démons. Ces démons aiment les chants frivoles, les spectacles bouffons, les hontes multipliées du théâtre, la folie du cirque, la cruauté de l'amphithéâtre, les combats animés de ceux qui luttent et disputent, souvent jusqu'à l'inimitié, en faveur d'hommes pestilentiels, en faveur d'un comédien, d'un historien, d'un pantomime, d'un cocher, d'un gladiateur. Ces actes sont comme de l'encens offert dans leurs coeurs aux démons; car ces esprits séducteurs prennent plaisir à faire des dupes; ils se repaissent en quelque sorte des iniquités, des hontes et des infamies de leurs victimes. «Pour vous», comme dit l'Apôtre, «ce n'est pas ainsi que vous connaissez le Christ, si toutefois vous l'avez écouté et si vous avez été formés à son école (1). N'ayez donc point de commerce avec eux. Car, si autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur; conduisez-vous comme des enfants de lumière (2)»; afin que nous aussi, qui vous annonçons la divine parole, nous puissions, avec vous et à cause de vous, nous réjouir à cette lumière éternelle.

1. Ep 4,20-21 - 2. Ep 5,7-8





Augustin, Sermons 194