Augustin, Sermons 247

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SERMON CCXLVII. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XVIII. LE MIRACLE DES PORTES FERMÉES (1).

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ANALYSE. - Plusieurs refusent de croire que Jésus-Christ entra le jour de sa résurrection dans l'appartement où étaient réunis ses Apôtres, quoique les portes en fussent fermées. Ils ne considèrent donc pas 1. que ce miracle est analogue à beaucoup d'autres, 2. que Dieu est tout-puissant, 3. qu'il se fait chaque jour dans la nature des choses plus admirables, 4. enfin qu'il est plus facile à un homme d'entrer par une porte fermée qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, ce qui pourtant n'est pas impossible à Dieu.

1. Il semble que nous ayons fini hier de lire la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le texte véridique des quatre Evangiles. Le premier jour en effet nous l'avons lue dans saint Matthieu, le second dans saint Luc le troisième dans saint Marc le quatrième ou hier dans saint Jean. Cependant, comme saint Luc et saint Jean ont écrit sur la résurrection et sur les événements qui la suivirent, beaucoup de choses qui ne peuvent se lire en une seule fois, aujourd'hui, comme hier, nous avons lu dans saint Jean et il nous y restera encore d'autres lectures à faire.

Que vient-on de nous lire? Que le jour même de la résurrection, c'est-à-dire le dimanche, vers le soir, comme les disciples étaient réunis dans un appartement. dont les portes étaient fermées à cause de la crainte qu'inspiraient les Juifs, le Seigneur apparut tout à coup au milieu d'eux. Ce même jour donc, d'après le témoignage de l'Evangéliste saint Jean, il apparut deux fois à ses disciples, le matin et le soir. On a lu l'apparition du matin, et nous venons d'entendre lire l'apparition du soir. Je n'avais pas besoin de vous le rappeler, il vous suffisait d'en faire la remarque; mais en considération de ceux qui sont ou moins instruits ou plus négligents, j'ai dû faire cette observation; car il convient que vous sachiez, non-seulement ce qu'on vous lit, mais encore de quelle partie des Ecritures on le tire.

2. Qu'avons-nous donc à dire sur la lecture d'aujourd'hui? Il semble que cette lecture nous invite à expliquer en peu de mots comment,

1. 1Jn 20,19-31

avec ce corps solide que les disciples purent voir et toucher, le Seigneur ressuscité put se présenter devant eux, quand les portes étaient fermées. Plusieurs sont frappés de ce fait d'une manière si défavorable, qu'ils sont sur le point de se perdre en invoquant contre les miracles divins les préjugés de leur raison. Voici en effet comme ils argumentent. Si le Christ avait son corps, s'il avait de la chair et des os, s'il est sorti du sépulcre avec ce qui avait été attaché à la croix, comment a-t-il pu rentrer à travers des portes closes? S'il ne l'a pu, ajoutent-ils, le fait n'a pas eu lieu; et s'il l'a pu, comment l'a-t-il pu? - Mais si tu comprenais comment, il n'y aurait point de miracle; et si tu n'admets pas ce miracle, tues bien près de nier aussi que ton Sauveur est sorti du tombeau. Remonte jusqu'au commencement, considère les miracles de ton Dieu et rends-moi compte de chacun d'eux. Sans s'être approchée d'aucun homme, une Vierge a enfanté: explique comment une Vierge a pu concevoir de la sorte. Si ta raison est ici impuissante, que ta foi s'y fortifie. Voilà un mi. racle pour la conception du Seigneur, en voici un autre pour sa naissance. Sa Mère l'a enfanté Vierge et elle est restée Vierge. Ainsi dès avant sa résurrection le Seigneur avait passé par des portes fermées.

Tu pousses plus loin tes questions. S'il est entré, dis-tu, par des portes closes, qu'est de. venue la nature de son corps? Je te réponds: S'il a marché sur la mer, qu'est devenu le poids de son corps? - C'est comme étant le Seigneur que le Seigneur y a marché. - Mais en ressuscitant a-t-il cessé d'être le Seigneur?

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N'a-t-il pas même fait marcher Pierre sur les flots (1)? Ainsi Pierre a pu par la foi ce que faisait Jésus par sa divinité; avec cette différence toutefois que Jésus avait la puissance en lui-même et que Pierre ne pouvait rien que par la secours de Jésus. Ah! si tu te mets à discuter la nature des miracles avec ton sens humain, que je crains pour ta foi! Ignores-tu que rien n'est impossible à Dieu? Quand donc on viendra te dire: S'il est entré par des portes fermées, c'est qu'il n'avait pas de corps, réponds, dans un sens contraire: Ah! plutôt, si on l'a touché, c'est qu'il avait un corps; s'il a mangé, c'est qu'il avait un corps; et s'il est entré ainsi, c'était par miracle et non pas en suivant les lois de la nature.

Quelle merveille aussi que ce cours ininterrompu de la nature! Tout y est plein de miracles; mais leur continuité même les a dépréciés. Réponds-moi, je rie vais t'interroger que sur ce qui se reproduit chaque jour: Comment le figuier, un si grand arbre, vient-il d'une semence si petice qu'on a peine à la voir, taudis que l'humble courge produit un fruit énorme? Sur cette graine si fine, à peine visible, applique non pas ton regard mais ton attention; eh bien! dans ce corps si petit, si étroit, tu verras réunis et la racine qui se cache, et le tronc qui se fixe; et les feuilles qui s'y attachent; le fruit même que l'on verra suspendu aux rameaux est déjà dans la graine. Inutile de multiplier les exemples: nul ne rend compte de ce qui arrive chaque jour, et tu prétends que j'explique des miracles! Lis donc l'Évangile et crois accompli tout ce qui s'y étonne. Car Dieu a fait plus que tout ce que

1. Mt 14,25-29

tu y vois, et tu n'en es pas surpris: en effet, rien n'existait et le monde est aujourd'hui.

3. Cependant, poursuis-tu, il a été impossible au corps, en raison de son volume, de pénétrer à travers des portes qui restaient fermées. - Quel était ce volume, je t'en prie? Il avait sans doute les dimensions que nous voyons dans les autres corps humains: mais avait-il les dimensions d'un chameau? Assurément non. Eh bien! lis, écoute l'Évangile. Le Sauveur prétend montrer combien il est difficile au riche d'entrer dans le royaume des cieux, et il dit: «Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche de pénétrer dans le royaume des cieux». Persuadé qu'il était de toute impossibilité pour un chameau de passer ainsi par le trou d'une aiguille, les disciples s'attristèrent profondément et ils se disaient: «S'il en est de la sorte, qui pourra se sauver?» Admettons qu'il est plus facile à un chameau d'entrer dans le trou d'une aiguille qu'à un riche de pénétrer dans le royaume des cieux. Or, un chameau ne saurait d'aucune manière entrer dans le trou d'une aiguille; donc aucun riche ne peut non plus se sauver. Le Seigneur répondit alors: «Ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu (1)». Dieu donc peut tout à la fois faire passer un chameau par le trou d'une aiguille et faire entrer un riche dans le royaume des cieux. Pourquoi m'accuser maintenant à propos de portes fermées? Dans ces portes fermées il y a au moins quelque fente légère; rapproche cette fente du trou d'une aiguille, la taille de l'homme de la taille d'un chameau, et garde-toi d'attaquer la divinité des miracles.

1. Lc 18,25-27




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SERMON CCXLVIII. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XIX. LA PÊCHE MIRACULEUSE.

1. Jn 21,1-14

ANALYSE. - Il est sûr que Jésus-Christ a voulu nous instruire en faisant prendre à ses Apôtres ce grand nombre de poissons. Quelle est donc la leçon qu'il nous donne? Dans la pèche miraculeuse qui précède sa passion, on prend une prodigieuse multitude de poissons; ces poissons ne sont pas comptés et leur poids rompt les filets et menace de submerger la barque. C'est l'image de l'Eglise de la terre, où sont confondus les bons et les méchants, où se produisent les divisions et les schismes, et st l'on est toujours exposé à périr. Quant à la pêche qui suivit la résurrection, elle désigne l'Eglise du ciel; car les poisson viennent tous de la droite, comme les élus; comme les élus ils sont comptés, et s'ils sont au nombre précis de cent cinquante-trois, c'est que ce nombre encore désigne les élus. Pour être du nombre des élus, il faut avoir accompli la loi de Dieu, ou les dix commandements, avec le secours des sept dons de l'Esprit-Saint. Le nombre dix-sept est ainsi le chiffre des élus. Additionnez tous les nombres inférieurs jusqu'à celui-là, vous obtiendrez cent cinquante-trois.

1. Aujourd'hui encore on a fait la lecture, dans l'Evangile de saint Jean, sur ce qui arriva après la résurrection du Seigneur. Votre charité y a vu, comme nous, que Jésus-Christ se manifesta à ses disciples près de la mer de Tibériade, où il les trouva occupés à pêcher des poissons, eux dont il avait fait déjà des pêcheurs d'hommes. Durant la nuit entière ils n'avaient rien pris; mais le Seigneur s'étant montré, ils jetèrent leurs filets sur son ordre, et ils prirent toute la quantité que vous venez de voir.

Jamais le Seigneur n'aurait donné cet ordre, s'il n'avait eu dessein de nous tracer un enseignement qui nous fût salutaire. Qu'importait à Jésus-Christ qu'on prît des poissons ou qu'on n'en prît pas? Aussi cette pêche mystérieuse nous désignait. Rappelons-nous que les disciples firent deux pêches sur l'ordre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'une avant sa passion, l'autre après sa résurrection. Ces deux pêches figurent donc l'Eglise; l'Eglise telle qu'elle est aujourd'hui, et l'Eglise telle qu'elle sera à la résurrection des morts. Aujourd'hui, en effet, les bons et les méchants sont innombrables dans son sein, tandis qu'après la résurrection elle ne renfermera que les bons, dont le nombre sera fixé.

2. Revenons sur la première pêche pour y voir l'Eglise telle qu'elle est maintenant. Quand le Seigneur Jésus invita pour la première fois ses disciples à le suivre, il les trouva appliqués à pêcher. De toute la nuit ils n'avaient rien pris. Sitôt qu'ils le virent, il leur dit: «Jetez les filets. - Seigneur, reprirent-ils, nous n'avons rien pris durant la nuit entière; mais sur votre parole nous nous empressons de jeter le filet». Ils le jetèrent, c'était l'ordre du Tout-Puissant. Que pouvait-il arriver, sinon ce qu'il voulait? Mais, comme je l'ai déjà dit, il voulait bien signifier par là un mystère avantageux à connaître. On jeta donc les filets. Le Seigneur n'avait pas souffert encore, il n'était pas encore ressuscité. On jeta les filets, et on prit une telle quantité de poissons que les deux barques en furent remplies, et que les filets mêmes se rompaient (1). Jésus dit alors: «Venez et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes (2)». Ils reçurent ainsi de lui les filets de la parole de Dieu, ils les jetèrent sur le monde comme sur une profonde mer, et ils prirent cette immense multitude de chrétiens que nous voyons et qui nous étonne. Les deux barques figuraient deux peuples, les Juifs et les Gentils, la synagogue et l'Eglise, la circoncision et l'incirconcision. Ces deux barques sont donc aussi comme les deux murailles qui viennent de directions contraires, et dont le Christ est la pierre angulaire (3). Qu'avons-nous entendu encore? Que les barques étaient comme accablées sous le poids de ce qu'elles contenaient. Ainsi en est-il aujourd'hui, où la multitude des mauvais chrétiens est une surcharge pour l'Eglise. Non contents d'accabler l'Eglise, ces mauvais chrétiens rompent les filets. Y aurait-il des schismes, s'ils ne les avaient rompus?


1. Lc 5,1-11 - 2. Mt 4,19 - 3. Ep 2,11-22

301


3. De cette pêche qui nous fatigue, passons donc à cette autre que nous désirons avec ardeur et que nous attendons avec foi. Le Seigneur vient de mourir, mais il est ressuscité, il se montre à ses disciples près de la mer et leur dit de jeter leurs filets, non pas toutefois fane manière telle quelle. Attention! au moment de la première pêche il ne leur dit pas: Jetez à droite ou à gauche. S'il disait: A gauche, il n'aurait en vue que les méchants; à droite, Une voudrait figurer que les bons; et en ne disant ni à droite, ni à gauche, il indique qu'on allait prendre les bons mêlés avec les méchants. Que sera l'Eglise après la résurrection? Apprenez-le, distinguez bien, réjouissez-vous, espérez, comprenez. «Jetez, dit le Sauveur, les filets du côté droit». On prend donc les âmes de la droite; ne craignez pas qu'on prenne en même temps des méchants. Vous ne l'ignorez pas, en effet, le Seigneur a annoncé qu'il séparerait les brebis des boucs, placerait les brebis à sa droite, les boucs à sa gauche, dirait ensuite à la gauche: «Allez au Lieu éternel»; et à la droite: «Recevez le royaume (1)». Voilà pourquoi il dit aujourd'hui: «Jetez du côté droit». Les disciples y jetèrent et firent capture; le nombre des poissons est déterminé, il n'en est pas un de plus (2). Aujourd'hui, hélas! combien il en est de plus pour s'approcher de l'autel; ils semblent appartenir au peuple de Dieu, mais ils ne sont point inscrits au livre de vie. Alors donc le nombre est fixé. Ah! travaillez à être comptés aussi parmi ces poissons, non-seulement en écoutant et en applaudissant, mais encore en comprenant et en pratiquant. On jette donc les filets et on prend de grands poissons. Eh! qui sera petit dans ce séjour où tous seront égaux aux anges de Dieu (3)?

Or, ces grands poissons sont au nombre de cent cinquante-trois. - Est-ce là le nombre des saints, me dira-t-on? Loin de nous le soupçon même que cette Eglise seule en fournisse aussi peu au royaume des cieux! Oui, le nombre sera déterminé; mais du peuple d'Israël il y en aura des millions. Saint Jean dit dans son Apocalypse que de ce peuple seul il y en aura cent quarante-quatre mille qui ne

1. Mt 25,41 Mt 34 - 2. Ps 39,6 - 3. Mt 22,30

se seront point souillés avec les femmes, et qui seront restés vierges. Pour les autres nations, il assure qu'elles envoient tant de milliers d'hommes avec leurs robes blanches, que nul ne saurait les compter (1).

4. Le nombre de cent cinquante-trois est donc une figure; et dans la fête où revient chaque année ce sujet, je dois vous rappeler ce que vous entendez chaque année. Les cent cinquante-trois poissons désignent par leur nombre tous les saints et tous les fidèles. Pourquoi le Seigneur a-t-il daigné figurer par ce nombre tant de milliers d'élus qui parviendront au royaume des cieux? Le voici; écoutez: Vous savez que Dieu a donné sa loi à son peuple par le ministère de Moïse, et que la partie principale de cette loi est le Décalogue ou les dix commandements, dont le premier ordonne de n'adorer qu'un seul Dieu; le second de ne prendre pas en vain le nom du Seigneur son Dieu; le troisième de garder le sabbat, observé spirituellement par les chrétiens et charnellement profané par les Juifs. Ces trois préceptes se rapportent directement à Dieu, et les sept autres aux hommes; et tous sont compris dans ces deux: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme, et de tout ton esprit; et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Dans ces deux préceptes est contenue toute la loi avec les prophètes (2)». C'est donc à cause de ces deux préceptes que dans le Décalogue trois préceptes sont relatifs à l'amour de Dieu, et sept à l'amour du prochain. Quels sont ces sept derniers? «Honore ton père et ta mère; tu ne commettras point d'adultère; tu ne tueras point; tu ne déroberas point; tu ne feras point de faux témoignage; tu ne convoiteras point l'épouse de ton prochain; tu ne convoiteras pas son bien (3)».

Or, il n'est personne qui accomplisse ces dix commandements avec ses seules forces; il a besoin du secours de la grâce de Dieu. Mais si nul n'accomplit la loi avec ses propres forces et sans l'aide de l'Esprit de Dieu, rappelez-vous comment le nombre sept est consacré au Saint-Esprit, comment un saint prophète annonce que l'homme sera rempli de l'Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et d'intelligence, de conseil et de force, de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu (4). Sept opérations divines où

1. Ap 7,15 - 2. Mt 22,37-40 - 3. Ex 20,1-17 - 4. Is 11,2-3

302

nous voyons le nombre sept consacré par l'Esprit-Saint, qui part de la sagesse pour s'arrêter à la crainte, lorsqu'il descend jusqu'à nous; tandis qu'en montant vers lui nous commençons à la crainte pour finir à la sagesse. Car «le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur (1)».

Maintenant, dès qu'on a besoin de l'Esprit-Saint pour pouvoir observer la loi, il faut joindre sept à dix, ce qui fait dix-sept. Or, en additionnant tous les nombres depuis un jus. qu'à dix-sept, tu obtiendras au total cent cinquante-trois. Il n'est pas nécessaire de faite ici l'addition tout entière, vous l'achèverez chez vous. Vous direz donc en calculant: Un, plus deux, plus trois, plus quatre donnent dix. Unis de la même manière, tous les autres nombres jusqu'à dix-sept, et tu obtiens le chiffre mystérieux des fidèles et des saints qui seront avec le Seigneur dans les splendeurs du ciel.

1. Si 1,16




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SERMON CCXLIX. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XX. LA PÊCHE MIRACULEUSE (1).

ANALYSE. - Après avoir rappelé ce qui est plus développé dans le discours précédent, savoir, que la première pêche miraculeuse est le symbole de l'Eglise de la terre et que la seconde est l'emblème de l'Eglise du ciel, saint Augustin engage vivement ses auditeurs à ne pas rompre le fi!et, mais à se sanctifier au milieu des méchants mêmes, et à s'appuyer sur la grâce du Saint-Esprit pour parvenir à l'observation de la Loi, ce que rappelle mystérieusement le nombre des cent cinquante-trois poissons.

1. Nous venons de voir dans l'Evangile comment le Seigneur Jésus apparut à ses disciples après sa résurrection, pendant qu'ils pêchaient sur la mer de Tibériade. La première fois qu'il les appela à lui, il leur avait dit: «Suivez-moi, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes (2)». Alors aussi après avoir jeté leurs filets sur son ordre, ils prirent une immense quantité de poissons, dont le nombre n'est pas exprimé. De plus, au moment de cette première pêche, le Sauveur ne leur avait pas dit: «Jetez du côté droit»; mais simplement: «Jetez», sans ajouter si c'était à droite ou à gauche. La capture fut si abondante, qu'on ne pouvait compter, et on en chargea leurs barques. Jusqu'à quel point étaient-elles chargées? L'Evangile l'exprime: «Jusqu'à couler presque à fond (3)». Et c'est alors que Jésus leur dit, comme je l'ai déjà rappelé: «Suivez-moi, je ferai de vous des pêcheurs

1. Jn 21,1-14 - 2. Mt 4,19 - 3. Lc 5,1-11

d'hommes». C'est nous qui sommes dans ces filets; nous y sommes pris, mais nous n'y demeurons pas captifs; qu'on ne craigne pas de s'y laisser prendre; si on peut y être pris, on ne saurait y être surpris.

Que signifie maintenant cette dernière pêché dont il vient d'être question dans l'Evangile! Debout sur le rivage le Seigneur se montra aux pêcheurs et leur demanda s'ils n'avaient rien à manger. Ils répondirent que non, car ils n'avaient rien pris de toute la nuit. a Jetez «du côté droit», reprit-il; ce qu'il n'avait point dit au moment de la première pêche. Ils obéirent et prirent une telle quantité de pois. sons qu'ils ne pouvaient retirer leurs filets. On en compta jusqu'à cent cinquante-trois et comme on avait écrit au sujet de la première pêche que les filets se rompaient à cause du grand nombre de poissons qu'ils contenaient, l'Evangeliste a eu soin de faire pour celle-ci la remarque suivante: «Et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne fut pas rompu».

303

2. Distinguons bien ces deux pêches, dont l'une précéda et dont l'autre suivit la résurrection. Dans la première on jette les filets au hasard; on ne dit pas de les jeter à droite, pour ne pas désigner les bons exclusivement; ni à gauche, pour ne figurer pas exclusivement les méchants; par conséquent c'est le mélange des méchants et des bons. Les filets rompus rappellent les schismes. C'est, hélas! ce que nous voyons, ce qui s'accomplit chaque jour. Les deux barques sont pleines, en mémoire des deux peuples, circoncis et incirconcis. Elles sont remplies jusqu'à enfoncer et couler presque à fond. Comment ne pas gémir sur ce que rappelle cette circonstance? C'est la foule qui met le trouble dans l'Eglise. Combien ne sont pas nombreux ces chrétiens de mauvaise vie qui surchargent le navire où ils ont mal à l'aise? Si les barques ne sont pas submergées, c'est pour conserver les bons poissons.

Examinons la dernière pêche, celle qui suivit la résurrection. Là, rien de mauvais; c'est une grande sécurité, pourvu néanmoins que tu sois bon. Soyez bons au milieu des méchants, et vous le serez sans plus être avec eux. Il y a dans la première pêche de quoi nous émouvoir, c'est que vous êtes mêlés aux méchants. O vous qui m'écoutez avec foi, ô vous qui ne perdez rien de ce que je dis, ô Tous qui ne laissez point la divine parole s'échapper par où elle est entrée, mais qui la faites descendre dans votre coeur, ô vous qui craignez plus de vivre mal que de mal mourir, attendu que si tu vis bien tu ne sauras mourir mal; vous donc qui m'écoutez, non-seulement pour éclairer votre foi, mais aussi pour travailler à mener une vie sainte; conduisez-vous bien, conduisez-vous bien au milieu des méchants et gardez-vous de rompre les mailles du filet. C'est en s'admirant eux-mêmes et en ne voulant pas supporter ceux qu'ils croyaient méchants, que plusieurs les ont rompues et se sont perclus au milieu des flots. Vivez donc bien, que les chrétiens mauvais ne vous portent pas à vivre mal. Ne dis pas en ton coeur: Seul je suis bon. Commences-tu à le devenir? Crois que si tu peux l'être, il yen a d'autres encore. Point d'adultère, point de fornication, point de fraude, point de larcin, point de faux témoignage, point de faux serment, point d'ivresse; ne reniez point un dépôt et n'omettez point de rendre le bien d'autrui trouvé par vous dans quelque rue que ce soit. Observez ces préceptes et les autres, et vous serez en sûreté parmi les mauvais poissons. Sans doute vous nagez dans les mêmes filets; mais vous arriverez au rivage et après la résurrection vous vous trouverez à la droite. Là, point de méchant. Eh! que vous sert de connaître la loi, de comprendre les commandements de Dieu, de distinguer le bien du mal, si vous ne pratiquez pas? N'est-ce point là une science que châtie la conscience? Apprenez, mais pour accomplir.

3. A cause de l'éminente perfection dont le nombre dix est le symbole (1), les commandements de Dieu sont compris dans le Décalogue. Ces dix préceptes de la loi ont été écrits sur des tables de pierre par le doigt même de Dieu, c'est-à-dire par l'Esprit-Saint. La première comprend les préceptes qui concernent Dieu; la seconde, ceux qui concernent l'homme. Pourquoi ces deux tables? Parce qu'à l'amour de Dieu et à l'amour du prochain se rattachent toute la loi et les prophètes (2).

Mais que peuvent ces dix commandements? La loi a été donnée; or, dit l'Apôtre, «si cette loi pouvait communiquer la vie, la justice viendrait absolument de la loi (3)». Tu connais la loi sans l'accomplir: «c'est la lettre qui tue». Pour pratiquer ce que tu sais, il faut «l'Esprit qui vivifie (4)». Ajoute donc sept à dix; car de même que la loi est exprimée dans les dix commandements, ainsi l'Esprit-Saint se révèle dans ses sept dons. N'est-ce pas lui que l'on invoque sur ceux qui viennent de recevoir le baptême? Ne demande-t-on pas à Dieu de leur donner, comme dit un prophète, l'Esprit de sagesse et d'intelligence; deux: l'Esprit de conseil et de force; quatre l'Esprit de science et de piété; six: enfin, l'Esprit de la crainte du Seigneur; sept (5)? C'est en ajoutant ces sept qu'on fait les dix.

Qu'ai-je dit? N'est-ce pas une absurdité? Ajouter sept à dix, c'est faire dix? Sais-je encore compter? Ne devais-je pas dire ajouter sept à dix, c'est faire dix-sept? Tout le monde fait cela. Aussi, lorsque je disais ajouter sept à dix, c'est faire dix, ces enfants mêmes ne riaient-ils pas? Je vais toutefois le dire encore, nie répéter sans rougir; et lors

1. voir Traité de la Musique, liv. 1, ch. 11, XII. Ci-dev. tom. 3, p. 406-409. - 2. Mt 22,37-40 - 3. Ga 3,21 - 4. 2Co 3,6 - 5. Is 11,2-3

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que vous m'aurez compris, loin de blâmer mon calcul, j'ose croire que vous ne dédaignerez pas ce jeu de mots. Les préceptes de la loi sont au nombre de dix. De plus j'ai compté sept coopérations du Saint-Esprit. En ajoutant ces sept à ces dix on fait les dix: avec le secours du Saint-Esprit on fait, on accomplit la loi; au lieu que sans ces sept on ne fait pas ces dix; on reste avec la lettre; mais la lettre tue, la science seule rend prévaricateur. Qu'on y joigne donc l'Esprit et on accomplit la loi; non pas avec tes seules forces, mais avec l'aide de Dieu. Reconnais-le donc, il ne faut pas trop nous applaudir de connaître ces dix préceptes; «car si la justice venait de la loi, c'est initialement que serait mort le Christ (1)». A quoi devons-nous aspirer? Est-ce aux sept dons? Ce serait avoir le pouvoir de pratiquer, mais sans savoir que faire. Par conséquent cherchons les dix-sept. La loi commande, l'Esprit fortifie; la loi veut te faire connaître ce que tu as à faire, l'Esprit te le fait pratiquer, Oui donc, cherchons les dix-sept; additionnons jusqu'à dix-sept et nous nous trouverons avec les cent cinquante-trois.

Vous savez comment, je l'ai dit, je l'ai montré bien des fois. Depuis un jusqu'à quatre on obtient dix, mais en additionnant également les nombres intermédiaires. Mets-là un et deux; à un ajoute deux, tu as trois; au chiffre deux ajoute le chiffre trois, voilà six; au chiffre trois ajoute quatre, voilà dix au total. Pourquoi me fatiguer? Vous savez cela. Additionnez ainsi les autres nombres jusqu'à dix-sept, et vous arriverez à cent cinquante-trois. Pour quoi dire: vous arriverez? C'est qu'en avançant comme pas à pas vous parviendrez à la droite, Obéissez-nous et, dans votre intérêt, faites l'addition.

1. Ga 2,21




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SERMON CCL. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XXI. PÊCHE MYSTÉRIEUSE (1).

ANALYSE. - Si Dieu a choisi pour premiers Apôtres des pêcheurs, c'est qu'il y a des analogies remarquables entre leur profession de pêcheurs et leur profession d'Apôtres; surtout entre les deux pécher miraculeuses qu'il leur fit faire, l'une avant et l'autre après sa résurrection, et la situation de l'Eglise soit sur la terre, soit au ciel. Les idées de ce discours sont donc la mêmes que celles des discours précédents. Mais combien de détails nouveaux et intéressants! Quelle fécondité dans le génie de saint Augustin!

1. Le Seigneur Jésus voulait choisir ce qu'il y a de faible dans le monde pour confondre ce qu'il y a de force; aussi pour recueillir son Eglise de toutes les parties de l'univers, il n'a commencé ni par des empereurs ni par des sénateurs, mais par des pêcheurs. S'il avait appelé d'abord des dignitaires, quels qu'ils fussent, ils auraient osé s'attribuer cette faveur et non pas la rapporter à la grâce de Dieu. Ce dessin mystérieux de notre Dieu, ce projet de notre Sauveur est exposé par l'Apôtre de la

1. Jn 21,1-14 Lc 5,1-11

manière suivante: «Considérez, mes frères, votre vocation»; ce sont les termes de l'Apôtre, «vous verrez parmi vous peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu d'illustres; mais Dieu a choisi ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est fort; il a choisi aussi ce qui est vil et méprisable selon le monde et ce qui n'est point comme ce qui est, pour détruire les choses qui sont, afin que nulle chair ne se glorifie en sa présence (1)». Un prophète avait dit dans

1. 1Co 1,26-29

305

le même sens: «Toute vallée sera comblée, «toute montagne, toute colline sera abaissée; alors s'établira la surface unie de la plaine (1)». Aussi ne voyons-nous pas aujourd'hui s'empresser de recevoir la grâce de Dieu les nobles et le vulgaire, le savant et l'ignorant, le pauvre et le riche? Quand il s'agit de recueillir cette grâce, l'orgueil n'a garde de se préférer à l'humilité qui ne sait et qui ne possède rien. Cependant, qu'est-ce que le Sauveur dit à ces pêcheurs? «Suivez-moi, je ferai de vous des pêcheurs d'hommes (2)». Ah! si ces pêcheurs n'avaient marché les premiers, qui nous aurait retirés des flots? C'est être aujourd'hui grand orateur que de pouvoir bien commenter ce qu'a écrit un pêcheur.

2. Quand donc Notre-Seigneur Jésus-Christ eut choisi ces pêcheurs de poissons pour en faire des pêcheurs d'hommes, il voulut en les faisant pêcher nous apprendre quelques mystères relatifs à la vocation des peuples. Voici deux pêches qu'il faut distinguer nécessairement: l'une au moment où le Seigneur se fit des disciples de ces pêcheurs; l'autre après sa résurrection, comme vient de nous le rappeler la lecture du saint Evangile. Ne l'oubliez pas, l'une a devancé, l'autre a suivi la résurrection; mais nous devons remarquer entre ces deux pêches des différences importantes.

La prédication toute nouvelle de l'Evangile est comme le navire où sont nos provisions. Sur ce navire le Seigneur trouve des pêcheurs à qui il dit: «Jetez les filets. - De toute la nuit, répondent-ils, nous n'avons rien pris», nous nous sommes fatigués inutilement; «mais en votre nom nous allons jeter les «filets». Ils les jetèrent et firent une capture si abondante qu'ils emplirent deux barques de poissons, que ces deux barques étaient surchargées jusqu'à être sur le point de couler à fond, et qu'enfin les filets furent rompus. C'est alors que Jésus dit: «Suivez-moi, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes»; alors aussi, laissant là leurs barques et leurs filets, ils le suivirent (3).

Mais le Seigneur Jésus vient de nous donner, après sa résurrection, le spectacle d'une autre pêche, bien différente de cette première. Au moment de celle-ci, il dit: «Jetez vos filets», mais sans ajouter si c'était du côté droit ou du côté gauche; il dit simplement; «Jetez vos

1. Is 40,4 - 2. Mt 4,19 - 3. Lc 5,1-11

filets.». S'il avait ajouté: à gauche, il n'aurait eu en vue que les méchants; à droite, que les bons. En ne distinguant ici ni la droite ni la gauche, il laisse ce mélange des méchants et des bons dont il est parlé dans un autre passage de l'Evangile; c'est quand le père de famille, après avoir fait préparer un grand festin, envoya chercher les conviés par ses serviteurs qui amenèrent tous ceux qu'ils purent rencontrer, les méchants comme les bons, et que la salle des noces se trouva remplie de convives (1). Ainsi l'Eglise est aujourd'hui livrée aux bons et aux méchants; c'est dans son sein une multitude immense, multitude qui la surcharge par moments et la pousse à deux pas du naufrage. Ne voit-on pas la masse de ceux qui se conduisent mal tourmenter ceux dont la conduite est chrétienne, au point que les sages se croient des insensés quand ils considèrent la vie coupable que mènent les autres, quand surtout ils remarquent que beaucoup de pécheurs sont comblés des biens du siècle et que beaucoup de justes en sont dénués? Ah! qu'il est à craindre qu'on ne s'abatte alors et qu'on ne fasse naufrage l Qu'il est à craindre, mes très-chers frères, que l'homme réglé ne vienne à dire: A quoi me sert-il de me conduire sagement? Un tel se conduit si mal, et on l'honore plus que moi? A quoi me sert-il de me bien conduire? - Le voilà qui chancelle, je crains. qu'il ne sombre. Pour le retirer des profondeurs où il descend, je vais m'adresser à lui. Toi qui fais le bien, continue à bien faire; ne te lasse pas, ne regarde pas derrière. La vérité est dans cette promesse de ton Seigneur: «Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé (2)». - Cet autre, dis-tu, fait le mal et n'en est pas moins heureux. - Tu te trompes, il est malheureux, et d'autant plus malheureux qu'il se croit plus heureux. C'est être insensé que de ne connaître point son triste sort. Si tu voyais rire un homme livré aux ardeurs de la fièvre, tu déplorerais sa folie. Tu ne jouis pas encore de ce qui t'est promis. Cet homme dont tu envies le sort, se repaît et jouit de ce qui est visible et passager; mais il n'a rien apporté, il n'emportera rien avec lui. Il est entré tout nu dans le monde, il en sortira nu, et de ses fausses joies il tombera dans de réelles douleurs. Pour toi, tu n'as point reçu encore ce

1. Mt 22,8-10 - 2. Mt 24,13

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qui t'est promis. Continue, pour y arriver; persévère, pour ne pas te frustrer toi-même en lâchant pied, car Dieu ne saurait te tromper. Ces deux mots, pour préserver le navire du naufrage.

Mais voici un danger plus affreux dont on est menacé durant cette pêche, c'est la rupture des filets. Hélas! ils sont rompus; des hérésies se sont formées. Les schismes sont-ils autre chose que des ruptures? Il faut durant cette première pêche souffrir et patienter, sans se laisser aller au dégoût et à l'abattement, quoiqu'il soit écrit: «La défaillance s'est emparée de moi, à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi (1)». Que de petites barques se plaignent d'être pressées sous le poids de la multitude! C'est comme le grand vaisseau qui crie: «La défaillance s'est emparée de moi, à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi». Ah! si tu te sens trop chargé, prends garde toujours de te laisser engloutir. Il faut pour le moment tolérer les méchants et non point s'en séparer. Je célèbre la miséricorde et la justice du Seigneur (2). Ainsi la miséricorde se prodigue d'abord, puis s'exerce la justice. C'est à l'époque du jugement qu'aura lieu la séparation. Aujourd'hui donc, que le bon m'écoute et devienne meilleur, que le méchant m'écoute aussi pour devenir bon, car nous sommes encore au temps de la pénitence et non au moment où se rend la sentence.

Quittons cette pêche dont les joies sont mêlées de larmes: elle a des joies, car on y recueille les bons; des larmes, car il est pénible d'avoir à souffrir les méchants.

3. Dirigeons notre coeur du côté de cette autre pêche qui est la dernière; là respirons, consolons-nous. Si elle a eu lieu après la résurrection du Seigneur, c'est qu'elle figure l'état de l'Eglise après la résurrection générale.

Ici encore on parle aux disciples; c'est le Seigneur qui leur adresse la parole comme au moment de la première pêche; mais si pour la première il les a invités seulement à jeter leurs filets, il dit aujourd'hui de quel côté ils les doivent jeter, du côté droit de la barque. Aussi prennent-ils ces élus qui occuperont la droite et pour qui il a été dit: «Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume (3)». Ils

1. Ps 118,53 - 2. Ps 100,1 - 3. Mt 25,34

jettent donc et ils prennent. A la première pêche le nombre n'est pas arrêté; il est parlé seulement d'une grande multitude, mais, sans que le nombre soit précisé. Combien, hélas! qui ne sont pas aujourd'hui compris dans le nombre, c'est-à-dire qui viennent, qui entrent, qui s'entassent dans les églises! Ils remplissent les théâtres et ils remplissent nos temples; ils dépassent le nombre, ils ne sont pas compris dans ce nombre à qui est réservée la vie éternelle, à moins toutefois qu'ils ne changent durant cette vie. Mais tous changent-ils? Tous les bons mêmes ne persévèrent pas. Aussi est-il dit à ceux-ci: «Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé»; et à ceux qui sont méchants encore: «Je ne veux pas la mort du pécheur, mais son retour et sa vie (1)». Le motif donc pour lequel à la première pêche le nombre n'est pas fixé, c'est que beaucoup le dépassent; aussi est-il écrit dans un psaume: «J'ai annoncé, j'ai parlé, et ils ont excédé le nombre (2)». Aujourd'hui qu'on jette à droite, le nombre n'est pas surpassé; on retire cent cinquante et tous grands pois. sons; de plus, il est dit: «Quoiqu'ils fussent a en si grand nombre, le filet ne se rompu point». Ah! c'est qu'alors ce sera une Eglise de saints; il n'y aura plus ni divisions ni ruptures causées par les hérétiques; ce sera la paix et l'union parfaite. Pas un de moins, pas un de plus, mais le nombre exact.

Ne sera-t-on pas en trop petit nombre, si l'on n'est que cent cinquante-trois? Dieu nous préserve de croire qu'il n'y en ait que si peu parmi vous; à combien plus forte raison dans toute l'Eglise! Le même Evangéliste, saint Jean, nous dit dans son Apocalypse qu'il vit une telle multitude de saints et de bienheureux dans l'éternité, que personne ne pouvait les compter. C'est ce qui est écrit en propres termes (3). Tous néanmoins sont compris dans ce nombre, dans ce nombre de cent cinquante trois. Je veux même le diminuer encore, avoir moins de cent cinquante-trois. Ces cent cinquante-trois ne sont que dix-sept. Pourquoi dix? Pourquoi sept?

Dix, à cause de la loi; sept, à cause du Saint-Esprit, car ce nombre de sept lui est consacré en raison de la perfection à laquelle nous élèvent ses dons divins. «Sur lui, dit le prophète Isaïe, reposera l'Esprit-Saint». Et

1. Ez 33,11 - 2. Ps 39,6 - 3. Ap 7,9

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après ces mots il énumère les sept vertus suivantes: «L'Esprit de sagesse et d'intelligence, d'Esprit de conseil et de force»; en voilà quatre; «l'Esprit de science et de piété, l'Esprit de crainte du Seigneur (1)». Il commence par la sagesse et finit par la crainte; il descend ainsi de ce qu'il y a de plus haut, la sagesse, ace qu'il y a de moins élevé, la crainte; car pour monter de ce qu'il y a de moins élevé à ce qu'il y a de plus haut, il faut aller de la crainte à la sagesse, «la crainte du Seigneur étant le commencement de la sagesse (2)». Tel est le grand don de Dieu; telles sont les sept opérations que l'Esprit-Saint produit dans les bien-aimés du Seigneur, pour donner en eux quelque force à la loi. Sans l'Esprit-Saint eu effet, que peut la loi? Faire des prévaricateurs. Aussi est-il écrit: «La lettre tue». Elle commande et n'agit pas. Elle ne tuait point avant le commandement, et si aux yeux de la Providence on était pécheur, on n'était point prévaricateur. Maintenant on te commande d'agir, et tu n'agis pas; on te le défend, et tu agis; voilà la lettre qui tue.

Or la loi comprend dix préceptes. Le premier adonne d'adorer Dieu, de n'adorer que lui et de ne faire pas d'idole. Voici le second: «Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu». Le troisième: «Observe le jour du sabbat»; mais spirituellement et non pas charnellement comme font les Juifs. Ces trois préceptes ont rapport à l'amour de Dieu. Mais, est-il dit: «C'est à ces deux préceptes», l'amour de Dieu et l'amour du prochain, «que se rattache toute la loi avec les prophètes (3)». Donc, après avoir entendu ce qui concerne l'amour de Dieu, savoir l'unité, la vérité, le repos, considère ce qui est relatif à l'amour du prochain. «Honore ton père et ta

1. Is 11,2-3 - 2. Ps 111,10 - 3. Mt 22,37-40

mère», voilà le quatrième précepte. «Tu ne commettras point d'adultère», voilà le cinquième. «Tu ne feras point d'homicide», voilà le sixième. «Tu ne feras point de faux témoignage», voilà le huitième. «Tu ne déroberas point», voilà le septième. «Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain», voilà le neuvième. «Tu ne convoiteras point son épouse», voilà le dixième (1). En disant: «Tu ne convoiteras pas», Dieu frappe au vif, il touche à l'intérieur; car la concupiscence est active en nous. Voilà donc cette loi en dix préceptes. Que sert de la connaître, si tu ne l'observes pas? Tu deviens prévaricateur. Or, pour l'observer tu as besoin de secours. Secours de qui? Secours de l'Esprit-Saint. Si donc «la lettre tue, c'est l'Esprit qui vivifie (2)».

A dix maintenant ajoute sept, voilà dix-sept; et ce nombre comprend toute la multitude des âmes parfaites. J'ai tellement l'habitude de vous redire comment ce nombre de dix-sept s'élève jusqu'à celui de cent cinquante-trois, que plusieurs me devancent. C'est pourtant un discours que je vous dois chaque année. D'ailleurs beaucoup ont oublié mon explication; beaucoup même ne l'ont pas entendue. Vous qui l'avez entendue sans l'avoir oubliée, souffrez patiemment que je la rappelle ou que je l'apprenne aux autres. Quand deux hommes voyagent ensemble, l'un marchant plus vite et l'autre plus lentement, c'est du premier qu'il dépend de ne laisser pas son compagnon en route. On ne perd rien d'entendre ce qu'on savait déjà, et en ne perdant rien on doit même être heureux que d'autres l'apprennent. Eh bien! additionne depuis un jusqu'à dix-sept, sans omettre aucun des nombres intermédiaires, tu trouveras cent cinquante-trois. Qu'attendez-vous encore? Faites votre calcul.

1. Ex 20,1-17 - 2. 2Co 3,6





Augustin, Sermons 247