Augustin, Sermons 260

260

SERMON CCLX. POUR LE DIMANCHE DE L'OCTAVE DE PAQUES. XXXI. AVERTISSEMENTS AUX NOUVEAUX BAPTISÉS.

ANALYSE. - Saint Augustin leur rappelle: premièrement, qu'ayant reçu par le baptême la circoncision du coeur, ils ne doivent pas s'abandonner à tous leurs penchants; en conséquence et secondement, qu'ils ne doivent pas imiter les mauvais chrétiens qu'ils vont rencontrer dans le monde, mais se montrer chastes, chacun dans sa condition, probes, sérieux et charitables envers le prochain.

Nous avons beaucoup à faire, et pour ne pas retarder ces enfants qui viennent d'être régénérés dans les eaux du baptême et qui vont se mêler au peuple, je leur donnerai en peu de mots des avertissements importants.

Vous qui venez d'être baptisés et qui terminez aujourd'hui la fête de vos deux octaves, écoutez et comprenez rapidement que la circoncision de la chair, qui n'était qu'une figure, est devenue la circoncision du coeur. Si, d'après l'ancienne loi, cette circoncision de la chair avait lieu le huitième jour (1), c'était en vue de Jésus Notre-Seigneur, lequel est ressuscité après le septième jour du grand repos, le

1. Gn 17,12

huitième jour, le dimanche. Si la circoncision devait se faire aussi avec des couteaux de pierre (1), c'est que le Christ était la pierre (2).

On vous appelle enfants, parce que vous venez d'être régénérés, parce que vous entrez dans une nouvelle vie, parce que vous venez de renaître pour la vie éternelle, si toutefois vous n'étouffez point, en vous conduisant mal, le germe de salut qui vient d'être déposé en vous.

Vous allez rentrer dans la foule, vous réunir au peuple fidèle; ah! prenez garde d'imiter les mauvais fidèles, ou plutôt les faux fidèles, ceux qui semblent fidèles à cause de la foi

1. Jos 5,2 - 2. 1Co 10,4

339

qu'ils professent, et qui sont infidèles par la vie qu'ils mènent. Voyez, c'est devant Dieu et devant ses anges que je vous parle: gardez la chasteté, la chasteté conjugale ou la continence absolue. Que chacun soit fidèle à ses voeux. Vous qui êtes sans épouse, vous pouvez en prendre une, mais parmi celles dont les maris ne vivent pas. Les femmes sans époux peuvent prendre aussi un époux, mais pourvu que celui-ci n'ait pas d'épouse vivante. Vous qui êtes unis par le mariage, ne péchez pas en dehors du mariage. Rendez ce que vous exigez d'autrui. On vous doit la fidélité et vous la devez. Le mari la doit à son épouse, l'épouse la doit à son époux; et tous deux la doivent à Dieu.

Pour vous qui avez fait voeu de continence, soyez fidèles à ce voeu. Si vous n'aviez pas fait ce voeu, vous n'y seriez pas astreints; ce qui pouvait vous être permis ne l'est plus; non que les noces soient condamnables, mais parce qu'on se damne en regardant derrière soi.

Evitez toute fraude dans vos affaires; évitez les mensonges et les parjures; évitez la loquacité et la débauche. Ne faites ni aux hommes ni à Dieu ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse. Pourquoi vous surcharger? «Agissez ainsi, et le Dieu de paix sera avec vous (1)».

1. Ph 4,9




261

SERMON CCLXI. POUR LE JOUR DE L'ASCENSION. I. PRÊCHÉ A CARTHAGE, DANS LA BASILIQUE DE FAUSTE. ATTACHEMENT A JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE. - Nous devons monter en esprit au ciel avec le Sauveur, premièrement parce qu'il est Dieu et secondement parce qu'il est homme. - 1. Il est Dieu; Dieu éternel, égal à son Père. Il faut donc pour le connaître nous purifier le coeur en renonçant aux passions désordonnées. - 2. Il est homme, la nature humaine ne fait en lui qu'une seule et même personne avec la nature divine; ainsi nous ne pouvons l'aimer sans aimer à la fois notre Dieu et notre prochain. Témoignons-lui notre amour par nos oeuvres de miséricorde; répondons de cette manière à la charité qu'il nous fait aujourd'hui.

1. La résurrection du Seigneur est notre espérance; son ascension, notre gloire. Nous célébrons aujourd'hui la solennité de l'Ascension; si donc nous célébrons cette fête du Seigneur avec droiture, avec fidélité, avec dévotion, avec sainteté et avec piété, montons avec lui et tenons en haut notre coeur. Or, en montant, gardons-nous de nous élever et de présumer de nos mérites comme s'ils nous étaient propres. Notre coeur doit être en haut, mais attaché au Seigneur, sans quoi il y serait livré à l'orgueil, au lieu qu'en demeurant sous l'aile de Dieu il est dans un sûr asile; car en le voyant monter nous disons au Seigneur: «Vous êtes pour nous un asile (1)».

Il n'y a pour ressusciter que ce qui meurt; le Seigneur est donc ressuscité pour nous inspirer confiance, pour nous empêcher de désespérer à la mort et de nous croire alors au terme de toute notre vie. Nous étions inquiets sur le sort même de l'âme, et le Sauveur, en ressuscitant, nous a rassurés sur le sort de la chair elle-même. Ainsi il est monté. Qui est monté? Celui qui est descendu. Il est descendu pour te guérir; il est monté pour t'élever. Tu tombes si tu t'élèves toi-même; tu restes élevé si c'est lui qui t'élève: d'où il suit qu'élevé près du Seigneur, le coeur est dans un asile, et qu'élevé autrement, il est en proie à l'orgueil. Disons donc au Seigneur quand il ressuscite: «Vous êtes, Seigneur, mon espérance»; et quand il monte au

1. Ps 89,1

340

ciel: «Vous avez établi bien haut notre refuge (1)». Et comment serions-nous orgueilleux en tenant notre coeur élevé jusqu'à lui, puisqu'il s'est fait humble en notre faveur pour nous empêcher de demeurer orgueilleux

2. Le Christ est Dieu, il le sera toujours; jamais il ne cessera de l'être, parce que jamais il n'a commencé. Si sa grâce peut donner un être éternel à ce qui a commencé, comment ne serait-il pas éternel; lui qui n'a commencé jamais? Qu'est-ce donc qui commence sans devoir finir? Notre immortalité; elle aura un commencement, elle n'aura point de fin. Nous ne la possédons pas encore; mais une fois que nous la tiendrons, nous ne la perdrons pas. Donc, à plus, forte raison, le Christ sera toujours Dieu. Mais quel Dieu? quel Dieu? Dieu égal à son Père. Ne cherche pas à savoir quel Dieu quand il s'agit de l'Eternel; occupe-toi plutôt de sa félicité. Quel Dieu est le Christ? Comprends-le, si tu en es capable. Je vais te le dire néanmoins, je ne tromperai pas ton attente.

Tu demandes quel Dieu est le Christ? Ecoute-moi, ou plutôt écoute avec moi; écoutons l'un et l'autre; apprenons tous deux. Si je parle et si vous écoutez, en concluez-vous que je n'écoute pas avec vous? En m'entendant dire que le Christ est Dieu, tu veux donc savoir quel Dieu il est? Apprends-le avec moi, je ne te dis pas de m'écouter, mais d'écouter avec moi. A cette école, nous sommes tous condisciples; le ciel est la chaire de notre Maître. Apprends enfin quel Dieu est le Christ. «Au commencement était le Verbe». Où était-il? «Et le Verbe était en Dieu». Mais chaque jour n'entendons-nous pas des verbes? Ne t'arrête pas à des idées pareilles, à ces idées communes, car «le Verbe était Dieu (2)». Je cherche à savoir quel il était. Je crois bien maintenant qu'il est Dieu; mais quel Dieu est-il? C'est ce que je cherche: «Cherchez constamment sa face (3)»;. Qu on ne perde pas, qu'on gagne en le cherchant. On y gagne quand on le cherche avec pinté. Qu'est-ce que le chercher avec piété? Qu'est-ce que le chercher par vanité? La piété le cherche en croyant, la vanité en disputant. Si tu voulais contester avec moi et me dire: Quel est, quel est le Dieu que tu adores? Montre-moi le Dieu

1. Ps 91,9 - 2. Jn 1,1 - 3. Ps 104,4

que tu sers, je te répondrais: Je pourrais le montrer, mais à qui?

3. Je n'oserais me vanter moi-même d'avoir compris ce que tu cherches. Je voudrais seulement, dans la mesure de lues forces, marcher sur les traces de ce grand athlète du Christ, de cet apôtre Paul qui disait: «Je n'estime pas, mes frères, avoir atteint le but moi-même». Moi-même? Qu'y a-t-il dans ce moi-même? Moi-même qui «ai travaillé plus qu'eux tous». Je le sais, ô Apôtre; tu parles ainsi pour exprimer la vérité, ce n'est point par orgueil. Veux-tu te convaincre, mon frère, de l'esprit qui l'anime? Après ces mots: «J'ai travaillé plus qu'eux tous», il semble supposer que nous lui demandons: Mais qui es-tu? Et il répond: «Or ce n'est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi (1)». Eh bien! cet Apôtre en qui la grâce de Dieu affluait si abondamment, qu'appelé le dernier il a travaillé plus que tous ceux qui l'avaient été avant lui, n'hésite pas à dire: «Je n'estime pas, mes frères, avoir atteint le but moi-même». Voilà ce qu'il y a dans ce moi-même, il n'atteint pas, il ne comprend pas; car la faiblesse humaine ne saurait comprendre. Lorsqu'ensuite élevé jusqu'au troisième ciel il y entendit des paroles qu'un homme ne saurait répéter, il ne dit pas moi-même; que dit-il? «Je sais un homme qui, il y a quatorze ans (2)». Je sais un homme; il était lui-même cet homme; et en semblant parler ainsi d'un autre, il ne perd rien.

Donc aussi, garde-toi de contester, de disputer en me demandant quel Dieu j'adore. Mon Dieu n'est pas une idole, pour que je puisse te dire en étendant le doigt: Voilà le Dieu que je sers; il n'est non plus ni un astre, ni une étoile, ni le soleil, ni la lune, et je ne puis te le montrer du doigt ni te dire: Voilà le Dieu que j'adore. Il ne s'agit pas ici d'étendre le doigt, mais de tendre l'esprit. Considère cet Apôtre qui ne le comprend pas, mais qui pourtant le cherche, le poursuit, soupire après lui, le désire et le convoite; considère-le, vois ce qu'il tourne du côté de son Dieu; si c'est son doigt ou son âme. Que dit-il? «Je n'estime pas l'avoir atteint. Mais oubliant ce qui est en arrière et m'étendant vers ce qui est en avant, je tends à ce terme unique, à cette palme que m'offre la céleste vocation «de Dieu par le Christ (3)». Je tends, je marche,

1. 1Co 15,10 - 2. 2Co 12,2-4 - 3. Ph 3,13-14

341

je suis en route. Suis-le, si tu le peux; allons ensemble dans cette patrie où tu n'auras rien à me demander, ni moi à toi. Maintenant donc cherchons l'un et l'autre en croyant, afin de jouir plus tard l'un et l'autre en voyant.

4. Qui néanmoins t'a montré quel Dieu est le Christ? - Eh bien! ce qu'il a daigné nous révéler par un de ses serviteurs; que par ce serviteur aussi il le révèle à mes confrères, à ses serviteurs comme moi. Il t'a été dit: «Au commencement était le Verbe». Tu as demandé où il était, et on t'a répondu: «Le Verbe était en Dieu». Pour t'empêcher de prendre ici le mot verbe dans le sens vulgaire que lui donne le langage humain, on a ajouté: «Le Verbe était Dieu». Ce n'est pas assez pour toi, et tu demandes: Quel Dieu? «Tout a été fait par lui». Aime-le; tout ce que tu aimes vient de lui. N'aimons pas la créature en laissant de côté le Créateur; mais considérons la créature pour bénir le Créateur. Je ne saurais te montrer mon Dieu, mais je te montre, je te rappelle ce qu'il a fait: «Tout a été fait par lui». Sans être nouveau, il a fait des choses nouvelles; éternel, des choses temporelles; immuable, des choses muables. Regarde ces oeuvres, loues-en l'Auteur, et crois pour être purifié.

Tu voudrais le voir? C'est un bon, c'est un grand désir; je t'engage à l'avoir toujours. Tu voudrais le voir? «Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (1)». Ainsi, songe d'abord à purifier ton coeur; prends à coeur cette affaire, applique-toi à cette oeuvre, insiste pour l'accomplir. Celui que tu veux voir est la pureté même, et pour le voir tu as l'oeil impur. Tu te représentes Dieu comme une lumière immense et infinie, mais de la nature de cette lumière sensible; tu la supposes étendue à ton gré, sans rencontrer de limites que celles qu'il te plaît de lui fixer. Ah! ce sont dans ton coeur de vains, d'impurs fantômes; bannis-les et les rejette. S'il te tombait de la poussière dans les yeux et que tu me demandasses à voir la lumière, ne faudrait-il pas auparavant te purifier la vue? Il n'y a pas moins d'impureté dans ton coeur; et l'avarice n'y est-elle pas quelque chose de bien impur? A quoi bon amasser ce que tu n'emporteras pas? Ignores-tu qu'amasser ainsi, c'est traîner

1. Mt 5,8

de la boue dans ton coeur? Comment alors voir Celui que tu cherches?

5. Tu me dis: Montre-moi ton Dieu. Je te dis à mon tour: Regarde un peu dans ton coeur. Montre-moi ton Dieu, reprends-tu. Regarde un peu dans ton coeur, répliqué je, et fais-en disparaître tout ce que tu y vois pour déplaire à Dieu. Ce Dieu voudrait venir en toi; écoute le Seigneur lui-même, écoute le Christ: «Moi et mon Père, dit-il, nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure (1)». Voilà ce que Dieu te promet. Si je te promettais d'aller dans ta maison, tu l'approprierais; et lorsque Dieu veut venir dans ton coeur, tu es si indolent pour le lui purifier?

Il n'aime pas à habiter avec l'avarice, avec cette femme impure et insatiable dont tu suivais les ordres tout en cherchant à voir Dieu. Qu'as-tu fait de ce que Dieu t'a commandé? Que n'as-tu pas fait de ce que t'a commandé l'avarice? Qu'as-tu fait de ce que Dieu t'a commandé? Je vais te montrer ce qu'il y a dans ton coeur, dans ce coeur qui voudrait contempler Dieu. Je l'avais déjà insinué en disant: Je pourrais le montrer, mais à qui? Qu'as-tu fait, dis-je, de ce que Dieu t'a ordonné? Qu'as-tu différé de ce que t'a prescrit l'avarice? Dieu t'a commandé de donner des vêtements à qui n'en a pas; tu as frémis: l'avarice t'a ordonné de les enlever à qui en avait; tu t'y es porté avec une sorte de frénésie. Te dirai-je qu'en obéissant à Dieu tu aurais obtenu ceci et cela? C'est Dieu même que tu posséderais; oui, c'est Dieu que tu aurais si tu avais suivi ses ordres. Maintenant que tu as exécuté les ordres de l'avarice, qu'as-tu? Je sais que tu vas me répondre: J'ai tout ce que j'ai enlevé. Tu possèdes ainsi pour avoir dérobé. Mais que peux-tu posséder chez toi quand tu t'es perdu toi-même? - Pourtant je possède. - Où? où? je t'en prie. Dans une chambre, sans douté, dans une bourse ou dans un coffre; je n'en veux pas dire davantage. Où que ce soit enfin, tu ne l'as pas maintenant sur toi. Tu crois l'avoir dans ton coffre; peut-être n'y est-il plus, et tu l'ignores; peut-être qu'en rentrant chez toi tu n'y trouveras plus ce que tu y as laissé. C'est ton coeur que j'ai en vue; qu'y possèdes-tu? Dis-le-moi. Quoi! tu as rempli ton coffre-fort, et tu as mis ta conscience en lambeaux. Voici un homme rempli de biens; apprends à t'enrichir

1. Jn 14,23

342

comme lui: «Le Seigneur a donné, dit-il, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait: que le nom du a Seigneur soit béni (1)». S'il avait tout perdu, où puisait-il ces perles précieuses qu'il offrait à son Dieu?

6. Ainsi donc, purifie ton coeur autant que tu en es capable; travaille, applique-toi à cette oeuvre. Afin d'obtenir que Dieu même le purifie pour y demeurer, prie, conjure, humilie-toi. «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était en Dieu dès le commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien ne l'a été. Ce qui a été fait était vie en lui; et la vie était la lumière des hommes; et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise». Tu ne comprends pas cela. Voici pourquoi tu ne le comprends pas; c'est que «la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise». Que sont ces ténèbres, sinon les mauvaises actions? Que sont ces ténèbres, sinon les passions désordonnées, l'orgueil, l'avarice, l'ambition, l'envie? Ténèbres que tout cela; c'est pourquoi tu ne comprends pas. Quand la lumière luit dans les ténèbres, qui peut la voir?

7. Examine donc si tu ne pourrais pas saisir de quelque manière ces paroles: «Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (2)». C'est par l'humanité du Christ que tu t'approcheras de sa divinité. Dieu est si élevé au-dessus de toi; mais Dieu s'est fait homme; ainsi l'homme a rapproché ce qui était placé à une si grande distance. C'est dans la divinité que tu dois demeurer; et par l'humanité que tu dois y aller. Le Christ est ainsi et le terme et la route. Voilà pourquoi «le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous». Il s'est uni à ce qu'il n'était pas, sans perdre ce qu'il était. En, lui l'humanité était visible, la divinité cachée. L'humanité a été mise à mort, et la majesté divine outragée; mais l'humanité est ressuscitée et la divinité s'est révélée. Songe à tout ce que le Christ à fait comme Dieu, à tout ce qu'il a souffert en tant qu'homme. S'il a été mis à mort, ce n'est pas comme Dieu, et pourtant c'est le Christ lui-même. La divinité et L'humanité ne font pas en lui deux personnes; autrement nous n'aurions plus la Trinité, nous

1. Jb 1,21 - 2. Jn 1,1-14

ferions une quaternité. L'homme est homme, et Dieu est Dieu; mais le Christ est à la fois Dieu et homme; l'humanité et la divinité ne forment en lui qu'une personne. N'es-tu pas un corps et une âme? C'est ainsi que le Christ est homme et Dieu en même temps; ou bien encore il est tout à la fois corps, âme, et Dieu.

Lui-même d'ailleurs parle tantôt comme étant Dieu, tantôt comme ayant une âme, tan. tôt comme ayant un corps; et toujours comme étant une même personne. Comme Dieu, que dit-il? «De même que mon Père possède la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné à son Fils d'avoir en lui-même la vie. Tout ce que fait le Père, le Fils le fait semblablement (1). - Moi et ton Père nous sommes un (2)». Que dit-il comme ayant une âme? «Mon âme est triste jusqu'à la mort (3)». Que dit-il comme ayant un corps? «Renversez ce temple, et je le relèverai en trois jours (4). Touchez et voyez, car un esprit n'a ni chair ni os, comme vous m'en voyez (5)». Il y a là des trésors de sagesse et de science.

8. La loi tout entière se résume sûrement dans ces deux préceptes: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit; de plus, tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements se rapportent toute la loi et les prophètes (6)». Eh bien! dans le Christ tu trouves tout cela. Veux-tu aimer, ton Dieu? Tu le peux dans le Christ: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». Veux-tu aimer ton prochain? Avec le Christ tu le peux encore: «Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous».

9. Ah! qu'il nous purifie par sa grâce; qu'il nous purifie par ses secours et ses consolations. Par lui et en lui je vous conjure, mes frères, de multiplier les bonnes oeuvres, la miséricorde, les actes de libéralité, de bonté. Pardonnez promptement à qui vous offense. Que nul ne garde de colère contre autrui, pour ne pas s'interdire la prière devant Dieu. Nous avons besoin de tous ces avertissements, parce que nous sommes dans le mondé, parce que tout en avançant dans la vertu et en vivant dans la justice, nous ne sommes point ici sans péché. Par péchés nous n'entendons pas seulement les désordres qu'on appelle des crimes,

1. Jn 5,19-26 - 2. Jn 10,30 - 3. Mt 26,38 - 4. Jn 2,19 - 5. Lc 24,39 - 6. Mt 22,37-40

343

tels que les adultères, les actes de fornication, les sacrilèges, le vol, le larcin, les faux témoignages; il est d'autres péchés que ceux-là. Ainsi il y a péché à regarder ce que tu ne devais pas voir; péché à écouter avec plaisir ce que tu ne devais pas entendre; péché à arrêter ta pensée sur ce qui ne devait pas l'occuper.

10. Aussi Notre-Seigneur nous a-t-il donné, après le bain régénérateur, d'autres remèdes à prendre chaque jour. L'oraison dominicale est destinée à nous purifier chaque jour. Disons donc, mais disons avec sincérité, car c'est aussi un acte de charité: «Remettez-nous ce que nous vous devons, comme nous remettons, nous aussi, à ceux qui nous doivent (1).

Faites des aumônes, et pour, vous tout est pur (2)». Rappelez-vous, mes frères, ce que le Seigneur dira à ceux qui seront à sa droite. Il ne les louera pas d'avoir fait telles et telles actions d'éclat: «J'ai eu faim, dira-t-il, et vous m'ayez donné à manger». A ceux de la gauche il ne dira pas non plus: Vous avez fait tels et tels maux; mais; «J'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger (3)». Ainsi donc les uns pour leurs aumônes obtiendront la vie éternelle; et les autres, les éternelles flammes pour n'avoir pas fait l'aumône. Choisissez aujourd'hui ou la droite ou la gauche.

1. Mt 6,12 - 2. Lc 11,41 - 3. Mt 25,35-42

Quel espoir de salut peut nourrir celui qui tombe si fréquemment malade sans vouloir user de remède?

Mais ce sont des maladies légères? - Elles n'en accablent pas moins par leur ruasse. - Je n'ai que des péchés légers. - Ne sont-ils pas en grand nombre? Combien de choses légères écrasent et font périr? Qu'y a-t-il de plus léger que les gouttes de pluie? Elles remplissent le lit des fleuves. Qu'y a-t-il de plus petit que les grains de blé? Ils surchargent les greniers. Tu considères bien que tes péchés sont légers; tu ne remarques pas combien ils sont nombreux. Tu sais peser chacun d'eux; pourrais-tu les compter? Dieu cependant nous a donné un remède de chaque jour.

11. Quelle miséricorde nous fait «Celui qui est monté au ciel et qui a rendu captive la captivité même (4)» Comment a-t-il rendu la captivité captive? En tuant la mort. La captivité est devenue captive; la mort est morte. Mais n'a-t-il fait pour nous que monter au ciel et que rendre captive la captivité même? Nous a-t-il ensuite laissés à nous-mêmes?

Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation du siècle (1)». Considère donc «les dons qu'il a faits aux hommes (2)». Répands tes largesses et reçois le bonheur.

1. Mt 28,28 - 2. Ps 67,19




262

SERMON CCLXII. POUR LE JOUR DE L'ASCENSION. II. JÉSUS-CHRIST ET SA GLOIRE (1).

ANALYSE. - C'est bien aujourd'hui, la tradition en fait foi, que le Sauveur est monté au ciel. D'ailleurs ces paroles d'un psaume: «Elevez-vous, ô Dieu, au-dessus des cieux», ne sauraient s'appliquer qu'à lui, puisque il est la seule personne divine qui soit descendue et qui conséquemment puisse s'élever. Donc aussi les mots suivants: «Et que votre gloire couvre toute la terre», ne peuvent s'entendre que de son Eglise. Vraie Eglise de Jésus-Christ, elle est catholique par conséquent, ce qui suffit pour faire condamner les sociétés rivales qui ne le sont pas.

1. Fils unique du Père et coéternel à Celui qui l'engendre, invisible comme lui, comme lui immuable, tout-puissant comme lui et comme lui Dieu, vous le savez, on vous l'a appris, et vous le croyez fermement, le Seigneur Jésus s'est fait homme pour l'amour de nous; il a pris la nature humaine sans quitter sa divine nature, cachant sa puissance et montrant

1. Ps 57,12

344

sa faiblesse. Vous le savez encore, s'il est né, c'était pour nous faire renaître, s'il est mort, c'était pour nous empêcher de mourir éternellement. Aussitôt après, c'est-à-dire le troisième jour, il est ressuscité; promettant de ressusciter nos corps à la fin des siècles. Il s'est montré à ses disciples, pour qu'ils le vissent de leurs yeux et le touchassent de leurs mains; il voulait ainsi les convaincre de ce qu'il s'était fait dans le temps sans rien perdre, de ce qu'il est dans l'éternité. Il vécut alors quarante jours avec eux, comme on vous l'a enseigné, allant et venant, mangeant et buvant, non plus par besoin, mais uniquement par puissance, et les convainquant de la réalité de sa chair qu'ils avaient vue faible sur la croix et qu'ils voyaient immortelle, depuis qu'elle était sortie du sépulcre.

2. C'est donc aujourd'hui que nous célébrons la solennité de son Ascension. Aujourd'hui encore il y a pour cette Eglise une solennité particulière, l'anniversaire de l'inhumation de saint Léonce, qui en est le fondateur. Mais que cette étoile veuille bien se laisser obscurcir par le soleil; parlons plutôt du Seigneur, comme nous avons commencé; un bon serviteur n'est-il pas heureux d'entendre louer son Maître?

3. Aujourd'hui donc, c'est-à-dire le quarantième jour qui suit la résurrection, le Seigneur est monté au ciel. Nous ne l'avons pas vu, croyons-le. Ceux qui l'ont vu l'ont publié, ils ont répandu ce fait dans tout l'univers. Vous connaissez ces témoins qui nous ont instruits, c'est d'eux qu'il avait été prédit: «Il n'est ni langue ni idiôme où on n'entende leur voix. Son éclat a retenti par toute la terre et leurs paroles se sont répandues jusqu'aux extrémités du monde (1)». C'est ainsi qu'elles sont arrivées jusqu'à nous et nous ont fait sortir de notre sommeil. Aussi ce jour est-il une fête dans l'univers entier.

4. Rappelez-vous le psaume chanté. A qui y est-il dit: «. Elevez-vous, ô Dieu, au-dessus des cieux?» A qui s'adressent ces mots? Est-ce à Dieu le Père qu'il serait dit: «Elevez-vous», puisque jamais il n'a été dans l'abaissement? Ah! c'est à vous de vous élever, vous qui avez été enfermé dans le sein de votre Mère, vous qui avez été formé dans les entrailles de Celle que vous avez formée; vous

1. Ps 18,4-5

qui avez été couché dans une crèche; vous qui avez, comme les petits enfants, puisé un lait véritable dans le sein maternel; vous qui portez le monde et vous laissiez porter par votre Mère; vous dont le vieillard Siméon reconnut les abaissements et loua les grandeurs; vous que la veuve Anne vit boire à la mamelle tout en vous proclamant le ToutPuissant; vous qui pour nous avez eu faim et soif et qui vous êtes fatigué pour nous, (pourtant est-il permis au Pain de souffrir de la faim, à la Fontaine d'endurer la soif et à la Voie de se fatiguer?) vous qui avez supporté tout cela pour l'amour de nous; vous qui avez dormi sans toutefois sommeiller jamais, en veillant sur Israël; vous enfin que Judas a vendu et que les Juifs ont acheté, mais sans vous posséder; vous qui avez été saisi, garrotté, flagellé, couronné d'épines, suspendu au gibet, percé d'un coup de lance, mort et enseveli, «ô Dieu, élevez-vous au-dessus des cieux».

Oui, élevez-vous, élevez-vous au-dessus des cieux, puisque vous êtes Dieu. Siégez dans le ciel, vous qui avez été attaché à la croix. Nous vous attendons pour nous juger, vous qu'on a attendu quand vous avez été jugé. Mais qui croirait cela, sans l'action de Celui qui tire l'indigent de la poussière et qui élève le pauvre au-dessus de la boue? Aussi est-ce lui qui élève aujourd'hui son corps jadis si pauvre et qui le place au milieu des princes de son peuple (1), avec lesquels il doit venir juger les vivants et les morts. Avec eux donc il place ce corps jadis indigent et il leur dit: «Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël (2)».

5. «Elevez-vous, ô Dieu, au-dessus des cieux». C'est un fait accompli. Nous ajoutons: Nous n'avons pas vu et nous croyons cependant l'événement prédit autrefois par ces paroles: «Elevez-vous, ô Dieu, au-dessus des cieux»; mais n'avons-nous pas sous les yeux ce qui suit: «Et que votre gloire couvre toute la terre (3)?» Qu'on ne croie pas le premier événement, si l'on n'est pas témoin du second. Que signifie cette «gloire qui couvre toute la terre», sinon que sur toute la terre s'étend votre Eglise, que sur toute la terre s'est répandue votre épouse avec sa majesté, votre bien-aimée, votre colombe, votre compagne? Elle est: votre gloire. «L'homme, dit

1. Ps 102,7-8 - 2. Mt 19,28 - 3. Ps 57,12

345

l'Apôtre, ne doit point se voiler la tête, puisqu'il est l'image et la gloire de Dieu; tandis que la femme est la gloire de l'homme (1)». Si la femme est la gloire de l'homme, l'Eglise assurément est la gloire du Christ.

Cette Eglise est la sainte Eglise catholique; test elle qui est répandue par tout l'univers; elle est la moisson qui grandit au milieu de l'ivraie. Ah! regardez-la du haut du ciel, vous qui, pour l'amour d'elle, avez été raillé sur le gibet. Les Juifs alors se moquaient de vous, et vous priiez pour eux. Si en vous persécutant ils ont mérité cette faveur, que n'ont pas mérité ceux qui croient en vous? Aussi avez-vous daigné leur faire cette promesse: «Et vous recevrez la vertu du Saint-Esprit survenant en vous, et vous me servirez de témoins». Où? «A Jérusalem», où j'ai été mis à mort. A Jérusalem? C'est trop peu; Tous n'avez pas donné une rançon si précieuse pour cette seule cité. Ajoutez donc à

1. 1Co 11,7

Jérusalem, cette ville est trop étroite pour contenir votre gloire. «A Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre». Nous voilà aux limites de la terre, pourquoi ne pas finir tes disputes?

Qu'on ne me dise plus: L'Eglise est ici. Tais-toi, parole humaine; écoute la divine parole «A Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre». C'est à ces traits que le Seigneur nous signale son Eglise, à nous qui sommes les derniers de ses serviteurs. C'est pourtant une mère qu'il recommande à ses enfants. Il prévoyait de futures querelles parmi ces fils ingrats; il voyait d'avance les hommes qui se partageraient le bien d'autrui. Pourquoi ne pas s'abstenir de partager ce qu'ils n'ont pas acheté?

L'Eglise du Christ est donc, je le répète, mes très-chers frères, cette sainte Eglise catholique qui est répandue partout, cette Eglise qui conserve sa virginité et qui chaque jour donne la vie à des enfants.




263

SERMON CCLXIII. POUR LE JOUR DE L'ASCENSION. 3. L'ASCENSION, NOTRE ESPÉRANCE.

ANALYSE. - Il est certain que par sa mort et par sa résurrection le Sauveur nous a délivrés en faisant perdre au démon les droits qu'il avait acquis sur nous. Mais s'il monte au ciel avec son corps de chair qui n'en est pas descendu, c'est pour nous faire entendre que nous y monterons à sa suite, puisque nous sommes ses membres; c'est pour nous exciter à prendre courage. En vue donc du bonheur, figuré par les quarante jours qu'il a passés sur la terre après sa résurrection, supportons généreusement les fatigues et les travaux que rappellent les quarante jours de jeûne qui ont précédé sa passion.

1. C'est en ressuscitant et en montant au ciel que Notre-Seigneur Jésus-Christ a fait briller sa gloire dans tout son éclat. Nous avons célébré sa résurrection le dimanche même de Pâques; nous célébrons son ascension aujourd'hui.

Ces deux jours sont pour nous des jours de tête; car si le Sauveur est ressuscité, c'était pour nous apprendre à ressusciter comme lui; et s'il est monté, c'était pour nous protéger du haut du. ciel. Jésus-Christ est donc également notre Seigneur et notre Sauveur, soit quand il est attaché à la croix, soit quand il règne au ciel comme aujourd'hui. Sur la croix, il versait notre rançon; au ciel, il rassemble ce qu'il a acheté; et lorsqu'il aura réuni tous ceux qu'il doit attirer à lui dans le cours des siècles, il viendra à la fin des temps, et, comme il est écrit, «il viendra en Dieu, avec éclat (1)». Il ne viendra pas en se cachant, comme la (346) première fois, mais «avec éclat», comme dit le prophète.


1. Ps 49,3

Il devait, pour être jugé, se voiler d'abord; mais pour juger, il viendra avec gloire. Qui aurait osé le juger s'il était venu la première fois dans toute sa majesté? Aussi l'apôtre Paul dit-il: «S'ils l'avaient connu, jamais ils n'auraient crucifié le Seigneur de la gloire (1Co 2,8)». Mais s'il n'avait été mis à mort, la mort ne serait pas morte. C'est donc en triomphant que le diable a été vaincu. Il tressaillait, lorsqu'il réussit par ses séductions à faire condamner à mort le premier homme. Il lui donna la mort en le séduisant; mais en mettant à mort le second Adam, il délivra le premier, de ses chaînes. Voilà pourquoi cette victoire de Jésus-Christ Notre-Seigneur, ressuscitant et montant au ciel; c'est ainsi que s'est accompli l'oracle que vous venez d'entendre lire dans l'Apocalypse: «Le Lion de la tribu de Juda a vaincu (Ap 5,5)». Il porte le nom de Lion, et il a été immolé comme un agneau; Lion à cause de sa force, Agneau à cause de son innocence; Lion, parce qu'il est invincible, Agneau; parce qu'il en a la douceur. Or cet Agneau, quand on l'a mis à mort, a vaincu par sa mort même le lion qui rôde cherchant quelqu'un à dévorer. Car le diable aussi a été appelé lion, non pas à cause de sa force, mais pour sa férocité. Voici comment s'exprime saint Pierre: «Il faut vous tenir en éveil contre les tentations, car le démon, votre ennemi, rôde en cherchant quelqu'un à dévorer». Et comment rôde-t-il? «Il rôde comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un à dévorer (1P 5,8)». Eh! qui ne tomberait sous les dents de ce lion, si un autre lion, le Lion de la tribu de Juda, ne l'avait vaincu? Voilà donc le Lion contre le lion, l'Agneau contre le loup. A la mort du Christ, le diable tressaillit de joie, et c'est cette mort qui l'a vaincu. Elle a été pour lui comme une amorce, il était heureux de cette mort, en sa qualité de roi de la mort; mais cette mort qui le remplissait de joie a été pour lui un piège; il s'est laissé prendre à la croix du Seigneur; la mort du Sauveur a été pour lui l'hameçon fatal. Voilà en effet que ressuscite Jésus-Christ Notre-Seigneur. Où est la mort qu'on a vue suspendue à la croix? Où sont les dérisions des Juifs? Que sont devenus l'arrogance et l'orgueil qui secouaient la tête devant la croix et qui disaient: «S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende de la croix (1)?» N'a-t-il pas fait plus que ne demandaient ces railleries sacrilèges? N'a-t-il pas fait plus en sortant du tombeau qu'il n'eût fais en descendant de la croix?

2. Et maintenant, quelle gloire pour lui de monter au ciel et de siéger à la droite de son Père! Si nous ne le voyons pas de nos yeux, nous ne l'avons pas vu non plus suspendu à la croix. C'est la foi qui nous rend certains de tout cela, c'est avec les yeux du coeur que nous le contemplons.

En effet, mes frères, vous l'avez appris, Notre-Seigneur Jésus-Christ est monté au ciel en ce jour: que notre coeur y monte avec lui, Ecoutons l'Apôtre: «Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dit-il, cherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non les choses de la, terre (2)». De même qu'il est monté au ciel sans nous quitter, ainsi l'y accompagnons-nous avant même que se réalisent les promesses faites à notre corps. Il est, lui, élevé au-dessus des cieux; et s'il a dit: «Nul ne monte au ciel que Celui qui en est descendu, le Fils de l'homme qui est au ciel (3)»; ce n'est pas pour nous une raison de n'espérer point habiter, avec les anges, leur magnifique et céleste demeure. Ces paroles sont destinées à rappeler l'unité qui fait de lui notre Chef et de nous son corps. S'il monte au ciel, ce n'est pas pour se séparer de nous; car il en est descendu et il n'a garde de nous l'envier. Au contraire, il semble nous crier: Soyez mes membres, si vous voulez monter ici. Pour y arriver, déployons donc toute notre vigueur, aspirons-y de tous nos voeux. Songeons sur la terre qu'on compte sur nous dans le ciel. C'est alors que nous dépouillerons cette chair mortelle, dépouillons le vieil homme dès aujourd'hui. Le corps s'élèvera facilement au plus haut des cieux, pourvu que l'esprit ne soit pas accablé sous le fardeau de ses iniquités.

1. Mt 27,40 - 2 Col 3,1-2 - 3. Jn 3,13


3. Je sais bien que, frappés des objections faites par les hérétiques, plusieurs se demandent comment le Seigneur, descendu du ciel sans corps, y est remonté avec son corps, ce qui semble contraire à ces paroles sorties de sa propre bouche: «Nul ne monte au ciel que (347) «Celui qui en est descendu». Or, prétendent-ils, son corps n'est point descendu du ciel, comment donc a-t-il pu y monter (1)? Mais Jésus n'a point dit: Rien ne monte au ciel que ce qui en est descendu; il a dit.: «Nul ne monte au ciel que Celui qui en est descendu»; ce qui a rapport à la personne même et non à son vêtement. Le Seigneur est descendu du ciel sans le vêtement de son corps, il y est remonté avec ce vêtement. N'est-ce pas toujours la même personne qui est descendue et qui est remontée? Si, en nous unissant à lui comme ses membres, il n'a pas cessé pour ce motif d'être le même; à combien plus forte raison le corps qu'il a pris dans le sein de la Vierge ne saurait-il avoir en lui une personnalité différente. Quand un homme gravit une montagne, un mur ou tout autre lieu élevé, ne dit-on pas que celui qui y monte ainsi est le même que celui qui en est descendu, lors même qu'il serait descendu sans vêtements et qu'il remonterait couvert de ses habits; lorsqu'il serait descendu sans armes et qu'il remonterait tout armé? Or, de même qu'on peut dire de lui alors: Nul ne monte que celui qui est descendu, quoiqu'il remonte avec ce qu'il n'avait pas en, descendant; ainsi nul ne monte au ciel que le Christ, parce que nul autre que lui n'en est descendu, quoiqu'il ensuit descendu sans son corps et qu'il y remonte avec son corps, quoique nous devions y monter nous-mêmes; non pas en vertu de notre propre force, mais en vertu de l'unité contractée entre lui et nous. N'est-on pas deux, dans l'unité d'une seule chair? grand sacrement considéré dans le Christ et dans l'Eglise (2). Aussi le Christ dit-il lui-même: «Ainsi donc ils ne sont plus deux, mais une seule chair (3)».

4. Pourquoi a-t-il jeûné au moment de la tentation, avant sa mort, et quand il avait besoin encore de nourriture; tandis qu'il a mangé et qu'il a bu après sa résurrection, aux jours de sa gloire, et quand il n'avait plus besoin d'aliments? C'est qu'il voulait en jeûnant nous montrer ce que nous devons souffrir, et en ne jeûnant pas nous donner une idée des

1. Voir Comb. chrét. chap. XXV. - 2. Ep 5,31-32 - 3. Mt 11,6

délices qu'il goûte. Ces deux périodes de sa vie ont duré l'une et l'autre quarante jours. Ce fut en effet pendant quarante jours qu'il jeûna, lorsqu'avant sa mort il fut tenté dans le désert, ainsi qu'il est écrit dans l'Evangile (1); et pendant quarante jours aussi il vécut avec ses disciples après sa résurrection, allant et venant, mangeant et buvant, comme s'exprime saint Pierre dans les Actes des Apôtres (2). Ce nombre de quarante jours semble désigner ce qu'ont à parcourir de ce siècle ceux qui sont appelés à la grâce par Celui qui n'est pas venu abolir, mais compléter la loi. Cette loi contient effectivement dix préceptes. De plus la grâce de Jésus-Christ est répandue dans tout l'univers, et l'univers est divisé en quatre parties. Or dix multiplié par quatre donne quarante. Aussi «ceux que le Seigneur a rachetés ont-ils été rassemblés par lui de tous les pays, de l'Orient et de l'Occident, du Nord et du Midi (3)». Ainsi donc lorsqu'avant sa mort il jeûna l'espace de quarante jours, il semblait crier: Abstenez-vous des désirs de ce siècle; et lorsque durant quarante jours encore il mangeait et buvait après sa résurrection, il semblait dire hautement: «Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation du monde (4)». Le jeûne s'unit en effet aux fatigues de la lutte, attendu que celui qui combat sur l'arène s'abstient de tout (5); et la nourriture se prend avec l'espoir de parvenir à cette paix qui ne sera parfaite qu'au moment où se sera revêtu d'immortalité ce corps dont nous attendons la rédemption. Nous ne nous glorifions pas encore de l'avoir obtenue, mais nous vivons dans cette espérance. Pour montrer en nous ce double mouvement, l'Apôtre a dit: «Que l'espoir vous porte à la joie, que l'affliction vous trouve patients (6)»; joie désignée par la nourriture, affliction rappelée par le jeûne. Sitôt en, effet que nous sommes entrés dans la voie du Seigneur, jeûnons aux vanités du siècle présent; et nourrissons-nous des promesses du siècle à venir, n'attachant point ici notre coeur et puisant là haut ce qui doit l'alimenter.

1. Mt 4,1-2 - 2. Ac 1,3-4 Ac 1,21 - 3. Ps 106,2-3 - 4. Mt 28,20 - 5. 1Co 9,25 - 6. Rm 12,12





Augustin, Sermons 260