Augustin, Sermons 2025

2025

VINGT-CINQUIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L'ÉVANGILE [MATTH. 12,41-50]: «IL Y A ICI PLUS QUE JONAS, ETC. (1)»

ANALYSE.- 1. Les Juifs pires que les Ninivites, et la reine de Saba.- 2. Comment le dernier état de l'homme délivré du démon devient-il pire que le premier.- 3. Le Christ enseigne aux parents à n'empêcher point les enfants en fait de bonnes oeuvres.- 4. Le. Christ en naissant a fait honneur aux deux sexes, de là le devoir des enfants.- 5. Réfutation des Manichéens qui soutiennent que le Christ n'eut point de mère.- 6. Preuve contre les Manichéens que le Christ eut une mère.- 7. De là, excellence de la vierge Marie.- 8. Comment le chrétien peut-il devenir mère du Christ.

1. Si nous voulions reprendre en détail, mes frères bien-aimés, tout ce qu'on vient de

nous dire dans l'Evangile, c'est à peine si notre temps suffirait pour chacun des Points,

(1) On lit dans le Codex, fol. 89: Mercredi de la première semaine de Carême, sermon de saint Augustin, évêque, contre les Manichéens.. Il dispute contre eux, dans la dernière partie, avec une grande subtilité. Dans la première, sur l'aveuglement des Juifs, sur les pécheurs récidifs, sur les devoirs des parents et des enfants.

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et dès lors il sera loin de nous suffire pour tous. Le Sauveur lui-même veut bien nous montrer que, dans le Prophète Jonas qui fut jeté dans la mer, qu'un monstre marin reçut dans ses entrailles et vomit le troisième jour, il y avait- une figure du Sauveur, qui souffrit et qui ressuscita le troisième jour. Le Seigneur accusait les Juifs en les comparant aux Ninivites, car ces Ninivites auxquels Jonas fut envoyé pour les réprimander, apaisèrent la colère de Dieu par la pénitence et méritèrent qu'il les prit en pitié. «Or», dit le Sauveur, «il y a ici plus que Jonas (1)», voulant nous faire comprendre que c'est lui, le Christ et le Seigneur. Les Ninivites écoutèrent le serviteur et redressèrent leurs voies; tandis que les Juifs entendirent le Maître, et non-seulement ils ne redressèrent point leurs voies, mais ils le mirent à mort. «La reine du Midi s'élèvera au jugement contre cette génération, pour la condamner», dit le Sauveur. «Car elle vint des confins de la terre, pour entendre la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon (2)». Ce n'était point s'élever pour le Christ, que se mettre au-dessus de Jonas au-dessus de Salomon; car il était le maître, tandis que ceux-ci n'étaient que les serviteurs. Et toutefois, quels sont ces hommes qui ont méprisé le Seigneur présent sous leurs yeux, quand des étrangers ont obéi à ses serviteurs!

2. Nous lisons ensuite: «Quand l'esprit immonde sort d'un homme, il erre dans les lieux arides, cherchant le repos, et il ne le trouve pas; et il dit: Je reviendrai dans ma maison d'où je suis sorti; et, revenant, il la trouve vide, nettoyée et ornée. Alors il va et prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui, et entrant, ils y habitent, et le dernier état de cet homme devient pire que le premier, et ainsi en sera-t-il de cette génération criminelle (3)». Il nous faudrait un long discours pour exposer ce passage convenablement. Nous en dirons néanmoins quelques mots avec le secours de Dieu, afin de ne point vous laisser sans quelque idée de ces paroles. Quand on nous remet nos péchés par les sacrements, on nettoie la maison; mais il est nécessaire que le Saint-Esprit la vienne habiter. Or, le Saint-Esprit n'habite que chez les humbles de coeur. Car le Seigneur a dit: «En qui repose mon Esprit?» Et il fait cette réponse: «Sur l'homme humble,

1. Mt 12,41 - 2. Mt 12,42- 3. Mt 12,43-45

sur l'homme calme, sur l'homme qui redoute ma parole (1)». Que l'Esprit-Saint habite en nous, en effet, et alors il nous absorbe, nous redresse, nous conduit, nous arrête dans le mal, nous excite au bien, nous fait goûter les charmes de la justice à ce point que l'homme fait le bien par amour pour le bien et non par la crainte du châtiment. Or, agir ainsi par lui-même, l'homme ne le trouve point dans sa nature; mais que le Saint-Esprit habite en lui, il l'aide à faire toutes sortes de bien. Que l'orgueilleux, au contraire, après la rémission de ses péchés, compte pour faire le bien sur l'unique impulsion de sa bonne volonté, son orgueil éloigne de lui l'Esprit-Saint, et alors il est une demeure purifiée des péchés, mais vide de tout bien. Tes péchés te sont remis, il n'y a plus aucun mal en toi, mais il n'y a que le Saint-Esprit seul qui te puisse remplir de biens; et ton orgueil l'éloigne de toi, ta présomption le force à t'abandonner. Ta confiance en toi te livre à toi-même. Mais cette convoitise qui te rendait mauvais et que tu as expulsée de toi-même ou de ton âme, lorsque tes péchés ont été remis, erre dans les lieux arides, cherchant le repos et ne le trouvant point, cette convoitise revient à la maison, qu'elle trouve nettoyée, «elle amène avec elle sept autres esprits plus méchants qu'elle-même, et le dernier état de cet homme devient pire que le premier». «Elle amène sept autres esprits avec elle». Que signifient ces «sept autres?» L'esprit immonde est-il septénaire à son tour? Qu'est-ce que cela signifie? Le nombre sept exprime l'universalité: il était parti entièrement, il est entièrement revenu, et plût à Dieu qu'il pût revenir seul! Qu'est-ce à dire, qu' «il amène avec lui sept autres esprits?» C'est-à-dire des esprits que le méchant n'avait point dans ses désordres, et qu'il aura, quand il ne sera bon qu'en apparence. Prêtez-moi toute votre attention, dont j'ai besoin pour vous expliquer ma pensée autant que je le puis avec le secours de Dieu. Il y a sept actes du Saint-Esprit tel qu'on nous le prêche; il est pour nous «l'Esprit de sagesse et d'intelligence, de conseil et de force, de science, de piété et de crainte de Dieu (2)». Or, à ce nombre septénaire du bien, opposez sept actes mauvais: l'esprit de folie et d'erreur, l'esprit de témérité et de lâcheté, l'esprit

1. Is 66,2 - 2. Is 11,2-3

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d'ignorance et d'impiété, et l'esprit d'orgueil opposé à l'esprit de crainte de Dieu. Voilà les sept esprits du mal. Quels soit les sept autres pires. Nous retrouvons les sept autres pires dans l'hypocrisie. C'est un mauvais esprit que l'esprit de folie, il a son pire dans la sagesse simulée. L'esprit d'erreur est mauvais, la vérité simulée est pire. L'esprit de témérité est mauvais, le conseil simulé est pire encore; l'esprit de paresse est un mal, le courage simulé est pire encore; l'esprit d'ignorance est un mal, une science simulée est pire encore; l'esprit d'impiété est un mal, la piété simulée est pire encore; l'esprit d'orgueil est un mal, la crainte simulée est pire encore. En supporter sept était difficile; mais quatorze, qui le pourra? Dès lorsque la vérité simulée vient s'ajouter à la malice, il est nécessaire que le dernier état de cet homme devienne pire que le premier.

3. «Comme il parlait ainsi devant la foule (je cite l'Evangile), sa mère et ses frères étaient au dehors, cherchant à lui parler. Quelqu'un lui dit: Voilà votre mère et vos frères qui sont dehors et qui désirent parler avec vous. Et lui: Qui est ma mère et qui sont mes frères? Puis, étendant la main sur ses disciples, il dit: Voici ma mère et mes frères. Car, quiconque fera la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mou frère, est ma soeur, est ma mère (1)». C'est à ceci que je voudrais me borner, mais pour n'avoir pas voulu laisser ce qui précède, j'y ai donné, je le sens, une assez grande part de mon temps. Ce que j'entreprends maintenant a bien des faux-fuyants, bien des difficultés, comment Notre-Seigneur Jésus-Christ a pu, dans sa piété filiale, mépriser sa mère, non telle ou telle mère, mais une mère vierge, et une mère d'autant plus vierge qu'il lui avait apporté la fécondité sans effleurer son intégrité, une mère qui concevait dans sa virginité, qui enfantait dans sa virginité, qui demeurait dans une perpétuelle virginité. Ce fut cette mère qu'il méprisa, de peur que l'affection maternelle ne lui fût un obstacle dans l'oeuvre qu'il accomplissait. Quelle était cette oeuvre? Il parlait aux populations, détruisait le vieil homme, faisait naître l'homme nouveau, délivrait les âmes, déliait ceux qui étaient enchaînés, éclairait les esprits aveugles, faisait le bien, et, dans l'accomplissement du bien,

1. Mt 12,46-50

apportait le feu de son action et de sa parole. Ce fut alors qu'on lui fit part d'une affection charnelle. Vous avez entendu sa réponse, à quoi bon la répéter? Que les mères l'entendent, et que leur affection charnelle ne soit point un obstacle aux bonnes oeuvres de leurs enfants. Apporter de tels obstacles, entraver des actions saintes, au point de les interrompre, c'est mériter le mépris de leurs fils. Et quand le Christ ne. prend point garde à la vierge Marie, que sera-ce d'une mère, mariée ou veuve, qui s'irrite contre son fils qui s'adonne au bien de toute son âme, et qui dès lors né prend point garde à l'arrivée de sa mère? Mais, direz-vous Est-ce que vous comparez mon fils au Christ? Je ne le compare point au Christ, ni vous à Marie. Le Seigneur, sans condamner l'affection maternelle, nous a donné en lui-même un grand exemple du peu d'obstacle que doit être une mère dans l'oeuvre de Dieu; sa parole était un enseignement, le peu de cas qu'il faisait un enseignement, et il a daigné faire peu attention à sa mère, afin de t'apprendre à ne pas t'arrêter à ton père et à ta mère, quand il s'agit de travailler pour Dieu.

4. Sans doute Notre-Seigneur Jésus-Christ ne pouvait devenir homme sans une mère, lui qui l'a bien pu sans un père. S'il fallait, ou plutôt parce qu'il fallait que celui qui a fait l'homme devint homme, à cause de l'homme lui-même, considérez bien attentivement comment il fit le premier homme. Le premier homme fut fait sans père et sans mère. Or, les dispositions que Dieu a pu prendre tout d'abord pour établir la race humaine, n'aurait-il pu ensuite se les appliquer à lui-même quand il s'agit de réparer cette race des hommes? Etait-ce donc une difficulté pour la sagesse de Dieu, pour le Verbe de Dieu, pour la vertu de Dieu, pour le Fils unique de Dieu, était-ce une difficulté de prendre quelque part, à son gré, cet homme qu'il devait s'adapter à lui-même? Les anges sont devenus des hommes, pour communiquer avec les hommes. Abraham donna un festin à des anges, et les invita comme s'ils eussent été des hommes, et non-seulement il les vit, mais il les toucha, puisqu'il leur lava les pieds (1). Or, tout ce que firent alors les anges n'était-ce donc que des jeux fantastiques? Si donc un ange a pu, à son gré, prendre une forme humaine, et forme

1. Gn 18

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réelle, le Maître des anges ne pouvait-il pas prendre où il voulait cet homme qu'il devait s'unir? Toutefois, il ne voulut point avoir un homme pour père, ni venir parmi les hommes, par le moyen de la convoitise charnelle; mais il voulut avoir une mère, afin qu'en ne s'arrêtant point à cette mère, quand il faisait l'oeuvre de Dieu, il donnât l'exemple aux hommes. Il voulut choisir pour lui le sexe de l'homme, et néanmoins honorer dans sa mère le sexe de la femme. Car au commencement ce fut la femme qui commit le péché et qui le fit commettre à l'homme (1). Chacun des deux époux fut trompé par la ruse du diable. Que le Christ se soit fait homme, sans avoir relevé en honneur le sexe féminin, les femmes désespéreraient d'elles-mêmes, surtout que c'est par la femme que l'homme est tombé. Il a donc voulu honorer l'un et l'autre sexe, les relever, les consacrer en lui-même. Il est né d'une femme. Ne désespérez point, ô hommes, puisque le Christ a daigné se faire homme. Ne désespérez point, ô femmes, puisque le Christ a daigné prendre une femme pour mère. Que chacun des deux sexes ait sa part dans le salut du Christ. Que l'homme y vienne, que la femme y vienne aussi. Car dans la foi il n'y a ni homme ni femme (2). Donc le Christ t'enseigne tout â la fois et à mépriser tes parents, et à aimer tes parents. C'est aimer ses parents avec le dévouement qui convient, que ne point les préférer à Dieu. «Celui qui aime son père et sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi (3)». Ce sont les paroles du Seigneur, et ces paroles semblent nous dissuader d'aimer, ou plutôt, si l'on y fait attention, elles nous avertissent d'aimer nos parents. Le Seigneur aurait pu dire: Celui qui aime son père ou sa mère n'est pas digne de moi. Or, il n'a point tenu ce langage, pour ne point parler contre la loi; car c'est lui qui a donné la loi par Moïse, son serviteur, loi qui porte: «Honore ton père et ta mère (4)». Il n'a point proclamé une loi contraire, mais il a recommandé celle-ci, en y réglant la piété filiale sans la détruire. «Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi». Qu'il les aime donc, mais non plus que moi. Dieu est Dieu, et l'homme est homme. Aime tes parents, obéis à tes parents, honore tes parents; mais si Dieu t'appelle à de plus hauts desseins

1. Gn 3 - 2. Ga 3,28 - 3. Mt 10,37 - 4. Ex 20,12 Dt 5,16

où l'amour des parents puisse être un obstacle, observe l'ordre et ne renverse pas la charité.

5. Or, dans cette doctrine si vraie de Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, qui croirait que les Manichéens sont allés chercher ces assertions calomnieuses par lesquelles ils voudraient nous enseigner que Notre-Seigneur Jésus-Christ n'eut point de mère. Dans leur sagesse, ou plutôt dans leur folie, ils nous disent que le Seigneur Jésus n'eut point de mère dans la race de l'homme, et cela contrairement à l'Évangile, contre la vérité la plus éclatante. Et voyez d'où ils tirent leur argumentation. Voilà, disent-ils, que lui-même l'a enseigné. Que dit-il? «Qui est ma mère, et qui sont mes frères (1)?» Le voilà qui nie, et ce qu'il nie, tu veux nous forcer à le croire. Lui-même dit: «Qui est ma mère et qui sont mes frères?» et tu viens nous dire: Il a une mère. O insensé, ô misérable, ô détestable disputeur! Réponds-moi: d'où sais-tu que le Seigneur a dit: «Qui est ma mère et qui sont mes frères?» Tu prétends que le Christ n'eut point de mère, et cette prétention, tu veux l'appuyer sur cette parole: «Qui est ma mère, et qui sont mes frères?» Qu'un autre s'en vienne et te dise que le Seigneur n'a point tenu ce langage, comment pourras-tu l'en convaincre? Réponds, si tu le peux, à celui qui viendra nier cette parole du Christ. Ton arme pour le convaincre doit te convaincre toi-même. Est-ce bien le Christ qui t'a soufflé à l'oreille qu'il a tenu ce langage? Réponds, afin d'être convaincu par ta propre bouche. Réponds, afin de me convaincre que le Christ a tenu ce langage. Je sais ce que tu vas dire. Je prendrai son livre, j'ouvrirai l'Évangile, et je réciterai ses paroles consignées dans l'Évangile. C'est bien, très-bien! C'est avec l'Évangile que je te tiendrai, avec l'Évangile que je vais t'enlacer, avec l'Évangile que je vais t'étouffer. Récite dans l'Évangile ce que tu crois en ta faveur. Ouvre et lis: «Qui est ma mère?» Tu verras plus haut ce qui te fait parler de la sorte. Quelqu'un lui vint dire: «Voilà votre mère et vos frères qui se tiennent dehors (2)». Je ne te presse pas encore, je ne te tiens pas, je ne t'étouffe pas encore, puisque tu peux dire que c'était là une assertion fausse, contraire à la vérité, mensongère, et que dès lors le Seigneur la réfuta,

1. Mt 14,48 - 2. Mt 14,47

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puisque à cette nouvelle il répondit «Qui est ma mère?» comme s'il disait: Tu viens me dire que ma mère est dehors, et moi je te réponds: «Qui est ma mère?» Auquel devons-nous croire? A celui qui donne cette nouvelle, ou au Christ qui n'accepte pas ce qu'il semblait dire? Ecoute-moi bien, encore une question, seulement fixe-toi à l'Evangile, et ne jette point le livre derrière toi. Tiens l'Evangile, acceptes-en l'autorité, autrement tu ne pourras plus me prouver que le Seigneur a dit: «Qui est ma mère?» Et quand tu auras reconnu l'autorité de l'Evangile, écoute ma question. Tout à l'heure, je te demandais d'où sais-tu que le Christ a dit: «Qui est ma mère?» Qu'est-ce qui prouve cette question? Quelqu'un vient dire au Christ: Votre mère est dehors. Mais avant la parole de cet homme, ou plutôt pour le faire parler ainsi, qu'est-ce qui précède? Lis bien, je t'en prie. On dirait que tu crains de lire. «Le Seigneur répondit et dit». Qui est-ce qui parle ici? Je ne dis point qui est-ce qui dit: «Qui est ma mère?» car tu me répondras: C'est le Seigneur; mais bien qui est-ce qui dit: «Le Seigneur répondit». Tu es forcé de répondre que c'est l'Evangéliste. Or, cet Evangéliste a-t-il dit vrai ou non? Tu ne sauras échapper, il te faut dire qu'il a dit vrai ou faux. Cette parole de l'Evangéliste: «Le Seigneur répondit et lui dit» est-elle vraie ou non? Si tu me dis que cette assertion de l'Evangéliste, que le Seigneur répondit, est une assertion fausse; d'où sais-tu que le Seigneur dit: «Qui est ma mère?» Mais si tu nous affirmes que cette parole: «Qui est ma mère» est vraiment du Sauveur, par cela seul que l'Evangéliste le lui attribue, tu ne saurais affirmer que le Seigneur a tenu ce langage sans croire à l'Evangéliste. Mais si tu crois à l'Evangéliste, et si tu ne saurais rien affirmer sans croire à l'Evangéliste, lis aussi ce que cet Evangéliste a dit plus haut.

6. Combien je dois t'impatienter! Combien je te tiens en suspens! C'est mon avantage pour te vaincre plus tôt. Vois, considère et lis. Tu ne voudrais pas, je crois. Donne le livre et je lirai: «Comme il parlait ainsi à la foule». Qui tient ce langage? L'Evangéliste, et si tu ne crois pas à l'Evangéliste, alors le Christ n'a rien dit. Si le Christ n'a rien dit, il n'a pas dit: «Qui est ma mère?» mais s'il a dit: «Qui est ma mère?» ce qu'a écrit l'Evangéliste est selon la vérité. Ecoute ce qu'il a dit auparavant: «Comme il parlait ainsi à la foule, sa mère et ses frères se tenaient au dehors, cherchant à lui parler». Cet homme n'a rien annoncé encore d'où tu puisses l'accuser de mensonge. Vois ce qu'il a dit, vois ce que l'Evangéliste a écrit plus haut: «Comme le Seigneur parlait ainsi a à la foule, sa mère et ses frères se tenaient dehors». Qui parle ainsi? L'Evangéliste, que tu en crois quant à cette parole du Seigneur: «Qui est ma mère?» Mais si tu ne crois pas les paroles précédentes, aussi bien que ces dernières, alors le Seigneur n'a donc point dit: «Qui est ma mère?» Mais le Seigneur a vraiment dit: «Qui est ma mère?» Crois donc à celui qui attribue au Seigneur cette parole: «Qui est ma mère?» Celui qui attribue au Seigneur cette parole: «Qui est ma mère?» a dit aussi: «Comme il parlait de la sorte, sa mère se tenait au dehors». Pourquoi donc a-t-il nié qu'elle fût sa mère. Loin de là! comprends bien. Sans renier sa mère, il lui préféra l'oeuvre qu'il faisait. Il ne nous reste plus qu'à chercher pourquoi le Seigneur a dit: «Qui est ma mère?» Voyons d'abord ce qu'on lui rapportait, pour dire: «Qui est ma mère?» On lui disait qu'elle était là dehors, et voulait lui parler. Réponds-moi, d'où sais-tu cela? L'Evangéliste le rapporte, et si je ne l'en crois point, le Seigneur n'a rien dit. Donc il avait une mère; mais que veut dire: «Qui est ma mère?» Dans l'oeuvre que j'accomplis, qu'est-ce que ma mère? Qu'un homme qui a un père, soit exposé au danger, et dis-lui: Que ton père te délivre, quand surtout il sait que ce père ne pourrait délivrer son fils, ne répondra-t-il point en toute vérité et sans offenser la piété filiale: «Qu'est-ce que mon père?» Dans l'oeuvre que j'entreprends, et pour le besoin que je ressens, qu'est-ce que mon père? Or, pour l'oeuvre du Christ qui délivrait les captifs, qui rendait la lumière aux aveugles, qui édifiait l'homme intérieur, qui se construisait un temple spirituel, qu'était-ce que sa mère? Mais si tu veux en conclure qu'il n'avait point de mère ici-bas, parce qu'il dit: Qui est ma mère? les disciples, à leur tour, n'auront point de père en cette vie, puisque le Seigneur leur dit: «Ne dites point que vous avez un père sur la terre». Ce sont là les paroles du Seigneur: «N'appelez personne (477) votre père; vous n'avez qu'un seul père qui est Dieu (1)». Non pas qu'ils n'aient point de pères, mais quand il s'agit de la régénération, cherchons un père dans le sens de la régénération, et sans condamner celui qui nous a engendrés, préférons-lui celui qui nous a régénérés.

7. Mais considérez bien ceci, mes frères bien-aimés, considérez, je vous en supplie, ce que dit Notre-Seigneur Jésus-Christ en étendant la main sur ses disciples: «Voici ma mère, voici mes frères. Et celui qui fera la volonté de mon Père qui m'a envoyé, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère». N'a-t-elle point fait la volonté du Père, cette vierge Marie qui a cru, qui a conçu par la foi, qui a été choisie, afin que d'elle le salut vînt aux hommes; qui a été créée par le Christ avant que le Christ fût créé en elle? Oui, Marie qui est sainte a fait la volonté du Père, et dès lors il est plus glorieux pour Marie d'avoir été disciple du Christ que mère du Christ, plus heureux pour Marie d'avoir été disciple du Christ que mère du Christ. Marie était donc bienheureuse de porter le Maître dans son coeur avant de le mettre au monde. Vois si je ne dis point la vérité. Comme le Seigneur venait à passer avec la foule qui le suivait, et faisait des oeuvres divines, une femme s'écria: «Bienheureux le sein qui vous a porté! bienheureuses les entrailles qui vous ont porté (2)!» Et le Seigneur, pour qu'on ne recherchât point la félicité dans ce qui est charnel, que répondit-il! «Bien plus heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et la mettent en pratique (3)». Le bonheur de Marie vient donc de ce qu'elle a entendu et mis en pratique la parole de Dieu. Son âme a plus gardé la vérité que ses entrailles n'ont gardé la chair. Car le Christ est vérité, comme le Christ est chair. A l'âme de Marie le Christ vérité, aux entrailles de Marie le Christ fait chair. Car ce qui est dans l'âme est bien supérieur à ce que renferment les entrailles. Marie est donc sainte, Marie est bienheureuse, mais l'Eglise est supérieure à Marie. Pourquoi? Parce que Marie est une portion de l'Eglise, un membre saint, membre excellent, membre suréminent, mais pourtant membre du

1. Mt 23,9

2. Cette citation est-elle bien de saint Augustin?

3. Lc 11,27-28

corps entier. Mais si elle fait partie du corps entier, assurément ce corps entier est supérieur à un membre. C'est le Seigneur qui est la tête, et la tête et le corps forment tout le Christ. Que dirai-je? Nous avons une tête divine, et Dieu est notre tête.

8. Donc, mes frères bien-aimés, écoutez encore. Vous êtes les membres du Christ, le corps du Christ. Considérez comment vous êtes ce qui est dit ici: «Voilà ma mère et mes frères». Comment serez-vous la mère du Christ? «Quiconque entend, et quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans le ciel, celui-là est mon frère, ma soeur, ma mère (1)». Frères, je comprends, soeurs, je comprends encore; car il n'y a qu'un seul héritage, et dans sa miséricorde, le Christ Fils unique du Père ne voulut point être seul à partager l'héritage de son Père, il voulut nous faire ses cohéritiers. Tel est en effet l'héritage, que le grand nombre des héritiers ne saurait le diminuer. Je comprends dès lors que nous sommes les frères du Christ et que les soeurs du Christ seront les femmes saintes et fidèles; comment pourrons-nous comprendre les mères du Christ? Quoi donc! Oser nous dire mères du Christ? Eh bien! oui, mères du Christ, j'oserai le dire. Je dirai que vous êtes ses frères, et je n'oserais dire sa mère? Mais j'oserai bien moins encore nier ce que le Christ a dit lui-même. Voyez donc, mes bien-aimés, voyez comment l'Eglise est l'épouse du Christ, ce qui est évident; de même elle est mère du Christ, ce qui nous paraît plus difficile à comprendre et n'en est pas moins vrai. La vierge Marie a été d'avance le type de l'Eglise. Or, je vous le demande, comment Marie est-elle mère du Christ, sinon parce qu'elle a enfanté les membres du Christ? Maintenant, qui vous a enfantés? J'entends le cri de votre coeur Notre mère la sainte Eglise. Semblable à Marie, cette mère sainte et glorieuse enfante et demeure vierge. Qu'elle enfante, je le prouve par vous-mêmes. C'est d'elle que vous êtes nés, et dès lors elle enfante le Christ, puisque vous êtes membres du Christ. J'ai prouvé qu'elle enfante, je prouverai qu'elle est vierge. Je ne suis point dépourvu de divins témoignages, ils ne me font pas défaut. Viens parler à mon peuple, 8 bienheureux Paul. Sois le garant de mon assertion. Crie

1. Mt 12,49-50

478

bien haut, et dis ce que je veux dire: «Je a vous ai fiancés à cet unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure (1)». Où est donc cette virginité? Où redoute-t-on jusqu'à l'ombre de la corruption? Qu'il réponde, celui qui a proféré ce nom de vierge. «Je vous ai fiancés à cet a unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. Mais je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits de même ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est selon Jésus-Christ». Gardez dans vos esprits la virginité d'esprit. La virginité de la foi catholique, c'est son intégrité. Où Eve se

1. 2Co 11,2

laissa séduire à la parole du serpent, l'Eglise catholique doit être vierge parle don du Tout-Puissant. Que les membres du Christ enfantent dès lors par l'esprit, comme les entrailles virginales de Marie enfantèrent le Christ, et vous serez par là mères du Christ. Cette oeuvre n'est point trop éloignée de vous, n'est point au-dessus de vous, n'a rien d'incompatible avec vous. Vous avez été des fils, soyez aussi des mères; fils de la mère quand vous avez été baptisés, alors vous êtes nés membres du Christ. Amenez au bain du baptême ceux que vous pourrez amener; et de même que vous avez été des fils en naissant, vous serez des mères du Christ, en donnant naissance à d'autres.

3000

DEUXIEME SUPPLEMENT, DEUXIÈME SECTION: 10 Sermons édités en 1819 par Octave Fraja Frangipani.

Moine et bibliothécaire du Mont-Cassin.


3001

PREMIER SERMON. DES DIX PLAIES ET DES DIX PRÉCEPTES QUE DONNA MOISE AU PEUPLE D'ISRAËL (1).

Ce sermon fut édité par les religieux de Saint-Maur (Tom. 5, col. 41) comme un fragment d'Eugipius, et trouvé dans les manuscrits royal et de Victorin. Le catalogue du Mont-Cassin le reproduisit plus au complet, sous ce titre: «Sermons de saint Augustin, sur les paroles du Seigneur et autres sujets»; mais comme on l'avait édité avec peu de soin, le catalogue le corrige au n. 13, sous ce titre: «Pensées d'Eugipius, tirées de saint Augustin, sans y rien mettre néanmoins, que le fragment connu, avec peu de variantes. S'il y a quelques fautes encore, elles m'ont échappé, car de tous les catalogues du Mont-Cassin, je n'ai pu me procurer que celui-là qui reproduisait le discours tout entier. Or, il y a dans ce catalogue vingt-six sermons sur les paroles du Seigneur, et dans le même ordre qu'ils sont édités à Louvain. Ils y sont avec cinquante-huit autres, dont vingt-sept dans l'édition de Saint-Maur, et vingt-trois dans la récente: appendice de Denis; enfin huit autres, qui gisaient soit en partie, soit totalement, dans la poussière.

ANALYSE.- 1. Les faits de l'Ecriture sont figurés et réalisés.- La verge de Moïse, ou vie mortelle, figure de l'Eglise qui dévore les peuples en les incorporant au Christ.- 2. Premier précepte et première plaie; changement de l'eau en sang, du vrai Dieu en idole.- 3. Second précepte, et seconde plaie, celle des grenouilles; prendre en vain le nom du Seigneur, ou prêcher la vanité.- 4. Troisième précepte, repos du sabbat, repos spirituel, dans le calme de la conscience; plaie opposée, mouches importunes.- 5. Quatrième précepte, honorer ses parents; plaie opposée, mouches des chiens, parce

(1) L'édition de Saint-Maur porte: «Des dix plaies et des dix préceptes». Le catalogue d'Eugipius: «Exposition des dix préceptes, sans ébranler la solidité de la base littérale, d'après l'explication du décalogue au peuple». Au psaume L27, num. 27, saint Augustin y fait allusion, en expliquant sommairement les dix plaies.

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que ceux-ci méconnaissent leurs parents.- 6. Cinquième précepte: Interdiction de l'adultère; plaie opposée, mort des animaux; l'âme de l'adultère.- 7. Sixième précepte: Tu ne tueras point; plaie opposée, pustules, image de la colère, d'où provient l'homicide.- 8. Septième précepte: Tu ne déroberas point; plaie opposée, grêle qui amène la disette extérieure, image de la disette intérieure.- 9. Huitième précepte: Tu ne diras point le faux témoignage; plaie opposée, sauterelle à la dent nuisible.- 10. Neuvième précepte: Ne convoite point la femme d'un autre; plaie opposée, épaisses ténèbres, ou aveuglement.- 11. Dixième précepte: Ne convoite point le bien d'autrui; plaie opposée, mort du premier-né ou de la foi.- 12. Enlèvement des richesses aux Egyptiens, Dieu qui donna ordre à Abraham d'immoler son fils, qui délivra Pierre de sa prison, ce qui fit mettre les gardes à la question, qui tourna au profit de la rédemption le crime de Judas, pouvait aussi disposer des richesses de l'Egypte en faveur de son peuple, comme une compensation des travaux, afin de figurer l'Eglise qui enlève an paganisme ses richesses.- 13. Les mages de Pharaon succombant au troisième précepte, où il est question de sanctification, image des hérétiques séparés de l'esprit de Dieu, et dès lors de toute sainteté.

1. Il est dit quelque part dans l'Ecriture, à la louange du Dieu que nous adorons «Vous avez tout disposé avec poids, nombre et mesure (1)». Puis la doctrine apostolique nous enseigne «à examiner tout ce que l'on peut comprendre par ce qui a été fait, et à rechercher ce qui est caché d'après ce qui est manifeste (2)». De là vient que, partout, la créature interrogée répond à sa manière qu'elle a pour auteur le Seigneur notre Dieu. Ensuite l'apôtre saint Paul nous dit que tout ce qui est écrit dans les livres de l'Ancien Testament arrivait en figure: «Tout cela», dit-il, «est écrit pour nous corriger (3), nous qui arrivons à la fin des siècles (4)». Aussi, lues frères bien-aimés, tout ce qui dans la nature nous parait l'effet du hasard, si nous l'examinons avec soin, si nous le discutons, si nous parvenons à le comprendre en l'explorant avec sagesse, proclamera la louange du Créateur, la divine Providence étendant partout ses soins et disposant tout avec douceur, ainsi qu'il est écrit «qu'elle atteint avec force d'une extrémité à l'autre (5)». A combien plus forte raison, tout ce qui est non-seulement d'accord avec les saintes Ecritures, mais signalé dans leurs récits? C'est pour cela que nous entreprenons, au nom du Seigneur notre Dieu, avec son secours et sa grâce, et fortifiés par la pieuse intention de vos coeurs, d'exposer autant que possible cette question que nous ont proposée nos frères, ou plutôt cet examen, cette contestation sur les dix plaies dont les Egyptiens sont frappés et sur les dix préceptes qui forment la constitution du peuple de Dieu. Nous avons en effet besoin du secours de Dieu, non

1. Sg 15,21 - 2. Rm 1,20

3. Saint Augustin cite les textes d'après l'ancienne version appelée Italique, qu'il préfère aux autres. L. 2 De doct. Chr., c. 15. Si notre illustre Denis eut fait cette remarque, il n'eût point vu un défaut de mémoire dans le sermon sur le cierge pascal, où il accuse saint Augustin d'avoir mis l'abeille pour la fourmi; car il eût trouvé Bars l'ancienne Italique, après les Septante, l'exemple de la fourmi et de l'abeille.

4. 2Co 10,11 - 5. Sg 8,1

pas peut-être pour nous, mais assurément pour vous, afin que nous disions avec certitude ce qui (1) doit être dit et entendu, et que, marchant ensemble dans la voie de la vérité, courant ensemble vers la patrie, nous puissions éviter, dès que nous connaîtrons l'esprit et la volonté de la loi, toutes les embûches de notre route. Les plaies dont fut frappé le peuple de Pharaon sont au nombre de dix, comme il y a dix commandements qui constituent la législation du peuple de Dieu. Voyons donc, mes frères, quel est le fait maté. riel, et quel en est le sens spirituel. Nous sommes loin de nier le fait et de dire que cela est raconté ou écrit, sans avoir été accompli; mais nous acceptons les faits tels qu'ils sont écrits, et néanmoins nous reconnaissons par l'enseignement de l'Apôtre que ces faits étaient l'ombre de l'avenir. Nous pensons dès lors qu'il faut voir dans ces faits un sens spirituel, bien qu'ils soient néanmoins des faits réels. Que nul donc ne s'en vienne dire: Il est écrit qu'une plaie d'Egypte fut la conversion de l'eau en sang; mais c'est là un symbole qui n'a pu se réaliser. Quiconque tiendrait ce langage, chercherait la volonté de Dieu de manière à faire outrage à la puissance de Dieu. Le même Dieu qui a pu donner un sens symbolique à ses paroles, ne le pourrait donner à ses actes? Le peut-il ou non? Isaac n'est-il pas né, ou Ismaël? Ils étaient nés, ils étaient des hommes, des hommes nés d'Abraham, «l'un fils de la servante, l'autre de la femme libre (2)». Tout hommes qu'ils étaient, et hommes nés de femmes, ils n'en figuraient pas moins les deux Testaments; l'Ancien et le Nouveau. Après avoir assis de la sorte sur une base solide la certitude des faits, nous devons en chercher la signification, de peur que, la base venant à se dérober,

1. On nous indique ici une omission ou une faute. Nous la croyons volontiers. Le saint docteur ne parle pas ainsi.

2. Ga 4,22

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nous ne paraissions vouloir bâtir en l'air. Mon opinion, en effet, sur tous ceux qui méprisent les dix préceptes de la loi, qui ne les observent point, c'est qu'ils endurent d'une manière spirituelle ce qu'ont enduré les Egyptiens dans leur corps. Tandis que je vous exposerai ces choses avec le secours de Dieu, je vous supplie de m'accorder votre attention et de prier pour moi, afin que je puisse vous parler. Nous savons à quoi nous en tenir dans notre pensée, mais vous l'exposer, c'est une dette que nous acquittons. Et d'abord, pour ne point vous tromper quant au nombre de ces plaies, n'allez point prendre pour l'une d'elles ce qui arriva comme un signe, ou la baguette de Moïse changée en serpent. C'était une manière de se présenter à Pharaon et de signaler dans Moïse l'homme qui allait tirer de l'Egypte le peuple de Dieu; et qui, sans frapper les obstinés, les effrayait devant un prodige divin. Il n'est pas nécessaire, en effet, et nous n'avons pas le dessein de parler de cette verge de Moïse changée en serpent. Mais puisque nous en avons fait mention de peur qu'on ne se trompe sur le nombre, et que nous ne voulons pas laisser dans l'esprit d'un auditeur le moindre scrupule d'ignorance, nous dirons brièvement que ces verges signifient le royaume de Dieu, que ce royaume de Dieu n'est autre que le peuple de Dieu, et que le serpent désigne le temps de cette vie mortelle, puisque la mort nous a été inoculée par le serpent. Devenir mortel, c'est donc en quelque sorte tomber de la main de Dieu sur cette terre; de là cette verge qui devient un serpent dès qu'elle tombe de la main de Moïse. Les enchanteurs imitèrent ce miracle, en jetant leurs verges, qui devinrent des serpents; mais le serpent de Moïse, ou la verge de Moïse, dévora tous les serpents des mages; enfin, une fois saisie par la queue, elle redevint une verge, et le royaume se remit sous la main. Car les verges des mages sont les peuples des impies. Qu'est-ce que ces peuples impies? Vaincus par le nom du Christ, ils passent dans son corps, comme dévorés par le serpent de Moïse: jusqu'à ce que nous rentrions dans le royaume de Dieu, mais à la fin de cette vie mortelle, ce que signifie la queue du serpent, et que cette grande figure s'accomplisse. Après avoir entendu ce que vous devez désirer, écoutez ce qu'il vous faut éviter.

2. Le premier commandement de la loi est d'adorer un seul Dieu:«Tu n'auras pas», est-il dit, «d'autres dieux que moi (1)». La première plaie des Egyptiens fut l'eau changée en sang (2).

3. Comparez le premier précepte à la première plaie. Comprenez un seul Dieu par qui tout existe, sous la figure de l'eau, qui donne naissance à tout. A qui convient le sang, sinon à la chair mortelle? Que signifie donc le changement de l'eau en sang, sinon que «leur coeur insensé a été obscurci? Ils se disaient sages, et sont devenus fous, et ont changé la gloire du Dieu incorruptible en l'image de l'homme corruptibles (3)». La gloire du Dieu incorruptible ressemblerait à l'eau et l'image de l'homme corruptible au sang. Voilà ce qui arrive en effet dans le coeur des impies; car Dieu demeure le même, et bien que l'Apôtre dise: «Ils ont changé», Dieu n'est point changé pour cela.

4. Voici le second précepte: «Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu, car il ne sera point innocent, celui qui aura pris en vain le nom du Seigneur Dieu (4)». Or, le nom de Jésus-Christ, notre Dieu, est la vérité, puisque lui-même l'a dit: «Je suis la vérité (5)». C'est donc la vérité qui purifie, et la vanité qui souille. Et comme celui qui dit la vérité «parle d'après Dieu; tandis que celui qui dit le mensonge parle d'après lui-même (6)», dire la vérité c'est parler raisonnablement, tandis que dire la vanité c'est bruire, plutôt que parler; c'est avec raison que le second précepte nous impose l'amour de la vérité, auquel est opposé l'amour de la vanité. La vérité est une parole, la vanité n'est qu'un vain bruit. Or, vois comment ce précepte a son contraste dans la seconde plaie. Qu'est-ce que cette seconde plaie? Des grenouilles sans nombre. Or, tu verras ici l'image expressive de la vanité, si tu veux faire attention à la quantité des grenouilles. Vois l'homme qui aime la vérité, ne prendre point en vain le nom du Seigneur ton Dieu, tenir le langage de la sagesse avec les parfaits et même avec les imparfaits; ne point leur dire ce qu'ils ne sauraient comprendre, sans toutefois s'écarter de la vérité, pour courir après la vanité. Que les imparfaits ne puissent comprendre, si l'on s'élève au-dessus

1. Ex 20,3 - 2. Ex 7,20- 3. Rm 1,21 - 4. Ex 20,7 - 5. Jn 14,26 - 6. Jn 8,44

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d'eux jusqu'à disputer du Verbe de Dieu, «Dieu en Dieu, par qui tout a été fait»; mais comprennent quand on leur parle, comme saint Paul au milieu des petits enfants du Christ, «de Jésus-Christ et de Jésus-Christ crucifié», il n'en faut pas conclure qu'il y ait ici vérité, et dans le premier cas vanité. Mais il y aurait vanité à dire que le Christ n'est point mort en vérité, mais qu'il a feint de mourir, que ses plaies n'étaient que sur un fantôme, que ce n'était point un sang réel, mais une vaine apparence de sang qui coulait de ses plaies, qu'il n'étalait que de fausses cicatrices comme après de fausses plaies. Mais quand nous racontons tout cela, nous le donnons comme une réalité, nous le croyons et le prêchons comme l'expression de la vérité. Sans nous élever jusqu'à la sublime et immuable vérité, nous n'allons pas néanmoins à la vanité. Quant à ceux qui prêchent que tout cela n'arrivait au Christ qu'en apparence et sans réalité, ce sont des grenouilles coassant dans un marais. Ils produisent un bruit de voix, mais ne sauraient insinuer la doctrine de la sagesse. Enfin, dans l'Eglise, ceux qui s'attachent à la vérité prêchent la vérité dans celui par qui tout a été fait, la vérité dans ce Verbe fait chair et demeurant parmi nous, la vérité dans ce Christ Dieu, né de Dieu, seul Fils d'un seul Dieu, unique et coéternel, la vérité dans celui qui, prenant la forme de l'esclave, est né de la vierge Marie, a souffert, a été crucifié, est ressuscité, est monté aux cieux, partout vérité, vérité quand l'enfant ne saurait la comprendre, vérité également dans le pain et dans le lait, dans le pain des adultes, dans le lait des petits enfants. Car c'est le même pain que l'on fait traverser la chair pour le changer en lait. Ceux qui nient cette vérité se trompent dans leur vanité et trompent les autres; ce sont des grenouilles qui fatiguent les oreilles sans nourrir l'esprit. Ecoute enfin les hommes qui parlent raisonnablement: «Il n'est point de discours», dit le Prophète, «point de langage dans lequel on n'entende cette voix», et cette voix n'est point vaine, puisque «son éclat s'est répandu sur toute la terre et a retenti jusqu aux confins du monde (1)». Veux-tu au contraire entendre les grenouilles, écoute ce verset du psaume: «Le frère dit des frivolités à son frère (2)».

1. Ps 18,4-5 - 2. Ps 11,3

5. Troisième précepte: «Souviens-toi, au jour du sabbat, de le sanctifier (1)». Ce troisième précepte flous paraît une prescription du repos, qui est la tranquillité du coeur et de l'esprit, et provient de la bonne conscience: Il y a là sanctification, parce qu'il y a l'esprit de Dieu. Voyez dès lors cette interruption, c'est-à-dire ce repos: «Sur qui», dit le Prophète, a reposera mon esprit, sinon sur «l'homme humble, calme et redoutant mes «paroles (2)». Ils se retirent donc de l'Esprit-Saint, ces hommes sans repos, qui recherchent les rixes et sèment la calomnie; plus amateurs de la dispute que de la vérité, ils ne sauraient dans leur turbulence admettre ce repos ou ce sabbat spirituel. C'est contre la turbulence de ces hommes, et comme pour mettre dans leur coeur le véritable sabbat, la sanctification par l'esprit de Dieu, qu'il est dit «Ecoute la parole avec douceur, afin de comprendre (3)». Que comprendrai-je? Dieu qui te dit: Loin de toi cette turbulence, qu'il n'y ait dans ton coeur aucun tumulte, et que ce fantôme que fait voltiger la corruption ne te stimule point. Qu'il n'en soit point ainsi, car il te faut comprendre cette parole de Dieu: «Reposez-vous, et comprenez que c'est moi qui suis Dieu (4)». En toi la turbulence ne veut aucun repos; aveuglé par la corruption de tes disputes, tu entreprends de voir ce que tu ne saurais voir.

6. Au troisième précepte est opposée la troisième plaie: «Des moucherons sortis du limon couvrirent la terre d'Egypte»; des mouches très-petites, insupportables, volant en désordre, entrent dans les yeux, ne laissent à l'homme aucun repos; on les chasse, elles reviennent; chassées de nouveau, elles reviennent à la charge, comme ces fantômes qui assiègent les coeurs turbulents. Observe le précepte, et garde-toi de la plaie.

7. Quatrième précepte: «Honore ton père et ta mère (5)». A ce quatrième précepte est opposée la quatrième plaie, qui fut celle de la cynomie. Qu'est-ce que la cynomie? C'est la mouche des chiens; son nom vient du grec.. Or, le propre du chien est de ne pas connaître ses parents; rien ne tient tant du chien comme de méconnaître ceux qui nous ont engendrés: c'est donc avec raison que les petits chiens naissent aveugles.

1. Ex 20,8 - 2. Is 66,2 - 3. Si 5,13 - 4. Ps 45,11 - 5. Ex 20,12

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8. Voici le cinquième précepte: «Tu ne commettras point d'adultère (1)». La cinquième plaie fut «la mort des troupeaux des Egyptiens (2)». Comparons. Voilà un homme adultère qui ne se contente point de son mariage; il ne veut point dompter en lui cette convoitise de la chair qui nous est commune avec les animaux. Car s'unir et engendrer appartient également aux pourceaux, tandis que penser est le propre de l'homme. De là vient que cette raison qui siège dans notre esprit doit régner sur les mouvements inférieurs de la chair, les dominer, leur mettre un frein, et ne point leur donner cette liberté immodérée, cette licence d'errer partout et sans retenue. Aussi est-il dans la nature des animaux, d'après les desseins du Créateur, de ne rechercher les femelles qu'à des temps fixés; car ce n'est pas la raison qui retient la brute en d'autres temps; mais tout mouvement se refroidit et lui donne le calme. Pour l'homme, s'il peut toujours être excité, c'est qu'il est toujours en son pouvoir de réfréner son excitation. C'est à toi que le Créateur a donné de dominer par la raison, à toi les préceptes de la continence, comme des jougs pour assujétir les animaux inférieurs. Tu as ce que la brute n'a point; et dès lors tu espères ce qu'elle ne saurait espérer. La continence est pour toi. un labeur que ne ressent point la brute; mais tu auras une joie éternelle que la brute ne saurait atteindre. Si le travail te fatigue, du moins que la récompense te console; et c'est déjà souffrir que réprimer ses mouvements intérieurs, et ne point laisser aller librement, comme la brute, ce qui nous est commun avec elle. Te mépriser en toi-même, et dominer par les passions de la brute, négliger cette image de Dieu, selon laquelle il t'a fait, c'est abdiquer la dignité de l'homme, pour devenir brute; ce n'est point changer ta nature en celle de l'animal, mais c'est, sous l'apparence de l'homme, ressembler à l'animal que ne pas entendre cette parole: «Ne soyez point comme le cheval et le mulet, qui n'ont point d'intelligence (3)» Et si tu choisis la part de la brute, si tu veux laisser un libre cours à tes passions, sans imposer à tes appétits charnels le joug de la continence, crains la plaie de l'Egypte; et si tu ne crains lias de vivre comme la brute,

1. Ex 20,14 - 2. Ex 9,6- 3. Ps 31,9

crains au moins de mourir comme elle.

9. Sixième précepte: «Tu ne tueras point (1)»; et septième plaie: «Des pustules sur le corps, des tumeurs bouillonnantes et purulentes, des plaies enflammées se formèrent de la cendre du foyer (2)». Telles sont les âmes homicides, qui bouillonnent de colère, et la colère de l'homicide a tué l'amour fraternel. L'homme s'enflamme de colère, comme il s'enflamme par les bons offices. Mais, dans un cas, c'est le feu de la santé, dans l'autre c'est le feu de l'ulcère. Des pustules brûlantes par tout le corps ne donnent écoulement qu'à des homicides intérieurement conçus; or ce feu n'est pas la santé: c'est un feu, mais non de l'esprit de Dieu. Il y a ardeur chez celui qui veut secourir, et ardeur aussi chez celui qui veut tuer: chez l'un c'est le précepte qui l'enflamme, chez l'autre la maladie; chez l'un les bonnes oeuvres, chez l'autre les ulcères purulents. Si nous pouvions voir en effet l'âme des homicides, nous verserions plus de larmes qu'à la vue des corps envahis par la gangrène.

10. Voici le septième précepte: «Tu ne déroberas point (3)». Septième plaie, «la grêle sur les fruits de la terre (4)». Ce que tu soustrais contrairement au septième précepte, tu le perds pour le ciel; car nul ne bénéficie injustement, sans subir un juste dommage. Voilà un homme qui vole, par exemple; son larcin lui donne un vêtement, mais, par le jugement du ciel, il perd la foi. Avec le gain, le dommage: le gain est visible, et le dommage invisible; le gain vient de son aveuglement, le dommage de la nuée du Seigneur. Car, mes bien-aimés, rien n'arrive sans la providence. Vous imaginez-vous que le Seigneur s'endort sur tout ce que souffrent les hommes? Tout cela parait être l'effet du hasard: des nuées qui s'amassent, des pluies qui se répandent, la grêle qui tombe, le tonnerre qui secoue la terre, les éclairs qui effrayent; tout cela paraît être l'effet du hasard et arriver sans l'intervention de la providence. Or, c'est à l'encontre de ces pensées le psalmiste prend soin de nous dire: «Louez-le Seigneur, vous qui êtes sur la terre, (le ciel déjà l'a béni), dragons et tous les abîmes, feu, grêle, neige, glace, tourillons et tempêtes, qui obéissez à sa parole (1)». La

1. Ex 20,13 - 2. Ex 9,10 - 3. Ex 20,15 - 4. Ex 9,23- 5. Ps 143,7-8

483

grêle est donc à l'extérieur le juste jugement de Dieu contre cet homme qu'un coupable désir intérieur a porté à dérober. Oh! si l'on pouvait découvrir le champ de son coeur, on verserait des larmes; car on n'y trouverait rien pour la nourriture de l'esprit, bien que son vol ait fourni de quoi rassasier le ventre. La faim est plus grande chez l'homme intérieur, la faim plus grande, la plaie plus dangereuse, la mort plus déplorable, beaucoup de morts se promènent ici-bas, beaucoup d'affamés s'élèvent dans leurs vaines richesses. Enfin l'Ecriture proclame que le serviteur de Dieu est riche intérieurement: «L'homme caché de votre coeur», nous dit-elle, «qui est riche devant Dieu». Elle ne dit point, riche devant les hommes, mais devant Dieu, riche où est Dieu. Tiens-toi sur tes gardes, ô riche; de quoi te sert ta richesse? Où l'homme ne voit point, tu dérobes, et où Dieu voit, tu subis la grêle.

11. Huitième précepte: «Tu ne diras point le faux témoignage (1)». Huitième plaie «La sauterelle, animal à la dent nuisible (2)». Que veut le faux témoin, sinon nuire par ses morsures, anéantir par ses mensonges? L'Apôtre, avertissant les fidèles de ne point chercher à se nuire par de fausses récriminations: «Si vous vous déchirez», dit-il, «et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous détruisiez mutuellement (3)».

12. Neuvième précepte: «Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain. (4)». Neuvième plaie: «D'épaisses ténèbres (5)». Il y a, en effet, une sorte d'adultère qui veut réprimer ce précepte et qui ne va même point jusqu'à convoiter la vertu d'une épouse étrangère. Mais tel est adultère, qui ne débauche point l'épouse de son prochain; seulement la sienne ne lui suffit pas; or il y a d'épaisses ténèbres non-seulement à ne se point contenter de son épouse, mais encore à rechercher celle d'un autre. Il n'est rien, en effet, de plus douloureux pour un époux, et tel qui le fait à un autre, ne le voudrait jamais souffrir. Un homme endurerait plutôt toute autre injure; mais celle-ci, je ne sais si l'on trouverait un homme pour l'endurer. O épaisses ténèbres de ceux qui commettent ces crimes, conçoivent de tels désirs! Ils sont vraiment aveuglés d'une

1. Ex 20,16 - 2. Ex 10,13 - 3. Ga 5,15 - 4. Ex 20,19 - 5. Ex 10,22

483

terrible fougue, car c'est une fougue indomptée, de souiller la femme d'un autre homme.

13. Dixième précepte: «Tu ne convoiteras aucun bien de ton prochain, ni son bétail, ni son serviteur, ni sa servante, en un mot tu ne convoiteras rien de ton prochain (1)». C'est contre un tel crime qu'est dirigée la dixième plaie: «La mort des premiers-nés (2)». Or, à propos de cette plaie, quand je cherche quelque comparaison, je ne trouve rien; un autre peut trouver mieux, surtout s'il cherche mieux, sinon que tout homme cherche à conserver son bien pour ses héritiers. Or, ici l'on condamne celui qui désire le bien de son prochain; car le vol ne s'effectue qu'à la suite de la convoitise; et nul ne dérobe le bien du prochain, qu'après avoir désiré ce bien d'un autre. Mais déjà il y a un précepte sur le vol, ce qui doit te faire comprendre que le vol par violence est défendu. Car l'Ecriture ne saurait défendre le vol, et garder le silence sur la rapine, sinon pour te faire comprendre que si l'on est coupable de prendre à la dérobée, on est bien plus coupable de prendre avec violence. Il y a donc un précepte qui défend de prendre au prochain malgré lui, soit ouvertement, soit secrètement. Or, il n'est point permis de convoiter le bien d'autrui, ce que Dieu découvre dans notre coeur, même en recherchant une légitime succession. Ceux qui veulent en effet couvrir du manteau de la justice la possession du bien d'autrui, cherchent auprès des moribonds à se faire instituer héritiers. Que peut-on, en effet, voir de plus juste, que de posséder de droit commun tel bien qu'on nous a laissé en héritage? Que fait cet homme chez toi? On m'a tout abandonné; j'ai acquis un héritage, j'en lis le testament. Rien ne paraît plus juste que ce cri de l'avarice. Et toi de répondre: Ta possession est juste; de louera un homme qui possède selon le droit. Dieu condamne celui qui désire injustement. Vois qui tu es, pour désirer qu'un autre t'adopte comme héritier; tu ne veux pas qu'il ait des héritiers. Or, parmi les héritiers, nul n'est plus cher que le premier-né; et dès lors c'est dans tes premiers-nés que tu es châtié, toi qui, en convoitant le bien d'autrui, as recherché sous l'ombre du droit ce qui de droit ne te revenait

1. Ex 20,17 - 2. Ex 12,29

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point. Perdre ses premiers-nés d'une manière corporelle, mes frères, est chose facile; car les hommes meurent soit avant, soit après leurs parents; ils sont mortels, et ils meurent. Or, ce qui est à craindre, au sujet de cette convoitise occulte et injuste, c'est la perte des premiers-nés de. ton coeur. Car en nous le premier-né porte l'image de la grâce de Dieu or, parmi tout ce qui naît dans notre coeur, le nouveau-né, le premier-né c'est la foi. Nul, en effet, ne peut faire le bien, si la foi n'est d'abord en lui, selon cette parole de l'Apôtre: «Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu (1)». Toutes les bonnes oeuvres sont pour toi des enfants spirituels, mais parmi eux c'est la foi qui est née tout d'abord. O toi, dès lors, qui convoites intérieurement le bien d'autrui, tu as perdu la foi intérieure. Tout d'abord tu vas feindre, obéir par fraude, et non par charité; tu feindras d'aimer celui dont tu veux être l'héritier, mais ton amour pour lui est de lui souhaiter la mort et de ne point lui vouloir de successeur, afin de t'établir dans la possession de son bien.

14. Allons! mes frères, après avoir parcouru les dix préceptes et les dix plaies, en comparant ceux qui méprisent les préceptes aux Egyptiens obstinés, nous vous avons mis sur vos gardes, afin que vous possédiez en paix vos biens, selon les préceptes de Dieu; oui, dis-je, vos biens, les biens intérieurs de votre coffre-fort, soigneusement cachés dans votre trésor; vos biens, que ni larron, ni voleur, ni voisin, ne saurait vous enlever, où vous n'avez à craindre ni vers, ni rouille, et que l'on peut sauver du naufrage. C'est ainsi que vous serez le peuple de Dieu au milieu des injustes Egyptiens, puisqu'ils auront ces convoitises dans leurs coeurs, tandis que vous serez sains et saufs dans ce qui est de l'homme intérieur, jusqu'à ce que le peuple sorte de l'Egypte, par un nouvel Exode, qui a lieu maintenant; car ce qui s'est fait alors, ne cesse de se faire maintenant.

15. Car, à bien voir, nous enlevons aussi les dépouilles de l'Egypte. Ce n'est point en effet, sans une raison mystérieuse, que Dieu fit emprunter aux Egyptiens de l'or, de l'argent, des vêtements, ce qui fournit contre fui une accusation aux hommes peu intelligents; on leur donna tout cela, et ils l'enlevèrent (2). Il y aurait là un vol si Dieu ne l'avait commandé.

1. He 9,6 - 2. Ex 12,35

Que votre charité veuille bien être attentive; il y aurait vol, dis-je, si Dieu ne l'avait commandé; mais comme Dieu l'avait commandé, il n'y avait point vol. Sans les accuser davantage, te voilà prêt à accuser Dieu. C'était à eux d'obéir, car Dieu, qui leur en donna l'ordre, sait ce que chacun doit souffrir, qui doit souffrir, que doit-il souffrir, et avec quelle justice. Abraham eût commis à ciel ouvert le plus détestable parricide, s'il eût sacrifié son fils spontanément; mais comme il en était autrement, son action était louable, parce qu'il obéissait à Dieu, et ce qui eût été un acte cruel dans sa volonté spontanée, devenait un acte d'obéissance à l'ordre de Dieu (1).

16. Je voudrais vous dire un mot des Actes des Apôtres. Quand Pierre était dans la prison, l'ange du salut vint à lui et fit tomber les chaînes de ses mains (2). Pierre sortit derrière l'ange et fut délivré de la prison par l'ordre de Dieu, par l'autorité de Dieu. Le lendemain, le juge l'envoya chercher pour l'entendre; il reconnut qu'il était sorti et fit emmener les gardes: «Après avoir soumis les soldats à la question, il ordonna qu'on les emmenât»; il porta contre eux la sentence, l'arrêt qu'il jugea propre à leur faire trouver Pierre. Qu'en dis-tu? Pierre fut-il l'auteur de leur mort? N'y aurait-il point fausse piété de sa part à contredire la volonté de Dieu, à répondre à l'ange qui lui ordonnait de sortir: Je ne sortirai point, de peur que mon départ ne livre à la mort ces mal. heureux hommes qui gardent la prison? On lui eût répondu: Laisse au Créateur tous ces soins, ce n'est point toi qui as tout disposé pour la naissance d'un homme, tu ne dois pas être juge de la manière dont il doit mourir; car nul ne meurt, que Dieu ne le veuille. C'est Dieu qui est juge de la manière dont nous mourrons, mais la convoitise de l'homicide n'en est pas moins condamnable. De même, ici, nous n'avons point à examiner le jugement de Dieu, mais ce qu'avait mérité cette nation coupable. Judas, en effet, livra le Fils de Dieu que l'on fit souffrir, et par la souffrance du Fils de Dieu, toutes les nations et sauvées, et toutefois ce salut des nations ne valut à Juda aucune récompense, mais son crime lui attira un châtiment bien mérité. Car si l'on doit

1. Gn 22 - 2. Ac 12

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considérer l'action de livrer le Christ, et non l'intention de celui qui le livre, Judas fit ce que fit Dieu le Père, dont il est dit a qu'il n'a pas «épargné son Fils, mais l'a livré pour nous tous (1)». Judas fit ce que fit Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, dont il est écrit «qu'il s'est livré pour nous, en s'offrant à Dieu comme une victime d'agréable odeur»; et encore: «Ainsi le Christ a aimé l'Eglise jusqu'à se livrer pour elle, afin de la sanctifier (1)». Et nous rendons grâces à Dieu le Père, qui «n'a point épargné son Fils unique, mais l'a livré pour nous». Nous rendons grâces au Fils de Dieu, «qui s'est livré pour «nous s, accomplissant ainsi la volonté de son Père. Et nous détestons Judas, dont faction a servi à Dieu pour nous accorder un tel bien, et nous disons avec justice: «Dieu lui a rendu selon son iniquité, et l'a perdu comme le méritait sa malice (2)». Car ce ne fut point pour nous qu'il livra le Christ, mais il le vendit pour de l'argent, et toutefois, cette vente du Christ devint notre rédemption.

17. Que nul, mes frères, que nul ne veuille mettre Dieu en discussion. C'est une arrogance, une impiété, une folie. Pour toi, mets un frein à tes convoitises, ne fais rien avec mauvaise intention, sois prêt à obéir et non à nuire. Ce que ces hommes d'Israël ont fait, c'est Dieu qui l'a fait. S'ils eussent commis un vol, c'est peut-être que le Christ leur Dieu avait voulu qu'ils endurassent ce qu'ils avaient enduré, lui qui leur permit de faire ce qu'ils firent; et toutefois, il réserverait une peine aux voleurs, et néanmoins exécuterait une certaine vengeance temporelle contre les victimes d'un tel larcin. Maintenant donc, ils ne l'ont point fait d'eux-mêmes, c'est Dieu qui l'a voulu faire par un juste jugement. En examinant cette cause, nous verrons qu'ils ne volèrent point l'or d'autrui, mais exigèrent seulement une récompense qui était due. Sous l'injuste oppression des Egyptiens, ils fabriquèrent des briques, et ne sortirent point sans une récompense pour les travaux si accablants de la servitude, et toutefois Dieu avait en cela son dessein. Si nous sommes en ce monde comme le peuple d'Israël en Egypte, j'ose vous dire, et je crois parler d'après l'Esprit de Dieu, dérobez aux Egyptiens leur or, leur argent, leurs vêtements; leur or ou leurs sages, leur argent ou leurs hommes éloquents,

1. Rm 8,32 - 2. Ep 5,25 - 3. Ps 93,23

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leurs vêtements ou leurs diverses langues. Ne voyons-nous pas tout cela dans l'Eglise, n'est-ce point ce que l'Eglise fait chaque jour? Combien de sages en ce monde embrassent la foi du Christ? C'est l'or enlevé aux Egyptiens. Le saint dont nous célébrons aujourd'hui la fête fut un jour de l'or ou de l'argent des Egyptiens; ces vêtements des Egyptiens, dont on recouvre en quelque sorte les sens, figurent les langues diverses. Vous les voyez sortir de l'Egypte et s'acheminer vers le peuple de Dieu. «Il n'est point de discours, point de langage dans lequel on n'entende cette voix (1)». Tel est l'or, tel est l'argent des Egyptiens; nous le voyons en sortant d'Egypte, et nous en faisons notre récompense avec nous; car ce n'est point gratuitement que nous avons travaillé dans la boue de l'Egypte. Ainsi, mes frères, de tout ce que nous pouvons vous exposer, ou que nous ne pouvons point encore, de tout ce que vous comprenez ou ne pouvez comprendre, soit qu'on vous l'expose comme nous venons de le faire, soit d'une manière supérieure, croyez que toutalors arrivait en figure aux «enfants d'Israël, et que cela est écrit pour notre instruction, à nous qui arrivons à la fin des temps (2)». Et je n'y ferais aucune attention? Et toi, chrétien, dans le sens spirituel, tu n'étudierais pas avec moi pourquoi les mages de Pharaon furent pu défaut à la troisième plaie, tu n'y verrai a qu'un effet sans cause? Je n'y chercherais rien, et je croirais que ce fait s'est accompli ou a été consigné sans dessein? Les mages de Pharaon, à l'encontre de Moïse, font des serpents avec des verges, du sang avec de l'eau, ils font des grenouilles, ils font tout cela. Ils arrivent à la troisième plaie, à ces mouches appelées moucherons, et là, font défaut ceux qui avaient fait des serpents; ceux qui avaient fait des grenouilles, font défaut devant les mouches. Assurément, cela n'est point sans raison. Frappez avec moi. A quoi est opposée la troisième plaie? Au troisième précepte de Dieu, qui impose le sabbat au peuple, qui prêche le repos, qui recommande la sanctification; car il est dit: «Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat». Enfin, dans les premiers ouvrages du monde, le Seigneur fit le jour, fit le ciel, la terre, la mer, les grands corps lumineux, les étoiles, tira des eaux les animaux,

1. Ps 18,4 - 2. 1Co 10

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et tira du limon de la terre l'homme qu'il fit à son image. Il fait tout cela, et nous ne trouvons pas encore le mot de sanctification. Tout cela se fait en six jours, et le septième jour, ou jour du repos de Dieu, est sanctifié. Dieu, qui n'a point sanctifié ses oeuvres, sanctifie son repos (1). Que dire? Allons-nous penser qu'il en est de Dieu comme de nous, qui, au milieu de nos travaux, préférons le repos à l'ouvrage? Loin de nous cette pensée, comme aussi de croire que la création était pour lui une oeuvre de fatigue et non de commandement. «Dieu dit: Que cela soit, et cela a fut». Cette manière d'agir ne serait point une fatigue même pour l'homme. Mais en ce jour, il nous a recommandé de nous reposer de tout travail, afin de nous faire comprendre qu'un jour, après toutes nos bonnes oeuvres, nous nous reposerons sans fin. Car, ici-bas, tous nos jours ont un soir, le septième n'en a point; notre travail a un terme ou soir, et notre repos est sans terme. C'est alors que la sanctification nous vient comme une parole mystérieuse, qui est le propre du Saint-Esprit. Mais quand je parle de lui, mes frères, écoutez avec indulgence, je vous en supplie, cherchez le sens que je m'efforce de donner, plutôt que mes explications; je sais qui je suis pour vous parler, et de quoi je veux vous parler: c'est un homme expliquant aux hommes les choses de Dieu. Allons, efforcez-vous avec moi, partagez mon labeur, afin de partager aussi mon repos, autant que le Seigneur me l'accordera, autant qu'il me découvrira ces mystères, autant que m'inspirera cette sagesse qui se montre volontiers dans ses voies, à ceux qui l'aiment, et qui vient au-devant d'eux d'une manière toute providentielle. Le sabbat, le repos de Dieu est donc sanctifié. C'est la première fois qu'il est parlé de sanctification, du moins que je sache et que vous sachiez vous-mêmes, c'est ce que nous croyons. Or, il n'y a point de sanctification divine et véritable qui ne vienne du Saint-Esprit. Sans doute le Père est saint, comme le Fils est saint, et néanmoins c'est à l'Esprit que ce nom est donné en propre, en sorte que la troisième personne de la Trinité se nomme Saint-Esprit. C'est lui qui «repose sur l'homme humble et calme», comme dans son sabbat. C'est pour cela qu'on attribue encore au Saint-Esprit le nombre sept. Nos Ecritures

1. Gn 2,3

le disent assez; nous laissons aux plus saints que nous de trouver des choses plus saintes, aux savants des choses plus relevées; qu'ils entrent, au sujet de ce nombre sept, dans les subtilités, et nous donnent des explications plus divines. Quant à moi, ce qui me suffit pour maintenant, je vois ceci que j'entreprends de vous faire voir, c'est que le nombre sept est attribué à l'Esprit-Saint, parce que c'est le septième jour qu'il est parlé de sanctification. Et comment prouver que le nombre septénaire est un attribut de l'Esprit-Saint? Le prophète Isaïe dit que l'esprit de Dieu vient sur le chrétien, sur tel membre du Christ. «Esprit de sagesse et d'intelligence, de conseil et de force, de science et de piété, esprit de crainte de Dieu (1)». Or, si vous m'avez suivi, j'ai énuméré sept dons, comme si l'Esprit de Dieu descendait en nous de la sagesse à la crainte, pour nous faire monter de la crainte à la sagesse. «Car la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse (2)». Ainsi donc l'esprit est septénaire, et il n'y a qu'un seul esprit en sept attributs. Voulez-vous quelque chose de plus clair? L'Ecriture sainte nous parle de la Pentecôte, solennité qui arrive après sept semaines. Vous avez l'histoire de Tobie qui s'exprime clairement sur la fête des sept semaines. Sept multiplié par sept nous donne une somme de quarante-neuf, mais comme pour nous ramener à la source; car l'Esprit-Saint nous rassemble dans l'unité, ne nous divise pas de l'unité; c'est pourquoi, en ajoutant à quarante-neuf, un ou l'honneur de l'unité, nous avons cinquante. Ce n'est donc point sans raison que, le cinquantième jour, le Sauveur déjà monté au ciel envoya l'Esprit-Saint. Le Seigneur ressuscité, sort des enfers, mais ne remonte pas encore au ciel. A dater de cette résurrection, de cette sortie de dessous terre, nous comptons cinquante jours, et le Saint-Esprit vient au nombre cinquantième, comme pour fêter sa naissance en nous-mêmes. Car le Seigneur s'entretint ici-bas avec ses disciples pendant quarante jours; au quarantième jour il monta au ciel, et après que les disciples ont passé dix jours au cénacle, en signe des dix préceptes, le Saint-Esprit descendit; car nul ne peut accomplir la loi que par la grâce de l'Esprit-Saint. Il devient clair, dès lors, que le nombre septénaire est un attribut de

1. Is 11,2 - 2. Pr 1,7

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l'Esprit-Saint. On doit regarder comme n'ayant pas l'Esprit-Saint quiconque n'adhère pas à l'unité du Christ, quiconque prend une direction contraire à cette unité. Car les disputes, les dissensions, les divisions, ne peuvent qu'aboutir, et l'Apôtre a dit de ces hommes: «L'homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l'Esprit de Dieu (1)». Il est encore écrit dans l'épître de l'apôtre saint Jude: «Ceux-là se séparent eux-mêmes, hommes sensuels, n'ayant point l'Esprit (2)». Peut-on rien trouver de plus clair, de plus évident? Bien qu'ils aient les mêmes croyances que nous, qu'ils viennent donc à nous, afin de recevoir l'Esprit-Saint qu'ils ne sauraient avoir, tant qu'ils demeurent les ennemis de l'unité. L'Apôtre les compare aux mages de Pharaon: «Ils ont», dit-il, «l'apparence de la piété, mais n'en ont point la réalité (3)». Oui, avec cette apparence de piété, ils firent d'abord des prodiges semblables, mais parce qu'ils n'en avaient point la réalité, ils furent impuissants au troisième (4).

18. Mais cherchez encore avec moi pourquoi cette défaillance au troisième signe. Qu'importe à quel signe cette défaillance vienne éclater, au second ou au quatrième signe, puisqu'ils doivent défaillir? Pourquoi dont fut-ce au troisième? Mais voyez, comme je vous l'ai promis, si l'Apôtre saint Paul ne compare point les hérétiques à ces mages. «Ils ont», dit-il, «la forme de la piété sans en a avoir la réalité: fuis encore ceux-là. Car il en est parmi eux qui s'insinuent dans les maisons, qui entraînent après eux, comme captives, des femmes chargées de péchés et poussées par divers désirs; lesquelles ape prennent toujours sans jamais parvenir à connaître la vérité (5)». Ils entendent continuellement rendre témoignage à l'Eglise catholique, et ne veulent point venir à l'Eglise catholique. Ils disent sans cesse, et ne cessent point d'entendre: «En ta postérité seront bénies toutes les nations (6)»; ils ne cessent d'entendre: «Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et tu posséderas les confins de la terre (7)»; d'entendre encore: «Toutes les familles de la terre se

1. 1Co 2,14 - 2. Jud 1,19 - 3. 2Tm 3,5

4. Saint Augustin avait raison de nous dire qu'il y a des difficultés dans les explications qu'il donne; ces difficultés redoublent encore à cause de l'altération du texte en bien des endroits, ce qui fait le désespoir du traducteur.

5. 2Tm 3,5 et suiv.- 6. Gn 2,1-2 - 7. Ps 2,8

souviendront du Seigneur et reviendront à lui (1)»; d'entendre enfin: «Il dominera jusqu'à la mer, et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre (2)». Voilà ce qu'ils entendent sans cesse, ce qu'ils apprennent sans cesse, et néanmoins sans arriver à la science de la vérité. Voyez maintenant ce que je vous ai promis. Que dit ensuite l'Apôtre? «De même que Jamnès et Mambré résistèrent à Moïse, de même ceux-ci font opposition à la vérité, hommes corrompus dans l'esprit et pervertis dans la foi». Que dit-il encore? «Mais ils n'iront pas au-delà, car leur folie sera connue de tout le monde, comme le fut celle de ces hommes». Voyez donc pourquoi ils succombèrent au troisième signe. Souvenez-vous que ceux qui s'opposent à l'unité n'ont point le Saint-Esprit. Or, il est facile de voir que les trois premiers préceptes du décalogue ont pour objet l'amour de Dieu, et les sept derniers se rapporteraient à l'amour du prochain; en sorte que les deux tables de la loi et les dix préceptes pourraient se résumer sommairement dans ces deux: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toutes tes forces, et tu aimeras ton prochain comme toi-même: ces deux préceptes résument a toute la loi et les Prophètes (3)». Reportons donc les trois premiers préceptes à l'amour de Dieu. Quels sont ces trois premiers? Premier: «Tu n'auras pas d'autre Dieu que moi», et auquel est opposée la plaie de l'eau changée en sang, parce que le principe souverain du Créateur avait été ramené à l'image d'une chair humaine. Second précepte: «Ne prends pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu». Autant que j'en puis juger, il s'agit du Verbe ou Fils de Dieu. «Car il n'est qu'un seul Dieu, et un seul Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui tout a a été fait (4)». A l'encontre du Verbe, les grenouilles. Comprends les grenouilles à l'encontre du Verbe, le bruit à l'encontre de la raison, la vanité à l'encontre de la vérité. Le troisième précepte, concernant le sabbat, est dans les attributs de l'Esprit-Saint, à cause de. cette sanctification que nous entendons pour la première fois au jour du sabbat, ce que nous vous avons signalé avec autant d'instance qu'il nous a été possible. Or, l'opposé de

1. Ps 21,58 - 2. Ps 71,18 - 3. Mt 22,37-38 - 4. Rm 11,36

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ce précepte fut la turbulence dans ces mouches nées de la pourriture, et qui s'en prenaient aux yeux. Or, les magiciens succombèrent à ce troisième signe, parce que les ennemis de l'unité n'ont point l'Esprit-Saint, tel est le châtiment qu'il leur inflige. L'Esprit-Saint a des faveurs et des châtiments les premières, c'est devenir en nous; les seconds, de nous abandonner. Enfin, pour comprendre plus clairement, par l'aveu des mages de Pharaon, quel nom reçut l'Esprit-Saint, voyons comment il est nommé dans l'Evangile. Comme les Juifs jetaient au Sauveur ces outrageantes paroles: «Celui-ci ne saurait chasser les démons que par Béelzébub, prince des démons», il répondit: «Si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons, assurément le royaume de Dieu est venu vers vous (1)»; ce qu'un autre évangéliste nous raconte ainsi: «Si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons». Ainsi, ce qu'un évangéliste appelle: «Esprit de Dieu (2)», un autre l'appelle

1. Mt 12,24 - 2. Lc 10,20

«Doigt de Dieu»; donc l'Esprit de Dieu est aussi doigt de Dieu. C'est pourquoi la loi fut écrite par le doigt de Dieu, loi qui fut donnée sur le mont Sinaï, le cinquantième jour après l'immolation de l'agneau, après que le peuple juif, eut célébré la pâque. Quand s'accomplit le nombre de cinquante jours après l'immolation de l'agneau, la loi est donnée écrite par le doigt de Dieu; et quand s'accomplit le nombre de cinquante jours après la mort du Christ, le Saint-Esprit descend. Béni soit le Seigneur qui se cache providentiellement, pour apparaître avec douceur. Voyez encore les mages de Pharaon faire cet aveu si clair; succombant au troisième signe, ils s'écrièrent: «Le doigt de Dieu est ici (1)». Bénissons le Seigneur qui donne l'intelligence et qui donne le verbe. S'il n'y avait sur tout cela un voile mystérieux, on le rechercherait avec moins d'avidité; et si on le recherchait avec moins d'avidité, on goûterait, en le trouvant, moins de douceur.

1. Ex 8,10





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