Augustin, Sermons 1020

1020

VINGTIÈME SERMON. AVANT PAQUES, SUR LE JEUNE, LA MISÉRICORDE ET LE BAPTÊME.

ANALYSE. - 1. Le jeûne, l'aumône et le baptême plus spécialement requis aux approches de la fête de Pâques. - 2. Apostrophe à ceux qui diffèrent la réception du baptême; - 3. Et à ceux qui négligent le jeûne. - 4. Conclusion.

1. A l'approche de la fête de Pâques, le Seigneur exige trois choses de son peuple: le jeûne, les oeuvres de miséricorde et la foi du saint baptême. Ces pratiques, sans être excessives, sont tellement agréables à Dieu qu'il les prescrit dans sa miséricorde, comme il les prescrit également dans sa colère. En effet, le Seigneur dit aux prêtres: «Sanctifiez les jeûnes, annoncez la guérison, rassemblez les vieillards et tous les habitants de la terre, dans la maison du Seigneur votre Dieu; priez le Seigneur, et il vous exaucera (1)». L'Evangéliste nous prouve également que Dieu commande les oeuvres de miséricorde: «Donnez et il vous sera donné (2)». Quant à la foi du baptême nous lisons: «Dans le dernier

1. Jl 1,14 - 2. Lc 6,38

grand jour de fête, Jésus se tenait debout et criait à haute voix: Que celui qui a soif vienne à moi et qu'il boive (1)». Ailleurs: «Celui qui aura bu de l'eau que je donne n'aura plus soif éternellement (2)». Or, je vois que, à l'exception d'un petit nombre, personne n'a soif du baptême, quoiqu'on soit dévoré par de grandes fièvres, et par les feux les plus ardents. Ce n'est point sans raison que Dieu, dans tout le cours de l'année, exige le jeûne, l'aumône et la foi de ceux qui refusent encore de croire. Ce n'est pas sans raison qu'il confère aux malades qui en sont dignes ce baptême qu'ils ont refusé à Pâques, sous le vain prétexte qu'ils étaient joyeux, sains et vigoureux. L'Apôtre n'a-t-il pas dit:

1. Jn 7,37 - 2. Jn 4,13

288

«Voici que plusieurs d'entre vous sont infirmes et malades, et plongés dans un profond sommeil. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés; mais en nous jugeant le Seigneur nous châtie pour nous épargner le malheur d'être condamnés avec ce monde (1)?» Rien n'est plus pénible que la souffrance, rien n'est plus cruel que la maladie, rien n'est plus doux que la santé; mais pour le salut, rien n'est plus utile que le jeûne. Toutefois la prescription en est dure; mais ne regarde-t-on pas comme très-salutaires les remèdes qu'un médecin prescrit pour détruire la maladie? O opiniâtre mortalité! n'est-ce pas elle cependant qui sert à prouver l'utilité du jeûne? Accomplissez pour Dieu les jeûnes que vous imposent les évêques, si vous ne voulez pas qu'ils vous soient imposés par les médecins, selon cette parole de Salomon: «Ne vous flattez pas de sagesse à vos propres yeux, mais craignez le Seigneur, et abstenez-vous de tout ce qui est mal. Alors vous jouirez de la santé dans votre corps et de la vigueur dans vos ossements (2)». Jeûnez pour Dieu, puisque vous avez la santé, si vous ne voulez pas jeûner sous les étreintes de la fièvre.

2. Parlons d'abord du baptême. «Jésus», dit l'Evangile, «criait à haute voix: Que celui qui a soif vienne à moi et qu'il boive». Le Fils de Dieu nous appelle et il est méprisé, dédaigné; il invite les peuples à la grâce, et on se joue de ses instances. Il presse chacun de nous d'implorer sa clémence. Il nous prépare une source très-pure et unit la foi du saint baptême au sacrement de sa passion. Il nous appelle tous à la foi, mais par amour pour leur propre péché des malheureux refusent la grâce qui leur est offerte. Mais vienne pour eux un commencement de correction, tin commencement de rénovation, et ils se voient contraints de vouloir ce qu'auparavant ils ont refusé. Ils réclament à grands cris ce qu'ils ont négligé de recevoir lorsque Jésus-Christ les appelait. C'est alors que les voisins ou les parents du malade accourent vers nous en disant: Serviteurs de Dieu, bâtez vos pas, venez au secours, sauvez ceux qui vont mourir. Le trouble nous saisit, nous accourons; la crainte est encore plus vive pour nous que pour eux; celui qui ne reçoit pas pour

1. 1Co 2,30-32 - 2. Pr 3,7-8

vivre, reçoit du moins pour ne pas mourir. Ecoutons l'apôtre saint Paul: «Que font ceux qui sont baptisés pour leurs morts, si les morts ne ressuscitent pas? Pourquoi donc sont-ils baptisés? Pourquoi sommes-nous en danger à chaque heure, mourant chaque jour? C'est ainsi que je jouirai de votre gloire que je possède dans le Seigneur. Si, contraint par les hommes, j'ai combattu les bêtes féroces à Ephèse, quel avantage m'en restera si les morts ne ressuscitent pas? Mangeons et buveons, car nous mourrons demain. Ne vous laissez point séduire; les conversations mauvaises corrompent les bonnes moeurs (1)».

3. Isaïe dans un langage énergique, apostrophe les hommes qui négligent le jeûne «Vous dites: mangeons et buvons, car nous «mourrons demain. Ce péché ne vous sera «pas remis jusqu'à ce que vous mouriez (2)». Si vous désespérez de vivre, servez Dieu pendant que vous vivez; car vous mourrez demain. Vous êtes pressé par la brièveté du temps, et plus la foi de Dieu s'impose à vous dans sa nécessité, plus, chaque jour, vous mettez votre vie en opposition avec la foi. O homme! si vous étiez immortel, que feriez-vous donc, puisque dans le moment même que la mort vous menace vous méprisez les préceptes de Dieu? Goûtez de toute sorte de nourritures, chargez votre corps d'aliments et dormez. Donnez libre cours à votre intempérance, insultez Dieu dans les bienfaits dont il vous comble pour vous nourrir et vous vêtir. Pendant que le peuple jeûne, vous faites des festins; quand le peuple fera des festins, vous jeûnerez. C'est un Prophète qui a dit: «L'un a faim, et l'autre est dans l'ivresse (3)». Il condamne les caprices de votre estomac, ses plaintes et les vices engendrés par la bonne chère; la privation de ces excès est pour vous une souffrance; comment donc l'Apôtre vous excuserait-il, lui qui condamne à manger des légumes celui qui n'usait de viande qu'en vue de Dieu ou pour ménager son estomac? «Que celui qui est faible», dit-il, «mange des légumes (4)»; et ailleurs: «Ce n'est pas la viande qui nous donne du prix devant Dieu (5)».

4. La loi prescrit ce que le prêtre commande. Elle prescrit les jeûnes, qui sont toujours

1. 1Co 15,19-33 - 2 Is 22,13-14 - 3. 1Co 11,21 - 4. Rm 14,2 - 5. 1Co 8,8

289

jours le meilleur remède aux maladies et à l'embarras des affaires. Celui qui ne jeûne pas en temps opportun, jeûnera dans les moments les plus défavorables. La loi de la miséricorde réclame la partie refusée aux pauvres. Elle réclame les gains impies opérés par un mé. chant au détriment d'un pauvre débile. Elle exige chaque jour que ceux qui doivent être baptisés rendent compte du nombre des années qu'ils ont perdues, et l'obligation qui pesait sur un jour continue à peser sur l'année tout entière. C'est donc en vain que vous essayez de vous soustraire à votre devoir par indévotion; ce devoir reste pour vous obligatoire pendant toute l'année. La nécessité vous impose ce qu'a repoussé le déréglement de votre volonté.




1021

VINGT ET UNIÈME SERMON. SUR LA FÊTE DE PAQUES. PREMIER SERMON.

ANALYSE. - 1. La féte de Pâques nous provoque à la joie, parce que tout y est nouveau. - 2. La grâce de Jésus-Christ mourant, ressuscitant, montant au ciel. - 3. Jour de joie et de reconnaissance. - 4. Epilogue.

1. Une lumière éclatante brille pour nous aujourd'hui, parce que le bon Larron est entré dans le ciel sur les pas du Roi des rois. La foule des morts s'est levée, et la conscience des vivants a triomphé. Contemplez l'Eglise, voyez la multitude des élus, les légions des anges, l'armée des fidèles entourant le précieux autel du Seigneur. La foule est dans la joie, parce que le Seigneur des anges est ressuscité. Les morts sont sortis des enfers et sont redevenus vivants, les hommes sont sortis purifiés de la source d'eau vive et entièrement renouvelés; Dieu, dans sa bonté, a pris soin de ressusciter les morts et de renouveler en nous le vieil homme, selon cette parole de l'Ecriture: «L'ancien a disparu, tout est devenu nouveau (1)». Voilà pourquoi nous nous écrions tous: «Voici le jour que le Seigneur a fait; réjouissons-nous et tressaillons d'allégresse (2)». Comment les morts se sont-ils réjouis en sortant de leur tombeau? Comment ceux qui ont repris naissance ontils tressailli d'allégresse en sortant de la source sacrée? Ceux-là ont chanté le cantique nouveau sur la vie nouvelle, et ceux-ci ont

1. 2Co 5,17 - 2. Ps 117,24

chanté l'Alleluia en recevant la grâce précieuse. Disons tous: C'est le jour de la lumière, le jour du pain, afin que nous ne soyons plus soumis ni à la faim ni aux ténèbres; rassasions-nous, au contraire, du pain de la grâce, et non pas de l'obscurité des nations barbares, car aujourd'hui l'armée des Anges se réjouit avec nous. Que personne ne désire plus le pain matériel, car aujourd'hui est ressuscité «le pain vivant qui est descendu du ciel (1)». Aujourd'hui les chaînes des enfers sont rompues, que les chaînes de tous les péchés se rompent également.

2. Que notre mère la sainte Eglise surabonde de joie dans la personne de tous ses enfants. Venez, Seigneur, et dites-nous «La paix soit avec vous, n'ayez aucune crainte (2)», et nous jouirons d'une grande sécurité, car en célébrant la loi nous posséderons en toutes choses la lumière éternelle et nous dirons: «Si je marche au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi, Seigneur (3)». Soyez donc avec nous, Seigneur, afin que nous n'ayons plus à craindre les

1. Jn 6,51- 2. Lc 4,36 - 3. Ps 22,4

290

ombres de la mort et que nous nous réjouissions éternellement en Notre-Seigneur Jésus-Christ souffrant, ressuscitant et montant au ciel. Par lui puissions-nous nous élever et nous convertir au Seigneur. Le Seigneur est né, et le monde a repris naissance; il a souffert, et l'homme a été sauvé; il est ressuscité, et l'enfer a gémi; il est monté au ciel, et le trône paternel a tressailli de joie. Pendant que le Sauveur souffrait, les morts ressuscitaient et les vivants se réjouissaient; lorsqu'il ressuscita, les captifs sentaient leurs chaînes disparaître, et les anges ne pouvaient contenir leur joie; quand il monta au ciel, les esprits célestes furent enivrés de bonheur, et les Apôtres furent attristés; «mais leur tristesse se changea en joie (1)», et dissipa les ténèbres qui les retenaient dans l'erreur. C'est ainsi que pour nous, après la nuit de labeur, rayonne la joie de la lumière à la splendeur du Dieu Sauveur, selon cette parole: «Vous avez changé ma tristesse en joie (2)».

3. La mort de Jésus-Christ déchirait le voile du temple, brisait les coeurs les plus durs, couvrait la nature d'épaisses ténèbres et inondait nos visages de clartés spirituelles, afin «de nous faire contempler la gloire du Seigneur à visage découvert (3)». Un voile mystique enveloppait la loi ancienne; ce voile a été déchiré; «la nuit a précédé, le jour s'est approché (4)». Car voici «Le jour que le Seigneur a fait, qu'il soit pour nous un sujet de joie et d'allégresse (5)». Tous les jours sont l'oeuvre de Dieu, mais celui-ci a été marqué de son sang. Les morts ressuscités se sont réjouis, combien plus la joie de ce jour doit-elle nous faire tressaillir. Ces morts parcouraient la cité sainte; pour nous, nous irons à la sainte Eglise; ils se réunissaient au banquet des saints, pour nous, nous participerons à la table des mystères de Dieu. Que l'armée des anges s'associe à notre joie et à

1. Jn 16,20 - 2. Ps 29,12 - 3. 2Co 3,18 - 4. Rm 13,12 - 5. Ps 117,24

notre banquet, offrons nos présents, élevons nos coeurs et modulons sur nos cithares ce chant d'allégresse: «Je monterai à l'autel de Dieu, au Dieu qui réjouit ma jeunesse (1)». Nos iniquités sont pardonnées, nos chaînes sont rompues; car c'est Dieu lui-même qui réjouit notre âme; disons donc de nouveau: «Voici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous et tressaillons d'allégresse».

4. Que personne ne s'attriste s'il se sent pressé par de vives exhortations de prendre la vie plutôt que sa dignité. Quelle que soit, d'ailleurs, la simplicité de son vêtement, qu'il lui suffise de briller par les qualités de l'esprit et du coeur; car il possédera de cette manière la plus belle gloire, celle de trouver sa joie, non pas dans un vêtement, mais dans la sainteté de ce grand jour. En effet, on ne nous dit pas: Tressaillons dans notre vêtement; mais: «Réjouissons-nous en ce jour». Ce jour ne connaît pas les ténèbres, parce que lui-même le premier a dissipé les ténèbres; il ne connaît pas l'obscurité, puisqu'il a chassé toute obscurité; il ne connaît pas la calomnie et la suggestion du mal, parce que sur la croix il a détruit nos titres au châtiment. Par son innocence le Rédempteur nous a mérité l'élection divine, le calomniateur s'est enfui, le père du mensonge a perdu sa cause. Jour d'indulgence, jour de rémission, jour de délivrance! La joie fait tressaillir les vivants, et les morts éprouvent un soulagement ineffable. Ce jour joyeux, large, libre et éclatant, a est comme mille années en présence de «Dieu (2)»; car «c'est vraiment le jour que Dieu a fait». Celui qui, toute sa vie, persévérera dans l'amour de Dieu, méritera de se réjouir éternellement dans ce jour, dans lequel les saints feront entendre des chants d'allégresse, seront inondés de toutes les splendeurs, partageront les joies du Sauveur et diront et répéteront en choeur: «Voici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous et tressaillons d'allégresse».

1. Ps 42,4 - 2. Ps 89,4

291




1022

VINGT-DEUXIÈME SERMON. SUR LA FÊTE DE PAQUES. DEUXIÈME SERMON.

ANALYSE. - 1. Au moment où les disciples étaient en proie à la tristesse la plus profonde et les Juifs à une surveillance inutile, Jésus-Christ ressuscite. - 2. Il sort du tombeau scellé comme il était sorti du sein immaculé de sa mère. - 3. A la vue de l'Ange les saintes femmes et les disciples se réunissent, mais les Juifs frémissent de colère. - 4. La défaite des démons et des Juifs est pour les gentils une source abondante de lumières. - 5. Nous participons à la victoire de Jésus-Christ.

1. Frères bien-aimés, dans ce jour saint, illustre et glorieux, dans ce jour dont le Psalmiste a dit: «C'est le jour que le Seigneur a fait (1)», dans cet heureux jour la tristesse a disparu du coeur des disciples et le voile de la confusion s'est étendu sur les yeux des Juifs. En ce jour de la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, les disciples étaient d'abord remplis de tristesse; chacun d'eux s'éloignait où il pouvait, et personne n'était plus là pour les rassembler depuis que s'était accomplie cette parole: «Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées (2)». Toutefois le tombeau était revêtu du sceau des Juifs et entouré de soldats qui en défendaient l'entrée; mais intérieurement ce tombeau était inondé d'une lumière dont rien ne pouvait empêcher la diffusion. Nous pouvons lier ce que nous revêtons de notre sceau; mais nous ne pouvons lier la lumière, Voilà pourquoi Jésus-Christ, lumière éternelle qui a éclairé le monde dès le commencement, Verbe coéternel au Père, lequel Verbe est et sera toujours avec le Père dans l'unité du Saint-Esprit, formant ainsi un seul Dieu dans la Trinité des personnes, et la Trinité dans l'unité; Jésus-Christ, disons-nous, Dieu et homme tout ensemble, lumière admirable et vérité infinie, a daigné toucher nos coeurs afin d'illuminer ce qui était obscur et d'ouvrir ce qui était fermé. C'est à la parole d'un Ange qu'il s'était incarné dans le sein de Marie, c'est encore un Ange qu'il prend pour témoin de sa résurrection, comme si le sceau apposé sur le sépulcre pouvait nuire à Celui que

1. Ps 118,24 - 2. Mt 26,31

nulle imposture ne pouvait atteindre. Des gardiens étaient consignés et ils remplissaient leur mission. Ne savaient-ils pas que Celui qu'ils gardaient avait le pouvoir de faire des miracles, de chasser les démons, de guérir les lépreux, de ressusciter les morts? Celui qui pouvait ressusciter les autres ne pouvaitil donc pas s'arracher lui-même au tombeau?

2. Mais dans l'aveuglement de leurs coeurs, la foule des juifs, armés de la loi qu'ils necolnprenaient pas, chantaient le psaume troisième, mais ne connaissaient pas l'unité de Dieu dans la trinité des personnes. Le psaume troisième porte: «J'ai dormi et j'ai pris mon sommeil, et je suis ressuscité parce que Dieu m'a reçu (1)». Or, pendant que ces Juifs, attentifs aux événements, se préparaient à couvrir de confusion les disciples, ils méritèrent de se sentir eux-mêmes écrasés sous le poids de la honte. Ils dirent à Pilate: «Scellons le tombeau, parce que ce séducteur a dit qu'il ressusciterait le troisième jour. Qu'on place donc des soldats, disent-ils, dans la crainte que les disciples ne viennent et ne l'emportent (2)». Mais si le tombeau était fermé aux disciples, pouvait-il être fermé aux saints Anges? Ne pouvait-il sortir du tombeau scellé, Celui qui avait pu naître d'une Vierge immaculée? Votre Vierge a été scellée, votre sépulture l'a été également. Votre Vierge a engendré en dehors de toutconcours de l'homme, et le sceau apposé sur le tombeau a été parfaitement inutile. Ces gardes que vous avez postés au sépulcre ne sont plus des gardes, mais des témoins. Ils pouvaient

1. Ps 3,6 - 2. Mt 27,61-63

292

garder, mais Dieu avait envoyé sols Ange pour ressusciter son Fils. En effet, l'Ange du Seigneur était descendu du ciel; à cette vue les gardiens sont saisis de terreur et d'effroi; ils n'ont pu contempler la sublimité de cet ange, parce qu'ils étaient tout remplis de la fourberie des Juifs.

3. Les saintes femmes purent contempler l'ange de la résurrection, parce qu'elles étaient venues en pleurant au tombeau, et elles purent entendre cette parole d'une joie indicible: «Je sais que vous cherchez Jésus crucifié: il n'est plus ici, il est ressuscité, comme il l'avait annoncé; venez et voyez la place où le Seigneur avait été déposé (1)». Quel sujet de joie non-seulement pour ces femmes, mais aussi pour tous les chrétiens et les vrais croyants! Jésus est ressuscité, dit l'ange, et David, rempli du Saint-Esprit, avait déjà prophétisé ce grand événement dans cette courte parole: «Le Seigneur est ressuscité comme s'il n'eût été qu'endormi (2)». Pourquoi recourir à de plus longs développements? Que la foi suffise pour recevoir ce que le langage est impuissant à décrire. Qui peut comprendre l'oeuvre salutaire accomplie dans cette nuit qui vient de s'écouler; qui peut concevoir la splendeur de ce jour? Ce jour a causé à tous les chrétiens une joie immense, et, grâce à Jésus-Christ, il restera pour nous le plus beau de tous les jours. «Réjouissons-nous, mes bien-aimés, et tressaillons d'allégresse; car c'est le jour que le Seigneur a fait (3)». Je crois, mes Frères, que c'est le seul jour qui mérite à nos yeux le nom de grand. Car ce jour brille dans les ténèbres, «et les ténèbres ne l'ont point compris (4)». J'appelle ténèbres ces Juifs qui, en niant Jésus-Christ la vraie lumière, et en criant: «Crucifiez, crucifiez-le (5)», sont devenus en plein jour les ténèbres les plus épaisses. Parce que les Juifs ont voulu se saisir de Jésus-Christ pendant la nuit, ils ont été condamnés à rester dans les ténèbres.

4. Quant aux Gentils et aux nations étrangères, en renonçant aux ténèbres des idoles elles ont mérité de devenir le jour, selon cette parole de l'Apôtre: «Jésus-Christ nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a transférés dans le royaume de sa majesté (6)». Nous lisons également: «Nous

1. Mt 28,56 - 2. Ps 78,65 - 3. Ps 117,24 - 4. Jn 1,5 - 5. Jn 19,6 - 6 Col 1,13

sommes les enfants de la lumière et les enfants du jour, et non pas les enfants de la nuit ou des ténèbres; marchons donc honnêtement à la lumière du jour (1)». «Réjouissons-nous» donc, mes frères, avec tous ces gentils; car c'est le jour que le Seigneur a fait». Serpent, à quoi vous a servi votre iniquité? et quels profits avez-vous retirés de votre cruauté? Juifs, Celui que vous avez cloué à la croix est ressuscité. Vous le croyiez mort, et il vient de se montrer plein de vie. Juif cruel, fais sceller avec soin le sépulcre; apposte des soldats de garde pour surveiller tous les secrets de la nuit, afin de prouver la mort de Celui que tu n'as pas voulu reconnaître vivant. A Judas tu as donné une somme d'argent, afin qu'il consentît à livrer son Maître à la mort; donne aussi de l'argent aux soldats de garde, afin qu'ils publient faussement que Jésus a été enlevé par ses disciples. Versez l'argent, Juifs endurcis, versez l'argent pour assurer la perpétration de votre crime; pourtant, c'est en vain que vous veillez autour de notre tombeau. Jésus est déjà ressuscité, il est déjà monté au ciel, il est déjà glorifié pour nous, lui qui pour nous s'était humilié profondément. Que ferez-vous donc, vous qui, après avoir été les amis de Dieu, vous êtes faits ses ennemis acharnés? Celui que, par jalousie, vous avez attaché à la croix, est maintenant assis dans le ciel à la droite de son Père; c'est lui qui nous «est venu au nom du Seigneur (2)».

5. «Le Seigneur Dieu a brillé du plus vif éclat à nos yeux (3)», il nous a inondé de sa lumière et «il vous a foulés aux pieds (4)». Le Seigneur a fait plus en notre faveur, qu'il n'avait promis à son Fils. Car qu'a-t-il fait, et qu'a-t-il promis à son Fils? Le Psalmiste s'écrie: «Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à servir d'escabeau à vos pieds (5)». Voici donc que Jésus-Christ siège au ciel à la droite de son Père, et sur la terre il a soumis les Juifs à nos pieds. Pourquoi, ô Juif féroce, vous êtes-vous emparé du Sauveur pour le faire mourir? Si vous conserviez pour vous ce que vous aviez acheté, vous ne perdriez pas ce que vous aviez. Vous avez perdu votre argent, et Celui que vous avez acheté avec cet argentvient de vous échapper.

1. 1Th 5,5 Rm 13,13 - 2. Mt 21,19 - 3. Ps 117,27 - 4. Mt 7 - 5. Mt 111,1

293




1023

VINGT-TROISIÈME SERMON. SUR LA FÉTE DE PAQUES. (TROISIÈME SERMON.

ANALYSE. - 1. Le corps de Jésus-Christ est dans le tombeau, et son âme est descendue dans les limbes. - 2. Résurrection de Jésus-Christ. - 3. Protestation de saint Pierre en réparation de son renoncement.

1. «Notre Dieu, roi avant tous les siècles, a opéré notre salut au milieu de la terre (1)». En Jésus-Christ l'homme souffrait, mais la divinité agissait. L'homme a pu goûter les douleurs de la Passion; mais quelle atteinte pouvait être portée à la puissance divine? Dans le divin Crucifié nous trouvons la chair, le sang et l'âme qui était la vie de son corps, et comme son âme n'a pu mourir, son corps seul a été déposé dans le tombeau. De son côté, cette âme toujours unie à la Divinité prenait possession du fruit de sa victoire et tirait les élus des limbes où ils étaient renfermés. La divinité en Jésus-Christ pouvait-elle mourir quand son âme elle-même bravait les atteintes de la mort? Aucune souillure ne l'avait infectée; elle souffrit, il est vrai, puisqu'elle appartenait à l'humanité du Sauveur, mais en même temps elle partagea les gloires de la divinité. La mort atteignit le corps de Jésus-Christ; mais sa divinité, triomphant du trépas, se couronna des dépouilles de la mort et les transporta glorieuses dans les cieux. A son approche les vertus célestes interpellent les princes de la mort en ces termes: «Princes, élevez vos portes, et vous, portes éternelles, élevez-vous, et le Roi de gloire entrera (2)». Le Seigneur Jésus fait briller la lumière de la vérité aux yeux de ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort, et leur annonce la délivrance. A la vue de leur triomphateur rayonnant de tant de gloire, les auteurs de la mort s'écrient d'une voix craintive: «Quel est ce roi de gloire?» Et ils reçoivent cette réponse: «C'est le Seigneur fort et puissant, c'est le Seigneur puissant dans la guerre (3)».

1. Ps 72,12- 2. Ps 23,6 - 3. Ps 23,8

O guerre enfin terminée! Guerre sur la terre, guerre dans les enfers! Par son innocence Jésus-Christ a vaincu le siècle, et par sa mort il a vaincu la mort.

2. «Voici que le lion de la tribu de Juda a vaincu (1)»; il a délivré ceux que le démon retenait captifs et en revenant des limbes il emmenait avec lui le butin qu'il avait fait sur la mort. Tel est Celui qui «n'ayant ni forme ni beauté (2)» a montré dans sa résurrection non-seulement de la beauté, mais de la force; il paraissait faible dans la lutte, mais il se montra fort dans le succès; il paraissait méprisable dans son corps humilié, mais il se montra puissant dans le combat; la mort le couvrit de honte, mais la résurrection l'inonda de splendeur; il sortit du sein de sa Mère dans toute la blancheur de l'innocence, et sur la croix il parut tout couvert de son sang; dans les opprobres il parut anéanti, au ciel il brille d'un éclat incomparable. Mes frères, glorifïons donc le Seigneur «qui a, jusqu'à ce point, aimé le monde (3)», qu'il n'a pas craint de verser pour lui tout sou sang. Il est ressuscité, chaque jour cette résurrection nous est attestée parie témoignage des évangélistes. Il est sorti glorieux du tombeau, et «voici qu'il est avec nous, tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles (4)».

3. L'Evangile vient de vous apprendre également que le Sauveur a confié au bienheureux Pierre la conduite de son troupeau Pais nies brebis avec discipline. Pierre, qui avait renié trois fois par crainte est interrogé trois fois sur son amour. Pour expier sa faute, il avait déjà versé d'abondantes larmes quand

1. Ap 5,5 - 2 Is 53,2 - 3. Jn 3,16 - 4. Mt 28,20

294

le Sauveur, dans sa Passion, abaissa sur lui son regard, et «il pleura amèrement (1)». Afin donc de se réintégrer dans sa profession de foi, il dut formuler une protestation de cet amour qu'il avait perdu par crainte. C'est ainsi, mes frères, que le bienheureux Pierre confesse ouvertement Celui qu'il avait nié par

1. Lc 22,62

crainte devant une servante, et celui qui, en présenced'une femme, avait nié sa propre vie, accepta plus tard, pour Jésus-Christ, la mort sur la croix et mérita la palme du martyre. Qu'il reste donc en communion avec Pierre, celui qui veut avoir part à l'héritage de Jésus-Christ, de qui nous vient toute bénédiction,




1024

VINGT-QUATRIÈME SERMON. SUR LA FÊTE DE PAQUES. QUATRIÈME SERMON.

ANALYSE. - 1. Jésus-Christ est sorti du sein de Marie comme il pénètre au milieu des Apôtres, les portes fermées. - 2. La conduite même de ses ennemis est une excellente preuve de sa résurrection. - 3. La résurrection est également prouvée par le témoignage de l'Ange. - 4. Apparition du Sauveur à Marie-Madeleine.

1. «Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous (1)». «Le Verbe s'est fait chair», et comment s'est-il fait chair? Nous l'ignorons. Dieu nous atteste cette vérité, mais elle est pour nous un mystère. Je sais que «le Verbe s'est fait chair», et j'ignore comment il s'est fait chair. Vous vous étonnez de cette ignorance? Elle est le partage de toute créature. «Car le mystère qui a été caché dans tous les siècles a été révélé dans notre siècle (2)». Quelqu'un me dira peut-être Puisque ce mystère a été révélé, comment pouvez-vous dire encore que vous l'ignorez? Dieu nous a révélé ce qui a été fait, mais le comment reste pour nous un mystère. Isaïe s'écriait: «Qui racontera sa génération (3)?» Et cependant lui-même avait dit précédemment: «Voici qu'une vierge concevra dans son sein et enfantera (4)». Ces dernières paroles nous attestent ce qui a été fait, tandis que les premières: «Qui racontera sa génération?» nous prouvent que si nous savons qu'il est né, nous ne savons pas comment il est né. La sainte et bienheureuse Marie est à la fois mère et vierge, vierge avant l'enfantement,

1. Jn 1,11 - 2. Col 1,19 - 3 Is 53,8 - 4. Is 7,11

vierge après l'enfantement. Je me demande avec étonnement comment un enfant vierge a pu naître d'une vierge, et comment, après avoir enfanté, cette mère a pu rester vierge. Vous voulez savoir comment Jésus est né d'une vierge et comment, après lui avoir donné naissance, sa mère est restée vierge? Les portes étaient fermées et Jésus est entré. Personne ne doute que les portes n'aient été fermées; et celui qui est entré, les portes étant fermées, n'était pas un fantôme, n'était pas un esprit, c'était un corps véritable. Que dit-il, en effet? «Regardez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai (1)». Il avait la chair, il avait les os, et les portes étaient fermées. Comment, les portes étant fermées, de la chair et des os sont-ils entrés? Les portes sont fermées et il entre; nous le voyons entré, mais comment est-il entré? Toutes les portes sont fermées, aucun lieu ne lui fournit d'entrée, on ne voit point par où il est entré, et cependant il est entré; car le voilà dans l'intérieur de la salle, au milieu de ses disciples. Vous ne savez pas comment il est entré, et sur ce comment vous

1. Lc 24,39

295

vous en remettez à la toute-puissance de Dieu. Remettez-vous-en donc à la puissance de Dieu, quand on vous dit que le Sauveur est né d'une vierge, et que sa mère est restée vierge avant et après l'enfantement. A l'occasion de la construction du temple, nous lisons dans le livre d'Ezéchiel: «Cette porte orientale, qui regarde l'Orient, sera toujours fermée, et personne n'entrera par elle (1)», à l'exception du pontife. La porte est fermée, et personne n'entre par cette porte, si ce n'est le pontife.

2. Le tombeau du Sauveur avait été creusé dans un rocher très-dur qui n'offrait aucun interstice, et il est écrit que ce sépulcre était tout neuf et n'avait pas encore servi. Rien de si facile à saisir que ce fait selon le sens littéral, et c'est tout d'abord du sens littéral que nous devons nous occuper. Or, d'après ce sens, le tombeau avait été taillé dans une pierre très-dure, et Jésus-Christ fut déposé dans un sépulcre neuf; de plus, une grande pierre avait été placée à l'entrée du sépulcre et un poste de soldats était chargé de garder cette entrée du sépulcre, pour empêcher qu'on ne vînt enlever le corps; or, toutes ces circonstances devaient faire mieux ressortir la puissance déployée par le Sauveur dans sa résurrection. S'il se fût agi d'un simple tombeau, ils auraient pu dire: Les disciples ont creusé la terre et emporté le corps. Si la pierre eût été petite, ils auraient pu dire: La pierre était petite et pendant que nous dormions ils l'ont enlevée. Enfin, que lisons-nous dans l'Evangile? «Le lendemain, les Scribes, les Pharisiens et les prêtres vinrent trouver Pilate et lui dirent: Maître, ce séducteur a annoncé qu'il ressusciterait; aussi, pour empêcher que ses disciples ne viennent, ne l'enlèvent et ne disent: Il est ressuscité, ce qui constituerait une erreur pire que la première, donnez-nous des hommes pour garder le tombeau et rendre impossible l'enlèvement «du corps. Pilate leur dit: Vous avez une «garde, allez et faites ce qu'il vous plaira (2)». La sollicitude des Scribes et des ennemis du Sauveur confirme notre foi. Pharisiens, gardez, gardez ce tombeau; Dieu ne peut être enfermé nulle part, Dieu ne peut être enchaîné dans un sépulcre; car c'est lui qui a fait le ciel et la terre; le ciel et la terre sont renfermés dans le creux de sa main et de trois doigts il porte le monde; or, celui qui tient dans sa

1. Ez 44,2-3

main le monde tout entier ne peut être enfermé dans un sépulcre.

3. Enfin des saintes, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques et de Joseph, animées d'un pieux dessein, mais victimes d'une erreur, cherchaient le Sauveur dans le tombeau. Leur bonne volonté fut louée, mais leur erreur fut réfutée. Cet Ange qui roulait la pierre, était assis sur la pierre. Et que montrait-il? Cette pierre sur laquelle je suis assis ne peut enchaîner mon Seigneur, puisqu'elle est foulée par son serviteur; par conséquent, cette pierre n'a pu enchaîner Jésus. Il dit donc aux femmes qui venaient chercher le Sauveur: «Vous cherchez Jésus, il n'est plus ici (1)». Où est-il? Au ciel? Il est au-delà des cieux. Sur la terre? Il est au-delà de la terre. Il est partout où vous voudrez; il est tout entier partout où vous êtes, partout où vous êtes et partout où vous puissiez être, vous qui le cherchez, vous êtes en celui que vous cherchez. Ecoutez donc ce que dit l'ange aux saintes femmes: «Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est plein de vie? Pourquoi cherchez-vous le Seigneur dans un tombeau (2)?» Vous cherchez Jésus, vous cherchez le Seigneur, parce que si vous cherchiez seulement Jésus, vous sauriez certainement qu'il est vivant, vous l'entendriez vous dire: «Au milieu de vous il en est un «que-vous ne connaissez pas (3)».«Le royaume de Dieu est au dedans de vous (4)». L'ange dit donc aux saintes femmes: Vous cherchez Jésus dans le tombeau, croyez qu'il est ressuscité et que vous avez en vous-mêmes Celui que vous cherchez.

4. Marie-Madeleine, en apercevant le Seigneur, le prit pour le jardinier; c'était une illusion de sa part, mais une illusion qui avait aussi sa raison d'être. Jésus n'était-il pas véritablement le jardinier de son paradis, des arbres du paradis? «Elle pensait que c'était le jardinier (5)», et elle voulut s'attacher à ses pieds. Et que lui dit le Seigneur? «Gardez-vous de me toucher, car je ne suis pas encore monté à mon Père (6)».«Prenez garde de me toucher», car vous ne méritez pas de me toucher, vous qui me cherchez dans le sépulcre. «Abstenez-vous de me toucher», moi en qui vous ne voyez que l'humanité, et dont vous ne

1. Mt 28,6 - 2. Lc 24,5 - 3. Jn 1,26 - 4. Lc 17,21 - 5. Lc 20,15 - 6. Lc 20,17

296

croyez pas encore la résurrection. «Abstenez-vous de me toucher»; car «je ne suis pas encore monté à mon Père pour vous». Lorsque pour vous je serai monté à mon Père, alors vous mériterez de me toucher.





Augustin, Sermons 1020