Augustin, Sermons 1033

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TRENTE-TROISIÈME SERMON SUR LA FENTE DE PAQUES, AUX NÉOPHYTES. (TREIZIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. Toutes les créatures, et spécialement les chrétiens, sont invités à célébrer avec joie la fête de Pâques. - 2. Les néophytes sont invités d'une manière toute particulière à rendre grâces à Dieu. - 3. La persévérance est un de leurs principaux devoirs. - 4. Célébration pieuse et chrétienne de la fête de Pâques; interprétation mystique. - 5. Conclusion.

1. Le jour que nous attendions vient de nous apparaître dans tout son éclat: la bienheureuse solennité que nous appelions de nos voeux est enfin arrivée; le Seigneur a comblé nos désirs en nous donnant de célébrer le saint jour de Pâques. Frères bien-aimés, tressaillons de joie dans cette grande solennité, rendons à la divine bonté de vives et sincères actions de grâces, rehaussées par la sainteté de nos mceurs et par la ferveur de notre amour. Aujourd'hui le ciel et la terre se réjouissent; les Anges mêlent leurs cantiques à ceux des hommes, et toute créature raisonnable redit: «Alleluia», c'est-à-dire: louez le Seigneur. Chantons tous ensemble: «Le Seigneur est grand et au-dessus de toute louange (1). Le Seigneur est vraiment grand, sa puissance est sans bornes et sa sagesse sans mesure (2)». Qui pourrait facilement énumérer, ou dignement expliquer les mystères de ce jour? Le démon vaincu, l'empire de la mort détruit, Jésus-Christ ressuscitant plein de gloire et d'immortalité, la consommation de notre salut, tels sont les grands faits qui marquent à tout jamais la solennité de ce jour. Se peut-il pour nous, mes frères, un plus grand sujet de joie? un bonheur plus complet? un mystère plus sacré? un sacrement plus admirable? «C'est bien le jour que le Seigneur a fait; réjouissons-nous et tressaillons d'allégresse (3)». C'est le jour de notre renaissance, de notre renouvellement, de notre vivification, de notre rédemption, de notre sanctification, de notre illumination. «Autrefois nous étions ténèbres,

1. Ps 47,1- 2. Ps 146,5- 3. Ps 117,24

aujourd'hui nous sommes lumière dans le Seigneur (1)». Autrefois nous étions les captifs du démon, mais aujourd'hui nous confessons et nous disons au Seigneur «que nous avons été rachetés des mains de notre ennemi et rassemblés des régions les plus lointaines (2)».

2. Mais, ô hommes nouveaux, en qui ce langage peut-il mieux s'appliquer qu'en vous, qui, plus que tout autre, apparaissez dans cette Eglise avec ces vêtements dont la blancheur est le symbole de la blancheur de vos âmes. Vous êtes «néophytes», c'est-à-dire une plantation nouvelle que le Père céleste, par le don du Saint-Esprit et par la vertu de Jésus-Christ notre Sauveur, a daigné purifier, sanctifier et placer dans le jardin de la terre du salut, par l'infusion d'une vie nouvelle. Que les fidèles de Dieu et de Jésus-Christ, que les «pauvres spirituels vous voient et se réjouissent, et que les filles de Judas tressaillent d'allégresse (3)», c'est-à-dire, que leur âme se confie dans le Seigneur, parce que «le Tout-Puissant a fait en nous de grandes choses (4)». Telles sont assurément «les grandes oeuvres accomplies en nous par le Seigneur, pour la réalisation de toutes ses volontés (5)». Pour tous ceux qui vous contemplent, vous êtes en ce moment le chef-d'oeuvre de la grâce de Dieu, le miroir de la pureté sans tache. Quiconque vous considérera sérieusement, ou bien se félicitera d'avoir conservé en lui-même ce précieux dépót, ou bien se reprochera amèrement

1. Ep 5,8 - 2. Ps 106,2 - 3. Ps 47,12 - 4. Lc 1,40 - 5. Ps 111,2

d'avoir perdu ce gage assuré du bonheur éternel. Quant à ceux qui n'ont pas encore obtenu cet inappréciable bienfait, ils trouveront dans l'exemple que vous leur donnez un puissant motif de mériter et d'implorer la même faveur. «Que le Seigneur confirme donc ce qu'il a opéré en vous (1)» et dans tous les autres, et qu'il accorde à tous, comme il jugera nécessaire, l'abondance de sa miséricorde.

3. Pour vous, mes bien-aimés, qui êtes en ce moment l'objet de nos félicitations et de notre joie, et à qui s'adressent d'une manière toute spéciale ces belles paroles: «Voici le jour que le Seigneur a fait, car Dieu donna à la lumière le nom de jour (2)», conservez fortement ce que vous avez reçu. Les sacrements de la religion chrétienne vous ont été conférés dans toute leur plénitude. Vous voilà entrés dans la milice du Roi éternel de la terre et des cieux. Luttez courageusement contre les embûches de l'ennemi; car, selon l'oracle infaillible, «celui-là sera couronné qui aura légitimement combattu (3)». Nous tous, enfin, qui que nous soyons, écoutons cet avertissement de l'Apôtre: «Vous êtes tous les fils de lumière et les fils du jour, nous n'appartenons ni à la nuit ni aux ténèbres (4)». Ainsi donc, sous le vif éclat d'une telle lumière, dans ce temps de sanctification, «ne dormons pas» du sommeil du péché, mais «veillons» pour toute bonne oeuvre; «soyons sobres» d'esprit et de corps. Marchons comme des enfants de lumière. «Le fruit de toute lumière réside dans la bonté, la justice et la vérité (5). Mangeons la sainte «Pâque, non pas avec l'ancien ferment de «malice et d'iniquité, mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité (6)». L'objet pour nous de cette grande solennité spirituelle, c'est le Verbe de Dieu, notre Sauveur, dont il est dit: «Au commencement, Dieu le Verbe était dans le Père, et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu et nous croyons sa gloire (7)». Il est le Fils unique du Père, et cependant il a daigné nous faire ses cohéritiers. O amour étonnant et ineffable! Nous qui étions des serviteurs inutiles, nous avons mérité de devenir les frères de Jésus-Christ et ses cohéritiers.

1. Ps 67,29 - 2. Gn 1,5 - 3. 2Tm 2,5 - 4. 1Th 5,5 - 5. 1Th 5,9- 6. 1Co 5,8 -7. Jn 1,1-14

4. Que rien de charnel, rien d'indigne ne se mêle aux élans de joie que nous inspire la grâce divine. Non-seulement il y aurait de l'indécence, mais encore un crime de trouver dans cette grande solennité l'occasion de se livrer à la sensualité dans les repas et de jeter l'âme dans une sorte de honteuse torpeur. Que nos fêtes soient donc honnêtes, agréables à Dieu, et conformes à cette parole de l'Apôtre: «Que toutes nos oeuvres s'accomplissent honnêtement et selon l'ordre (1); soit que nous mangions, soit que nous buvions, soit que nous fassions toute autre chose, agissons en tout au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (2)», pour qui, dès le début, ou dans le cours des temps, a été institué ce grand jour, la première entre toutes les solennités et le résumé le plus sublime de tous les mystères. En effet, ce jour est le premier des sept jours de la semaine, ou le premier après la semaine, c'est-à-dire le huitième; voilà pourquoi, sans doute, certains psaumes sont intitulés: «Pour l'Octave». Nous trouvons ce nombre figuré par les huit personnes renfermées dans l'arche diluvienne, qui était le type de l'Eglise. Dans l'Evangile, le Sauveur énonce également huit béatitudes qui sont la peinture fidèle de la perfection de ceux qui, après avoir triomphé des tentations de ce siècle assez bien figurées par les flots du déluge, auront le bonheur de parvenir à la terre de l'immortalité. C'est aussi le huitième jour que l'Eglise prend naissance et que la Synagogue disparaît. Les Juifs croient devoir conserver l'observation du sabbat, c'est-à-dire du septième jour; malheureux Juifs, qui ne connaissent pas le jour légitime et ne veulent pas croire que la fin de la loi c'est Jésus-Christ, qui seul a pu accomplir la loi, créer les jours et préposer à toutes les solennités ce jour que nous appelons le jour du Seigneur, parce que c'est dans ce jour que notre Seigneur et notre Sauveur, sortant du tombeau, est apparu au monde comme étant la véritable lumière. Les païens appellent ce jour le jour du soleil, sans comprendre la portée de cette parole; nous, au contraire, nous comprenons que c'est le jour de ce soleil dont il est écrit: «Vous verrez s'élever pour vous le soleil de justice qui porte sur ses ailes notre salut (3)». Personne n'attribue des ailes au soleil visible de

1. 1Co 14,40 - 2. 1Co 10,31 – 3. Ml 4,2

315

la nature; il n'en est pas de même du Soleil véritable, qui a créé celui que nous voyons; seul il porte ces ailes de la puissance et de la protection divine dont il est dit: «Il les a reçus comme l'aigle déployant ses ailes et a protégeant son nid (1)». Nous lisons également dans l'Evangile: «Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j'ai voulu rassembler tes fils, comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes (2)». Enfin, c'est à ce soleil que le fidèle adresse cette invocation opporbine et salutaire: «J'espérerai à l'ombre de vos ailes, jusqu'à ce que l'iniquité disparaisse (3)».

5. Nous avons sous les yeux, mes frères, l'accomplissement de cette parole du psaume Hosanna 4, c'est-à-dire, Seigneur, sauvez-moi;

1. Dt 32,2 - 2. Mt 23,37 - 3. Ps 16,8 - 4. Ps 11,2

nous voyons ouverte devant nous la porte du salut, dont il est dit: «Voici la porte du Seigneur, c'est par elle que les justes entreront (1)»; entrons donc par la porte de l'Eglise en toute sincérité et vérité, afin que cette porte de la confession et de la louange nous introduise dans le royaume des cieux, où nous jouirons du bonheur éternel. «Nous ne serons pas confondus lorsque nous parlerons dans la porte (2)», c'est-à-dire en Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a dit de luimême: «Je suis la porte, celui qui entrera par moi sera sauvé (3)». C'est par Jésus-Christ que tous les saints sont entrés et entrent chaque jour près du Père de la vie éternelle, à qui, avec le Fils et le Saint-Esprit, soient honneur et gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Ps 117,20 -2. Ps 136,5 -3. Jn 10,7




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TRENTE-QUATRIÈME SERMON. SUR LA FÊTE DE PAQUES, ADRESSÉ AUX NÉOPHYTES. (QUATORZIÈME SERMON. )

ANALYSE. - 1. Commencement de la discussion, déjà promise, sur les sacrements. - 2. Le sacrifice de la nouvelle loi substitué aux anciennes victimes. - 3. Pour parler du sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ, nos âmes ont besoin de l'attraction divine. - 4. Jésus-Christ est le pain vivant et le pain de vie. - 5. Croyons à la parole de Jésus-Christ nous proposant son corps à manger et son sang à boire, afin de procurer à nos âmes la vie éternelle. - 6. Solution de plusieurs questions; afin de nous montrer l'opportunité de la matière du sacrement de l'Eucharistie, l'auteur cite en comparaison et explique la matière du baptême. - 7. Le pain et le vin ont été adoptés pour ce sacrement, comme signe d'union entre les fidèles. - 8. Jésus-Christ, dans ce sacrement, donne réellement son corps et son sang, mais sous les espèces du pain et du vin, afin de ne pas soulever le dégoût ou la répugnance. - 9. Actions de grâces dues à Jésus-Christ pour le don de son corps; mais nous devons y joindre la foi, car le Sauveur fait preuve de toute-puissance en changeant le vin en son sang, comme il avait déjà changé l'eau en vin.- 10. Avant de s'approcher de ce sacrement le pécheur doit d'abord se réconcilier avec Dieu.

1. Les instances qui nous sont faites par nos néophytes ne nous permettent pas de différer plus longtemps l'instruction que nous avons promise sur les sacrements. L'impuissance où nous sommes de traiter dignement un aussi grand sujet nous autoriserait à décliner cette importante fonction, si nous ne sentions l'écrasante responsabilité que portera devant Dieu le prêtre qui par paresse ou négligence, aura laissé ses enfants dans l'ignorance des vérités essentielles de la religion. Aussi, selon les lumières qu'il plaira à Dieu de nous donner, nous allons entreprendre l'étude de cette admirable économie des sacrements et des sacrifices. Que ceux qui ont la foi présentent à Dieu pour moi de ferventes prières, et que ceux qui doutent témoignent d'un ardent désir de connaître la vérité.

2. L'oracle du prophète Malachie nous a fait connaître, mes frères, la réprobation lancée (316) par Dieu contre les sacrifices de l'ancien peuple: «Ma volonté n'est plus en vous», dit le Seigneur, «et je ne recevrai plus de sacrifice de votre main (1)». Comment donc l'homme sera-t-il consacré à Dieu, si les sacrifices disparaissent? car dès que les sacrifices manquent, les sacrilèges abondent. Ecoutez ce qu'ajoute le Prophète, toujours au nom du Seigneur: «Car depuis l'Orient jusqu'à l'Occident, mon nom sera glorifié parmi les nations, et en tous lieux une oblation pure sera sacrifiée et offerte à mon nom». Ce ne sont donc pas tous les sacrifices qui doivent disparaître, mais seulement les sacrifices sanglants. Dieu réprouve la victime qui lui est offerte par un seul peuple, et il annonce qu'il agréera l'offrande pure qui, de l'Orient à l'Occident, lui sera faite par toutes les nations. Il serait trop long de montrer, par exemple, que l'agneau pascal, qui devait être sans tache et âgé d'un an, n'était que la figure de Jésus-Christ lui-même dont il annonçait les souffrances, la passion et la mort.

3. Passons à l'Evangile et montrons que ceux qui viennent de puiser dans le baptême par l'eau et le Saint-Esprit les principes de la vie éternelle, ne doivent pas hésiter à chercher la vie dans le corps et le sang du Sauveur. Mes frères, recueillez avidement cette doctrine et n'espérez pas que je puisse attirer quelqu'un à Jésus-Christ, si Jésus-Christ ne l'attire à son Père, ou si le Père ne l'attire au Fils, selon cette parole: «Personne ne peut venir à moi, si mon Père, qui m'a envoyé, ne l'attire (2)»; et il s'agit ici d'attirer non par la force ou la toute-puissance, mais par l'amour, le désir et la charité. Est-ce que le plaisir n'a pas une puissance d'attraction comme la nécessité? L'âme a sa délectation qui l'entraîne; l'amour de Jésus-Christ a ses chaînes qui délivrent des chaînes du péché et nous conduisent au Père, par le mérite de l'innocence. Vous suivez donc celui que vous aimez, et vous êtes attiré en quelque sorte par celui que vous suivez avidement. C'est ainsi que le Père attire ses amis à Jésus-Christ, et que Jésus-Christ attire ses amis au Père. L'important, c'est que vous puissiez adresser à celui que vous aimez cette parole prophétique: «En vous suivant, je n'ai éprouvé ni peine ni fatigue (3)»; c'est-à-dire que dans

1. Ml 1,10-11 - Jn 6,44 -3. Is 40,31

tout ce qui concerne la vie, je n'ai senti la fatigue et le besoin d'aucune investigation curieuse, mais j'ai joui d'un doux repos, tant la foi m'inspirait de sécurité!

4. Vous apprendrez alors, dans toute la joie et l'enivrement de votre âme, où est votre salut et votre vie; vous l'apprendrez dans ces paroles mêmes du Sauveur: «Je suis le pain de vie (1)». En effet, il est véritablement le pain de vie, mais pour ceux qui vivent de la foi, selon cet oracle: «Le juste vit de la foi (2)». Ecoutez donc et accueillez cette parole: «Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel (3)». Il est le pain, et il est le pain vivant parce qu'il est descendu du ciel; car où la mort régnait par le péché sur la terre, la vie devait vivre par le pain vivant, et vivre de la vie du ciel. Il ne me paraît pas que ce soit pousser trop loin la subtilité, que d'établir une différence entre le pain vivant et le pain de vie, de telle sorte que si le pain vivant possède la vie, le pain de vie paraisse conférer la vie à ceux qui la reçoivent. C'est la pensée qui ressort du contexte. En effet, après avoir dit: «Je suis le pain vivant descendu du ciel», le Sauveur ajoute: «Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement (4)», nous annonçant par là qu'il est venu apporter la vie éternelle, qu'il possède en lui-même, à ceux qui mangeront sa chair et boiront son sang.

5. Viennent ensuite les paroles qui furent pour les Juifs un sujet de dispute: «Le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie de ce monde (5)». Ces paroles sont bien propres à soulever les murmures et à secouer la torpeur de ceux qui dorment et oscillent dans la foi, c'est-à-dire de ceux qui veulent comprendre avant de croire; c'est à ceux-là que s'adresse cet arrêt si juste de la majesté divine: «Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez point (6)». Si donc nous voulons comprendre, avant tout nous devons croire tout ce que notre Sauveur nous a enseigné ou institué; car celui qui croit obtient pour récompense la faveur de comprendre, tandis que l'erreur de l'ignorance est le châtiment de celui qui ne croit pas. Or, dit le Sauveur, «le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde». Nous n'avons pas à soulever de dispute sur cette parole,

1. Jn 5,35 - 2. Rm 1,17 - 3. Jn 6,51 - 4. Jn 6,51-58 - 5. Jn 6,51 - 6. Is 7,9

317

comme l'ont fait les Juifs; notre devoir, c'est de croire, puisque, en croyant, les disciples ont mérité ce pain de vie. Que personne ne dise ce que disaient ces Juifs: «Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger (1)?» Que l'incrédule entende plutôt et entende avec terreur: «Si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas en vous la vie (2)». Comme vous croyez ces paroles de l'Evangile: «Si quelqu'un ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit (3)», et comme en les croyant vous avez mérité de renaître, croyez aussi à ces autres paroles du même Evangile: «Si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas en vous la vie».

Peut-être, mes frères, aurions-nous été tentés de croire que ces paroles se rapportaient à la vie présente et que le corps de Jésus-Christ devait nous soustraire à l'obligation de mourir. Mais le Sauveur s'empresse de dissiper nos illusions, quand il ajoute: «Et je le ressusciterai au dernier jour (4)»; c'était nous dire clairement que le Sacrement du corps et du sang du Seigneur n'a d'autre objet que la vie éternelle. De même donc que l'âme est la vie du corps, de même Dieu est la vie de notre âme. Jésus-Christ devient le pain de l'âme, mais de cette âme que la foi nourrit. Quoi qu'il en soit, le langage du Sauveur avait scandalisé plusieurs assistants, non-seulement parmi les Juifs, mais même parmi les disciples, et l'Evangile observe que beaucoup de ces esprits faibles se retirèrent. Comme ce mouvement gagnait de proche en proche, le Sauveur se tournant vers ses Apôtres leur dit: «Est-ce que vous voulez aussi vous retirer (5)?» Répondons avec saint Pierre: «Seigneur, à qui irions-nous? vous avez les paroles de la vie éternelle, et nous croyons, et nous savons que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu (6)». Que celui donc qui reconnaît Jésus-Christ comme étant le Fils de Dieu, reçoive avec une foi entière ces paroles de la vie éternelle: «Ecoutez», dit le Prophète, «écoutez, ô Israël et gardez le silence (7)». Ailleurs: «Ecoutez, prêtez l'oreille et gardez-vous de vous élever parce que le Seigneur a parlé (8)». Ces paroles sont une

1. Jn 6,52- 2. Jn 6,53 - 3. Jn 3,5 - 4. Jn 3,40-51 - 5. Jn 3,67- 6. Jn 3,68-69 - 7. Si 32,9 - 8. Jr 13,15

défense formelle de soulever nos opinions personnelles contre des enseignements divins qui doivent être la règle de nos jugements ainsi l'a statué notre Créateur, ainsi l'a voulu notre Rédempteur. «Est-ce que la terre dit à celui qui l'a façonnée: Pourquoi m'avez-vous façonnée ainsi (1)?»

6. Laissons cependant à la sagesse humaine une certaine liberté d'investigation. En quoi donc ont pu déplaire ces mystères de Jésus-Christ qui est la sagesse éternelle? Pour ses fidèles il est le pain de vie. Peut-on trouver étrange qu'il veuille nourrir de sa propre chair ceux qu'il a rachetés par sa propre personne? Revenons à la naissance même des fidèles. Nous renaissons de l'eau et du Saint-Esprit. Et cette renaissance, qu'y a-t-il de plus étonnant, de plus incompréhensible, si nous sortons des données de la foi? C'est de l'eau et de l'Esprit qu'ont dû renaitre ceux qui renaissaient dans l'Esprit, de telle sorte que le Saint-Esprit devint le principe de notre procréation spirituelle. On demandera peut-être Pourquoi renaître de l'eau? Vous auriez posé la même question, alors même que le Sauveur aurait jugé à propos de donner toute autre matière au mystère du baptême. Or, s'il est permis de discuter une institution divine, l'oeuvre de notre réparation pouvait-elle adjoindre au Saint-Esprit quelque chose de plus pur et de plus simple que l'eau? N'est-ce pas de cet élément qu'il est écrit au commencement de la Bible: «L'Esprit de Dieu était porté sur les eaux (2)?» Il était donc naturel que l'Esprit-Saint se retrouvât porté sur ces mêmes eaux pour opérer notre salut. Mais combien de mystères nous sont révélés par cette eau de notre régénération! D'abord, l'immersion qu'il subit apprend au néophyte qu'il doit, par mortification, être caché aux yeux du monde et se souvenir que, par le baptême, il a été enseveli pour la mort. Cette immersion faite au nom de la sainte Trinité est une véritable conception spirituelle à laquelle l'eau prête, pour ainsi dire, son sein maternel; bientôt le néophyte reparaît à la lumière, son âme est entièrement purifiée par l'effet du sacrement et par la grâce du Saint-Esprit, la grâce faisant ici pour la purification des âmes ce que fait l'eau naturelle pour la purification des corps. Vient ensuite l'Onction, image prophétique de la grande dignité à la

1. Rm 9,20 - 2. Gn 1,2

318

quelle nous sommes appelés, suave parfum consacré à Jésus-Christ et versé en abondance sur la tête des enfants innocents. Cette onction nous consacre tous à Jésus-Christ notre chef, et fait de nous des prophètes et des rois. Des rois, parce que nous devons nous commander à nous-mêmes et maîtriser nos vices; des prophètes, parce que nous voyons par la foi tout ce qui s'est fait dans le passé, et nous attendons pour l'avenir la béatitude éternelle à laquelle nous croyons du fond de nos entrailles. Si donc la matière dont nous naissons a pu plaire à Dieu, à combien plus forte raison celle dont nous vivons. Car, pour faire le sacrement de son corps, Jésus-Christ a voulu se servir de pain, en nous promettant d'y trouver la vie. Ensuite il a voulu que tous ceux qu'il comptait parmi ses membres vécussent de la nourriture de son corps, pour empêcher ces membres de se mépriser les uns les autres, puisque celui qui refuse de manger avec les autres se trouve par cela même hors de la société des membres de Jésus-Christ.

7. Toutefois, n'oublions pas quels éléments sont destinés à être changés au corps et au sang de Jésus-Christ. C'est le pain et le vin. Considérez, mes frères, combien de grains de froment entrent dans la confection du pain et combien de grains de raisin entrent dans la confection du vin; cette réflexion nous révélera l'accomplissement de cette parole de l'Apôtre: «Si nombreux que nous soyons, nous ne formons qu'un seul corps (1)». Il nous faut donc, sous le pressoir et sous la meule de la discipline ecclésiastique, nous confondre dans une véritable unité, de manière que, moulés par la foi, nous ne laissions paraître entre nous aucune différence essentielle. Voyez, mes frères, si vous ne trouvez pas un véritable corps dans ce qui devient le corps de Jésus-Christ par les paroles sacramentelles; car, dans l'admirable unité de son corps il ne veud laisser apparaître aucune différence entre le Maître et le serviteur, entre le dernier des sujets et le roi sur le trône, entre le pauvre et le riche; dans ce corps, la ferveur de la foi exclut toute distinction de personnes et y amène promptement les plus petits grains à la grosseur des plus grands. C'est donc avec raison que le Seigneur a choisi ce genre d'oblation où

1. Rm 12,6

pain et le vin devaient être changés en la substance adorable de son corps et de son sang; c'est avec raison qu'il a institué ce sacrifice dans lequel se reflètent d'une manière si vive la paix et l'unité. Si l'union et la concorde apparaissent quelque part, n'est-ce point surtout dans la farine extraite des grains de froment et dans le vin extrait des grappes de raisin? Telle est la matière dont Jésus-Christ, l'auteur de la paix, daigne se servir pour faire le sacrement de son corps. Or, il a voulu que ce sacrifice fût pour nous comme un centre d'attraction et d'unité, afin qu'en offrant ces hosties de paix nous soyons censés ne former qu'un dans les liens du culte de Jésus-Christ et dans le souvenir de notre rédemption, toutes choses qui nous empêchent de retourner à nos anciennes superstitions, puisque nous ne sommes plus que les membres d'un seul corps sous un seul chef.

8. Dans ces sacrifices aussi saints que dignes de Dieu, la pureté des hosties n'offre aucun appât ni à la sensualité ni aux instincts de la gourmandise, ni à une honteuse intempérance. Nous sommes imprégnés d'un parfum tout céleste et rassasiés d'un aliment tout spirituel. Dans la plus petite parcelle de l'hostie, les fidèles reçoivent Jésus-Christ tout entier. Il leur suffit d'aspirer quelques gouttes du sang divin pour être abreuvés de la vie éternelle. Que personne ne dise: Je vois du pain, on m'apprend que c'est le corps; je prends le vin, on me (lit que c'est le sang. Le Seigneur nous a donné son corps et son sang sous de simples espèces ou apparences; par ménagement pour nous il a écarté tout ce qui aurait pu nous causer du dégoût ou de l'horreur, et cependant c'est véritablement son corps qu'il nous a donné. Ecoutez ce qu'il nous dit lui-même: «Sachant que ses disciples murmuraient, le Sauveur leur dit: «Est-ce que cela vous scandalise? Si donc vous voyiez le Fils de l'homme remontant où il était auparavant (1)?» Avant que Jésus-Christ remontât au ciel, la faiblesse humaine pouvait plus facilement ce scandaliser; mais, maintenant qu'il est remonté au ciel, comment concevoir le moindre doute sur la véracité de ses paroles, quand nous le voyons prendre en maître possession du royaume des cieux?

9. Rendons grâces à Dieu qui nous réjouit

1. Jn 6,62-63

319

chaque jour par l'immolation de cet Agneau qui efface le péché du monde, c'est-à-dire par l'immolation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a donné à ses fidèles la possession sur la terre de ce même corps qu'il a placé lui-même dans la gloire du ciel. «Maintenant donc une oblation pure est offerte en tout lieu (1)». A l'autel on reçoit la vie si l'on croit à la vie. Celui qui a changé l'eau en vin pour le simple agrément des convives, ne peut-il pas changer en son sang le calice de vie? Prenez donc ce qu'il vous présente et recevez constamment le corps de la paix et de la vie. Jésus-Christ, la paix et la vie, reconnaît comme sien celui en qui règne la paix.

10. Si donc quelqu'un sent que le péché forme en lui un obstacle à ce sacrement, qu'auparavant il rende la paix à son âme. Le Sauveur l'a dit: Ce sacrement est un sacrement de paix et de vie. Le péché vient seconder la mort et entraver la vie. Si donc, par suite de la faiblesse humaine, le péché vient se glisser dans notre vie, empressonsnous de le combattre en nous remettant en paix avec Dieu. Parce que nous sommes faibles, nous nous laissons aller à des défaillances;

1. Ml 1,11

mais que ces défaillances ne soient point mortelles, puisque nous recevons le corps de Jésus-Christ qui est la vie. Avant de monter à l'autel nous ne saurions trop méditer ces paroles que nous redisons si souvent dans l'Oraison dominicale: «Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (1)». Votre pardon vous est accordé, montez en toute sécurité, mais voyez si vous pardonnez; car, si vous ne pardonnez pas, voici votre sentence: «Méchant serviteur, je vous ai remis toute votre dette, parce que vous m'en avez prié; ne deviez-vous pas, vous aussi, avoir pitié de votre compagnon (2)?» L'Apôtre vous dit luimême: «Celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement, puisqu'il ne discerne pas le corps de Jésus-Christ (3)». Car s'il eût discerné le corps de Jésus-Christ, jamais il n'aurait osé s'en rendre le membre indigne. Toutes les fois donc que nous nous approchons de l'autel du Seigneur, soyons en paix avec Dieu et avec nos frères, et nous serons assurés de recevoir la vie par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Mt 6,12- 2. Mt 18,32 - 3. 1Co 11,29




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TRENTE-CINQUIÈME SERMON SUR LA FÊTE DE PAQUES. (QUINZIÈME SERMON) EXPLICATION DE CES PAROLES: «COMME DES ENFANTS NOUVELLEMENT NÉS».

1. Quoique je désire que mes paroles profitent à l'Église tout entière, toutefois c'est à vous spécialement que je les adresse, ô mes bien-aimés néophytes, qu'une nouvelle et sainte naissance vient de jeter dans une vie nouvelle. Pour vous, ma sollicitude est d'autant plus grande gale la grâce vient de vous embellir d'une innocence plus parfaite. Voilà pourquoi je ne puis mieux faire que de vous adresser cet avertissement formulé par l'Apôtre: «Comme des enfants nouvellement nés, convoitez le lait de la sagesse et de la vérité, afin que par lui vous croissiez pour le salut (1)». Comme le rappelle cette parole de l'Écriture, les enfants dans leur âge le plus

1.

320

tendre ne désirent que du lait. Vous aussi, mes bien-aimés, vous ne venez que de naître, il ne vous reste donc qu'à vivre du lait de l'innocence. Mais le lait dont parle l'Apôtre, «c'est le lait de la sagesse et de la vérité». Il désigne la doctrine, la saine doctrine, inspirée par la sagesse et la raison divines, et exemptede toute fraude ou mensonge, de telle sorte que celui qui s'en nourrit est comme allaité par l'innocence et rendu raisonnable par la sagesse. Deux espèces de lait nous sont donc indiquées: le lait charnel et le lait rationel; le lait charnel dont se nourrissent les petits enfants, et le lait rationel destiné aux enfants-hommes. Pour vous, mes très-chers, vous êtes à la fois des enfants et des hommes; des enfants par votre nouvelle naissance, et des hommes par votre âge et votre raison. Persévérez dans votre enfance par la simplicité, et dans la virilité par la foi, et puisque vous vous nourrissez maintenant du don sacré de la doctrine et du lait raisonnable, puissiez-vous être toujours des enfants par l'innocence de la vie, et des hommes par la sagesse et la raison.




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TRENTE-SIXIÈME SERMON POUR LES JOURS DE L'OCTAVE DE PAQUES PREMIER SERMON. - JONAS FIGURE DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE. - 1. Jonas rebelle aux ordres de Dieu. - 2. Il est jeté dans la mer et englouti par un poisson. - 3. Il est déposé sur le rivage. - 4. Jouas figure de Jésus-Christ mourant. - 5. De Jésus-Christ enseveli. - 6. De Jésus-Christ ressuscité.

1. Jésus-Christ notre Sauveur, pour nous prouver son amour infini, «se livra lui-même pour nous (1) et donna sa vie pour ses brebis (2)». Toutefois, les ignominies qu'il subit de la part des Juifs avaient été prédites par les patriarches, parmi lesquels l'un surtout peut être présenté comme la vive image de la passion du Sauveur. Nous lisons que le prophète Jonas avait été envoyé par le Seigneur dans la ville de Ninive dont il devait annoncer la ruine imminente. Jonas sachant que le Seigneur est plein de miséricorde et toujours disposé à user d'indulgence, craignit que les menaces qu'il allait fulminer contre cette ville ne restassent sans effet, il résolut d'échapper à cette mission par la fuite. On croit généralement que depuis le déluge, qui renouvela la face du monde, Ninive, ainsi appelée du nom de son fondateur Ninus, fut la première capitale du premier empire. Irrité

1. Ep 5,2 - 2. Jn 10,11

des crimes horribles dont cette ville était le théâtre, le Seigneur ordonne à Jonas d'aller lui porter les menaces d'une prompte destruction; mais ce Prophète, pour éluder cet ordre formel, monte sur un vaisseau, se confie aux flots de la mer et croit disparaître de la face du Seigneur, en prenant la fuite vers Tharse. Etrange détermination! Jonas change la direction de sa course, comme si le Seigneur n'eût pas été à Tharse. Dieu, à qui seul rien n'est caché, suscita une horrible tempête qui jeta le vaisseau dans le plus grand danger. Au sein de cette violente commotion de la mer, tantôt le navire semble toucher le ciel, et soudain les flots, en se retirant, le précipitent dans les profondeurs de l'abîme. Les matelots redoublent d'efforts et d'adresse; mais c'est en vain, le gouvernail échappe à la main qui le guide, la vue du danger les glace de frayeur: nous périssons, s'écrient-ils, nous sommes engloutis. Tour à tour le vaisseau (321) frappe le ciel et heurte les enfers; dans ce prodige, reconnaissez, mes frères, avec quelle docilité les vagues obéissent à Dieu, voyez comme tous les éléments se concertent pour poursuivre ce Prophète fugitif.

2. Au milieu de ce tumulte, Jonas seul était insensible, car il restait plongé dans un profond sommeil; il fallut la jalousie de ses compagnons pour l'arracher à cet incroyable repos. Quoi donc, vous dormez, lui disent-ils! Quel homme êtes-vous donc pour rester insensible à l'affreux danger que courent des hommes? C'est alors qu'ils consultent le sort pour connaître la cause du malheur qui les menaçait. Jon au lieu d'être la nourriture de ce poisson, en fut plutôt l'hôte respecté, et pendant trois jours, il demeura sain et sauf dans son sein et mérita, par ses ardentes prières, que Dieu lui fît miséricorde.

3. Représentons-nous cet animal promenant dans les abîmes de la mer et le long du rivage, cette proie qu'il avait reçue et qu'il devait rendre. Mais, pendant que Jonas flottait ainsi sans danger au milieu des flots, tout à coup, guidé par la divine Providence, le poisson s'approche du rivage et y dépose, sans aucune blessure, le fardeau qu'il portait depuis trois jours. C'est ainsi que Jonas trouva dans son châtiment une source de bonheur qui lui permit d'aller porter à d'autres les principes du salut.

4. Telle est, mes frères, l'histoire du prophète Jonas; essayons maintenant, avec l'aide de Dieu, de montrer de qui Jonas était alors la figure. En effet, parmi les événements écoulés de l'histoire, il en est qui doivent être étudiés non-seulement dans leur réalité, pour ainsi dire matérielle, mais encore dans le caractère figuratif qu'ils ont avec d'autres faits de la vie du Sauveur, selon cette parole de l'Apôtre: «Et toutes choses leur arrivaient en figure (1)». Ninive, cette grande cité à laquelle Jonas allait porter des menaces de destruction, était la figure du monde Honteusement livré à l'idolâtrie et à toutes sortes de crimes; quant à Jonas lui-même, il désignait clairement la personne même de Noire-Seigneur Jésus-Christ. Le navire sur lequel Jonas dormait pendant la tempête figurait la synagogue des Juifs. La mer, soulevée par des vents furieux, était l'image du peuple juif qui s'est livré si souvent à la révolte et à des entreprises insensées. Le monstre marin qui reçut Jonas était la figure de l'enfer. Or, tous ces caractères figuratifs que nous trouvons dans Jonas se sont parfaitement réalisés en Jésus-Christ. Comme Jonas dort sur le vaisseau, Jésus-Christ garde le plus profond silence au milieu de ses persécuteurs. A tous deux pouvaient donc s'adresser ces paroles: «Levez-vous, pourquoi dormez-vous, Seigneur, et ne nous repoussez pas jusqu'à la fin (2)». Nous disons du Seigneur qu'il dort lorsqu'il semble garder le silence sur les iniquités des hommes, et attendre le repentir des coupables; qu'il se lève, et tous ses ennemis disparaissent confondus. Le sort fut jeté pour connaître celui qui était la cause de cette tempête; le sort tomba sur Jonas ils le précipitèrent dans les flots, et la tempête fut apaisée; tout cela figure Jésus-Christ dont la mort arracha le monde à toutes les tempêtes du démon; Jésus-Christ, désigné de toute

1. 1Co 10,11 - 2. Ps 43,23

322

éternité par son Père pour venir accomplir la rédemption du monde, car lui seul pouvait nous racheter. Jonas précipité dans la mer et reçu par un poisson, est la figure sensible de Jésus-Christ livré à la mort par la cruauté des princes de la synagogue et reçu par les Romains pour être crucifié, et c'est ce crucifiément qui calma la tempête soulevée par la barbarie des Juifs.

5. A l'accomplissement de tous les mystères de la passion, ajoutons la sépulture du Sauveur et cherchons-en l'explication. Le poisson qui pendant trois jours conserva Jonas vivant dans ses entrailles, est la figure de Jésus-Christ descendant vivant dans les enfers. C'est le Sauveur lui-même qui a établi ce rapprochement entre la figure et la réalité: «Comme Jonas resta trois jours et trois nuits dans le sein de la baleine, le Fils de l'homme doit rester dans le sein de la terre (1)»; or, cet espace de temps se retrouve exactement datas la passion du Sauveur. Toutefois, beaucoup d'esprits prévenus ou peu intelligents se troublent de trouver dans la sépulture du Seigneur moins de jours qu'il n'y en a d'indiqués dans la prophétie: «Comme Jonas resta trois jours et trois nuits dans le sein de la baleine, il faut que le Fils de l'homme demeuredans le coeurde la terre». D'abord, on peut dire que Jésus-Christ étaitcomme immolé et enseveli dans le mur de tous ces hommes

1. Mt 12,40

terrestres qui n'obéissaient qu'à des passions terrestres et dont la cruauté ne recula pas devant l'injustice et l'infamie de la mort de Jésus-Christ. Le jour de la trahison, le jour du crucifiement et le jour de la sépulture, ces trois jours et ces trois nuits, ne peuvent-ils pas être regardés comme l'application matérielle des trois jours et des trois nuits de l'histoire de Jonas? Le doute n'est point possible à cet égard, puisque la parole de Jésus-Christ est formelle: «Il faut que le Fils de l'homme soit dans le coeur de la terre». Ce coeur de la terre peut assurément recevoir l'interprétation que nous lui avons donnée précédemment.

6. Mais le poisson rejeta Jonas et celui-ci, après trois jours de captivité, reparut de nouveau plein de vie à la lumière. De même, après l'accomplissement deces mystères, Jésus. Christ reparut plein de gloire, ressuscitant avec de nombreux témoins qui sortirent avec lui des enfers pour proclamer son triomphe; car, «étant entrés dans la ville, ils apparurent à un grand nombre d'habitants (1)». Or, les sacrements divins cachés dans les mystères antiques nous paraissent admirablement révélés dans Jésus-Christ notre Sauveur, et se manifestent avec une telle évidence, qu'ils deviennent un principe de salut pour tous ceux qui ont la foi.

1. Mt 27,45





Augustin, Sermons 1033