Augustin, Sermons 1046

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QUARANTE-SIXIÈME SERMON. SUR ZACHÉE.

ANALYSE. - 1. Le publicain Zachée est appelé à donner l'hospitalité à Jésus-Christ. - 2. Il rend le bien usurpé et donne du sien propre. - 3. Il devient enfant d'Abraham. - 4. Exhortation à l'imiter dans son repentir.

1. «Jésus étant entré à Jéricho parcourait «cette ville, et voici qu'un homme appelé «Zachée etc. (1)» Nous venons d'entendre dans l'Evangile l'histoire de Zachée, dans laquelle nous admirons l'excellence de ses dispositions et la libéralité sans borne de NotreSeigneur Jésus-Christ. Zachée monte sur un arbre afin de suppléer à la petitesse de sa taille qui ne lui aurait pas permis d'apercevoir le Sauveur; il désire contempler les traits de Celui qu'il aimait déjà dans son coeur; il veut voir de ses yeux Celui qu'il n'avait vu que par la pensée. Il se tenait debout sur l'arbre, mais quelque chose lui disait déjà que Jésus-Christ s'offrirait comme victime sur l'arbre de la croix. Zachée vit le Seigneur qui passait, mais il fut encore mieux regardé par le Sauveur lui-même, qui ne craignit pas de lui offrir ce qu'il n'osait pas demander. La majesté divine l'aperçut et lui dit: «Zachée, descendez promptement, parce qu'il me faut demeurer aujourd'hui chez vous (2)». Déjà en possession du coeur de Zachée, le Seigneur veut encore aller prendre possession de sa demeure. Il y vient, trouve Zachée préparant un festin spirituel, admire sa foi et se dispose à la proposer comme modèle à tous les assistants. Zachée reçut le Sauveur avec les démonstrations de la foi la plus vie; le Sauveur, après être entré dans son coeur, entra dans sa maison.

2. O bonheur du bienheureux Zachée! Il possède maintenant, devenu son hôte, Celui dont la vue seule lui procurait naguère tant de joie. Mais admirons ce qu'il offre comme présent de bonne venue: «Voici», dit-il, «la moitié de mes biens, je la donne aux «pauvres; et si j'ai fait tort à quelqu'un, je lui rendrai quatre fois autant (3)». Zachée

1. Lc 19,1 et suiv.- 2. Lc 5 - 3. Lc 8

offrit tout ce qu'il possédait. O dévouement admirable! Il fit de son bien deux parts, l'une destinée aux oeuvres de miséricorde et l'autre aux réparations exigées par la justice. Il ne veut conserver aucune richesse injustement acquise, afin de s'assurer un jugement plus favorable au tribunal de Jésus-Christ, en obtenant le pardon de ses injustices et en méritant la gloire de promise aux oeuvres de miséricorde. Ne nous étonnons donc pas que Jésus-Christ fasse son éloge, qu'il exalte sa foi et qu'il applaudisse à la libéralité. «En «vérité, je vous le dis, aujourd'hui le salut est venu de Dieu dans cette maison, et celui-ci est véritablement le fils d'Abraham (1)». Cette maison reçut par la foi le salut qu'autrefois elle avait perdu par la rapine.

3. Zachée, louez et tressaillez, car c'est en montant sur le sycomore que vous avez mérité ce bienfait; le sycomore est une espèce d'arbre très-peu connu en Afrique; le fruit qu'il produit ressemble assez à la figue sauvage. Pourquoi donc Zachée a-t-il vu Jésus-Christ? Parce qu'il n'a pas eu peur des opprobres de la croix: un Dieu suspendu à la croix, un Dieu crucifié, c'est une folie aux yeux des hommes; mais pour Zachée, c'est un objet d'admiration, car: «Ce qui nous paraît une folie en Dieu, est en réalité pour les hommes le comble de la sagesse (2)». Zachée devint enfant d'Abraham par la foi, et non par la race; par son mérite et non par la naissance; par sa piété et non par le sang. Il éprouva d'abord un violent désir de voir le Seigneur, et il le vit comme il l'avait désiré. C'est ainsi qu'«Abraham votre père a désiré voir mon jour, il l'a vu et s'est senti comblé de joies». Zachée a reçu le Seigneur comme

1. Lc 19,9 - 1Co 1,25 - Jn 8,56

341




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QUARANTE-SEPTIÈME SERMON. SUR LE MARTYR SAINT VINCENT. (PREMIER SERMON)

sur des ossements nus et brisés? Qui ne se détournerait de ce spectacle avec horreur? Et cependant, l'éclatante sainteté de notre martyr donnait à cette scène je ne sais quel reflet de beauté; la force invincible avec laquelle il combattait pour la foi, pour l'espérance du siècle futur et pour la charité de Jésus-Christ faisait oublier l'horreur des tourments et des blessures et les revêtait d'une auréole de gloire et de triomphe.

2. Un attrait bien différent séduisait, dans ce spectacle, le persécuteur et nous. Il applaudissait aux souffrances du martyr, et nous à la cause pour laquelle il souffrait; il était heureux de le voir souffrir, et nous de voir pourquoi il souffrait; il se complaisait dans les douleurs de sa victime, et nous dans sa vertu; lui, dans ses blessures, et nous, dans sa couronne; lui, dans la durée de ses souffrances, et nous, dans son énergie à les supporter; lui, dans les torturés corporelles, et nous, dans la fermeté et la persévérance de sa foi. Si donc le persécuteur trouvait sa cruauté satisfaite, toujours est-il que la vérité prêchée par le martyr était pour lui un remords et un tourment; de notre côté, si l'horreur des supplices nous glaçait d'horreur, du moins la mort de Vincent était pour nous une grande victoire. Il restait vainqueur, non pas en lui-même et par lui-même, mais en Celui et par Celui qui, du haut de sa croix, prête à tous son puissant secours et nous a laissé dans ses propres souffrances un exemple et un appui. En nous appelant à la récompense, il nous exhorte au combat, et il nous contemple dans la lutte afin de venir au secours de notre faiblesse. A son athlète il détermine l'oeuvre à accomplir et propose la récompense à recevoir, afin de prêter son appui et d'empêcher toute défaillance. Qu'il prie donc simplement celui qui veut combattre simplement, triompher généreusement et régner heureusement.

3. Nous avons entendu notre frère confessant la sainte doctrine et confondant son persécuteur par la constance et la véracité de ses réponses. Mais auparavant nous avons entendu le Seigneur s'écriant: «Ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous (1)». Si donc saint Vincent a confondu ses adversaires, c'est parce qu'il a loué dans le Seigneur ses propres

1 Mt 10,20

discours. Il savait dire: «Je louerai ma parole dans le Seigneur, je louerai mon discours dans le Seigneur; j'espérerai dans le Seigneur, je ne craindrai pas ce que l'homme pourrait me faire (1)». Nous avons vu ce martyr supportant avec une admirable patience des tourments inouïs, mais il se tenait dans une complète dépendance à l'égard de Dieu. «Car c'est de Dieu que lui venait la patience (2)»; toutefois, comme il connaissait notre fragilité humaine, comme il craignait toute défaillance qui aurait pu lui faire renier Jésus-Christ et combler de joie son persécuteur, il savait à qui il adressait ces belles paroles: «Mon Dieu, arrachez-moi de la main du pécheur, de la main de celui qui méprise votre loi et la foule indignement aux pieds; car vous êtes ma patience (3)». L'auteur de ces saints cantiques nous enseignait comment un chrétien doit demander d'être délivré des mains de ses ennemis; ce n'est pas sans souffrir, mais en supportant patiemment toutes ses souffrances: «Arrachez-moi des mains du pécheur, des mains de celui qui méprise votre loi et la foule aux pieds». Si vous voulez savoir quelle délivrance il implore, écoutez ce qui suit: «Car vous êtes ma patience». Toute souffrance est glorieuse quand elle est accompagnée de cette pieuse confession: «Afin que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (4)». Que personne donc ne présume de son coeur, quand il proclame sa pensée; que personne ne présume de ses forces, quand il subit la tentation; car lorsque nos paroles sont dictées par la sagesse, cette sagesse ne nous vient que de Dieu, et c'est de Dieu aussi que nous vient la patience avec laquelle nous supportons nos souffrances. La volonté vient de nous; mais du moment que Dieu nous appelle, nous sommes déterminés à vouloir. La prière est notre oeuvre; mais nous ne savons pas ce que nous devons demander. C'est à nous de recevoir, mais que recevons-nous, si nous n'avons rien? C'est nous qui possédons, mais que possédons-nous, si nous ne recevons rien? Voilà pourquoi «celui qui se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur».

4. C'est ainsi que le martyr saint Vincent a mérité d'être couronné par le Seigneur, car c'est dans le Seigneur qu'il a désiré d'être glorifié par la sagesse et la patience. Il est

1. Ps 55,11 - 2. Ps 61,6 - 3. Ps 60,4-5 - 4. 1Co 1,31

343

digne de vos plus grands éloges, il est digne de l'éternelle félicité dont l'espérance lui a fait mépriser toutes les menaces de son juge, tous les tourments de son bourreau. Ses souffrances sont passées, mais son bonheur n'aura point de fin. Ses membres furent brisés, ses entrailles déchirées; il fut soumis aux tortures les plus horribles, aux souffrances les plus cruelles; mais, alors même que le bourreau se fût montré plus barbare, Vincent se serait écrié: «Les souffrances de cette vie ne sont rien en vue de la gloire éternelle qui nous attend au ciel (1)».

1. Rm 8,18




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QUARANTE-HUITIÈME SERMON. SUR LE MARTYR SAINT VINCENT. (DEUXIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. Courage de saint Vincent en présence de Dacianus. - 2. Saint Vincent, vivant et mort, reste vainqueur de Dacianus.

1. Nous avons sous les yeux, mes frères, le plus ravissant, spectacle. Deux hommes combattent l'un contre l'autre, le bourreau et sa victime, Vincent, le serviteur de Dieu, et Dacianus, le fils du démon. Le persécuteur sévissait sur le corps du martyr, mais saint Vincent n'éprouvait aucune crainte, parce qu'il voyait Jésus-Christ combattre pour lui. Malgré la sentence qui le condamnait, il resta vainqueur, parce qu'il n'était point abandonné par Celui dont il confessait hautement la divinité. A toutes les questions qui lui furent posées, il n'hésita pas à répondre et accrut ainsi le courroux de son persécuteur. Il enflamma la haine de son bourreau, afin d'accroître la gloire de son propre martyre. Quelle crainte pouvait inspirer à saint Vincent ce lion furieux et rugissant, puisque cet illustre martyr restait étroitement uni «au Lion de la tribu de Juda (1)», de qui il tirait toute sa force et son courage? Revêtu des armes de Jésus-Christ, Vincent marchait invincible et s'écriait: Que mon adversaire engage la lutte avec moi, si la confiance ne lui fait pas défaut, et il reconnaîtra qu'il se lassera plus tôt de me faire souffrir que moi de supporter mes souffrances. Saint Vincent est

1. Ap 5,5

envoyé en exil, et il médite sur la voie qui le conduira au ciel. On le livre à la mort, et il se réjouit d'une vie meilleure; il est étendu sur le chevalet, et sa figure rayonne d'autant plus que son persécuteur s'acharne davantage à le faire souffrir. Il est en face de son juge; mais pendant qu'il est debout devant son bourreau, il prie dans son coeur le souverain Juge des vivants et des morts et s'écrie: O antique ennemi du genre humain, pourquoi m'épargnerais-tu dans mes souffrances, toi qui as osé tenter mon Dieu, mais sans pouvoir le vaincre; car tu es resté écrasé sous sa puissance, comme la bête fauve sous les coups du chasseur? Je ne crains, dit-il, aucun des supplices qu'il te plaira de m'infliger, et ce qui ranime mon courage, c'est de te voir prendre à mon égard des airs de pitié et de miséricorde. Démon, lève-toi dans ta fureur; pour éprouver la foi et le courage d'une âme chrétienne, ce n'est pas trop de tous les tourments réunis.

2. Dans sa fureur et sa colère, l'impie Dacianus s'écria: Celui-ci ne peut me vaincre; pendant qu'il est encore vivant, qu'on lui inflige les tourments les plus cruels. O courage indomptable! O force d'âme invincible! Saint Vincent est torturé, broyé, flagellé, brûlé, et (344) quand déjà son âme est allée recueillir la couronne, ses membres sont encore disloqués comme pour donner plus de prise à la souffrance. Vincent qui, chaque jour, rougissait de s'entendre appeler vaincu, semblait crier à son bourreau: Tu es resté maître du corps d'un martyr, mais voici qu'effrayé de te voir vaincu dans ton propre triomphe, tu es contraint d'avouer que ce cadavre lui-même te frappe d'une honteuse défaite. Ta cruauté criminelle, tu l'avouais toi-même, n'a fait que rehausser ma gloire. Maintenant que tu n'as plus entre les mains qu'un corps martyrisé, quel sera ton langage? Mes frères, écoutez ce que dit le bourreau: Qu'on jette ce cadavre à la mer. Et comme si quelqu'un lui en eût demandé le motif: De crainte, dit-il, que nous n'ayons à rougir de combattre sans cause. O aveuglement de la fureur! cet impie, ce perfide, ce barbare Dacianus ne comprend donc pas que Celui qui peut rappeler une âme des enfers, peut également arracher à la mer le corps de son martyr. Du moins, dit-il, les flots cacheront sa victoire. Et comment donc cacheront-ils celui qu'ils reçoivent avec honneur? Ecoutez ce cri du Prophète: «La mer est à Dieu, c'est lui qui l'a faite, et ses mains ont jeté les fondements de la terre aride (1)». Poursuis, cruel démon; tout élément, quel qu'il soit, fera certainement éclater la gloire de notre martyr et attestera ta honte et ta défaite. Voici que la mer a entendu, et toi tu restes sourd; voici que le vent fait silence, et toi tu souffles la vengeance; voici que les flots reçoivent avec une crainte respectueuse celui que les matelots leur jettent par tes ordres, et, dociles à l'action de la Providence, ils ramènent au port, avant même le retour de tes

1. Ps 94,5

sicaires, ce corps précieux réservé aux honneurs de la sépulture. La mer jouit d'une tranquillité parfaite, et toi, cruel, tu restes en proie aux accès de ta fureur inique. Avoue donc l'impuissance de ta rage, puisque les flots eux-mêmes se chargent de rapporter ce cadavre. Puisqu'ils veulent pour lui la sépulture, que peut leur opposer ta sauvage férocité? La victime est échappée à sa misérable cruauté; puisque Dacianus n'a pas voulu se souvenir de la puissance de Dieu, il ne lui reste plus qu'à pleurer sa honteuse perfidie. Il se flattait d'avoir trouvé un expédient infaillible, mais les flots lui ont refusé leur concours; le malheureux n'a pas su assurer l'accomplissement de ses désirs; ou bien, une leçon solennelle devait lui être donnée par la mer qui ne pouvait, contre les ordres de son Créateur, cacher dans ses flancs le corps du martyr. Quel délicieux spectacle de voir un martyr, combattant contre son bourreau, bravant toutes les tortures, terrassant son adversaire pendant sa vie et, après sa mort, rapporté par les flots au rivage. Quelle gloire rejaillit d'un tel martyre, dans lequel Jésus-Christ se plaît à entasser tant de merveilles! Quelle constance déploya saint Vincent! Quelle brillante couronne il s'acquit par sa victoire! N'en doutons pas, mes frères, Celui qui avait soutenu saint Pierre marchant sur les eaux, recueillit lui-même le corps de saint Vincent et l'empêcha de s'abîmer dans les flots. Il ne nous reste donc plus qu'à supplier saint Vincent d'intercéder en notre faveur auprès de Dieu et d'obtenir, par ses mérites, la glorification de l'Eglise de Jésus-Christ, à qui appartiennent l'honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

345




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QUARANTE-NEUVIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (PREMIER SERMON)

ANALYSE. - 1. Ananie s'approche de Saul, comme la brebis du loup ravissant. - 2. Il reçoit l'ordre d'aller trouver Saul, et paraît refuser cette mission. - 3. Saul est baptisé par Ananie et reçoit le nom de Paul.

1. Vous venez d'entendre, mes frères, le récit d'un grand prodige opéré par le Tout-Puissant; le nom seul des deux personnages qui en ont été l'objet et l'instrument nous en donnera l'explication. En hébreu, Ananie signifie brebis, et Saul signifie loup. Admirons la prescience divine et les profonds desseins de la Providence; la brebis que le loup recherchait pour la dévorer a été choisie pour guérir le loup! Saul, te voilà frappé d'un complet aveuglement; maintenant que tu es plongé dans une complète obscurité, que feras-tu à la brebis? Voilà devant toi la brebis que tu cherchais; tout à l'heure tu frémissais de rage, pourquoi maintenant tremblestu? La brebis que tu espérais dévorer est venue elle-même pour te baptiser. Méchant, tu te promettais de la mettre en lambeaux, et en ce moment tu t'inclines humblement pour recevoir ses ordres.

2. Ananie avait dit au Seigneur: «Seigneur, j'ai appris tous les maux que cet homme a causés à vos saints dans la ville de Jérusalem, et il vient ici pour enchaîner tous ceux qui invoquent votre nom!». En d'autres termes: Vous n'inspirez que le bien à votre serviteur, mais comme vous êtes mon maître, moi je suis votre serviteur; si vous le voulez, les choses se passeront autrement. J'ai entendu David s'écriant dans l'un de ses psaumes: «Faites du bien, Seigneur, à ceux qui sont bons et droits de coeur (2)». Je ferai du bien aux bons; mais vous, dites, dites, que prescrivez-vous? Seigneur, pourquoi me donnez-vous cet ordre? Cet homme est un loup, et moi je ne suis qu'un agneau; pourquoi donc ce qui vous plaît nous est-il à nous si

1. Ac 9,13 - 2.

contraire? «Vous avez les clefs de David, c'est vous qui ouvrez, c'est vous qui fermez (1)», et jamais vous ne renfermez; toutefois j'ignore en ce moment pourquoi vous renfermez le loup avec la brebis. Vous êtes le Seigneur, vous pouvez tout, rien ne vous est impossible. «Vous avez toute puissance sur la vie et sur la mort». Toutes les portes vous sont ouvertes. «Vous avez éprouvé mon coeur et l'avez visité pendant la nuit (2)». Pourquoi ces embarras me sont-ils survenus? Je m'épuise à fuir la mort, et vous me dites Renfermez le loup dans la bergerie. Vous voyez que sur toute la ville, comme sur un vaisseau, souffle le vent de la mort, et vous voulez, sur cette mer déjà si agitée, déchaîner une tempête encore plus furieuse. Il ne faut pas que vous nous condamniez, mais vous savez comment la vergue se brise sous les coups de l'orage. Puisque vous voulez que personne ne meure dans le péché, soyez indulgent pour nos craintes et nos alarmes. Pourquoi laisseriez-vous l'agneau mourir sous les étreintes du loup? Seigneur, vous nous avez donné la liberté, puisque vous avez permis à Moïse de lutter avec vous. Moïse craignit le turbulent Hébreu, et moi je ne craindrais pas Saul, le persécuteur des chrétiens? O Seigneur, ô mon Dieu! Vous avez fait un crime de l'homicide, pourquoi donc jetez-vous ainsi la brebis à la dent du loup? Le Seigneur lui répondit: Pourquoi craignezvous le coursier fougueux, frappé d'aveuglement? Levez-vous, marchez avec moi, parce que je suis avec vous. Allez, visitez-le dans l'hôtellerie. Je veux vous honorer et je le dispose à marcher avec vous. Que vous le

1. Ap 1,18 - 2. Ps 16,3

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vouliez ou ne le vouliez pas, c'est moi qui dompte sa perfidie et sa ruse, quoiqu'il ait été habitué à s'engraisser aux dépens de mon troupeau. Mais je lui montrerai comment il sera vaincu par les renards.

3. Sur l'ordre du Seigneur, Ananie se présente devant Saul, la brebis devant le loup. Quoique ce loup eût été frappé d'aveuglement, il inspirait encore une si grande terreur à la brebis, que celle-ci invoque aussitôt avec le loup le nom même du pasteur. «Saul, mon frère», dit-il, «le Seigneur m'a envoyé vers vous». - Quel est ce Seigneur? «Celui qui vous est apparu». Où? «Sur le chemin que vous suiviez pour venir (1)». Mais ne craignez pas, car je suis venu afin que vous puissiez le voir. O Ananie, vous êtes pour nous la cause d'une bien grande joie, car avec la douceur extérieure de la brebis, vous n'avez pas hésité à vous adresser au loup, qui naguère vous aurait fait fuir à travers les montagnes. Le Seigneur nous a montré par là tout l'amour qu'il prodigue à celui qui le sert, puisqu'il inspire à Ananie de donner au loup le nom de frère. Ainsi donc la brebis se tient devant le loup, et elle tremble de frayeur; le loup s'abaisse devant la brebis et s'incline par respect. Ils s'étonnent de se rencontrer en face l'un de l'autre. Le loup s'arrête et sent faillir sa méchanceté; la brebis se tient au-dessus du loup et crie. Bientôt la brebis sait entraîner le loup au fleuve du baptême, et le loup, contrairement à ses propres instincts, demande la lumière à

1. Ac 9,17

la brebis. Et les oeuvres du loup restèrent subitement suspendues, dès que la brebis eut versé sur le loup l'eau sainte du baptême. La nature alors subit une transformation des plus inattendues, à tel point que le monde connut clairement que Jésus-Christ est le maître de toute créature, puisque le loup laissait la brebis lui jeter sur les épaules le joug de la loi, et que le loup, bien loin de dévorer la brebis, devenait son défenseur et son appui. Cependant Ananie donne à Saul, la brebis confère au loup l'immense bienfait du baptême, et non-seulement Saul recouvre la lumière qu'il avait perdue, mais il trouve qu'un autre nom est substitué à celui qu'il portait. Saul descendit dans l'eau du baptême, mais c'est Paul qui en sortit. Le loup accablé sous le poids de ses péchés s'abîma dans les fonts sacrés, mais bientôt devenu agneau, il surnagea comme l'huile sur les eaux, et «lorsqu'Ananie lui eut imposé les mains, on vit comme des écailles s'échapper des veux de Paul (1)». Ananie prêta le ministère de ses mains, mais c'est Dieu luimême qui illumina l'Apôtre. Or, dans le sens allégorique, ces écailles représentent ou bien la saleté des vêtements, ou bien l'enveloppe des poissons. L'imposition des mains dissipa l'aveuglement de Paul qui recouvra également ses forces, lorsque, après le baptême, il reçut de la nourriture; en effet, dès que ses péchés lui furent remis, il mangea le pain des anges et reçut la mission de prêcher le royaume des cieux.

1. Ac 9,18




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CINQUANTIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (DEUXIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. Puissance de la grâce de Jésus-Christ. - 2. Histoire de la conversion de Saul. - 3. Conclusion.

1. La sainte Ecriture est pour nous une source continuelle d'enseignements et de salutaires conseils; que le chrétien sache lui donner son assentiment et la recevoir avec (347) affection, et, fût-il captif sous les liens si nombreux du péché, il poura être sauvé. Car telle est la grâce de Jésus-Christ, que d'un loup elle sait faire un agneau en l'arrachant à l'abîme de ses vices. Aussi, comptant sur le secours des prières de nos pères et de votre charité, je vais essayer de vous montrer comment elle a changé les loups en brebis et comment elle a sauvé ceux mêmes qui étaient plongés dans l'abîme du péché.

2. Les Actes des Apôtres nous apprennent que Paul, alors appelé Saul, se présenta devant les princes des prêtres et leur demanda des lettres qui l'autorisassent à s'emparer de tous les chrétiens de Damas et à les ramener chargés de chaînes à Jérusalem. Mais écoutons ce qui advint à cet homme qui se déclarait ainsi l'ennemi de Jésus-Christ. Au moment où Saul se rendait à Damas pour s'emparer des chrétiens, «une lumière du ciel l'environna de toute part, et l'on entendit une voix d'en haut qui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous? Saul répondit: Qui êtes-vous, Seigneur? Et la «voix ajouta: Je suis Jésus de Nazareth, que vous persécutez. Saul s'écria: Seigneur, a que voulez-vous que je fasse? Et la voix lui a dit encore: Levez-vous et entrez dans la ville, et là vous trouverez un homme appelé Ananie; il priera pour vous, afin que vous voyiez et que vous soyez sauvé. Or, ceux qui l'accompagnaient le prirent par la main et le conduisirent dans la ville. D'un autre côté Ananie reçut une vision dans laquelle le Seigneur lui dit: Levez-vous et allez dans le bourg nominé Droit, et là vous trouverez un homme de Tharse appelé Saul (1)». O puissance inénarrable de Dieu t Ananie trouve un grand pécheur et il le rend juste; il trouve un persécuteur des chrétiens, et il en fait un confesseur de la foi; il trouve un vase souillé,

1 Ac 2,4-11

et il en fait un vase précieux; il trouve un orgueilleux, et il en fait un modèle d'humilité; il trouve un blasphémateur, et il en fait un Apôtre; il trouve le ministre des prêtres juifs devenus des bourreaux, et il en fait le frère des saints. Saul était porteur de lettres qui l'autorisaient à anéantir les chrétiens, et voici qu'aujourd'hui, dans le monde tout entier, ses admirables lettres sont lues avec respect et enfantent de nouvelles Eglises à Jésus-Christ. O saint Paul, vous avez été véritablement converti, puisque vous avez été dignement glorifié. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez été associé aux Apôtres. Vous avez été véritablement converti, puisque vous êtes devenu le docteur des Eglises. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez mérité d'entendre ces paroles: Mon frère Paul, excellent conseiller; vous avez été véritablement couverti, puisque vous avez mérité de prendre rang parmi les Apôtres. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez mérité d'occuper le douzième trône, selon cette parole de Jésus-Christ: «En vérité, en vérité, je vous le dis, à la résurrection, lorsque le Fils de l'homme siégera plein de majesté, vous aussi vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël (1)».

3. Comment donc une langue humaine pourrait-elle se trouver digne de faire l'éloge de Paul, que le Seigneur a appelé «un vase d'élection», et vraiment un vase très-pur et très-précieux, dans lequel Jésus-Christ a daigné habiter. Aussi, mes frères, empressons-nous de marcher sur les traces des saints, et de mériter par Jésus-Christ le bonheur du ciel, parce que tout est possible à Dieu, et que nous pouvons tout avec le secours de celui qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Mt 19,28

348




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CINQUANTE ET UNIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (TROISIÈME SERMON)

ANALYSE. - Paul, d'abord nommé Saul, persécuteur de Jésus-Christ. - 2. Saul, frappant ses victimes le matin, et le soir partageant sa proie. - 3. Saul, devenu Paul, persécuté pour Jésus-Christ. - 4. Saul, aidé par la grate de Jésus-Christ, supporte d'innombrables souffrances. - 5. Saul, nom d'orgueil, Paul, nom d'humilité. - 6. Paul, apôtre de l'Eglise des Gentils. - 7. Conclusion.

1. L'Apôtre saint Paul porta d'abord le nom de Saul, et surtout il fut l'ennemi déclaré de Jésus-Christ. Il persécuta cruellement les chrétiens, à l'époque où saint Etienne, premier martyr, fut lapidé. Il assistait à cette lapidation, et il gardait les vêtements des bourreaux. Il lui semblait que t'eût été trop peu pour lui de lapider de ses propres mains; tandis qu'au contraire, il agissait par les mains de tous ceux dont il gardait les vêtements. Après le martyre de saint Etienne, le premier couronné du martyre comme l'indique la signification de ce mot grec, Paul sentant sa haine redoubler, reçut des princes des prêtres des lettres qui lui permettaient, en quelque lieu que ce fût, de s'emparer des chrétiens, de les charger de chaînes et de les conduire au supplice. Il se rendait donc à Damas, plein de fureur, altéré de sang et de meurtre; mais «Celui qui habite dans les «cieux se jouait de lui, et le Seigneur le tournait en dérision (Ps 2,4)». Pourquoi tant d'empressement à infliger à d'autres des tourments que bientôt tu subiras toi-même? Avec quelle facilité le Seigneur convertit son ennemi, terrassa son persécuteur et le releva prédicateur et apôtre: «Saul», dit-il, «Saul, encore Saul, pourquoi me persécutez-vous (Ac 9,4)?» Quelle condescendance, mes frères, transpire dans cette parole du Seigneur! Qui donc pourra encore persécuter Jésus-Christ, déjà alors assis à la droite de son Père dans le ciel? Mais si le chef régnait dans le ciel, les membres souffraient sur la terre. Lui-même, le Docteur des nations, le bienheureux apôtre Paul, nous apprend ce que nous sommes par rapport à Jésus-Christ: «Vous êtes», dit-il, «le corps de Jésus-Christ et ses membres' n, Jésus-Christ tout entier, c'est donc la tête et les membres réunis. Voyez une comparaison tirée de notre propre corps. Vous vous trouvez pressé dans la foule, et quelqu'un heurte légèrement votre pied; aussitôt la tête crie pour le pied. Et que criet-elle? Vous me foulez. «Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous n. Lorsque Saul persécutait les Evangélistes qui portaient le nom de Jésus-Christ dans toute la terre, il foulait réellement les pieds de Jésus-Christ. En effet, c'est dans la personne de ces Evangélistes que Jésus-Christ se transportait chez les Gentils; c'est dans leur personne qu'il serépandait de toute part. Celui qui devait devenir le pied de Jésus-Christ, foulait ainsi les pieds de Jésus-Christ. Celui qui devait porter l'Evangile à tous les peuples de la terre, foulait ce qu'il devait être. N'a-t-il pas cité lui-même ces paroles du Prophète: «Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent tous les biens (1)». Nous avons également chanté ces autres paroles du Psalmiste:.«Le son de leur voix s'est répandu sur toute la terre». Voulez-vous voir comment Jésus-Christ est venu, porté sur ces pieds? «Et leur parole a retenti jusqu'aux confins de la terre (2)».

2. Le Seigneur ordonnait à Ananie de se rendre auprès de Saul pour le baptiser. Ananie répondit: «Seigneur, j'ai appris de cet homme qu'il persécute partout vos

1. 1Co 18,5 - 2. Rm 10,15 - 3. Ps 12,27

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serviteurs (1)». En d'autres termes: Pourquoi envoyez-vous la brebis au loup? Le mot hébreu Ananie se traduit en latin par un mot qui signifie brebis. Or, c'est à Saul, devant plus tard s'appeler Paul, et de persécuteur devant devenir Apôtre, que s'appliquent ces paroles du Prophète: «Benjamin, loup ravisseur (2)». Pourquoi Benjamin? Ecoutez saint Paul lui-même: «Moi aussi je suis israélite, de la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin (3). Le loup rapace frappe le matin sa victime, et le soir il partagera sa proie (4)». Il consommera d'abord, et seulement après il nourrira. En effet, devenu prédicateur, Paul savait distribuer la nourriture, il savait à qui la donner; il connaissait l'alimentation propre à un malade, à un infirme, ou à un homme fort et vigoureux. C'est en distribuant ainsi la nourriture, qu'il s'écriait: «Et moi, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels, à des enfants en Jésus-Christ. Je vous ai donné du lait, et lion une nourriture solide; car vous ne pouviez alors et vous ne pouvez encore la supporter (5)». Je partage donc la nourriture, je ne la jette pas indifféremment partout.

3. Ananie, timide brebis, avait entendu prononcer le nom de ce loup, et il tremblait entre les mains du pasteur. Le loup l'effrayait, mais le pasteur le rassurait, le consolait, l'affermissait et le protégeait. On lui dit des choses incroyables sur la personne de ce loup, et pourtant ce n'est que la vérité même qu'il reçoit des renseignements précis et fidèles. Ecoutons la réponse que le Seigneur adresse à Ananie saisi de crainte: «Laissez, car cet homme est maintenant pour moi un vase d'élection, afin qu'il porte mon nom en présente des nations et des rois. Je lui montrerai ce qu'il lui faudra souffrir pour mon nom (6)». «Je lui montrerai u. Cette parole ressemble à une menace, et cependant elle est l'annonce de la couronne. Toutefois, que n'a pas souffert saint Paul, de persécuteur devenu Apôtre? «Périls sur mer, périls sur les flots, périls dans la cité, périls dans le désert, périls de la part des faux frères, dans le travail et la privation, dans les veilles nombreuses, dans la faim et la soif, dans les

1. Ac 9,13 - 2. Gn 49,27 - 3. Rm 11,1 - 4. Gn 19,27 - 5. 1Co 3,1-2 - 6. Ac 9,15-16

jeûnes répétés, dans le froid et la nudité; outre ces maux extérieurs, le soin que j'ai des Eglises attire sur moi une foule d'affamés qui m'assiègent tous les jours. Qui est faible sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé, sans que je brûle (1)?» Tel est ce persécuteur; souffrez, attendez. Car vous souffrirez plus que vous n'avez souffert jusque-là. Mais gardez-vous de vous irriter; vous avez reçu avec usure. Mais qu'attendait-il au sein de toutes ses souffrances? Ecoutez ce qu'il nous dit dans un autre passage: «Le léger fardeau de notre tribulation». Pourquoi ce fardeau est-il si léger? Parce «qu'il opère en nous un poids immense de gloire; pourvu que nous considérions, non pas ce qui se voit, mais ce qui est invisible. Car les choses qui se voient sont temporelles, tandis que les choses qui ne se voient pas sont éternelles (2)». Il brûlait de l'amour des choses éternelles, lorsqu'il supportait avec tant de courage ces maux de toute sorte qui pouvaient effrayer par leur intensité, mais dont la durée ne pouvait être que passagère. Dès qu'on nous promet une récompense sans fin, toute souffrance destinée à avoir une fin doit nous paraître légère.

4. Mes frères, si l'Apôtre eut à subir tant de souffrances pour les élus, disons hardiment que ce n'est pas à lui qu'il faut en attribuer la gloire; car la vertu de Jésus-Christ habitait en lui. Jésus-Christ régnait en lui, Jésus-Christ lui procurait des forces, Jésus-Christ ne l'abandonnait pas, Jésus-Christ courait avec lui la carrière, Jésus-Christ le conduisait à la couronne. Je ne lui fais donc pas injure, quand je dis que ce n'est pas à lui que revient la gloire. Je le dis en toute confiance et j'y suis autorisé par saint Paul lui-même. Puis-je craindre de m'attirer son courroux, lorsque je cite ses propres paroles? Paul, parlez, parlez, grand saint et glorieux Apôtre; que lues frères sachent que je ne vous fais point injure. Que dit-il donc? Comparant ses travaux à ceux de ses collègues dans l'apostolat, il n'a pas craint de dire: «J'ai plus travaillé qu'eux tous (3)». Mais aussitôt il ajoute: Ce n'est point moi. Dites donc ce qui suit, dans la craince qu'on attribue à l'orgueil ces premières paroles: «J'ai plus travaillé qu'eux tous». Vous commenciez à

1. 2Co 11,26-29 - 2. 2Co 4,17-18 - 3. 1Co 15,10

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vous irriter contre moi, mais voici que Paul lui-même prend ma défense et semble vous dire: Ne vous irritez pas. «Or, ce n'est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi (1)». De même, sur le point de souffrir le martyre dont nous célébrions hier l'anniversaire, que dit-il? «Je suis déjà immolé, et le temps de ma dissolution approche. J'ai combattu le bon combat, j'ai consommé ma course, j'ai conservé la foi. Il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de la justice, que le Seigneur me rendra en sa qualité de souverain Juge (2)». Celui qui mérite la couronne est clairement désigné: «J'ai combattu le bon combat, j'ai consommé ma course, j'ai conservé la foi». Le Seigneur rendra ce qui est dû, mais rien ne serait dû à personne, si Dieu lui-même n'avait commencé par nous donner ce qu'il ne nous devait pas. Vous venez d'entendre saint Paul, assuré de recevoir de Dieu ce qui lui est dû; écoutez maintenant Jésus-Christ, traitant avec nous; c'est l'Apôtre lui-même qui nous le montre nous comblant de bienfaits qui ne nous étaient dus à aucun titre. «Je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu (3)». Cette parole doit vous faire comprendre ce que méritait celui pour qui vous voyez préparer une couronne. Considérez saint Paul, et voyez s'il n'a pas subi le châtiment qu'il méritait; il a persécuté l'Eglise de Dieu, de quelle croix n'est-il pas digne? Quels tourments n'a-t-il pas mérités? «Je ne suis pas digne», dit-il, «d'être appelé Apôtre. Je sais ce qui m'était dû; comment donc ai-je reçu l'Apostolat, moi qui ai persécuté l'Eglise de Dieu? Voyez-vous donc l'Apôtre? Mais c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (4)». O grâce de Dieu, donnée gratuitement et sans qu'elle puisse paraître en quoi que ce soit une récompense! Cette grâce ne trouva dans Saul que des titres au châtiment, et elle opéra en lui des titres à la récompense.

5. Voyez ce qui suit: «C'est par la grâce de Dieu», dit-il, «que je suis ce que je suis, car je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, moi qui ai persécuté l'Eglise de Dieu? Je m'attendais à des supplices, et je trouve des récompenses. D'où me vient cette faveur? Parce que c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et la grâce

1. 1Co 15,10 - 2. 2Tm 4,7-8 - 3. 1Co 15,9 - 4. 1Co 10

de Dieu n'a pas été vaine en moi, car j'ai plus travaillé que tous les autres apôtres». De nouveau vous commencez à vous élever? «Ce n'est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi». Bien, très-bien, Paul et non plus Saul, petit et non plus orgueilleux. Saul était un nom d'orgueil, car c'était le nom du premier roi d'Israël, d'autant plus jaloux qu'il était plus célèbre, et qui persécuta le saint roi David; c'est donc par un secret dessein de Dieu que l'Apôtre avait d'abord reçu le nom de Saul, c'est-à-dire le nom d'un persécuteur. Mais que signifie le mot Paul? Paul signifie petit, très-petit. Pesez cette parole, vous qui connaissez les belles-lettres; rappelez-vous également la coutume, vous qui n'entendez rien à la littérature. Paul est petit; regardez-le donc; ce n'est plus Saul altéré de sang et de carnage, c'est maintenant Paul, qui ne craint pas de se dire «le dernier d'entre les Apôtres (1)». Il en est le dernier, mais c'est lui qui a converti le plus grand nombre de pécheurs.

6. Rappelons-nous ce vêtement, peut-être le plus petit de tous; en le touchant, une femme malade, image de l'église des Gentils, fut guérie d'une perte de sang. Or, c'est vers les Gentils que Paul fut envoyé pour leur porter le salut, quoiqu'il se crût le plus petit des Apôtres. Sachez également que cette femme qui toucha la robe du Sauveur, Jésus-Christ déclara qu'il ne la connaissait pas; mais cette ignorance n'était que simulée. En effet, que pouvait ignorer Jésus-Christ véritablement Dieu? Et cependant, parce que cette femme représentait l'église des Gentils, dans laquelle le Seigneur ne se trouvait que par ses Apôtres, et non point par une présence corporelle, dès que le Sauveur sentit toucher la frange de son vêtement, il s'écria «Qui m'a touché?» Les Apôtres répondirent «La foule vous presse et vous écrase, et vous «demandez: Qui m'a touché?» Jésus-Christ répliqua: «Quelqu'un m'a touché (2)». La foule accable, mais la foi touche. Mes frères, soyez de ceux qui touchent, et non pas de ceux qui accablent. «Qui m'a touché; quelqu'un m'a touché». Jésus-Christ feint l'ignorance; ce n'est point un mensonge, mais une figure. Quelle est cette figure? «Le peuple que je n'ai pas connu est devenu mon serviteur fidèle (3)».

1. 1Co 15,9 - 2. Lc 8,45-47 - 3. Ps 17,4

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7. Sur le point de souffrir le martyre, de terminer vos travaux et de recevoir la couronne, grand Apôtre, ne craignez pas de dire «Je me dissous déjà, le temps de ma mort approche; j'ai combattu le bon combat, j'ai consommé ma course (1)». A quoi servirait le combat, s'il n'était pas suivi de la victoire? Vous dites que vous avez combattu; dites d'où vous est venue la victoire; dans un autre passage il répond à cette question «Je rends grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ (2). «J'ai consommé ma course». Vous avez consommé votre course? Reconnaissez-le «C'est l'oeuvre non pas de celui qui veut, ou de celui qui court, mais de Dieu qui fait a miséricorde (3)». Vous dites encore: «J'ai conservé la foi». Vous avez conservé la foi, vous l'avez gardée? Mais: «Si le Seigneur

1. 2Tm 4,7 - 2. 1Co 15,57 - 3. Rm 9,16

ne construit pas la cité, c'est en vain que veillent ceux qui; la gardent (1)». Si donc vous avez conservé la foi, c'est par le secours de Dieu; c'est Dieu qui l'a conservée en vous, lui qui a dit à cet autre Apôtre martyrisé à Rome le même jour que vous: «J'ai prié pour toi, Pierre, pour que ta foi ne défaille point (2)». Demandez donc, car la récompense est toute prête; dites: «J'ai combattu le bon combat», c'est vrai; «J'ai consommé ma course», c'est vrai; «J'ai conservé la foi», c'est vrai; il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de justice que le Seigneur me rendra en sa qualité de souverain Juge (3)». Exigez ce qui vous est dû. Votre couronne est toute prête; mais souvenez-vous que vos mérites ne sont que des dons de Dieu.

1. Ps 126,1 - 2. Lc 21,32 - 3. 2Tm 4,7-8





Augustin, Sermons 1046