Augustin, Sermons 2006

2006

SIXIÈME SERMON. ENCORE SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL AUX ENFANTS (1).

ANALYSE. - 1. Le corps du Seigneur est sur l'autel, et nous sommes ce corps. - 2. L'Eucharistie est un symbole d'unité. - 3. Exposé de la liturgie eucharistique.

1. Ce que vous voyez, mes bien-aimés, sur la table du Seigneur, c'est du pain, c'est du vin; mais qu'advienne la parole, et ce pain et ce vin sont le corps et le sang du Verbe. Car, ce même Seigneur, qui était «au commencement le Verbe, et le Verbe qui était en Dieu, a et le Verbe qui était Dieu(1)», est devenu, comme vous le savez, «le Verbe fait chair, habitant parmi nous», par cette grande miséricorde qui l'a porté à ne point mépriser ce qu'il a créé à son image; car le Verbe s'est revêtu de l'homme, c'est-à-dire d'une âme et d'une chair humaine, et il est devenu homme, tout en demeurant Dieu. Aussi, par cela même qu'il a souffert pour nous (2), il a recommandé à notre adoration, dans ce sacrement, son corps et son sang, et c'est ce qu'il nous a faits nous-mêmes, par sa grâce. Car nous sommes devenus son corps, et par sa miséricorde nous sommes ce que nous recevons (3). Souvenez-vous que cette créature fut un jour dans les champs, comment elle sortit du sein de la terre, fut nourrie par la pluie, qui en fit un épi; comment elle fut transportée dans la grange par le travail de l'homme, puis battue, vannée, remise au grenier, retirée, moulue, pétrie, cuite, et devint enfin du pain. Souvenez-vous aussi de vous-mêmes. Un jour vous n'étiez point, et vous avez été créés, puis apportés dans la grange du maître et triturés par le travail des boeufs, c'est-à-dire des prédicateurs de l'Evangile. Quand on vous maintenait catéchumènes, on vous conservait dans le grenier.

1. Jn 1,1

2. C'est ici que commence le fragment dont nous venons de parler.

3. La coupure suivante, jusqu'à ces paroles: «Souvenez-vous aussi de vous-mêmes», ne se trouve point dans le fragment édité.

Puis, vous avez inscrit vos noms pour être broyés par les jeûnes et les exorcismes. Puis, vous êtes arrivés au baptême, on vous a pétris, ramenés à l'unité; au feu de l'Esprit-Saint vous avez dû cuire, pour devenir ainsi le pain du Seigneur.

2. Voilà ce que vous avez reçu. Et comme vous voyez l'unité dans ce qui a été fait pour vous, soyez un aussi vous-mêmes, en vous aimant les uns les autres, en vous attachant à la même foi, à la même espérance, à la même charité. En recevant ce sacrement, les hérétiques reçoivent un témoignage contre eux-mêmes, puisqu'ils cherchent la division, tandis que ce pain nous prêche l'unité. De même le vin était répandu en plusieurs raisins, et maintenant il est un. Il est un avec ses parfums dans le calice, mais seulement après la violence du pressoir. Et vous aussi, après ces jeûnes, après ces labeurs, après vous être humiliés et brisés par la douleur, vous êtes arrivés au nom du Christ, au calice du Seigneur, et voilà que c'est vous qui êtes sur cette table, vous qui êtes aussi dans le calice. Vous êtes cela conjointement avec nous; car c'est ensemble que nous sommes cela (1), et nous le buvons ensemble, parce que nous vivons ensemble (2). Vous entendrez ce que vous entendiez hier, mais aujourd'hui on vous expose, et ce que vous avez entendu, et ce que vous avez répondu, et si vous avez gardé le silence quand on répondait, vous avez du moins appris aujourd'hui ce qu'il fallait répondre.

3. Après la salutation que vous connaissez,

1. On dirait mieux: nous le prenons ensemble.

2. Ici finit le fragment.

(1) On trouve dans fol. 7, cette inscription: «Du sacrement de l'autel, Sermon de saint Augustin pour le même jour.» C'est une courte instruction, semblable au sermon 3,

pour ceux qui reçoivent la première fois la sainte communion. Nous donnons tout entier le fragment tiré de Bède et de Florus, inséré par les bénédictins sous le titre de sermon CCXXIX. Voir tom. 7, p. 249-250.

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ou: «Le Seigneur soit avec vous n, vous avez entendu: «En haut les coeurs». Or, toute la vie du vrai chrétien, c'est le coeur en haut, non plus la vie de ces chrétiens de nom seulement, mais des chrétiens en réalité et en vérité: toute leur vie, c'est le coeur en haut. Qu'est-ce à dire le coeur en haut? Espérer en Dieu et non en toi-même. Car tu es en bas, mais Dieu est en haut. Mettre en toi ton espérance, c'est avoir le coeur en bas, non plus en haut. Donc à cette parole du prêtre: «Les coeur en haut!» répondez: «Nous les tenons vers le Seigneur». Travaillez à justifier cette réponse. Puisque telle est votre réponse dans l'action divine, qu'il en soit selon votre parole. Que la langue ne dise pas oui, et la conscience non; et comme c'est un don que Dieu vous fait, d'avoir le coeur en haut, et que cela ne vient point de vos forces, de là vient qu'ensuite, quand vous avez affirmé que vos coeurs sont en haut, le prêtre continue: «Rendons grâces au Seigneur notre Dieu». Pourquoi lui rendre grâces? Parce que notre coeur est en haut, et qu'il serait à terre si le Seigneur ne l'eût soulevé. Viennent ensuite les effets produits par les saintes prières que vous allez entendre, quand, d'un mot, sont produits le corps et le sang du Christ. Otez le Verbe en effet, c'est du pain, c'est du vin; mais avec la parole il en est tout autrement. Qu'y a-t-il alors? Le corps du Christ, le sang du Christ. Otez la parole, c'est du pain, c'est du vin. Joignez-y la parole, et voilà un sacrement. A cela vous répondez: Amen; dire amen, c'est souscrire; car Amen signifie, en latin, cela est vrai. On dit ensuite l'oraison dominicale que vous avez déjà entendue et récitée. Mais pourquoi la réciter avant de recevoir le corps et le sang du Christ? C'est parce que si, d'après l'humaine fragilité, il nous est venu en l'esprit une pensée honteuse, si notre langue a échappé telle parole inopportune, si notre ceil s'est arrêté sur une image lubrique; si nous avons prêté l'oreille au langage de la flatterie, ou enfin si les tentations de ce monde et l'humaine fragilité nous ont fait contracter quelques fautes semblables, tout cela est effacé par l'oraison dominicale, où nous disons: «Pardonnez-nous nos «offenses (1)», c'est afin que nous puissions approcher en toute sûreté, et que nous ne mangions pas, nous ne buvions pas, pour notre jugement, ce qui nous est présenté. On dit ensuite: «Que la paix soit avec vous». C'est un grand symbole que le baiser de paix. Donne ce baiser en ami. Garde-toi d'être Judas. Le traître Judas baisait le Christ, de la bouche, et lui dressait des embùches dans son coeur. Mais peut-être quelqu'un a-t-il de la haine contre toi, et tu ne saurais le convaincre, et tu es forcé de le tolérer. Garde-toi de lui rendre dans ton coeur le mal pour le mal. Il te hait, aime-le, et tu le baiseras en sûreté. C'est là peu de paroles, mais de grandes paroles. Loin d'en mépriser la brièveté, sachez en apprécier la valeur. D'ailleurs, il ne fallait point trop vous charger, afin que vous puissiez retenir ce que l'on vous dit.

1. Mt 6,12




2007

SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE PAQUES (1).

ANALYSE. - 1. Qui fait la Pâque, et comment la faire. - 2. Alleluia pour les riches, les pauvres, les affligés. -3. Dieu agit en Père; le Diable en marchand.

1. Chacun sait que nous célébrons les jours de la Pâque, et qu'en ces jours nous chantons Alleluia. C'est pourquoi, mes frères, il faut apporter nos soins à bien mettre dans notre esprit ce que nous célébrons extérieurement. Nous célébrons en effet la Pâque, disons-nous; or, Pâque est un mot hébreu, que l'on traduit en latin par transitus, passage; en grec c'est paskein, souffrir, en latin pascha, pascere, donner à manger, ainsi on dit: J'hébergerai mes amis. Or, qu'est-ce que célébrer la Pâque, sinon passer de la mort de ses propres péchés à la vie des justes? Ainsi un Apôtre a dit: «Nous savons que nous avons passé de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères (1)». Qu'est-ce que faire la Pâque, sinon croire en Jésus-Christ qui a souffert sur la terre, afin de régner avec lui dans les cieux? Qu'est-ce que faire la Pâque, sinon nourrir le Christ dans les pauvres? Car c'est lui qui a dit, à propos des pauvres: «Quiconque aura fait quelque bien au moindre des miens, l'aura fait à moi-même (2)». Le Christ est assis dans les cieux, mais il est indigent sur la terre. Là-haut, il intercède pour nous auprès de son Père, et ici-bas il demande un morceau de pain. Donc, mes seigneurs, mes frères, si nous voulons faire saintement la Pâque, passons, souffrons, faisons l'aumône. Passons du péché à la justice, souffrons pour le Christ, faisons l'aumône au Christ dans les pauvres. Asseyons-nous à d'honnêtes festins, afin de jouir du festin céleste, dans le royaume de Dieu, avec Abraham. Chantons donc au Seigneur, Alleluia, qui signifie en latin: louange à celui qui est. Bénissons-le, et dans l'adversité,

1. Jn 3,14 - 2. Mt 25,40

et dans la prospérité. Point d'orgueil dans la prospérité des richesses, point d'abattement sous le fléau des revers. Chantons l'Alleluia avec Job qui disait: «Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni (1)». Bénissons donc le Seigneur en tout temps; car nous chantons un perpétuel Alleluia, quand, au bruit de notre langue, nous joignons le mouvement de nos membres pour opérer la justice, et quand le chant qui est dans notre bouche se reflète dans les oeuvres de notre vie.

2. Ecoutez comment il est enjoint aux pauvres et aux riches de chanter l'Alleluia. «Ordonnez», dit l'Apôtre, «aux riches de ce monde de n'être point orgueilleux, de n'espérer point dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie, d'être riches en bonnes oeuvres, de donner de bon coeur, de faire part de leurs biens, de se faire un trésor pour l'avenir, afin d'embrasser la véritable vie (2)». Que les pauvres doivent chanter, c'est ce qu'enseigne Tobie: «Mon fils n, dit-il, «sois sans crainte au sujet de la vie pauvre que nous menons; mais tu auras de grandes richesses si tu crains Dieu et si tu fais le bien en sa présence (3)». Membres bien-aimés du corps de Jésus-Christ, attendons notre Chef qui doit venir du ciel, et en nous joignant à lui nous demeurerons stables, en sorte que nous régnerons avec lui dans le ciel après avoir célébré sa passion sur la terre. Supportons ses châtiments, afin de nous redresser,

1. Jb 1,21 - 2. 1Tm 6,17-18 - 3. Tb 4,3

(1) Dans le manuscrit, fol. 10, pag. 2, on lit: Sermon de saint Augustin sur la fête de Pâques. Toutefois ce discours révèle peu saint Augustin, du moins dans son entier. C'est ce que pourront constater ceux qui sont familiarisés avec le saint docteur; car je penche plutôt à le lui refuser qu'à le lui attribuer.

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parce que c'est en fils que nous traite le Seigneur. «Quel enfant», dit l'Apôtre, «n'est point châtié de son père (1)?» Vous soustraire aux châtiments du Seigneur, ce serait agir en bâtards et non en fils légitimes. Supportons donc la rigueur du père, pour ne pas encourir la sévérité du juge.

3. Dieu et le diable, c'est le père et le marchand (2). Dieu comme père nous châtie, nous corrige, mais nous associe à lui; le diable nous flatte, nous séduit, mais pour nous vendre. Notre père porte un fouet, le marchand porte un sac. Si tu te réfugies sous les

1. He 12,7

2. On retrouve ce langage au sermon 21, n. 4.

ailes de celui qui châtie, tu échapperas aux ignominies du trafiquant. Vois lequel te mettra en repos, ou dans le royaume des cieux, ou dans le feu des enfers. Si tu aspires au royaume de Dieu, tu pourras te réjouir dans la liberté; mais si tu veux le sac, tu sentiras les chaînes de la servitude; on te liera les pieds et les mains, et l'on dira de toi: «Saisissez-le, et jetez-le dans les ténèbres a extérieures, c'est là qu'il y aura des pleurs a et des grincements de dents(1)». Et l'on nous crie bien haut: «Que celui qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit aux églises (2)».

1. Mt 22,13 - 2. Ap 3,22




2008

HUITIÈME SERMON. POUR L'OCTAVE DE PAQUES, AUX ENFANTS (1).

ANALYSE. - Vertu et effets du baptême, espérance qu'il- renferme. - 2. Le baptême ne sert de rien en dehors de l'Eglise. - 3. Contre les schismatiques se glorifiant du baptême. - 4. Exhortation aux nouveaux baptisés.

1. C'est à vous que je m'adresse, enfants nouvellement nés, notre postérité en Jésus-Christ, jeune famille de l'Eglise, grâce du père, fécondité de la mère, germe sacré, jeune essaim, éclat de notre honneur, fruit de nos travaux, ma joie et ma couronne, ô vous tous qui demeurez fermes dans le Seigneur, c'est à vous que j'adresse ces paroles de l'Apôtre: «La nuit s'avance et le jour s'approche. Abjurez donc les oeuvres de ténèbres, et revêtez-vous des armes de la lumière. Marchez dans la décence, comme durant le jour, et non dans la débauche et dans les festins, dans les impudicités et dans les dissolutions, dans les querelles et dans les jalousies, mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez point à contenter les désirs de la chair (1)»; afin de revêtir ainsi dans la vie celui que vous avez revêtu dans le sacrement.

1. Rm 13,12-14

«Vous tous, en effet, qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n'y a plus ni Juif, ni Gentil, plus a d'esclave ni d'homme libre, plus d'homme a ni de femme; car vous n'êtes tous qu'un en Jésus-Christ (1)». Telle est, en effet, la vertu du sacrement. C'est le sacrement de cette vie nouvelle, qui commence ici-bas par la rémission des péchés, qui sera complète à la résurrection des morts: et vous êtes ensevelis avec lui par le baptême pour la mort «du péché, afin que, comme le Christ est a ressuscité d'entre les morts, vous marchiez aussi dans une vie nouvelle (2)». Vous marchez maintenant par la foi, tant que dans ce corps mortel vous êtes loin du Seigneur.; mais il est pour vous une voiè certaine, ce Jésus-Christ vers qui vous tendez, et qui a daigné se faire homme pour vous. Car il réserve à

1. Ga 3,27-28 - 2. Rm 6,4

(1) Au fol. 14, On lit cette inscription: «Sermon de saint Augustin, évêque». Ce discours traite du sacrement de baptême d'une manière digne de son auteur.

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ceux qui le craignent une douceur ineffable qu'il offrira et qu'il perfectionnera pour ceux qui espèrent en lui, quand nous aurons en réalité ce que nous n'avons maintenant qu'en espérance. «Car nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît point encore. Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (1)». Voilà ce que lui-même nous promet encore dans l'Evangile: «Celui qui m'aime», dit-il, «garde mes commandements, et celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et moi je l'aimerai, et me manifesterai à lui (2)». Assurément ceux qui s'entretenaient avec lui le voyaient, mais dans la forme de l'esclave, dans laquelle son Père est plus grand que lui, et non dans cette forme divine, dans laquelle il est égal à son Père. Il montrait celle-là à ceux qui le craignaient, réservant celle-ci à ceux qui espéraient en lui. Il apparaissait en celle-là aux pèlerins de cette vie, appelant à celle-ci ceux qui devaient habiter avec lui. Il mettait la première sous les pieds de ceux qui marchent ici-bas, promettant la seconde à ceux qui arriveront là-haut.

2. «Ayant donc ces promesses, mes bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, achevant l'oeuvre de notre sanctification, dans la crainte de Dieu (3)». «Je vous conjure donc de marcher dignement dans l'état auquel vous avez été et appelés, avec toute l'humilité de l'esprit, avec douceur, vous supportant les uns les autres, avec charité, travaillant à conserver l'unité de l'esprit dans le lien de la paix (4)». Tel est, en effet, l'état d'où nous avons reçu un semblable gage. Mais il en est qui ont revêtu Jésus-Christ par le sacrement seulement, et qui en sont dépouillés quant à leur foi ou bien à leurs moeurs. On trouve, en effet, chez beaucoup d'hérétiques le sacrement de baptême, et non le fruit même du salut, ni le lien de la paix: «Ils ont», dit l'Apôtre, «l'apparence de la piété, mais non les effets (5)»; ou bien marqués du signe du salut par les renégats, ou renégats eux-mêmes, et portant le signe du saint roi dans une chair abominable, ils nous disent. Si nous ne sommes pas des fidèles, pourquoi ne nous baptisez-vous point? Mais si nous sommes des

1. 1Jn 3,2 - 2. Jn 14,21 - 3. 2Co 7,1 - 4. Ep 4,1-3 - 5. 2Tm 3,5

fidèles, pourquoi chercher à nous ramener? comme s'ils n'avaient point lu que Simon le Magicien avait reçu le baptême, lui aussi, quand Pierre néanmoins lui dit: «Tu n'as point de part, ni rien à prétendre dans cette foi (1)». D'où il est possible qu'un homme ait reçu le baptême du Christ, sans croire au Christ ou sans l'aimer, qu'il ait reçu le sacrement de la sainteté, sans avoir part à l'héritage des saints. Et, quant au signe sacramentel seulement, il ne sert de rien de recevoir le baptême du Christ, là où n'est pas l'unité du Christ. Car si un homme baptisé dans l'Eglise, vient à déserter l'Eglise, il n'aura point la sainteté de la vie, bien qu'il ait le signe sacramentel. On montre, en effet, que sa désertion ne le lui a point fait perdre, dès lors qu'on ne le lui imprime point de nouveau s'il vient à retourner. Semblable au déserteur de la milice, il n'est point dans la société légale, bien qu'il ait le signe du prince. Donner lui-même ce signe à un autre, c'est l'associer à sa peine, plutôt que l'associer à la vie. Mais que l'un retourne dans les rangs de la milice légitime, et que l'autre y vienne, le courroux du prince s'adoucit, on pardonne à l'un sa désertion, on fait bon accueil à l'autre parce qu'il arrive. En l'un et- en l'autre la faute est redressée, à l'un et à l'autre on remet la peine, on donne la paix à tous deux, mais ni chez l'un ni chez l'autre on ne renouvelle point un signe déjà donné.

3. Qu'ils ne viennent donc plus nous dire Que nous donnerez-vous si déjà nous avons le baptême? Ils savent si peu ce qu'ils disent, qu'ils ne veulent pas même lire ce que nous assure l'Ecriture sainte, que dans l'Eglise même, c'est-à-dire dans la communion des membres du Christ, beaucoup de fidèles baptisés à Samarie n'avaient pas reçu le Saint-Esprit, mais étaient demeurés avec le baptême seulement, jusqu'à ce que les Apôtres fussent venus de Jérusalem les visiter (2); tandis qu'au contraire, Corneille, et ceux qui étaient avec lui, avaient mérité de recevoir le Saint-Esprit avant d'avoir reçu le sacrement de baptême (3). Dieu nous enseignait ainsi qu'il y a une différence entre le signe du salut et le salut lui-même, entre l'apparence de la piété et la réalité de cette même piété. Que nous donnerez-vous, disent-ils, puisque nous avons déjà le baptême? O vanité

1. Ac 8,21 - 2. Ac 8 - 3. Ac 10

sacrilège, de prendre pour rien cette Eglise du Christ, qu'ils n'ont point, jusqu'à regarder comme rien d'avoir part à sa communion! Que le prophète Amos leur dise: «Malheur à ceux qui n'estiment point Sion (1)!» Que recevrai-je, nous dit-on, puisque j'ai déjà le baptême? Tu recevras l'Eglise que tu n'as pas, tu recevras l'unité que tu n'as pas, tu recevras la paix que tu n'as point. Et si tout cela est peu à tes yeux, eh bien! déserteur, combats contre ton empereur qui te dit: «Celui-là disperse, qui n'amasse point avec moi (2)»; combats contre son apôtre, et même combats contre celui qui disait par sa bouche: «Vous supportant les uns les autres dans la charité, travaillez à conserver le même esprit dans le lien de la paix (3)». Compte bien ce qu'il dit: le support mutuel, la charité, l'unité, l'esprit, la paix. Cet Esprit, qu'il énumère ici, et que tu n'as point, est celui qui fait toutes choses. Qui as-tu supporté, toi qui as déserté l'Eglise? Qui as-tu aimé, toi qui t'es séparé des membres du Christ? Quelle unité peux-tu trouver dans cette scission sacrilège? Quelle paix dans une rupture criminelle? Loin de nous de regarder ces biens comme rien, c'est toi qui n'es rien sans tous ces biens. En refusant de les recevoir dans l'Eglise, tu peux avoir le baptême, sans doute; mais tout ce que tu as sans ces biens ne fera qu'aggraver ton supplice. Car le baptême du Christ, qui serait avec tous ces avantages un moyen de salut, ne sera, sans eux, que le témoignage de ton iniquité.

4. Pour vous, saints enfants, membres de l'Eglise catholique, ce n'est point un autre baptême que vous avez reçu, mais ce sont d'autres biens. Car vous l'avez reçu, non

1. Am 6,1 - 2. Lc 11,23 - 3. Ep 4,3

plus pour la mort, mais pour la vie; non pour votre perte, mais pour votre salut; non pour votre condamnation, mais pour votre honneur. Car, avec ce baptême, vous avez reçu l'unité de l'esprit dans le lien de la paix, si toutefois, comme je l'espère, comme je le désire, comme je vous engage et vous supplie de faire, vous gardez intégralement ce que vous avez reçu, et même si, par vos progrès, vous arrivez à de plus hautes faveurs. C'est aujourd'hui l'octave de votre naissance. Aujourd'hui se complète en vous le signe de la foi, qui s'imprimait, chez vos ancêtres, par la circoncision de la chair, le huitième jour après la naissance. Car elle figurait le dépouillement de ce que nous avons de mortel dans ce membre humain, source de vie pour l'homme qui doit mourir. De là vient que le Seigneur lui-même, se dépouillant par la résurrection de ce que notre chair a de mortel, a soulevé du tombeau, non pas un corps étranger, mais son corps qui ne doit plus mourir, marquant ainsi du sceau de la résurrection ce jour du Seigneur, qui est le troisième, après sa passion, le huitième dans la semaine, ou le premier après le sabbat. Donc, et vous aussi, qui avez reçu le gage de l'Esprit-Saint, non pas encore en réalité, mais par une ferme espérance, puisque vous en avez reçu le sacrement, «si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu; n'ayez de goût que pour les a choses d'en haut, et non pour celles d'ici-bas. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. Quand paraîtra le Christ qui est votre vie, vous paraîtrez avec lui dans la gloire (1)».

1 Col 3,1-4

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2009

NEUVIÈME SERMON. SUR LE PSAUME 117, v. 1: LA CONFESSION (1):

ANALYSE. - 1. Que signifie confesser à Dieu. - 2. Comment et pourquoi doit-on se confesser à la bonté divine. - 3. Combien différent la confession faite à un homme, à un juge, et la confession faite à Dieu. - 4. Exhortation à confesser nos péchés à Dieu.

1. «Confessez au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle (1)». L'exhortation que nous fait par la voix du Psalmiste cet Esprit-Saint, à qui nous répondons d'une voix unanime, et dans l'unanimité du coeur: Alleluia, ce que l'on traduit en latin par Laudate Dominum: louez le Seigneur; cette exhortation, le même Esprit-Saint vous la fait aussi par notre voix. «Confessez au Seigneur», vous dit-il, «parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est dans les siècles», Soit que par vos chants vous releviez ses dons, soit que vous énumériez, en gémissant, vos péchés: «Confessez au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle». Car, ce n'est point seulement l'énumération, mais encore la louange de Dieu que l'on nomme confession; car si nous faisons l'une, ce n'est point sans faire l'autre aussi. D'une part, en effet, nous accusons notre iniquité avec l'espérance de sa miséricorde, et, d'autre part, nous chantons sa miséricorde au souvenir de nos iniquités. Confessons donc au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle. Il est des créatures qui paraissent mauvaises à quelques-uns, parce qu'elles offusquent les yeux de l'ignorance; mais c'est à tort, car Dieu a fait bon tout ce qu'il a fait, «parce qu'il est bon». Pour plusieurs encore, Dieu paraît injuste, parce que la plupart de ses fidèles passent, dans cette vie du temps, par les difficultés et les angoisses. Mais croire cela, c'est se tromper. «Car Dieu châtie», non point celui qu'il

1. Ps 117,1

rejette, «mais celui qu'il reçoit au nombre «de ses enfants, parce que sa miséricorde est pour les siècles (1)».

2. «Confessons donc au Seigneur, parce qu'il est bon, et que sa miséricorde est dans les siècles». Disons au Seigneur notre Dieu: «Vos oeuvres sont admirables, car vous avez fait tout avec sagesse (2). Vos jugements sont droits (3); c'est à cause de l'iniquité que vous avez châtié l'homme. J'ai péché avant d'être humilié (4)». Parlons ainsi dans notre confession, parce que, si le supplice de notre mortalité nous cause des douleurs, Dieu fait que ce supplice soit bon, «parce qu'il est bon lui-même». Et si les douleurs et les travaux de cette vie nous redressent, et il ne sera point toujours indigné «contre nous, sa colère ne sera point éternelle, parce que sa miséricorde est dans les siècles (5)». Qu'y a-t-il d'aussi bon que notre Dieu? Les hommes blasphèment; loin de s'humilier. de leurs crimes, ils s'en glorifient, et «Dieu fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et répand sa rosée sur les justes et sur les injustes (6)». Qui est miséricordieux comme notre Dieu? Les hommes persévèrent dans leurs crimes, dans leurs injustices, et il ne cesse de les appeler à la conversion. Quelle bonté peut égaler celle de notre bien, qui nous donne de si grandes consolations dans nos douleurs? Quelle miséricorde est aussi grande que celle de notre Dieu, dont nous changeons la sentence à venir en nous changeant nous-mêmes?

1. He 12,6 - 2. Ps 103,24 - 3. Tb 3,2 - 4. Ps 118,67 - 5. Ps 102,9 - 6. Mt 5,45

(1) Dans le manuscrit fol. 17, pag. 2, on lit cette inscription: «Sermon de saint Augustin, évêque». Il traite de la confession des péchés. Possidius en parle dans son Index, chap. 9.

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Confessons au Seigneur qu'il est bon, que sa miséricorde est éternelle. Toute louange n'est point une confession, mais la louange de Dieu Notre-Seigneur. S'il est bien vrai de dire: «Combien le Dieu d'Israël est bon à ceux qui ont le coeur droit (1)», il paraît mauvais à l'homme au coeur pervers. Or, quel homme, s'il n'arrive de la perversité à la doctrine, de manière à louer en toute sincérité ce qu'il blâmait auparavant, à admirer ce qu'il méprisait, confessera au Seigneur que, depuis que lui-même est devenu droit, il trouve bon ce même Seigneur, qu'il estimait mauvais quand lui-même était pervers? Et comme il était pervers par sa propre malice, et qu'il est redressé par la grâce de Dieu, il doit confesser en même temps «que sa miséricorde est dans les siècles». Nous sommes mauvais, et Dieu est bon; c'est par lui que nous sommes bons, par nous que nous sommes mauvais. Il est bon pour nous quand nous sommes bons, et bon encore quand nous sommes mauvais. C'est nous qui sommes cruels contre nous-mêmes, lui qui est miséricordieux envers nous. Il nous appelle pour nous convertir; il attend que nous nous convertissions; il nous pardonne si nous nous convertissons, et nous couronne si nous ne le quittons point.

3. Confessons donc au Seigneur «qu'il est bon, que sa miséricorde est pour les siècles». Toujours la confession des péchés a paru redoutable aux hommes, mais devant un homme qui est juge. Il n'arrive pas souvent que les fouets, la verge, les crocs et même le feu arrachent un aveu de la bouche; et quelquefois les membres sont brisés par les tortures, le corps est disloqué avant que la douleur ait déterminé l'âme à faire l'aveu d'un crime. Le bourreau insiste alors, on multiplie tous les genres de tourments; mais c'est en vain que l'on châtie les entrailles en les déchirant, quand la négation ferme la conscience. Pourquoi donc, au milieu de ces tortures, l'homme a-t-il craint de faire un aveu, sinon parce que l'on châtie d'ordinaire quiconque avoue sa faute? Se confesser devant un homme, c'est encourir

1. Ps 62,1

le châtiment. Se confesser devant Dieu, c'est obtenir sa délivrance. Et là, rien d'étonnant. L'homme force l'homme à confesser ce que lui-même ignore; mais Dieu, qui nous invite à la confession, sait bien ce que nous refusons de confesser, et ne l'apprend point par notre aveu. A combien plus forte raison nous délivrera-t-il de la mort éternelle, après notre confession, lui qui épargnait la mort du temps à nos iniquités, qu'il connaissait avant notre aveu.

4. Mais, diras-tu peut-être, pourquoi Dieu exige-t-il de moi l'aveu de ce qu'il connaît déjà? Car l'homme n'interroge un autre homme que pour connaître ce qu'il ne connaît pas. Quel est, crois-tu, le dessein de Dieu, sinon de te faire châtier ta faute par un aveu, afin de t'en délivrer lui-même par le pardon? Comment vouloir, en effet, qu'il te pardonne ce que tu refuses de reconnaître? Ecoute, en effet, le psaume, et, avec un peu d'attention, reconnais ta parole où elle se trouve. «J'ai connu mon péché», dit un pénitent, «et je n'ai point cherché à cacher «mon crime. J'ai dit: Je confesserai contre «moi mes prévarications au Seigneur, et «vous m'avez remis l'impiété de mon «coeur(1)». Ecoute un autre psaume: «Parce que moi-même je reconnais mon iniquité, et mon péché est toujours devant mes yeux (2)». Dès lors, ce pénitent pouvait, sans impudence, dire à Dieu: «Détournez «votre visage de mes iniquités 9». Le Seigneur daigne, en effet, détourner sa face des péchés d'un homme, quand cet homme ne cherche point à détourner les yeux de ses propres fautes, de manière à dire à Dieu: «Mon péché est toujours devant ma face». Et dès lors, dire à Dieu: «Détournez votre face de mes péchés», c'est lui demander qu'il les pardonne, et non qu'il les ignore. Si donc, ô homme, tu crains d'avouer tes fautes devant un homme qui te jugera, soit parce qu'il est inique, soit parce qu'il doit agir selon la sévérité de la loi, confesse-les en toute sincérité au Seigneur, «parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est pour le siècle».

1. Ps 31,5 - 2. Ps 1,5 - 3. Ps 2




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DIXIÈME SERMON. SUR LE v. 1 DU PSAUME CXLIX. «CHANTEZ AU SEIGNEUR UN NOUVEAU CANTIQUE (1)».

ANALYSE. - 1. Il y a deux cantiques: l'ancien et le nouveau. - 2. Quelle est l'église des saints sur la terre. - 3. Quelle est la vraie Sion, quelle en est la condition. - 4. C'est dans le Christ que nous croyons et que nous espérons la félicité.

1. Voici les jours où l'on chante Alleluia. Apportez, mes frères, toute votre attention à recueillir ce qu'il plaira au Seigneur de me suggérer pour notre édification, et nourrir cette charité par laquelle il nous est bon de nous attacher à Dieu. Apportez votre attention, chantres pieux, enfants de la louange et de la gloire, du Dieu véritable et incorruptible; car tel est l'Alleluia (1). Louez Dieu, non-seulement de la voix, mais aussi de l'intelligence, et encore par les borines oeuvres, et selon l'exhortation de notre psaume, chantons au Seigneur un cantique nouveau (2). Car c'est ainsi qu'il commence: «Chantez au Seigneur un nouveau cantique». Au vieil homme, le vieux cantique; pour l'homme nouveau, un cantique nouveau. Le vieux cantique, c'est l'Ancien Testament, comme le Nouveau Testament est le nouveau cantique. A l'Ancien Testament, les promesses de la terre, au Nouveau Testament, les promesses du ciel. Aimer les choses de la terre, y trouver ses délices, c'est chanter le cantique nouveau; mais pour chanter le cantique nouveau, il faut aimer les choses éternelles. Il n'y a que l'amour qui soit nouveau, parce qu'il ne vieillit point et qu'il renouvelle l'âme. Aussi, mes frères, vous recommandons-nous d'aimer Dieu, ou plutôt c'est lui-même qui nous le recommande. Car c'est notre avantage que nous l'aimions, et non le sien; ne pas l'aimer est un malheur pour nous, et non pour lui. Dieu n'en sera pas moins Dieu, quand l'homme n'aurait aucun amour pour lui. De Dieu nous vient l'accroissement, lui

1. A partir de cet endroit, jusqu'aux paroles: «Parce qu'il ne vieillit point», saint Augustin semble répéter ce qu'il a dit dans le discours sur le même psaume.

2. Ps 149,1

ne nous doit pas sa grandeur; et néanmoins il nous a aimés le premier, au point d'envoyer à la mort son Fils unique pour nous. Ainsi Celui qui nous a faits, s'est fait l'un de nous. Comment nous a-t-il faits? «Tout a été fait par lui, et rien de ce qui est fait ne l'a été sans lui (1)». Comment s'est-il fait l'un de nous? «Et le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous (2)».

2. Donc, mes frères, si tout d'abord nous étions lents à l'aimer, empressons-nous du moins de lui rendre son amour. Il nous a aimés dans nos souillures, puisqu'il nous a aimés dans nos péchés. «Le Christ, en effet», comme le dit l'Apôtre, «est mort pour les impies (3)». Or, quand il a donné sa mort pour les impies, que peut-il réserver aux justes, sinon sa vie? Voyez enfin où et par qui ce nouveau cantique est chanté au Seigneur. Quand, en effet, le Prophète nous dit: «Chantez au Seigneur un cantique nouveau», il ajoute: «Louange à lui dans l'assemblée des saints (4)». Or, l'Eglise des saints peut-elle exister sur la terre? Car le Prophète a dit que la terre est souillée de sang, qu'elle est couverte d'adultères et d'homicides (5). Comment peut-on comprendre qu'il puisse y avoir sur la terre une assemblée des saints? L'Apôtre nous l'enseigne quand il nous dit que nous marchons sur la terre, mais que notre conversation est dans le ciel (6). Ainsi se fait-il que placé sur la terre, les saints forment l'Eglise du ciel. «Qu'Israël», dit le Prophète, «se réjouisse dans celui qui l'a fait (7)».

1. Jn 1,3 - 2. Jn 14 - 3. Rm 5,16 - 4. Ps 109,1 - 5. Ez 9 Os 4,2 - 6. Ph 3,20 - 7. Ps 149,2

(1) Dans le manuscrit, fol. 19, on lit cette inscription: «Sermon de saint Augustin, évêque». Ce sermon est du temps de Pâques, et nous inspire l'amour et le désir des biens futurs.

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Qu'Israël donc, ou les justes et les saints, tressaillent dans le Seigneur, et que les coupables tressaillent dans les biens de cette vie. Le monde finissant, la joie des injustes finira aussi, et comme Dieu demeure, la joie des justes demeurera aussi. Si donc nous appartenons à Israël, si nous voulons être Israël, ne mettons point notre joie dans ce qui a été fait, mais bien dans celui qui a tout fait. Que notre Dieu soit notre espérance. Celui qui a tout fait est meilleur que tout. Qu'est-ce qu'Israël? Celui qui voit Dieu (1). Comment sommes-nous Israël, si nous ne le voyons pas encore? Il y a sans doute une vision pour cette vie, et il y aura une autre vision pour l'autre vie. Ici-bas nous voyons par la foi, mais dans la vie future nous verrons en réalité. Croire, pour nous, c'est voir; aimer, c'est voir. Que voyons-nous? Dieu. Dieu lui-même, où est-il? Interroge l'apôtre saint Jean. «Dieu est charité (2)», nous dit-il. Quiconque a la charité, pouvons-nous l'envoyer bien loin pour voir Dieu? Qu'il rentre dans sa conscience, et là il trouvera Dieu. Mais si la charité n'est point en lui, Dieu n'y est pas non plus. Quiconque veut voir Dieu assis dans le ciel, doit avoir la charité, et Dieu sera en lui.

3. Mais «que les fils de Sion, à leur tour, tressaillent dans leur roi (3)». Il est bon de connaître quels sont ces fils. Sion signifie lieu d'observation; or, un lieu d'observation est un lieu élevé et dégagé, d'où l'on peut voir au loin ce qui arrive. Si donc, par la vertu de la foi, nous dégageons notre vie de la terre, pour l'élever bien au-dessus des vices des hommes, l'on pourra en toute vérité nous appeler Fils de Sion. Quant au roi de Sion, c'est celui-là sans doute qui s'écrie: «Pour moi, j'ai été établi par lui roi dans Sion sur sa montagne sainte (4)». Or Sion, qui est aussi Jérusalem, c'est la véritable Sion, la véritable Jérusalem, non celle que la guerre a fait tomber, et qui est pour nous une figure, mais la Jérusalem du ciel, «cette Jérusalem qui est notre mère (5)»; elle qui nous a engendrés, elle qui nous a nourris, elle qui est pour nous en partie étrangère en cette vie, mais qui pour la plus grande partie demeure déjà dans le ciel. Dans cette partie

1. Saint Jérôme, Quaest. He ad. Genes. 32,28, nous semble dire avec plus de raison: Prince, ou celui qui prévaut, avec Dieu, on fort contre Dieu.

2. Jn 4,8-16 - 3. Ps 149,2 - 4. Ps 2,6 - 5. Ga 4,26

qui demeure dans le ciel, elle est la félicité des anges, et en cette partie, qui achève son pèlerinage en ce monde, elle est l'espoir des justes. De l'une, il est dit: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux»; de l'autre, il est dit encore: «Et paix sur la terre aux hommes de «bonne volonté (1)». Que ceux-là donc qui gémissent en cette vie, qui soupirent après la patrie, s'élancent, non des pieds du corps, mais des affections du coeur. Au lieu de chercher des navires, qu'ils prennent les ailes de la charité. Quelles sont ces deux ailes de la charité? L'amour de Dieu et l'amour du prochain. Car nous sommes en exil, dit l'Apôtre «Tant que nous sommes dans ce corps, nous a sommes exilés loin du Seigneur (2)». Mais il nous est venu de la patrie des lettres qui nous annoncent notre retour. Ce sont ces lettres qu'on nous lit, quand l'on récite devant nous les saintes Ecritures, Bienheureux ceux qui sont dans cette patrie! Nul souci ne les inquiète, nul péché, soit péché propre, soit péché d'autrui, ne les afflige; toute leur occupation est de louer Dieu. Ils ne labourent point, ils ne sèment point. Ce sont là des oeuvres nécessaires, et il n'y a là haut nulle nécessité. Ils ne volent point et ne sont point volés. Ce sont là des oeuvres d'iniquité, et il n'y a là haut nulle iniquité. Ils ne doivent ni nourrir celui qui a faim, ni vêtir, celui qui est nu, ni recevoir l'étranger, ni ensevelir les morts. Ce sont là des oeuvres de miséricorde, et il n'y a là nulle misère que l'on puisse prendre en pitié.

4. O vrai bonheur! croyons-nous que nous puissions en jouir? Ah! soupirons, et en soupirant, gémissons d'être ce que nous sommes et d'être où nous sommes. Où sommes-nous? Dans un monde frivole et qui passera. Qui sommes-nous? Des mortels, jetés à terre, dans l'abjection, et, comme l'a dit un saint: «de la terre et de la poussière (3)». Mais il est tout-puissant, celui qui nous a promis l'immortalité, l'éternité. A nous considérer, qui sommes-nous? Mais à considérer Dieu, c'est le Tout-Puissant. De l'homme ne pourra-t-il faire un ange, celui qui, de rien, a fait un homme? Est-il vrai que Dieu puisse dédaigner l'homme, quand il envoie son Fils unique mourir pour lui? Considérons les marques de son amour, de ses promesses, qui nous ont valu des arrhes si considérables. Nous avons

1. Lc 2,14 - 2. 2Co 5,6 - 3. Gn 18,27

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pour nous la mort du Christ, le sang du Christ. Que l'humaine fragilité se redresse dès lors, et que, dans son désespoir, elle ne se détourne pas de Dieu. Celui qui nous a promis, c'est Dieu, et il est venu pour nous faire ces promesses. Il s'est montré aux hommes, et il est venu recevoir la mort, et nous promettre sa vie propre. Ainsi Dieu a voulu, par sa promesse, donner la sécurité à l'humaine fragilité, et non-seulement de vive voix, mais aussi par ses Ecritures. Il a donné sa parole à ceux qui croyaient, une caution à ceux qui doutaient; et voilà que tout est contenu dans la cédule sacrée des Ecritures. Il est venu dans cette région de notre exil, pour y recevoir ce que l'on y trouve en abondance: les opprobres, les douleurs, les affronts, la couronne d'épines, la croix, la mort. Voilà ce qu'on trouve largement ici-bas. Il est venu faire un échange, nous apportant des biens de la région d'en haut, et endurant les maux dans cette région d'ici-bas. Et toutefois, il nous a promis que nous serons un jour à l'endroit d'où il est venu, et il a dit: «Mon Père, je veux qu'ils soient aussi où je suis moi-même (1)». Il nous a prévenus d'un tel amour, qu'il à été avec nous, où nous sommes, et qu'à notre tour, nous serons avec lui, où il est. Gardez donc le Christ, mes frères, gardez la foi, gardez le chemin. Que ce chemin vous conduise à ce que vous ne sauriez voir maintenant. Car, dans cette tête auguste, nous a été montré ce que peuvent espérer les membres. Dans ce fondement, nous avons pu voir l'édifice qu'élève notre foi et que doit parachever notre espérance.

1. Jn 17,24





Augustin, Sermons 2006