Augustin, Sermons 5025

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VINGT-CINQUIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. V.

ANALYSE. - 1. A la naissance du Christ, les anges font entendre les plus douces mélodies. - 2. Précieux martyre des Innocents. - 3. Saint Augustin parle de la Nativité même aux petits enfants. - 4. Epilogue.

1. Frères bien-aimés, Notre-Seigneur Jésus-Christ vient au monde pour le racheter tout entier et renouveler le genre humain. Le Christ naît dans une caverne, afin que le monde ne soit plus désormais enseveli dans le séjour de la mort. Il naît dans une caverne et il pleure, pour chasser de la caverne du péché les criminels voleurs qui s'y cachaient, et afin que, sous l'empire d'un nouvel enfant, tous les enfants devinssent innocents. C'est une Vierge qui lui donne la vie; par là, Eve n'est plus obligée de se cacher sous le feuillage, la sainte Eglise s'élève sur la croix, et le monde chante les louanges de la Vierge Mère, comme la tourterelle chante du haut des arbres l'éloge de sa propre chasteté. Les Mages adorent le Christ! que, devant lui, le genre humain tout entier fléchisse le genou ! Celui qui brille avec éclat dans les cieux se fait adorer sous des langes: les chrétiens doivent donc l'adorer aussi maintenant qu'il est assis à la droite du Père non engendré. On l'adore dans une crèche; nous devons donc l'adorer nous-mêmes aujourd'hui qu'il est sur l'autel éternel. La crèche est devenue un paradis, où se sont épanouies les fleurs des champs et les lis des vallées: aussi, puisque la tige du péché s'est flétrie, le genre humain doit-il fleurir sous le souffle du Christ. Auparavant, grâce à l'iniquité, les (674) épines surabondaient parmi les hommes chez un très-petit nombre d'entre eux se montraient les fleurs de la justice; les autres se desséchaient, comme des plantes dépourvues de sève. Un nouveau lis, le Christ, est descendu sur la terre, et il a commencé à y planter une pépinière d'anges. Du haut du ciel étaient venus à ce monde des plants nouveaux, étrangers à son sol: c'étaient des anges, et ils exécutaient de mélodieuses symphonies, et, comme les Prophètes ne se faisaient plus entendre, le genre humain était à même de contempler ces esprits célestes et de chanter avec eux: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix, sur la terre, aux «hommes de bonne volonté (1)». O louanges nouvelles exécutées par des instruments nouveaux! O paix après le péché! O vie après la peine de la géhenne! O délices après les ronces! O rose après les épines! O cantique après le silence! O musique des anges après les gémissements des captifs!

2. De nouvelles plantes, les anges, ont donc été apportées au paradis de l'Eglise, et lui ont donné un nouvel éclat par la beauté de leurs fleurs: et parce que ces jeunes pousses, emblèmes de la paix, étaient venues d'en haut, on vit bientôt germer celles du précieux martyre des innocents. O tendres tiges des petits enfants, vous êtes empourprées de votre sang; le glaive des brigands a travaillé sur vous, et pourtant vous n'aviez pas commis le péché, et votre sang était pur! Voilà que vient de naître le jardinier vigilant du paradis; Adam, son négligent usufruitier, a donc le droit de se réjouir. Où est le serpent? Il ne poussera plus désormais l'homme à fuir le regard du Seigneur. Voilà que le Christ, le Maître éternel, vient en ce monde pour s'y préparer un perpétuel exil et reconduire au ciel l'homme qui lui appartient. Le paradis a été replanté depuis que le voleur y est entré aussi le rusé adversaire du genre humain ne peut-il plus s'y cacher. La caverne ne peut plus servir d'habitation aux brigands, depuis

1. Lc 2,14

qu'une caverne nouvelle abrite un Sauveur nouveau, dont la venue a été annoncée du haut des cieux par une étoile. Une Vierge Mère se voit en ce monde, l'Eglise sur le bois de la croix, le larron dans le paradis, le Seigneur dans le tombeau.

3. Lorsque, victime de ta ruse, l'homme est jadis devenu pécheur, une sentence de condamnation a été prononcée contre lui. Quelle a été cette sentence? «Tu es poussière, et tu «retourneras en poussière (1)». Aujourd'hui les plaintes et les larmes ont cessé. Tu n'as plus aucune accusation à porter contre l'homme, car celui qui humilie le pécheur est venu, et il demeurera avec le soleil. «Car, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, les enfants loueront le Seigneur (2)». «Et toi, enfant, tu seras appelé le Prophète du Très-Haut (3)». «Afin que les jeunes gens, les vierges, les enfants et les vieillards louent le nom du Seigneur (4)», «qui a délivré son peuple de ses péchés (5)». Il a brisé les chaînes des pécheurs, ouvert les yeux des aveugles et les oreilles des sourds, ressuscité les corps morts, mis un terme aux gémissements des captifs et rempli de joie le coeur des pasteurs. Que les brebis se réjouissent de brouter les lis de la chasteté! Que les petits agneaux soient dans la joie d'avoir effeuillé les roses d'un précoce martyre, sans avoir commis de péché, sans ressentir encore les douleurs de la mort, sans verser inutilement leur sang, puisqu'ils souffraient pour le Fils du souverain Maître.

4. Aujourd'hui, les anges font entendre ce cantique à la louange du Christ: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux (1)»; les Mages l'adorent en suppliants; les pasteurs et les agneaux lui donnent leur amour. Aujourd'hui les chrétiens tempérants le bénissent; les vivants et les morts fléchissent le genou devant ce Dieu qui est assis à la droite du Père et qui effacera les péchés du monde.

1. Gn 3,19 - 2. Ps 102,1-3 - 3. Lc 1,76 - 4. Ps 148,12 - 5. Mt 1,21 - 6. Lc 2,14




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VINGT-SIXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. VI.

ANALYSE. - 1. Jour de la nativité du Christ, jour de joie. - 2. Salutation de l'Ange. - 3. Incarnation du Verbe. - 4. La vraie beauté, c'est la chasteté.

1. Frères bien-aimés, un saint et solennel jour vient de luire pour le monde; réjouissons-nous donc et tressaillons d'allégresse. Aujourd'hui le soleil s'est levé sur l'univers; aujourd'hui les ténèbres du siècle ont vu apparaître au milieu d'elles la seule vraie lumière; aujourd'hui nos yeux sont éclairés d'un jour plus vif que celui du soleil; car ce qu'attendaient les anges et les archanges, les chérubins et les séraphins, ce qu'ignoraient les serviteurs célestes du Très-Haut, s'est fait connaître de notre temps, afin que, nous aussi, nous pussions, avec justice, répéter ces paroles du prophète David: «Seigneur, vous avez fait briller à nos yeux la lumière de a votre visage; vous avez inondé de joie notre coeur (1)». Admirable lumière! lumière véritable, s'il en fut, c'est elle qui «éclaire tout homme (2)». Qu'est-ce que cette lumière, me diras-tu? Je te réponds aussitôt: C'est Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est la vraie lumière; voilà le véritable soleil, la splendeur par essence. Le Prophète a dit de lui: «Le soleil de justice s'est levé pour nous (3)». «Il était», ajoute l'Evangéliste, «il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde (4)». O la suave et douce lumière du visage de Dieu! le peuple du Christ a obtenu la faveur d'en être éclairé. Qu'est-ce que le Christ? le visage de la lumière, le visage de Dieu. Qu'est-ce que le Christ? le visage et la sagesse de Dieu. Qu'est-ce que le Christ? la lumière de l'ineffable lumière. O, mes frères! quelle peut être cette lumière, puisqu'elle nous a engendré une pareille lumière!

1. Ps 4,7 - 2. Jn 1,9 - 3. Ml 4,2 - 4. Jn 1,9

2. Le saint prophète David a dit dans un cantique, ou plutôt, la voix du Père a dit par l'organe de ce prophète: «De mon coeur s'est échappée une bonne parole (1)». Ecoutez, mes frères, cette bonne parole qui s'échappe du coeur. Ecoutez l'ange Gabriel; voici ce qu'il dit à la Vierge Marie, au moment où il lui fait connaître les clauses du généreux contrat que Dieu va conclure avec elle. Ecoutez, vous dis-je, le messager céleste, descendu des marches du trône de l'Eternel, pour annoncer le mystère de la bienheureuse conception et de la naissance du Roi suprême. «L'ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une vierge qu'un homme, nommé Joseph, de la maison de David, avait épousée; et le nom de cette vierge était Marie». Il entra dans sa maison et lui dit: «Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni». Et Marie fut troublée en le voyant s'approcher d'elle et en l'entendant lui adresser ces paroles de bénédiction. L'ange vit son trouble et ajouta: «Marie, ne craignez point, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voilà que vous concevrez dans votre sein, et que vous enfanterez un fils, et vous l'appellerez du nom d'Emmanuel, c'est-à-dire, Dieu avec nous. Il sera grand, et s'appellera le Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père, et il règnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin (2)». Marie a entendu, elle a cru; aussi a-t-elle conçu et enfanté. Elle a entendu la bonne parole, elle y a cru par la foi, elle a

1. Ps 44,1 - 2. Lc 1,26-33

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corporellement conçu, et, d'après la loi de la nature, elle a enfanté.

3. Aujourd'hui donc, Notre-Seigneur Jésus-Christ est né selon, la chair, mais non selon la divinité; car «au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui, rien n'a été fait (1)». Il est venu en ce monde, pour que les hommes fussent à même de le contempler des yeux de leur corps, puisqu'ils ne pouvaient l'apercevoir des yeux de leur coeur. O homme! ne te montre pas ingrat. Tu vois devant toi celui-là même. qui t'a créé à son image et à sa ressemblance. C'est à son sujet que le Psalmiste adressait aux hommes ce reproche: «Enfants des hommes, jusques à quand votre coeur restera-t-il appesanti? Pourquoi poursuivez-vous la vanité et embrassez-vous le mensonge? Sachez que le Seigneur a fait de son Christ l'objet de notre admiration (2)». C'est le Fils de Dieu, c'est son Verbe, c'est l'arbitre et le maître de tous ses secrets; car le Père lui a dit: «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (3)». Il a disposé toutes choses et les a conduites à leur fin, et il est parfois impossible de connaître ce qu'on a dans le coeur, sans la lumière de la parole, selon ce qui est écrit: «Une bonne parole s'est échappée de mon coeur». Aussi le Prophète annonce-t-il quelle a dû être dans Marie la chaste union de son coeur avec le Verbe c'est l'indissoluble lien de la charité. Car les intentions et les pensées qui naissent dans le coeur ne peuvent se laisser entrevoir qu'à l'aide d'une sorte de maître spirituel, c'est-à-dire d'une parole qui leur soit assortie; d'autre part, que pourra dire la parole, si la sagesse, auteur de toutes choses, ne vient préalablement, dans le secret du coeur, suggérer des idées? Rien, absolument rien. «Une bonne parole», dit le Prophète, «s'est échappée de mon coeur». Où était cette parole? dans le coeur. D'où s'est-elle échappée? du coeur. Qu'est-ce que la parole? le miroir du coeur. Il faut qu'il soit laid ou beau, et, par conséquent, digne de blâme ou de louange., C'est lui qui nous fait «bénir Dieu et maudire l'homme, qui a ôté créé à l'image

1. Jn 1,3 - 2. Ps 4,3-4 - 3. Gn 1,26

et à la ressemblance de Dieu (1)». «L'homme bon», dit l'Evangile, «tire de bonnes choses d'un bon trésor, et l'homme mauvais tire de mauvaises choses d'un mauvais trésor (2)».

4. Voilà en quoi consistent la laideur du coeur, et aussi sa beauté. Place-toi du côté où brillent les rayons du soleil, où se trouve le Dieu de charité. Je ne veux. point que tu te complaises dans les agréments extérieurs dont la nature peut t'avoir doué. Que, sur ton visage, de vives couleurs se marient à la blancheur du teint, que la beauté de ta figure se trouve rehaussée par celle de tes yeux et que l'élégance de tes formes mette le comble à ta perfection, tu ne seras jamais qu'un être hi. deux, et tu seras toujours noté comme tel, si tu ne cherches point Dieu dans la simplicité de ton coeur. L'homme voit le visage, Dieu voit le coeur. Cherche donc à briller là où le Christ a bien voulu établir sa demeure. C'est pourquoi l'apôtre Paul a dit: «Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous? Or, si quelqu'un profane le temple de Dieu, Dieu le perdra; car le temple de Dieu est saint, et c'est vous qui êtes ce temple (3)». «Une bonne parole s'est échappée de mon coeur». Et quelle est cette parole? C'est ce chaste époux, fruit de la chasteté, qui doit sortir d'une chaste couche et conserver à une vierge sa chasteté. Il est sorti de son lit, il s'est approché de l'Ange, et par l'entremise de l'Ange, qui a parlé en son nom, il a communiqué à la vierge le don de chasteté. Nous trouvons donc ici un père chaste, un époux chaste, une mère chaste, un fils chaste et une chaste union contractée sous les auspices et par l'opération du Saint-Esprit. Par sa foi, Marie a donc mérité de rester ce qu'elle était auparavant; le Seigneur lui a conservé ce privilège, même quand elle a conçu, et, à l'heure de l'enfantement, elle n'en a rien perdu: elle est restée vierge après la naissance du Sauveur; car Celui qui règne avec le Père, dans les siècles des siècles, a donné à sa Mère le privilège de la fécondité quand elle l'a conçu, et ne lui a point enlevé la gloire de la virginité, quand il est né d'elle et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

1. Jc 3,9 - 2. Mt 3,35 - 3. 1Co 3,16-17

677




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VINGT-SEPTIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. VII.

ANALYSE. - 1. Le Christ est né d'une vierge. Analogies dans la vie de Samson. - 2. Et dans celle de Sara.- 3. Témoignage d'Isaïe. - 4. Parallèle entre Ève et Marie.

1. Frères bien-aimés, je ne me servirai que d'exemples pour vous prouver le mystère de ce jour. Samson se distinguait par sa force et sa valeur guerrière: il était, comme le Christ, natif de Nazareth, et sa mère avait été stérile jusqu'à sa naissance; un jour que, inspiré de Dieu, il avait mis en déroute l'armée ennemie, et qu'à défaut d'armes il ne pouvait pas achever sa victoire, il trouva par terre, au milieu du camp, une mâchoire d'âne. L'ayant prise dans ses mains, il tua une multitude d'ennemis avec ce nouvel instrument de combat. Ainsi s'en exprimait-il et s'en faisait-il gloire après l'action: «Je les ai défaits avec une mâchoire d'âne, j'ai tué mille hommes (1)». A la suite de cette lutte vraiment gigantesque, Samson éprouva une soif qui lui brûlait les entrailles, et, toutefois, dans les environs, ne se trouvait aucune source où il fût à même de puiser et de se désaltérer. Il s'écria donc: «C'est vous, Seigneur, qui avez sauvé votre serviteur et qui lui avez donné cette grande victoire, et, maintenant, je meurs de soif (2)». Alors Dieu entr'ouvrit les parois de la mâchoire et en fit couler de l'eau; Samson la recueillit, et sa soif fut calmée. O mâchoire, tout à l'heure instrument sanglant de mort, et, maintenant, source de force et de vie! Ici, elle a servi à répandre le sang des ennemis, là elle a produit une eau salutaire! De la mâchoire d'un âne mort, et contrairement aux lois de la nature, a pu s'échapper une source d'eau vive; jusqu'à ce jour, ce membre desséché d'un animal a pu s'appeler du nom de la mâchoire; et la bienheureuse Marie, donnant le jour au Fils de

1. Jg 15,16 - 2. Jg 15,18

Dieu, n'aurait pu rester vierge ni allaiter son enfant en dépit des lois de la nature? Par l'effet de la puissance divine, une mâchoire a été capable de fournir ce que naturellement elle ne renfermait pas, et le même pouvoir céleste n'aurait pu permettre au corps de Marie de donner un lait qu'il possédait naturellement? D'une mâchoire s'est échappée une fontaine; le Sauveur est sorti du sein de Marie. La vertu d'en haut a fait couler de l'eau d'un ossement aride, et elle eût été impuissante à tirer un corps vivant du sein d'une femme vivante? Que l'infidélité se taise donc, qu'elle cesse de murmurer. Le même pouvoir qui a rendu féconde la mâchoire d'un animal privé de vie a aussi fait des mamelles d'une vierge, devenue mère sans avoir contracté aucune souillure, une source de lait: ce prodige a été opéré par la vertu du Fils unique qu'elle a mis au monde.

2. Mais puisque tu veux circonscrire dans les bornes des lois de la nature l'enfantement et l'allaitement d'une vierge, dis-moi donc, oui, dis-moi en vertu de quelle loi la bienheureuse Sara a pu enfanter et allaiter à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Elle avait alors, pour deux causes, perdu la faculté de concevoir: elle était avancée en âge; de plus, elle était stérile et ne pouvait avoir d'enfants; car, dit l'Ecriture, «Sara avait passé l'âge de la maternité (1)». Néanmoins, au moment voulu par Dieu, elle a conçu et enfanté, et après avoir, en dépit de sa stérilité, mis au monde un fils, elle l'a allaité, bien qu'elle fût devenue vieille. Sara a obtenu de Dieu une telle faveur, et, pour devenir mère, la

1. Gn 18,11

678

Vierge Marie n'aurait pu l'obtenir? Ce que la vertu divine a accompli à l'égard d'une femme avancée en âge et débilitée, elle n'aurait pu l'accomplir à l'endroit d'une vierge? Ou bien, celui qui a fécondé une mère décrépite n'aurait pu rendre féconde une vraie vierge, une mère toute jeune?

3. Mais revenons-en au témoignage des prophéties. Isaïe s'exprime ainsi: «Voilà que le Seigneur est porté sur un léger nuage il entre en Egypte; à sa présence, les idoles sont ébranlées et tous les coeurs sont dans l'effroi (1)». «Le Seigneur est porté sur un léger nuage». Ce passage a trait à l'humanité du Christ: elle portait le Seigneur et cachait en elle-même un Dieu qui se dérobait aux regards du monde, mais qui se manifestait par ses miracles. Le soleil, que nous voyons, ne se cache-t-il pas quelquefois derrière les nuages? Alors, il ne luit plus à tes yeux, bien que pour lui-même il ne cesse d'être lumineux. Quant au soleil éternel, il se dérobait aux regards en se voilant du nuage de notre nature humaine, et pourtant il luisait pour lui-même et pour nous. «Sur un nuage léger»: expression bien juste, puisqu'il ne portait point le fardeau du péché qui écrase toute chair. En effet, comme l'eau alourdit les nuages, ainsi les péchés pèsent beaucoup sur l'homme. Car, si notre chair s'adonne à l'iniquité, elle nous entraîne dans la boue et jusque dans les enfers; si, au contraire, elle est sainte, elle s'élève vers les régions éthérées et jusque dans les cieux. C'est avec justesse qu'Isaïe appelle «un nuage léger» l'humanité du Christ, puisqu'à aucun instant elle n'a été l'héritière de la prévarication originelle, et que même elle a purifié l'humanité entière de la tache du péché. Nous pouvons encore dire, sans aucun doute, que Marie, la bienheureuse Vierge, la sainte Mère de Dieu, a été «un léger nuage», puisque dans son corps et dans son âme, dans

1. Is 19,1

tout son être, elle a été douée de sainteté; car le Seigneur n'a-t-il pas dit de ses saints, ou le Prophète n'a-t-il pas fait cette question «Qui sont ceux qui volent comme des nuées (1)?» La vierge Marie, Mère du Sauveur, a été un nuage léger: en effet, elle a porté, suspendu à son cou ou couché sur ses bras, l'enfant divin; elle a fui avec lui jusqu'en Egypte, où elle a demeuré, afin que s'accomplît cette parole de l'Écriture: «J'ai appelé mon Fils de l'Égypte (2)».

4. Toutefois, mes frères, remarquez bien le changement opéré dans les choses par la nativité du Sauveur; faites attention aux aperçus nouveaux que nous fait découvrir ce mystère. Une vierge a conçu, elle a enfanté et allaité, et elle est restée vierge. Un homme est né sans la coopération de l'homme. Nulle trace de corruption dans ce qui devait être le principe de la vertu. Le premier homme est tombé, cédant aux conseils d'une vierge; le second Adam a triomphé, parce qu'une autre vierge a consenti aux volontés d'en haut. Le diable a introduit la mort dans le monde par l'intermédiaire d'une femme; c'est aussi par l'intermédiaire d'une femme que le Sauveur y a ramené la vie. Un mauvais ange a jadis trompé Eve, un ange bon a exhorté Marie. Eve a cru, et elle a perdu son époux; Marie a cru aussi, mais, par là, elle a préparé dans son sein au Fils de Dieu une habitation digne de lui; elle a eu pour fils Celui qu'elle avait pour Maître. Une parole a causé la chute d'Eve; Marie s'est également fiée à une autre parole, et elle a réparé ce qui avait été détruit. Par la pureté de sa foi, Marie a détruit le mal causé par la fausse confiance d'Eve. C'est d'une femme que date le péché, c'est à cause d'elle que nous mourons tous; la foi aussi a commencé par une femme, et à cause d'elle nous avons retrouvé nos espérances de vie éternelle.

1. Is 60,8 - 2. Os 11,1




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VINGT-HUITIÈME SERMON: POUR LA NAISSANCE DU SAUVEUR. VIII.

ANALYSE. - 1. Parallèle entre Eve et Marie. - 2. La salutation angélique et l'obéissance de Marie. - 3. Infinie bonté du Christ à notre égard.

1. Témoins des désirs qui animent votre dévotion, nous voulons vous découvrir le saint mystère de ce jour; car si vous apprenez de notre bouche à bien connaître la secrète portée de la naissance du Christ, nous aurons pleinement satisfait des aspirations enrichies des perles de la foi. Aujourd'hui le Roi des anges a pris naissance au milieu des pécheurs, afin de leur accorder la condonation de leurs fautes. «Que les cieux se réjouissent! que la a terre tressaille d'allégresse (1)!» car le véritable architecte est descendu des cieux pour relever le monde de ses ruines, et afin que, par Marie, fût réparé ce qu'Eve avait si malheureusement détruit. Autrefois une femme avait perdu l'univers, et voilà que Marie porte le ciel dans son sein: la première femme a goûté du fruit de l'arbre, elle en a donné à son époux, elle a introduit la mort ici-bas pour Marie, elle a mérité d'engendrer le Sauveur.

2. Vous le savez; l'ange Gabriel s'approcha de la pudique Vierge de Nazareth et lui dit: «je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes (2)»; car votre sein est devenu la demeure du Fils de Dieu. Marie se troubla à la vue du messager céleste, elle entendit l'annonce du mystère, elle entra en négociation avec l'Ange. «Comment», lui dit-elle, «comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme (3)?» Ce que je vous dis là, je vous le dis d'après la manière dont les choses se passent en ce monde, mais je ne doute nullement de la puissance du Très-Haut. Votre parole me préoccupe, car j'ai résolu de rester vierge; alors, et puisque je

1. Ps 95,11 - 2. Lc 1,28 - 3. Lc 1,34

n'ai point de mari, comment pourrai-je engendrer un fils? - Marie, les choses ne se passeront point comme vous le croyez; vous n'enfanterez pas à la manière des autres femmes. Vous deviendrez mère, et, pourtant, vous ne perdrez jamais votre innocence; car vous aurez le bonheur de porter dans vos entrailles la Divinité elle-même. «Le Saint-Esprit descendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre», en effet, votre sein est devenu le palais de l'Esprit-Saint. - Dès qu'elle eut entendu les conditions du céleste traité, elle prêta l'oreille aux propositions divines, et aussitôt elle mérita d'avoir le Seigneur pour habitant de son sein. «Voici», dit-elle, «la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre parole (2)». Alors se trouvent occupées par le Très-Haut les entrailles de la Vierge; la Majesté suprême tout entière se trouve renfermée dans les bornes étroites du corps d'une femme; alors se forme en elle son fils, son protecteur, son hôte, son gardien. Enfin, arrive le temps de le mettre au monde: Marie donne le jour à son enfant, et néanmoins la porte de sa chasteté demeure close. On voit apparaître le rejeton d'une lignée toute céleste, sans que la pureté de sa mère se trouve souillée de la moindre tache. L'enfantement fut, pour elle, exempt de douleurs et de larmes, parce que son fruit lui était venu du ciel. En ce jour, l'armée des anges s'écrie, dans les transports de la joie: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix aux hommes de bonne volonté sur la terre (3)», parce que le sein d'une vierge est devenu fécond.

3. Remarquez bien, mes frères, de quel

1. Lc 1,35 - 2. Lc 1,38 - 3. Lc 2,14

680

éclat a brillé la miséricorde de Dieu à notre égard. il a daigné naître parmi les hommes, qu'il avait lui-même formés du limon de la terre. Par sa naissance, il a réparé leurs ruines; il les a rachetés en mourant pour eux, et, après sa mort, il les a arrachés des abîmes profonds. Il a fallu qu'il nous aimât beaucoup pour prendre sur lui nos péchés, quoiqu'il fût juste, et pour se charger de nos crimes, malgré son innocence. Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, nous a délivrés des mains de nos ennemis, par cela même qu'il est descendu des cieux et que, après avoir subi les atteintes de la mort, il est sorti vivant et glorieux du tombeau, traînant à sa suite, dans son royal triomphe, tous les captifs dont il avait brisé les chaînes. Qu'à lui soient la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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VINGT-NEUVIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. IX.

ANALYSE. - 1. La naissance du Christ nous fait admirablement connaître l'amour de Dieu pour nous.- 2. Cette naissance n'est pas sa première et éternelle naissance, mais la seconde et la temporelle. - 3. Elle a été précédée de l'existence de la mère de Jésus, en qui la virginité et la fécondité se sont trouvées merveilleusement unies.- 4. Dans la naissance du Christ se manifeste un ineffable mystère.- 5. Le Christ, venant au monde, était un homme véritable car il voulait sauver les hommes; et faire d'eux les enfants de Dieu. - 6,. Les paroles par lesquelles on explique le mystère de l'incarnation semblent se contredire; pourtant, il n'y a aucune contradiction dans l'enseignement de l'Eglise. - 7. Il faut donc croire fermement à ce que là sainte Eglise croit et enseigne sur ce mystère, et, en particulier, sur les deux naissances du Christ: différences et rapports qui existent entre elles. - 8. Considérons avec une vive reconnaissance quels admirables bienfaits nous ont procurés les mystères de l'incarnation et de la rédemption. - 9. Il n'y a donc qu'un seul Christ, Dieu et homme tout ensemble, qui soit né et mort pour nous.

1. Frères bien-aimés, l'amour tout gratuit de Dieu pour nous trouve sa preuve dans la naissance temporelle, et selon la chair, du Fils de Dieu, notre Seigneur, dans cette naissance décidée avant tous les siècles, effectuée en ce monde, annoncée d'avance par les Prophètes, prêchée par les Apôtres, cachée, pendant l'ancienne alliance, sous des figures choisies, révélée, au temps de la nouvelle, par d'incontestables preuves, promise à nos Pères, manifestée à nos regards. En effet, Dieu nous a montré une affection entièrement bénévole, puisque, sans que nous l'ayons mérité, il nous a donné son Fils unique pour rédempteur. «Le Seigneur a envoyé un rédempteur à son peuple (1)». Voici, au dire du bienheureux Paul, ce que nous devons penser du Christ: «Il nous a été donné de

1. Ps 111,9

Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification, notre rédemption (1)».

2. Nous célébrons aujourd'hui cette naissance du Fils de Dieu; toutefois, en venant au monde, il est sorti, non point du sein de son Père, mais du sein de la Vierge, sa mère il a fait précéder cet événement du commencement du monde, et, ce qui est plus admirable encore, de la plénitude des temps (2). Celui que le Père éternel a engendré en dehors de tous les temps a voulu naître ainsi, et, en naissant de la sorte, le Fils a daigné être envoyé par le Père, sans pouvoir, néanmoins, jamais se séparer de lui. Cette naissance n'est donc pas sa première, mais sa seconde.

3. Cette seconde naissance du Fils de Dieu a été précédée de l'existence en ce monde de

1. 1Co 1,90 - 2. Ga 4,4

celle qui lui à donné le jour; mais jamais la divinité de son Père n'a préexisté relativement à sa première naissance. Celui qui est coéternel à son Père est donc né après sa mère. Voilà pourquoi nous célébrons aujourd'hui l'enfantement de la sainte Vierge, de cette vierge que nous proclamons aussi mère, en qui la gloire de la fécondité est venue accroître l'éclat de la virginité, et dont la fécondité s'est trouvée ennoblie par une virginité inaltérable. Cette vierge a donc eu le privilège de la fécondité, mais elle n'a jamais perdu celui de la virginité; son enfantement a été de telle nature, que jamais elle n'eût été féconde si elle avait dû perdre l'intégrité de son innocence. Elle a donc été seule à recevoir cette grâce singulière d'un caractère tout divin; à elle seule a été accordée cette faveur miséricordieuse de former, dans son sein et de son sang, le Créateur de toutes choses, et de concevoir, sans l'intermédiaire d'aucun homme, Celui qui a formé la femme, et, enfin, d'engendrer dans le temps le Dieu engendré de toute éternité.

4. En parlant de cette naissance du Fils de Dieu, qui s'est effectuée dans le temps, le Docteur des nations a dit: «Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils à formé d'une femme, et assujéti à la toi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, afin que nous devinssions ses enfants adoptifs (1)». Par ces paroles le bienheureux Apôtre a attiré l'attention de nos esprits et leur a fait comprendre le mystère de notre rédemption. Il connaissait parfaitement les secrets divins, et, en interprète fidèle, il nous a présenté ce mystère sous l'aspect le plus aimable et le plus capable d'exciter notre admiration: Pourquoi ce mystère est-il si admirable? Parce qu'il s'est ainsi accompli. Pourquoi est-il si aimable? Parce qu'il s'est accompli en notre faveur. Pourquoi est-il digne de notre admiration? C'est que celui qui est vrai Dieu de Dieu est aussi né vrai homme d'homme. Y a-t-il rien de comparable à cette merveille, que le vrai Dieu, naturellement né du Père, et, par droit de naissance, Maître de toutes choses, soit aussi né de la Vierge, dans la condition d'esclave? que le Créateur de tous les temps ait été créé dans le temps? Pourquoi ce mystère est-il si aimable? C'est que le Fils unique, qui est dans le sein du Père (2), a daigné devenir

1. Ga 4,4-5 - 2. Jn 1,18

vrai homme et naître de l'homme, pour nous faire naître de Dieu.

5. Afin de rendre plus claire et plus intelligible pour nos auditeurs la vérité que nous énonçons, il nous faut reprendre ce que nous avons tous entendu relativement à la naissance humaine du Fils unique de Dieu. «Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme et assujéti à la loi». Voilà comment le vrai Dieu est né vrai homme. Mais de quel bienfait cette naissance humaine de Dieu a-t-elle été pour nous la source? L'Apôtre nous l'enseigne par ces paroles: «Pour racheter ceux qui étaient sous la loi, afin que nous devinssions ses enfants adoptifs (1)». Voilà comment Dieu a agi: il est né vrai homme, afin que nous, qui sommes hommes, nous naissions de Dieu. En effet, nous sommes nés de Dieu lorsque, croyant en lui, nous avons été adoptés pour ses enfants. Le bienheureux Jean prouve en ces termes qu'il y a des hommes nés de Dieu: «Il a donné le droit d'être faits enfants de Dieu à tous ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, à ceux qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu même (2)». Nous avons reçu, dans la personne du nouvel Adam, l'adoption de la grâce divine que nous avions perdue dans la personne du premier. Nous étions privés de la grâce, lorsqu'après avoir été conçus dans l'iniquité, nous sommes nés dans le péché; car c'est un fait certain, que nous l'avions perdue même avant de naître corporellement. Tous ont perdu la grâce de l'adoption en celui «en qui tous ont péché (3)». Dieu a donc fait éclater son amour pour nous, en ce que son Fils unique, par qui toutes choses ont été faites, a été fait au milieu de toutes choses, et qu'il a été fait dans la plénitude des temps, bien qu'il eût fait tous les temps.

6. Frères bien-aimés, il faut comprendre avec exactitude comment a pu être fait Celui par qui toutes choses ont été faites, ou comment l'on peut dire que celui qui a fait tous les temps a été fait dans la plénitude du temps. Les saints Prophètes et les Apôtres ont avancé ces deux assertions, et les disciples de la vérité même nous ont enseigné cela avec encore plus de vérité. Le Christ qui, après sa naissance, a député les Apôtres pour en être

1. Ga 4,4-5 - 2. Jn 1,12-13 - 3. Rm 5,12

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les témoins, avait déjà, avant de naître, député les Prophètes dans le même but. Les Prophètes et les Apôtres sont donc venus, envoyés qu'ils étaient par la vérité, et ils ont entendu à la même école ce qu'ils devaient nous enseigner à leur tour. Dans leurs paroles, rien de faux, rien de hasardé: tout y est manifestement vrai, tout y est véritablement manifeste. Voilà, mes très-chers frères, la doctrine des Prophètes et des Apôtres. Lorsqu'en parlant du Fils de Dieu, ils le désignent comme Créateur et créature, comme faisant et comme fait, comme tenant du temps et de l'éternité, il n'y a rien de discordant en leur manière de s'exprimer; la fausseté ne vicie pas non plus leur enseignement, mais leur profession de foi sur l'une et l'autre naissance est l'expression vraie de la vraie foi, de la foi qui sauve. Il est, en effet, évident, que du Seigneur, Fils unique de Dieu, on peut toujours affirmer une double naissance, puisqu'en lui se trouvent réellement unies la substance divine et la substance humaine. Voilà pourquoi l'Eglise catholique reconnaît, sans hésiter, en un seul et même Fils de Dieu son créateur et son rédempteur; son créateur, parce que, comme Dieu, il lui a donné l'existence; son rédempteur, parce que, comme homme, il a été fait à cause d'elle. Cette chaste épouse reconnaît en lui, et sans l'ombre d'un doute, son époux; car elle lui est unie dans la plénitude et la vérité des deux natures. Elle confesse qu'il est son chef et que ce chef non-seulement est du Père, demeure dans le Père, est l'Eternel et immuable Seigneur, mais est devenu, tout étant Dieu, un homme parfait, né, dans le temps, de la Vierge Marie. Elle sait qu'il a, avec le Père, une seule nature divine, et, comme sa mère, la nature humaine, c'est-à-dire un corps et une âme. Elle avoue qu'un seul et même Christ a commencé à exister, et n'a jamais eu de commencement; car, l'Eglise catholique en fait profession, le Fils unique de Dieu est, tout à la fois, Dieu éternel de Dieu éternel, et homme temporel d'homme temporel. Aussi prêche-t-elle un seul et même Fils de Dieu, égal et inférieur au Père; car elle sait qu'il n'y a qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes (1), Jésus-Christ homme. En effet, Dieu le Fils nous a emprunté notre nature pour la sauver; et Dieu, après nous l'avoir empruntée tout entière, l'a sauvée de même par l'effet

1. 1Tm 2,5

d'une bonté toute gratuite. Ainsi est-il arrivé que Dieu le Père a accordé le salut à l'homme par les mérites de Dieu le Fils avec qui il partage la divinité: de là il résulte encore que l'homme a obtenu le salut de Dieu le Père, par l'entremise de Dieu le Fils, entré en participation de la nature humaine: d'où il suit, enfin, que, pour les fidèles, la vraie source du salut se trouve en un seul et même Fils de Dieu. Telle est donc la véritable règle de la foi catholique, voilà en quoi consiste la divine et saine doctrine: croire qu'il y a véritablement deux natures dans la personne du Fils de Dieu, et confesser, avec non moins d'assurance, la vérité des deux naissances d'un seul et même Fils de Dieu.

7. Mes frères, que ce point de foi soit donc bien certain pour nous; que la croyance en soit bien affermie dans nos coeurs, appuyée sur la vérité de la foi et profondément enracinée dans la charité: Dieu, le Fils unique, par qui toutes choses ont été faites, est vraiment né une fois avant tous les temps, et une fois dans le temps; une fois, sans avoir commencé, et une fois à une époque déterminée; une fois de Dieu le Père, et une fois de la Vierge Marie; de Dieu le Père sans avoir de mère; de la Vierge Marie, non pas sans avoir de Père, mais sans avoir un homme pour père. En effet, Dieu le Fils a Dieu pour père, non-seulement entant qu'il est né de lui sans avoir commencé et qu'il est Dieu de Dieu le Père; mais aussi en tant qu'il est né de la Vierge, dans le temps, et qu'étant Dieu il a été fait homme. Pour sa première naissance, le Verbe s'est échappé du coeur (Ps 44,2) de Dieu le Père; dans la seconde le Verbe s'est fait chair dans le sein de la Vierge Mère, et Marie l'a enfanté. A sa première naissance, il a été engendré par le Père, et il est sorti de son sein, et c'était le Dieu Très-Haut, à sa seconde, le même Dieu, devenu un humble époux, est sorti d'un lit virginal; par la première, il nous a faits, et par la seconde, il nous a donné une nouvelle vie; par l'une, il nous a créés; et par l'autre, il nous a rachetés; par celle-là, nous sommes devenus hommes; par celle-ci, nous avons été adoptés comme enfants de Dieu. par la première, il est notre Créateur et nous sommes son ouvrage; par la seconde, il est notre Rédempteur et nous sommes son héritage. Par l'une le Fils (683) de Dieu nous a donné l'existence humaine; par l'autre, il a daigné faire de nous ses héritiers; c'est par l'effet de celle-là que tous les hommes viennent en ce monde, c'est par l'effet de celle-ci que tous les justes régneront dans le ciel. Comme conséquence de la première, nous sommes ses créatures et nous tenons de lui la vie; comme conséquence de la seconde, ceux qu'il a rachetés entreront en possession de la béatitude éternelle.

8. O homme, remarque donc attentivement de quels bienfaits Dieu le Fils t'a comblé, quoique tu en fusses indigne! Tu étais égaré, et il t'a cherché; tu étais perdu, il t'a retrouvé; tu t'étais vendu, il t'a racheté; tu t'étais arraché la vie, il te l'a rendue. Voilà les faveurs qu'il t'a accordées en venant en ce monde, et il te les a accordées toutes d'une manière entièrement bénévole; car il n'a trouvé en toi ni le mérite d'aucune bonne oeuvre, ni même un commencement de bonne volonté. Quand nous songeons aux bienfaits de Dieu, nous n'en apercevons pas d'autre cause que la grâce d'en haut: nos bonnes oeuvres y sont pour rien. En effet, mes très-chers frères, quel bien avions-nous fait pour mériter cette faveur singulière qu'un vrai Dieu se fit pour nous un vrai homme, que le Fils, par nature coéternel au Père, voulût naître d'une Vierge dans le temps, que le Très-Haut s'humiliât, que Celui qui nourrit incessamment les anges demandât sa nourriture aux mamelles d'une femme, que le Dieu infini fût placé dans une crèche étroite, que le Roi de tous les siècles fût abreuvé d'outrages, que Celui qui justifie subît une injuste condamnation, que Celui en qui ne se trouve aucun péché fût compté au nombre des pécheurs, que l'Auteur de la vie fût conduit à la mort avec des brigands, et qu'il mourût, non-seulement avec des scélérats, mais même pour des scélérats? C'est pourtant un fait attesté par l'Apôtre, que «le Christ est mort pour des impies (1)». Mais a-t-il pu naître pour des justes, Celui qui a daigné mourir pour des impies?

9. Il n'y a donc qu'un seul et même Christ, qui réunit véritablement en lui les deux natures, vrai Dieu et vrai homme, vraiment né du Père et vraiment né d'une Mère, appartenant d'une manière incontestable à l'éternité et au temps, possédant indubitablement l'immortalité et subissant réellement les coups de la mort, vraiment privé de vie et ressuscité effectivement. Voilà le grand mystère de piété! Dieu le Fils a été, selon la chair, livré pour nos péchés, et, selon la chair encore, il est ressuscité pour notre justification. Et parce que le même Fils de Dieu a commencé, en naissant, l'oeuvre de notre rédemption qu'il a achevée en mourant pour nous, nous vous annonçons à tous, au jour où nous célébrons la nativité du Sauveur, celui de sa résurrection, tant Notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles avec le Père et l'Esprit-Saint, a eu hâte d'opérer notre salut! Ainsi soit-il.

1. Rm 5,6





Augustin, Sermons 5025