Augustin, Sermons 5036

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TRENTE-SIXIEME SERMON. POUR L'ÉPIPHANIE DU SAUVEUR. I.

ANALYSE. - 1. Le Christ, figuré par les signes donnés à Gédéon, a apparu aux Gentils. -2. Gloire de Marie qui a mis au monde l'Agneau sans tache.- 3. En oignant la pierre, Jacob nous a tracé une figure du Christ. - 4. Il nous a aussi symbolisé, la Trinité dans les branches qu'il a placées sous les yeux de ses brebis. - 5. Unité du baptême et ses effets.- 6. Combien notre temps est préférable à celui de Jacob. - 7. Conclusion en formé d'exhortation.

1. A proprement parler, le jour de l'Epiphanie, mes bien-aimés frères, a été fait pour nous, c'est-à-dire pour les Gentils. Le ciel lui-même nous l'a annoncé, suivant cette expression du dix-huitième psaume: «Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament a annonce l'oeuvre de ses mains (1)». Voilà aussi pourquoi s'est accomplie pour la gentilité cette promesse du Prophète: «Le peuple des Gentils, qui marchait dans les ténèbres, a vu une grande lumière, et le jour s'est «levé sur ceux qui habitaient la région des ombres de la mort (2)». En effet, le peuple des Gentils, c'est-à-dire notre peuple, plongé dans les ténèbres de ses iniquités, serait demeuré dans l'aveuglement de l'esprit, si la lumière de la grâce n'avait projeté d'en haut, sur ces ingrats, l'éclat de ses rayons. Partout et toujours, Dieu se montre admirable. Nos âmes étaient dépourvues de justice; c'étaient, à vrai dire, des grains de poussière desséchés. Par un prodige renouvelé de Gédéon, le Seigneur a donc fait descendre son Verbe divin, comme une rosée céleste, sur la toison d'une brebis, dans le sein de la Vierge très-pure. Vous savez tous le miracle opéré sous les yeux de Gédéon: son aire était toute desséchée, et, néanmoins, une toison de brebis, étendue au milieu de cette aire, se trouva tellement humide qu'il en fit couler la rosée. Un prodige plus admirable s'est opéré en Marie, de son sein, comme d'une toison de laine, s'est échappé du lait, et pourtant son corps virginal, pareil à une aire desséchée, ne s'est jamais humecté au contact d'un homme.

1. Ps 18,1 - 2. Is 9,2

2. Marie est donc unique parmi toutes les jeunes filles, elle est incomparable à toutes autres par son innocence. Pareille à une brebis, elle a engendré l'Agneau sans tache, et il est sorti de ses entrailles comme jadis la rosée est tombée de la toison de Gédéon; c'est cet Agneau que les anges ont annoncé, que les bergers ont serré dans leurs bras, que l'étoile a montré; et sa mère, la Vierge féconde, a fait trembler Hérode au milieu de ses richesses; elle a reçu les adorations et les présents des Mages. Puisque nous avons comparé la chaste Marie à une sainte brebis, nous avons aussi donné à son Fils le nom d'Agneau sans tache; l'Evangile de Jean nous y a d'ailleurs autorisé, car nous y lisons ces paroles: «Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde (1)».

3. C'est à vous, saint homme Jacob, c'est à vous que je vais m'adresser: à l'âge de vingt ans vous étiez un berger digne de louanges et vous êtes devenu pour nous l'image du Dieu pasteur, de l'Agneau sans tache que nous devons adorer. Saint Jacob, je vous en prie instamment, dites-nous, vous si petit et si grand tout à la fois, dites-nous pourquoi et comment vous avez aperçu en songe cette échelle mystérieuse qui allait jusqu'au ciel et au sommet de laquelle se trouvait couché l'Agneau virginal? Pourquoi et comment vous avez reconnu cet Agneau? Pourquoi et comment, à votre réveil, vous avez dressé et consacré la pierre sur laquelle votre tête avait reposé? En tout cela, je le vois, vous nous avez annoncé le mystère de

1. Jn 1,29-36

la croix; car, au Sauveur mort en croix pour votre salut et le nôtre, s'appliquent ces paroles du psaume que l'on adresse aux nouveaux baptisés, surtout en raison du chrême: «Le Seigneur votre Dieu vous a sacré d'une onction de joie, qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager avec vous (1)»; qui vous élève, non pas au même rang que ceux qui doivent la partager avec vous, mais au-dessus d'eux. L'apôtre Pierre explique ainsi ce passage: «Ce Jésus de Nazareth, que Dieu a rempli de l'onction de l'Esprit-Saint (2)».

4. Je le sais, ô homme une fois et deux fois saint, trois fois et quatre fois heureux, je le sais, la charité était l'âme de vos oeuvres; la piété inspirait votre fuite, vous ne suiviez d'autre chemin que celui de la vérité; votre repos était en Dieu, l'éternité devait être votre récompense. Que faisiez-vous donc en ces réservoirs d'eau'; qui étaient votre mystique bergerie? Quelles merveilles y opérait votre merveilleux savoir-faire? Pourquoi mettre l'une sur l'autre, dans les auges des brebis, ces trois branches vertes, en enlever la couleur verte à certains endroits, leur donner une teinte très-blanche, les placer toutes trois au fond des canaux au moment de la conception, montrer en un sens prophétique ces branches, placées dans l'eau, aux brebis qui voulaient concevoir et boire, et disposer ainsi les mères à vous donner un nombreux troupeau d'agneaux blancs? Ecoutez le Patriarche, mes frères, il va vous apprendre de grandes choses, non pas sous l'influence d'une prudente charnelle, mais d'après l'inspiration toute-puissante du Saint-Esprit. Laissons-lui la parole: Quand je tenais les trois branches dans l'une de mes mains, je présentais le symbole de la Trinité catholique. Les trois branches étaient de bois, et chacune d'elles avait des qualités propres à elle seule; ainsi en est-il de la Trinité: dans le Dieu vivant, chacune des trois personnes est distincte des autres, mais entre elles on ne saurait trouver aucune diversité de nature. La première branche était de storax, la seconde d'amandier et la troisième de platane. Comparons celle de storax au Père, celle d'amandier au Fils, et celle de platane à l'Esprit-Saint. Pourquoi comparons-nous la branche de storax à Dieu le Père? Evidemment, parce que c'est des

1. Ps 43,8 - 2. Ac 1,38 - 3. Gn 30,37-43

petits bourgeons de cet arbre que s'échappe la plus forte odeur qu'il puisse produire. Ainsi Dieu le Père a-t-il produit l'odoriférant Sauveur. Ecoute l'Apôtre, voici ce qu'il dit: «Nous sommes devant Dieu la bonne odeur du Christ, en tous lieux, pour ceux qui se perdent et pour ceux qui se sauvent (1)». Comment cela? Parce que ceux qui se perdent et ceux qui se sauvent ont été oints du chrême odorant. Pourquoi encore comparons-nous la branche d'amandier à Dieu le Fils? De même que la verge d'amandier, qui avait servi à Aaron, était redevenue verte et avait fleuri dans le temple, après avoir été longtemps desséchée; ainsi le corps du Christ, revenant à la vie, a refleuri au sortir du tombeau. La verge desséchée est l'image du corps inanimé de Jésus; la verge redevenue verte représente ce corps revenant à la vie; la verge fleurie dans l'arche du Testament symbolise ce même corps s'échappant glorieux du sépulcre. Et c'est parce que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ a refleuri au moment de sa résurrection, que le Psalmiste, parlant de lui, a chanté ces paroles: «Ma chair a refleuri, et je le louerai de toute mon âme (2)». Les branches du platane sont larges et touffues, comme s'il avait été planté sur la montagne sainte; aussi, je comprends qu'il s'agit de la venue du Dieu Saint-Esprit dans ces paroles du Prophète: «Dieu viendra du Midi, et le Saint descendra de la sombre et ombrageuse montagne (3)». Le platane est donc un arbre aux branches larges et touffues, et l'homme qui fuit les ardeurs du soleil trouve sous son ombre la fraîcheur et le repos. Aussi comparons- nous les branches du platane au Saint-Esprit et à son action rafraîchissante; car l'Ange a dit à la Vierge, au moment de la conception: «Le Saint-Esprit descendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (4)». Quand Jacob enlevait, en certains endroits, l'écorce des trois branches, et mettait à découvert leur blancheur intérieure, voici ce dont il nous offrait l'emblème: l'unité de la divine Trinité ne peut être comprise même par les plus savants, tant qu'ils ne se sont point dépouillés de leurs pensées charnelles; car le vrai et unique Dieu, le Dieu un en trois personnes, et l'unité de ces trois personnes, ne sont à la

1. 2Co 2,15 - 2. Ps 27,10 - 3. Ha 3,3 - 4. Lc 1,35

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portée que des hommes spirituels; elles dépassent, du tout au tout, les facultés des hommes charnels. En effet, l'homme charnel, que l'Apôtre appelle en d'autres termes l'homme animal, «ne perçoit pas les choses «qui sont de l'Esprit de Dieu: l'inintelligence «est son partage (1)». La variété dans la couleur, et l'agréable aspect des trois branches est l'image de l'unité des trois personnes divines, qui, par la diversité de ses mystères et la différence dans la manière dont on les présente, s'offre, aux esprits désireux de la connaître, sous les aspects les plus divers et les plus beaux. Cette variété dans l'unité fait la joie de l'Eglise catholique, selon cette parole des saints cantiques: «Ses vêtements sont resplendissants d'or; on y remarque une admirable variété (2)».

6. Jacob plaçait les trois branches dans les canaux où les brebis du saint troupeau allaient s'abreuver, et pourtant la même eau servait à les désaltérer. Autre symbole. En effet, dans l'Eglise, dépositaire de la vérité, c'est au nom de la Trinité qu'on baptise, et l'on y prêche l'unité du baptême; c'est ce que Paul disait formellement à ceux qu'il avait baptisés: «Il n'y a qu'un Seigneur, une foi et un baptême (3)». En s'abreuvant aux courants d'eau, les brebis y puisaient une boisson vivifiante; ainsi en est-il de tout fidèle: la piscine sacrée, où il reçoit le baptême, est pour lui la source d'un lait qui le fait croître, comme le lait maternel fait grandir le nouveau-né; voilà pourquoi Pierre adressait ces paroles aux chrétiens nouvellement régénérés dans les eaux baptismales: «Comme des enfants nouvellement nés, désirez ardemment le lait spirituel et pur, afin qu'il vous fasse croître pour le salut (4)». Enfin, en se désaltérant au ruisseau, les brebis y avaient, à cause des trois branches, des visions singulières et qu'un, homme n'aurait

1. 1Co 2,14 - 2. Ps 44,15 - 3. Ep 4,5 - 4. 1P 2,2

jamais pu supposer: emblème de l'effet produit par le baptême des catholiques: quiconque s'y désaltère devient capable de contempler l'unité d'un seul Dieu en trois personnes, mystère dont la vue est réservée, non pas aux impies, mais aux coeurs purs. «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (1)».

6. Illustre Jacob, Dieu lui-même a prononcé votre éloge en louant trois grands hommes «Je suis», a-t-il dit, «le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob (2)». Je ne vous demande plus qu'une chose, c'est la dernière: je vous en prie, comparez patiemment avec moi le temps où vous viviez avec celui-ci: notre époque n'est-elle pas, plus que la vôtre, enrichie des faveurs de la grâce? Il est positif que notre brebis, la vierge Marie, est préférable aux vôtres. Notre siècle surpasse donc votre siècle en bonté, car notre Vierge est devenue féconde sans le concours de l'homme; et parce que cette Vierge sainte a miraculeusement enfanté, bien qu'elle n'eût eu de commerce charnel avec aucun homme, elle a été, en ce jour, honorée, dans la personne du Christ, des respects et des présents des Mages.

7. C'est pourquoi, mes très-chers frères, il faut nous réjouir aujourd'hui d'avoir reçu le don de la foi catholique, jadis symbolisée par les trois branches de Jacob. Réjouissons-nous aussi à la vue de l'étoile qui a projeté sur toute la terre le vif éclat de ses rayons. Réjouissons-nous encore à l'aspect des présents des Mages, emblème sensible de la Trinité que dans notre conduite se rencontrent les trois vertus désignées par ces présents! Puisse la foi faire de notre coeur un coeur d'or; que l'encens du repentir brûle sur l'autel de ce coeur en sacrifice d'agréable odeur; qu'enfin la myrrhe de la charité à l'égard du prochain nous obtienne le pardon de nos fautes par Jésus-Christ notre Seigneur.

1. Mt 5,8 - 2. Ex 3,6

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TRENTE-SEPTIÈME SERMON. POUR L'ÉPIPHANIE DU SAUVEUR. II.

ANALYSE. - 1. Marie est désignée sous le nom d'étoile. - 2. Elle a été également symbolisée par la tige sortie de la racine de Jessé, et par la verge fleurie d'Aaron. - 3. A elle encore s'applique ce que Salomon dit de l'amandier, du câprier et de la sauterelle. - 4. Conduits par l'étoile, les Mages adorent le Christ et retournent dans leur pays par un autre chemin. - 5. Exhortation morale.

1. «Une étoile sortira de Jacob, et un homme s'élèvera d'Israël, et il frappera les chefs de Moab, et il détruira tous les enfants de Seth, et l'Idumée deviendra son héritage (1)». D'après le récit de la sainte histoire du vieux Testament, Balach, roi des Médianites, appela près de lui le prophète Balaam, pour lui faire maudire le peuple de Dieu: à peine celui-ci eut-il aperçu au loin les campements et les tentes des Israélites, qu'il se sentit inspiré de l'Esprit-Saint: il prévit donc que de leur race et d'une Vierge immaculée naîtrait, un jour, le Fils de Dieu, et entre autres paroles prophétiques qu'il leur adressa pour leur annoncer l'avenir, il prononça tout à coup celles-ci et s'écria: «Une étoile sortira de Jacob, et un homme s'élèvera d'Israël n. Sous ce nom d'étoile, qu'est-ce qui est désigné, mes très-chers frères? C'est évidemment la sainte mère de Dieu. Pareille à un astre du ciel, elle a brillé, plus que tous les fils et toutes les filles des hommes, par sa virginité et son humilité, elle en a projeté les éclatants rayons sur le monde entier; car elle est cette étoile de la mer, cet astre du matin, qui a donné le Soleil de justice aux hommes assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort (2)»; grâce à elle, la clarté de la lumière d'en haut est venue se répandre sur le genre humain, qu'enveloppaient les ténèbres d'une nuit profonde. C'est l'étoile radieuse que le nuage du péché n'a jamais obscurcie, qui a laissé échapper son rayon, sans connaître même l'ombre de la corruption, qui a enfanté son Fils sans

1. Nb 24,17-18 - 2. Lc 1,79

éprouver le moindre dommage dans sa virginité; c'est l'étoile illustre et toute belle, qui a brillé par ses mérites, qui nous a guidés par ses exemples, qui éclaire les aveugles et ranime les faibles. C'est dans cette étoile que s'est caché le vrai Soleil de justice, lorsqu'il a disparu derrière le nuage de notre humanité; c'est d'elle qu'il est sorti, laissant entière et intacte son innocence. Balaam a dit que cette étoile sortirait de Jacob, parce qu'en effet la Vierge immaculée descendait, en ligne droite, de la race des patriarches.

2. Voilà pourquoi le Prophète a prononcé ces paroles: «Une tige sortira de la racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de ses racines (Is 11,1)». Balaam avait désigné la vierge Marie sous le nom d'étoile qui sortira de Jacob, Isaïe l'appelle la tige qui sortira de la racine de Jessé: les noms d'étoile et de tige, que les deux Prophètes lui ont donnés, lui conviennent également bien. C'est une étoile, car, après avoir été éclairée de la lumière d'en haut, elle a brillé plus que tous les mortels et répandu sur la terre les splendides rayons de toutes les vertus. C'est une tige, parce qu'elle est demeurée ferme et inflexible dans la force et la perfection de ses vertus, et que, sans porter nulle atteinte à son innocence, elle a produit une fleur céleste, le Fils de Dieu. Aussi, et pour nous en donner d'avance un emblème, le bienheureux Moïse avait-il placé dans le tabernacle du témoignage douze verges au nombre desquelles se trouvait celle du grand-prêtre Aaron. Tandis que toutes les autres demeurèrent sèches et arides, la - 698 - verge d'Aaron fut seule à produire des feuilles, des fleurs et des amandes. Elle fut le symbole de la bienheureuse Vierge. Comme, en effet, Marie avait été élevée sous l'empire de l'ancienne loi, et qu'elle avait pris part, avec ses parents, aux cérémonies légales, elle semblait avoir été placée avec les autres dans le tabernacle; mais pendant que les Juifs demeuraient stériles sous le rapport de la foi et des bonnes oeuvres, notre tige d'Aaron, fécondée par l'Esprit-Saint, produisit les feuilles des bonnes oeuvres et donna une fleur odoriférante, puis un fruit d'une saveur sans égale, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sans avoir été humectée par la rosée ou trempée par la pluie, sans rien perdre de sa substance, la verge d'Aaron a produit une amande: la royale Vierge, baignée de la rosée céleste, trempée de la pluie divine, et conservant intacte son innocence, a mis au monde le Fils de Dieu. La verge d'Aaron n'avait pas de racine, et elle a fleuri: Marie n'a pas connu d'homme, et elle a conçu en fleurissant. La verge d'Aaron n'a rien perdu de sa verdeur: la Vierge n'a subi, en son intégrité, aucun dommage par son enfantement sacré.

3. Salomon avait encore en vue la vierge Marie, quand il a dit: «Quand l'amandier fleurira, le câprier sera détruit, la sauterelle deviendra pesante (Qo 12,5)». Vous le savez, mes bien-aimés frères, de tous les arbres, l'amandier est le premier à fleurir, lorsque viennent les chaleurs du printemps, et il produit une fleur d'odeur singulièrement agréable: ainsi la Vierge Mère, sous la chaude influence de l'Esprit-Saint, a conçu de bonne heure; puis elle a fleuri, et sa fleur a répandu dans le monde le plus suave parfum. Pour le câprier, d'une odeur peu agréable, amer au goût, il figurait le peuple juif, qui, tout imprégné de l'amertume et de la sévérité de la loi, n'a jamais montré aucune douceur d'esprit, ni obéi que dans l'amertume de la lettre; au moment où l'amandier a fleuri, la lettre a disparu, parce que, la Vierge ayant enfanté le Fils de Dieu, les rites de la loi ont été abolis et ont cessé d'être, et le peuple juif, en punition de sa perfidie, a été détruit et dispersé dans tout l'univers. Y a-t-il le moindre avantage à ce que la sauterelle se reproduise? Certainement non; peut-on en faire usage? Non encore. Vous ne pouvez la saisir, elle saute de ci et de là; elle fait entendre un cri strident: de quel autre peuple est-elle l'image, que du peuple des Gentils? Ne donnant aucun fruit de justice, se laissant emporter à tout vent de doctrine (Ep 4,14), n'ayant de confiance que dans le grand nombre et la sonorité des paroles, étrangers à la personne divine du Verbe, pareils, enfin, à des sauterelles, les Gentils semblaient n'avoir ni sang ni fécondité. Mais sitôt qu'ils furent convertis et respirèrent le parfum répandu par les branches naissantes du jeune amandier, sitôt qu'ils eurent goûté du miel de ses fleurs, la pâleur et la maigreur, conséquences de leurs vices, disparurent pour faire place à l'embonpoint que donne la grâce céleste. C'est donc avec raison que le Prophète a dit: «Quand fleurira l'amandier, le câprier sera détruit et la sauterelle deviendra pesante»: En effet, lorsque notre virginal amandier a eu produit sa fleur délicieuse, Jésus-Christ, la nation juive a disparu en punition de sa perfidie, et le peuple des Gentils s'est converti, et l'abondance de l'Esprit-Saint, avec la graisse des bénédictions d'en haut, est venue lui donner une santé spirituelle florissante. C'est donc avec justesse qu'on l'a désignée la bienheureuse Vierge, sous les noms d'étoile, de verge et d'amendier; car elle a brillé comme une étoile, projetant autour d'elle les rayons de ses vertus: pareille à une verge, elle a conservé, avec fermeté et d'une manière inflexible, la droiture de la justice; puis, comme un amandier, elle a produit les belles et odorantes fleurs de toutes les perfections.

4. Toutefois, cette étoile virginale se trouvait enfermée dans les étroites limites d'une étable, avec le Soleil de justice qu'elle avait mis au monde; aussi, et afin de la faire connaître, un astre d'un éclat nouveau apparaît-il en Orient; par l'éclat inouï de sa lumière, il prévient les Gentils de l'apparition de l'étoile sortie de Jacob, et, marchant en avant des Mages pour leur indiquer leur chemin, il les amène jusqu'à Bethléem. C'est ainsi que le ciel fait connaître le ciel, qu'une étoile indique une étoile, que la lumière rend témoignage de la lumière, qu'un astre découvre un astre. Les Juifs sont là, tout près, et ils ne veulent reconnaître l'enfant Jésus ni d'après les oracles des Prophètes, ni sur l'attestation des Mages, et, sur un signe venu du ciel par le moyen d'une - 699 - étoile qui raconte sa gloire, la gentilité, qui se trouve bien loin, le reconnaît pour son Dieu. Éclairés de la lumière céleste, arrivés à Bethléem sous la conduite de l'astre qui les précède, les Mages entrent dans la maison et y trouvent l'étoile et le soleil; ils adorent comme un Dieu, vénèrent comme un roi, reconnaissent pour un homme l'auteur de notre salut, couché dans une crèche: par leur triple offrande, ils font l'aveu de ses deux natures, la divine et l'humaine, et ce qu'ils croient de coeur, ils l'affirment hautement par leurs dons. Ils sont trois, ils font à un seul hommage de trois sortes de présents; par là, ils confessent publiquement l'unité de Dieu en trois personnes.. Après avoir accompli, à l'égard de l'enfant Jésus, les devoirs d'une pieuse dévotion, mais prévenus par un ange, ils prennent un autre chemin et s'en retournent dans leur pays.

5. Pour vous, frères bien-aimés, vous savez qu'une étoile virginale est sortie de Jacob; vous adorez Jésus, non comme pleurant encore sur la paille, mais comme régnant dans les cieux; l'astre brillant de l'Évangile vous a envoyé, du haut du ciel, les rayons de son admirable lumière; il vous précède et vous dirige: marchez donc à sa suite par vos bonnes oeuvres, courez jusqu'à Bethléem, jusqu'à la demeure du pain vivant, c'est-à-dire jusqu'à la sainte Eglise: vous y trouverez Marie et Jésus, et au lieu d'entendre ses gémissements enfantins, vous l'entendrez prêcher et instruire le peuple. Que les heureux Mages, prémices de votre foi et de votre conversion, deviennent vos modèles: quand Jésus était couché dans la crèche, ils l'ont vénéré, ils lui ont fait hommage de leurs présents pour vous, offrez-lui vos bonnes oeuvres en signe d'adoration, maintenant qu'il règne dans le ciel. Offrez-lui en don, non des choses du temps, car elles finissent par périr, non des choses transitoires et visibles mais des présents qui viennent de votre coeur, des louanges et des actions de grâces. Au lieu d'or, offrez-lui de la sagesse; au lieu d'encens, de la dévotion; au lieu de myrrhe, la mortification de vos sens; puis, instruits par l'Évangile, quittez le chemin des oeuvres mauvaises, qui vous a amenés de l'endroit où vous étiez, et retournez par une voie toute différente, celle des bonnes oeuvres jusqu'à la patrie, au séjour de la lumière éternelle, où daigne vous faire entrer Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu, qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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TRENTE-HUITIÈME SERMON.. POUR L'ÉPIPHANIE DU. SAUVEUR. 3.

ANALYSE. - 1. Dans l'Épiphanie se célèbrent plusieurs mystères, mais spécialement la venue des Mages. - 2. Ils sont venus, non par suite de calculs astrologiques, mais par esprit de religion.- 3. L'opposition des Donatistes est condamnée par les Eglises apostoliques. - 4. et même par le monde entier; car à peine sont-ils connus, même en Afrique. - 5. L'Église catholique a trouvé dans les persécutions le principe de son développement: on ne peut en dire autant des sectes dissidentes.- 6. L'orateur exhorte son auditoire à conserver l'unité.

1. Le nom d'Épiphanie a passé du grec dans le latin; les interprètes de cette dernière langue le traduisent par le mot manifestation, parce qu'en ce jour le Christ a manifesté sa grandeur divine et l'a fait connaître au monde par certains faits miraculeux. Toutefois, l'Église célèbre aujourd'hui, dans tout l'univers, des mystères de plus d'une sorte; (700) d'abord, elle nous enseigne qu'une étoile plus brillante que les autres a montré à des Mages opulents l'humble demeure d'un grand Roi; elle nous apprend aussi qu'à pareil jour il a, dit-on, opéré son premier miracle, en changeant subitement de l'eau en vin; enfin, elle nous rappelle la croyance où l'on est qu'en ce jour encore, Jean a baptisé Jésus au moment où le Sauveur se trouvait dans le lit du Jourdain, Dieu le Père le reconnut hautement pour son Fils; car, au rapport de l'Evangéliste, sitôt «qu'il sortit de l'eau on entendit une voix du ciel qui disait: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances: écoutez-le (1)». Voilà, à ce que l'on croit, par quels indices publics a été aujourd'hui manifestée la puissance du Sauveur; mais l'on s'accorde plus communément à reconnaître qu'à l'Epiphanie l'étoile a servi de flambeau aux Gentils pour leur montrer le chemin qui devait les conduire à travers les ténèbres jusqu'au Christ, et que, même au milieu de ses compatriotes, des Orientaux ont été les premiers à l'adorer. Car tel est le récit de l'Evangile: «Voilà que des Mages vinrent d'Orient à Jérusalem, et ils disaient: Où est celui qui est né roi des Juifs? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l'adorer (2)». Mais les Donatistes, séparés de l'Orient, privés de la lumière, plongés dans les ténèbres de l'Occident, révoquent en doute la foi des Mages; car ils supposent qu'ils se sont mis à la recherche du Dieu incarné, par calcul et non par esprit de religion. Or, serait-il possible qu'ils eussent parcouru de si vastes pays, qu'ils eussent offert au Sauveur de si précieux dons et se fussent prosternés à deux genoux pour adorer un enfant qu'ils voyaient enfermé en de si étroites limites et couvert de si pauvres baillons, s'ils n'avaient reconnu dans cet enfant le Roi du ciel, et remarqué en lui les traits de la grandeur divine?

2. En effet, les astrologues, tremblants au milieu du monde sidéral, et poussés par la rage de la curiosité jusqu'à en devenir les habitants, les. astrologues n'ont jamais su que Dieu dût un jour s'incarner. Ils ont eu beau, depuis le commencement du monde, s'occuper de la marche des corps célestes; jamais ils n'ont connu les secrets desseins de l'Eternel; car tous les nombres des étoiles sont

1. Mt 3,16-17 - 2. Mt 2,1-2

impuissants à découvrir les pensées du Créateur du ciel. Puisque la création des astres a précédé celle de l'homme, comme toutes les plaines de l'air ont existé avant que les champs se soient parés de verdure et que les vastes prairies du firmament se soient émaillées d'étoiles d'or, il est certain que l'homme est postérieur en date aux destins qui l'ont précédé. Or, les astrologues raisonnent comme si les sorts avaient été faits les premiers, et jetés ensuite du haut du ciel sur les hommes, tandis que le destin ne date ni d'avant ni d'après l'homme, mais qu'il doit avoir commencé au moment même de sa conception. D'ailleurs, les astres ayant été répandus dans toute l'étendue des cieux, et ayant brillé deux jours avant la naissance du genre humain, comment donc, ô astrologue, dis-tu que le destin a passé par les astres pour aller jusqu'à l'homme, puisque l'existence de l'homme est de plus fraîche date que les astres? Moi, mes frères, je vous dirai, oui, je vous dirai ce qui a porté les Mages à reconnaître, au moyen de l'étoile, le Roi des Juifs, ce Roi auquel ils ont rendu témoignage par des présents si bien appropriés à sa nature; car ils lui ont offert de l'or, comme au grand Roi, de l'encens, comme à Dieu, de la myrrhe, comme à l'homme dont le petit corps devait mourir pour le salut du monde; et alors s'est vérifié cet oracle du Prophète: «Tous viendront de Saba, apportant de l'or, de l'encens et de la myrrhe (1)»; et, en l'offrant, ils ont fait connaître le don du Seigneur. Je vais donc vous dire pourquoi les Mages ont remarqué l'étoile, pourquoi ils ont suivi la voie lumineuse qu'elle leur indiquait. Le divin Balaam avait été appelé auprès du roi Balac, pour maudire les enfants d'Israël; mais Dieu lui fit des menaces terribles et lui ordonna de bénir, au lieu de maudire, son peuple qui passait. Balaam annonça donc, malgré lui, aux Juifs, un grand nombre d'événements heureux pour lui et, entre autres promesses, il leur fit, en ces termes, celle de la venue future du Seigneur Christ: «Une étoile sortira de Jacob, et un homme s'élèvera d'Israël, et il broiera tous les chefs des étrangers, et tous les confins de la terre deviendront son bien (2)». De tous les Mages et, de tous les devins de ce temps-là, Balaam passait pour le plus capable; aussi sa prophétie, qu'il avait puisée en Dieu,

1. Is 60,6 - 2. Nb 24,17

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et non dans les calculs de l'art astrologique, a-t-elle été soigneusement recueillie dans les livres des Mages et transmise, pour mémoire, à leur postérité. Les Mages avaient donc cet oracle présent à la pensée, lorsque l'astre royal vint ajouter son éclat à celui des autres astres et projeter ses rayons lumineux sur le pays des Juifs. A l'apparition de ce signe, ils coururent en toute hâte, et l'étoile, qui brillait ainsi au service du Christ,, ne quitta ces hommes fidèles qu'après les avoir conduits à la pauvre maison de Marie, sous le toit de laquelle se cachait le Christ.

3. Orgueilleuse ignorance et téméraire incapacité des Donatistes, pourquoi attaquer ce que vous ne connaissez pas? Pourquoi déchirer ces hommes dévots et nullement fatalistes, que vous voyez prosternés aux pieds du Roi des cieux, et lui offrant leurs dons? Mais, je le sais, vous détestez, non pas l'astrologie, mais la foi; ce ne sont point les astrologues que vous repoussez, c'est la foi de ces Orientaux qui vous fait peur. Supposé qu'ils se soient mis à la recherche du Roi Très-Haut par suite de calculs magiques, et non par sentiment de religion, ils mériteraient encore la louange plus que le blâme, parce qu'en réalité ils ont adoré le Dieu de l'étoile, et n'ont point rendu à l'étoile un culte idolâtrique. Les Mages ont donc vu l'astre nouveau, et, vite, ils sont venus avec des présents pour adorer Dieu. Et toi, ô donatiste, non-seulement tu ne cours pas à la suite de l'étoile, mais tu vas jusqu'à te séparer des Mages fidèles; aussi tu marches en aveugle et tu te heurtes au milieu des ténèbres. Les Mages arrivent jusqu'auprès du Christ, et toi, tu deviens étranger pour lui. Le monde entier est avec eux aux pieds du Sauveur; et toi, tu es resté en dehors de la crèche; tu as repoussé la lumière qui éclaire le monde. Voilà donc l'Orient devenu adorateur de Jésus! Au Septentrion, au Midi, et jusqu'aux extrémités de l'Occident, toutes la nations, réunies dans le sentiment d'une même foi, devenues en quelque sorte parentes par la conformité de leurs croyances religieuses, vénèrent un seul Dieu. Malheureuse erreur, où vas-tu te cacher? Jusques à quand te réfugieras-tu sur une terre étrangère? Partout les catholiques sont les maîtres, et ils te chassent de chez eux; puisqu'ils sont entrés en possession de toutes les contrées du monde, n'ont-ils pas le droit d'éloigner de leurs terres tous ceux qui veulent y mettre le pied? Tu ne trouves de refuge ni chez les Corinthiens, ni chez les Galates, ni chez les habitants d'Ephèse; on te déteste à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à à Sardes, Philadelphie et à Laodicée; car, par l'organe de l'apôtre Jean, Dieu rend témoignage à la foi de ces villes. Les Colossiens et les Thessaliens te condamnent, et de leur côté se range tout le pays d'Orient, d'où les Mages sont venus, comme les représentants de la foi de leur province, conclure avec le Christ un nouveau traité d'alliance. Qu'y a-t-il de commun entre toi et les Indes? entre toi et les Perses? entre toi et les Arméniens, les Éthiopiens et les Egyptiens? La Bretagne est physiquement séparée du reste du monde, mais elle nous est unie par les liens de la religion si la mer nous en éloigne, la foi nous en rapproche. Tu es insupportable à l'Espagnol, au Gaulois, et à l'Italien; car, avec le glaive spirituel, ils ont coupé le cou à ton archipirate.

4. A quoi bon énumérer toutes les parties de l'empire céleste des Patriarches, des Prophètes et des Apôtres, où la foi a pris naissance, où elle a été confirmée par la parole de Dieu et celle des anges? Ne rougis-tu pas de vivre, après avoir mérité d'être exclu de l'héritage des saints! Il serait superflu de nommer en détail tous les pays qui te sont opposés; car tu es en contradiction avec les derniers pays du monde qu'éclaire le soleil; tu es inconnu sur le vaste réseau des mers, et toutes les nations, tous les peuples de la terre te condamnent. Il y a même, en Afrique, des contrées qui ne savent point votre nom, et les campagnes où vous errez sont de mince étendue. Dès qu'elle vous a vus, elle vous a rejetés de son sein; en vertu des lois divines, elle vous a chassés de ses propriétés. Écoutez-moi, s'il vous plaît - l'Afrique commence et finit aux confins de l'Égypte et de la ville d'Alexandrie, à l'endroit où Parétonie se trouve située et aux montagnes que les naturels du pays appellent Catabaahmon: voilà où elle commence; de là, elle s'étend le long du désert d'Éthiopie, pour aller se terminer, en Occident, aux limites de l'Europe, c'est-à-dire au détroit de Cadix, où l'Océan se jette dans la mer de Toscane; enfin, ses bornes les plus reculées et les plus extrêmes sont, dans le sens de la largeur, le mont Atlas et les îles aux-

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quelles on donne le nom de Fortunées. L'Afrique a donc pour limites, à l'Orient, l'Égypte; au Septentrion, la mer de Libye; au Couchant les grandes Syrtes, et au Midi, le désert d'Éthiopie. O insensés, qui ignorez toutes choses, ne voyez-vous pas sur quelle immensité de terrain l'Église universelle règne, même en Afrique, et en quelles étroites limites vous êtes vous-mêmes renfermés? Combien de fois la vérité vous a-t-elle déjà vaincus? Que de fois vous vous êtes convertis! Que de fois vous avez menti au Christ! Aussi votre race s'est-elle éteinte petit à petit, et a-t-elle fini par se dessécher sous les atteintes du feu du ciel, comme un gazon dépourvu de racines. O hérétique, es-tu à Jérusalem pour adorer le tombeau ou la croix du Sauveur? Es-tu à Bethléem pour vénérer, avec l'univers, la crèche qui a porté le Christ naissant? Es-tu à Nazareth pour visiter respectueusement la chambre où l'ange a visité Marie, où il lui a annoncé que, sans cesser d'être vierge, elle donnerait le jour à Notre Seigneur et Sauveur? Pourquoi briser les liens de parenté qui devraient t'unir aux petits enfants qui ont souffert pour Jésus-Christ? Cesse-t-on d'entendre prononcer le nom des chrétiens à l'endroit où les premiers martyrs ont été mis à mort? La foi chrétienne serait-elle assez malheureuse pour se trouver circonscrite dans l'étroit espace que tu occupes? Le Christ ne te dit-il pas: J'ai tout racheté, j'ai versé mon sang pour le salut de tout le monde; je ne connais pas de partage, j'exige que tous ne fassent qu'un, parce que ma propriété ne peut avoir deux maîtres?

5. Ne va pas dire que si tu es réduit à des proportions si minimes, c'est le fait de la puissance romaine; rappelle-toi ceci, oui, rappelle-toi ceci, et si tu ne peux te le rappeler, lis-en le récit dans l'histoire: Combien de fois nous avons, nous aussi, souffert de la part des Romains? Combien de leurs princes ont tiré contre l'Église catholique le glaive sanglant de la persécution! Pourtant leur cruauté barbare n'a point réussi à étouffer notre foi; l'on peut même dire que plus le persécuteur abattait d'épis dans le champ de la religion, plus la moisson du Christ devenait abondante sous sa faux; car l'homme ne peut l'emporter sur Dieu. Jamais on n'a pu faire mentir la prophétie d'après laquelle l'Église devait se répandre jusqu'aux extrémités de l'univers. Ecoute l'antique présage relatif à la solennité de ce jour: «Les rois de la mer et des îles lointaines lui apporteront des présents; les princes de l'Arabie et de Saba, des offrandes tous les rois de la terre l'adoreront, et toutes les nations lui seront soumises (1)». Fais-tu choeur avec tous ces rois pour adorer le Christ, toi qui erres avec tous ceux du dehors? Ecoute, voici comment le Prophète annonce les présents des rois, avant que ceux-ci les offrent: «Tous viendront de Saba, apportant avec eux de l'or, de l'encens et de la myrrhe»; en les offrant, ils proclameront le salut de Dieu. Cherche maintenant à savoir à l'égard de quelle hérésie peuvent s'accomplir ces paroles: «Il dominera de la mer jusqu'à la mer, du fleuve jusqu'aux extrémités de la terre. Devant lui se prosterneront les habitants du désert, et ses ennemis baiseront la poussière de ses pieds (2)». Remarque bien à quelle Eglise peuvent s'appliquer ces paroles adressées au Christ par le Psalmiste: «Dispersez les nations qui veulent la guerre: les princes de l'Égypte accourront pour demander la paix; l'Éthiopie étendra les mains vers le Seigneur. Rois de la terre, chantez le Seigneur, célébrez en choeur l'Éternel (3)». O hérétique, reconnais ta solitude; vois, tu es séparé des habitants des îles et des nations, tu n'as plus de part aux mérites sanglants du Christ. Tu es désormais incapable de t'étendre et d'atteindre aux frontières du monde; car, tu le sais, dans un moment tu ne seras plus. Je te le demande, à quelle époque commenceras-tu à régner dans les îles? Quand pourras-tu explorer les mers les plus lointaines? Tu ne peux plus sortir nulle part sans y rencontrer l'Église, puisque le pouvoir royal s'exerce partout. Mais supposons que le Gaulois puisse aller en Numidie et l'Italien en Byzacène, sans y trouver l'Église; il sera toujours vrai de dire qu'autre chose est de parcourir le monde en marchant, autre chose est d'adorer le Christ dans tous les pays de la terre, comme si l'on était au milieu de ses concitoyens.

5. Enfin, nous lisons dans le Prophète ce passage: «Et tous les habitants des îles, tous les peuples l'adoreront, chacun en sa place (4)». Entends-tu: «En sa place?» Pourquoi alors, gémis-tu dans la solitude

1. Ps 71,10-11 - 2. Ps 8,9 - 3. Ps 67,31-33 - 4. So 2,11

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d'une terre qui n'est pas la tienne? Apprends, apprends à partager la foi de l'univers, et nulle part tu ne seras forcé d'errer comme en pays étranger. Sois l'ami de toute la terre, entre en participation de l'unité, deviens membre de cette Eglise qui règne partout, et, en aucun lieu, tu ne seras hors de ta patrie, parce que toutes les contrées de la terre seront pour toi le pays natal. Courbe tes épaules sous le joug céleste, et alors tu verras que tu es dans l'unité, suivant cette parole de l'Écriture: «Que tous invoquent le nom de Jéhovah et lui obéissent sous le même joug; des confins des fleuves, l'Ethiopie offrira à Dieu ses présents (1)». Tu portes un autre joug, et un autre hérétique en porte un qui lui est particulier; mais, dans toutes les parties du monde, le catholique est soumis à un seul Dieu, et porte le même joug; par conséquent, il ne saurait s'égarer. Mais, mes frères, pourquoi vous fatiguer si longtemps à vous démontrer une vérité parfaitement évidente? C'est inutilement qu'on ose célébrer cette solennité, si l'on ne veut point partager la foi que professe le monde entier.

1. So 3,9-10





Augustin, Sermons 5036