Augustin, Sermons 5039

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TRENTE-NEUVIÈME SERMON. POUR L'ÉPIPHANIE DU SAUVEUR. IV.

ANALYSE. - 1. Les Mages amenés aux pieds du Christ par une étoile nouvelle. - 2. Le Christ n'est pas né sur l'ordre d'une étoile. - 3. Les petits innocents, pierres précieuses incrustées dans la couronne du Christ; c'est de l'or, et leurs mères sont les mines du sein desquelles on l'a tiré.

1. Une couronne a brillé aujourd'hui aux yeux du monde, car une étoile, qui la précédait, en a révélé la richesse; et le précieux martyre des innocents est venu y attacher comme des pierres précieuses. Quand, de l'intérieur de son palais, un roi de la terre s'avance au milieu de la foule réunie pour l'acclamer, et qu'il étale aux yeux de tous les richesses de son diadème, quels cris d'admiration, au milieu des pierres éblouissantes qui en font l'ornement! De quel éclat a paru environnée la couronne aujourd'hui exposée aux regards du monde, puisqu'elle est l'emblème d'une puissance qui s'exerce tout à la fois sur la terre et dans les cieux! Les cieux l'ont aperçue; aussi les Anges de Dieu sont-ils descendus ici-bas, afin de l'admirer. Ses rayons ont pénétré dans le choeur des étoiles; ils ont porté le trouble dans leurs rangs, et, dans la vivacité de leur joie, elles se sont hâtées de lui obéir. Voici donc notre rédemption, puisqu'apparaît une étoile splendide, l'étoile du matin; elle est splendide, à cause de l'Épiphanie, qui se manifeste aux Gentils; c'est l'étoile du matin, car, en sortant du tombeau, à l'heure de l'aurore, le Christ a vidé les enfers; dès le matin, il a fait sortir de leur sépulcre les corps des morts, après les avoir enveloppés de l'éclat de son aurore naissante, comme d'un manteau de pourpre. Les Mages ont vu cette couronne qui projetait dans le monde ses rayons brillants; ils se sont bâtés de venir de l'Orient et de marcher à la suite de l'étoile. Le ciel s'étonna à la vue de cet astre extraordinaire, les légions des corps célestes le contemplèrent avec stupéfaction; car, s'il était nouveau, il annonçait aussi un enfantement non moins nouveau. Cette étoile n'était point du nombre des autres étoiles: elle ne s'était levée que pour un (704) temps; les autres astres ne la connaissaient nullement, parce que le genre humain ne connaissait pas non plus le Christ.

2. Mais que personne ne dise que le Seigneur Christ est né forcément sous le destin fortuit de cette étoile, adoptant ainsi l'opinion soutenue par les païens et peut-être aussi par les hérétiques. Elle n'était point placée dans le ciel pour imposer des lois: ce n'était qu'une messagère envoyée pour annoncer un événement. Jésus n'était pas fatalement soumis à ses ordres, c'était elle qui obéissait en le faisant aussitôt connaître. L'existence du Christ n'a donc pas été la conséquence de l'apparition de l'étoile: au moment où il est né, et parce qu'il est né, elle a brillé dans le ciel; mais le Sauveur n'est pas venu au monde à cause d'elle. Au-dessus de la couronne de gloire qui apportait la joie à toute la terre, on voyait donc voltiger et briller, au milieu des ténèbres, les mystérieuses et bleuâtres lueurs destinées à annoncer le Sauveur; et, par la route de feu qu'elle traçait, avec un empressement joyeux, dans les airs, l'étoile amenait d'Orient les trois mages, comme trois pierres précieuses à ajouter à la couronne du Christ naissant dans l'innocence: ils devaient y être incrustés à titre de prémices et en fléchissant le genou.

3. Voilà donc que des milliers de pierres précieuses viennent s'attacher à la couronne de cet enfant qui naît pour rajeunir la vieillesse d'un monde devenu caduc. Avant d'être fixés à l'auréole du Sauveur, les diamants de Bethléem, les petits innocents avaient été arrachés des mamelles de leurs mères. Le glaive du cruel persécuteur ayant abattu ces précoces et tendres fleurs, celui qui distribue les couronnes en avait fait une couronne pour orner son diadème, et leurs tiges devaient d'autant mieux briller sur son front, qu'elles étaient de couleur pourpre. C'étaient des lis, en raison de leur innocence; ils sont devenus des roses, parce qu'ils ont été teints dans leur sang. C'étaient des pépites d'or sorties des riches entrailles de leurs mères; ils sont devenus des lingots aux mains des anges, en attendant l'heure de leur incrustation dans la couronne du Premier-né. Le sein maternel est la mine où on les a séparés d'avec la terre, pour en faire des martyrs précieux. Bienheureuses mères! Elles ont acquis du prix, elles ont brillé comme des mines d'or, puisqu'elles ont enfanté au Christ des martyrs. De même que les mines d'or sont placées sous la sauvegarde du fisc, de même elles jouissent du repos, sous l'oeil protecteur des anges: dès lors que leurs enfants ont subi le martyre, elles ont donné au Sauveur des pépites d'or; aussi sont-elles placées sous la double sauvegarde de la grandeur de leurs fils et de leur propre sécurité. D'autre part, les hommes, condamnés à creuser les mines d'or, sont coupables, puisqu'ils sont condamnés; c'est pourquoi les satellites d'Hérode sont déjà condamnés au jugement du Christ, il est, toutefois, bon de le remarquer: les criminels condamnés à l'extraction de l'or dans les mines sont seuls coupables; ainsi en a-t-il été des serviteurs d'Hérode: ils fouillaient en quelque sorte des mines d'or, et en extrayaient des sortes de pépites qui étaient les innocents, et tandis que les bourreaux devenaient noirs, ces petits enfants brillaient d'un vif éclat; car, sous le glaive, ils étaient purs de toute faute. A leur exemple, tous ceux qui rendent témoignage au Christ naissant et se manifestant ont tout espoir de recevoir dans le royaume des cieux la couronne immortelle.




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QUARANTIÈME SERMON. POUR L'ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR.

ANALYSE. - 1. Nom de l'Epiphanie et célébration de cette fête après celle de la Nativité du Seigneur. - 2. L'eau est changée en vin par la toute-puissance du Christ. - 3. Explication du sens mystique de ce changement. - 4. Les Mages adorent le Christ et lui offrent des présents tout aussi mystiques. - 5. D'après l'opinion de quelques-uns, le Christ a été, à pareil jour, baptisé, pour nous apprendre à puiser une nouvelle vie dans le baptême. - 6. Un jour si grand mérite d'être honoré par nous d'une manière spéciale.

1. Nous devons connaître les motifs probables de célébrer cette grande fête. L'Epiphanie, que nous solennisons aujourd'hui, tire son nom d'un mot grec qui signifie, dans notre langue, manifestation ou apparition. Or, ce jour est appelé le jour de la manifestation ou de l'apparition, parce que le Christ, Notre-Seigneur, s'y est fait connaître par des signes évidents. En effet, nos auteurs attestent qu'en ce jour les Mages sont venus, sous la conduite de l'étoile, adorer Notre.- Seigneur Jésus-Christ, et aussi que, dans le pays de Galilée, le Sauveur a changé de l'eau en vin. Après avoir dernièrement célébré le jour où est né le Christ, nous solennisons aujourd'hui celui où il s'est manifesté.

2. Jésus s'est donc fait connaître lorsque, par un prodige admirable autant qu'inouï, il a changé de l'eau en vin. Comme c'est Dieu qui a établi les lois constitutives des êtres, il lui appartient également de les changer aussi, après avoir créé l'eau dans les conditions ordinaires, lui a-t-il donné une autre nature: il avait pu d'abord la tirer du néant; ne lui était-il pas aussi facile de la changer en une substance différente? On faisait donc une noce; pendant le festin, nous dit l'Evangile, le vin fit défaut. Alors le Seigneur ordonna aux serviteurs de mettre de l'eau dans les vases et de les remplir, et quand ils furent remplis, il commanda d'y puiser. Admirable prodige! Entre les mains, et sous les yeux des serviteurs, la puissance divine agit sans se laisser apercevoir. Le miracle s'accomplit, et néanmoins personne ne voit comment il s'opère. La cause reste inconnue, l'effet seul apparaît. Pourquoi cela? Evidemment parce que Dieu fait tout ce qu'il veut; parce qu'en lui pouvoir c'est vouloir. Pourquoi encore? Le voici: sa puissance est tellement grande que, en face des harmonies de la création, le Prophète a pu dire de lui avec justice:«Il a dit, et toutes choses ont été faites; il a commandé, et toutes choses ont été créées (1)». Quelle merveille! Mais de toutes les oeuvres que le Seigneur a placées sous nos yeux, y en a-t-il une seule qui ne soit digne de notre admiration?

3. Mais cherchons à découvrir, en ce miracle, des enseignements plus élevés; tâchons de connaître son sens mystique. Que représentaient ces noces à la célébration desquelles assistait le Sauveur? Elles étaient certainement l'emblème de celles par lesquelles le Christ s'est uni à l'Eglise; car, «pareil à un époux qui sort de sa couche nuptiale (2)», il s'est approché, en vertu du contrat d'alliance, de sa fiancée; et alors il a changé son oeuvre: avec de l'eau il a fait du vin, c'est-à-dire qu'avec des Gentils il a fait des fidèles. Il y a donc un changement de l'eau en vin, quand des infidèles deviennent chrétiens, que des avares se font généreux, que des orgueilleux se transforment en hommes humbles, des personnes colères en personnes pleines de douceur, des gens cruels en gens miséricordieux, des adultères en continents. Ainsi donc Jésus change de l'eau en vin, quand, par sa divine opération, un homme que son infidélité rendait

1. Ps 32,9 - 2. Ps 18,6

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vil devient précieux en raison de ses sentiments religieux. J'ose même le dire: de côté et d'autre c'est l'oeuvre du Christ, sans doute; mais il y a, de sa part, un miracle plus admirable, quand, avec un pécheur, il fait un juste, que quand, avec de l'eau, il fait du vin; car, en pareille circonstance, plus l'homme devient précieux, plus ce changement l'emporte sur l'autre. Dans le premier cas, il n'exerce sa puissance que sur un élément sorti de ses mains, c'est-à-dire sur l'eau; dans le second cas, il l'exerce sur l'homme, qui est son image; ici, les apparences, la couleur et le goût de l'eau se transforment en vin; là, chose vraiment plus étonnante! c'est toujours le même homme, et, pourtant, il n'est plus le même: extérieurement c'est toujours lui; il devient tout différent à l'intérieur. Le Seigneur a dit. «Moi, je tuerai, et moi, je ferai vivre (1)». Comment Dieu peut-il faire vivre, s'il tue? Il tue de la même manière qu'il fait vivre; car, dans un seul et même homme, il tue l'impie et fait vivre l'innocent.

4. Comme- nous l'avons dit précédemment, on croit donc que c'est en ce jour que le Christ a reçu les adorations des Mages. Une étoile extraordinaire avait brillé à leurs yeux: aussitôt ils se mirent sous sa conduite, et tandis que, sur terre, leurs pieds marchaient, leurs yeux suivaient, dans le ciel, sa trace de feu. Aussi, lorsqu'ils eurent trouvé Notre-Seigneur Jésus-Christ, «ils se prosternèrent pour l'adorer et lui offrirent, en présents, de l'or, de l'encens et de la myrrhe (2)». Par la myrrhe, ils faisaient connaître sa condition mortelle; par l'or, ils le proclamaient roi, et, par l'encens, ils l'adoraient comme Dieu: et, tout en lui offrant leurs présents, ils faisaient don d'eux-mêmes à la divinité. Alors s'accomplit ce qu'avait dit le Prophète: «Avant que l'enfant puisse nommer son père et sa mère, il recevra la puissance de Damas et les dépouilles de Samarie (3)». Le peuple de Damas, possesseur d'immenses richesses, a vraiment donné sa puissance au Seigneur, lorsque les Mages ont offert au Christ l'or qui était le maître des Gentils. Les dépouilles de Samarie, c'est-à-dire, de la gentilité, car Samarie en était l'emblème, lui ont été données au moment où, par l'accession des Mages à la foi, la gentilité a paru dépouillée de tous ses biens. Dans leur personne, en effet, ont été dédiées

1. Dt 32,39 - 2. Mt 2,2 - 3. Is 8,4

au Sauveur les prémices des nations; car ils ont annoncé, par leur exemple, ce qui s'est accompli dans la suite, c'est-à-dire, que les Gentils, amenés par la foi, viendraient un jour à notre Seigneur et Sauveur, et que, des extrémités de la terre, des peuples accourraient, qui reconnaîtraient en Jésus-Christ leur Maître et leur Dieu. Il était bien loin du pays des Mages, et néanmoins ils sont venus à sa recherche: il était né chez les Juifs; et les Juifs l'ont méprisé. Ceux-là l'ont adoré, bien que les pauvres langes dont il était enveloppé le rendissent encore méconnaissable; ceux-ci l'ont attaché à une croix, malgré les prodiges éclatants qui dénotaient sa puissance. Les Prophètes d'abord, et ensuite les Mages, l'ont annoncé, afin de rendre inexcusable l'homme qui ne reconnaîtrait pas le Seigneur dans la personne du Christ. Les Juifs ne pouvaient donc avoir aucun motif d'excuse en ne le reconnaissant pas, puisque leurs Prophètes l'avaient prédit; il devait en être de même pour les Gentils incrédules, puisque les Mages avaient cru.

5. Il en est dont l'opinion est que notre Seigneur et Sauveur aurait encore été baptisé en ce même jour; si la chose était vraie, nous aurions tout motif de célébrer cette tête avec la plus grande solennité. En ce cas, notre Seigneur et Sauveur, après nous avoir déjà fait naître, nous enseignerait aujourd'hui qu'il nous faut aussi prendre une nouvelle vie; après nous avoir accordé le bienfait d'une première naissance, il nous aurait encore gratifiés d'une seconde, en vue de laquelle, et tout en nous donnant un exemple salutaire, il aurait sanctifié l'eau où les hommes devaient puiser la grâce.

6. Aussi, mes très-chers frères, devons-nous célébrer avec respect le jour où le Seigneur a été honoré soit par d'admirables prodiges, soit par la visite des Mages. Nous avons solennisé sa naissance, solennisons de même sa manifestation: évidemment, la loi ne nous eût procuré aucun avantage, si, en vertu des hauts conseils de Dieu, le Christ n'était pas venu en ce monde; par la même raison, les hommes auraient peu profité du bienfait de sa naissance, s'ils n'avaient pas cru en lui. C'est pourquoi, frères bien-aimés, craignons toujours, aimons incessamment, désirons avec ardeur notre Créateur, le Créateur de toutes choses; non content de descendre jusqu'à nous, il a voulu encore nous (707) fournir les motifs de croire en lui après sa naissance: en effet, il s'est fait annoncer comme Fils de Dieu par les Prophètes; les Mages nous l'ont montré; il nous en a prévenus par ses paroles et nous l'a prouvé par ses miracles. Cherchons-le sans fin pour notre salut, dirigeons vers lui nos regards et les désirs de nos coeurs. Celui que les Mages ont trouvé enveloppé de langes, cherchons-le dans le ciel; celui qu'ils ont adoré bien qu'il fût encore caché et obscur, glorifions-le; car il est assis sur le trône de la Majesté suprême.




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QUARANTE ET UNIÈME SERMON, POUR L'ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR.

ANALYSE. - 1. Au jour de l'Epiphanie, le Christ s'est révélé, non-seulement aux Juifs, mais encore aux Gentils. - 2. Il est reconnu parles Mages, et son Père proclame lui-même sa grandeur. - 3. Dans cette manifestation du Sauveur apparaît la Trinité. - 4. Le changement miraculeux de l'eau en vin prouve encore la Divinité.

1. «Chantez», dit David, «chantez», dit le Prophète; «chantez un cantique nouveau, car il a opéré des merveilles (1)». Nous sommes réunis pour célébrer la fête insigne de l'Epiphanie: cette parole du psalmiste David s'accorde donc avec l'esprit de cette solennité, qui veut nous voir chanter des cantiques de joie, pour nous mettre à l'unisson de la fête. Ainsi, autre chose est ce que nous demande la solennité autre chose ce que nous demande le psaume; car à la première nous devons de l'allégresse, au second, des cantiques de bonheur. Que lisons-nous ensuite dans le psaume? «Jéhovah a manifesté son salut, il a révélé sa justice aux yeux des nations (2)». Voyons David: quel parfait rapport y a-t-il entre la solennité de ce jour et la mention, que fait le Psalmiste, de la manifestation du Christ aux Gentils? Ouvrons l'Evangile, et nous verrons non-seulement comment Dieu a révélé son salut aux Juifs, mais aussi, selon le psaume qu'on nous a lu, comment a il l'a révélé aux yeux des nations». D'abord, remarquons ceci: aussitôt après la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, les Mages viennent, avec des présents, auprès de l'humble enfant Jésus, pour l'adorer; mais, à vrai dire,

1. Ps 97,1 - 2. Ps 97,2

ce sont les peuples gentils qui viennent en leur personne: en effet, les Mages étaient les docteurs et les chefs de la superstition païenne, vu qu'ils tenaient le principat chez, les Gentils plongés dans l'erreur, et qu'ils servaient de modèle à la gentilité. Ensuite, l'étoile s'associe à eux; elle s'arrête au-dessus de l'enfant, pour montrer que là se trouve réellement celui vers lequel elle accourait tout à l'heure, et pour indiquer, par son arrêt, aux Mages qu'elle a amenés, le but de leur voyage.

2. Les Mages pénètrent donc dans ta grotte où est né le saint enfant, ils s'approchent de la crèche, ils y aperçoivent un homme et y reconnaissent un Dieu; alors ils se prosternent aux pieds de cet enfant, dont ils comprennent la grandeur, dont la puissance leur, inspire l'épouvante. Ils voient sa chair et adorent sa majesté: son humanité frappe leurs regards, et ils vénèrent sa divinité. Les choses étant ainsi, voyons comment, par cette conduite des Mages, s'est accomplie la prophétie de David qu'on nous a lue tout à l'heure; elle est conçue en ces termes; «Le Seigneur a manifesté son salut, il a révélé sa justice aux yeux des nations». Par cela même qu'une étoile l'a fait connaître, l'humanité du Sauveur a été manifestée ainsi, «le Seigneur a manifesté (708) son salut»; et comme il a été vu par les Gentils, le Seigneur a révélé sa justice aux yeux des nations». Maintenant, puisque, au rapport de l'Ecriture, le Père a déclaré, en ce jour et à l'occasion de son baptême, que le Christ était son Fils, cette parole du psalmiste a évidemment reçu son accomplissement: «Le Seigneur a manifesté son salut». Car le Père pouvait-il mieux faire connaître son Sauveur qu'en le faisant connaître lui-même par ces paroles. «Celui-ci est mon Fils (1)?»

3. Autrefois, le Père s'était servi de Moïse et des Prophètes, il avait employé des emblèmes et des figures pour annoncer que son Fils s'incarnerait un jour; au baptême, il a donné par lui-même et ouvertement la preuve que l'Incarnation était un fait accompli. La foule était là présente: le ciel et la terre, et tout ce qu'ils renferment, servaient de témoin: il faisait grand jour, les faits se montrèrent indéniables: on entendit une voix qui disait: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances». Cette voix était très-forte; mais, pour qu'elle ne fût pas seule à rendre témoignage à celui que le Père révélait de la sorte, le Saint-Esprit vint lui-même déclarer sa divinité: une colombe descendit donc sur sa tête, et la preuve qui résulta de cette apparition en faveur de la filiation divine du Christ précéda celle qui ressortait de la déclaration de son Père. Pour moi, je ne vois pas, en cela, seulement un témoignage en faveur du Christ, j'y aperçois encore un mystère relatif à la divinité: en effet, cette manifestation de Notre-Seigneur Jésus-Christ mettait en relief le Fils, qui était alors désigné comme tel, le Saint-Esprit qui le faisait voir, et le Père, qui déclarait sa filiation; ainsi donc, par le fait même que la divinité tout entière proclamait le Sauveur Fils unique de Dieu et Dieu lui-même, les personnes divines se manifestaient toutes les trois.

1. Lc 3,22

4. Mais arrivons enfin au passage de l'Evangile qu'on nous a lu tout à l'heure, et considérons avec le plus grand soin ce trait de la puissance divine: le changement de l'eau en vin, opéré au festin des noces et raconté dans ce passage de l'Ecriture, est la preuve évidente que celui qui l'a accompli est Dieu; oui, cette preuve est incontestable. L'action divine peut-elle, en effet, se manifester d'une manière plus convaincante qu'en bouleversant et en changeant la nature des choses? A qui peut appartenir le pouvoir de changer en un clin d'oeil les éléments? A celui-là seul qui peut les créer: cela va de soi; car donner un autre être à ce qui existe, et tirer du néant ce qui n'existe pas encore, c'est le fait de la même puissance. O l'admirable, ô l'inestimable force de notre Sauveur! Les urnes se remplissent d'eau, et elles fournissent du vin aux convives: on y verse une chose, et l'on en tire une autre. Qui donc a communiqué à un élément assez d'obéissance pour le faire cesser d'être, et à un autre élément la substance nécessaire pour le faire exister? Que des êtres pourvus d'oreilles pour entendre, et d'intelligence pour comprendre, sachent obéir, soit; mais il est certain qu'ici ni l'eau ni le vin n'avaient des oreilles et de l'intelligence. Comment donc a-t-on pu rencontrer de la soumission en ce qui ne pouvait en avoir naturellement? Quand des êtres entendent sans avoir d'oreilles, comprennent sans avoir d'intelligence, obéissent sans être pourvus du sentiment du devoir, l'omnipotente de la divinité s'affirme donc d'une manière palpable; car il prouve qu'il est le Dieu de toutes les natures, celui qui donne une nature aux êtres dépourvus d'intelligence par nature. Il nous reste encore quelque chose à dire; Dieu nous en fera plus tard la grâce. Pour aujourd'hui, prions, afin que la conversion de nos coeurs manifeste la grandeur et la puissance du Christ, comme les a déjà manifestées aujourd'hui le changement des éléments de la nature.




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QUARANTE-DEUXIÈME SERMON. POUR L'ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR. VIII.

ANALYSE. - 1. Le Christ se fait connaître aux Mages par l'entremise de l'étoile. - 2. Les mages l'adorent et lui offrent des présents mystiques. - 3. Cruauté d'Hérode; il fait massacrer les petits enfants. - 4. Epilogue.

1. Frères bien-aimés, portez vos regards sur l'astre nouveau; c'est le signe, non pas de la fatalité, mais de la royauté. Voyez-le briller dans sa course rapide, conduire les Mages au berceau du Christ, et, du haut du ciel, témoin de son obéissance, appeler à la crèche le monde entier. Comme, après la nuit, le pôle nous apparaît sous les teintes brillantes de l'aurore, ainsi les premiers rayons de la lumière se montrent au genre humain assis dans les ténèbres et les ombres de la mort; ainsi s'annonce le Fils de Dieu, jusqu'alors inconnu. Voici venir les Mages, ces esclaves de l'astrologie, ces admirateurs des étoiles. Un globe de feu, qu'ils n'ont pas encore vu, projette dans les cieux d'éclatants rayons; d'un pas rapide, il trace devant eux un chemin enflammé; ils le suivent et voient bientôt, enfermé dans l'étroite enveloppe d'un maillot, celui dont l'étoile lumineuse annonçait tout à l'heure, du haut des airs, la glorieuse puissance. Jamais torche ardente ne répandit autour d'elle une lueur semblable à celle de cet astre; jamais l'aurore n'envoya à la terre de rayons plus nombreux et plus doux; jamais d'une fournaise nouvellement allumée ne s'échappèrent de pareils torrents de flammes: il brillait si vivement, que, à la vue de cette lumière sans précédente, la terre se trouvait saisie d'épouvante. Comment ne pas reconnaître la majesté suprême en celui dont la grandeur se lisait dans l'écrin céleste?

2. Les Mages, au coeur desquels naissait la foi, prélude de la nôtre, s'approchent donc du Christ; ils lui offrent de l'or, lui donnent de l'encens, lui apportent de la myrrhe.

Pauvre petit enfant, vous êtes devenu bientôt riche! Au milieu de tous ces présents, il pleure; et bien qu'il gémisse, on le redoute comme un Dieu: Ses clients lui apportent des cadeaux; ils courbent devant lui leurs fronts et l'adorent. On lui offre de l'or, parce qu'on reconnaît en lui un grand Roi; on lui sacrifie de l'encens, en témoignage de sa divinité; on lui donne de la myrrhe, comme à la victime qui doit mourir pour le salut de tous.

3. Mais, à force de craindre, l'impie Hérode devient cruel; il sévit avec d'autant plus de rage qu'il veut cacher mieux sa honte. Dès le premier abord, il feint de vouloir adorer celui dont la naissance le remplit d'épouvante. A mon avis, mes frères, si cet ennemi intime du Christ ne fait pas de mal aux Mages, c'est qu'il n'est pas assez fort; s'il joue le rôle d'innocent, c'est qu'il ne peut donner libre cours à sa méchanceté. Plein d'anxiété au sujet de ce successeur, tourmenté par la crainte de perdre sa royauté, Hérode se couvre du masque de suppliant, tout en nourrissant dans son âme des sentiments hostiles. Mais pouvait-il prendre au piége celui qui était venu détruire toutes les malices de la duplicité? Il temporisa donc, il attendit, mais inutilement: trompé dans ses espérances, il n'eut pas la patience de tenir plus longtemps cachées les secrètes pensées de son coeur. Aussi donna-t-il l'ordre de massacrer les innocents, de faire tomber sous le glaive et sous les pierres des membres non encore affermis et nouvellement sortis des entrailles maternelles. O cruel attentat! O rage inouïe de ce monde! Ce massacre était de telle nature,

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que le bourreau ne pouvait ni les tenir pour les tuer, ni les voir après leur avoir ôté la vie. On les arrachait tout tremblants des mamelles de leurs mères; leur frêle existence s'éteignait, incapable de résister aux tiraillements simultanés de celles-ci et de leurs bourreaux; de la sorte, on tuait moins des vivants qu'on n'égorgeait des morts. Alors ces pauvres mères sanglotaient et remplissaient l'air de leurs cris: on les voyait serrer leurs enfants dans leurs bras; elles auraient voulu mourir avec eux, mais on ne leur donnait point le coup de grâce. Leurs entrailles se tordaient, non plus sous- l'effort des douleurs de l'enfantement, mais sous le poids du chagrin et du deuil: elles avaient beau pleurer et tendre vers les bourreaux des mains suppliantes, les cruels sicaires demeuraient insensibles; dans leur fureur, ils brisaient ces petits membres à peine nés de la veille, et, malgré les prières des mères éplorées, ils étalaient à leurs yeux le hideux spectacle du sang de leur chère progéniture. Hérode, à quoi t'a servi cet acte de cruauté? Pour atteindre un enfant, tu en fais mourir une multitude, et néanmoins tu ne parviens pas à frapper celui que tu cherches; et ainsi, ta stérile méchanceté n'aboutit qu'à te donner à toi-même le coup de mort et à donner au Christ des martyrs de son âge!

4. Pour nous, mes frères, réjouissons-nous dans l'unité de la foi, «dans une charité sincère, dans la parole de vérité, dans la force de Dieu (1)». Marchons de. pair avec les Mages, suivons la brillante lumière de l'étoile, adorons le Christ dans sa crèche, offrons-lui l'hommage de nos voeux. Il est aujourd'hui couché devant la porte, enveloppé dans les langes de la pauvreté: les Mages lui offrent de l'or; que des chrétiens ne refusent pas aux indigents une pièce de monnaie.

1. 2Co 6,6




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QUARANTE-TROISIÈME SERMON: POUR L'ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR. IX.

ANALYSE. - 1. Saint Augustin rappelle au souvenir de ses auditeurs l'admirable Nativité du Christ. - 2. Le miracle des cinq pains et des deux poissons était autrefois fêté le jour de l'Epiphanie. - 3. Il en était de même du baptême du Christ, auquel se rapporte d'une manière mystique le miracle précité.

1. Nous vous l'avons précédemment expliqué: Notre-Seigneur Jésus-Christ a été engendré dans le sein d'une vierge, en dehors des règles de la condition humaine et de la nature; il a donc eu pour signe distinctif d'opérer des prodiges dès le commencement d'une existence qu'il devait marquer plus tard par des miracles sans nombre: la puissance qu'il manifestait au moment de sa naissance devait disposer les hommes qui en étaient témoins, à croire plus facilement les opérations extraordinaires et merveilleuses dont le reste de sa vie serait rempli. Car, une fois venu à la vie, une fois devenu homme, que ne pouvait-il pas faire, quand, avant de naître, il avait pu conférer à sa mère le privilège de la virginité? Marie t'a porté dans son sein avant de le mettre au monde; après l'avoir enfanté, elle est demeurée vierge; en elle se sont donc trouvées réunies la maternité et la virginité. Ne vous étonnez nullement de m'entendre dire que, après l'enfantement, Marie est restée vierge: il y a, pour ses deux privilèges, une seule et même raison: car, la conception du Sauveur ayant eu lieu sans le concours de la chair....; Que le (711) Seigneur ait pénétré en des lieux fermés sans en briser les portes, nous en avons un exemple. Voici, en effet, ce que nous lisons ans l'Evangile: Quand les Apôtres se tenaient enfermés dans le Cénacle, et que, par crainte des Juifs, ils en gardaient les portes closes, Jésus-Christ se trouva subitement au milieu d'eux, et, néanmoins, pour pénétrer dans la salle de leur réunion, il n'avait pas seulement entrebâillé les portes. S'il a pénétré à travers une épaisse et solide charpente, sans même en ébranler l'ouverture, à bien plus forte raison a-t-il pu, en traversant la subtile nature d'un corps ouvert, entrer et sortir sans porter atteinte à l'intégrité des membres?

2. Nous avons d'abord parlé du fait et des merveilles de la nativité du Seigneur; puis, entre autres prodiges opérés par lui, nous vous avons signalé celui-ci, à savoir qu'avec cinq pains et deux poissons il a nourri plus de cinq mille personnes, et qu'après un repas copieux, il y a eu plus de restes qu'on n'avait apporté de provisions. Nous ne pouvons maintenant passer sous silence un autre fait que beaucoup supposent avoir eu lieu aujourd'hui-; nous voulons parler de la circonstance où le Sauveur a changé de l'eau en vin alors, l'odeur, le goût et la couleur d'une substance simple et commune se sont trouvés tout à coup métamorphosés. A cette vue le ministre du festin se perd au milieu de ses urnes, c'est-à-dire que, s'il les reconnaît, il ne reconnaît plus leur contenu. Il a puisé une chose à la fontaine, et dans ses vases il en trouve, une autre: de là, grand sujet d'étonnement pour lui. En versant le liquidé, il s'aperçoit que l'eau toute limpide a pris une teinte rouge; il demeure interdit, stupéfait, et parée qu'Il verse à boire, il s'imagine que ses yeux le trompent. Pour écarter toute idée d'ivresse, il aime mieux croire que ses yeux le trompent, et-il en appelle aux sens. Il en verse donc dans. un verre et le porte à l'intendant; celui-ci le goûte, appelle l'époux, lui adresse de vifs reproches, lui demande comment il se fait qu'on ait gardé si longtemps le bon vin, et qu'à l'encontre de l'usage adopté pour les festins, on ait bu d'abord le mauvais vin, pour boire le meilleur seulement à la fin. Le trouble se répand alors parmi tous les convives; les servants ont perdu leur eau; l'intendant ne connaît plus rien à son vin: l'un réclame ce qu'il a puisé à la fontaine, l'autre redemande ce qu'on a bu, ne comprenant pas que du vin improvisé par la bénédiction du Christ soit meilleur que du vin naturel. Voilà donc, suivant l'opinion commune, le prodige opéré en ce jour par le Sauveur; selon la nôtre, le Sauveur a été baptisé aujourd'hui dans le Jourdain.

3. Remarquons-le néanmoins: ces deux opinions peuvent se concilier ensemble. Car, en un sens, il y a eu changement d'eau en vin, quand Peau du Jourdain a été sanctifiée, et, par là même, transformée; quand de l'eau, jusqu'alors simplement naturelle, a gagné de la valeur à être bénite par le Christ, et acquis la propriété, non-seulement de laver les corps, mais aussi de purifier les âmes. Comme, en effet, le vin «réjouit le coeur de l'homme (1)», lorsqu'on le boit, et qu'il débarrasse de toute inquiétude; de même la grâce du baptême réjouit la conscience de l'homme, quand on la reçoit, et elle la délivre de la crainte de n'importe quelle tentation. C'est de ce vin tout spécial que parlait le Prophète quand il disait: «Le vin a rempli de joie ses yeux». Le changement de l'eau en vin s'opère donc lorsque les péchés font place à la justice. L'eau, dis-je, se change en vin, quand le baptême, où nous puisons l'immortalité, communique une autre couleur à l'eau froide du péché qui donne la mort, quand les vases de nos corps, auparavant hideux à voir ou remplis d'une odeur infecte, reçoivent un nouveau goût et une odeur nouvelle. Que dans les chrétiens se trouve une bonne odeur, l'Apôtre le dit expressément: «Nous sommes, devant Dieu, la bonne odeur de Jésus-Christ (2)», si, du moins, nous aimons le Seigneur.

1. Ps 103,15 - 2. 2Co 2,13





Augustin, Sermons 5039