Augustin, Sermons 5050

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CINQUANTIÈME SERMON: POUR LES RAMEAUX. II.

ANALYSE. - 1. Les paroles des Prophètes sont celles de l'Esprit-Saint. - 2. Salomon, héraut du Christ. - 3. Salomon, figure du Christ. - 4. Entrée du Christ à Jérusalem. - 5. Le Christ couronné d'un triple diadème. - 6. il faut souffrir avec le Christ pour régner avec lui.

1. «Filles de Sion, sortez et regardez le roi Salomon sous le diadème dont sa mère l'a couronné au jour de son mariage, et au jour de la joie de son coeur (1)». Ces paroles, mes bien-aimés, viennent, non pas de Salomon, mais de l'Esprit-Saint, qui a parlé par lui, comme par son organe propre: car «sa «langue est comme la plume de l'écrivain rapide (2)». De même, en effet, que la plume de l'écrivain est, par elle-même, incapable de tracer, sur un parchemin, le moindre caractère, à moins que les doigts de cet écrivain ne la conduisent; de même la langue des docteurs ne peut, par ses propres forces, proférer un discours utile, si la grâce du Saint-Esprit ne lui inspire intérieurement ce qu'elle doit dire. Tant qu'elle n'est pas mue par le maître à l'intérieur, la langue d'un docteur remue inutilement à l'extérieur.

2. Eclairé des lumières de l'Esprit, Salomon prévoyait que, pour racheter le genre humain, le Sauveur viendrait dans la chair aussi invitait-il la fille de Sion à aller à la rencontre d'un si grand et si généreux Rédempteur, et à considérer l'auteur de notre salut. «Sortez, filles de Sion». Et moi, je vous dirai: Vous, qui pliez sous le poids de la loi, vous, qui êtes en Egypte et qui portez le joug de l'antique servitude imposée par Pharaon, sortez de la vieillerie (le la lettre qui tue, pour vous renouveler dans l'Esprit qui donne la vie s. Sortez de l'esclavage de la loi ancienne, pour jouir de la liberté que procurent la loi nouvelle et la grâce. Sortez des ombres et des ténèbres du vieux Testament, pour venir à la vérité et à la lumière de l'Evangile.

1. Ct 3,11 - 2. Ps 44,2 - 3. 2Co 3,6

Les symboles ont précédé pour faire place à la réalité, et l'accomplissement des prophéties a mis un terme à la mission des Prophètes. Tant que le nuage de la lettre vous couvrira de son ombre, tant que la nuit de vos péchés vous enveloppera, tant que vous habiterez l'Egypte, c'est-à-dire le pays des ténèbres et de la dissemblance avec Dieu, tant que vous serez occupés à travailler de la boue et à faire des briques, vous ne pourrez contempler le roi Salomon. Sortez donc, non par un mouvement du corps, mais par les affections de votre coeur; non par la marche, mais par les sentiments de la foi; sortez et voyez le roi Salomon, qui règne à Jérusalem.

3. Le roi de Jérusalem, Salomon, a préfiguré le Sauveur par sa dignité, par le lieu de sa résidence et par son nom. Notre Rédempteur est, en effet, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs; c'est le Roi de la justice, dont la génération est éternelle. «Par lui règnent les rois, par lui les princes pratiquent la justice (1)». Il ne cesse de gouverner les sujets qu'il s'est créés, et il guide continuellement leurs pas à travers les orages et les tempêtes de ce monde; c'est de lui que le Psalmiste a dit: «Seigneur, donnez au roi votre jugement, et au fils du roi votre justice (2)». Il est aussi le vrai Salomon, c'est-à-dire, le roi pacifique; car le mot Salomon veut dire: ami de la paix. En raison de la prévarication et du péché de nos premiers parents, nous nous sommes effectivement trouvés en discorde avec notre Créateur, et, en refusant de nous soumettre à son autorité,

1. Pr 8,15 - 2. Ps 71,1

723

nous nous sommes grandement écartés de toute relation pacifique avec lui. Mais le Fils de Dieu s'est fait homme; il est né d'une Vierge sans que la moindre atteinte fût portée à l'intégrité de Marie; il a pris la forme d'esclave sans subir l'esclavage; il est entré en participation de notre nature sans partager nos fautes: et ainsi nous a-t-il réconciliés avec Dieu son Père; ainsi nous a-t-il rendu la paix que nous avait fait perdre le péché d'Adam: c'est par les mérites de son sang qu'il a opéré cette restauration de nous-mêmes, «pacifiant, par le sang de la croix, la terre et les cieux (1), apportant la paix à ceux qui étaient rapprochés et à ceux qui étaient éloignés (2)». C'est pourquoi, en venant vers nous, il nous a apporté la paix, et nous l'a encore laissée en nous quittant. En effet, à l'heure même où notre Rédempteur venait au monde, des légions d'anges ont chanté ce cantique: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix, sur la terre, aux hommes de bonne volonté (3)». Puis, quand il fut sur le point de remonter au ciel, au moment où il apprenait à l'Eglise universelle à «conserver l'unité d'un même esprit par le lien de la paix (4)», il donna à ses disciples l'ordre de garder la charité et la paix: «Je vous donne ma paix», leur dit-il; «je vous laisse ma paix (5)». Voilà comment Salomon a préfiguré le Sauveur par sa dignité et son nom; voyons maintenant comment il en a été la figure par le lieu de sa résidence: prêtez-moi toute votre attention. Salomon n'a régné ni à Babylone, comme Nabuchodonosor, ni en Egypte, comme Pharaon: l'honneur et la gloire de régner sur le peuple d'Israël lui ont suffi. Notre vrai Salomon, Notre-Seigneur Jésus-Christ, n'a pas davantage exercé le pouvoir royal à Babylone, la ville de la confusion, où le langage de toutes les régions de la terre s'est trouvé confondu; mais il a régné «sur la cité de notre Dieu et sur sa montagne sainte (6)». Il n'a pas, non plus, été roi en Egypte, c'est-à-dire dans le pays des ténèbres, du péché et de la mort; mais il a établi le siège inexpugnable de sa puissance dans la cité royale, dans Jérusalem; car Jérusalem signifie: vision de la paix. Et notre Rédempteur exerce sa royauté, prend son repos et demeure au milieu de ceux qui méprisent les

1 Col 1,20 - 2. Ep 2,17 - 3. Lc 2,14 - 4. Ep 4,3 - 5. Jn 14,27 - 6. Ps 47,2

choses de la terre, qui dédaignent les choses transitoires et caduques de ce monde, qui se hâtent, par toutes les puissances de leur âme, de mériter la vision de la paix éternelle, et qui disent avec l'Apôtre: «Nous vivons déjà dans le ciel (1)». Voilà pourquoi, au milieu de ses allées et venues parmi les hommes, le Sauveur retournait toujours de préférence à Jérusalem et dans le temple de son Père.

4. Aussi, quand approcha l'heure de sa passion et qu'il fut venu à Bethphagé, près de la montagne des Olives, il trouva, sur son chemin, une foule immense de Juifs et de Gentils: ces hommes portaient à leur main des bouquets, des fleurs et des branches d'olivier, symboles de son triomphe et de sa gloire à venir, et ils le reçurent avec tous les témoignages possibles d'honneur et de dévouement (2): pour lui, afin de nous donner l'exemple de la patience et de l'humilité, il oublia la grandeur qu'il puise dans son égalité et sa ressemblance parfaites avec le Père, il s'assit sur le dos d'un vil ânon, et il entra ainsi plus que modestement, mais, par là même, avec gloire dans Jérusalem. O l'étonnante charité! Merveilleuse bonté de notre Dieu! Le Créateur de l'univers a daigné s'asseoir sur un ânon! Il est assis sur un ânon, Celui qui tient le monde entier dans le creux de sa main, et c'est pour nous élever jusqu'au troisième ciel! Que, pour s'environner ici-bas de prestige et de gloire, les rois et les princes de la terre montent sur des chars d'or, sur des chevaux richement caparaçonnés et couverts d'or, de soie et de pierres précieuses: notre Roi, lui, va livrer bataille au démon; mais ses armes sont celles de l'humilité, sa monture de combat est un ânon. «Ceux-ci sur des chars, ceux-là sur des chevaux (4)». Nous, nous triomphons avec notre Roi sur un humble ânon. C'est pourquoi le Prophète a dit de lui: «Dites à la fille de Sion: Voici que ton Roi vient à toi plein de douceur et assis sur le petit d'une ânesse (5)».

5. Le Saint-Esprit nous invite donc à considérer ce Salomon si humble, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui «porte sur sa tête le diadème dont sa mère l'a couronné (6)». Il a été couronné, non-seulement par sa mère, mais encore par son Père et par sa marâtre.

1. Ph 3,20 - 2. Mt 21,1 et suiv.- 3. Ps 19,8 - 4. Mt 21,5 - 5. Ct 3,11

724

En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ a reçu trois couronnes: la couronne de la gloire, celle de la justice et celle des souffrances. Le Père lui a donné la couronne de la gloire lorsqu'«il l'a oint d'une, onction d'allégresse et de joie plus abondante que celle de ceux qui devaient la partager avec lui (1)»; comme il est écrit: «Seigneur, vous l'avez couronné de gloire et d'honneur, vous lui avez donné l'empire sur les oeuvres de vos mains (2)». Sa mère immaculée, c'est-à-dire la Vierge Marie, lui a donné la couronne de la justice, en lui fournissant la substance d'une chair sans tache, et en l'engendrant, comme son Fils, dans la justice et l'innocence. Sa mère, ou, pour parler avec plus de justesse, sa marâtre, la synagogue, lui a donné la couronne de la souffrance; car elle a placé sur sa tête une couronne d'épines, en même temps qu'elle couvrait ses épaules d'un manteau dérisoire, qu'elle l'accablait d'injures, de crachats, de coups, de malédictions et d'opprobres, et qu'enfin elle le condamnait à un supplice réputé infâme.

1. Ps 44,8 - 2. Ps 8,6

6. Mes très-chers frères, nous sommes les enfants d'une sainte mère, l'Eglise; nous appartenons à une race toute pure; l'Esprit de Dieu nous a lui-même instruits à l'école de la vérité; entrons donc, animés des plus vifs sentiments de piété, dans ces jours de réparation et de salut, et associons-nous, autant que possible, aux souffrances de Jésus-Christ; «car si nous souffrons avec lui, nous serons aussi glorifiés avec lui (1); sortons donc aussi hors du camp pour aller à lui, portant sur notre corps l'ignominie de sa croix (2)». A cette croix attachons nos membres, ainsi que leurs vices et leurs convoitises, avec les clous de l'amour de Dieu et ceux de la pénitence ainsi débarrassés, par notre repentir, du fardeau de nos fautes, sortons d'un coeur allègre et d'un pas léger, allons voir, non avec les yeux du corps, mais avec ceux d'une âme toute chrétienne, ce roi Salomon, couronné dans les cieux du diadème de l'immortalité et de la gloire, sous lequel il vit et règne, Dieu avec le Père, en union de l'Esprit-Saint, pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Rm 8,17 - 2. He 13,17




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CINQUANTE ET UNIÈME SERMON. POUR LA CÈNE DU SEIGNEUR.

ANALYSE. - 1. Il faut recevoir saintement les saints mystères.- 2. Frayeur des disciples et effronterie de Judas. - 3. Chute de Pierre. - 4. Son repentir.

1. Vous êtes venus en grand nombre pour prendre part au banquet de ce jour, pour assister à l'immolation de l'Agneau et faire la Pâque avec les disciples de Jésus-Christ or, je vous en conjure, apportez aux divins mystères des coeurs sincères et remplis de charité; qu'il n'y ait dans vos âmes aucune duplicité, que le nuage de l'envie ne projette point son ombre sur votre homme intérieur; puissiez-vous apporter à la manducation de l'Agneau une innocence d'agneau! Puisse la brebis immaculée ne point former en vous des membres de loup! Car celui qui s'assied à cette table et y participe indignement, n'arrivera pas avec Pierre au port du salut, mais il fera avec Judas un irrémédiable naufrage il subira la peine due à son crime, comme ce traître qui a reçu le bienfait du Seigneur avec une conscience coupable. Enfin Judas n'a apporté à la cène aucune franchise, il n'y a mis que de la dissimulation; aussi, dès qu'il a eu reçu, de la main du Christ, le morceau de pain trempé, le diable est-il entré en lui.

2. Je veux, mes frères, examiner (725) pieusement avec vous les premiers passages de la leçon que vous venez d'entendre: «Le Seigneur était à table avec ses douze disciples; et, comme ils mangeaient, il leur dit: Je vous le dis en vérité, l'un de vous me trahira; et ils furent contristés, et chacun d'eux commença à lui dire: Est-ce moi, Seigneur (1)?» Heureux Apôtres! vous vous chagrinez parce que vous êtes innocents, mais votre sort est plus digne d'envie que celui de Judas; car si son audace l'empêche de rougir, elle sera exemplairement punie; ne savez-vous pas, en effet, que jamais vous n'avez formé contre le Sauveur un pareil projet? Vous vous tenez en garde contre votre propre fragilité, aussi vous devenez tristes et vous questionnez votre Maître sur une faute que votre conscience ne vous reproche pas. Mais vous en croyez plus à lui qu'à vous. Vous supposez que l'accusation portée an milieu de ce repas tombe sur vous, et Judas ne veut point sentir le trait qui vient de le frapper. Vous tombez dans l'épouvante, rien qu'à entendre cette accusation, et celui qui a conçu un tel crime demeure paisible. Consultez donc votre Seigneur, interrogez votre bon Maître. Il est la vérité même, il prévoit tout; qu'il vous réponde. Oui, qu'il désigne l'abominable personnage,. et que l'accusation ne pèse plus sur tous, qu'il vous indique celui que vous devez fuir. Qu'il nomme hautement le fils de perdition, afin que l'assemblée, malgré son innocence, ne reste pas sous le poids du soupçon. «Jésus», dit l'Evangile, «leur répondit: Celui qui porte la main vers le plat avec moi, me trahira (2)». Voilà déjà quelque chose de plus clair; cependant, je ne vois encore citer aucun nom propre. Les Apôtres s'arrêtent interdits, ils cessent de manger; mais, avec la témérité et l'effronterie qui le distinguent, Judas avance la main vers le plat avec son Maître; il veut, par son audace, simuler une bonne conscience. Il a entendu, sans rougir, ce que le Maître a dit de lui, et il continue à manger; sa conscience vient d'être mise à nu, et il n'en porte pas moins encore la main au plat. Bien qu'averti une fois, deux fois, il ne recule pas devant la trahison; au contraire, son impudence trouve un aliment dans la longanimité du Sauveur, et il se prépare un trésor de colère pour le

1. Mt 21,20-22 - 2. Mt 21,23

jour de la colère (1). Alors Jésus lui annonce la punition qui l'attend, afin que la prédiction du châtiment le ramène au bien, puisque des miracles n'ont pu le détourner du mal: «Le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui; mais malheur à celui par qui le Fils de l'homme sera trahi! Il vaudrait a mieux pour lui qu'il ne fût jamais né. – Judas, celui qui le trahissait, répondant, lui dit: Maître, est-ce moi (2)?» Judas, à qui dis-tu: Est-ce moi? Dis plutôt: C'est moi. De toute éternité, il sait que c'est toi. S'il te parle ainsi maintenant, ce n'est, de sa part, ni oubli ni ignorance; c'est bonté et pitié pour toi. Prévaricateur misérable et corrompu, si tu rentrais en toi-même, tu te rappellerais, parce que tu l'as appris, que ton Maître connaît l'avenir et que rien ne saurait lui être caché; donc, encore une fois, s'il te parle ainsi, ce n'est point cirez lui l'effet de l'ignorance; il n'a d'autre but que de t'exciter au repentir. Mais comme la cupidité t'a fait perdre le sens, comme l'avarice a rendu ton coeur aveugle, tu fais semblant de demander si c'est toi qui aurais conçu le crime de trahison. Sa Divinité connaît toutes les pensées de ton âme; mais malheur à toi, car tu as perdu tout sentiment d'humanité et tu ne sais plus que singer la charité!

3. «Après avoir récité un hymne, ils s'en a allèrent à la montagne des Oliviers, et Jésus leur dit: Vous serez tous scandalisés, cette nuit, à cause de moi. Pierre, répondant, lui dit: Quand tous les autres seraient scandalisés à cause de vous, moi, je ne le serai jamais. Jésus lui dit: Je te le dis en vérité, cette nuit, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Pierre lui dit: «Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas (3)». Voilà donc une discussion engagée entre deux, entre le médecin et le malade; celui-ci se croyait parfaitement sain, celui-là lui annonçait qu'il se chaufferait à l'âtre du feu du prétoire; mais laissons cela de côté pour un instant, et jusqu'au dénouement de l'affaire. «Judas, qui le leur livrait, leur avait donné ce signe: Celui que j'embrasserai, c'est lui, arrêtez-le (4)». Qu'avez-vous entendu, mes frères? Qui pourrait, sans frémir, penser à pareille chose? Quelles oreilles seraient capables de supporter un tel langage? Quel coeur

1. Rm 2,5 - 2. Mt 26,24 Mt 25 - 3. Mt 25,30-35- 4. Mt 25,46

726

ne se révolterait à l'entendre? «Il leur avait donné ce signe: Celui que j'embrasserai, c'est lui, arrêtez-le». O signalement sacrilège! O criminelle convention! O contrat digne de tous les châtiments! En vertu de cette entente, la guerre commence par un baiser; le symbole de la paix sert à briser les liens sacrés de la concorde, et le profane Judas a voulu commencer les hostilités par ce que les nations emploient d'ordinaire pour les finir! «Il leur avait donné ce signe: Celui que j'embrasserai, c'est lui, arrêtez-le». Judas, tu as donné ce signe; ton mauvais génie n'a rien trouvé de mieux que cette convention d'après laquelle on enlèverait ton Maître pour le faire cruellement souffrir, au moment même où tu ferais la paix avec lui! A cause de toi, beaucoup se sentiront glacés d'épouvante; car ils craindront de n'avoir qu'une paix simulée avec leur prochain. Ce cou scélérat, que tu étends aujourd'hui pour embrasser le Christ, tu le relèveras demain, tu l'allongeras, pour te pendre. Tu as appris, pour ton malheur, à compter de l'argent; car bientôt tu supputeras le poids de ton propre corps. Sur ces entrefaites, on saisit le Sauveur, pour le conduire chez le prince des prêtres. Tandis que les autres disciples s'esquivent honteusement, Pierre, le faiseur de belles promesses, s'écarte d'abord assez loin; puis il arrive lui-même près de la maison du prince, et, dans l'attente du dénouement de l'affaire, il se met à regarder dans le porche. Comme il faut que s'accomplisse incessamment la prédiction relative à l'âtre de feu du prétoire, il s'approche pour s'y chauffer. Saisi de crainte, il renie le Christ pour qui il avait promis même de mourir; il gît, brisé dans la torpeur de l'oubli comme dans un lit de douleur; une vieille femme décrépite, comme une fièvre violente, a brisé ses forces; un sommeil léthargique s'est emparé de lui; mais voilà que tout à coup la voix matinale du crieur vient frapper ses oreilles.

4. Enfin il s'éveille, il entend le chant du coq, il se voit grièvement blessé. Pareilles à des messagers, ses larmes portent à son médecin l'expression de sa douleur, et aussitôt il reçoit le remède divin. C'est à lui que s'applique cette parole de l'Ecriture: «Mes compagnons et mes proches se sont approchés de moi, et mes amis se sont tenus au loin (1)»; et cette autre: «Les blessures d'un ami sont salutaires, les baisers d'un ennemi sont envenimés (2)». De même que l'apôtre Judas est devenu traître, de même est-il devenu ennemi, d'ami qu'il était; car il a été écrit de lui: «L'homme de ma paix, de ma confiance, qui mangeait à ma table, a levé le pied contre moi (3)». Et encore: «Les ennemis de l'homme, ce seront ses serviteurs (4)». C'est pourquoi, mes frères, nous devons tous éviter avec soin les discours trompeurs, afin de partager le bonheur éternel avec les saints. Conservons la véritable paix et la croyance à l'unité perpétuelle de la Trinité; alors nous mériterons d'être admis dans le royaume des cieux et de rendre grâces à Notre-Seigneur Jésus-Christ, pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Ps 37,12 - 2. Pr 27,6 - 3. Ps 40,10 Jn 13,14 - 4. Mi 7,6 Mt 10,38




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CINQUANTE-DEUXIÈME SERMON. SUR LA PASSION DU SAUVEUR ET LES DEUX LARRONS.

ANALYSE. - 1. Paroles du larron au larron qui souffrait avec lui. - 2. Sa prière au Christ. - 3. Réponse du Christ. - 4. Comment le larron a été baptisé.

1. Le Seigneur Jésus était attaché à la croix, les Juifs blasphémaient, les princes ricanaient, et bien que le sang des victimes tombées sous ses coups ne fût pas encore (727) desséché, le larron lui rendait hommage; d'autres secouaient la tête en disant: «Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même (1)». Jésus ne répondait pas, et, tout en gardant le silence, il punissait les méchants. Pour la honte des Juifs, le Sauveur ouvre la bouche à un homme qui doit plaider sa cause; cet homme n'est autre qu'un larron crucifié comme lui; car deux larrons avaient été crucifiés avec lui, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. Au milieu d'eux se trouvait le Sauveur. C'était comme une balance parfaitement équilibrée, dont un plateau élevait le larron fidèle, dont l'autre abaissait le larron incrédule qui l'insultait à sa gauche. Celui de droite s'humilie profondément: il se reconnaît coupable au tribunal de sa conscience, il devient, sur la croix, son propre juge, et sa confession fait de lui un docteur. Voici sa première parole, elle s'adresse à l'autre brigand: «Ni toi, non plus, tu ne crains pas (2)!» Hé quoi, larron? tout à l'heure tu volais, et maintenant tu reconnais Dieu; tout à l'heure tu étais un assassin, et maintenant tu crois au Christ! Dis-nous donc, oui, dis-nous ce que tu as fait de mal; dis-nous ce que tu as vu faire de bien au Sauveur. Nous, nous avons tué des vivants, et, lui, il a rendu la vie aux morts; nous, nous avons dérobé le bien d'autrui, et, lui, il a donné tous ses trésors à l'univers; et il s'est fait pauvre pour me rendre riche. - Il discute avec l'autre larron: Jusqu'ici, dit-il, nous avons marché ensemble pour commettre le crime. Offre ta croix, on t'indiquera le chemin à suivre, si tu veux vivre avec moi. Après avoir été mon collègue dans la voie du crime, accompagne-moi jusqu'au séjour de la vie; car cette croix, c'est l'arbre de vie. David a dit en l'un de ses psaumes: «Dieu connaît les sentiers du juste, et la voie de l'impie conduit à la mort (3)».

2. Après sa confession, il se tourne vers Jésus: «Seigneur», lui dit-il, «souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé en votre royaume (4)». Je ne savais comment dire au larron: Pour que le Christ se souvienne de toi, quel bien as-tu fait? A quelles bonnes oeuvres as-tu employé ton temps? Tu n'as fait que du mal aux autres, tu as versé

1. Mt 27,10 - 2. Lc 21,1-3- 3. Ps 1,6 - 4. Ps 23,42

le sang de ton prochain, et tu oses dire «Souvenez-vous de moi!» Larron, tu es devenu le compagnon de ton Maître, réponds donc: J'ai reconnu mon Maître, au milieu des ignominies de mon supplice; aussi ai-je le droit d'attendre de lui une récompense. Qu'il soit cloué à une croix, peu m'importe! je n'en crois pas moins que sa demeure, que le trône de sa justice est dans le ciel. «Seigneur», dit-il, «souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé en votre royaume». Le Christ n'avait ouvert la bouche ni en présence de Pilate, ni devant les princes des prêtres: de ses lèvres si pures n'était tombé aucun mot de réponse à l'adresse de ses ennemis, parce que leurs questions n'étaient pas dictées par la droiture. Et voilà qu'il parle au larron sans se faire attendre, parce que celui-ci le prie avec simplicité: «En vérité, en vérité, je te le dis: aujourd'hui même tu seras avec moi dans le paradis (1)». Hé quoi, larron? tu as demandé une faveur pour l'avenir, et tu l'as obtenue pour le jour même! Tu dis: «Lorsque vous arriverez en votre royaume», et, pas plus tard qu'aujourd'hui, il te donne une place au paradis!

4. Mais comment expliquer ceci? Le Christ promet la vie au larron, et le larron n'a pas encore reçu la grâce? Le Seigneur dit en son saint Evangile: «Quiconque ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit-Saint ne peut entrer dans le royaume des cieux (2)». Et le temps ne permet pas de baptiser le larron. Dans sa miséricorde, le Rédempteur imagine à cela un remède. Un soldat s'approche; d'un coup de lance, il ouvre le côté du Christ, et de cette plaie «s'échappent du sang et de l'eau (3)» qui rejaillissent sur les membres du larron. L'apôtre Paul a dit ceci: «Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de l'aspersion de ce sang qui parle plus haut que celui d'Abel (4)». Pourquoi le sang du Christ parle-t-il plus haut que celui d'Abel? Parce que le sang d'Abel accuse un parricide, tandis que celui du Christ innocente l'homicide et accorde, pour les siècles des siècles, le pardon à ceux qui se repentent. Ainsi soit-il.

1. Lc 23,13 - 2. Jn 3,5 - 3. Jn 19,31 - 4. He 12,22-24




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CINQUANTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA VEILLE DE PAQUES.

ANALYSE. - 1. Il faut célébrer solennellement la veille de Pâques. - 2. Pourquoi doit-elle être pour nous un jour d'allégresse. - 3. Passons avec le Christ, pour être sauvés.

1. Avec l'aide miséricordieuse de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, nous devons, frères bien-aimés, célébrer religieusement ce jour qui lui est solennellement consacré: qu'en cette fête, sa bonté ineffable à notre égard soit, pour nous, un sujet d'admiration! En effet, il ne s'est point contenté de subir toutes sortes d'infirmités pour opérer l'oeuvre de notre rédemption, il a voulu encore partager le culte que nous rendons à Dieu en différentes solennités, et faire de chacune d'elles une occasion précieuse de mériter l'éternel bonheur; car, alors, notre sainte religion nous invite, par ses attraits, à sortir du long sommeil de notre inertie; aussi, pour nous préparer à la célébration de ces grands jours, nous éveillons-nous, non point malgré nous, mais avec empressement et de bon coeur. Puisque nous avons entendu volontiers son appel, sortons donc de notre léthargie, passons, dans les élans de la joie, cette sainte nuit de Pâques, et célébrons cette grande solennité avec toute la dévotion dont notre âme est capable. Elevons-nous au-dessus de ce monde, pour échapper à la mort qui doit le ravager: par nos désirs, faisons descendre du ciel les rayons brillants de sa divinité, célébrons la Pâque, «non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de l'iniquité, mais avec les, azymes de la sincérité et de la vérité (1)», c'est-à-dire, non dans l'amertume de la malice humaine, car tout ce qui ne vient que de l'homme n'est pas sincère; mais dans la sincérité de la sainteté qui vient de Dieu. La sainteté qui vient de Dieu consiste dans la chasteté, l'humilité, la bonté, la miséricorde, l'humanité, la justice, la douceur, la patience, la vérité, la paix, la bénignité: tel est l'ensemble de la

1. Cor. 5,8.

sainteté chrétienne, que corrompt le levain de la malice humaine; or, ce levain n'est autre que l'impudicité, l'orgueil, l'envie, l'iniquité, l'avarice, l'intempérance, le mensonge, la discorde, la haine, la vaine gloire, toutes choses auxquelles l'apôtre saint Paul veut que nous restions étrangers; car il nous dit: «Non avec le vieux levain de la malice».

2. Que la Pâque du Christ devienne le sujet de notre joie! C'est pour nous, en effet, qu'il naît, qu'il meurt dans les souffrances et qu'il ressuscite; c'est afin que, par lui, nous renaissions à la vie au milieu des tribulations, et qu'avec lui nous ressuscitions dans la pratique de la vertu. N'a-t-il pas, dans cette nuit, opéré la restauration de toutes choses? Il y est ressuscité en qualité de prémices, afin que nous ressuscitions tous après lui: il y brise les chaînes de notre esclavage, il nous rend la vie que nous avons perdue en Adam. Celui qui nous a formés à l'origine des temps, revient, après son voyage sur cette terre, à sa patrie, au paradis, de la porte duquel il a écarté le chérubin. A partir de cette nuit où s'est opérée la résurrection du Seigneur, le paradis est ouvert. Il n'est fermé que pour ceux qui se le ferment, mais il n'est ouvert que par la puissance du Christ. Qu'il revienne donc au ciel, et nous devons le croire; qu'il revienne au ciel Celui qui ne l'a jamais quitté! Qu'il monte à côté du Père, Celui qui y est toujours resté. De fait, ne croyons-nous pas que la vie est morte pour nous? Et comment la vie est-elle morte? Nous croyons que le Christ, qui est mort, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, n'a jamais, pour cela, quitté le Père et le Saint-Esprit.

3. Phase ou Pâque signifie: passage ou traversée. Consacrons-nous nous-mêmes en (729) nous marquant du sang du Christ; ainsi passera, sans nous nuire, celui qui ravage le monde; ainsi la mort, qui doit faire tant de victimes, nous épargnera. Ceux-là sont épargnés par le démon, ceux-là échappent à ses coups, devant lesquels il ne s'arrête pas; car le sang du Christ une fois placé sur une âme, les innombrables gouttes de pluie que le diable répand sur le monde ne peuvent ni humecter ni délecter cette âme. Puissions-nous donc nous trouver ainsi imbibés du sang du Christ, c'est-à-dire marqués du signe de sa mort! Ce signe reste parfaitement imprimé sur nous, aussi longtemps que nous mourons et que nous vivons pour celui qui est mort pour nous. Le sang du Christ rejaillit, en quelque sorte, sur trous, quand nous portons sa mort en nous (1), de manière à ne jamais le laisser effacer par la pluie des passions humaines ou par l'eau torrentielle des persécutions du siècle. Que ce sang sèche donc sur nous, qu'il en devienne à jamais inséparable; qu'il se répande sur nous et nous teigne: que non-seulement il nous teigne, mais nous purifie encore, après qu'il nous aura fait mourir au monde. Le Dieu qui a imprimé le signe de sa croix sur tous nos membres, peut les purifier toujours. C'est par là que nous pourrons nous réunir aux élus dans le ciel, moyennant le secours de celui qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. 2Co 4,10




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CINQUANTE QUATRIÈME SERMON. POUR PAQUES (1).

ANALYSE. - 1. Ce discours s'adresse à tous mais particulièrement à ceux qui sont nouvellement baptisés, pour les exciter à résister aux vices. - 2. L'orateur attaque le péché de la chair. - 3. Il faut s'en corriger au plus vite.

1. Je dois, sans doute, ma parole à tous ceux dont il me faut prendre soin en vertu de ma charge; mais aujourd'hui que les sainte cérémonies du baptême sont terminées, elle s'adresse plus particulièrement à vous, jeunes arbustes nouvellement plantés dans le champ de la sainteté et régénérés dans l'eau et le Saint-Esprit, à vous, race pieuse, essaim, qui faites l'éclat de ma gloire, qui êtes le fruit béni de mes travaux, ma joie et ma couronne; vous tous qui êtes maintenant dans la grâce du Seigneur, c'est à vous que je parle, pour vous dire comme l'Apôtre «La nuit est déjà avancée, et le jour s'approche. Quittez donc les oeuvres de ténèbres, et revêtez-vous des armes de lumière. Marchez dans la décence comme devant le jour, et non dans la débauche et dans les festins, dans les impudicités et dans les dissolutions,

(1) Voir le sermon CCXXIV.

dans les querelles et dans les jalousies; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez point à contenter les désirs de la chair (1)». «Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ (2)», afin de mener la vie que vous avez puisée dans le sacrement. Si vous Vites les membres du Christ, si vous pensez à ce que vous êtes devenus, vous vous écrierez du fond de vos entrailles: «Seigneur, qui est-ce qui est semblable à vous (3)?» Car la faveur qu'il vous à faite surpasse toute pensée humaine. Tout discours, tout sentiment n'est-il pas, en effet, incapable de vous faire comprendre comment une grâce toute gratuite a pu se produire en vous, sans aucun mérite antécédent de votre part? Car on nomme ainsi la grâce, précisément parce qu'elle vous a été

1. Rm 13,12 - 2. Ga 3,27 - 3. Ps 34,10

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donnée par pure bonté. Et pourquoi vous a-t-elle été accordée? Afin que vous deveniez les enfants de Dieu, les membres et les frères de son Fils unique, comme Jésus-Christ est le Fils unique du Père, et que, par là, vous soyez tous frères. Puisque vous êtes devenus les membres du Christ, je vous adresse mes conseils; écoutez-moi, car, aujourd'hui, il faut que je vous instruise: Je crains pour vous, mais non pas tant de la part des païens, des juifs, des hérétiques, que de la part des mauvais chrétiens. Choisissez, dans les rangs du peuple de Dieu, ceux que vous devrez imiter. Pour ne pas se tromper et pouvoir suivre la voie étroite, il ne suffit pas d'imiter la masse des chrétiens: il faut arrêter son choix sur quelques-uns d'entre eux. Abstenez-vous de la rapine et du parjure, ne vous jetez point dans les abîmes de l'intempérance; fuyez la fornication comme la mort même, non pas la mort qui sépare l'âme d'avec le corps, mais celle qui condamne l'âme à brûler éternellement avec le corps.

2. Mes frères, mes fils, mes filles, mes soeurs, sachez-le bien: le diable accomplit parfaitement son rôle, et ne cesse de parler au coeur de ceux qu'il ramène à son parti, en leur faisant abandonner celui de Dieu. Je ne l'ignore pas non plus: aux fornicateurs, aux adultères, qui ne se contentent pas de leurs épouses, l'esprit infernal dit intérieurement: Il n'y a pas grand mal à commettre le péché de la chair. A l'encontre de ses mensonges, nous devons prendre pour guides les oracles du Christ. Le démon prend les chrétiens aux appas du libertinage, en leur faisant considérer comme léger ce qui est grave, en leur déguisant la vérité et en leur débitant le mensonge. Mais quel profit y a-t-il à regarder, d'après les leçons de Satan, une faute comme peu griève, quand le Christ la déclare énorme? Et si Dieu te dit que ce péché est mortel, que gagneras-tu à écouter le diable et à croire peu conséquente ta prévarication? Au paradis terrestre, Satan a dit: «Vous ne mourrez pas de mort», tandis que le Seigneur avait fait cette menace formelle: «Le jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez de mort (Gn 3,4-5)». Nos premiers parents ont méprisé les avertissements de Dieu, et, pour avoir écouté le diable, ils sont tombés victimes de sa fourberie. L'ennemi est venu, qui leur a dit: «Vous ne mourrez pas de mort, mais vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux (Gn 3,4-5)». Alors ils ont mis de côté la menace du Seigneur et prêté l'oreille aux promesses de Satan. De quoi a-t-il servi à la femme de dire: «Le serpent m'a séduite (Gn 3,13)?» Son excuse a-t-elle été admise? Sa condamnation n'a-t-elle pas suivi de près? Aussi, je vous le dis: Vous, mes frères, qui avez des épouses, n'en connaissez pas d'autres; vous qui n'en avez pas encore et qui voulez en avoir, conservez-vous purs pour elles, comme vous désirez qu'elles se conservent pures pour vous; et vous, qui vous êtes engagés à garder la continence, ne portez pas vos yeux en arrière. Je vous ai dit ce que j'avais à vous dire, mon devoir est accompli. Le Seigneur m'a placé au milieu de vous pour vous exciter au bien, et non pour vous y forcer. Cependant, lorsque nous le pouvons, quand l'occasion s'en présente et que nous en avons la faculté, là où nous nous trouvons, nous reprenons, nous faisons des reproches, nous excommunions, nous anathématisons, mais nous n'avons pas le pouvoir de corriger, «Car celui qui plante n'est rien, non plus que celui qui arrose; mais c'est Dieu qui donne l'accroissement (1Co 3,7)». Sans doute, je vous parle en ce moment, je vous avertis de vos devoirs; mais il faut aussi que Dieu m'exauce et qu'il agisse silencieusement sur vos coeurs: Je vous dis peu de mots, pour vous faire mes recommandations; ce peu de mots suffira, toutefois, à vous inspirer une crainte salutaire si vous voulez rester fidèles, et à vous édifier. Vous êtes les membres du Christ: écoutez donc, non point mes propres paroles, mais celles de l'Apôtre: «Prendrai-je les membres du Christ pour en faire les membres d'une prostituée? Non (1Co 6,15)». Mais, me dira quelqu'un, la femme que j'entretiens n'est pas une prostituée, c'est simplement une concubine. - Dis-tu vrai, en parlant de la sorte? As-tu une épouse, toi qui tiens ce langage? - Oui, me répondra-t-il, j'ai une épouse. - Alors, bon gré mal gré, la seconde femme est une véritable prostituée. Peut-être te reste-t-elle fidèle; peut-être ne connaît-elle et ne veut-elle connaître que toi? Mais, puisqu'elle est si chaste, pourquoi forniques-tu? Si elle n'a d'homme que toi, pourquoi as-tu deux femmes? Cela n'est pas permis. Tous (731) ceux qui se conduisent ainsi vont droit à la géhenne; ils brûleront dans le feu éternel.

3. Les gens qui se rendent coupables de pareils désordres doivent se corriger pendant qu'ils sont en vie. La mort arrive subitement, et, alors, comment revenir à meilleure conduite? C'est impossible. Du reste, personne ne sait quand sonnera la dernière heure. Quand on me dit: Demain! demain, il me semble entendre la voix du corbeau, et aussitôt arrive le suprême malheur! La dernière heure sonne, et elle ne sonne qu'une fois. Prenez-y donc garde, ne jetez point de ces cris de corbeaux, pour ne pas être surpris et condamnés. Nouveaux baptisés, écoutez-moi: prêtez l'oreille à mes paroles, enfants régénérés dans le Christ. Je vous en prie, par le nom que j'ai invoqué sur vous, par cet autel dont vous vous êtes approchés, par les sacrements que vous avez reçus, par le jugement à venir des vivants et des morts, je vous en supplie et vous en conjure par le nom du Christ, n'imitez point ceux que vous savez être en de pareilles dispositions: faites mieux qu'eux, et vous régnerez éternellement.





Augustin, Sermons 5050