Aug. à Simplicien: Rm, R - Dans quel sens est-il dit que Dieu s'est repenti d'avoir fait roi Saül?



TROISIÈME QUESTION

Comment Samuël a-t-il pu être évoqué par la pythonisse?


1. Vous demandez si l'esprit impur qui était dans la pythonisse a pu taire que Samuel apparût à Saül et s'entretint avec lui (2). Mais il est bien plus étonnant que Satan, le prince des esprits immondes, ait pu parler à Dieu, et lui demander permission de tenter Job le plus juste des hommes (3), comme il a demandé aussi à cribler les apôtres (4). Or, là n'est pas la difficulté: car la vérité, présente partout, peut parler par l'intermédiaire de quelle créature elle veut, et à quelle créature il lui plaît, et cela ne suppose pas grand mérite en celui à qui Dieu parle: ce qu'il dit offre seul de l'intérêt. Il est bien des Innocents à qui l'empereur ne parle pas, quoiqu'il veille sur leur vie avec le plus grand soin, tandis qu'il parte à beaucoup de coupables dont il ordonne l'exécution. S'il n'y a point, là, de. difficulté, il n'y en a pas davantage à ce qu'un esprit immonde ait pu s'entretenir avec l'âme d'un saint homme: car Dieu créateur et sanctificateur est bien au-dessus de tous les saints.
Si maintenant on s'étonne que le malin esprit ait eu la permission d'évoquer l'âme d'un saint du mystérieux séjour des morts, ne doit-on pas s'étonner davantage que Satan ait transporté le Seigneur lui-même et l'ait placé sur le faite du temple (5)? De quelque manière que ceci se soit fait, l'évocation de Samuël est également mystérieuse. Dira-t-on que Satan a obtenu plus facilement la permission de saisir le Seigneur vivant et de le placer où il lui a plu, que de faire sortir l'âme de Samuël, après sa mort, du lieu où elle était? Mais si nous ne sommes pas troublés de ce passage de l'Evangile, parce que le Seigneur a voulu et permis ce fait sans rien perdre de sa puissance ni de sa majesté, comme il s'est laissé saisir, garrotter, tourner en dérision, crucifier

1 1S 15,29 - 2 1S 28,7-19 - 3 Jb 1,11 - 4 Lc 22,31 - 5 Mt 4,5

et mettre à mort parles Juifs eux-mêmes, quoique pervers, impurs et faisant les oeuvres du démon; il n'est pas déraisonnable de croire qu'en vertu de quelque secrète disposition de la volonté divine, et non par force ni pour obéir à l'ordre irrésistible d'une puissance magique, mais secrètement et pour se conformer au dessein de la Providence, qui restait cachée pour la pythonisse et pour Saül, l'âme du saint prophète ait consenti à se montrer aux yeux du prince pour lui signifier l'arrêt de Dieu. Pourquoi en effet l'âme d'un juste, évoquée par des méchants du séjour des morts, perdrait-elle sa dignité, quand les hommes de bien, même pendant leur vie, se rendent souvent près des méchants, à leur appel, remplissent près d'eux les devoirs de de la justice, traitent les maladies de leur âme, selon l'usage ou le besoin du moment, et cela, sans rien perdre de l'éclat de leur vertu?

2. Il y aurait du reste, une solution plus facile, une explication plus simple de ce fait: ce serait de dire que l'esprit évoqué n'était point réellement celui de Samuël, mais un fantôme, une figure imaginaire formée par le démon et que L'Ecriture appelle Sain uël, parce qu'on donne ordinairement aux images le nom des êtres qu'elles représentent. C'est ainsi qu'on applique le nom de l'objet représenté aux tableaux, aux statues de métal, de bois, ou de toute autre matière propre à la sculpture; aux êtres même imaginaires qui apparaissent dans les songes, et à peu près à tout ce qui est image. Qui hésite en effet à donner le nom d'homme au portrait. d'un homme? Dès que nous voyons une figure représentée par le pinceau,nous lui appliquons immédiatement un nom propre; ainsi en présence;d'un tableau ou d'une galerie de portraits, nous disons:Voilà Cicéron, voici Salluste, Achille, Hector, voilà le fleuve Simoïs, voilà Rome, quand en réalité, il n'y a que des images peintes. Les Chérubins sont des puissances célestes; cependant les statues de métal placées par ordre de Dieu et pour des vues profondes sur l'Arche du Testament, ne portent pas d'autre nom que celui de Chérubins (1). De même celui qui a un songe rie dit pas: J'ai vu l'image d'Augustin ou de Simplicien, mais: J'ai vu Augustin on Simplicien, bien que dans le moment nous ignorions ce qu'il voyait: tant il est évident que ce qu'il a vu ce ne sont pas les personnes mêmes, mais leurs

1 Ex 25,18

images. Pharaon dit qu'il a vu en songe des épis et des vaches (1), et non des images d'épis ou de vaches. Si donc il est constant que nous donnons aux images le nom des objets qu'elles représentent, il n'y a rien d'étonnant à ce que l'Ecriture appelle Samuël ce qui a pu n'être qu'une image de Samuël, façonnée par celui qui se transforme lui-même en ange de lumière et ses ministres en ministres de justice (2).

3. Maintenant si l'on s'étonne que le malin esprit ait prédit la vérité à Saül, on pourra aussi s'étonner que les démons aient reconnu le Christ (3) que les Juifs ne reconnaissaient pas. Quand Dieu veut manifester la vérité à quelqu'un en ce qui regarde seulement les choses temporelles et relatives à notre humanité, et qu'il emploie pour cela des esprits de rang inférieur et réprouvés, on peut facilement et sans inconvenance admettre qu'étant juste et tout-puissant et voulant punir ceux à qui ces prédictions s'adressent, en leur faisant subir par avance le châtiment qui les menace, il accorde à dé, tels esprits par une secrète opération de sa Providence, la faculté de prévoir jusqu'à un certain point, afin qu'ils annoncent aux hommes ce qu'ils ont appris des anges. Or ils n'apprennent que dans la mesure où le permet Dieu, le maître et le régulateur suprême. C'est ainsi que dans les Actes des Apôtres un esprit de python rend témoignage à l'Apôtre saint Paul et travaille à évangéliser (4).
Cependant le mensonge se mêle à leurs paroles, et c'est moins pour éclairer que pour tromper qu'ils prédisent. C'est sans doute ainsi qu'on s'explique que l'ombre de Samuël en prédisant à Saül qu'il mourrait, ajouta: «Tu seras avec moi:» ce qui était faux. Car nous.lisons dans l'Evangile qu'une grande distance sépare les bons des méchants après la mort, puisque le Sauveur attesté qu'il y a un vaste abîme entre le riche orgueilleux subissant déjà le supplice de l'enfer, et le pauvre couvert d'ulcères qui languissait naguères à sa porte (5). Cependant si ces paroles de Samuël à Saül: «Tu seras avec moi,» indiquent non une égalité de bonheur, mais l'égalité dans la mort, puisque tous les deux, en tant qu'hommes, ont pu mourir, et qu'elles n'aient été qu'une prédiction de mort faite à un homme vivant: votre prudence comprend, ce me semble, que ces expressions peuvent s'interpréter de deux manières qui n'ont rien de contraire à la foi. Peut-être, du reste, un examen plus approfondi

1. Gn 41,17-28 - 2 2Co 11,14-15 - 3 Mt 8,29 - 4 Ac 16,17 - 6 Lc 16,26

et plus scrupuleux que ne me le permettent mes forces et mon temps, éclaircirait-il cette autre question, à savoir; si l'âme humaine, une fois hors de cette vie, peut, ou ne peut pas être évoquée par des incantations magiques et apparaître aux regards, avec des formes corporelles, de manière à être, non-seulement visible, mais,reconnaissable; et dans le cas où cela serait possible, si l'âme d'un juste ne pourrait aussi se faire voir, non forcément et en vertu de la magie, tuais par obéissance à l'ordre mystérieux du souverain législateur. Dans le cas où cela serait reconnu impossible, on n'admettrait plus les deux explications de ce passage, mais on en rejetterait une, et l'on considérerait l'apparition de Samuël comme celle d'un fantôme fabriqué par Satan. Mais, dans l'une et l'autre hypothèse, comme la ruse de Satan et son habileté à créer des figures imaginaires prennent toutes les formes pour tromper les sens humains, procédons avec lenteur et sans préjudice de recherches plus approfondies; tant qu'il ne nous sera pas donné de trouver une explication plus satisfaisante, pensons qu'il y a eu ici quelque opération diabolique, par l'intermédiaire de cette méchante phythonisse.


QUATRIÈME QUESTION

Dans qu'elle posture faut-il prier?

Quant à la question que vous posez sur ce passage de l'Ecriture: «Le roi David entra et s'assit devant le Seigneur (1S 6,18),» que peut-on voir dans ces paroles sinon que David s'assit en présence du Seigneur soit dans le lieu où était l'arche du Testament, qui rendait cette présence plus vive et plus sensible; soit ailleurs dans l'intention de prier, ce qui ne peut se faire que sous les yeux de Dieu, c'est-à-dire dans le fond du coeur? On peut aussi attacher un autre sens à ces expressions: «En présence du Seigneur,» signifierait sans aucun homme pour témoin. Soit donc à cause de l'arche du Testament, soit à cause de l'absence de tout témoin, soit pour exprimer que la ferveur de celui qui priait était renfermée au plus profond de son coeur, on a eu raison de dire: «Il s'assit devant le Seigneur.» S'étonnerait-on que David ait prié assis, quand on en lit autant du saint prophète Elie, lorsqu'il demanda de la pluie et l'obtint (1R 18,42-45)?
Ces exemples nous apprennent qu'aucune posture n'est prescrite pour prier, pourvu que l'esprit soit en présence de Dieu et maintienne son attention. En effet nous prions debout, comme on le lit dans l'Evangile: «Mais le publicain se tenant debout dans l'éloignement (1);» et à genoux, ainsi qu'on le voit dans les Actes des Apôtres (2); et assis, comme David et Elie. Nous pouvons même prier couchés, autrement on ne lirait pas dans les psaumes: «J'arroserai mon lit chaque nuit, et je tremperai ma couche de mes larmes (Ps 6,7).» En effet quand quelqu'un veut prier, il choisit, selon la circonstance où il se trouve, la position la plus convenable pour exciter en lui la ferveur. Mais quand le désir de la prière vient de lui-même, sans effort, c'est-à-dire saisit l'âme subitement; lui inspire, par des gémissements inénarrables, les émotions de la piété, en quelque situation qu'on soit, il ne faut pas, pour chercher un lieu retiré, ou la facilité de se tenir debout ou prosterné, différer l'oraison. Car alors par le recueillement l'âme se crée une solitude, et souvent elle oublie dans quel lieu ou dans quelle posture cette inspiration l'a surprise.

1 Lc 18,13 - 2 Ac 7,59 Ac 20,36


CINQUIÈME QUESTION

Dans quel sens Elie se plaint-il à Dieu de la mort du fils de la veuve de Sarepta?

Si on les prononçait comme on le doit, on ne s'étonnerait plus de ces paroles d'Elie: «O Seigneur, témoin des bontés de cette veuve chez qui j'habite, vous avez eu tort de faire mourir son fils.» Ce langage supposerait qu'Elie ne pensait pas que le Seigneur pût ainsi maltraiter, surtout pendant qu'il était là, la veuve qui l'avait si bien accueilli, qui avait mis à sa disposition le peu de vivres qu'elle possédait au milieu d'une extrême disette. Mais c'est comme si le prophète avait dit: «O Dieu, témoin des bontés de cette veuve, chez qui j'habite, avez-vous donc eu tort de faire mourir son fils?» Ce qui laisse entendre que le Seigneur, connaissant le bon coeur de cette femme, témoin de sa grande piété, et à qui il avait lui-même adressé Elie, n'avait pas fait mourir son fils pour lui causer de la peine, mais en vue d'un miracle qui devait glorifier son nom et rendre son prophète illustre chez ses contemporains et dans la postérité. C'est ainsi que le Sauveur dit que la maladie de Lazare ne va. pas à la mort, mais qu'elle a lieu pour que Dieu soit glorifié en son Fils (4). On voit du reste par la suite et par la confiance même d'Elie, que l'événement n'avait pas eu lieu pour plonger son hôtesse dans le deuil, mais pour faire mieux éclater aux yeux de cette veuve la dignité de son serviteur qu'elle avait si bien accueilli. Le texte en effet continue ainsi: «Il souffla trois fois sur l'enfant, invoqua le Seigneur et dit: Seigneur mon Dieu, faites

- 4 Jn 11,4

que l'âme de cet enfant retourne en son corps. «Et il fut fait ainsi.» Cette prière si courte et si pleine de confiance, par laquelle Elie demande la résurrection de l'enfant, indique assez le sens de ce qu'il a dit plus haut. La mère elle-même fait voir qu'elle comprenait la mort de son fils de la même manière qu'Elie, et que le prophète avait parlé dans le sens négatif plutôt qu'affirmatif. Car, en recevant son fils ressuscité, elle dit Je reconnais maintenant que vous êtes un homme de Dieu, et que la parole du Seigneur est très vraie en votre bouche (1).»
Il y a beaucoup de passages dans les Ecritures où le défaut de prononciation produit ainsi un contre sens, comme par exemple, dans celui-ci Qui accusera les élus de Dieu? c'est Dieu qui les justifie (2).» Si la réponse est ici affirmative, elle confient une erreur pernicieuse. Il faut donc prononcer comme s'il y avait: Est-ce Dieu qui justifie? Et sous-entendre: non certainement. Ceci, je pense, explique suffisamment les paroles d'Elie, qu'une prononciation fautive rendait obscures.



SIXIÈME QUESTION

De l'esprit de mensonge envoyé pour tromper Achab.

Appliquons à l'esprit de mensonge par qui Achab fut trompé (3) 1e principe que j'ai, ce me semble, exposé plus haut assez clairement, à savoir:que Dieu, tout-puissant et juste distributeur des peines et des récompenses, se sert, non-seulement des bons et des saints pour des oeuvres dignes de leur ministère, mais aussi des méchants pour des fins en rapport avec leur nature, quand ces êtres pervers désirent faire le mal conformément à leurs mauvais penchants et en obtiennent la faculté, autant que le juge bon Celui qui dispose tout avec mesure, poids et nombre (4). Or le prophète Michée a indiqué par quelle voie il avait eu connaissance de-ce qui se passait. En effet les images mêmes servent comme de paroles pour révéler aux prophètes, autant que le permet l'intelligence humaine, les choses mystérieuses, profondément cachées. Mais dire comment Dieu agit en ce cas, lui qui est présent partout et tout entier; comment les saints anges, comment ces esprits sublimes et très purs qu'il a créés, consultent sa simple, immuable et éternelle vérité, et exécutent, dans le temps et selon les nécessités de ce bas-monde, les décisions dont ils voient en lui l'éternelle équité; comment aussi les esprits déchus, qui n'ont point été fidèles à la vérité, et qui ne peuvent plus, à raison de leur

1 1R 17,20-24 - 2 Rm 8,33 - 3 1R 22,20-23 - 4 Sg 11,21

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impureté et de leur faiblesse, tristes effets de leurs convoitises et de leurs supplices, contempler en elle-même et consulter cette même vérité, attendent des signes extérieurs de la part de quelque créature pour se déterminer à agir ou à ne pas agir; comment liés et enchaînés, ils sont obligés, par la loi éternelle qui régit l'univers, d'attendre la permission de Dieu ou d'obéir à ses ordres: oui, embrasser et expliquer ces questions, serait une tâche ardue et très-longue à remplir.
Je crains même que ce que j'ai dit ne satisfasse pas votre attente et n'ait causé de l'ennui à votre gravité: vu qu'en réponse à toutes vos questions vous ne me demandiez qu'un petit traité et que je vous en ai envoyé deux, et deux très-longs, qui ne renferment peut-être même pas de solutions exactes et claires aux difficultés que vous avez proposées. Aussi sollicité-je de votre part de nombreuses et ferventes prières pour expier mes erreurs, et je vous supplie de me dire en peu de mots, mais sérieusement, votre opinion sur cet ouvrage. Quelque sévère que puisse être votre jugement, je m'y soumets, pourvu qu'il soit votre vrai jugement.

Ces deux livres ont été traduits par M. l'abbé DEVOILLE.


Aug. à Simplicien: Rm, R - Dans quel sens est-il dit que Dieu s'est repenti d'avoir fait roi Saül?