Jérôme - Lettres - A MARCELLA. SUR UN OUVRAGE DE RHETICIUS, EVEQUE D'AUTUN.

A MARCELLA. SUR UN OUVRAGE DE RHETICIUS, EVEQUE D'AUTUN.


Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 388.

Je lisais dernièrement les commentaires de Rhéticius, évêque d'Autun (c'est lui que l'empereur Constantin envoya à Rome, sous le pape Silvestre, dans l'affaire des Donatistes(1) ), je lisais, dis-je, ses commentaires sur le Cantique des Cantiques, que les Hébreux appellent. Sirhasirim; et j'y ai trouvé plusieurs passages insipides; mais, ce qui m'a étonné, c'a été de voir un homme de son caractère, et d'ailleurs éloquent, prendre le mot tharsis pour la ville de Tarse, patrie de l'apôtre saint Paul; et l'or d'ophax pour saint Pierre, parce que cet apôtre est appelé Cephas dans l'Evangile. Rhéticius n'avait qu'à consulter l'Ecriture

(1) Il y a dans le texte: Ob causam montensium, c'est-à-dire, pour l'affaire des montagnards. C'est ainsi que l'on appelait les Donatistes, parce que ceux de leur parti qui étaient à nome tenaient leurs assemblées hors de la ville sur mie montagne, comme le rapportent saint Jérôme dans sa chronique; J. Optat, évêque de Milève, liv. II du schisme des Donatistes; et saint Augustin, ép. 42 et lib. de Hoeoes. ch. 69, quelques-uns appellent même les partisans de Donat montagnards, parce qu'ils ont commencé à avoir une église à Rome sur une montagne.

494

sainte, et il aurait trouvé le mot de tharsis dans Ezéchiel, qui, parlant des quatre animaux mystiques, dit: " Les roues étaient de la couleur de tharsis (1); " et dans le prophète Daniel qui dit du Seigneur: " Son corps ressemblait à tharsis ; " ce que Symmaque a traduit par le mot hyacinthe, et Aquila par celui de crisolite. Nous lisons encore dans les Psaumes : " Vous briserez les vaisseaux de tharsis par le souffle d'un vent impétueux. " Cette pierre que l'on nomme tharsis ou crisolite, est aussi du nombre de celles où étaient gravés les noms des tribus d'Israël, et que le grand-prêtre portait sur son rational. Enfin dans l'Ecriture sainte le mot de tharsis est répété fréquemment.

Que dirai-je de celui d'ophaz? Le même prophète Daniel, après avoir passé trois semaines dans le jeûne et dans la tristesse, la troisième année de l'empire de Cyrus, roi des Perses, ne dit-il pas : " Et ayant levé les yeux je vis tout à coup un homme qui était vêtu de lin, et dont les reins étaient ceints d'une ceinture d'ophaz? " Car il y a parmi les Hébreux plusieurs sortes d'or. C'est pourquoi l'on s'est servi ici du mot d'ophaz, pour ne pas le confondre avec le zaab, qui, selon la Génèse, nait avec l'escarboucle.

Mais si le mot tharsis signifie, suivant plusieurs interprètes, la pierre crisolite ou l'hyacinthe dont Dieu, selon l'Ecriture, a quelquefois emprunté les couleurs, pourquoi donc lisons-nous que le prophète Jonas voulait aller à Tharsis? et que Salomon et Josaphat, comme il est rapporté dans le livre des Rois, avaient coutume d'envoyer une flotte à Tharsis pour trafiquer? Il est facile de répondre à cette difficulté. Vous devez savoir que le mot tharsis a diverses significations, et qu'on le prend tantôt pour les Indes, et tantôt pour la mer dont les eaux sont bleues, et qui, frappée des rayons du soleil, reçoit la couleur et le nom de ces pierres précieuses. Cependant Josèphe

(1) On a cru devoir laisser dans la traduction de ces deux passages le mot de tharsis, afin de se conformer à saint Jérôme, qui fait voir ici que ce mot se trouve dans l'Ecriture, quoique lui-même, après Aquila, l'ail expliqué par le mot crisolite, comme nous le lisons dans notre Vulgate qui porte: Ezecli., lib. 9, " Les roues paraissaient de la couleur d'une pierre de crisolite ; " et Daniel, lib. 6, "Son corps était comme la pierre de crisolite. "

croit que les Grecs, en changeant la lettre tan, ont pris tarse pour tharsis.

Il y a dans ces commentaires plusieurs autres explications ridicules. Il est vrai que le style en est châtié et élevé, caractère de l'éloquence gauloise; mais convient-il à un interprète qui doit écrire non pour faire parade de son érudition et de son éloquence, mais seulement pour faire comprendre à ses lecteurs les choses comme il les entend lui-même? N'avait-il pas les dix volumes d'Origène et les écrits des autres interprètes? ne pouvait-il pas consulter quelqu'un qui sût l'hébreu, et lui demander l'explication de ce qu'il n'entendait pas? Non, il a eu assez mauvaise opinion des autres pour croire qu'il n'y aurait personne capable de découvrir ses erreurs.

Ne me demandez donc pas ces commentaires, où je trouve beaucoup plus de choses à chanter qu'à approuver. Vous me direz sans doute que je les ai communiqués à d'autres; c'est vrai, mais la même nourriture ne convient pas à toutes sortes de personnes. Ceux que Jésus-Christ nourrit autrefois de pains d'orge dans le désert étaient plus nombreux que ceux qu’il nourrit de pain de froment. Les Corinthiens, parmi lesquels il s'était commis une impureté que les païens ne commettent pas; les Corinthiens, dis-je, dans cet état, ne reçoivent de l'apure saint Paul que du lait, incapables de supporter une nourriture plus solide. Mais pour les Ephésiens, dont la conduite est irréprochable, le Seigneur lui-même les nourrit d'un pain céleste, et leur découvre le mystère qui a été caché dans tous les siècles. N'ayez souci ni de la dignité ni de l'âge de ceux à qui j'ai fait voir ces commentaires, puisque Daniel tout jeune a jugé des vieillards; et que le prophète Amos, simple berger, n'a pas craint de s'élever contre les princes des prêtres.


A MARCELLA. REPONSE A SES DETRACTEURS.


Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 588.

Depuis ma dernière lettre dans laquelle je vous expliquais quelques mots hébreux, j'ai appris que certaines gens se plaignaient hautement de ma témérité à corriger quelques endroits de l'Evangile, contrairement à l'autorité (495) des anciens et à la tradition universellement reçue dans toutes les Eglises. Je pourrais fort bien mépriser de semblables plaintes; car, comme dit le proverbe: " C'est perdre son temps que de jouer de la harpe devant les ânes. " Mais pour que, selon leur coutume, ils n'attribuent pas mon silence à une humeur fière et hautaine, je veux bien qu'ils sachent que je ne suis ni assez ignorant ni assez sot (ce en quoi consiste toute leur sainteté, se faisant gloire d'être disciples de pêcheurs, et se flattant d'être saints parce qu'ils sont ignorants,) pour croire qu'il y a quelque chose à corriger dans les paroles du Sauveur, ou que tout n'est point inspiration divine dans l'Evangile. Mon dessein ( qui ne se justifie que trop par les variantes de tous les exemplaires) est de les rétablir dans leur ancienne pureté, en les confrontant avec les originaux grecs, sur lesquels mes censeurs même avouent que les traductions ont été faites. Que s'ils ne veulent pas puiser à une source très pure, qu'ils boivent l'eau bourbeuse des ruisseaux. Curieux de savoir dans quelles forêts l'on trouve le gibier le plus délicat, et sur quelles côtes l'on pêche les meilleurs huîtres, que l'étude de l'Ecriture sainte soit la seule chose qu'ils jugent indigne de leur application. Qu'ils disent ( et c'est en cela seulement que parait leur simplicité), qu'ils disent que Jésus-Christ s'exprime d'une manière commune, et que tant de beaux génies, qui depuis plusieurs siècles ont cherché le véritable sens de ses paroles, l'ont plutôt deviné qu'expliqué. Qu'ils accusent enfin l'apôtre saint Paul d'ignorance, lui à qui l'on reprochait autrefois que son grand savoir l'avait mis hors de son bon sens.

Je m'attends bien à vous voir alarmée de la liberté avec laquelle je vous écris. Vous craindrez qu'elle ne soit un nouveau sujet de disputes; et si vous le pouviez, vous me fermeriez la bouche pour m'empêcher de dire ce que les autres n'ont pas honte de faire. Mais encore, que m'est-il échappé de trop libre? Ai-je fait graver dans des bassins les images des faux dieux? Etant à table avec des femmes chrétiennes, ai-je exposé aux yeux des vierges les infâmes embrassements des Bacchantes et des Satyres? Ai-je jamais parlé de quelqu'un avec trop d'aigreur? Me suis-je élevé contre les pauvres, devenus immensément riches? Ai-je déclamé contre ceux qui courent après les successions? Mon crime n'est-il pas d'avoir dit que les vierges devaient plutôt fréquenter les femmes que les hommes? Voilà ce qui a révolté Rome contre moi ; c'est pour cela qu'on me montre au doigt. " Ceux qui me haïssent sans sujet sont en plus grand nombre que les cheveux de ma tête, et je suis devenu pour eux un sujet de risée " Et vous pensez que je dirai quelque chose encore?

Mais de peur d'être ridicule et de m'entendre dire avec Flaccus : " Vous aviez commencé une grande coupe, d'où vient qu'après avoir bien tourné la roue vous n'avez fait qu'un petit vase? " revenons à nos ânes bipèdes, et au lieu de jouer de la harpe devant eux, sonnons de la trompette à leurs oreilles. Qu'ils soutiennent donc qu'on doit lire dans l'apôtre saint Paul : " Réjouissez-vous dans votre espérance, accommodez-vous au temps. " Pour nous, suivons cette autre leçon : " Réjouissez-vous dans votre espérance, servez le Seigneur. " Qu'ils disent que, selon saint Paul, on doit admettre les accusations contre un prêtre; attachons-nous, nous autres, au véritable texte de l'Apôtre qui porte : " N'admettez d'accusation contre un prêtre que sur la déposition de deux ou trois témoins ; mais reprenez devant tout le monde ceux qui pèchent. " Qu'ils approuvent cette leçon: "C'est un discours humain et digne d'être reçu avec une soumission parfaite. " Pour nous, dussions-nous errer, attachons-nous aux exemplaires grecs et à l'Apôtre, qui a dit en grec . " C'est une vérité certaine et digne d'être reçue avec toute la soumission possible. " Enfin qu'ils se plaisent à soutenir que le Christ monta sur un de ces chevaux qui viennent des Gaules; quant à nous, nous aimons à dire qu'il prit cet ânon dégagé de tout lien, préparé, suivant Zacharie, pour le Sauveur, et qui en servant de monture au Christ, justifia cette prophétie d'Isaïe : " Heureux celui qui sème sur les bords de toutes les eaux, où travaillent le boeuf et l'âne. "

496

A PAULA ET A EUSTOCHIA. SUR LA TRADUCTION DU LIVRE DE JOB.


Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 391.

Si je faisais de petits paniers avec du jonc, ou quelque ouvrage avec des feuilles de palmier, pour manger mon pain à la sueur de mon iront; et si je gagnais ma vie au milieu des sollicitudes d'esprit, personne n'y trouverait à redire, et je ne me verrais point exposé aux traits de la médisance. Mais parce que, selon la parole du Sauveur, je travaille pour avoir une nourriture qui ne périt point, et que je m'applique à rétablir les livres de l'Ecriture sainte dans leur ancienne pureté, on me déchire par des calomnies atroces, on me traite de faussaire, moi qui ne pense qu'à rendre le texte de ces livres plus correct, et on m'accuse d'y semer de nouvelles erreurs au lieu de corriger les anciennes. Car les préjugés sont tellement invétérés, que des livres pleins de fautes ne laissent pas que de plaire; et pourvu que les exemplaires soient bien propres, on ne s'inquiète pas si le texte en est altéré.

Au lieu donc d'éventails, de corbeilles et de petits paniers, bagatelles que font et que donnent les solitaires, je vous prie, vous qui seules joignez une humilité profonde à une grande naissance, d'agréer le présent que je vous fais, et qui n'a rien que de spirituel et de solide. Réjouissez-vous de voir dans toute son intégrité et toute sa pureté le livre de Job, qui, chez les Latins, était encore pour ainsi dire couché sur son fumier et rongé de vers. Comme ce grand homme, après les épreuves et la victoire, mérita que Dieu lui rendit au double tout ce qu'il avait possédé, aussi puis-je me vanter de lui avoir rendu en notre langue tout ce qu'il avait perdu dans les anciennes versions.

Je vous avertis donc, comme je le fais dans toutes mes préfaces, vous et tous ceux qui liront cet ouvrage, que, partout où il y a un obèle, c'est une marque que ce qui suit ne se trouve point dans le texte hébreu à la version latine. Outre cela, soutenu par des prières, j'ai corrigé, non sans un travail immense, les éditions latines où nous nous flattions d'avoir l'Ecriture dans toute sa pureté, et qui néanmoins étaient tellement défectueuses que le lecteur n'y pouvait rien comprendre. En m'occupant de la sorte dans ma solitude, je crois faire quelque chose de plus utile pour l'Eglise de Jésus-Christ, que ceux qui sont à la tète des plus grandes affaires.


A CASTRUCIUS. SUR LA PATIENCE DANS LES INFIRMITES ET LES MALADIES.


Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 392.

Le saint diacre Héraclius, mon fils en Jésus-Christ, m'a rapporté que vous étiez venu jusqu'à Cissa dans le dessein de me voir; que, quoique né dans la Pannonie et au milieu des terres, vous n'aviez craint ni les tempêtes ni les dangers de la mer Adriatique et de la mer Ionienne ; et que vous auriez exécuté votre projet si nos frères, qui vous aiment tendrement, ne vous avaient pas contraint d'y renoncer. Je vous en remercie et vous en liens compte; c'est l'affection et non pas les effets qu'on doit chercher dans les amis ; ceux-ci se trouvent quelquefois dans les plus grands ennemis, mais celle-là ne peut venir chie d'un fond de charité chrétienne.

Au reste, ne croyez pas que votre infirmité soit une peine du péché. C'est ainsi qu'en jugèrent les Apôtres, lorsque voyant un aveugle de naissance, ils demandèrent à Jésus-Christ: " Est-ce le péché de cet homme ou celui de son père et de sa mère qui est la cause de sa cécité?. Mais le Sauveur leur répondit : " Ni lui ni ses parents n'ont péché; mais c'est afin que les oeuvres et la puissance de Dieu éclatent en lui. " En effet, combien voyons-nous de païens, de Juifs et d'hérétiques, de gens de toutes sortes de religions, qui se plongent dans de honteuses débauches, qui trempent leurs mains dans le sang de leurs frères, qui sont plus cruels que les loups, plus voraces que les milans, et qui néanmoins sont à couvert des fléaux de la divine justice et n'ont point de part aux calamités publiques; prenant sujet de là de s'élever contre Dieu et de blasphémer contre le ciel? Combien au contraire voyons-nous de saints affligés de maladies, accablés de misères, réduits à la dernière indigence, et qui disent peut-être : " C'est donc en vain que j'ai travaillé à purifier mon coeur, et que j'ai lavé mes mains dans la compagnie (497) des innocents? " mais qui, rentrant en eux-mêmes, ajoutent aussitôt: "Je ne puis avoir ces sentiments-là, Seigneur, sans condamner la sainte société de vos enfants. "

Si vous croyez que la perte de la vue et les autres maladies qui occupent si souvent les médecins sont une punition du péché et un effet de la colère de Dieu, vous condamnerez donc Isaac, qui voyait si peu que, se trompant, il donna sa bénédiction à celui qu'il ne voulait pas bénir; et Jacob, qui ne put distinguer Ephraïm d'avec Manassès, quoique d'ailleurs par une lumière intérieure et un esprit prophétique, il perçât jusque dans l'avenir, et prévît que le Messie devait naître de la famille royale de Juda. Fut-il un roi plus saint que Josias? il périt dans la bataille qu'il donna au roi d'Egypte. Fut-il rien de plus grand que saint Pierre et saint Paul? ils ont été les victimes de la cruauté de Néron. Mais pour ne rien dire des hommes, le Fils de Dieu même n'a-t-il pas souffert les opprobres et les humiliations de la croix ? Peut-on après cela regarder comme véritablement heureux ceux qui jouissent des prospérités du siècle et qui goûtent les douceurs de la vie présente? La colère de Dieu est grande quand il ne se fâche pas contre les pécheurs. " Je ne me mettrai plus en colère contre vous, " dit-il à Jérusalem par la bouche d'un prophète; " et vous ne serez plus l'objet de mon zèle et de ma jalousie; car le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de verges tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants. " Un père ne corrige que l'enfant qu'il aime; un maître ne châtie que ceux en qui il remarque beaucoup de vivacité d'esprit; si un médecin abandonne son malade, c'est qu'il en désespère. Si vous dites qu'à l'exemple de Lazare, qui passa toute sa vie dans l'affliction et dans la misère, vous êtes prêt à souffrir tous les maux de la vie présente afin de vous ménager une gloire immortelle dans la vie future, vous n'avez qu'à lire le livre de Job, et vous y verrez quelle l'ut la cause de tous les malheurs qu'éprouva cet homme si saint, si innocent et si juste.

Mais pour me renfermer dans les bornes d'une lettre, et laisser là tous ces exemples qui me mèneraient trop loin, je me contente de vous rapporter ici une petite histoire qui s'est passée lorsque je n'étais encore qu'un enfant. Saint Athanase, évêque d'Alexandrie, voulant confondre les hérétiques (1), avait prié saint Antoine de venir en cette ville ainsi que Didyme, qui était aveugle, mais d'ailleurs fort savant. Celui-ci alla rendre visite à l'illustre solitaire; et après une longue conversation qui roula toute sur les saintes Ecritures, saint Antoine, charmé de son érudition et de la vivacité de son esprit, lui demanda s'il n'était pas fâché d'avoir perdu la vue. Didyme, confus et un peu déconcerté, ne lui répondit rien d'abord; mais enfin voyant qu'il le pressait, il lui avoua franchement que cette perte lui était très sensible. " Je suis surpris, lui dit alors saint Antoine, de ce que vous, homme sage, vous soyez fâché de n'avoir pas ce qu'ont les fourmis et les moucherons; et qu'au contraire vous ne vous réjouissiez pas de posséder ce que les saints et les apôtres seuls ont mérité d'avoir. " Par là vous devez apprendre, mon cher Castrucius, qu'il vaut mieux être privé de la vue corporelle, que de ces yeux spirituels où la paille du péché ne saurait entrer.

Au reste, quoique vous ne soyez pas venu ici cette année, je ne désespère pas d'avoir un jour le plaisir de vous y voir. Si par vos amitiés vous déterminez Héraclius, porteur de cette lettre, à rester longtemps avec vous, je me consolerai aisément de son absence, pourvu que vous m'en dédommagiez en l'accompagnant ici.


AU SENATEUR PAMMAQUE. — TRAITE CONTRE JOVINIEN. — TRADUCTION DU LIVRE DE JOB. — QU'IL FAUT ECRIRE POUR TOUS LES HOMMES SANS DISTINCTION.


Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 392.

Il sied quelquefois à la modestie chrétienne de ne point écrire à ses amis et de se renfermer en soi-même par un humble silence, plutôt que de se rendre suspect d'ambition, en renouvelant une ancienne amitié. Comme vous j'ai gardé le silence, tant que vous l'avez gardé à mon égard; et je n'ai jamais voulu vous obliger à le rompre, de peur qu'on ne s'imagine que je vous écris, plutôt pour ménager un puissant patron que pour m'entretenir avec un ami. Mais puisque vous m'avez prévenu par des lettres bienveillantes, je tâcherai désormais de vous prévenir moi-même, et de vous envoyer

(1) C'est-à-dire les Ariens, qui se vantaient que saint Antoine était de leur opinion.

498

non pas des réponses, mais des lettres; afin qu'on voie que c'est la modestie seule qui jusqu'ici m'a fait garder le silence, et que c'est par une modestie encore plus grande que je prends aujourd'hui la liberté de le rompre.

Quant à mes traités contre Jovinien, je suis très persuadé que c'est par prudence et par amitié que vous avez tâché d'en retirer les exemplaires. Mais toutes vos précautions ont été inutiles; car quelques personnes venues ici m'en ont lu des extraits, qu'elles m'ont dit avoir faits elles-mêmes à Rome. On avait même déjà répandu mes livres dans toute notre province. Or vous savez ce que dit le poète : " Un mot lâché ne revient jamais. "

Je n'ai pas le bonheur, comme la plupart des écrivains d'aujourd'hui, de pouvoir corriger quand il me plait les bagatelles dont je m'occupe. A peine ai-je fait quelque ouvrage, que mes amis et mes envieux le répandent aussitôt dans le public, avec un égal empressement, quoique par des motifs bien différents; et comme ils le jugent, non d'après son mérite, mais d'après leurs dispositions à mon égard, tout est outré et dans les louanges et dans les reproches. Ainsi tout ce que j'ai pu faire est de vous envoyer l'apologie (1) dont je vous ai parlé. Quand vous l'aurez lue, vous pourrez répondre pour moi aux objections que l'on me fait; ou si vous ne goûtez pas vous-même mes raisons, vous serez obligé d'expliquer autrement que moi ce que dit l'apôtre saint Paul de la virginité et du mariage.

Je ne prétends pas par là vous engager à écrire, persuadé que vous avez encore plus d'ardeur que moi pour l'étude de l'Ecriture sainte. Tout ce que je souhaite c'est que vous ameniez mes censeurs à me répondre. Comme ils sont écrivains et qu'ils se piquent d'érudition, ils peuvent m'instruire au lieu de me critiquer. Qu'ils donnent quelque ouvrage au public, et le mien tombera aussitôt.

Lisez, je vous prie, et examinez attentivement les paroles de l'Apôtre, et vous verrez que, pour me soustraire à la censure et à la calomnie, j'ai parlé du mariage avec beaucoup plus de ménagement que lui. Origène, Denis, Pierius Eusèbe de Césarée, Didyme et Apollinaire, ont expliqué fort au long cette épître de saint Paul. Pierius surtout voulant développer

(1) Voyez le Traité contre Jovinien, cinquième série; Polémique.

le véritable sens de 'Apôtre, et expliquer ce passage : " Je voudrais que tous les hommes fussent en l'état où je suis moi-même, " ajoute aussitôt: " Saint Paul se déclare ici ouvertement en faveur du célibat. " Qu'ai-je dit qui approche de cela? En quoi donc, je vous prie, ai-je manqué, et que peut-on trouver de trop dur et de trop outré dans mes écrits? Lisez les commentaires de tous les auteurs dont je viens de parler ; cherchez dans les bibliothèques de toutes les Eglises, et vous serez pleinement convaincu de mon innocence.

J'apprends que vous êtes généralement estimé dans Rome; j'apprends que le pontife et le peuple jettent les yeux sur vous. Mériter la dignité du sacerdoce, c'est plus avantageux que de la posséder. Si vous voulez lire les seize livres des prophètes que j'ai traduits de l’hébreu en latin, et si cet ouvrage est de votre goût, cela m'engagera à publier mes autres écrits.

J'ai traduit aussi depuis peu en latin le livre de Job ; vous pourrez en emprunter un exemplaire à Marcella, votre parente. Tachez de le lire en grec et en latin ; comparez l'ancienne édition avec ma traduction, et vous verrez quelle différence il y a entre la vérité et le mensonge. J'avais envoyé au saint évêque Domnion quelques-uns de mes commentaires sur les douze prophètes et sur les quatre livres des Rois. Si vous les lisez, vous verrez combien il est difficile d'entendre l'Ecriture et surtout les Prophètes; vous verrez aussi que des passages très purs dans l'original fourmillent d'erreurs dans la traduction par la faute des traducteurs. Au reste, cette éloquence que vous méprisez dans Cicéron pour l'amour du Christ, ne la che; chez pas dans un auteur aussi ordinaire que moi. Un écrivain ecclésiastique, quand même il posséderait toutes les grâces du langage, doit les cacher et les dédaigner, afin de parler non point aux écoles oisives des philosophes ou à un petit nombre de disciples, mais à tous les hommes en général.


A DOMNION ET A ROGATIEN. DEFENSE DE SA TRADUCTION DES DIVERSES PARTIES DE L'ECRITURE.


Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 593.

Je ne sais pas encore ce qui est le plus difficile, ou de vous faire ce que vous me (499) demandez, ou de m'en dispenser; car d'un côté je ne puis vous refuser, et de l'autre, ce que vous me demandez me paraît si fort au-dessus de mes forces, qu'il faut nécessairement que je succombe sous un si pesant fardeau, même avant que de m'en charger. D'ailleurs je redoute la jalousie de mes envieux, qui croient devoir critiquer tous mes ouvrages, et qui, contre le témoignage de leur propre conscience, déchirent en public tout ce qu'ils lisent en secret. Ils m'obligent par leur injustice à m'écrier avec le prophète-roi: " Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse. " Vous ne cessez depuis trois ans de m'écrire lettres sur lettres pour m'engager à traduire d'hébreu en latin le livre d'Esdras; comme si vous n'aviez pas des exemplaires grecs et latins, ou comme si le sort de mes traductions, dès qu'elles commencent à paraître, n'était pas de passer par la critique publique. Or, comme dit un auteur, c'est être fou que de travailler jour et nuit pour se faire des ennemis.

Je vous prie donc de lire cette traduction en particulier et de ne la pas rendre publique. Il ne faut point forcer à manger des gens dégoûtés, ni s'exposer à la critique de ces esprits superbes, toujours prêts à censurer les autres, incapables eux-mêmes de rien produire. Que si quelques-uns de nos frères veulent bien lire mes ouvrages, vous pouvez leur donner une copie de celui-ci. Mais avertissez-les surtout de transcrire avec le plus d'exactitude et de netteté possibles les noms hébreux dont ce livre est tout rempli; car il serait inutile de l'avoir corrigé avec tant de soin, si les copistes ne le retranscrivaient pas fidèlement.

Au reste, on ne doit point s'étonner que je n'aie traduit qu'un livre d'Esdras, ni désirer avec empressement de voir le troisième et le quatrième, qui sont apocryphes et remplis de chimères ; car Esdras et Nehemias ne font qu'un seul livre selon les Hébreux, et on doit rejeter tout ce qui n'est pas dans leur canon, ni du nombre des vingt-quatre vieillards. Que si quelqu'un oppose à ma traduction celle des septante interprètes, dont tous les exemplaires sont défectueux, comme on peut en juger par la différence qu'il y a entre eux ( car, s'ils ne sont point conformes, ils ne peuvent être vérifiés), si, dis-je, quelqu'un oppose leur version à la mienne, renvoyez-le aux évangélistes, qui citent plusieurs passages comme de l'Ancien-Testament, et qui néanmoins ne se trouvent point dans les Septante ; tels sont ceux-ci : " II sera appelé Nazaréen. J'ai appelé mon fils d'Egypte. Ils verront celui qu'ils ont percé; " et plusieurs autres dont j'espère parler avec plus d'étendue dans un autre ouvrage. Demandez-lui d'où ces passages sont tirés, et comme il restera muet sur cela, lisez-les vous-même dans les traductions que j'ai données depuis peu au public, et qui sont l'objet de la critique de mes envieux.

Voici encore une raison à laquelle mes ennemis doivent se rendre, pour peu qu'ils soient équitables. S'il est vrai qu'il y ait dans mes traductions quelque chose qui ne se trouve point dans les exemplaires grecs, ou qui n'y soit pas entièrement conforme, pourquoi se déchaîner contre le traducteur? Qu'ils consultent les Hébreux, et que sur leur témoignage ils approuvent ou condamnent mes ouvrages. Mais peut-être se font-ils un plaisir de me calomnier sans sujet, et ne veulent-ils pas imiter le zèle et la reconnaissance des Grecs, qui, après la version des Septante et l'établissement de l'Evangile par toute la terre, ont lu avec soin l'Aucien-Testament traduit par des Juifs et des Ebionites; je veux dire par Aquila, par Symmaque et par Théodotien, et ont autorisé dans leurs Eglises ces traductions qu'Origène nous a données dans ses Hexaples. Avec combien plus de raison les Latins doivent-ils être contents de voir la Grèce, cette fière nation, venir leur emprunter quelque chose? Car premièrement il en coûte beaucoup pour avoir tous les exemplaires grecs; de plus, ceux qui les ont et qui n'entendent pas l'hébreu s'égarent de plus en plus, incapables de distinguer quelle est la plus exacte de toutes ces différentes versions. C'est ce qui est arrivé depuis peu à un des plus savants hommes de la Grèce, qui, s'écartant quelquefois du véritable sens de l'Ecriture, tombait aveuglément dans les erreurs de chaque interprète. Pour moi, qui sais quelque peu d'hébreu et qui parle assez bien latin, j'ose me flatter de pouvoir juger des ouvrages des autres et exprimer en notre langue ce que je conçois. Que l'hydre donc siffle tant qu'elle voudra, et que Sinon, ce superbe vainqueur, réduise tout en poussière : le Christ aidant, je ne me tairai jamais ; et dût-on me couper la langue, je ne laisserais pas de bégayer encore. Que ceux qui (500) voudront lire mes ouvrages, les lisent ; que les autres les rejettent avec mépris, si cela leur plaît; qu'ils les examinent avec la dernière sévérité, et qu'ils en critiquent les lettres et les points même. Votre amitié me portera plus à l'étude de l'Ecriture sainte, que leur haine ne m'en détournera.


A CHROMATIUS ET A HELIODORE, SUR LA TRADUCTION DES TROIS LIVRES DE SALOMON.


Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 393.

Que ma lettre réunisse ceux que réunit le sacerdoce, et que le papier ne divise pas ceux qui sont unis par l'amour du Christ. Vous demandez des commentaires sur les prophètes Osée, Amos, Zacharie et même Malachie : je les aurais écrits si ma santé me l'eût permis. Vous m'envoyez de quoi subvenir aux frais des secrétaires et des copistes, afin que je travaille spécialement pour vous.

Mais des demandes m'arrivent en foule de toutes parts, comme si je pouvais travailler à la fois pour les autres et pour vous qui attendez après le résultat de mes travaux, ou comme si, sous le rapport de la reconnaissance, je ne vous devais pas plus qu'à tout autre. C'est pourquoi, bien qu'affaibli par une longue maladie, pour ne pas rester cette année sans rien faire, et pour ne pas garder le silence à votre égard, je vous ai dédié un travail de trois jours, savoir : la traduction des trois livres de Salomon; Misle que les Hébreux appellent Paraboles, et qu'on nomme vulgairement Proverbes; Coeleth, que nous pouvons appeler en grec Ecclésiaste, et en latin Harangue ; sir Hasirim qui dans notre langue signifie Cantique des Cantiques. Le livre de Jesu, fils de Sirach, passe pour être fort remarquable; quant à celui qu'on appelle la Sagesse de Salomon, il porte un faux titre. J'ai vu que le titre du premier n'était pas en hébreu l'Ecclésiastique, comme chez les Latins, mais Proverbes. L'Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques lui étaient joints afin de se rapprocher de Salomon non-seulement par le nombre des ouvrages, mais par le même genre de sujets. Le second ne se trouve nulle part chez les Hébreux, aussi a-t-il un parfum d'éloquence grecque; et cependant quelques-uns

des anciens auteurs affirment qu'il est du Juif Philon. C'est comme les livres de Judith, de Tobie et des Machabées que l'Eglise lit à la vérité, mais ne reçoit pas au nombre des livres canoniques. Il en est de même pour ces deux ouvrages que l'Eglise admet pour l'édification du peuple et non pour confirmer l'autorité de ses dogmes. Si quelqu'un aime mieux l'édition des Septante, il a celle que j'ai revue; car je ne compose pas de nouveaux ouvrages pour détruire les anciens.


A SAINT PAULIN. SUR L’ETUDE DES LIVRES SACRES.


Sa nécessité et son importance. — Eloge de Platon. — Réputation de Tite-Live. — Le Pentateuque. — Le livre des Lois. — Les livres de Salomon. — Les Prophètes. — Les quatre Evangélistes. — Les Actes des Apôtres. — Les épîtres de saint Paul. — L'Apocalypse.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 394.

J'ai reçu de notre frère Ambroise, avec vos présents, une lettre qui m'a causé un véritable plaisir; car, quoique votre amitié commence, on aperçoit en vous toute la fidélité d'un vieil ami. En effet, l'amitié n'est jamais plus sincère et plus solide que lorsqu'elle est fondée, non pas sur aucun intérêt temporel, sur la seule présence des amis, sur d'indignes flatteries, sur des complaisances affectées, mais sur la crainte du Seigneur et sur l'amour des saintes Ecritures.

Nous lisons dans les anciens historiens qu'il y a eu des hommes qui ont parcouru les provinces, voyagé parmi les nations étrangères et passé les mers, afin de voir de leurs propres yeux des personnages célèbres qu'ils ne connaissaient que par leurs ouvrages. Pythagore, par exemple, alla consulter les sages de Memphis; Platon vint à Tarente écouter Architas, après avoir parcouru, avec beaucoup de peines, l'Egypte et toute cette côte d'Italie appelée autrefois la Grande-Grèce. Quoique maître et puissant à Athènes, où sa doctrine était reçue dans toutes les écoles de l'académie, il se fit voyageur et disciple; aimant mieux écouter les autres avec modestie que de répandre ses opinions par vanité. Enfin tandis qu'il cherchait avec empressement des connaissances qui semblaient se dérober à son zèle et à ses poursuites (501), il fut pris et vendu par des pirates; mais, quoique esclave d'un barbare qui le chargea de chaînes et qui lui fit sentir toutes les rigueurs d'une dure captivité, néanmoins la vertu et la sagesse dont il faisait profession le rendirent supérieur à celui qui l'avait acheté.

Nous lisons aussi que des personnes illustres vinrent à Rome, des extrémités de l'Espagne et des Gaules, attirées non point par la magnificence de cette grande ville, mais par l'immense réputation de Tite-Live, dont les écrits purs et éloquents occupaient les hommes distingués. Il y eut alors un spectacle extraordinaire et admirable; ce fut de voir dans Rome, cette ville immense et si célèbre, des gens qui venaient y chercher une réputation plus grande que la sienne même.

Apollonius, soit qu'il fut magicien, comme on le croit communément, soit qu'il fût philosophe, comme les disciples de Pythagore le prétendent, parcourut la Perse, le mont Caucase, l'Albanie, la Scythie, les pays des Messagètes et les riches royaumes des Indes; et après avoir passé le Gange, il alla chez les Brachmanes (1) pour entendre Hiarchas (2) qui, assis sur un trône d'or et buvant de l'eau de la fontaine de Tantale, enseignait à un petit nombre d'écoliers les secrets de la nature, le mouvement des astres et le cours journalier du soleil. De là il passa chez les Elamites, les Babyloniens, les Chaldéens, les Mèdes, les Assyriens et les Parthes, visita la Syrie, la Phénicie, l'Arabie, la Palestine; et, de retour à Alexandrie, il alla en Ethiopie voir les Gymnosophistes (3), et cette fameuse table du soleil (4) qui est au milieu des

(1) C'est le nom que les Indiens donnaient à leurs sages et à leurs philosophes.

(2) Philostrate, lib. 3, cap. 7, dit qu'il y avait dans l'école de Marchas une statue qui représentait Tantale, tenant à sa main une coupe pleine d’eau, dont ces philosophes buvaient avant de se coucher. Saint Jérôme l'appelle une fontaine, parce que, selon le même auteur, cap. X, cette coupe se remplissait à mesure qu'on la vidait.

(3) C'est ainsi que les Egyptiens appelaient leurs philosophes et leurs sages.

(4) Voici ce que Hérodote, lib. III, nous apprend de celte fameuse table du soleil : " On dit que la table du soleil est une prairie tiers d'une ville, où l'on trouve tous les malins de la chair rôtie de toutes sortes d'animaux à quatre pieds, que les magistrats de la même ville y font porter pendant la nuit,et que, quand il est jour, il est permis à chacun d'y venir faire bonne chère, les habitants du pays soutiennent que la terre produit ces viandes toutes les nuits, et c'est ce qu'on appelle la table du soleil! "

sables. Il trouvait partout quelque chose de nouveau à apprendre, et ne cherchait qu'à faire des progrès dans les sciences et dans la vertu. C'est ce que nous apprend l'histoire de sa vie, que Philostrate a écrit fort au long en huit livres.

Mais pourquoi m'arrêter ici aux exemples des auteurs profanes? Saint Paul, ce vaisseau d'élection, ce docteur des nations, fortifié par la présence de celui qu'il portait au dedans de lui-même, ne disait-il pas avec confiance: " Est-ce que vous voulez. éprouver la puissance de Jésus-Christ, qui parle par ma bouche? " Après avoir demeuré longtemps à Damas, et parcouru toute l'Arabie, n'alla-t-il pas à Jérusalem pour conférer avec saint Pierre, chez qui il demeura quinze jours, afin de s'instruire durant ce temps-là de l'Evangile qu'il prêchait aux Gentils? Quatorze ans après, ayant quitté Tite et Barnabé, il alla encore à Jérusalem pour rendre compte aux apôtres de l'Evangile qu'il prêchait, afin de profiter de de ce qu'il avait déjà fait ou de ce qu'il lui restait à faire dans le cours de son ministère. En effet, les instructions que l'on donne de vive voix ont je ne sais quelle vertu secrète qui touche et persuade tout à la fois; et lorsqu'elles viennent d'un maître habile, elles font sur l'esprit et le coeur de ceux qui l'entendent de plus vives impressions. De là vient qu'Eschine, étant exilé à Rhodes, et entendant lire la harangue que Démosthène avait composée contre lui, dit en soupirant à ceux qui louaient et admiraient cette pièce : "Que serait-ce, hélas ! si vous aviez entendu cet orateur prononcer lui-même son plaidoyer? "

Quand je parle de la sorte, ce n'est pas que je me pique de savoir quelque chose qui soit digne de vos recherches ou de votre attention ; mais c'est qu'indépendamment de ce que vous espérez de moi, je crois devoir louer votre zèle ardent pour l'étude. Car un esprit docile est toujours digne de louanges, bien qu'il n'ait point de maître pour le former. Je n'examine pas tant ce que je puis l'aire pour vous que ce que vous attendez de moi. Une cire molle, quoique informe, contient en elle-même toutes les figures qu'un habile ouvrier peut lui donner. L'apôtre saint Paul se fait gloire d'avoir appris la loi de Moïse et les prophètes aux pieds de Gamaliel, de sorte que, muni de ces armes spirituelles, il put ensuite dire avec (502) confiance: " Les armes de notre milice ne sont point matérielles, mais puissantes en Dieu pour renverser les remparts qu'on leur oppose: c'est avec ces armes que nous détruisons les raisonnements humains, comme tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu, et que nous réduisons en servitude tous les esprits, pour les soumettre à l'obéissance de Jésus-Christ, ayant. en main le pouvoir de dompter tous les rebelles. " Le même apôtre exhorte Timothée, qui dès ses plus tendres années avait été élevé dans l'étude des saintes Ecritures, à s'appliquer sans cesse à cette divine lecture, pour ne pas négliger la grâce qu'il avait revue par l'imposition des mains. Après avoir tracé à Tite le portrait d'un évêque et des vertus qu'il doit posséder, il lui ordonne de n'élever à cette haute dignité que ceux qui joindront à toutes ces vertus la science de l'Ecriture sainte. " Il faut, " dit-il, " qu'un évêque soit fortement attaché à la parole de vérité, telle qu'on la lui a enseignée, pour exhorter selon la saine doctrine et convaincre ceux qui s'y opposent. "

En effet un ignorant, quelque vertueux qu'il puisse être d'ailleurs, n'est bon que pour lui-même ; et s'il ne s'oppose pas à ceux qui attaquent l’Eglise de Dieu, il lui nuit autant par son ignorance qu'il l'édifie par sa vertu. " Allez demander aux prêtres l'explication de la loi, " dit Aggée, ou plutôt le Seigneur par la bouche de ce prophète: tant il est vrai qu'un prêtre est obligé, par son ministère, de répondre à toutes les questions qu'on lui adresse sur la loi de Dieu. " Interrogez votre père, et il vous enseignera; interrogez vos anciens et ils vous instruiront. " Et dans le psaume cent dix-huitième : " Je chante votre sainte loi dans le lieu de mon pèlerinage. " David, après le portrait de l'homme juste et l'éloge de ses vertus, le compare à l'arbre de vie qui est dans le paradis, et ajoute : " Il met toute son affection dans la loi du Seigneur, et il la médite jour et nuit. " Daniel, à la fin de sa vision, dit que les justes brillent comme les étoiles, et que les savants sont semblables au tir manient. Vous voyez par là quelle différence il y a entre un homme vertueux, privé de lumières, et un homme qui sait allier la vertu à la science; puisque le prophète compare celui-là aux étoiles, et celui-ci au firmament. On peut néanmoins, en suivant le texte hébreu, entendre l'un et l'autre de ceux qui se distinguent par leur science, car voici son sens: " Les savants brilleront d'un éclat pareil au firmament, et ceux qui apprennent aux autres les voies de la justice brilleront comme des astres durant toute l'éternité. "

Pourquoi saint Paul a-t-il été appelé " vaisseau d'élection? " N'est-ce point parce qu'il était rempli de la loi de Dieu et de la science des saintes Ecritures? Les pharisiens étaient tout surpris d'entendre Jésus-Christ parler des choses de Dieu avec tant de sagesse, et ils admiraient la connaissance de la loi dans saint Pierre et saint Jean,qui n'avaient jamais étudié. Mais le Seigneur, comme parle l'Ecriture, les instruisait lui-même, et le Saint-Esprit leur inspirait, ce que les autres n'apprennent que par de longues méditations et. un travail continuel. Le Fils de Dieu, avant atteint. l'âge de douze ans, alla au temple, et proposa aux anciens quelques difficultés sur la loi, mais avec tant de sagacité, que les questions qu'il leur fit lurent autant d'instructions pour eux. Saint Pierre et saint Jean étaient des hommes ignorants, eux qui pouvaient dire l'un et l'autre: " Si je suis peu habile dans l'art de parler, il n'en est pas de même pour la science. " Saint Jean n'était-il pas un homme rustique et un pauvre pêcheur? D'où venaient donc, je vous prie, ces belles paroles : " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. " Car ce mot " Verbe" signifie en grec plusieurs sortes de choses; on le prend tantôt pour la " parole, " tantôt pour la " raison; " quelquefois il veut dire " supputation, " ou la " cause universelle de tous les êtres. " Or toutes ces expressions conviennent parfaitement à Jésus-Christ.

Ces grandes vérités ont été inconnues aux Platon et aux Démosthènes. " Je perdrai, " dit Dieu, " la sagesse des sages et je réprouverai la science des savants. " La véritable sagesse confondra la fausse prudence des hommes. Quoique la prédication de la croix paraisse une folie aux yeux du monde, néanmoins saint Paul prêche la sagesse aux parfaits : " Non la sagesse de ce monde ni des princes de ce monde qui se détruisent, mais la sagesse de Dieu, cette sagesse cachée dans le mystère et prédestinée avant tous les siècles. " Ce que saint Paul dit ici de la sagesse de Dieu, (503) il faut l'appliquer à Jésus-Christ; car il est la vertu et la sagesse de Dieu. Or cette sagesse est cachée dans le mystère; de là vient que David a intitulé le neuvième psaume : " Pour les secrets du Fils, " c'est-à-dire, de ce Fils qui a en lui tous les trésors de la science et de la sagesse, et qui, caché dans le mystère, a été prédestiné avant tous les siècles et représenté sous la figure de la loi et des prophètes. C'est pour cela qu'on appelait ceux-ci " voyants, " parce qu'ils voyaient celui qui était caché et inconnu à tous les autres. Abraham vit le jour de ce divin Sauveur, et il s'en réjouit. Le ciel fut ouvert à Ezéchiel, tandis qu'il était fermé à un peuple pécheur. " Otez le voile de dessus mes yeux, " disait David, " afin que je puisse contempler les merveilles de votre loi. " Comme la loi de Dieu est spirituelle, nous avons besoin de la révélation pour comprendre Dieu et contempler sa gloire face à face.

Saint Jean parle, dans son Apocalypse, d'un livre fermé avec sept sceaux. " Donnez ce livre à un homme qui saura lire, il vous répondra Je ne saurais le lire, parce qu'il est fermé. " Combien en voyons-nous aujourd'hui qui se flattent d'être savants, et qui ne sauraient ouvrir ce livre scellé, à moins qu'il ne leur soit ouvert par celui " qui a la clef de David, laquelle ouvre ce que personne ne peut fermer, et ferme ce que personne ne peut ouvrir. " Nous lisons dans les Actes des Apôtres, que saint Philippe ayant demandé à l'eunuque de la reine d'Ethiopie, qui lisait le prophète Isaïe, s'il entendait bien ce qu'il lisait, cet homme (car c'est ainsi que l'Ecriture le désigne) répondit : " Comment puis-je l'entendre si quelqu'un ne m'en donne l'intelligence? " Pour moi ( s'il faut en parler), je n'ose me flatter d'être ni plus saint, ni plus attaché à l'étude de l'Ecriture que cet eunuque qui quitta la cour et vint du fond de l'Ethiopie, c'est-à-dire des extrémités du monde, visiter le temple de Jérusalem, et qui était si passionné pour la science de la loi de Dieu et des saintes Ecritures qu'il les lisait même sur son char. Mais quoiqu'il eût le livre entre les mains, qu'il entendît bien les paroles du prophète, et qu'il les répétât souvent, néanmoins il ne savait quel était celui qu'il ado. rait dans ce livre sans le connaître. Saint Philippe, l'ayant abordé, lui fit connaître Jésus-Christ, qui était caché sous les paroles qu'il lisait. Admirez ici les avantages qu'on peut tirer des instructions d'un habile maître. Cet officier dans un même moment croit à Jésus-Christ, reçoit le baptême, entre parmi les fidèles, devient maître de disciple qu'il était, et trouve dans les eaux sacrées de l'Eglise, quoique peu fréquentées alors, ce qu'il avait inutilement cherché dans le magnifique temple de la synagogue.

Comme les bornes d'une lettre ne me permettent pas de m'étendre plus au long sur ce sujet, je me contente de vous dire ceci en passant, pour vous faire comprendre que vous avez besoin d'un maître dans l'étude des saintes Ecritures, et que vous ne devez point vous engager sans guide dans des routes si difficiles. Je ne dis rien ici des grammairiens, des orateurs, des philosophes, des géomètres, des astronomes, ni des médecins, dont la science est si utile aux hommes, et dans laquelle on distingue les règles, la méthode et la pratique; je ne parle que des arts mécaniques, où l'on se sert plus de la main que de la langue. Tous ceux qui exercent quelque métier, comme laboureurs, maçons, forgerons, charpentiers, drapiers, tous ces ouvriers ne sauraient jamais se rendre habiles dans leur profession sans le secours d'un maître.

Le médecin s'en tient à son art, le forgeron à sa profession; il n'y a que la science de l'Ecriture sainte dans laquelle chacun veut être maître. Ignorants et savants, tous se mêlent d'écrire.

Une vieille femme qui bavarde sans cesse, un vieillard qui radote, un sophiste qui ne sait se taire, tous se piquent d'entendre la sainte Ecriture. Chacun la commente de son côté, et prétend l'enseigner avant de l'avoir apprise. Les uns, prenant un air de pédant et un ton de professeur, agitent, dans un cercle de femmes, les questions les plus difficiles; quelques-uns n'ont point honte d'apprendre des femmes même ce qu'ils doivent enseigner aux autres. Ils portent même leur impudence plus loin; car, enorgueillis de leur facilité à s'exprimer, ils viennent effrontément montrer aux autres ce qu'ils n'entendent pas eux-mêmes. Je ne parle point de ceux qui, comme moi, s'appliquent à l'étude de l’Ecriture sainte, après avoir étudié les lettres humaines; s'ils plaisent à leurs auditeurs par un style élégant et recherché, ils prétendent (504) qu'on doit recevoir tout ce qu'ils disent, 1 comme s'il sortait de la bouche de Dieu même; et sans se mettre en peine d'expliquer le véritable sens des prophètes et des apôtres, ils font violence aux passages de l'Ecriture pour la concilier avec leurs propres idées, comme si c'était quelque chose de grand, ou plutôt comme si ce n'était pas une faute très grave de l'altérer et de lui donner un sens forcé. C'est ainsi que certains auteurs, accommodant à leurs idées les vers d'Homère et de Virgile, en ont composé des ouvrages qu'on appelle Centons. On pourrait, d'après cela, faire de Virgile un chrétien, tout païen qu'il était, parce qu'il a dit : " Déjà la Vierge est de retour, et l'âge d'or revient aussi. C'est le ciel qui nous a donné l'enfant qui vient de naître (1). "

On pourrait mettre ces paroles dans la bouche de l'Eternel : " Mon Fils, vous êtes seul et ma force et ma puissance (2). "

On pourrait dire du Sauveur, parlant du haut de la croix où il était attaché : " Il parle de la sorte et cependant il reste immobile (3). "

Que toutes ces applications sont puériles! Ne faut-il pas être un charlatan pour entreprendre d'enseigner aux autres ce qu'on ignore, ou plutôt (car je rie puis m'empêcher de traiter ici des hommes de ce caractère avec toute l'indignation qu'ils méritent) pour ne pas se convaincre soi-même de sa propre ignorance?

Quoi donc? est-ce qu'il n'y a aucune difficulté dans le livre de la Genèse, qui comprend l’histoire de la création du monde, de la formation de l'homme, de la division de la terre, de la confusion des langues, et de l'entrée des Hébreux en Egypte? N'en trouve-t-on point dans l'Exode, où il est parlé des dix plaies dont le Seigneur frappa Pharaon, du Décalogue et, des commandements de Dieu, qui renferment tant de mystères? Le Lévitique est-il si aisé

(1) Ces vers sont de la Sibylle de Cumes, qui prédisait par là la naissance du Sauveur: Virgile s'en est servi pour célébrer la naissance de Pollio, arrivée au moment où Asinus Pollio, son père, venait de faire la paix entre Auguste et Marc-Antoine. Par le nom de Vierge, le poète entend la justice ou Astrée, fille de Jupiter et de Thémis. Mais ceux dont parle ici saint Jérôme appliquaient ces paroles à la sainte Vierge, mère de Jésus-Christ

(2) C'est ainsi que Virgile fait parler Vénus à son fils Cupidon.

(3) Le poète parle d'Anchise, qui refusait de suivre son lits Enée et de se dérober aux malheurs de sa patrie.

à comprendre? Le nombre des sacrifices, les habits du grand-prêtre, les différents emplois des Lévites, les syllabes même de ce livre divin, tout y est mystère. Le livre des Nombres n'est-il pas tout mystérieux, soit dans le dénombrement du peuple, soit dans la prophétie de Balaam, soit dans les quarante-deux campements que les Israélites firent dans le désert? Le Deutéronome, une seconde loi et figure de l'Evangile, ne renferme-t-il pas ce qui a été dit dans les autres livres, de manière cependant qu'il semble être un livre tout nouveau? Ce sont là les cinq livres de Moïse, qu'on appelle le Pentateuque, et qui sont comme les cinq paroles que l'apôtre saint Paul se fait gloire de prononcer dans l'assemblée des fidèles.

Combien de mystères Job, ce beau modèle de patience, n'a-t-il pas renfermés dans le livre qui porte son nom (1) ? Le commencement et la fin de ce livre sont en prose, et le reste en vers. L'auteur y observe exactement toutes les règles de la dialectique, proposant d'abord le sujet de son discours, le prouvant ensuite par des raisonnements, le fortifiant par des autorités et tirant enfin des conclusions. Toutes les expressions sont vives et pathétiques, et il parle surtout de la résurrection des morts d'une manière si claire et si positive que jamais personne ne s'en est mieux expliqué. "Je sais, " dit-il, " que mon rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour, que je verrai mon Dieu dans ma chair; que je le verrai, dis-je, moi-même, et non un autre, et que je le contemplerai de mes propres yeux. C'est là l'espérance que j'ai, et qui repose toujours dans mon coeur. "

Venons à Josué, fils de Navé, figure de Jésus-Christ, non-seulement par ses actions, mais encore par son nom. Il passe le Jourdain, il se rend maître du pays ennemi, il le divise entre les Israélites victorieux, et, par le partage qu'il fait des villes, des bourgs, des montagnes, des fleuves, des torrents et des frontières de la Palestine, il nous représente une image du royaume

(1) Saint Jérôme explique lui-même cet endroit dans sa préface sur le livre de job; car il dit que les deux premiers chapitres de ce livre sont en prose ; que, depuis le troisième verset du troisième chapitre jusqu'au septième verset du chapitre quarante-deuxième, ce sont des vers composés de dactyles et de spondées; et que le reste du quarante-deuxième chapitre, par où le livre finit, est en prose.

505

spirituel de l'Eglise, et de la Jérusalem céleste.

Tous les gouverneurs du peuple d'Israël, dont il est parlé dans les livres des Juges, sont autant de figures des choses futures. Nous voyons dans Ruth, qui était Moabite, l'accomplissement de cette prophétie d'Isaïe : " Seigneur, envoyez l'agneau dominateur de la terre, de la pierre du désert, à la montagne de la fille de Sion. "

Les livres (1) de Samuel nous montrent, dans la mort d'Héli et de Saül, une figure de l'abolition de l'ancienne loi, et nous représentent en la personne du grand-prêtre Sadoch et du roi David l'établissement d'un nouveau sacerdoce et d'un nouvel empire. Le troisième et le quatrième livre des Rois, que les Hébreux appellent " Malachim, " contiennent l'histoire des rois de Juda, depuis Salomon jusqu'à Jéchonias, et des Rois d'Israël, depuis Jéroboam fils de Nabat, jusqu'à Osée, qui fut mené captif à Babylone.

Si vous vous arrêtez à l'histoire, le récit en est très simple; si, au contraire, vous vous arrêtez à l'esprit caché sous la lettre, vous v verrez et le petit nombre de fidèles, et les guerres des hérétiques contre l'Eglise.

Les douze prophètes contenus en un seul volume renferment un bien autre sens que le sens littéral.

Osée parle souvent d'Ephraïm, de Samarie, de Joseph, de Jezraël, de la prostituée et de ses enfants, de la femme adultère enfermée dans la chambre de son mari, restée longtemps seule et attendant son retour vêtue d'habits de deuil.

Joël, fils de Phatuel, nous montre les terres des douze tribus ravagées par les chenilles, les vers, la nielle et les sauterelles ; puis, après la ruine de l'ancien peuple, la descente du Saint-Esprit sur les serviteurs et les servantes de Dieu, c'est-à-dire la descente du Saint-Esprit sur les cent vingt croyants réunis dans le cénacle de Sion. Or ce nombre de cent vingt, si l'on compte en multipliant depuis un jusqu'à quinze, amène le nombre de quinze degrés renfermé mystérieusement dans le livre des psaumes.

Amos, berger, paysan, qui cueillait des

(1) C'est ce que nous appelons les deux premiers livres des Rois.

mures sauvages, ne peut être connu en quelques lignes; car qui peut nous mettre dans le secret de trois ou quatre crimes de Damas, de Gaza, de Tyr, de l'Idumée, des fils d'Ammon, de Moab, et en dernier lieu de Juda et d'Israël ? Ce prophète s'adresse à des vaches grasses de la montagne de Samarie et à la grande et petite maison dont il prédit la ruine. Il voit tantôt celui qui produit les sauterelles; tantôt le Seigneur se tenant sur une muraille crépie, ou de diamant; tantôt un crochet servant à faire tomber les fruits, figure énergique des supplices que les pécheurs se préparent, et de la faim qui domine en ce monde, non la faim du pain ni la soif de l'eau, mais la soif de la parole de Dieu.

Abdias, qui veut dire " esclave de Dieu, " s'élève contre Edom, cet homme de terre et de sang, et il frappe moralement cet incessant ennemi de Jacob.

Jonas, qui signifie une belle colombe, représentant par son naufrage la Passion du Sauveur, appelle, sous le nom de Ninive, le monde à la pénitence et annonce le salut aux nations.

Michée de Morasthi, cohéritier de Jésus-Christ, prédit à la fille du voleur ( Jérusalem) son pillage; il en fait en quelque sorte le siège, pour avoir frappé à la joue le prince d'Israël.

Nahum, consolateur de l'univers, apostrophe la ville de sang (Ninive), et, après sa ruine qu'il annonce, il s'écrie : " Voilà, sur la montagne, les pieds de celui qui apporte la bonne nouvelle et annonce la paix. "

Habacuk, lutteur fort et vigoureux, se tient sur ses gardes, et fixe sa lance sur la muraille pour contempler le Christ sur la croix et dire " Sa gloire a couvert les cieux, et la terre est remplie de ses louanges; sa splendeur est éclatante comme la lumière, sa force est dans ses mains; c'est là que réside sa puissance. "

Sophonias, méditateur et connaisseur des secrets de Dieu, entend un grand cri à la porte aux poissons, un gémissement à la seconde porte, et le bruit du carnage sur les collines. Il exhorte les habitants, qui devaient être pilés comme dans un mortier, à pousser des hurlements; " car, " dit-il, " toute la race de Chanaan est réduite au silence, et tous les hommes couverts d'argent ont péri. "

Aggée, c'est-à-dire " solennel et joyeux, " qui a semé dans les larmes pour recueillir dans (506) la joie, rétablit le temple et fait aussi parler Dieu le Père : " Encore un peu de temps et j'ébranlerai le ciel et la terre, la mer et l'espace, et je remuerai tous les peuples, et le Désiré de toutes les nations viendra. "

Zacharie, qui signifie "souvenir du Seigneur, " offre plusieurs prophéties; il voit Jésus revêtu d'habits sales, une pierre qui a sept yeux, un chandelier d'or à sept branches, et deux oliviers à droite et à gauche; des chevaux roux, blancs, tachetés; les chariots d'Ephraïm dispersés, un cheval chassé de Jérusalem; puis il présage la venue d'un roi pauvre, monté sur le poulain d'une ânesse qui est sous le joug.

Malachie, ce dernier de tous les prophètes, parlant ostensiblement de la réprobation des Juifs et de la vocation des Gentils, dit : " Ma volonté n'est point pour vous, " dit le Seigneur Dieu des armées, " et je ne recevrai point de présents de votre main; car, depuis l'Orient jusqu'à l'Occident, mon nom est grand parmi les nations, et l'on m'offre en tous lieux des sacrifices purs. "

Qui peut comprendre ou expliquer Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel ? Quant, au premier, il me parait plutôt rapporter l'Evangile que faire une prophétie.

Le second voit une baguette de coudrier, une chaudière enflammée du côté de l'aquilon, et un léopard dépouillé de ses couleurs; et il fait quatre sortes de vers au moyen de l'alphabet.

Le troisième a de si grandes obscurités à son commencement et à sa fin, que les Hébreux ne pouvaient le lire, avec le commencement de la Genèse, avant l'âge de trente ans.

Le quatrième, ce dernier des quatre grands prophètes, qui a la connaissance des temps et de toute l'histoire du monde, prédit d'une manière claire qu'une pierre, se détachant d'elle-même d'une montagne, renversera tous les royaumes de la terre.

David, notre Simonide, notre Pindare, notre Alcée, notre Horace, notre Catulle et notre Serenus, chante la gloire de Jésus-Christ sur la lyre, et sa résurrection sur un instrument à dix cordes.

Salomon, le pacifique, le bien-aimé du Seigneur, nous trace des règles de conduite, nous instruit de la nature des choses, célèbre l'union de Jésus-Christ avec l'Eglise, et chante l'épithalame de ces noces sacrées.

Le livre des Paralipomènes, abrégé de l'Ancien-Testament, est d'une si haute importance qu'il y aurait folie à vouloir sans lui connaître l'Ecriture; car, par les noms et la liaison même des mots, on éclaircit quelques points d'histoire omis dans le livre des Rois, ou les nombreuses questions de l'Evangile.

Esdras et Nehemias, suscités parle Seigneur dans l'intérêt du peuple, sont renfermés dans un volume qui traite de la restauration du temple et du rétablissement des murailles de la ville. Le dénombrement de tout le peuple qui revient en foule dans sou pays, des prêtres, des Lévites, des prosélytes, et des travaux publics distribués à chaque famille, offre un sens littéral et un sens spirituel.

Emporté par l'amour de l'étude des saintes Ecritures, j'ai dépassé, comme vous le voyer, les bornes d'une lettre, et cependant je n'ai pas encore fait ce que j'ai voulu. J'ai seulement indiqué ce que nous devons connaître et ce que nous devons désirer, afin que nous puissions dire aussi avec David : " Mon âme désire de méditer votre loi en tout temps. " Au reste, ce mot de Socrate nous convient: " Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien. "

Je parlerai aussi, mais en peu de mots, du Nouveau-Testament. Mathieu, Marc, Luc et Jean sont le chariot du Seigneur et de véritables chérubins, c'est-à-dire la plénitude de la science. " Tout leur corps, " comme dit le prophète Ezéchiel, " est plein d'yeux ; ils brillent comme des étincelles, ils éclatent en l'air comme la foudre, ils ont les pieds droits et tendant à s'élever, ils ont des ailes par-derrière et volent partout, ils se tiennent réciproquement, sont attachés l'un à l'autre, et entraînés comme une roue par une autre roue; ils s'avancent partout où les emporte l'inspiration du Saint-Esprit. "

L'apôtre saint Paul a écrit à sept Eglises (car beaucoup n'admettent pas sa lettre aux Hébreux). Il instruit Timothée et Tite, et demande à Philémon la grâce d'un esclave fugitif. Mais je crois qu'il vaut mieux ne rien dire de cet apôtre, que de n'en pas parler assez.

Les Actes des Apôtres ne semblent d'abord qu'une histoire fort simple, celle du commencement de l'Eglise; mais si nous remarquons que son auteur est Luc, médecin, qui s'est illustré par son Evangile, nous verrons que (507) toutes ses paroles sont un remède pour les âmes malades.

Les apôtres saint Jacques, saint Pierre, saint Jean et saint Jude, ont écrit sept lettres aussi mystérieuses que concises, brèves et longues tout à la fois, brèves en paroles, mais pleines d'idées : de sorte qu'il y a peu de personnes qui les comprennent bien.

L'Apocalypse de saint Jean compte autant de mystères que de mots, c'est même peu dire de cet ouvrage; et l'éloge est ici au-dessous du livre, dont chaque parole renferme un sens différent.

Je vous le demande, très cher frère, vivre au milieu de ces livres, les méditer, les connaître et ne chercher qu'eux, cela ne vous semble-t-il pas constituer, sur la terre, un avant-goût du bonheur du ciel ?

Je ne veux pas que vous soyez blessé de la simplicité et comme de la familiarité du style de l'Ecriture sainte, familiarité qui vient ou de la faute ou peut-être du système des interprètes, qui ont l'ait leur traduction pour la mettre à la portée des intelligences ordinaires, et pour la faire comprendre, quoique d'une manière différente, du savant comme de l'ignorant.

Quant à moi, je ne suis ni assez vain ni assez inconsidéré pour me vanter de connaître à fond les livres sacrés, et pour cueillir les fruits d'un arbre qui a ses racines dans le ciel; mais j'avoue en avoir la volonté. Je me préfère à celui qui reste oisif, je ne fais pas le professeur, je m'offre seulement comme camarade d'étude. " On donne à celui qui demande, on ouvre à celui qui frappe, et celui qui cherche trouve, " dit l'évangile de saint Mathieu.

Apprenons donc, sur la terre, la science qui nous restera dans le ciel. Je vous recevrai à bras ouverts ; et tout ce que vous chercherez, quoique je me laisse peut-être, comme Hermagoras, emporter à ma vanité, je tâcherai de l'apprendre avec vous.

Votre cher frère Eusèbe, qui est ici, a ajouté à la joie que m'a causée votre lettre par ce qu'il m'a dit de la douceur de vos moeurs, de votre mépris pour le siècle, de la constance de votre amitié, et de votre amour pour Jésus-Christ. Quant à votre prudence et à votre éloquence, votre lettre me les faisait assez connaître; hâtez-vous, je vous prie, et, au lieu de lever l'ancre, coupez plutôt le câble qui retient votre vaisseau, Celui qui a renonce au siècle et est décidé à vendre les biens qu'il méprise ne doit pas chercher à les bien vendre; tout ce que vous perdrez, regardez-le comme un bénéfice. Les anciens ont dit : " Ce que l'avare possède lui fait défaut aussi bien que ce qu'il ne possède pas. "

" Le croyant a tout un monde de richesses, l'incroyant manque même d'une obole. " Vivons comme n'ayant rien et possédant tout. La nourriture et le vêtement sont les richesses des chrétiens. Si vous êtes maître de votre bien, vendez-le, sinon abandonnez-le. Laissez votre manteau à celui qui veut prendre votre tunique.

Pourquoi différer de jour en jour l'exécution de votre dessein? Appréhendez-vous que Jésus-Christ n'ait pas de quoi nourrir les pauvres, si vous n'avez soin de vendre peu a peu tout ce que vous possédez? On donne tout à Dieu quand on se donne soi-même. Les Apôtres n'abandonnèrent que leur barque et leurs filets. Les deux petites pièces de monnaie que la veuve de l'Evangile mit dans le tronc furent plus agréables aux yeux de Dieu que les richesses d'un Crésus. Celui-là méprise facilement tout qui pense toujours à la mort.



Jérôme - Lettres - A MARCELLA. SUR UN OUVRAGE DE RHETICIUS, EVEQUE D'AUTUN.