Jérôme - Lettres - A THEOPHILE, PATRIARCHE D'ALEXANDRIE.

A THEOPHILE, PATRIARCHE D'ALEXANDRIE.


Jérôme félicite Théophile d'avoir enfin condamné les origénistes.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 399.

J'ai reçu depuis peu les lettres que votre béatitude a bien voulu m'adresser, dans lesquelles, après m'avoir fait d'obligeants reproches du silence que je garde depuis longtemps, elle m'exhorte à lui écrire à mon ordinaire. Ainsi, quoique vous ne m'ayez point écrit par nos saints frères Priscus et Eubulus, cependant, comme je suis témoin du courage et du zèle avec lesquels l'amour qu'ils ont pour la pureté de la foi leur a fait parcourir toute la Palestine et chasser dans leurs trous ces basilics qui s'étaient répandus de toutes parts; je ne puis m'empêcher de vous marquer, en peu de mots, que tout le monde vous applaudit, et que les peuples se réjouissent de voir l'étendard de la croix élevé par vos soins dans Alexandrie., et de la victoire que vous avez remportée sur l'hérésie. Plein d'ardeur pour la foi, vous avez fait connaître que le silence que vous aviez gardé jusqu'à présent était l'effet d'une sagesse consommée, et non pas d'une lâche condescendance. Car à parler franchement, cette patience excessive avec laquelle vous avez souffert les hérétiques nous a l'ait une vraie peine; parce que, ne pouvant pas pénétrer les raisons que vous aviez de les ménager de la sorte, nous ne souhaitions rien avec plus de passion et d'empressement que de les voir exterminer entièrement. Mais, à ce que je vois, vous avez voulu tenir la main levée et suspendre le coup pour quelque temps, afin de frapper ensuite plus rudement.

Quant à cette personne qu'on a reçue à la communion, vous ne devez point en savoir mauvais gré à l'évêque de cette ville, puisqu'à cet égard vos lettres étaient muettes : ç'aurait été d'ailleurs une témérité à lui de porter jugement (573) sur une affaire dont il n'était pas informé. Au reste, je ne crois pas qu'il ose se mettre en opposition avec vous en quoi que ce soit, ni même qu'il en ait le dessein.


A THEOPHILE, PATRIARCHE D'ALEXANDRIE.


Stupéfaction des hérétiques. — Lettre de Théophile au pape Anastase, sur la condamnation des origénistes.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 400.

Les lettres que j'ai reçues de votre béatitude m'ont l'ait un double plaisir; car, outre qu'elles m'ont procuré le bonheur de voir les saints et vénérables personnages Agathon, évêque, et Athanase, diacre, qui en étaient les porteurs, elles m'ont encore appris avec quel zèle vous avez soutenu les intérêts de la foi contre la plus abominable de toutes les hérésies. La voix de votre béatitude s'est fait entendre par toute la terre, et pendant que les églises retentissent de chants d'allégresse, l'hérésie, qui est le venin du diable, demeure dans un morne silence; on n'entend plus les sifflements de cet ancien serpent, parce qu'ayant été mis en pièces et ne pouvant plus supporter la clarté du soleil, il est réduit à se cacher au fond de sa caverne.

Avant de recevoir vos lettres, j'avais déjà écrit sur ce sujet en Occident, pour découvrir aux Latins une partie des artifices des hérétiques. Je crois que c'est par une disposition particulière de la divine providence que vous avez écrit dans le même temps que moi au pape Anastase, pour appuyer et fortifier mon opinion sans le savoir. Mais puisque vous m'avez donné avis de ce que vous avez fait pour les intérêts de la religion, je vais redoubler de zèle pour travailler de concert avec vous, non-seulement dans ce pays, mais encore dans les lieux les plus éloignés, à ramener ceux qui, par simplicité et par ignorance, sont tombés dans l'erreur. Ne craignons point de nous exposer par là à l’envie et à la haine de quelques hommes; car nous ne devons point chercher à plaire aux hommes, ruais à Dieu seul. Il faut avouer cependant que les hérétiques ont encore plus d'opiniâtreté pour défendre leur hérésie, que nous n'avons d'ardeur et de zèle pour l'attaquer.

Si vous avez fait quelques règlements dans votre Synode, je vous prie de me les envoyer, afin qu'appuyé de l'autorité d'un si grand évêque, je puisse me déclarer pour la cause de Jésus-Christ avec plus de hardiesse et de confiance. Le prêtre Vincent est arrivé de Rome ici deux jours avant que j'aie écrit cette lettre; il vous salue avec beaucoup de respect, et publie partout que c'est à vos lettres, après Jésus-Christ, que Rome et toute. l'Italie doivent leur salut et leur délivrance. Continuez donc, pape très saint et très bon, et ne laissez échapper aucune occasion d'écrire aux évêques d'Occident, pour les porter à employer, comme vous le dites vous-même dans votre lettre, le tranchant de la faux pour couper toutes les mauvaises herbes qui pourraient naître dans le champ de l'Eglise.


A RIPARIUS.


Jérôme parle des persécutions que lui suscitent les hérétiques. — Il abandonne momentanément sa retraite de Bethléem.

Ecrite en 400.

J'apprends par vos lettres, et par ce que m'ont dit plusieurs personnes, que vous combattez avec beaucoup de zèle pour les intérêts de Jésus-Christ contre les ennemis de la foi catholique; mais que les vents vous sont contraires, et que ceux qui devraient être les défenseurs de la vérité se sont malheureusement engagés dans le parti de l'erreur. Vous savez cependant que, par un secret jugement de Dieu, et sans que les hommes s'en soient mêlé en aucune manière (1), Catilina a été chassé non-seulement de la ville, mais encore de toute la Palestine. Il est vrai que nous avons le chagrin de voir que plusieurs des conspirateurs sont restés à Joppé avec Lentulus (2) ; pour nous, nous avons cru qu'il était plus à propos de changer de demeure, que de nous voir exposés à changer de foi ; et, quelque commode, quelque agréable que soit notre maison, nous avons mieux aimé l'abandonner que de nous souiller par la communion des hérétiques, auxquels il a fallu céder dans la conjoncture présente, ou nous voir réduits à nous battre, non pas à

(1) Guillaume Roussel pense qu'il est ici question de Burin, auquel Jérôme donne souvent des noms empruntés ; dom Martiannay ne le croit pas.

(2) Il fait allusion a ce que dit Salluste, que Catilina étant sorti de Rome durant la nuit, laissa Cethegus et Lentulus à Rome pour maintenir les conjurés dans ses intérêts.

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coups de langue, mais à coups d'épée (1). Je crois que le bruit public vous a déjà appris tout ce que nous avons souffert, et la vengeance que le bras tout-puissant de Jésus-Christ a exercée sur nos ennemis. Je vous conjure donc de poursuivre l'ouvrage que vous avez entrepris, et de ne pas souffrir que, dans le lieu où vous êtes, l'Eglise de Jésus-Christ soit sans défenseur. Tout le monde sait que ce n'est point par les forces du corps qu'il faut combattre en cette occasion, mais par la seule charité qui est toujours invincible, et dont vous êtes rempli. Nos frères qui sont ici vous saluent de tout leur coeur. Je crois que notre frère, le saint diacre Alentius, vous aura fait un récit exact de tout ce qui s'est passé. Je vous supplie, mon très saint, très vénérable frère, de ne me point oublier, et je prie le Christ notre Seigneur de vous conserver en santé.


A APRONIUS.


Jérôme loue Apronius de son zèle pour la foi; il l'engage à venir à Jérusalem.

En 400. (2)

Je ne sais par quel artifice du démon tous vos travaux et les soins du saint prêtre Innocentius sont demeurés jusqu'à présent inutiles, et tous nos désirs sans effet. Cependant je rends grâce à Dieu de ce que vous êtes en bonne santé, et de ce que tous les efforts du démon n'ont pas affaibli votre foi. Rien ne me fait plus de plaisir que d'apprendre que mes enfants combattent pour le Christ. Je prie celui en qui nous mettons toute notre confiance d'augmenter en nous ce zèle, afin que nous soyons toujours prêts de répandre notre sang pour la défense de la foi. J'ai appris avec chagrin que votre belle maison a été renversée de fond en comble. Je ne sais à quoi attribuer ce désastre ; celui qui me l'a annoncé m'a dit qu'il

(1) Saint Jérôme parla de la sorte, parce que Rufin l'avait menacé de le tuer, comme il le dit lui-même dans son apologie.

(2) Erasme (édition de Bâle) doute que cette lettre soit de saint Jérôme, surtout à cause du style. Du reste, dom Martiannay, Guillaime Roussel et Erasme me paraissent n’avoir pas saisi la pensée de saint Jérôme dans cette lettre. Ils sont ici d'accord, ce qui ne leur arrive pas souvent, et ils se trompent en pensant que par ces paroles " si notre maison a été détruite, etc. etc., " Jérôme veut parler de son monastère. Dans ce cas la lettre n’offrirait aucun sens. Jérôme prend part au désastre éprouvé par Apronius, et en parle comme s'il lui était personnel. La fin de cette phrase d'ailleurs si notre maison, etc., etc., est un éloge habilement fait de la piété d'Apronius.

n'en savait rien. Tout ce que nous pouvons faire est de prendre part à la douleur de nos amis communs, et qui le sont aussi en Jésus-Christ; et de le prier pour eux, lui qui est le seul Seigneur et qui peut tout. Il faut avouer cependant que nous avions bien mérité cette punition, pour avoir attiré chez nous des gens qui étaient les ennemis de Dieu. Je crois que vous ne pouvez prendre un meilleur parti que d'abandonner toutes choses pour venir en Orient et particulièrement à Jérusalem; car tout y est fort calme. Quoique les hérétiques aient le coeur encore tout rempli de venin, cependant ils n'osent ouvrir la bouche pour publier leurs erreurs; mais ils sont sourds comme l'aspic qui se bouche les oreilles. Je vous prie de saluer nos saints frères de ma part. Si notre maison a été détruite par les hérétiques, et dépouillée de ses biens temporels; grâce au Seigneur, elle est très riche en biens spirituels. Il vaut mieux ne manger que du pain, que de perdre la foi (1).

(1) L'édition de Vérone donne à cette lettre et à celle de Riparius la date 417. Cette chronologie nous a paru fautive, nous n'avons pas cru devoir la suivre.


AU SENATEUR PAMMAQUE ET A OCEANUS.


Réponse de Jérôme à ceux qui l'accusent d'être partisan d'Origène. — Il respectait ses maîtres, sans toutefois adopter leurs erreurs. — Il rappelle que, malgré ses cheveux blancs, il s'était fait écolier de Didyme d'Alexandrie. — Ses dépenses pour se procurer tous les ouvrages d'Origène; ses éludes continuelles et opiniâtres sur l'hébreu. — Il reconnaît qu’Origène s'efforce de concilier la philosophie platonicienne avec les dogmes du christianisme, et il l’en blâme. — Détails sur la philosophie origéniste et sur les menées de ses partisans. — Eloge de la science d'Origène, mais critique de ses erreurs.

Ecrite en 400.

Les lettres que vous m'avez envoyées me font tout à la fois honneur et injure : car on vante mon esprit, et on attaque ma foi. Ces attaques se sont répandues à Rome et à Alexandrie; il y a presque partout des gens qui ont coutume de se prévaloir de mon nom, et qui m'aiment tant qu'ils ne peuvent être hérétiques sans moi. Mais je laisserai les personnes pour répondre seulement aux accusations. Car il n'est pas nécessaire à ma cause de rendre injure pour injure, calomnie pour calomnie, puisqu'il nous est défendu de rendre le mal pour le mal, que nous devons au contraire le vaincre par le bien; nous rassasier d'opprobres et présenter la joue (575) gauche à celui qui nous a frappés sur la droite.

On me reproche d'avoir autrefois loué Origène. Si je ne me trompe, je l'ai loué en deux endroits . dans la préface au Pape Damase sur les homélies du Cantique des cantiques, et dans celle du livre des noms hébreux. Y parle-t-on des dogmes de l'Eglise? y est-il question du Père, du Fils et du Saint-Esprit? de la résurrection de la chair? de l'état de l'âme et de sa nature? On y loue simplement l'interprétation claire et l'érudition d'Origène : est-il question de foi, de dogmes? point. Il s'agit seulement de morale et d'explications allégoriques. J'ai loué l'interprète et non le dogmatiseur ; son habileté et non sa foi; le philosophe et non l'Apôtre. Veut-on connaître mon opinion sur Origène? j qu'on lise mes commentaires sur l'Ecclésiaste, qu'on parcoure tues trois livres sur l'Epître aux Ephésiens, et l'on verra que j'ai été toujours opposé à ses opinions. Qu'est-ce à dire ? prend-on les erreurs et les blasphèmes d'un écrivain parce qu'on loue sa science? Le bienheureux Cyprien avait adopté Tertullien pour maître, comme le prouve ses ouvrages; et bien qu'il se plaise avec ce génie ardent, il n'adopte cependant pas les erreurs de Montan et de Maxilla. Apollinaire a écrit avec beaucoup de force et de solidité contre Porphyre, et Eusèbe a très bien réussi dans son Histoire ecclésiastique ; néanmoins celui-là a erré sur l'Incarnation du verbe, et a, pour ainsi dire (1), tronqué ce mystère ; et celui-ci se déclare ouvertement pour l'impiété d'Arius. " Malheur à ceux, dit le prophète Isaïe, qui disent que le mal est bien, et que le bien est mal; qui font passer pour doux ce qui est amer, et pour amer ce qui est doux! " Nous ne devons ni blâmer les vertus de nos ennemis, ni louer les vices de nos amis. C'est la nature des choses et non la position des personnes, qui doit être la règle de nos jugements. Quoiqu'on reproche à Lucilius d'être dur et incorrect, on ne laisse pas de louer sa manière facile et enjouée.

Lorsque j'étais jeune, j'avais une passion inconcevable pour l'étude, je me suis instruit moi-même. J'ai souvent écouté, à Antioche, Apollinaire de Laodicée; je suivis ses leçons, il m'apprit l'Ecriture sainte; tuais je n'embrassai point les opinions particulières qu'il avait sur le sens qu'on doit lui donner. Mes cheveux

(1) Parce qu'il disait que Jésus-Christ n'avait point d’âme.

commentaient à blanchir et semblaient convenir plus à un maître qu'à un disciple, j'allai cependant à Alexandrie, et j'y entendis Didyme. J'avoue que j'ai beaucoup profité sous lui; ce que je ne savais pas, je l'ai appris, et ce que je savais je ne l'ai pas oublié avec lui. Au moment où l'on croyait que j'avais cessé d'apprendre, je vins à Jérusalem et à Bethléem. Combien m'en coûta-t-il et d'argent et de peines pour étudier sous Barabbanus qui venait toutes les nuits m'apprendre l'hébreu? car il craignait les Juifs, et il me rappelait un autre Nicodème (1). Je fais souvent mention dans mes ouvrages de tous ces maîtres qui m'ont appris les saintes Ecritures. Comme Apollinaire et Didyme ont des opinions différentes, il faut qu'ils disputent l'un et l'autre à qui me mettra dans son parti, puisque je les reconnais tous les deux pour mes maîtres. S'il est permis de haïr les hommes et de détester quelque peuple en particulier, je puis dire qu'il n'y a point de nation sous le ciel pour laquelle j'ai plus d'aversion que pour les Juifs, parce qu'ils persécutent encore aujourd'hui notre seigneur Jésus-Christ dans leurs synagogues diaboliques. Qu'on m'accuse après cela d'avoir en un Juif pour maître. On a bien osé produire contre moi les lettres que j'ai écrites à Didyme comme à mon maître. Le grand crime pour un disciple d'avoir reconnu pour son maître un véritable savant et un vieillard! Voyons donc cette lettre mise si longtemps en réserve pour la calomnie. Que contient-elle, à l'exception des compliments et du respect?

Rien de plus ridicule et de plus frivole que ces sortes d'accusations. Montrez-moi plutôt en quel endroit de mes ouvrages j'ai soutenu les hérésies ou loué les erreurs d'Origène? Cet écrivain ayant appliqué au Fils et au Saint-Esprit ce que le prophète Isaïe dit des deux Séraphins qui se criaient l'un à l'autre : " Saint, saint, saint est le Seigneur; " n'ai-je pas rejeté celte interprétation avec horreur, et appliqué ce passage à l'Ancien et au Nouveau-Testament? Mon livre est entre les mains de tout le monde, et il y a plus de vingt ans que je l'ai donné au public. Dans tous mes ouvrages, et particulièrement dans mes commentaires,je ne laisse échapper aucune occasion de combattre ses erreurs.

(1) saint Jérôme fait allusion à ce passage de saint Jean, ch. 5, "un pharisien nommé Nicodème vint la nuit trouver Jésus. "

On me reproche qu'il n'y a personne au monde qui ait pris plus de soin que moi d'amasser tous les livres d'Origène ; mais plût à Dieu que j'eusse les ouvrages de tous les écrivains ecclésiastiques, afin de suppléer, par une lecture continuelle, à la lenteur et à la stérilité de mon esprit ! Oui j'avoue que j'ai eu soin de réunir tous les écrits d'Origène, et c'est parce que j'ai lu tous ses ouvrages que je n'adopte pas ses erreurs. On peut s'en rapporter à mon témoignage et à l'expérience que j'en ai faite. Chrétien, je parle ici à des chrétiens; la doctrine de cet auteur est une doctrine empoisonnée; tantôt elle s'écarte du véritable sens des saintes Ecritures, et tantôt elle les dénature. J'ai lu, dis-je, j'ai lu Origène; si c'est un crime, je le confesse; j'ai épuisé ma bourse pour faire venir d'Alexandrie tous ses ouvrages. Si vous me croyez, je dis que je n'ai jamais été origéniste ; si vous ne me voulez pas croire, je vous proteste que je ne le suis plus. Que si après cela vous vous défiez encore de ma sincérité, vous me forcerez enfin, pour me justifier, d'écrire contre votre favori, afin de vous convaincre par là que je n'ai jamais été de son opinion, puisque je ne puis pas vous le persuader autrement.

Mais on me croit plus volontiers quand je dis que je suis dans l'erreur que lorsque j'assure que j'y ai renoncé. Je n'en suis point surpris; en voici la raison : c'est que mes adversaires s'imaginent que je suis dans leurs sentiments, et que ce qui m'empêche de me déclarer ouvertement est que je ne veux pas découvrir leurs mystères à ceux qu'ils appellent des animaux et des hommes de boue. Car c'est une règle établie parlai eux, qu'il ne faut pas semer des perles devant des pourceaux, ni donner les choses saintes aux chiens, selon ce que dit David : " J'ai caché vos paroles au fond de mon coeur, afin que je ne pèche point devant vous. " Et ailleurs, l'homme juste " parle sans déguisement et sans dissimulation à son prochain, " c'est-à-dire à ceux qui lui sont unis par une même foi. D'où ils concluent qu'on doit déguiser la vérité à ceux qui ne font pas profession de leurs dogmes, et qui, n'étant encore que des enfants à la mamelle, sont incapables de digérer une nourriture plus solide. Or, que le parjure et le mensonge entrent dans leurs mystères et soient le lien de leur société, c'est ce qui se voit par le sixième livre (1) des Stromates d'Origène, où il cherche à concilier notre croyance avec les principes de Platon.

Que ferai-je donc? Crierai-je que je suis de leur opinion, ils ne me croiront pas; l'affirmerai-je avec serment? ils riront, en disant : En fait de serment, nous sommes pressés maîtres Ce que je ferai, et c'est ce qu'ils craignent je dévoilerai leurs mystères, et je ferai connaître l'astuce avec laquelle ils nous jouent Et puisqu'ils ne me croient pas sur serment, qu'ils me croient au moins lorsque je les accuse. Ce qu'ils appréhendent surtout, c'est qu'on ne se serve de leurs écrits contre leur maître? Ce qu'ils ont d'abord assuré avec serment, ils n'ont point honte de le désavouer ensuite par un nouveau parjure. De là, ces détours et ces faux-fuyants pour se dispenser de souscrire à la condamnation d'Origène. Je ne puis, dit l'un, condamner un homme que personne n'a condamné. Les évêques, dit l'autre, n'ont fait aucun règlement sur cela. C'est ainsi qu'ils en appellent au témoignage de tout le genre humain, afin de se dispenser de signer. Comment voulez-vous, dit un autre, avec encore plus d'assurance, que je condamne une doctrine que le concile de Nicée a respectée? Si ce concile, certainement, avait trouvé matière à censure dans les opinions d'Origène, il n'aurait pas manqué de le condamner aussi bien qu'Arius. Plaisante logique! comme si on se servait d'un même remède pour guérir toute sorte de maladies; comme s'il fallait nier la divinité du Saint-Esprit, parce que ce concile n'en a pas parlé. Il s'agissait alors d'Arius et non pas d'Origène; de la divinité du Fils, et non pas de celle du Saint-Esprit. Les hérétiques niaient la consubstantialité du Fils, et le concile en a fait un dogme de foi: personne ne disputait sur la divinité du Saint-Esprit, le concile n'en a rien dit. Au reste, la condamnation d'Arius retombe indirectement sur Origène, qui est comme la source de l'arianisme; car en condamnant ceux qui nient que le Fils soit consubstantiel à son Père, le concile condamne tout à la fois et Origène et Arius. Selon le raisonnement de nos adversaires, on ne devrait condamner ni Valentin, ni Marcion, ni les cataphryges, ni les

(1) Nous n'avons plus cet ouvrage. Il était intitulé stromates, c'est-à-dire tapisseries, parce qu'Origène y traitait de plusieurs matières différentes.

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manichéens, parce que le concile de Nicée ne parle point de ces hérétiques qui existaient néanmoins avant lui.

Mais les presse-t-on vivement, et se trouvent-ils réduits à la dure nécessité ou de signer la condamnation d'Origène, ou de se voir retranchés de la communion de l’Eglise ; on ne saurait raconter les ruses qu'ils emploient pour se tirer d'affaire. Ils tournent sur tous les mots, ils les rangent et les dérangent à leur fantaisie; ils leur donnent un double sens, afin qu'au moyen des termes ambigus dont ils se servent pour exprimer notre croyance et la leur, les hérétiques puissent expliquer d'une manière et les catholiques d'une autre. Ce fut par de semblables artifices que l'oracle de Delphes, qu'on appelle aussi le " Louche, " se joua et de Crésus et de Pyrrhus à des époques différentes. Voici quelques exemples de leurs subtilités.

Nous croyons, disent-ils, que les corps ressusciteront un jour. S'ils parlaient ainsi sans arrière-pensée, leur foi serait orthodoxe. Mais comme il y a des corps célestes et des corps terrestres, et que nous donnons nous-mêmes une espèce de corps à l'air que nous respirons, ils se servent du mot de " corps, " au lieu de celui de " chair, " afin que parle mot de " corps" les orthodoxes entendent la chair, et les hérétiques une substance spirituelle. Voilà leur premier subterfuge; si on le découvre, ils préparent d'autres ruses. Ils se disent innocents, nous appellent malveillants, et, comme de naïfs croyants, ils disent : Nous croyons à la résurrection de la chair. De cette profession de foi la foule ignorante se contente, d'autant plus qu'elle croit elle-même au symbole. Leur faites-vous d'autres questions? Il y a tumulte dans l'assemblée; leurs partisans s'écrient : "N'avez-vous pas entendu leur confession de foi? Que voulez-vous de plus? " Mors les sentiments du peuple changeant tout à coup, ils passent pour des hommes de bonne foi, et non pour des imposteurs.

Que si, sans vous déconcerter, vous continuez à leur demander, en touchant la peau de votre main, s'ils croient que nous ressusciterons avec cette chair que nous voyons, que nous touchons, cette chair qui marche et qui parle d'abord ils se mettent à rire, et ensuite ils témoignent par un mouvement de tête que telle est leur opinion. Mais leur demandons-nous si après la résurrection nous aurons des cheveux, des dents, une poitrine, un ventre, des mains, des pieds, et tous les autres membres sans qu'il nous en manque aucun; alors, ils éclatent de rire, et nous répondent avec ironie que nous aurons aussi besoin de barbiers, de gâteaux, de médecins et de cordonniers.

Ils nous demandent à leur tour si nous ressusciterons avec les parties qui distinguent les deux sexes; si les hommes auront le menton hérissé de barbe, et si les femmes auront la peau du visage douce et unie; en un mot, si les corps seront distingués par toutes les parties qui constituent les sexes. Leur accordons-nous cette question; ils nous demandent aussitôt si chaque membre servirai aux fonctions et aux usages qui lui sont propres. Ils avouent que le corps ressuscitera, et cependant ils soutiennent que nous ne ressusciterons point avec toutes les parties dont le corps est composé.

Ce n'est point le moment de m'élever contre cette pernicieuse doctrine. La magnifique abondance de Cicéron, l'impétuosité de Démosthène ne suffiraient pas si je voulais dévoiler les ruses des hérétiques; car leurs femmes ont coutume de palper leur sein, leur ventre, leurs reins et leurs cuisses, et de dire : " A quoi bon la résurrection, si ce fragile corps ressuscite? Puisque nous devons être semblables aux anges, nous en aurons aussi la nature. " Ils dédaignent sans doute de ressusciter avec la chair et les os avec lesquels le Christ a ressuscité.

Mais élevé dans l’étude des philosophes païens, j'admets que j'aie erré dans ma jeunesse, que j'aie ignoré, au commencement de ma foi, les dogmes chrétiens, que j'aie pensé voir dans les Apôtres ce que j'avais lu dans Pythagore, dans Platon et Empédocle. Pourquoi, moi encore enfant dans le Christ et suçant l'erreur, pourquoi alors me suiviez-vous? Pourquoi apprendre une doctrine erronée de celui qui ne connaissait pas encore la véritable? Après le naufrage, une planche de salut est l'aveu simple de nos fautes.

Vous avez imité mon erreur, imitez mon repentir. Jeunes, nous avons erré; vieux, corrigeons-nous. Unissons nos gémissements, mêlons nos larmes, pleurons et convertissons-nous au Seigneur qui nous a créés. N'attendons point le repentir du démon. Cette présomption est vaine et conduit au fond de l'abîme. C'est (578) ici, ou qu'on cherche la vie, ou qu'on la perd.

Si je n'ai jamais suivi Origène, c'est en vain que vous cherchez à me diffamer; si j'ai été son disciple, imitez-moi repentant. Vous m'avez cru quand j'ai avoué, croyez-moi quand je nie. Si vous connaissiez ses erreurs, dites-vous, pourquoi l'avoir loué dans vos ouvrages? Et je le louerais aujourd'hui si vous-même ne louiez ses erreurs ; son génie ne me déplairait pas si ses impiétés ne plaisaient à quelques-uns. L'Apôtre recommande de lire tout et de retenir ce qui est bon (1). Lactance, dans ses livres, et surtout dans ses lettres à Demetrianus, nie la divinité du Saint-Esprit, et par une erreur commune aux Juifs, dit qu'il doit être rapporté ou au Père, ou au Fils, et qu'il est figuré par la sainteté de l'une ou l'autre personne. Qui peut m'empêcher de lire ses Institutions, livre de verve écrit contre les païens, parce que son opinion précitée plus haut mérite anathème? Apollinaire a écrit contre Porphyre des ouvrages très remarquables. J'approuve le travail de l'auteur, quoique je méprise ses visions et ses erreurs en beaucoup de choses. Avouez qu'Origène s'est aussi trompé en plusieurs choses, et je garderai désormais le silence. Dites qu'il a mal pensé du Fils, et encore plus mal du Saint-Esprit ; qu'il a avec impiété attribué au ciel la perte des âmes, qu'il confesse seulement en parole la résurrection de la chair, qu'il la détruit du reste eu avançant qu'après plusieurs siècles et lors de la résurrection générale il y aura égalité entre l'ange Gabriel et le diable, entre Paul et Caïphe, entre les vierges et les prostituées.

Quand vous aurez rejeté ces assertions, quand vous les aurez marquées d'un trait et les aurez séparées de la foi de l'Eglise, je lirai le reste avec sécurité. Je ne craindrai plus le poison lorsque j'aurai bu d'avance le contre-poison. Il ne me nuira point de dire qu'Origène a surpassé tous les écrivains dans ses ouvrages, et qu'il s'est surpassé lui-même dans son Commentaire sur le Cantique des Cantiques. Je ne reculerai pas devant la dénomination de docteur des Eglises que, jeune homme, je lui ai donnée autrefois; car je ne devais sans doute pas condamner

(1) Il y a dans salut Paul : " Eprouvez tout, et approuvez ce qui est bon. "

celui dont j'étais prié de traduire les ouvrages, et dire dans une préface : " Cet auteur que je traduis est hérétique. Prends garde, lecteur, ne lis pas, fuis cette vipère; ou si tu veux lire, apprends que les ouvrages que j'ai traduits ont été altérés par des méchants et des hérétiques, bien que tu ne doives rien craindre, car j'ai rétabli les textes corrompus. " N'est-ce pas dire en d'autres termes : Moi, traducteur, je suis catholique, et l'auteur que je traduis est hérétique. Quant à vous, pendant que, tout en méprisant les précautions oratoires, vous avouez assez simplement, assez naïvement et sans malice qu'il y a hérésie dans le livre des Principes, et que vous attribuez cette altération à d'autres, vous inspirez aux lecteurs l'idée d'étudier toute la vie de l'auteur, et de décider, d'après l'examen de ses autres ouvrages, la question posée. Mais je suis un homme artificieux, moi qui ai corrigé ses ouvrages, omettant ce que j'ai jugé convenable, dissimulant ses erreurs pour ne point le rendre odieux. Les médecins disent qu'il ne faut pas traiter les grandes maladies, mais s'en remettre à la nature, de peur que le remède n'aigrisse le mal.

Il y a environ cent cinquante ans qu'Origène est mort à Tyr. Qui d'entre les Latins a jamais osé traduire ses livres de la Résurrection et des Principes? Qui a voulu se déshonorer soi-même par la traduction des ces infâmes ouvrages? Je ne suis ni plus éloquent que Hilaire, ni plus fidèle que Victorin (1), qui ont traduit les traités d'Origène comme s'ils eussent été leurs propres ouvrages, et non comme de simples interprètes. Saint Ambroise a compilé dernièrement son Hexameron, mais de manière à suivre l'opinion d'Hippolyte et de Basile plus que celle de l'auteur. Moi-même, dont vous vous dites les imitateurs, pour qui vous avez des yeux de chèvre (2), tandis que pour les autres vous avez des yeux de taupe, si j'avais été mal disposé pour Origène, j'aurais traduit ces mêmes livres dont j'ai parlé plus haut pour faire connaître ses erreurs aux Latins. Mais je ne l'ai jamais. fait, et je n'ai pas voulu consentir aux demandes de plusieurs personnes à ce

(1) Victoria, évêque de Petawium, dont Jérôme parle dans sa lettre à Vigilantius.

(2) La chèvre, et surtout la chèvre sauvage, a la vue très perçante; la taupe a es yeux très petits.

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sujet, car je n'ai point l'habitude de m'élever contre les erreurs de ceux dont j'admire le génie. Origène lui-même, s'il vivait encore, se fâcherait contre vous, ses partisans, et dirait avec Jacob : " Vous m'avez rendu odieux à tout le monde. " Quelqu'un veut-il louer Origène, qu'il le loue comme moi. Grand homme dès sa jeunesse, véritable fils d'un martyr (1), il tint l'école ecclésiastique d'Alexandrie après le prêtre Clément, homme très érudit. Il évita les plaisirs avec tant de soin qu'il se mutila lui-même, conduit par un zèle qui n'était pas selon la science. Il foula aux pieds l'avarice, il apprit par coeur l'Ecriture sainte, et il passa les jours et les nuits à l'étudier et à la commenter. Il composa plus de mille Traités qu'il prononça dans l'église, et en outre d'innombrables Commentaires qu'il appelle tomes et que je passe sous silence pour ne pas paraître dresser le catalogue de ses ouvrages. Qui de nous peut lire autant qu'il a écrit? Qui n'admirera un esprit si ardent pour l'étude de l'Ecriture? Que si quelque Juda zélé m'oppose ses erreurs, qu'il apprenne que l'immortel Homère sommeille quelquefois, et que le sommeil est permis dans un ouvrage de longue haleine. N'imitons point les défauts de ceux dont nous ne pouvons imiter les vertus. Ont erré dans la foi d'autres écrivains, tant grecs que latins, dont il n'est pas nécessaire de rapporter les noms de peur de paraître défendre Origène, non par son propre mérite, mais par les fautes des autres. Cela n'est point, direz-vous, justifier Origène, mais accuser les autres. Vous auriez raison si je n'avouais qu'Origène a erré, et si je croyais qu'il fallût écouter l'apôtre Paul ou un auge du ciel en quelque chose de contraire à la foi; mais puisque j'avoue de bonne foi ses erreurs, je puis le lire comme les autres, parce qu'il n'a erré que comme: les autres. Mais vous dites : " Si sou erreur est commune à beaucoup de gens, pourquoi l'attaquez-vous seul? " Parce que vous le louez comme un apôtre. Aimez-le moins, et nous le haïrons moins. Vous ne faites ressortir les fautes dans les autres que pour justifier ses erreurs; vous le prônez tellement que vous dites qu'il n'a erré en rien. Quoique vous soyez partisans des nouveaux

(1) Origène était fils de Léonide, qui souffrit le martyre sous l’empereur Sévère, en 204.

dogmes, ménagez les oreilles romaines, respectez la foi qui a été louée par l'Apôtre. Pourquoi après quatre cents ans vous efforcer d'enseigner ce que nous ignorions auparavant? Pourquoi avancer ce que Pierre et Paul n'ont pas voulu publier? Jusqu'à ce jour, le monde sans cette doctrine n'a-t-il pas été chrétien ? Vieux, je conserverai la foi dans laquelle suis né.

Nos adversaires nous appellent pelusioles (1), et nous regardent comme des hommes plongés dans la boue et attachés à la chair, parce que nous ne donnons pas dans leur prétendue spiritualité. Pour eux, ils se regardent comme des enfants de la Jérusalem céleste. Je ne méprise point la chair avec laquelle Jésus-Christ est né et ressuscité. Je ne méprise point la boue dont a été formé ce vase très pur qui règne dans le ciel. Mais je m'étonne que des gens qui se déchaînent si fort contre la chair vivent néanmoins selon la chair, et accordent à leur ennemie tout ce qui peut flatter sa délicatesse. Peut-être veulent-ils en cela pratiquer ce que dit l'Ecriture : " Aimez vos ennemis, et l'ailes du bien à ceux qui vous persécutent. " J'aime une chair chaste, une chair vierge, une chair mortifiée par le jeune; j'aime la substance, et non pas les couvres de la chair ; j'aime cette chair qui sait qu'elle doit être jugée, cette chair qui sait qu'elle doit être fouettée, déchirée, brûlée pour l'amour du Christ.

Nos adversaires prétendent que quelques hérétiques et des malveillants ont corrompu les livres d'Origène ; voici une preuve qui fait voir combien cette prétention est ridicule. Qui fut jamais plus prudent, plus savant, plus éloquent qu'Eusèbe et Didyme, qui ont pris si hautement le parti d'Origène? Cependant Eusèbe, dans les six livres de l'apologie qu'il a faite pour justifier la doctrine d'Origène, avoue que cet auteur est de même sentiment que lui; et quoique Didyme tâche d'excuser ses erreurs, il confesse néanmoins qu'elles sont de lui. Il explique ses écrits, mais il ne les désavoue pas, et il ne défend pas comme des vérités les erreurs qu'on prétend que les hérétiques y ont ajoutées. Est-il possible qu'Origène soit le seul dont les ouvrages aient été universellement

(1) C'est-à-dire boueux (qu’on me passe le mot) du mot grec pelos , qui signifie boue. Les origénistes, par cette appellation, désignaient les autres chrétiens qui disaient que nous devons ressusciter avec les mêmes corps que nous

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corrompus, et qu'en un même jour (1), comme par ordre de Mithridate, on ait retranché de ses écrits toutes les vérités catholiques? Si on a corrompu quelqu'un de ses livres, comment a-t-on pu corrompre ses autres ouvrages qu'il a publiés à diverses époques et dans des lieux différents? Origène lui-même, écrivant à Fabien évêque de Rome, lui témoigne le regret qu'il a d'avoir avancé dans ses écrits de semblables propositions, et il s'en prend à Ambroise (2), qui avait eu la témérité de publier ce qu'il avait écrit en particulier. Osent-ils bien soutenir après cela que ce qu'il y a de mauvais dans les livres d'Origène a été corrompu ou supposé?

Au reste, je les remercie de ce qu'en disant que Pamphile a fait l'éloge d'Origène ils me jugent digne de partager avec cet illustre martyr la calomnie qu'ils lui imposent. Car s'ils prétendent que les ennemis d'Origène ont corrompu ses ouvrages afin de le décrier dans le monde, pourquoi ne me sera-t-il pas permis de dire que les amis et les partisans d'Origène ont composé un livre sous le nom de Pamphile pour sauver la réputation de cet auteur par le témoignage d'un martyr? Puisque vous corrigez bien dans les livres d'Origène ce qu'il n'a point écrit, pourquoi vous étonnez-vous qu'on fasse paraître sous le nom de Pamphile un livre dont il n'est point l'auteur? Comme les ouvrages d'Origène sont entre les mains de tout le monde, on peut aisément vous convaincre de fausseté; mais comme le livre qui porte le nom de Pamphile est le seul qui ait paru sous son nom, il est facile à la calomnie de le lui attribuer. Montrez-moi quelque autre ouvrage dont Pamphile soit l'auteur; vous n'en trouverez jamais. Celui dont vous parlez est le seul qui ait paru sous son nom. Comment donc puis-je connaître que Pamphile en est l'auteur? Sera-ce par son style? Je ne croirai jamais que ce savant homme ait consacré ses premiers ouvrages à défendre une si mauvaise cause. Le seul titre même d'apologie que porte ce livre fait assez voir qu'on imputait des erreurs à Origène; car on ne prend la défense que de ceux qui sont accusés de quelque crime.

Voici encore un fait qu'on ne peut contester

(1) Saint Jérôme fait allusion à l'ordre que Mithridate donna d'égorger en un même jour tous les Romains qui se trouveraient dans ses Etats.

(2) Ami et disciple d'Origène.

sans être fou ou impudent. Ce livre qu'on attribue à Pamphile contient près de mille lignes tirées du commencement du sixième livre de l'apologie d'Origène faite par Eusèbe. Dans le reste de l'ouvrage l'auteur cite plusieurs passages pour prouver qu'Origène était catholique. Or Eusèbe et Pamphile étaient si étroitement unis ensemble, qu'on eût dit qu'ils n'avaient qu'un même esprit et qu'un même coeur, et que l'un (1) prit le nom de l'autre. Comment donc n'ont-ils pu s'accorder au sujet d'Origène, Eusèbe prouvant dans tout son ouvrage qu'il était arien et Pamphile faisant voir qu'il a été le défenseur du Concile de Nicée, qu'on a tenu longtemps après lui? De là il résulte que cet ouvrage est de Didyme ou de quelque autre. J'admets néanmoins que ce livre soit de Pamphile, mais de Pamphile qui n'était pas encore martyr; car il doit l'avoir composé avant son martyre. Et comment donc, me direz-vous, a-t-il été jugé digne du martyre? Pour effacer son erreur par le martyre, pour expier une seule faute par l'effusion de son sang. Combien de martyrs, avant d'être frappés par le bourreau, ont dormi avec le péché? Prendrons-nous pour cela la défense du péché, parce que plusieurs ont été pécheurs avant d'être martyrs?

Voilà, mes frères bien aimés, ce que j'ai dicté à la hâte pour répondre à votre lettre. C'est malgré moi que j'ai écrit contre celui que j'avais loué auparavant; mais j'ai mieux aimé compromettre ma réputation que ma foi. Mes adversaires ont tant fait que si je me tais, je passe pour coupable, et si je réponds, pour leur ennemi : deux extrémités fâcheuses, mais des deux je choisirai la moins fâcheuse. On peut renouer une amitié rompue, mais on ne doit jamais pardonner un blasphème. Je vous laisse à juger combien la traduction du livre des Principes doit m'avoir coûté, puisqu'on ne peut rien changer dans le grec sans défigurer tout l'ouvrage au lieu de le traduire ; et que d'ailleurs il est impossible de conserver dans la traduction toutes les beautés de l'original, en s'attachant scrupuleusement à la lettre.

(1) Eusèbe avait pris le nom de Pamphile, et se faisait appeler Eusèbe de Pamphile.





Jérôme - Lettres - A THEOPHILE, PATRIARCHE D'ALEXANDRIE.