Jérôme Critique sacrée - FRAGMENTS SUR TOUS LES LIVRES DE L'ANCIEN-TESTAMENT.

FRAGMENTS SUR TOUS LES LIVRES DE L'ANCIEN-TESTAMENT.



Les Hébreux ont vingt-deux lettres dans leur alphabet, comme il paraît par la langue des Syriens et des Chaldéens qui en ont un pareil nombre, et dont le langage se rapproche de celui des mêmes Hébreux; car, quoique la figure des lettres des uns et des autres soit différente, elles ont cependant le même son et la même valeur. Les Samaritains même écrivent le Pentateuque de Moïse avec vingt-deux lettres, encore que leurs caractères soient différents de ceux des Hébreux, tant dans les points et les accents que dans la figure de chaque lettre; et personne n'ignore que et fut Esdras, fameux docteur de la loi, qui changea le premier les anciens caractères hébreux aussitôt après la captivité et le rétablissement du temple sous Zorobabel, et qui mit à leur place les lettres hébraïques dont nous nous servons aujourd'hui, les caractères des Samaritains ayant été jusqu'alors ceux dont les Hébreux se servaient. Aussi voit-on le grand nom de Dieu, qui n'a que quatre lettres, écrit avec ces anciens caractères en quelques exemplaires grecs de l'Ecriture. De plus, quand on fait le dénombrement des lévites et des prêtres dans le livre des Nombres, la supputation ne va qu'au nombre de vingt-deux, ce qui se rapporte figurément aux lettres de l'alphabet. Enfin nous voyons que les psaumes trente-six, cent dix, cent onze, cent dix-huit et cent quarante-quatre, quoique leur poésie soit fort différente, ne contiennent pas plus de vingt-deux lettres dans l’ordre de leur alphabet. Les Lamentations de Jérémie et son Oraison, avec le dernier chapitre des Proverbes de Salomon , qui commence par ces paroles : " Qui est celui qui pourra trouver une femme forte?" tout cela, dis-je, nous marque le même nombre de vingt-deux lettres de l'alphabet des Hébreux. Or il faut remarquer qu'il y a cinq lettres que les Hébreux écrivent différemment au commencement et à la fin des mots, et qu'ils appellent pour cette raison: les lettres doubles; savoir : caph, mem, nun, phe, sade. C'est aussi ce qui a donné lieu aux Juifs de regarder cinq livres de l’Ecriture comme des livres doubles, et de ne faire qu'un même volume des deux livres de Samuel, un autre des deux livres des Rois, un troisième des deux livres des Paralipomènes, un quatrième du livre d’Esdras et de Néhémias, et le cinquième de la Prophétie de Jérémie et de ses Lamentations. Comme donc le nombre de vingt-deux lettres suffit pour écrire en hébreu tout ce que nous voulons dire et pouvons penser, de même devons-nous aussi reconnaître vingt-deux livres de l'Ecriture, comme si c’étaient les premiers éléments d'une grammaire dont on se sert pour instruire, l'homme juste, encore enfant et imparfait, dans la loi de Dieu.

Le premier livre de l’Ecriture , que nous nommons la Genèse, porte le nom de Bresith chez les Hébreux. Ils appellent l'Exode Elle smoth, le Lévitique Vajecra, les Nombres Vaje dabber, le Deutéronome Elle adde barim. Ce sont là les cinq lettres de Moïse que les Hébreux appellent proprement thora, c'est-à-dire: la loi.

La seconde classe des livres de leur canon est celle de ceux qu'ils appellent Prophètes, et ils la commencent par le livre de Jésus, fils de Navé, que les Hébreux nomment Josué ben Nun (Josué, fils de Nun). Après celui-là ils font suivre les Juges, et ils le nomment Sophtim, n'en faisant qu’un même volume avec le livre de Ruth, parce qu'ils prétendent que cette histoire est arrivée dans le temps des juges. Le troisième livre de cette même classe s'appelle Samuel : nous le divisons en premier et en second livre des Rois. Le quatrième se nomme Malachim : c'est le troisième et le quatrième livres des Rois joints ensemble; et ils ont raison d'appeler ces livres Malachim, c'est-à-dire : les rois, plutôt que Malachoth, les royaumes, puisqu'ils ne contiennent pas l'histoire générale de plusieurs nations et de leurs empires, mais seulement l’histoire particulière des rois du peuple d'Israël, divisé en douze tribus. A ceux-là succèdent Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, et les douze petits Prophètes qu'ils nomment thare asra, deux et dix, dont ils font le huitième livre de cette seconde classe des livres des Prophètes.

Ils mettent dans la troisième classe les livres qu'ils nomment : hagiographes, savoir : Job, David, dont ils divisent les psaumes en cinq parties, quoiqu'ils ne les comptent que pour

un seul volume; puis Salomon, qui comprend le livre des Proverbes, qu'ils nomment Masaloth, c'est-à-dire, paraboles; le livre de l’Ecclésiaste, qu'ils appellent Coeleth; et le Cantique des cantiques, auquel ils donnent le titre de Sir Assirim. Le sixième livre de cette classe est Daniel, le septième Dabre Jamin, c'est-à-dire : le journal, que nous pourrions plutôt appeler : les chroniques de l'Ecriture, quoique nous lui ayons donné le titre de Paralipomènes , le partageant en deux livres. Esdras et Néhémias, divisés en deux livres chez les Grecs et les Latins, n'en font qu'un chez les Hébreux, qu'ils nomment Ezra. Enfin le neuvième et dernier livre est celui d'Esther.

Par cette supputation, nous voyons que les Hébreux ne comptent que vingt-deux livres dans leur canon : cinq de Moïse, huit de la classe des Prophètes, et neuf de celle des hagiographes. Il est vrai que quelques-uns comptent à part, parmi les hagiographes, le livre de Ruth et le Cinoth (les Lamentations), parce qu'ils prétendent qu’il faut diviser le canon des Ecritures en vingt-quatre livres : nous en avons une idée dans l'Apocalypse de saint Jean, qui nous représente vingt-quatre vieillards prosternés devant le trône de l'agneau et mettant leurs couronnes à ses pieds, pendant que les quatre animaux pleins d'yeux devant et derrière , c'est-à-dire : regardant le passé et l'avenir, se tiennent debout et disent incessamment " Saint, saint, saint est le Seigneur tout-puissant, qui était, et qui est, et qui sera. "

Ce prologue sur les Ecritures doit être regardé comme une tête armée, couverte d'un casque et propre à défendre tous les livres que je traduis d'hébreu en latin; et l'on doit remarquer que tous les autres qui ne sont pas compris dans le dénombrement que je viens de faire doivent être mis parmi les livres apocryphes. On se souviendra donc que le livre de la Sagesse, qu'on attribue ordinairement à Salomon, le livre de Jésus, fils de Syrach, celui de Judith , de Tobie et du Pasteur sont exclus du canon et du catalogue de l'Ecriture. J'en dis de même des livres des Machabées, dont j'ai vu le premier écrit en hébreu. Pour le second ,. il a été d'abord écrit, en grec, comme il est aisé de le reconnaître par le style du livre même et ses expressions toutes grecques.

Cela supposé, je vous conjure , lecteur, ne regardez point mon travail comme si je ne l’avais entrepris que pour condamner celui des anciens. Vous savez que chacun offre ce qu'il peut pour la construction du tabernacle de Dieu; que les uns donnent de l'or, de l'argent et des pierres précieuses, et que d'autres offrent du lin fin, de la pourpre, de l’écarlate et de l’hyacinthe : ce sera beaucoup pour moi si je puis seulement offrir des peaux et des poils de chèvre; quoique l'apôtre saint Paul nous enseigne que les choses qui paraissent en nous les plus méprisables ne laissent pas d'être les plus nécessaires. De là vient que toutes les richesses et toutes les beautés du tabernacle, pour marquer en figure la différence de l’Eglise d'à présent d'avec l’Eglise future et bienheureuse , n'étaient couvertes que de peaux et de cilices; de sorte que les choses les plus viles mettaient à couvert des injures de l'air celles qui étaient estimées les plus précieuses.

Lisez donc d'abord ma traduction des livres de Samuel et des livres des Rois (je dis ma traduction, car nous pouvons bien regarder comme nôtre un travail que nous mettons au jour après l'avoir corrigé et revu exactement), et lorsque vous y remarquerez beaucoup de ;choses que vous ignoriez auparavant, avouez, si vous avez de la reconnaissance, que je suis un

fidèle traducteur; ou, si vous êtes ingrat,dites que je n'ai fait qu'une paraphrase. Toutefois, quelque chose que vous en puissiez dire, ma propre conscience me rend le témoignage que je n'ai rien changé dans ma version de tout ce qui est contenu dans la vérité du texte hébreu. Si vous avez de la peine à me croire, lisez les exemplaires grecs et latins, et conférez-les avec ma traduction ; et quand vous rencontrerez des leçons et des choses différentes, interrogez quel Hébreu il vous plaira, et demandez-lui à laquelle des versions vous devez vous arrêter. Que s'il vous répond que la mienne est la véritable, je ne crois pas que vous le preniez pour un devin, encore que vous voyiez que nous nous sommes rencontrés dans une même explication.

Pour vous, ô servantes de Jésus-Christ, qui répandez sur la tête du seigneur Jésus, assis à table, le parfum précieux de votre foi, et qui ne cherchez point le Sauveur dans son sépulcre, sachant qu'il est retourné à son Père par son ascension glorieuse, c'est vous que je prie instamment de m'accorder le secours de vos prières, et de les opposer comme des boucliers aux traits de ces médisants qui déchirent ma réputation sans garder aucune mesure , et qui espèrent passer pour savants pourvu qu'ils puissent médire et parler désavantageusement des ouvrages des autres. De mon côté, je connais assez ma faiblesse, et je veux toujours me souvenir de cette belle maxime du Psalmiste : "J'ai dit en moi-même: Je veillerai sur ma conduite, pour ne point pécher par ma langue; je mettrai un frein à ma bouche tandis que le méchant s'élèvera contre moi. Je me suis tu, je me suis tenu dans l'abaissement, et n'ai pas même dit de bonnes choses. "




SUR LE PROPHETE ABDIAS. A PAMMAQUE.

Ab 1

Quand j'étais enfant je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant ; mais depuis que je suis devenu homme, je me suis défait de tout ce qui tenait de l’enfance. Si l'Apôtre a fait des progrès, et si chaque jour il a oublié te qu'il avait déjà fait, pour s'avancer vers quelque chose de plus parfait et obéir à la parole du Sauveur, qui défend à ceux qui ont mis la main à la charrue de regarder derrière eux, ne dois-je point espérer, à plus forte raison, émoi qui ne suis point arrivé à l'état d'un homme parfait, à la mesure de l'âge de Jésus-Christ, qu'on me pardonnera une faute que j'ai faite en ma jeunesse, lorsque poussé par mon extrême ardeur de l'étude des Ecritures, j'osai entreprendre d'expliquer le prophète Abdias dans le sens allégorique, n'étant pas encore assez instruit du sens historique et littéral. J'avais alors une forte passion pour l'intelligence du sens mystique et figuré des Ecritures; et parce que j'avais lu dans l’Evangile que tout est possible à ceux qui ont la foi, j'oubliais en même temps ma propre insuffisance, et je ne faisais pas attention que les dons sont différents dans l'Eglise, et que tous n'y possèdent pas les mêmes grâces. La connaissance que je croyais avoir des belles-lettres et des sciences humaines était cause que je me croyais, et me flattais de pouvoir lire un livre scellé. Mata qu'il y avait en moi de la témérité et de l'imprudence d'oser espérer de réussir dans l'explication de ce livre, pendant que les vingt-quatre vieillards et les animaux mystérieux, tous pleins de lumières, se lèvent de leurs trônes pour se prosterner devant l'agneau et lui rendre gloire, en confessant leur propre ignorance! Dieu ne m'avait pas encore ordonné d'annoncer sa parole, et je ne pouvais me flatter que la pratique de ses commandements m'en eût mérité l'intelligence. J'avais mis en oubli cette parole de l'Evangile : " Bienheureux sont ceux qui possèdent la pureté de coeur, parce qu'ils verront Dieu. " Enfin, quoique mes lèvres n'eussent point été purifiées par un charbon ardent pris sur l'autel, et que le Saint-Esprit n'eût point encore dissipé les ténèbres de mes anciennes erreurs, j'avais néanmoins la hardiesse de dire avec un prophète : " Me voici, envoyez-moi.

Je croyais que cette première épreuve de mon petit génie demeurerait inconnue et cachée dans ma cassette, et j'avais destiné au feu un ouvrage si imparfait; mais je fus bien surpris d'en voir un exemplaire entre les mains d'un jeune homme qui venait d'Italie, et qui était à peu près du même âge que moi quand je fis ce commentaire. Lorsque je le vis louer si hautement mes explications allégoriques, je vous avoue que je fus étonné que mon livre, malgré la faiblesse de son style, eût des admirateurs. J'entrai, en admiration à cause que, si mal écrit que soit un livre, il ne laisse pas d'avoir des approbateurs. Il louait ce qui me faisait rougir de confusion, et élevait jusqu'au ciel les sens mystiques que j'avais trouvés dans les paroles du prophète, pendant que je tenais baissés les yeux vers la terre de peur qu'on ne s'aperçût de la honte qui paraissait sur mon visage.

Mais quoi donc! faut-il que je condamne tout-à-fait et que je désavoue les premiers essais de ma jeunesse? Non, ce n'est point là mon dessein, car je sais que pour la construction du tabernacle on n'offrit pas seulement de l'or, mais qu'on fit aussi des présents d'étoffes de poils de chèvre. Nous lisons même dans l'Evangile que toutes les offrandes des riches ne furent pas si agréables à Dieu que deux oboles d'une pauvre femme veuve. Je donnais donc en ma jeunesse ce que je pouvais avoir en ce temps-là, et maintenant je rendes au Seigneur tout le profit que j'ai fait en plusieurs années, me souvenant que c'est par sa grâce que je suis ce que je suis, et avouant que je me suis beaucoup appliqué à l'étude des Ecritures durant trente années qui se sont écoulées depuis mon premier coup d'essai. J'ai trouvé un père plein de bonté, qui reçoit avec empressement ses enfants quand ils reviennent de leurs égarements, et qui, n'attendant point qu'on se présente à la porte, va lui-même au-devant de ceux qui reviennent, pour leur donner Panneau et le riche vêtement qu'il leur avait fait préparer. Quoique le frère aîné en témoigne du chagrin et de la jalousie, et qu'il ose leur reprocher les débauches passées, les anges du ciel font retentir des concerts harmonieux et se réjouissent du salut de ceux qui font pénitence.

Au reste, mon cher Pammaque, que j'aime plus que n a vie, je composai ce premier commentaire mystique aussitôt après que nous eûmes quitté vous et moi les écoles de rhétorique, et dans le temps que je songeais, avec mon cher Héliodore, à me retirer du monde et. à aller vivre solitaire dans le désert de Chalcide, sur les confins de la Syrie et de l'Arabie. Puis donc qu'un ouvrage que je croyais n'être connu de personne est devenu si public malgré moi, je tâcherai de revenir sur mes pas, et de redresser les lignes qui tombent et qui vont de travers. J'étais alors encore tout enfant, et à peine avais-je appris à bien écrire; ma main était chancelante, mes doigts tremblaient encore en écrivant. Actuellement, quand je n'aurais fait d'autres progrès, je suis du moins persuadé de cette belle maxime attribuée à Socrate : " Je sais que je ne sais rien. "

Mais Cicéron, l'honneur de votre ville, ne se plaint-il pas lui-même de n'avoir pas écrit d'abord très bien, et, pendant un temps, d'avoir laissé échapper des fautes de commençant? Si donc ce célèbre orateur a trouvé des défauts et dans ses livres à Hérennius et dans ses pièces de rhétorique (que je regarde comme des pièces achevées), et s'il a méprisé ces ouvrages en les comparant à ceux qu'il a composés dans sa vieillesse, pourquoi ne me sera-t-il point permis de regarder mon premier commentaire sur Abdias comme l’ouvrage imparfait d'un jeune homme, et celui que je fais présentement comme le travail d'un homme qui est arrivé à la maturité de la vieillesse? Je pourrais encore me défendre par l'exemple de Tertullien, d'Origène et de Quintilien, même dans les douze livres où ce dernier donne des règles pour former un orateur.







SUR LA TRADUCTION DU PROPHETE ISAIE. A PAULA ET A EUSTOCHIA.



Il ne faut pas s'imaginer que les livres des Prophètes sont écrits en vers dans l'original hébreu, comme le livre des Psaumes et les livres de Salomon, parce qu'on les voit divisés en versets dans la traduction latine. Le traducteur a cru être agréable au public en distinguant cette nouvelle traduction par un ordre nouveau, comme on a fait autrefois pour les ouvrages de Démosthène et de Cicéron.

Je me suis livré à une étude particulière d'Isaïe, que j'appellerai le prince des prophètes, non à cause de sa haute naissance, mais à cause de la beauté de son génie, de l'éclat et de la force de son éloquence. Ses idées sont grandes et magnifiques, ses pensées sont fortes et élevées, ses images sont nobles et majestueuses, et son style est brillant et énergique.

Aussi a-t-il été difficile de conserver dans la traduction toutes les beautés et toute la noblesse de ses expressions. D'un autre côté, il est bon de prévenir qu'il est tout aussi bien un évangéliste qu'un prophète ; car il nous révèle d'une manière si claire et si frappante tous les mystères de Jésus-Christ et de l'Eglise, qu'il semble plutôt raconter des choses passées que prédire des choses à venir. Et je pense que c'est ce qui a engagé les Septante , comme il sera facile de le remarquer en lisant cette traduction, à omettre plusieurs passages et à cacher aux païens les mystères de la religion judaïque, de peur de donner les " choses saintes aux chiens " et de jeter les perles devant les pourceaux.

Je sais au reste combien les prophètes sont difficiles à expliquer et je n'ignore pas que je m'expose à la censure de ceux qui, par une secrète envie, méprisent tout ce qui parait leur être supérieur. Je m'attends donc à me voir livré à toutes les attaques de l’envie et de la médisance. Mais comme les Grecs, qui néanmoins se servent de la version des Septante, ne laissent pas que de consulter les traductions d'Aquila, de Symmaque et de Théodotien, soit pour profiter de leurs lumières, soit pour mieux entendre les Septante en comparant toutes ces versions avec la leur, je prie ces lecteurs difficiles qui ne trouvent rien à leur goût de me permettre d'ajouter encore une traduction à celles que l'on a déjà données au public, et je les conjure de prendre la peine de la lire avant que de la mépriser, de peur qu'on ne les accuse de ta condamner plutôt par prévention et par caprice que par raison et avec connaissance de cause.

Mais je reviens à Isaïe. Ce prophète a para dans Jérusalem et dans la Judée avant la captivité des dix tribus. Il prédit tantôt en général, tantôt séparément, tout ce qui doit arriver aux deux royaumes de Juda et d'Israël. On di. rait qu'il est entré dans le secret des desseins de la sagesse divine, et que Dieu n'a rien eu de caché pour lui; car, bien qu'il semble n'avoir en vue que les affaires de son temps et le rétablissement des Juifs après la captivité de Babylone , il est cependant certain que sa grande affaire est de nous indiquer la vocation des gentils et l'avènement de Jésus-Christ. Comme ce divin Sauveur est l'unique objet de votre affection, je vous supplie aussi, mesdames, de le prier, avec une ardeur égale à votre amour, de me tenir compte un jour des chagrins et des ennuis que me font maintenant éprouver mes ennemis, qui ne se fatiguent ni de m'attaquer, ni de me diffamer de toutes les manières; car notre Seigneur sait bien que je ne me suis appliqué avec tant de soin et de travail à l'étude d'une langue étrangère que pour empêcher les Juifs d'insulter plus longtemps à son Eglise, et de lui reprocher que tout est corrompu et défiguré dans nos saintes Ecritures.













PRÉFACE DE LA TRADUCTION DU LIVRE SUR LE SAINT-ESPRIT DE DYDYME. A PAULINIEN.



Lorsque je demeurais à Babylone, que j'étais nouvel habitant de la prostituée couverte de pourpre, et que je jouissais du droit de bourgeoisie chez les Romains, j'entrepris de dire quelque chose de la divinité du. Saint-Esprit, et j'avais résolu de dédier l'ouvage à l'évêque de cette ville; mais à peine avais-je commencé que je vis, comme un autre Jérémie, un grand pot de terre du côté d'Aquilon, qui me parut être tout en feu; j'entendis en même temps que le sénat des pharisiens avait prononcé la sentence de ma condamnation. Et ne croyez pas que ce filt quelque savant dans la loi, quelque homme d'esprit et grand politique, ce fut la faction de tous les ignorants qui conspira pour me perdre, comme si je leur avais déclaré hautement une guerre littéraire. Cela m'obligea de retourner aussitôt à Jérusalem, comme pour reprendre mon ancienne habitation qu'on m'avait enlevée. Ainsi, après avoir été quelque temps le spectateur de la cabane de Romulus et des jeux de Lupercal, j'ai été assez heureux pour revoir l'hôtellerie de Marie et la caverne où naquit le Sauveur du monde. Or donc, mon cher frère Paulinien, comme l'évêque Damase, qui m'avait demandé le premier cette traduction, repose maintenant en Jésus-Christ; il faut, avec le secours de vos prières et de celles des vénérables servantes de Jésus-Christ, Paula et Eustochia, que je chante ici le cantique que je n'ai pu chanter dans une terre étrangère, estimant infiniment plus grande la gloire et la dignité du lieu de la naissance de Jésus-Christ que celle de la ville impériale de Romulus, souillée par un fratricide.

Mais pour ne pas m'attribuer l'ouvrage d'un autre auteur et devenir semblable à ceux qui se parent des belles plumes des autres oiseaux, j'ai mieux aimé prendre la qualité d'interprète que de faire quelque livre de mon chef. J'ai lu depuis quelque temps les traités d'un anonyme sur la divinité du Saint-Esprit, et j'y ai remarqué ce qu'a dit une fois un poète comique, je veux dire "une méchante traduction latine d'un excellent original grec. " Il n'y a rien dans cet ouvrage qui se ressente de l'art de la logique, rien de fort ni d'embarrassant pour obliger le lecteur, comme malgré lui, à se. rendre à ce que l'on dit; au contraire, tout y est faible et languissant; et s'il s'y trouve quelque beauté, elle est affectée, fardée et empruntée. Or mon Didyme, ayant les yeux de l'épouse des Cantiques, porte sa vue bien plus loin, et par sa pénétration il nous fait remonter su temps où les prophètes étaient appelés " les voyants. " Ceux qui voudront le lire reconnaîtront infailliblement que les Latins ont tout dérobé à cet auteur; et, comme ils pourront puiser dans la source même, ils se mettront peu en peine d'aller chercher l'eau dans les ruisseaux. Il est vrai que l’ouvrage de Didyme n'est pas éloquent, mais il a un grand fond de science, et par là il nous fait assez voir qu'il imite le style des hommes apostoliques, tant dans la simplicité des termes que dans la majesté et la profondeur des pensées.







EXPLICATION DES CÉRÉMONIES DE L'ANCIENNE LOI ET DE L'HABILLEMENT DES PRETRES, A FABIOLA,


Moïse était revêtu d'une telle gloire en parlant, que le peuple ne pouvait le regarder à cause de la splendeur et de la lumière qui éclataient en lui. Mais quand nous nous convertissons véritablement à Dieu, le voile qui couvrait le visage de Moïse est levé; la lettre qui tue meurt elle-même, et l'esprit qui donne la vie est renouvelé; car Dieu est l'esprit et la loi spirituelle. De là vient que David, dans un de ses psaumes, demande à Dieu qu'il lui ouvre et lui illumine les yeux, pour, contempler les merveilles de sa loi.

En effet, est-ce que Dieu se met en peine de ce qui regarde les boeufs? est-ce qu'il se soucie de leur foie et de celui des boucs et des béliers, ou de leur épaule droite, de leur poitrine, et des intestins qui étaient donnés aux prêtres, aux enfants de Phinées pour les nourrir? A l'égard des victimes qu'on appelait " salutaires, " la graisse qui était à l'entour de la poitrine et la noix du foie étaient présentées sur l'autel; mais la poitrine et le côté droit devenaient le partage d'Aaron et celui de ses enfants, dont ils ne pouvaient jamais être privés.

Toutes ces cérémonies étaient des instructions mystérieuses pour nous. Le principe du sentiment est dans le coeur, et le coeur est dans la poitrine. Les naturalistes demandent où réside particulièrement l'âme. Platon prétend que c'est dans le cerveau, et Jésus-Christ nous apprend, lui, que c'est dans le coeur " Bienheureux, dit-il, ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu! " et ailleurs : " Les méchantes pensées partent du coeur; " et parlant . aux pharisiens, il leur demande " pourquoi ils donnent entrée en leurs coeurs à de mauvaises pensées. " C'est l'opinion des physiciens que la volupté et la concupiscence viennent du foie, et les prêtres l'offrent à Dieu afin qu'ayant dit : " Que votre holocauste soit parfait, " et qu'ayant consumé par le feu ce qui est la source de la concupiscence et de l'amour des plaisirs, ils reçoivent pour récompense la poitrine et le côté de la victime, c'est-à-dire : les pensées pures, l’intelligence de la loi, la vérité de ses préceptes qui résident dans le coeur, la puissance de faire de bonnes oeuvres, et la force pour combattre contre le démon, qui dépendent du bras , qui est attaché au côté. Car ils doivent montrer par leurs actions quelles sont leurs pensées, à l’exemple de Jésus-Christ qui commença à enseigner par des faits. Tout cela et ces paroles de Malachie : "Les lèvres du prêtre gardent la science, et on attend de sa bouche l'explication de la loi, " montrent que le soin principal d'un prêtre doit être de se rendre savant dans la loi de Dieu pour résister à ceux qui s'y opposeront, et qu'il ne doit commettre aucunes mauvaises actions qui le conduisent en enfer, mais se servir du bras droit, c'est-à-dire : faire en sorte par sa vertu que ses actions soient distinguées de celles des autres.

Voilà ce que j'ai cru être obligé de vous dire des victimes " salutaires, " des parties qui en étaient consumées sur l'autel, et de celles que Dieu a commandé qu'on donnât aux prêtres. Quant aux autres, excepté l'offrande des prémices, où l'on songeait plutôt à leur subsistance qu'à quelque instruction mystérieuse, ils avaient trois parties de l’animal qui était immolé ; le côté, la mâchoire et le ventre. J'ai expliqué ce qui regarde le côté. La mâchoire est la figure de la science et de l'éloquence qu'un prêtre doit avoir, et le ventre, par où Phinées perça la Madianite de son épée, nous enseigne que tous les travaux des hommes et l'attache qu'ils ont aux plaisirs sensuels, et particulièrement à ceux de la table, sont méprisables par la considération de ce qu'ils deviennent. Cela apprend à ceux qui servent véritablement Dieu que tout ce qui entre dans la bouche descend de là dans le ventre, et est jeté ensuite au lieu secret. De lâ vient que l'Apôtre dit : " Les viandes sont pour le ventre et le ventre pour les viandes, mais Dieu détruira un jour l'un et l'autre." En parlant de ceux qui sont adonnés à leurs plaisirs, il dit encore " qu'ils font leur Dieu de leur ventre , et qu'ils mettent leur gloire dans leur propre honte. " Moïse fit mettre en poudre le veau d'or que le peuple d'Israël avait adoré, et ensuite le lui donna à boire par dérision de sa superstition, et pour lui faire concevoir du mépris pour une chose qui se tournait en excréments. L'usage du vin et de tout ce qui peut enivrer est défendu à ceux qui sont consacrés au service des autels, de peur que leurs coeurs ne s'appesantissent par l'excès des viandes et du vin et par les inquiétudes de cette vie, et afin qu'ils ne s'attachent sur la terre qu'à Dieu seul. La loi veut aussi qu'ils n'aient aucun défaut en leurs corps, qu'ils aient les oreilles entières et les yeux bons, qu'ils ne soient ni boiteux ni défigurés; et tout cela est une instruction pour quelques vices particuliers de l'âme. En effet, Dieu ne rejette pas dans un homme les défauts de la nature, mais les dérèglements de la volonté.

Si un prêtre se souille par quelque impureté involontaire, il lui est défendu de s'approcher de l’autel; et au contraire une veuve arrivée à l’âge de Sara est reçue à cause de sa continence, et on la fait subsister des deniers du temple, pourvu qu’elle n’ait pas d'enfants; mais si elle en a, on la leur met entre les mains, afin que, suivant ce que dit l'Apôtre, celles qui sont vraiment veuves ne manquent pas d'assistance, et que celle qui est entretenue du bien de l’autel n'ait de l'affection pour aucune chose. Les voisins et les mercenaires ne mangeaient pas avec les lévites, mais ce qu'on desservait de leur table était donné à leurs serviteurs : c'est-à-dire que dès ce temps-là on condamnait Phigèle et Hermogène, et qu'on recevait Onésime. On offrait aux grands prêtres les prémices de toutes sortes de viandes, de grains et de fruits, afin qu’étant assurés de leur nourriture et de leur vêtement, ils pussent servir Dieu sans obstacle et sans soucis. On leur donnait les premiers-nés des animaux regardés comme " purs, " et l’on vendait ceux des " immondes, " et ils en recevaient l’argent. On rachetait aussi les premiers-nés des hommes, et parce que dans toutes les conditions la manière de naître est la même, le prix de rachat était égal pour tous, afin que les riches ne devinssent pas orgueilleux pour avoir payé beaucoup, et qu'une somme excessive n'incommodât pas les pauvres. Les dîmes étaient le partage des portiers et de ceux qui avaient soin de la sacristie; mais ils payaient ensuite la dîme de ces mêmes dîmes aux prêtres, auxquels ils étaient inférieurs comme ils étaient eux-mêmes supérieurs au reste du peuple. Il y avait quarante-huit villes choisies pour la demeure des prêtres et des lévites, et six, tant en-deçà qu'au-delà du Jourdain, pour celle des exilés, dont le bannissement durait jusqu'à la mort du grand prêtre. Tout ce que je vous ai dit jusqu'ici, et dont je vous ai plutôt indiqué que découvert les mystères, regarde seulement les simples prêtres; et je vais en peu de mots vous expliquer le nombre et la grandeur des prérogatives du pontife.

Il lui était défendu de se découvrir la tête. Il portait un bonnet où, sur la partie qui descendait sur le front, le nom de " Dieu " était écrit. Il avait le diadème. Il fallait qu'il eût trente-trois ans accomplis, c’est-à-dire qu’il fût de l'âge de Jésus-Christ quand il est mort, et il devait être toujours revêtu de sa gloire. Il ne lui était pas permis de déchirer ses habits, parce qu'ils étaient blancs et sans tache; et on les faisait avec de la laine d'une brebis tondue pour la première fois. Aussi Thamar, ayant perdu sa virginité, mit sa robe en pièces, et Caïphe, étant destitué du sacerdoce, déchira en public ses vêtements. Et le grand prêtre n'allait pas où il y avait un corps mort, car il n'entrait pas où il y avait du péché, qui est accompagné de la mort. " L’âme, " dit l'Ecriture, " qui aura péché, mourra. " Quelque riche que fût une personne, quelle que fût son autorité, et quelque quantité de victimes qu'elle pût offrir, le grand prêtre n'en approchait pas et ne la voyait pas si elle était morte, c'est-à-dire : si elle avait péché. Au contraire, si elle ressuscitait, qu'elle sortît du tombeau à la voix du Seigneur qui l’appelait, et, qu'étant délivrée des bandelettes du péché, elle marchât libre, le grand prêtre demeurait chez elle et mangeait avec elle après sa résurrection. Il lui était défendu d'offenser Dieu à cause de son père et de sa mère; car l'affection que l’on a pour eux nous porte sans doute à beaucoup de choses; et souvent une parenté fondée sur la chair et le sang est cause de la perte de l'âme et de celle du corps. "Celui, " dit l'Evangile, "qui aime son père ou sa mère plus que Jésus-Christ n'est pas digne de Jésus-Christ ; " et un disciple voulant aller ensevelir son père, le Sauveur le lui défendit. Combien y a-t-il de solitaires que le désir de secourir leur père et leur mère a perdus! Si notre père ou notre mère ne doit pas noms être une occasion de souillure, à plus forte raison nos frères , nos soeurs, notre famille et nos serviteurs. Nous sommes de la race choisie et de l’ordre des prêtres-rois. Ne considérons que ce père qui ne meurt jamais ou qui ne meurt que pour nous, et qui, étant en vie, c'est-à-dire: exempt de péché, a voulu endurer la mort afin de nous rendre la vie. S'il nous reste quelque chose de l'Egypte que le prince du siècle puisse reconnaître comme étant à lui, laissons-le où il est, entre les mains de la femme égyptienne, Celui qui se sauva nu en chemise n'eût pu éviter de tomber sous la puissance de ceux qui le poursuivaient, s'il eût porté quelque chose et qu'il n'eût pas été dépouillé de tout. Acquittons-nous envers nos parents de ce qui leur est dû , pourvu toutefois qu'ils soient vivants, c'est-à-dire : qu'ils ne soient pas morts par le péché; et qu'ils s'estiment glorieux de ce que leurs enfants leur préfèrent Jésus-Christ. Ainsi, le grand prêtre ne sera pas obligé de s'éloigner de nous , et nous ne serons pas cause qu'il profane ce que Dieu a sanctifié en lui, puisque trous ne pécherons pas.

Nous rendrons aussi compte, au jour du jugement, de toutes les paroles inutiles que nous aurons dites ; car " tout ce qui n'édifie pas celui qui écoute met en danger celui qui parle. " Si, en disant ou en faisant quelque chose qui mérite de m'être reproché, je cesse d'être du nombre des saints et profane le note du Seigneur en qui je mets ma confiance; le grand prêtre- et l'évêque ont beaucoup plus de sujet d'appréhender, eux qui doivent être exempts de souillure, et d'une vertu si éminente qu'ils soient toujours du nombre des saints, et toujours prêts d'offrir à Dieu des victimes pour les péchés des hommes; eux qui sont médiateurs entre Dieu et les hommes, qui font avec leur bouche sacrée la chair de l'agneau; et sur qui (huile sainte du Sauveur a été répandue.

Le grand prêtre ne sortait pas du sanctuaire, de peur de souiller les vêtements dont il était revêtu. Nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été revêtus de Jésus-Christ: conservons la robe qui nous a été donnée, conservons-la toute sainte en un lieu saint. Cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho fut dépouillé avant que d'être blessé. On versa premièrement dans ses plaies de l'huile, qui est un remède doux, et pour ainsi dire le remède d'un médecin touché de compassion pour le malade; et ensuite, comme il devait être châtié de sa négligence, on y versa du vin, afin que par son âpreté sentant quelque douleur dans ses plaies, l'huile le portât à faire pénitence, et que le vin lui fit éprouver la sévérité de celui par qui il devait être jugé.

Le grand prêtre épousait une vierge, et n'épousait pas une veuve, ni une prostituée, ni une répudiée, mais une vierge de sa tribu, de peur qu'il ne souillât son sang en le mêlant avec celui du peuple; car " c'est moi," dit le Sauveur, " qui le sanctifie. " Je sais que la plupart expliquent toutes ces lois qui sont ici données au grand prêtre de Jésus-Christ, et qu'ils entendent de sa mère, qui demeura vierge après son enfantement, ces paroles : "Dieu ne sera pas offensé à cause de son père et de sa mère;" et j'avoue qu'il est plus convenable de faire cette interprétation de celui à qui il est dit dans le psaume: "Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisedec ;" et par Zacharie : "Écoutez, ô grand prêtre, Jésus, à qui les sales vêtements de nos péchés ont été ôtés, afin qu'il obtienne la gloire qu'il avait reçue auprès de votre père avant que le monde fut créé; " mais, de peur qu'on ne croie que je veuille faire violence à l'Écriture, et que l'amour que j'ai pour mon Sauveur m'oblige à ôter à l'histoire son véritable sens, l'interprétation que j'en ferai tournera à ta gloire du chef : Ce que j'expliquerai des serviteurs s'accomplira devant le maître, quoique la gloire des serviteurs soit celle du maître; et même, à chaque occasion qui s'en présentera, je parlerai de telle sorte de la véritable lumière, que je ferai voir qu'elle est descendue sur ceux que Jésus-Christ a choisis pour être la lumière du monde.

Il n'était pas permis à ce grand prêtre dont parle Moïse d'épouser une veuve, une répudiée ni une prostituée. Celle-là est une veuve dont le mari est mort; celle-là est une répudiée qui est abandonnée par son mari vivant; et celle-là enfin est une prostituée qui a vécu avec plusieurs hommes. Mais il fallait qu'il épousât, suivant ce que Moïse lui ordonne, une vierge de sa tribu, et non pas d'une tribu étrangère, de peur que la semence du bon grain ne dégénérât dans une mauvaise terre. Il lui était défendu d'épouser une prostituée parce qu'elle s'était abandonnée à plusieurs hommes, une répudiée parce qu'elle s'était rendue indigné de son premier mari, et une veuve de peur qu'elle ne rappelât en sa mémoire les plaisirs de ses premières noces; c'est-à-dire que son âme devait être sans tache, et, renaissant en Dieu, augmenter tellement en vertu que de jour à autre elle parût une âme nouvelle, afin qu'il fût du nombre de ceux dont parle l'Apôtre : " Je vous ai fiancés à un unique époux, qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure, et qu'il ne restât rien en lui du vieil homme. " Si donc nous sommes ressuscités avec Jésus -Christ, recherchons ce qui est dans le ciel; à l'exemple du grand prêtre, oublions le passé et ne désirons que les biens à venir. Le misérable Simon fut trouvé indigne de la compassion de saint Pierre, parce qu'après avoir été baptisé il songea aux plaisirs de l'ancien mariage et n'eut pas une pureté de vierge.

Vous m'avez prié avec instance dans vos lettres que je vous entretinsse d'Aaron et des habillements du grand prêtre. J'ai fait plus que vous n'avez demandé , ayant mis à la tête de ce discours une petite préface où j'ai traité des prémices des fruits, des parties de la victime qui étaient données aux prêtres pour leur nourriture, et des lois que le grand prêtre était obligé de garder. Mais, sortant de Sodome, et vous hâtant de monter sur le sommet de la montagne, vous laissez derrière vous les Israélites et les lévites; vous allez même aussi vite que si vous voliez, plus loin que les prêtres, et vous venez enfin jusqu'au grand prêtre. Cependant, quoique. vous vous informiez soigneusement de ses habillements auprès: de moi, je crois que notre compagnie ne vous est pas agréable. Ce n'est pas que vous ne jouissiez, peut-être d'un repos très doux, et qu'auprès de Babylone, où vous êtes, vous ne soupiriez après Bethléem; mais pour nous, à la fin, nous y avons trouvé la paix; nous y entendons, dans la crèche, les cris de l'Enfant, et je souhaiterais que le bruit de ses pleurs et de ses petites plaintes pût aller jusqu'à vos oreilles.

Il est fait mention dans l'Exode du tabernacle, d'une table, d'un chandelier, d'un autel, de colonnes, détentes de lin, de pourpre, d'écarlate, de différents vases d'or, d'argent et d'airain, de la division du tabernacle en trois, de douze pains qui se mettaient sur la table toutes les semaines, de sept lampes attachées au chandelier, d'un autel pour les victimes et les holocaustes, de tasses, d'encensoirs, de fioles, de mortiers, de poteaux, de peaux teintes en écarlate, de poils de chèvre, et de bois incorruptible. Toutes ces choses différentes servaient au tabernacle de Dieu, pour nous apprendre que personne ne doit désespérer de son salut. En effet, les uns peuvent offrir l'or de leur sens, les autres l'argent de leurs paroles , et les autres le bronze de leur voix.

Le monde entier nous est représenté par le tabernacle, dont le premier et le second vestibule étaient ouverts à toutes sortes de personnes, car l'eau et la terre ont été créés pour tous les hommes; mais l'entrée du sanctuaire, qu'on appelait autrement: le lieu saint des lieux saints, n'était libre qu'à peu de gens, comme s'il y en avait peu qui pussent entrer dans le ciel. Les douze pains sont la figure des douze mois de l'année, et les sept lampes attachées au chandelier, celle des sept planètes.

Mais pour ne pas m'étendre davantage sur ce sujet, ne m'étant pas proposé de faire ici la description du tabernacle entier, je commencerai à parler des habillements des prêtres, vous apprenant comment ils étaient faits et les propres noms qu'ils avaient parmi les Juifs, avant de vous expliquer les mystères qui y étaient renfermés, afin que vous en ayant fait la peinture, et vous ayant, pour ainsi dire, placé devant les yeux les prêtres revêtus de leurs ornements, je puisse ensuite vous expliquer plus facilement la raison de chacun en particulier. Commençons d'abord par les habillements communs aux prêtres et au grand prêtre.

Le premier, qui était de lin, leur descendait jusqu'aux genoux, cachant ce que la pudeur et la bienséance défendent de découvrir. La partie du haut en était liée très serré sous le nombril, afin que si, tombant en immolant les victimes, en portant des taureaux et des béliers, ou en s'acquittant de quelque autre fonction de leur ministère, on voyait par hasard leurs cuisses, ce qui devait être caché le fat toujours. C'était aussi pour cette raison qu'il était défendu d'élever l'autel, de peur que, lorsque les prêtres monteraient sur les degrés, le peuple ne vit quelque chose qui choquât l’honnêteté. Les Hébreux appellent cette sorte d'habillement michenese, les Grecs périsquele, et nous autres caleçon. Joseph, qui était de la tribu des prêtres et qui a vu le temple, qui n'était pas démoli de son temps, Vespasien et Tite n'ayant pas encore saccagé Jérusalem, rapporte (et l'on tonnait toujours mieux ce que l'on voit que ce que l'on apprend par le récit des autres) que cet habillement étant taillé, on le cousait à l'aiguille avec du fil de lin, afin que les parties en tinssent mieux les unes aux autres, parce. qu'on ne pouvait pas le faire au métier de tisserand.

Ils avaient après cela une sorte de tunique de lin de deux pièces, appelée par les Grecs juderes, c'est-à-dire : qui va jusqu'aux talons; par le même Joseph : robe de lin simplement; par les Hébreux : chetouet, qui peut être traduit par robe qui est de lin. Elle descendait jusqu'au bas des jambes et était si étroite, et particulièrement par les manches, qu'elle ne faisait pas seulement un seul pli. Je me servirai de l'exemple d'une chose ordinaire pour faire comprendre plus facilement ce que c'était à ceux qui me liront. Les gens de guerre portent d'ordinaire un certain habillement de lin appelé chemise, qui est comme collé sur leur corps, de sorte qu'il ne les empêche pas de courir, de combattre, de lancer un javelot, de tenir un bouclier, ni de faire tous les exercices de soldat : la tunique que portait le prêtre à l'autel était à peu près pareille à cette chemise; ainsi par la forme de cet habillement, il pouvait encore être aussi dispos que s'il eût été nu.

Ils nommaient leur troisième sorte d'habillement abnet; que nous pouvons traduire par ceinture, ou: baudrier; et les Babyloniens l'appellent hemejamin, qui est un mot nouveau; car j'en rapporte tous les noms différents, afin que personne n'y soit trompé. Cette ceinture était semblable à la peau qu'un serpent quitte en se renouvelant au printemps, et tissue en rond, de telle sorte qu'on l'aurait prise pour une longue bourse. Afin qu'elle fût belle et de durée en même temps, la trame en était d'écarlate, de pourpre, de hyacinthe et de fin lin, étant bigarrée de diverses couleurs si vives et si naturelles qu'on eût cru que les fleurs et les boutons de fleurs dont elle était enrichie n'étaient pas l'ouvrage de la main de l’ouvrier, mais une véritable production de la nature. Ils ceignaient, entre la poitrine et le nombril, la tunique de lin dont je viens de parler avec cette ceinture qui était large de quatre doigts; et comme elle pendait par un bout jusqu'au bas des cuisses, ils la relevaient et la jetaient sur l'épaule gauche lorsque, dans le sacrifice, il fallait courir ou s'occuper de quelque chose de grossier.

Leur quatrième sorte d'habillement était une espèce de bonnet rond semblable à une moitié de globe coupé en deux, qu'on mettait sur la tête. Les Grecs et nous le nommons puran, quelques-uns: petit chapeau, et les Hébreux mirnepheht. Il n'y avait pas de pointe au-dessus, et il ne cachait pas la tête entière avec tous les cheveux, mais en laissait par-devant environ

la troisième partie découverte, et était lié sur le cou avec un ruban, de peur qu'il ne tombât. Il était de lin, et couvert d'un linge très fin avec tant d'artifice qu'il ne paraissait pas au dehors un seul point d'aiguille.

Les simples prêtres portaient aussi bien que le grand prêtre ces quatre sortes d'habillement, c'est-à-dire: le caleçon, la tunique de lin, la ceinture qui était tissue des couleurs que j'ai marquées, et le bonnet dont nous venons de parler.

Les quatre suivants étaient. seulement à l'usage du grand prêtre. Le premier, qu'ils appelaient meil, ou : tunique qui va jusqu'aux talons, était tout entier de couleur de hyacinthe, et il y avait aux côtés deux manches cousues de la même couleur. Il était ouvert par en haut afin que l'on pût y passer le cou, les bords étant en cet endroit très forts de peur qu'il ne se rompît. Il y avait au bas, c'est-à-dire vers les pieds, soixante-douze sonnettes; et autant de grenades tissues des mêmes couleurs que la ceinture , une sonnette étant entre deux grenades et une grenade entre deux sonnettes; et ces sonnettes étaient attachées à cet habillement afin que le grand prêtre fit beaucoup de bruit en entrant dans le sanctuaire ; car s'il n'eût pas fait de bruit, il serait mort sur la place.

La sixième sorte d'habillement est nommée éphod par les Hébreux, épomis par les Septante, qui veut dire: chasuble, ou: manteau, ou habit qui se porte sur les épaules, et épiramma, par Aquila. Mais je l'appellerai éphod , qui est son nom véritable; car il est constant que ce qui est exprimé dans le Lévitique par : chasuble, ou : habit qui se porte sur les épaules, est toujours pris par les Hébreux pour éphod. Je me souviens d'avoir dit dans une de mes lettres qu'il était un des habits particuliers aux grands prêtres; et toute l'Ecriture sainte assure qu'il était quelque chose de sacré, et destiné seulement à l'usage des souverains pontifes.

Ne m'objectez pas cette difficulté qui se présentera d'abord à votre esprit, qu'il est rapporté au second livre des Rois que Samuel, étant enfant et n'étant que simple lévite, avait un éphod de lin, puisqu'il est dit aussi que David en portait un devant l'arche du Seigneur. Il y a beaucoup de différence entre en avoir un tissu d'or et bigarré des différentes couleurs dont j'ai parlé ci-devant, et en porter un de lin tout simple, et semblable à celui des prêtres. On réduisait l'or en feuillets très déliés que l'on coupait ensuite par filets, à quoi ajoutant pour trame les quatre couleurs que j'ai déjà remarquées, il s'en faisait une espèce de manteau, si beau et si éclatant qu'il éblouissait les yeux de ceux qui le regardaient, étant presque pareil à celui qu'on porte aujourd'hui en Orient, appelé caracalla, excepté qu'il n'avait pas de capuchon. Il n'y avait rien au-devant sur la poitrine, car on laissait ce lieu vide, comme étant la place du rational. Il y avait sur chaque épaule une pierre précieuse, appelée parles Hébreux soom, par Aquila, Symmaque et Théodotien sardonix, par les Septante : émeraude, et par Joseph sardonique, ou. sardoine, s'accordant en cela avec les Hébreux et avec Aquila. Pour marquer la couleur de cette pierre et le pays d'où elle venait, six noms des douze apôtres, d'où descendaient les douze tribus, étaient écrits sur chacune de ces pierres, les six fils aînés de Jacob étant sur l'épaule droite et les six autres sur la gauche, afin que le grand prêtre entrant dans le sanctuaire portât les noms du peuple pour lequel il allait prier le Seigneur.

Le septième habillement, quoique plus petit si l'on en considère l’étendue, était le plus saint et le plus auguste de tous. Soyez, je vous prie, attentive en cet endroit, afin de comprendre ce que je dirai. Les Hébreux l'appellent hosen, les Grecs logion, et nous le nommerons : rational, afin dé faire voir par son nom même qu'il était plein de mystère. C'était un morceau d'étoffe tissue des mêmes couleurs que celles qui étaient au manteau ou chasuble dont nous avons parlé, grand d'un pied en carré, et double afin qu'il ne rompît pas aisément. Douze pierres d'une grandeur et d'un prix extraordinaires y étaient enchâssées en quatre rangs. Une sardoine, une topase et une émeraude composaient le premier rang. Il est vrai qu'à l'égard de la dernière, Aquila est d'un autre sentiment, mettant une crysopase pour une émeraude. Une escarboucle, un saphir, un jaspe faisaient le second, une lisoire, une agate et une améthysthe le troisième, et une chrysolite, une sardoine et un beril le quatrième. Et je m'étonne que celle que nous nommons :hyacinthe, et qui est très précieuse, ne soit pas du nombre des douze, à moins qu'elle n'y soit au troisième rang sous le nom de lisoire; car quelque peine que j'aie prise à feuilleter les auteurs qui ont écrit sur les pierres précieuses, je n'en ai trouvé aucun qui en parlât. Les noms des douze tribus étaient gravés dans chacune de ces pierres, suivant leur ancienneté. Il y avait de ces pierres au diadème du roi de Tyr, et nous lisons dans l'Apocalypse que la céleste Jérusalem en était bâtie. La diversité de leurs noms et de leurs espèces nous marque la différence et le rang de chaque vertu. Outre cela, il y avait aux quatre coins du rational quatre anneaux d'or, auxquels répondaient quatre autres pareils gui étaient attachés aux chasubles ou, manteaux, afin que, quand on mettait le rational en la place vide qui lui était réservée dans le manteau, comme nous l'avons dit, ces anneaux se rencontrassent les uns les autres, et qu'on les liât ensemble avec des bandes de couleur de hyacinthe. Au reste ces pierres étaient arrêtées avec de l'or, de peur que si elles eussent été attachées avec autre chose elles ne se rompissent. Outre cela, afin que tout tînt avec plus de fermeté, il y avait encore des chaînons d'or couverts, pour l’embellissement de l'ouvrage, de tuyaux de même métal, des chaînons, dis-je, qui, partant de deux autres grands anneaux attachés au haut du rational, se venaient accrocher à deux agrafes d'or qui étaient au manteau. Outre ces deux grands anneaux attachés au haut du rational, on en voyait deux autres pareils en bas, où il y avait des chaînons tels que ceux que je viens. de marquer, venant se joindre à deux autres anneaux d'or qui tenaient chacun de leur côté au derrière du manteau, à l'endroit qui répondait à l'estomac; de sorte que le rational était si bien attaché au manteau et le manteau au rational, qu'il semblait qu'ils ne fussent que d'une pièce l'un et l'autre.

Le huitième enfin, nommé sis zaub, était une lame d'or sur quoi le nom de " Dieu " était écrit en quatre lettres, jod, he, van, he, qui composent le nom que les Hébreux appelaient: ineffable. Cette lame d'or, que les simples prêtres ne portaient pas, était posée sur le bonnet de lin, qu'ils avaient comme le grand prêtre, et elle était attachée sur son front avec un ruban de hyacinthe, afin que le nom de Dieu lui servit de protecteur, et couronnât pour ainsi dire la beauté de tous ses ornements.

Jusqu'ici nous avons vu les habillements qui étaient communs au souverain pontife et aux simples prêtres, et ceux qui n'étaient que pour l’usage particulier du premier. Mais si de simples vaisseaux de terre nous font naître tant de difficultés, quelle sera la grandeur du trésor et des mystères qui y sont renfermés ! Commençons donc, selon notre coutume, par dire ce que nous avons appris des Hébreux, et ensuite nous,en découvrirons le sens mystique.

Les quatre couleurs sont la figure des quatre éléments qui entrent dans la composition de tous les êtres, le lin représentant la terre qui le produit, la pourpre la mer, parce qu'elle se fait de coquilles qui s'y pêchent; l'azur l'air, à cause de la ressemblance qu'il y a de la couleur de l'un à celle de l'autre; et l'écarlate enfin le feu, pour la même raison. Le feu est appelé en hébreu sin, qu'Aquila traduit par diaphorume et Symmaque par dibaphon, quoiqu'au lieu de cocus, dont les Latins se servent pour signifier: écarlate, les Hébreux disent tolouath, qui signifie: vermisseau; ajoutant qu'il était juste que le souverain pontife priât non-seulement pour les. Israélites, mais aussi pour le monde entier, qui est composé de la terre, de l'eau, du feu et de l'air, qui appartiennent à tous les hommes. C’est pourquoi ils assurent que son premier habillement, qui était de lin, représentait la terre; le second, d'Hyacinthe, l'air qui s'élève insensiblement de bas en haut, et qui, s'étendant depuis le ciel jusqu'à la terre, était particulièrement marqué par cette robe d'hyacinthe qui couvrait le grand prêtre depuis la tète jusqu'aux talons. Pour les sonnettes et les grenades attachées au bas de cet habillement, et entremêlées comme nous avons dit, ils les rapportent au tonnerre et à la foudre qui se forment dans la moyenne région de l'air, ou à la terre, à l’eau et à tous les éléments, dont les rapports sont si grands qu'ils se trouvent partout mêlés les uns avec les autres. A l'égard de l'or dans lequel les quatre couleurs étaient tissues, il était, selon leur opinion, l'image de la chaleur qui entretient la vie, ou de la Providence éternelle qui pénètre tout. lis croyaient que la chasuble ou manteau, et les deux émeraudes ou sardoines qui y étaient attachées sur les épaules, représentaient les deux hémisphères, dont l'un est découvert et l'autre caché à nos yeux, ou le soleil et la lune qui luisent dessus; que la ceinture dont la tunique de lin était ceinte se devait entendre de l'Océan, qui est autour de la terre comme cette ceinture autour de cette tunique. Ils interprétaient par le rational, qui était au milieu, la terre qui comme un point est soutenue par tous les éléments, quoiqu'elle les renferme tous en elle-même; et par les douze pierres précieuses le zodiaque, ou les douze mois de l'année, rapportant une saison à chaque rang de ces pierres, et à chaque saison trois mois.

Au reste, il ne faut pas se persuader qu'il y ait de l'idolâtrie dans cette explication; car quoique les païens aient profané les choses du ciel et l'économie que Dieu y avait établie en leur donnant des noms d'idoles, il ne faut pas pour cela nier sa Providence, qui, agissant toujours avec une conduite certaine et réglée, gouverne tout. Il est même fait mention dans les livres de Job de l'Ourse, d'Orion, du zodiaque, qui y est appelé mazolothe, et des autres constellations. Il est vrai qu'elles ne sont pas appelées en hébreu des noms que je rapporte ici ; mais on ne peut faire concevoir sa pensée qu'en se servant des termes qui sont connus à celui à celui qui nous écoute.

Pour ce qui regarde l'ornement en carré qui était au-devant du manteau, c'est avec beaucoup de raison qu’ il est nommé : rational. Il n'y a rien au monde dont il n’y ait une raison; une raison est cause de l'union qui est entre les choses du ciel et celles de la terre; même le cours du ciel est la raison qui règle le chaud et le froid, et le tempérament qui se trouve entre l'un et l’autre et qui gouverne tout ce qui est sur la terre; et de là vient que le rational était si bien attaché au manteau, qui est la figure de la terre. Or, les deux mots grecs delocis et aleteia, dont le premier veut dire . éclaircissement, ou : doctrine, et l'autre: vérité, qui selon quelques-uns étaient écrits sur le rational , ces deux mots, dis-je, nous apprennent qu'il n'y a jamais d'erreur dans la raison sur laquelle est appuyée la conduite que Dieu tient, et que la " vérité " de cette raison vient jusqu'à la connaissance des hommes par plusieurs preuves et divers " éclaircissements. "

C'est pourquoi nous. savons la raison du mouvement du soleil et de la lune, de la durée des années, des mois, des heures et du temps, de la température des saisons et des vents, et enfin de l’économie établie parmi tous les êtres du monde, recevant naturellement cette connaissance de Dieu, qui nous enseigne lui-même la raison de la structure d'un édifice qu'il a bâti et où il demeure. Le bonnet avec son ruban d'hyacinthe marque particulièrement le ciel, et la lame d'or sur laquelle était gravé le nom de Dieu, et qui était attachée au front du grand prêtre, nous montre que tout ce qui est ici-bas se gouverne par la volonté de Dieu.

Je pense aussi que les mêmes choses nous sont représentées sous d'autres noms par les quatre chérubins et par les quatre animaux d'Ezéchiel, qui sont mêlés les uns parmi les autres, de telle sorte qu'en voyant la situation de l'un et la manière dont il est disposé, on voit la disposition et la situation de l'autre. Ils courent avec vitesse vers ce qui est devant eux et ne reviennent jamais sur leurs pas, car le temps coule promptement, et, laissant ce qui est passé, ils s'avancent vers ce qui est à passer. A l'égard du mouvement continuel où ils sont, il est la figure de ce dont il semble que les philosophes aient quelque légère connaissance, que le cours du monde est réglé, et qu'il roule sans cesse comme une roue sur son essieu. C'est ce qui a fait parler ce prophète d'une roue qui est dans une roue, c'est-à-dire du temps qui est dans le temps et de l'année qui roule en elle-même. Ces roues montent jusqu'au ciel, où il y a un trône de saphir élevé sur du cristal, et dans ce trône la figure d'un homme assis, dont la partie de bas est de feu et celle de haut d'ambre, pour démontrer que ce qui est sur la terre a besoin d'être purifié par le feu, et que ce qui est au ciel subsiste dans sa. condition par sa propre pureté. Or comme la lame d'or du grand prêtre était en haut élevée sur son front, Ezéchiel met l’ambre à la tête et à la poitrine de l'homme dont il fait mention.

Il était donc juste, comme nous l’avons déjà dit en partie, que le souverain pontife, portant dans ses habillements un tableau de toutes les créatures, lit entendre qu'elles avaient toutes besoin de l'assistance de Dieu, et que, les lui présentant de la sorte, il expiât ce que chacune avait d'impur en sa condition, ne priant pas, de la voix et par l'habillement, seulement pour ses parents et sa famille, mais encore pour tous les êtres du monde.

Nous ne nous sommes pas étendu davantage sur l'explication que donnent les Hébreux à ces habits, nous contentant d'avoir comme jeté les fondements d'un discours que nous vous allons faire, réservant pour un autre temps une infinité d'autres interprétations.

Pour les caleçons de lin, ils disent communément que la cause des générations et de la production des semences regardant la chair est attribuée à la terre par cette sorte d'habillement que les prêtres portaient sur les cuisses, suivant. ce que Dieu dit à Adam : " Tu es de terre et tu retourneras en terre." Mais ils ajoutent que cette cause nous est inconnue, et que nous ne pouvons découvrir de quelle manière de si petits commencements peuvent produire tant d'hommes et tant d'autres créatures si belles.

Nous lisons dans le Lévitique que Dieu commanda à Moïse de laver Aaron et ses enfants; car dès ce temps-là les mystères du baptême étaient les signes de la purification du monde et de la sanctification de toutes choses. Ils ne furent vêtus qu'après avoir été nettoyés de toutes les souillures, et ne reçurent les habits sacerdotaux, pour servir dans le sacrifice, que lorsque, étant régénérés, ils eurent pris une nouvelle naissance en Jésus-Christ; car on ne met pas du vin nouveau dans de vieux vaisseaux. Moïse qui les faisait laver représente la loi. "Ils ont, dit l’Evangile, Moïse et les prophètes: qu'ils les écoutent;" et ailleurs : " Tous les hommes, depuis Adam jusqu'à Moïse, ont péché." Il faut, à leur exemple, que nous soyons lavés et purifiés par l'observation des commandements de Dieu, afin que, nous étant dépouillés des habits du vieil homme, nous soyons revêtus d'une robe de lin, où il n'y a rien de la mort, mais qui est toute blanche, et que sortant ainsi du baptême, nous nous mettions sur les reins la ceinture de la vérité et cachions la laideur de nos vieux péchés. C'est ce qui a fait dire à David : "Bienheureux sont ceux à qui les iniquités ont été pardonnées, et de qui les péchés sont cachés! "

Après les caleçons et la tunique de lin nous prenons la robe d'hyacinthe, c'est-à-dire ;que nous commençons à quitter la terre pour nous avancer vers le ciel. Cette robe, que les Septante appellent: chemisette, était seulement à l'usage du grand prêtre; ce qui marque que la connaissance des choses relevées n'est pas accordée à tout le monde, mais seulement aux plus avancés dans la vertu et à ceux qui sont parfaits. Elle a été portée par Moïse, par Aaron, par les prophètes, et par tous ceux à qui ces paroles ont été adressées. "Montez sur la montagne, vous tous qui enseignez la parole de Dieu en Sion. " Il ne nous suffit pas d'avoir effacé par le baptême nos vieux péchés, et d'avoir conservé la grâce et les lumières intérieures que nous y avons réelles, si nous n'y ajoutons les bonnes oeuvres. C'est pourquoi on prend encore l'éphod, ou le manteau, que l'on attache au rational afin qu'il soit ferme, et qu'étant joints l'un à l'autre, ils se servent mutuellement à se soutenir; car la raison a besoin de bonnes oeuvres et les bonnes oeuvres de la raison, afin que celles-là exécutent ce que l'autre a conçu.

Les deux pierres précieuses attachées sur les épaules du manteau sont ou la ligure de Jésus-Christ et de l'Église, les douze prophètes qui y étaient gravés représentant les douze apôtres qui ont prêché l'Evangile , ou la figure de la " lettre " et de " l'esprit, " qui renferme tous les mystères de la loi, l’esprit étant sur l'épaule droite et la lettre sur la gauche. En effet, des lettres nous venons aux paroles et des paroles nous arrivons au sens.

Certes, l'ordre et la disposition de ces habillements étaient admirables, et ils formaient un tableau achevé de nos mystères. Les bonnes oeuvres étaient sur les épaules, qui tiennent aux bras, et la raison sur la poitrine ; et de là vient encore que dans les sacrifices on donnait la poitrine des victimes aux prêtres pour leur nourriture. Le rational peut être considéré en deux manières : à son endroit et à son envers, c'est-à-dire par ce qui paraît à nos yeux et par les mystères qui y sont contenus. Il y a douze pierres en quatre rangs, que je crois être l'image des quatre premières vertus : la prudence, la force, la justice et la tempérance, qui sont comme enchaînées l'une avec l'autre; de sorte qu'étant multipliées par trois ou par quatre, elles font le nombre de douze. Ces quatre rangs de pierre peuvent encore être exquis, par les quatre animaux. de l'Apocalypse, pleins d'yeux devant et derrière, et lui éclairent le monde de la lumière de Jésus-Christ dont ils sont resplendissants, tous les quatre se rencontrant dans un seul et chacun dans tous les quatre. C'est ce qui a donné lieu à quelques-uns de croire que ces deux mots grecs delocis et aleteia, dont l'un signifie : éclaircissement, ou : doctrine, et l'autre : vérité, étaient écrits sur le rational. En effet, quand on est revêtu des habillements que j'ai indiqués, c'est une conséquence qu'il faut que les vérités dont notre coeur est plein sortent par notre bouche pour l'instruction des autres. Ainsi le mot de "vérité," c'est-à-dire : science, était écrit surie rational, afin que le souverain pontife se souvînt qu'il devait être savant pour pouvoir parler, et celui " d'éclaircissement, " afin qu'il éclairât le peuple et qu'il lui enseignât ce qu'il avait appris. Que répondront à cela ceux qui soutiennent que l'innocence de la vie peut suffire à un prêtre? L'ancienne loi est conforme sur ce sujet à la nouvelle, et Moïse dit la même chose que l'apôtre : l'un fait servir le mot de " science" à l'embellissement des habits de ses prêtres, et l'autre instruit Timothée et Tite de ce qu'ils doivent apprendre au peuple.

Mais l'ordre qui s'observait en mettant les habits des prêtres de Moïse étant remarquable entre autres choses, examinons ce qu’en dit le Lévitique. On ne prenait pas le rational et ensuite le manteau, mais le manteau le premier et ensuite le rational. "Je suis devenu intelligent, dit David, en exécutant vos commandements. " Appliquons-nous d'abord à instruire les autres par nos propres actions, de peur que l'autorité de la vérité, n'étant pas soutenue des bonnes oeuvres, elle ne fasse aucune impression sur leurs esprits. " Semez des actions de justice, " dit le prophète Osée, " moissonnez les fruits de vie, et éclairez des lumières de votre science, " comme s'il disait: Que vos bonnes actions d'abord vous soient comme les semences de la vie éternelle, dont vous puissiez moissonner les fruits, et puis enseignez les autres. Ce n'est pas être arrivé au souverain degré de la perfection que d'avoir mis le manteau et le rational: il faut les unir et les attacher étroitement l'un à l’autre, de sorte que les actions répondent à la science et la science aux actions, et qu'elles soient suivies de la vérité et de l'éclaircissement que nous devons donner aux autres.

Si j'avais le temps de vous entretenir des quatre éléments dont je ne vous ai parlé ci-dessus qu'en passant, des deux émeraudes ou sardoines, et des douze pierres précieuses du rational, je vous expliquerais la nature et les qualités de tout cela en particulier, et vous apprendrais pour quelles raisons les habits des prêtres en étaient enrichis, vous faisant voir plus au long comment et à quelle vertu chacune de ces choses répond; mais il suffit que le saint évêque Épiphane ait composé sur ce sujet un livre admirable; car si vous prenez la peine de le lire, vous y trouverez de quoi vous instruire à fond sur cette matières Pour moi, je m'aperçois que je passe les bornes ordinaires d'une lettre; toutes mes tablettes étant déjà remplies. C'est pourquoi je viens a ce qui reste et dont je n'ai rien dit, afin de finir ce discours.

Une lame d'or sur laquelle est gravé le nom de " Dieu, " brille au front du grand prêtre; car il nous est inutile de connaître toutes choses, si toutes nos connaissances ne sont comme couronnées de la connaissance de Dieu. Nous prenons des habillements de lin et de couleur d'hyacinthe; nous nous ceignons d'une ceinture, les bonnes couvres nous sont marquées par le manteau sur les épaules, nous couvrons notre poitrine du rational, nous sommes éclairés par la vérité, et nous enseignons aux autres ce que nous savons; mais tout cela ne peut nous rendre parfaits si nous n'avons un guide capable de nous gouverner et si celui qui nous a créés ne veille lui-même sur notre conduite. Ce qui était autrefois figuré par la lame d'or nous est aujourd'hui représenté par le signe de la croix, et le sang de l’Evangile est beaucoup plus précieux que l’or de l’ancienne loi. Les élus même d'autrefois, selon ce que dit Ezéchiel, n'étaient marqués au front qu'avec douleur, et nous chantons aujourd’hui avec le prophète : " Seigneur, la lumière de votre visage luit sur nous. "

Au reste, nous lisons dans l'Exode, en deux endroits, que Dieu commanda à Moïse de faire huit sortes d'habillements aux grands prêtres, ce qui fut exécuté; et cependant le Lévitique ne fait mention que de sept qui servirent à Aaron. Il n'y est pas parlé des caleçons, car je crois que la foi n'a pas de rapport avec ce que nous devons cacher , et il faut que nous mettions nous-mêmes un voile sur ce qui doit rester secret, ne le découvrant qu'à Dieu qui est le seul juge de notre pureté. En effet les autres peuvent connaître notre sagesse, notre force, notre justice , notre tempérance, notre humilité, notre douceur et nos autres vertus; mais la connaissance de notre chasteté est réservée à notre seule conscience dans laquelle les yeux des hommes ne pénètrent point, à moins qu'à l'exemple des animaux nous nous abandonnions publiquement aux plaisirs et aux crimes. De là vient que saint Paul a dit : " Quant aux vierges, je n'ai pas reçu de commandement du Seigneur qui oblige à la virginité ; " et il semble que, n'ayant rien dit des caleçons dans le Lévitique, Moïse ait voulu parler de la sorte : " Je n’ordonne pas de prendre les caleçons, et ne contrains personne de le faire que celui qui désire d'être prêtre les prenne lui-même. " Combien y en aura-t-il de ceux qui passent pour vierges dans le monde dont la chasteté sera condamnée au jour du jugement! et combien y aura-t-il de ceux dont on déchire aujourd'hui la réputation qui recevront de celui qui connaît leur innocence la couronne due à leur pureté ! Il faut donc que nous pressions nous-mêmes les caleçons; que, sans y appeler l’attention des autres, nous cachions nous-mêmes ce qui ne doit pas être découvert. C'est pourquoi tenons nos défauts secrets de telle sorte qu'ils ne soient aperçus de qui que et soit, de peur que nous ne mourions de la mort éternelle s'il en paraît quelqu'un quand nous entrerons dans le sanctuaire.

Mais il est temps que je finisse, et, pour répéter ici ce que j'ai déjà dit, les lumières et la science d'un prêtre de Dieu doivent être d'autant plus grandes qu'il faut que tout parle en lui, jusqu'à sa démarche et aux moindres mouvements de son corps; qu'il apprenne la vérité; et qu'elle fasse du bruit dans ses habits et dans ses ornements, afin que tout ce qu'il dira et tout ce qu'il fera soit pour l'instruction des peuples; car sans les sonnettes, sans les pierreries, sans les diverses couleurs et les fleurs des vertus il ne peut entrer dans le sanctuaire ni porter dignement le nom d'évêque.

J'ai dicté ce discours à la hâte et tout d'une suite, lorsque le vaisseau mettait à la voile et que les cris des matelots appelaient les voyageurs, y rapportant ce que ma mémoire a pu me fournir et ce que j'ai pu ramasser dans le rational de mon coeur par mes longues lectures ; et je m'aperçois bien que j'ai plutôt suivi l'impétuosité de mon naturel que la conduite que doivent tenir ceux qui écrivent, m'étant laissé aller comme un torrent , sans garder aucune liaison ni aucun ordre. On dit qu'il paraît sous le nom de Tertullien un livre sur les habillements d'Aaron, que je n'ai pas encore vu, s’il tombait entre vos mains, comme vous êtes à Rome où toutes choses se rencontrent, je vous prie de ne pas comparer la petite goutte d'eau que je vous envoie, à cette grande rivière ; car on doit me juger d'après la médiocrité de mon esprit, et non pas d'après la beauté de celui des grands hommes.














Jérôme Critique sacrée - FRAGMENTS SUR TOUS LES LIVRES DE L'ANCIEN-TESTAMENT.