Bernard, Lettres 315

LETTRE CCCXV. A MATHILDE (a), REINE D'ANGLETERRE.

a C'était Mathilde, fille Malcolm 3, roi d'Ecosse, épouse de l'empereur Henri V, puis du roi d'Angleterre, Henri I. Elle eut, de ce dernier, Henri 2, dont saint Bernard parie à la fin de sa lettre écrite avant la mort du roi Henri, laquelle arriva en 1194. Il y eut une autre Mathilde, fille de Foulques, comte d'Anjou; elle épousa Guillaume, fils de Henri I, dont il est parlé plus haut. Son mari ayant péri dans un naufrage, elle prit le voile à Fontevraut et devint abbesse de cette maison. Pierre de Celle lui a écrit une lettre qui est la dixième du livre I.


Saint Bernard la prie de vouloir bien accueillir favorablement une requête qui lui a déjà été présentée à une autre époque en faveur des religieux de la Chapelle *.

A très-illustre dame, et, s'il m'est permis de parler selon mon coeur, à ma très-chère fille en Jésus-Christ, Mathilde, par la grâce de Dieu reine d'Angleterre, Bernard, salut.

Il ne faut pas vous étonner si je fais quelque fond sur Votre Grandeur, je ne suis pas le seul à penser que je le puis; presque tout le monde en est persuadé,à cause de l'accueil que vous m'avez fait et de l'affection que vous avez pour moi. Aussi un de mes amis, le vénérable abbé de la Chapelle, m'a-t-il prié de vous reparler d'une certaine dîme dont je vous ai déjà entretenue à Boulogne (b). S'il vous en souvient bien, vous avez alors réglé cette affaire avec votre bienveillance ordinaire; mais la grâce que vous m'avez accordée à cette époque est demeurée sans effet jusqu'à ce jour et je viens vous prier de la faire enfin exécuter. Prenez le plus grand soin du fils que vous venez de mettre au monde; il me semble, soit dit sans blesser le roi votre époux, que je suis aussi un peu son père. Adieu.

b Mathilde éprouvait une telle estime et une si grande affection pour saint Bernard, qu'étant à Boulogne, elle sortit à pied de la ville pour aller à sa rencontre. Voir la Vie de saint Bernard, liv. 4, n. 6.

* De l'ordre de saint Benoît.



LETTRE CCCXVI. A HENRI, ARCHEVÊQUE DE SENS, ET A HAIMERIC, CHANCELIER DE LA COUR ROMAINE.



Saint Bernard les engage à ne point empêcher un laïque de qualité qui se proposait de remettre entre les mains des religieux, certains bénéfices ecclésiastiques qu'il possédait, de donner suite à ses pieux desseins.



C'est une bonne oeuvre pour un laïque de se démettre d'une abbaye ou de bénéfices ecclésiastiques qu'il possède contre les canons (a), et c'en est une seconde de la remettre entre les mains des serviteurs de Dieu. Mais, comme ces résignations ne peuvent se. faire que du consentement de l'évêque des parties intéressées, il s'ensuit que celui-ci fait un double mal s'il s'y oppose, et concourt à deux bonnes actions s'il s'y prête. Sans attendre qu'un homme de guerre vous proposât cette cession, vous auriez dû être les premiers à la lui demander, car vous ne sauriez prétendre que l'héritage de Dieu est mieux placé dans les mains d'un soldat que dans celles d'un serviteur de Dieu. Si telle était votre pensée, elle ne pourrait manquer de causer un étonnement général, et je vous conseillerais de n'en pas convenir publiquement, pour ne pas donner à nos ennemis, sujet de se prévaloir contre nous. Quand il serait vrai, ce dont je ne suis pas le moins du monde convaincu, que vous êtes assez puissants pour affranchir cette abbaye et la rétablir dans ses droits, quel titulaire préférez-vous substituer au possesseur actuel? est-ce encore un soldat qui consumera ses revenus ecclésiastiques dans les armées du roi, ou un religieux qui priera pour vos péchés? Ne balancez point à prendre le parti le plus conforme à la justice, le plus digne de vous, le plus propre à satisfaire tous les gens de bien, et le plus,agréable à Dieu. D'ailleurs, à défaut d'autres raisons, je vous le demanderais au nom de votre affection pour moi.



a Si notre Saint raisonne ainsi pour les bénéfices ecclésiastiques des clercs séculiers, quels arguments ne trouverait-il pas pour ceux des réguliers.




LETTRE CCCXVII. A SON PRIEUR (a) GEOFFROY.



La paix étant conclue et le schisme éteint, saint Bernard lui annonce son prochain retour.



Au frère Geoffroy, le frère Bernard, salut.



Le jour de l'octave de la Pentecôte, le Seigneur a mis le comble à mes désirs en rendant l'unité à l'Église et la paix à Rome. Ce jour-là, tous les fauteurs du schisme de Pierre de Léon sont venus se prosterner aux pieds du Pape, lui rendre l'hommage-lige (b) et lui prêter serment de fidélité. Le clergé schismatique est venu aussi se jeter aux genoux du saint Père, avec celui dont il avait fait son idole (c), et lui a également juré fidélité dans toutes les formalités ordinaires. Cet événement a causé une joie générale parmi le peuple de Rome. Depuis quelque temps déjà je prévoyais avec certitude que les choses ne tarderaient point à prendre cette tournure; c'est ce qui m'a retenu ici jusqu'à ce jour, sans cela il y a longtemps que je serais retourné au milieu de vous. A présent, je ne vois plus rien qui rende ma présence nécessaire en cette ville; aussi, d'après vos voeux, ne vous dirai-je pas aujourd'hui: Je vais vous revenir; mais: Je vous reviens. Oui, je pars incessamment, emportant avec moi la récompense de toutes mes peines, la victoire de Jésus-Christ et la pacification de l'Église. Le messager que je vous ai expédié est parti le vendredi de la semaine qui a vu arriver tous ces événements, et je ne vais pas tarder à le suivre les mains pleines des lauriers de la paix. Voilà d'agréables nouvelles, mais les faits qu'elles vous apprennent le sont encore bien davantage; à mon avis, il faudrait être insensé ou impie pour n'en être pas transporté de joie. Adieu.



a Saint Bernard l'appelle son très-cher prieur dans la lettre cent quarante-deuxième. Il devint évéque de Langres, comme on l'a vu dans la lettre cent soixante-quatrième. Pérard nous a conservé ses lettres à la page 122. on voit, page 134, qu'en 1141 il était évêque depuis deux ans.



b L'homme-lige est celui qui a engagé sa foi à un autre, à raison d'un fief ou d'une dépendance quelconque.



c C'était l'antipape Victor, que les schismatiques avaient donné pour successeur à Anaclet.




LETTRE CCCXVIII. AU PAPE INNOCENT.



Saint Bernard représente au pape Innocent la détresse dans laquelle se trouve l'Eglise de Reims et le besoin qu'elle a d'un pressant secours.



A son très-aimable père et seigneur Innocent, souverain Pontife par la grâce de Dieu, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et ses très-humbles hommages.



La belle Eglise de Reims est sur le penchant de sa ruine, et cette ville jadis si florissante est au comble de l'opprobre. Entendez ses cris de détresse, il n'est point d'infortune égale à la sienne. Hors de l'enceinte de la ville, ce ne sont que luttes et combats; et à l'intérieur, cette église est non-seulement en proie à des frayeurs continuelles, mais encore elle est déchirée par des luttes armées que ses enfants soutiennent contre elle parce qu'elle est sans époux qui la protège. Elle n'a plus d'espérance qu'en vous: Innocent seul peut essuyer ses larmes. Mais jusqu'à quand attendra-t-elle que vous la couvriez de votre protection? Jusqu'à quand souffrirez-vous que ses ennemis la foulent aux pieds? Le roi est venu à composition, et sa colère est apaisée; il ne vous reste donc plus qu'à la soutenir de votre bras apostolique et à donner des soins empressés à ses blessures et un prompt remède à ses maux. La première chose à faire, à mon avis, c'est de hâter l'élection de l'évêque, de peur que le peuple de cette ville ne pousse plus loin son insolence et ses excès, s'il n'en est empêché par une force supérieure. Cette élection, je l'espère, si elle se fait dans les formes prescrites par les canons, ne peut manquer d'attirer les grâces de Dieu sur le reste et produire un bon effet.




LETTRE CCCXIX. A TURSTIN, ARCHEVEQUE D'YORK.



Saint Bernard l'engage à ne pas déposer le fardeau de la charge pastorale; mais s'il a de bonnes raisons pour quitter son poste et si le Pape l'autorise à le faire, il l'exhorte à choisir pour sa retraite une maison religieuse de la plus stricte observance.



A son révérend père et seigneur Turstin par la grâce de Dieu, archevêque d'York, Bernard, abbé de Clairvaux, salut pour la vie éternelle.



1. Je comprends que vous aspiriez au repos et que vous n'ayez plus d'autre désir que de vous endormir en paix dans le Seigneur. Pourtant je ne trouve pas suffisantes les raisons que vous alléguez pour vous décharger du fardeau pastoral, à moins, mais je ne puis le croire, que vous n'ayez quelque grande faute (a) à vous reprocher et que le souverain Pontife ne consente à votre retraite. Vous n'avez point oublié cette maxime de l'Apôtre: «Si vous êtes engagé dans les liens du mariage il ne faut pas chercher à les rompre (1Co 7,27).» L'engagement que vous avez pris pour ne reposer que sur une simple promesse, comme vous le dites, n'en constitue pas moins pour vous une obligation de persévérer dans la charge épiscopale à laquelle vous avez été appelé.

2. Mon avis est donc, sans prétendre vous l'imposer aux dépens d'un meilleur, que vous restiez là où vous êtes, sauf à vivre dans l'épiscopat sous les humbles (b) dehors et dans les saintes habitudes d'un religieux. Pourtant, si un motif secret vous fait un devoir de vous démettre de votre charge, et si le Pape vous permet de vous reposer, je vous conseille, selon mes humbles lumières, de ne reculer devant aucune considération pour entrer dans une maison religieuse de la plus stricte observance; ne vous en laissez détourner ni par la pauvreté de la maison ni par l'austérité des vêtements et la frugalité de la table. D'ailleurs, vous savez bien que dans ces maisons, où il semble qu'on sacrifie tout à l'âme, on ne laisse pas de tenir compte de l'âge et des infirmités. Comme je vous suis entièrement dévoué, je prie Dieu avec toute la ferveur possible de vous inspirer ce que vous avez de mieux à faire et de vous donner la grâce de porter si bien le poids du jour et de la chaleur que vous receviez sur le soir le denier marqué à sa royale effigie.



a saint Bernard reconnaît ici à un évêque deux titres légitimes pour se démettre de sa charge épiscopale: la nécessité d'expier quelque grand crime, et la permission du souverain Pontife. Autrefois les évêques descendaient au rang de simples prêtres, quand ils s'étaient rendus coupables de quelque faute considérable, telles que la fornication, le vol, le parjure et l'homicide; mais il semble, d'après les propres paroles de saint Bernard, qu'il y a encore pour un évêque quelque autre crime dont l'expiation nécessite sa retraite dans une maison religieuse. Cette lettre parait avoir été écrite peu de temps avant la mort de Turstin, qu'Orderic place eu 1139, ainsi qu'on le voit dans son livre 13, page 919, où il le dit frère d'Andin, également évêque d'York. C'est au même Turstin que sont adressées les lettres cent quatre-vingt-quinzième et deux cent trente-cinquième.



b En devenant évêques, les religieux ne devaient changer leur manière de vivre ni pour les vêtements ni pour la nourriture, ainsi qu'on peut s'en convaincre en lisant la deuxième préface du IVe siècle, n. 178 et suivants, et n. 189; mais combien les choses sont changées depuis ce temps-là! on n'a, pour s'en convaincre, qu'à relire un sermon d'Abélard sur saint Jean-Baptiste, (fol. 966). La conviction s'étant répandue dans quelques esprits que la vie épiscopale telle qu'elle existait déjà alors était incompatible avec la pratique de la vie monastique, on vit quelques religieux refuser de s'y laisser élever; tel fut entre autres Guy, abbé de Clairvaux, qui, après avoir été élu pour succéder, sur le siège de Reims, à l'archevêque Guillaume, que la mort venait de frapper, refusa constamment, pour cette raison, de consentir à sa promotion, ainsi qu'on le voit dans Baluze, tome II des Mélanges, page 247.




LETTRE CCCXX . A ALEXANDRE (a), PRIEUR DE WELLS, ET A SES RELIGIEUX.



L'an 1138



Saint Bernard les engage à se mettre d'accord pour élire un nouvel abbé.



A ses très-chers frères en Jésus-Christ, le prieur Alexandre et les religieux qui sont avec lui; le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et l'assurance de ses humbles prières.



1. Votre vénérable abbé (b) a consommé heureusement sa course et s'est endormi dans le Seigneur. Pour moi, si en tout temps je ne songe à vous qu'avec les inquiétudes et les tendresses d'un père, je puis bien vous assurer que mon coeur sent redoubler sa sollicitude dans les conjonctures présentes. Aussi vous aurais-je déjà envoyé quelqu'un depuis longtemps si je n'avais attendu, pour le faire avec plus d'à-propos et d'utilité, que le vénérable abbé Henri c eût terminé certaines affaires qui l'ont empêché de partir plus tôt. Or c'est sur lui que, dès le principe, j'avais jeté les yeux comme étant le sujet le plus digne de cette mission et le plus propre à s'en bien acquitter. Recevez-le, mes très-chers frères, avec toute l'affection et la distinction qu'il mérite; écoutez-le comme un autre moi-même ou plutôt avec d'autant plus de docilité qu'il me dépasse de beaucoup en sagesse et en vertus. Je lui ai donné pleins pouvoirs, soit pour l'élection de votre abbé, soit pour les règlements ou les réformes qu'il jugera bon de faire dans votre maison et dans celles qui en dépendent d. Je lui ai donné pour compagnon de voyage le frère Guillaume, mon fils bien-aimé.



a Il était frère utérin de Richard, second abbé de ce nom du monastère de Wells, en Angleterre. II vint terminer ses jours en paix a Clairvaux, d'après Serlon, tome I de son Histoire des monastères d'Angleterre, page 554, où il est parlé de l'abbaye de Kirkstad on du Mont-Sainte-Marie, dans les environs d'York. Alexandre fut le premier abbé de cette maison en 1117. A la même époque, le siège archiépiscopal d'York était occupé par Henri de Murdach, à qui est adressée la lettre suivante. Il y eut encore un autre Alexandre, Anglais de naissance, qui fut abbé de Fontaines, dans le diocèse de Tours. Voir le Spicilége, tome X, page 374 et 377. Pour ce qui concerne l'abbaye de Wells en Angleterre, on peut se reporter aux lettres deux cent trente-cinquième et deux cent cinquante-deuxième.



b C'était Richard 2, qui mourut, à Clairvaux, le 15 mai 1138; il y eut un autre Richard à qui la lettre quatre-vingt seizième est adressée.



c Henri de Murdach était alors abbé de Vauclair. La lettre suivante lui est adressée. II était à cette époque fort occupé d'une querelle qui agitait les religieux de Clairvaux et ceux de Cuissy, comme on le voit dans Herman de Laon, livre 3, chap. 16. fleuri avait pour adversaire dans cette discussion l'abbé Luc de Cuissy, à qui est adressée la lettre soixante-dix-neuvième.



d De l'abbaye de Wells dépendaient New munster diocèse de Carlile, Kirkstad et Ludiparc, diocèse de Lincoln.



2. Maintenant je vous conjure, comme mes enfants bien-aimés, de vous mettre d'accord pour l'élection de votre nouvel abbé; qu'il n'y ait pas de divisions entre vous et que l'unanimité de votre choix tourne à la gloire de Dieu. Vous savez que le Seigneur est un Dieu de paix et non pas de discorde. Aussi ne règne-t-il qu'au sein de la paix et déclare-t-il «que ne point amasser avec lui c'est dissiper (Lc 11,23).» A Dieu ne plaise que ceux qui vivent à l'école du Christ, où ils ont l'Esprit-Saint pour maître, donnent lieu à l'ennemi du salut de se vanter de leur désunion, mettent leur âme en péril, perdent tous les fruits de leur vie pénitente, altèrent la bonne odeur de notre ordre et donnent lieu de blasphémer le nom du Christ, qui doit recueillir d'eux la plus grande partie de sa gloire. J'aime à croire qu'agissant comme des saints et de vrais serviteurs de Dieu, vous vous mettrez d'accord pour élire, tous d'une voix, un digne pasteur de vos âmes, de concert avec les vénérables abbés de Ridal et de Vauclair, dont je vous engage à suivre les conseils comme les miens propres.


CCXXXVII-CCXLILET. CCXLII-CCXLIVLET. CCXLIV-CCXLVIIILET. CCL-CCLIIILET. CCLIV-CCLVLET. CCLXXIV-CCLXXVIIILET. CCLXXIX-CCLXXXIILET. CCCII-CCCXLET. CCCXI-CCCXXLET. CCCXXI-CCCXXIX

LET. CCCXXX-CCCXXXVIIILET. CCCXXXIX-CCCXLVLET. CCCXCII-CCCXCVIIILET. CDXXI-CDXXXILET. CDXXXII- CDXXXVIIILET. CDXXXIX-CDXLILET. LETTRE CCCXXI. A HENRI DE MURDACH (a), D'ABORD ABBÉ DE VAUCLAIR, PUIS DE WELLS, ET ENFIN ARCHEVÊQUE D'YORK.

LETTRE CCCXXII. AU NOVICE HUGUES QUI DEVINT PLUS TARD ABBÉ DE BONNEVAL (b).

LETTRE CCCXXIII. AU PAPE INNOCENT.

LETTRE CCCXXIV. A ROBERT, ABBÉ DES DUNES (a).

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CCCXXV. AU MEME ABBÉ AU SUJET DU NOVICE IDIER.

LETTRE DE L'ABBÉ GUILLAUME (a) A GEOFFROY, ÉVÊQUE DE CHARTRES, ET A BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX.

LETTRE CCCXXVII. RÉPONSE DE SAINT BERNARD A L'ABBÉ GUILLAUME.

LETTRE CCCXXVIII. AU PAPE (a).

LETTRE CCCXXIX. A L'EVEQUE DE LIMOGES.









LETTRE CCCXXI. A HENRI DE MURDACH (a), D'ABORD ABBÉ DE VAUCLAIR, PUIS DE WELLS, ET ENFIN ARCHEVÊQUE D'YORK.



Saint Bernard l'engage à accepter la charge d'abbé de Wells.



A son très-cher frère et confrère l'abbé Henri, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et l'assurance de ses prières.



Je vous ordonne, mon frère Henri, d'accepter sans résistance la charge d'abbé de Wells, si les religieux de cette maison, d'accord avec le vénérable abbé de Ridal, s'entendent pour vous l'offrir; vous ferez en l'acceptant un acte de charité. C'est à mon corps défendant que je vous parle ainsi; car je sais que votre éloignement me privera d'une grande consolation; mais je n'oserais m'opposer à une élection unanime; il me semble que tant de religieux ne peuvent voter, tous d'une voix, sans que Dieu ait dirigé leur choix, car il est écrit: «Partout où deux ou trois personne se réuniront en mon nom, je serai au milieu d'elles (Mt 18,20).» Courage donc, mon cher frère, recevez leurs promesses



a Cet Henri était Anglais de naissance; c'est à lui qu'est adressée la lettre cent sixième. Il commença par être simple religieux à Clairvaux; d'où il fut envoyé; en 1135, avec douze autres religieux, fonder dans le diocèse de Laon l'abbaye de Vauclair, qu'il gouverna jusqu'en 1138, époque de son élection à l'abbaye de Wells, dont il accepta la conduite sur l'ordre et les instances de saint Bernard. Il devint archevêque d'York en 1147, et mourut le 14 octobre 1153 d'après le Nécrologe de Vauclair. L'évêque de Laon, dans le diocèse du= q uel se trouvait l'abbaye de Vauclair était alors Barthélemy.



d'obéissance et veillez sur eux comme pasteur de leurs âmes. Ne refusez pas l'abbaye de Wells sous prétexte qu'il vous faudrait quitter la maison à la tête de laquelle vous vous trouvez en ce moment; j'en suis assez près, et si la volonté de Dieu est que vous la quittiez, j'aurai soin d'y établir un économe fidèle; ne faites pas non plus difficulté d'obéir sous cet autre prétexte que vous n'avez point encore l'agrément de votre évêque (a), reposez-vous sur moi du soin de pourvoir à cette formalité.




LETTRE CCCXXII. AU NOVICE HUGUES QUI DEVINT PLUS TARD ABBÉ DE BONNEVAL (b).



L'an 1138



Saint Bernard le loue de son dessein de se faire religieux; il le prémunit contre les tentations qui l'attendent et l'exhorte à la persévérance.



A son très-cher fils en Jésus-Christ, Hugues, qui est devenu une nouvelle créature dans le Seigneur, frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et voeu sincère qu'il s'affermisse dans le service du Seigneur.



1. La nouvelle de votre conversion m'a causé un bonheur extrême; pourquoi ne serait-elle point une cause d'allégresse pour les hommes, quand elle en est une pour les anges? Oui, le ciel est en fête, il retentit de chants de joie et de cantiques d'actions de grâces à la vue d'un jeune homme de qualité élevé délicatement, qui triomphe de l'esprit malin, renonce au monde, sacrifie son corps, se montre insensible aux caresses de ses proches, et rompt enfin les mailles du filet que les richesses avaient jeté sur ses ailes. D'où vous vient cette sagesse, ô mon fils? c'est en vain qu'on en chercherait une pareille chez les vieillards de Babylone qui, selon ou plutôt malgré la parole de l'Apôtre (1Tm 6,9), n'ont qu'un désir, celui d'être riches en ce monde, quand la richesse doit les faire tomber dans la tentation et les conduire dans les piges du démon. Non, la sagesse dont notre cher Hugues a fait preuve n'est point de ce monde, il l'a reçue d'en haut. C'est un mystère, ô mon Dieu, que vous dérobez aux sages du siècle polar le révéler à un enfant. Pour vous, mon fils, montrez votre reconnaissance pour la grâce que le Sauveur vous a faite, devenez un homme de coeur à présent, ne restez enfant que pour être sans malice (1Co 14,20). Que votre jeunesse ne se laisse point décourager par l'austérité de la règle; si vous songez que les richesses sont de cruelles épines, vos vêtements



a Cet évêque était Barthélemy, évêque de Laon, dans le diocèse duquel était l'abbaye de Vauxclair.



b C'était une abbaye du diocèse de Besançon; plus tard Hugues en devint abbé, et se montra, sous le rapport de la piété, un digne neveu de saint Hugues, évêque de Grenoble, dont il est parlé dans la Vie de saint Bernard, livre 4, n. 40.



grossiers vous deviendront plus supportables; si vous pensez à la vie du monde, vous en estimerez davantage le prix d'une conscience paisible. Le Christ vous fera goûter combien il est doux, et le Prophète saura mêler, s'il le faut, un peu de sa farine aux mets les moins appétissants (2R 4,41), et les rendre mangeables. Dès que vous sentirez l'aiguillon du tentateur, levez les yeux sur le serpent d'airain, baisez les plaies du Crucifié ou plutôt puisez la vie dans son sein, il vous tiendra lieu de mère et vous chérira comme un fils; j'aime à croire que les clous qui l'attachent à la croix vous perceront aussi les mains et les pieds comme ils ont percé les siens.

2. Mais, comme il est dit, l'homme a pour ennemis les gens de sa famille (Mi 7,7 Mt 10,36), ce n'est pas vous, mais eux-mêmes que vos proches aiment en vous, autrement ils vous entendraient dire avec joie: «Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père (Jn 14,28).» «Si votre père, dit saint Jérôme (lettre Ire à Héliodore ), se jette au travers de la porte pour vous empêcher de passer, si votre mère, les vêtements en désordre, essaie de vous retenir en vous montrant le sein qui vous a nourri; si vos jeunes neveux se suspendent à votre cou pour vous arrêter; foulez aux pieds votre père et votre mère, passez outre sans verser une larme et allez vous jeter dans les bras de la croix; le triomphe. de la piété filiale est, en pareille circonstance, de se montrer sans-pitié.» Laissez donc couler, sans vous émouvoir, les larmes de parents insensés qui se désolent de voir que d'enfant du démon vous devenez enfant de Dieu. Les malheureux, pourquoi vous aiment-ils d'un amour si cruel, si redoutable et si injuste? De plus, comme il est dit que les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs (1Co 15,33), évitez le plus possible le commerce des hommes du monde dont la conversation laisse l'esprit aussi vide que les oreilles remplies. Apprenez à faire oraison, à élever vers Dieu vos mains et votre coeur; apprenez à diriger, dans tous les besoins de votre âme, vos regards suppliants vers le Père des miséricordes et à attirer les siens sur vous: il y aurait de l'impiété à croire qu'il, vous fermera ses entrailles paternelles, et qu'il sera sourd à vos gémissements et à vos cris. D'ailleurs, vous ne sauriez pas perdre de vue qu'en toute circonstance vous devez écouter avec docilité les conseils de vos pères spirituels comme si vous les receviez de Dieu même. Suivez cette règle de conduite et vous aurez la vie; suivez mes conseils, Dieu voit bénira et vous rendra au centuple, même en ce monde, tout ce que vous avez quitté. Défiez-vous de ceux qui vous disent que vous précipitez trop les choses et que vous devez remettre l'exécution de vos desseins à un âge plus mûr et plus avancé; rapportez-vous-en plutôt au Prophète qui vous dit: «Il est avantageux à l'homme de porter le joug du Seigneur dès ses premières années s'il veut s'élever au-dessus de lui-même ().» Adieu; portez-vous bien, et n'oubliez pas que la couronne n'est due qu'à la persévérance; c'est une vertu digne de tous vos efforts.




LETTRE CCCXXIII. AU PAPE INNOCENT.



L'an 1139



Saint Bernard défend l'archevêque de Trèves contre l'abbé de Saint Maximin.



1. J'ai reçu de vous mille témoignages de bienveillance et d'affection et je vous prie de m'en donner encore un dans la circonstance présente. La grâce que je vous demande, loin d'être contraire à la volonté de Dieu et à l'intérêt de votre gloire, eA si juste, et si raisonnable à mes yeux, que je me tiens à peu près pour certain que ce n'est pas en vain que je me serai adressé à vous; d'ailleurs c'est pour un fils que je m'adresse à un père, et c'est pour un innocent que je fais appel à Innocent. Il n'est pas nécessaire que je vous rappelle en détail le zèle et l'attachement dont l'archevêque de Trèves n'a cessé de faire preuve pour le saint Siège apostolique, les constants efforts qu'il a fait dès sa jeunesse pour la paix de l'Eglise, sa fermeté inébranlable à la défendre aux jours de l'épreuve, sa constance à supporter pour elle le poids du jour et de la chaleur quand les autres, retirés sous la tente, goûtaient, à l'ombre, un paisible bonheur; son courage, enfin, et son intrépidité à prendre devant les princes et les rois la défense de ses confrères . Vous avez certainement tout cela bien présent à l'esprit. Mais, pour ne parler que de ce que je sais par moi-même et ne citer que ce que j'ai vu de mes propres yeux, je vous dirai, si vous faites quelque cas de mon témoignage, qu'il a fait preuve d'une sagesse et d'une prudence consommées dans la manière dont il a retiré les biens et les revenus de l'Eglise de mains étrangères qui s'en étaient emparées; qu'il est d'une générosité et d'une libéralité reconnues dans la manière dont il fait part de ses biens à tout le monde en général et surtout aux gens de bien; enfin, il s'est toujours conduit avec tant de sagesse et de circonspection que jamais la langue des méchants n'a osé porter la moindre atteinte à sa réputation.

2. En quoi donc a-t-il offensé Votre Paternité? Est-ce en arrachant l'abbaye de Saint-Maximin à l'autorité royale, pour la faire passer sous la sienne, ou bien en refusant pour abbé un homme qui n'était pas même religieux auparavant, et qui prétendait, comme on dit, être général avant d'avoir été soldat? Mais en supposant qu'il vous ait blessé dans cette circonstance ou dans une autre, ne devait-il pas espérer qu'un père plein de tendresse n'oublierait pas si vite son ancienne affection pour lui, excuserait facilement une faute légère et ne laisserait pas effacer dans son esprit, par quelques torts sans gravité, le souvenir des services importants qu'il lui avait rendus en maintes occasions? Or, très-saint Père, vous encouragez maintenant tous ceux qui lèvent la main contre lui et vous êtes cause que ses ennemis sont triomphants. On se demande avec surprise sur quelle réputation de vertu et de niérites on a confié la charge et la conduite des âmes à un homme qui a constamment négligé le salut de la sienne; comment conduira-t-il les autres quand il n'a pas su se laisser conduire; quel supérieur peut faire un homme qui n'a jamais lui-même connu de supérieur, et de quel front, enfin, exigera-t-il qu'on lui obéisse quand il n'a jamais appris à obéir lui-même? L'Apôtre des nations l'a dit: «Nul n'est capable de gouverner l'Église s'il ne sait pas au moins conduire sa propre maison (2Tm 3,5).» Au reste, on peut bien dire: tel père, tels fils; n'ont-ils pas eu la cruauté, en effet, de déchirer le sein de leur mère par leurs propres discordes et leurs dissensions intestines? Mais il vaut mieux que je m arrête, la décence me défend de vous peindre la licence de leurs moeurs. Après tout, si je parle d'eux, ce n'est pas que je m'attribue le droit de juger les serviteurs d'autrui, il est de règle que s'ils se sauvent ou se perdent, c'est l'affaire de leur maître; mais ce que je puis bien dire, c'est que si leurs desseins pervers réussissent, tous les jeunes libertins secoueront à leur tour le joug de la discipline et deviendront à leur exemple errants et vagabonds sur la terre. En tout cas, lors même que leurs mauvais desseins n'aboutiraient pas à toutes ces conséquences, ils pourront, du moins, se glorifier d'avoir pu tenir tête à leurs prélats. Ah! que de personnes de mérite qui pensent avoir quelque sujet de compter sur votre protection, verront toutes leurs espérances s'évanouir, si au premier souffle de la tempête qui le menace un fils autrefois si cher à votre coeur ne peut trouver ni refuge ni consolation dans votre sein paternel.

3. Très-saint Père, si jamais Votre Excellence a daigné prêter l'oreille à quelqu'une de mes prières, je vous supplie ardemment, moi qui n'ai en vue que votre gloire et non pas vos faveurs, de ne point abandonner, maintenant que vous voyez luire des jours plus heureux, un homme qui vous est demeuré inviolablement attaché au milieu de vos adversités, et de ne pas souffrir qu'on affaiblisse son autorité quand il aurait plutôt lieu d'espérer de vous que vous l'augmentassiez encore. Mais si, contre toute attente et en dépit des mérites de ce prélat, on voit des étrangers lui ravir le fruit de ses travaux, ses services payés d'ingratitude et son dévouement, par l'abandon, il n'y aura presque personne qui ne ressente le coup que lui aura porté la main d'où il semblait qu'il ne devait rien attendre de pareil. Je prie l'Esprit de vérité qui procède du Père de vous apprendre à séparer la lumière des ténèbres dans toute votre conduite, afin que vous sachiez repousser le mal et choisir le bien.




LETTRE CCCXXIV. A ROBERT, ABBÉ DES DUNES (a).

a C'était un monastère fondé par saint Bernard, près de Furnes, en Belgique. Il a complément disparu sous les sables, et l'abbaye a été transférée à Bruges. Robert, abbé de ce monastère, fut, d'après Horstius, désigné par saint Bernard lui-même pour lui succéder à Clairvaux.


Vers l'an 1139.



Saint Bernard trouve dans l'union de leurs rimes et dans l'espérance de la résurrection, qui doit aussi rapprocher leurs corps, de quoi se consoler de leur séparation.



A son très-cher frère et ami, l'abbé Robert, le frère Bernard de Clairvaux, les sentiments de la plus tendre affection.



Je vous ai connu bien tard et vous ai perdu bien tôt, mon cher Robert; mais ce qui me console, c'est qu'il n'y a que nos corps qui se trouveront séparés, car par l'âme vous ne cessez de m'être présent. Je dois pourtant avouer que cette pensée ne serait point une consolation pour moi, si, dans cette séparation, Dieu même n'était en cause. Mais un jour viendra où nous serons rendus l'un à l'autre, et où nous nous posséderons mutuellement comme nous nous posséderons nous-mêmes, et où nous serons présents l'un à l'autre en corps et en âme sans crainte de Bous voir de nouveau séparés par l'une ou l'autre des deux parties de votre être. Celui qui est aujourd'hui la cause de notre séparation passagère sera alors le lien puissant de notre éternelle réunion; sans cesse présent à chacun de nous, il nous rendra constamment présents l'un à l'autre. Je salue vos enfants, que je regarde comme étant les miens, et je me recommande à leurs prières.


NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON



LETTRE CCCXXIV.



208. A Robert, abbé des Dunes, le même que celui qui devint abbé de Clairvaux, après saint Bernard; on dit même que notre Saint le désigna lui-même à son lit de mort pour son successeur. Voir la livre des Hommes illustres de Cîteaux, distinct. 2, chapitre XXIII; Meyer, livre des Annales de Flandre, et Manrique dans ses Annales.

On donne le nom de dunes en Belgique à des monticules d'un sable blanc que la mer rejette sur le rivage par l'effet du flux et du reflux de ses eaux. C'était au milieu de ces collines que s'élevait jadis l'abbaye florissante des Dunes; elle a complètement disparu aujourd'hui sous les sables dont la marche envahissante n'était plus arrêtée par la barrière en bois qu'on lui avait jadis opposée, et que la guerre empêche d'entretenir en bon état.

Cette abbaye a été reconstruite à grands frais, à Bruges, par le révérend abbé dom Bernard Campmans, que le saint Siège a fait visiteur de la Belgique.





Bernard, Lettres 315