Catherine, Dialogue 143

CHAPITRE IX De la providence de Dieu à l'égard de ceux qui sont en péché mortel.

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L'âme est ou en état de péché mortel ou en état de grâce. En ce second état, quelle demeure encore imparfaite ou elle est parvenue à la perfection. Dans tout ces états, l'âme est l'objet de ma providence, qui en use largement avec elle; mais divers sont les moyens choisis par ma sagesse infinie, comme divers aussi les besoins auxquels elle doit pourvoir.
Les hommes mondains, plongés dans la mort du péché, ma providence s'emploie à les réveiller par l'aiguillon de la conscience. Je les harcèle sans relâche, et sous toutes les formes, par des moyens si multiples et si variés que ta parole ne les saurait redire, parce qu'au fond de leur coeur, ils sentent toujours cette blessure. Je ne leur permets pas d'échapper à son importunité, et la douleur qu'ils en éprouvent se fait si cuisante, que souvent ils n'y peuvent plus tenir et abandonnent la faute du péché mortel.
Parfois, comme de vos épines j'aime à retirer la rose, lorsque le coeur de l'homme glisse au péché mortel, pour s'être laissé prendre à l'amour de la (188)
créature, en dehors de ma volonté, je fais en sorte que le temps et le lieu lui manquent pour l'exécution de ses mauvais desseins. Son coeur languit et se ronge devant l'obstacle qu'il ne peut vaincre; il se replie sur lui-même; il entend le reproche de sa conscience, il comprend que c'est par sa faute qu'il se torture, il en conçoit du repentir, et rejette alors loin de lui son fol amour. Car n'est-ce pas folie en vérité que de placer son affection en une chose qu'on reconnaît ensuite dès qu'on ouvre les yeux, n'être pas même une vétille. Certes la créature qu'il aimait d'un si misérable amour est un bien, elle est quelque chose. Mais ce qu'il attendait d'elle, n'était pas même une bagatelle; c'était le péché, et le péché n'est pas quelque chose. Sur cette épine qui déchire l'âme, j'ai fait fleurir la rose, comme j'ai dit, de ce néant qu'est la faute, j'ai fait un moyen de salut.
Qui m'a poussé à en agir de la sorte? Pas le pécheur, assurément, qui ne me cherche pas, qui ne demande point mon assistance, qui n'invoque point ma providence, si ce n'est pour favoriser ses coupables desseins, ou lui ménager les plaisirs, les richesses ou les honneurs du monde. Qui m'y a donc conduit? L'Amour! Car avant même que vous ne fussiez, je vous aimais; et sans même que vous m'aimiez, je vous aime, moi, et ineffablement! Voilà, oui, voilà la force qui me pousse; et c'est aussi les prières de ceux qui me servent. A ceux-ci la clémence de mon Esprit-Saint, le bon serviteur, sert toujours comme nourriture, l'honneur de mon (189) nom et l'amour de leur prochain. Aussi toujours occupés du salut de leurs frères, ils s'efforcent d'apaiser ma colère et de lier les mains de ma divine justice, sans cesse provoquée par l'iniquité des hommes qui mériteraient de tomber sous ses coups. Ils me font ainsi violence à moi-même, par leurs larmes, par leurs humbles et continuelles prières. Et qui donc les fait crier vers moi, sinon ma providence qui pourvoit ainsi à la détresse de ce mort? Car il a été dit que je veux non la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive (
Ez 33,11.
Sois tout amour pour ma providence, ma fille. Si tu veux seulement ouvrir les yeux, ceux de ton esprit et ceux de ton corps, tu verras des hommes criminels plongés dans cette affreuse misère. Privés de ma lumière, la corruption de la mort dans leur âme, êtres d'obscurité et de ténèbres, ils vont chantant et riant, prodiguant leur temps dans la vanité, dans les plaisirs, dans la basse débauche. Manger, boire, jouir, voilà toute leur vie: leur Dieu c'est leur ventre (Ph 3,19). Hors de là ils n'ont que haine, rancoeur, orgueil, et mille autres vices dont je t'ai parlé. Et ils n'ont pas conscience de leur état! S'ils ne changent pas de vie, ils sont dans le chemin, qui mène tout droit a la mort éternelle, et ils y vont en chantant!
N'estimerait-on pas grande sottise, extravagante folie, le fait d'un condamné à mort qui irai! à l'échafaud, en chantant et dansant, et en donnant des signes d'allégresse? Oui, assurément. Et c'est la folie de ces malheureux, folie d'autant plus grande (190) que sans comparaison aucune, ils éprouvent plus de dommage incontestablement de la perte de leur âme que ceux-là de la mort de leur corps. Ils perdent la vie de la grâce, ceux-là la vie corporelle; par l'éternelle damnation ils subissent une peine infinie, ceux-là, une peine finie. Et ils y courent, et ils chantent! O deux fois aveugles, insensés et fous au-dessus de toute sottise!
Cependant mes serviteurs sont dans les larmes, leur corps est dans l'affliction, leur coeur en souffrance. Veilles, prières incessantes, soupirs, gémissements, macérations, ils acceptent tout, ils affrontent tout, pour le salut de ces pécheurs qui, de leur côté, les tournent en dérision. Mais leurs railleries retombent sur leurs tètes, et le châtiment de la faute revient toujours à celui qui l'a commise, tandis que la récompense de tous les labeurs, supportés pour l'amour de moi, fait retour à celui à qui ma bonté a fait la grâce de la mériter. Car moi votre Dieu, je suis le Dieu juste, je rendrai a chacun selon ses oeuvres (Ps 61,13).
Mes vrais serviteurs ne se laissent pas décourager par les moqueries, par les persécutions et les ingratitudes de ces malheureux: ils n'en prient pour eux qu'avec plus de zèle et plus de ferveur. Et qui donc les excite ainsi à frapper à la porte de ma miséricorde? Qui? sinon encore ma providence, attentive à procurer le salut de ces misérables, et qui, dans ce but, grandit la vertu et attise le feu de la charité dans l'âme de mes serviteurs? Infinies en vérité, les ressources providentielles ménagées par moi à (191) l'âme du pêcheur, pour le retirer du péché mortel!
Je vais te parler maintenant de la conduite de ma providence à l'égard de ceux qui, sortis de leur faute, demeurent encore imparfaits. Sans revenir sur ce qui a été exposé avec ordre des états de l'âme, j'y toucherai très brièvement.


CHAPITRE X De la providence de Dieu à l'égard de ceux qui sont encore dans l'amour imparfait.

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Sais-tu, très chère fille, quel moyen j'emploie pour faire sortir l'âme imparfaite de son imperfection?
Quelquefois je la livre à elle-même, à la multiple variété des pensées qui confusément l'obsèdent, et à l'aridité de son esprit. Il lui semble alors qu'elle est entièrement abandonnée de moi, et qu'elle n'a plus d'affection pour rien; ni pour le monde, parce qu'en réalité elle n'en a pas; ni pour moi, croit-elle, parce qu'elle n'éprouve en elle-mêmeaucun sentiment, sauf dans sa volonté, une certaine disposition à ne pas vouloir m'offenser. Cette porte de la volonté libre, je ne donne pas licence aux ennemis de l'ouvrir. Je permets bien aux démons et aux autres ennemis de l'homme, d'enfoncer les autres portes, mais pas celle-là, qui est la principale et dont dépend le sort de la cité de l'âme. C'est au libre arbitre qu'est confiée la garde de cette porte. C'est moi qui l'ai fait libre; à lui de répondre, à son gré, oui ou non.
Nombreuses sont les portes de cette cité. Mais il en est trois qui ont plus d'importance que les autres (192). La principale est celle que je viens de dire, la volonté, qui est inexpugnable, si elle ne consent à se livrer, et qui commande les deux autres, qui sont la mémoire et l'intelligence. Si la volonté consent à lui livrer passage, l'ennemi, l'amour-propre, fera irruption dans la place, avec toute la troupe hostile qui le suit. Dès lors, l'intelligence est envahie par les ténèbres ennemies de la lumière, et la mémoire est occupée par la haine, par le ressentiment que provoque en elle le souvenir de l'injure reçue, haine et ressentiment directement hostiles à la charité, à l'amour du prochain. Elle est assaillie soudain par le souvenir de mille plaisirs du monde aussi nombreux, aussi variés que les divers péchés qui sont les ennemis nés des vertus.
Ces portes une fois livrées, toutes les autres issues s'ouvrent d'elles-mêmes; ce sont tous les sens du corps, qui sont des organes correspondants aux facultés de l'âme. L'affection déréglée de l'homme, qui a ouvert ses portes, est donc en communication avec ces organes; tous ceux-ci par conséquent sont contaminés par la corruption de la volonté, et leurs opérations s'en trouvent elles-mêmes souillées. L'oeil donne et propage la mort, parce que désormais il n'est occupé qu'à considérer des objets de mort avec des regards dissolus, des manières provocantes, un extérieur déshonnête, signe de la vanité et de la légèreté du coeur. L'homme est ainsi, pour lui-même et pour les autres, une cause de mort.
O malheureux je t'avais donné tout cela pour élever tes regards vers le ciel. La beauté de mes (194) créatures devait te conduire à moi, pour y contempler la beauté de mes mystères; et c'est en bas que tu regardes; tu n'as d'yeux que pour la boue, et tu n'en retires pour toi que la mort!
L'oreille aussi prend plaisir aux choses déshonnêtes, elle accueille les propos sur autrui pour le pouvoir juger. Que ne s'emploie-t-elle à écouter ma parole et à s'informer des besoins du prochain! C'est pour cela que je l'ai faite.
La langue a été donnée à l'homme pour annoncer ma parole et faire l'aveu de ses fautes, comme aussi pour coopérer au salut des âmes. Il l'emploie, au contraire, à blasphémer contre moi, son Créateur, et à la perte du prochain. N'est-ce pas elle, en effet, qui met en pièces sa réputation, qui murmure contre lui, qui calomnie ses oeuvres, rabaissant les bonnes et exaltant les mauvaises. Jurements, faux témoignages, paroles lascives, dangereuses pour soi-même et pour les autres, voilà ses méfaits. Et n'est-ce pas elle encore, qui lance ces mots d'injures qui traversent le coeur du prochain comme un poignard et provoquent sa colère? Que de maux, que d'homicides, que d'impuretés, que de haines, que de vengeances, que de pertes de temps, sont imputables à la langue (
Jc 3,6)!
L'odorat ne pèche-t-il pas, lui aussi, par le plaisir désordonné qu'il recherche dans ses propres sensations. Et le goût, avec son avidité insatiable, avec ses appétits déréglés, toujours en quête de mets variés et sans cesse renouvelés, comme s'il n'avait pour objectif que de remplir le ventre! Elle (195) ne remarque pas, la pauvre âme, qu'elle ouvre ainsi la porte à tous les abus, que les excès dans la nourriture allument dans sa chair fragile de violents désirs où elle risque d'être consumée.
Les mains, à leur tour, prennent plaisir à dérober le bien d'autrui, et trouvent leur satisfaction a des actes bas et déshonnêtes, elles que j'ai faites pourtant, pour assister le prochain dans ses infirmités, et pour répandre l'aumône qui subvient à sa détresse! Les pieds ont été donnés à l'homme pour porter le corps, pour le transporter d'un lieu à un autre, là où l'appelle sa propre utilité ou celle du prochain, pour la gloire et l'honneur de mon nom: et ils ne servent qu'à courir à des lieux de perdition, à toutes les occasions de péché, aux conversations légères et corruptrices, par lesquelles il entraîne au mal et les autres et lui-même, au gré de sa volonté désordonnée.
Tout cela je te l'ai dit, ma très chère fille, pour te donner sujet de pleurer sur la désolation où est réduite la noble cité de l'âme, et pour te faire voir quels maux innombrables font irruption par la porte principale de la volonté. Moi, cependant, je n'ai donné licence à aucun de ses ennemis d'en franchir le seuil, bien que, comme je l'ai dit, je leur laisse faculté d'attaquer les autres portes. Ainsi, je permets que l'intelligence soit occupée par les ténèbres d'esprit; quelquefois c'est la mémoire, qui a comme perdu tout souvenir de moi; en d'autres temps, c'est toute la sensibilité qui semble en révolte, tous les sens du corps qui se sont mis en (196) insurrection. Même à regarder les choses saintes, à les toucher, à les voir, à les sentir, à s'en approcher, l'âme éprouve des troubles dans la sensibilité, comme si tout provoquait, chez elle, des émotions déshonnêtes et corruptrices. Mais rien de tout cela ne donne la mort à l'âme, car je ne veux pas sa mort, pourvu qu'elle prenne garde de ne pas ouvrir la porte de la volonté. Je permets à ces ennemis de s'agiter au dehors, mais non de pénétrer au dedans. Ils ne peuvent entrer dans la place, qu'autant que la volonté propre le veut.
Et pourquoi exposer ainsi à tant de tourments et d'afflictions cette âme entourée de tant d'ennemis? Ce n'est pas pour qu'elle succombe et perde le trésor de ma grâce, mais pour lui donner une idée plus haute de ma providence. Je veux l'amener ainsi à se confier en moi, et non pas en elle-même; je veux la réveiller de sa négligence, et par le péril qui la trouble lui faire chercher un refuge en moi, son unique défenseur. C'est moi qui suis son père, un père tendre, qui veut son salut, et, dans cette pensée, travaille à la rendre humble, à la convaincre qu'elle n'est pas, à lui faire reconnaître que l'être et les grâces qui s'ajoutent à l'être, elle a tout reçu de moi qui suis sa vie.
Et comment l'âme apprend-elle à connaître que je suis sa vie, et à découvrir l'action de ma providence, au milieu de ces assauts? Par la grande délivrance! Je ne la laisse pas continuellement se débattre dans ces épreuves: elles vont et viennent, suivant que je le juge utile à son progrès. Parfois (197)
elle croit être en enfer, et soudain, sans aucun effort, sans aucun acte de sa part, elle se trouve délivrée, et éprouvant un avant-goût de la vie éternelle. Une grande sérénité est descendue en elle, il lui semble que tout ce qu'elle voit lui parle de Dieu, et tout son coeur s'embrase d'amour, dans la contemplation de ma providence, qui s'est ainsi manifestée à elle. Elle voit qu'elle a été retirée d'une violente tempête, sans qu'elle fût pour rien dans cette délivrance. La lumière lui est venue à l'improviste, sans qu'elle y pensât; elle comprend, dès lors, que c'est mon inestimable charité qui, seule, est venue à son secours au moment de sa détresse, quand elle n'en pouvait plus.
Pourquoi donc, quand elle s'appliquait elle-même à l'oraison et à ses autres exercices ordinaires, ne lui ai-je pas répondu par un rayon de lumière qui eût dissipé ses ténèbres? - Parce qu'elle était encore imparfaite, et qu'ainsi elle eût pu s'attribuer à elle-même, dans son exercice, ce qui ne lui appartenait pas. Tu vois comment, les combats qu'il lui faut subir, sont un moyen pour celui qui est encore imparfait d'arriver à la perfection, par l'expérience qu'il fait, dans ces assauts, de ma divine providence. C'est par là même qu'il s'élève au-dessus de l'amour imparfait.
Il est encore une sainte ruse que j'emploie, pour déprendre l'âme de son imperfection. Je lui fais concevoir, pour quelque créature, une affection spirituelle et particulière, en plus de l'amour général qu'elle doit à tous. Par ce moyen elle s'exerce à (198) la vertu et sort peu à peu de sa négligence: son coeur se détache des autres créatures qu'elle aimait d'un amour trop sensible, père, mère, frères, soeurs; son amour se purifie peu à peu de toute passion, et elle en arrive à ne les aimer plus que pour moi, son Dieu. Ainsi cet amour que je lui ai inspiré, réglé suivant la mesure que je lui ai moi-même imposée, sert à la délivrer de l'attachement excessif qu'elle avait auparavant pour les créatures, et l'arrache par là même, tu le vois, à cette imperfection.
Mais il est encore un autre effet de cette affection spirituelle: c'est de permettre à l'âme d'éprouver si elle m'aime parfaitement, ou non, comme aussi la créature qu'elle aime ainsi spirituellement. C'est à cette expérience que j'ai voulu la soumettre par cet amour, en lui ménageant l'occasion de se rendre compte elle-même de la valeur de ses sentiments. Si elle ne prenait conscience de ce qu'ils sont, il lui importerait peu qu'ils fussent ou non de moi, elle n'en concevrait ni déplaisir ni joie.
Je lui ai déjà fait connaître par ce; moyen, t'ai-je dit, qu'elle était encore imparfaite. Or il est bien certain que si l'amour qu'elle a pour moi est imparfait. imparfait aussi doit être celui qu'elle porte à la créature raisonnable. Car la charité parfaite du prochain dépend essentiellement de la parfaite charité que l'on a pour moi. La même mesure de perfection ou d'imperfection qu'elle a mise dans son amour pour moi se retrouve dans l'amour qu'elle porte à la créature. Comment son affection spirituelle pour la créature va-t-elle lui faire discerner (199) cette mesure? A bien des signes. Et même si elle veut avoir l'oeil ouvert, son intelligence ne tardera guère à l'apercevoir et à la constater par l'expérience. Mais comme je t'en ai entretenu largement en un autre endroit, je ne t'en dirai ici que quelques mots.
Cette créature, elle l'âme, ai-je dit, d'une affection particulière. Et voilà soudain qu'elle croit s'apercevoir qu'elle en est moins aimée. L'amie, semble-t-il, a moins d'attention pour elle; il fait plus rare ces entretiens qui lui procuraient tant de consolation, tant de profit, tant de douceur; ou bien, et surtout, elle a cru voir que cette personne aimée réserve plus fréquemment pour une autre ces rencontres et ces conversations. La peine qu'elle éprouve de leur privation n'en devient que plus cruelle! C'est cette peine qui l'introduit dans la connaissance d'elle-même.
Dès lors, si elle veut obéir à la lumière et se conduire avec la prudence qui doit régler ses affections, c'est d'un amour plus parfait qu'elle aimera cette créature que je lui ai donnée comme un moyen. Elle comprendra que c'est par la connaissance d'elle-même et par la haine qu'elle a conçue de son propre sentiment, qu'elle aura raison de son imperfection et pourra s'élever à la perfection. Une fois là, son amour deviendra de plus en plus parfait, de plus en plus grand, et pour les créatures en général, et pour cette créature en particulier, moyen providentiel que ma bonté lui a ménagé, pour l'encourager à la haine de soi et à l'amour de la vertu, en cette vie de pèlerinage (200); pourvu, cependant, qu'elle ne soit pas assez sotte pour se laisser dominer et troubler par sa peine, au point de s'abandonner au dégoût de l'esprit, au chagrin du coeur, et de renoncer à ses exercices. Dans ces conditions, cette affection constituerait un vrai danger l'âme tournerait à sa propre ruine et changerait, en instrument de mort, ce que je lui procurai comme un moyen de vie. Non, ce n'est pas là ce qu'elle doit faire. Qu'elle donne à son zèle un autre objet, pour le rendre saint. Qu'avec humilité elle se reconnaisse indigne des consolations qu'elle recherchait et dont elle se voit privée. Qu'elle considère à la lumière de la foi, que c'est la vertu qui doit être le motif principal de son amour, et que la vertu n'a pas diminué dans la personne qu'elle aime; qu'elle conçoive alors le désir de supporter toute peine, de quelque côté qu'elle lui vienne, pour la gloire et l'honneur de mon nom. C'est ainsi qu'elle accomplira ma volonté en elle-même, et qu'elle recevra ce fruit de la perfection; c'est pour la faire parvenir à cette lumière que j'ai disposé dans sa vie les luttes, les secours, et tous les événements.
Voilà les moyens dont se sert ma providence à l'égard des imparfaits. Il en est bien d'autres encore la langue humaine serait incapable d'en exprimer le nombre et la variété (201).



CHAPITRE XI De la providence de Dieu vis-à-vis de ceux qui sont dans la charité parfaite.

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Je te parlerai maintenant des parfaits et des dispositions de ma providence, pour les conserver en leur état, pour éprouver leur perfection et la développer incessamment; car, en cette vie, nul n'est si parfait qu'il ne puisse le devenir davantage. Voici un des nombreux moyens que j'emploie pour promouvoir leur progrès.
Ma Vérité elle-même a dit : C'est moi, la vigne véritable; mon Père est le laboureur; vous, vous êtes les rameaux (
Jn 15,1 Jn 15,5).
Celui qui demeure en lui, qui est la vigne véritable issue de moi le Père, en s'attachant a sa doctrine, celui-là porte fruit. Pour que votre fruit soit plus abondant et plus savoureux, je vous laboure (Jn 15,2) par les nombreuses tribulations, les affronts, les injures, les outrages, les mépris, les reproches, par les paroles, par les faits, par la faim, par la soif, suivant qu'il plaît à ma bonté, et suivant la mesure que chacun est capable de porter. La tribulation (202) est le signe démonstratif, qui fait juger de la perfection ou de l'imperfection de la charité dans une âme. Les injustices et les épreuves que je ménage à mes serviteurs exercent leur patience et avivent le feu de leur charité, par la compassion qu'elles provoquent en eux, pour l'âme de celui qui leur fait injure; car ils sont plus sensibles à l'offense qui m'est faite et au dommage de leur persécuteur qu'à leur propre injure.
Ainsi font ceux qui sont dans l'état de grande perfection et pour qui tout est moyen de progrès; aussi est-ce pour leur avancement que je dispose tout ce qui leur arrive. Je mets en eux une faim du salut des âmes qui les aiguillonne sans cesse, et leur fait frapper jour et nuit à la porte de ma miséricorde, dans un complet oubli d'eux-mêmes, comme je te l'ai expliqué à propos de l'état des parfaits. Or plus ils se perdent ainsi, plus ils me trouvent.
Et où me cherchent-ils? Dans ma Vérité, en suivant parfaitement la voie de sa douce doctrine. Ils ont lu son doux et glorieux livre, et ils y ont appris que, pour obéir à mon commandement et montrer combien il aimait mon honneur et le genre humain, il a voulu courir, à travers les supplices et les opprobres, à la table de la très sainte Croix, où par son sacrifice il a fait sa nourriture de la race humaine; c'est ainsi que, par sa passion et par son amour des hommes, il m'a témoigné à moi-même tout l'amour qu'il avait de ma gloire.
Mes Fils bien-aimés, eux aussi. ceux qui sont parvenus à cet état de la grande perfection, me (203) démontrent, par leur persévérance, par leurs veilles, par leurs humbles et constantes prières, qu'ils m'aiment, Moi, véritablement, et qu'ils ont bien étudié le livre de ma Vérité, puisqu'ils en pratiquent la sainte doctrine, en supportant tout, souffrances et labeurs, pour le salut de leur prochain. Car ils n'ont point d'autre moyen que celui-là, de me prouver l'amour qu'ils ont pour moi. Tout autre moyen que l'on pourrait imaginer, pour me témoigner de l'amour, reposerait sur ce moyen principal qui est la créature raisonnable. Comme je te l'ai dit ailleurs, tout le bien que l'on peut produire s'accomplit par l'intermédiaire du prochain, parce qu'on ne peut vraiment faire le bien que dans la charité, qui est l'amour de moi-même et du prochain. Tout ce qui est fait en dehors de la charité n'est pas vraiment un bien (1Co 13,1-3), quelque vertueux que soient par ailleurs les actes accomplis. De même aussi, d'ailleurs, l'on commet le mal, par l'intermédiaire du prochain, par le manque de charité.
Tu comprends par là que c'est par ce moyen que je leur ai déterminé, que mes serviteurs prouvent leur perfection et l'amour pur qu'ils ont pour moi, en s'employant sans relâche, et à travers toutes les souffrances, pour le salut du prochain. C'est pourquoi je les émonde par les tribulations, pour qu'ils produisent des fruits plus abondants et plus suaves. Le parfum de leur patience monte jusqu'à moi.
Quelle suavité et quelle douceur dans ce fruit i Et combien profitable à l'âme, qui porte ainsi la (204) douleur sans faiblir! si elle le pouvait voir, il n'est pas de souffrance qu'elle ne recherchât avec empressement et qu'elle ne reçût avec allégresse. C'est pour procurer ce grand trésor à mes fils bien aimés, que je leur impose le fardeau de grandes souffrances, pour ne pas laisser se rouiller en eux la vertu de patience. S'ils ne la tenaient ainsi en continuelle activité, quand viendrait le temps de l'exercer, ils la trouveraient toute recouverte de cette rouille de l'impatience qui ronge l'âme.
Parfois, j'use avec eux d'un agréable stratagème pour les maintenir dans l'humilité. Je laisse s'endormir en eux toute leur puissance affective, au point que ni dans leur volonté ni dans leur sensibilité, ils n'éprouvent aucune impression contraire à la vertu, sinon comme le peuvent faire des personnes endormies; je ne dis pas mortes, car dans l'âme parfaite la sensibilité peut sommeiller, ellene meurt pas et même, si l'âme se relâche de l'exercice ou de l'ardeur du saint désir, elle se réveillera plus violente que jamais. Que nul donc, si élevé qu'il soit en perfection, ne se croie assuré du côté des sens: tous ont besoin de demeurer dans une sainte crainte de moi-même. Nombreux sont ceux qui tombent misérablement et qui ne seraient pas tombés, s'ils avaient eu plus de défiance. Je dis donc que, chez ces parfaits, il semble parfois que leur faculté de sentir soit endormie. Parce qu'ils ont supporté de grandes épreuves sans en être émus, ils seront portés à croire qu'ils ne sont pas susceptibles d'être tout à coup troublés (205) par le plus petit incident, par la moindre bagatelle, dont ils seraient les premiers à rire. Et les voilà soudain qui se sentent si vivement affectés au dedans d'eux-mêmes, qu'ils en demeurent stupéfaits. C'est ma providence qui a ménagé cette expérience, pour l'avancement de l'âme: elle la ramène ainsi dans la vallée de l'humilité. Plus prudente désormais, l'âme se dresse contre elle-même avec une rigueur impitoyable, poursuivant de sa haine et accablant de ses reproches cette révolte de ses sens. Ce châtiment a pour effet de plonger la sensibilité en un sommeil plus profond.
A quelques-uns de mes grands serviteurs, ma providence prouve sa vigilance, en leur laissant cet aiguillon que connut le cher apôtre Paul, mon vase d'élection. Bien qu'il eût reçu la doctrine de ma Vérité dans l'abîme du Père éternel, je ne voulus point éteindre en lui les rébellions de la chair (2Co 12,7). Ne pouvais-je cependant délivrer Paul et mes serviteurs de ces révoltes des sens? Oui, assurément. Pourquoi donc ma providence ne le fait-elle pas? Pour leur procurer un sujet de mérite, et pour les maintenir dans la connaissance d'eux-mêmes qui leur inspire la véritable humilité. C'est encore pour les rendre miséricordieux à l'égard du prochain, et compatissants à leurs peines sans aucune dureté. Ils auront en effet bien plus de compassion pour ceux qui sont dans la souffrance et dans la tribulation, s'ils font eux-mêmes l'expérience des mêmes épreuves (He 4,15 He 5,2). Leur amour s'en accroît d'autant, et ils courent vers moi, tout oints de la véritable humilité (206) et embrasés du feu de la divine charité. C'est par ces moyens, et une infinité d'autres, que je les achemine à l'union parfaite, comme je t'ai dit. Ils parviennent ainsi à une union si complète, et à une connaissance si pleine de ma bonté, que, bien qu'encore dans un corps mortel, ils n'en goûtent pas moins le bonheur des immortels, et tout en demeurant dans la prison du corps, il leur semble qu'ils en sont sortis. Comme ils m'ont ainsi beaucoup connu, ils m'aiment davantage, et qui aime beaucoup, se tourmente aussi beaucoup; aussi, leur tourment s'accroît-il en même temps que leur amour. Et quel tourment endurent-ils donc? Ce ne sont ni les injures qu'ils ont subies, ni les souffrances de leur corps, ni les assauts du démon, ni aucune autre contrariété qui leur pourrait advenir à eux personnellement. Rien de tout cela ne les peut affliger. S'ils se lamentent, c'est des offenses qui me sont faites à moi, en voyant et en éprouvant que je suis digne d'être aimé et servi; c'est de la perte des âmes, qu'ils voient s'enfoncer dans les ténèbres du monde, et tomber dans un tel aveuglement. Car dans cette union que l'âme a contractée avec moi par sentiment d'amour, elle regarde et connaît en moi l'ineffable amour que j'ai pour mes créatures; elle voit qu'elles représentent mon image, et elle s'éprend d'amour pour elles pour l'amour de moi. De là l'intolérable tourment qu'elle éprouve quand elle les voit se séparer de ma bonté. si grande est cette douleur que toute autre peine ne lui semble plus rien en comparaison, et qu'elle (207) demeure insensible à toutes les autres souffrances, comme si ce n'était pas elle qui les endurât.
Une autre attention de ma providence, est de me manifester moi-même à mes serviteurs. Je leur fais voir en moi, avec une grande tristesse, les iniquités et les misères du monde, la damnation des âmes en général et en particulier, selon qu'il plaît à ma bonté, pour les faire progresser dans l'amour et dans la peine. Stimulés ainsi par le feu du désir, ils crient vers moi avec une ferme confiance, éclairés par la lumière de la très sainte foi, pour demander mon assistance en faveur de tant d'infortunés. Ainsi, du même coup, ma divine providence pourvoit aux besoins du monde, vaincue qu'elle est par les doux désirs tourmentés de mes serviteurs, et eux-mêmes en retirent avantage, par la connaissance plus profonde qu'ils y trouvent et par l'union plus parfaite qu'ils font avec moi.
Tu le vois donc bien, nombreuses sont les voies et bien variés les moyens par lesquels je conduis les parfaits. Tant qu'ils sont en cette vie, ils sont toujours capables de progresser dans la perfection et de mériter davantage. C'est pourquoi, sans cesse je m'emploie à les dépouiller de tout amour-propre désordonné, spirituel ou temporel, et je les travaille par de nombreuses tribulations, pour qu'ils produisent un fruit plus abondant et meilleur. Le déchirement qu'ils endurent en voyant que l'on m'offense et que les âmes perdent la grâce, éteint en eux tout autre sentiment, tellement que toutes les peines de cette vie leur paraissent, auprès (208) de cette douleur, moins que bagatelles. Dans cet état, ils n'ont plus aucune recherche personnelle; tribulation ou consolation, tout leur est égal. Ce n'est pas leur satisfaction dont ils sont avides, ce n'est pas d'un amour mercenaire qu'ils m'aiment, en vue de leur propre plaisir: ce qu'ils veulent uniquement, c'est la gloire et l'honneur de mon nom.
Tu peux donc voir, ma très chère fille, que ma providence s'étend à toutes mes créatures raisonnables, que les moyens qu'elle emploie sont admirables, et les occasions qu'elle ménage infiniment variées. Les hommes de ténèbres ne les connaissent pas, car les ténèbres ne sauraient être accueillantes à la lumière. Seuls les peuvent apercevoir, ceux qui possèdent la lumière, et plus ou moins parfaitement, suivant le degré de leur lumière. Cette lumière se trouve dans la parfaite connaissance que l'âme a d'elle-même, qui la fait s'insurger contre les ténèbres, avec une haine qui la prend tout entière (209).




CHAPITRE XII Bref résumé de ce qui précède. - Explication des paroles du Christ à saint Pierre: "Jette tes filets à droite de la barque."

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Je t'ai expliqué comment je pourvois aux besoins de mes créatures, soit en général, soit en particulier. Ce que je t'en ai fait voir est comme la vapeur d'une goutte de rosée en comparaison de l'Océan. Je t'ai exposé les moyens que j'emploie, pour accroître dans l'âme la faim et le désir du sacrement. Tu as pu apprendre aussi, comment l'action de ma providence se fait sentir à l'intérieur de l'âme, par l'intermédiaire du Saint-Esprit, le serviteur, qui distribue ma grâce au méchant pour le ramener au bien, à l'imparfait pour l'acheminer vers la perfection, au parfait pour le rendre plus parfait encore. Car vous pouvez toujours progresser, et devenir de bons et parfaits médiateurs entre moi et les hommes qui se sont mis en révolte contre moi. Je t'ai dit en effet, s'il t'en souvient bien, que c'est par la médiation de mes serviteurs, que je ferai miséricorde au monde, et que c'est à cause de leurs souffrances que je réformerai mon Epouse. Vraiment, on les peut appeler un autre (210) Christ crucifié, puisqu'ils ont accepté de remplir son office. Mon Fils unique est venu comme médiateur, pour mettre fin à la guerre, et réconcilier dans la paix, l'homme et moi, en souffrant avec patience jusqu'à la mort ignominieuse de la croix.
C'est aussi l'oeuvre de ces crucifiés. Ils se font médiateurs par leurs prières, par leurs paroles, par leur bonne et sainte vie, proposée comme un modèle aux yeux de tous. En eux brillent les pierres précieuses des vertus, et cette patience avec laquelle ils supportent les défauts du prochain. Ce sont là, les amorces auxquelles ils prennent les âmes. Ils lancent le filet non de la main gauche, mais de la main droite, comme le disait ma Vérité à Pierre et aux autres disciples (
Jn 21,6) après la Résurrection. La main gauche, c'est-à-dire l'amour-propre, est morte chez eux; mais la main droite est vivante. Elle est ce vrai et pur amour, cette douce et divine dilection, avec laquelle ils jettent le filet du saint désir, en moi, l'océan de paix. En rapprochant le récit qui précède la résurrection de celui qui la suit (Lc 5,4-8 Jn 21,1-8), tu y verras qu'en retirant le filet, c'est-à-dire en enfermant leur désir dans la connaissance d'eux-mêmes, ils prennent une telle abondance de poissons qu'ils ne peuvent suffire à le ramener à eux, et qu'ils sont obligés d'appeler un compagnon pour les aider dans cette besogne. En effet l'acte de saisir et de lancer le filet doit être accompagné de la véritable humilité, et il faut appeler le prochain par amour, pour le prier d'aider à retirer ces poissons qui sont les âmes (211).
Cette vérité tu l'expérimentes en toi-même, et tu la peux observer dans mes serviteurs. Si lourd est le poids de ces âmes qu'ils enferment dans le filet de leur saint désir, qu'ils crient au secours; ils voudraient que toutes les créatures raisonnables accourussent à leur aide, et vinssent prêter à leur propre insuffisance l'assistance de leur humilité. Voilà pourquoi je t'ai dit qu'ils faisaient appel à l'humilité et à la charité du prochain pour les aider à retirer ces poissons, qui se trouvent pris en grande abondance, bien que plusieurs s'en échappent par leur propre faute et ne demeurent pas enfermés dans le filet. Le filet du saint désir les a bien tous pris, puisque l'âme affamée de mon honneur ne se contente pas d'une partie, mais veut y englober tous les hommes.
Elle veut les bons, pour qu'ils l'aident dans cette pêche à faire entrer les poissons dans le filet, et que par cette oeuvre ils se conservent dans le bien et avancent dans la perfection; les imparfaits, elle voudrait qu'ils devinssent parfaits, et les mauvais, elle désire les voir devenir bons. Les infidèles plongés dans les ténèbres, elle souhaite qu'ils parviennent à la lumière du saint baptême. Elle les veut tous, quels que soient leur état, leur condition, parce qu'en moi elle les voit tous, créés par ma bonté à l'amour de feu, et rachetés par le sang du Christ crucifié, mon Fils unique. Tous sont donc pris dans le filet de son saint désir: mais beaucoup s'en échappent, comme je te l'ai dit, qui se privent de la grâce par leur faute, ou qui, comme les infidèles (212) et les autres, demeurent dans le pêché mortel. Cela n'empêche pas qu'ils soient compris en ce désir et cette incessante prière car qu'une âme s'éloigne de moi par ses offenses ainsi que de la société de mes serviteurs, en manquant à l'amour et au respect qu'elle leur doit, les sentiments que ceux-ci ont pour elle n'en subissent aucun dommage. Le propre de leur charité est de demeurer inaltérable. C'est ainsi qu'ils jettent de la main droite cet aimable filet.
O fille très chère, il est raconté dans le saint Evangile, que lorsque ma Vérité commanda au glorieux apôtre Pierre de jeter à la mer ses filets, Pierre répondit, que toute la nuit il s'était fatigué sans rien prendre (Lc 5,4-7), mais, ajouta-t-il, sur votre commandement, je vais le jeter. Il le jeta; il prît une si grande quantité de poissons qu'il ne le pouvait retirer seul, et qu'il dut appeler les disciples à son aide.
Considère cet acte de Pierre! Dans la réalité qui vient d'être décrite, tu découvriras une figure, et tu comprendras par tout ce que je t'ai dit que cette figure s'applique à toi. Car, sache-le bien, tous les mystères, toutes les actions accomplies en ce monde par ma Vérité avec ses disciples ou en dehors des disciples, étaient représentatifs de ce qui se passe dans l'intime de l'âme de mes serviteurs et chez tous les hommes. Vous pouvez retirer de tous ces faits un enseignement et une règle (213) de vie. Qu'on les médite à la lumière de la raison, et les esprits les plus grossiers comme les plus subtils, les intelligences vulgaires comme aussi les plus hautes peuvent en tirer profit chacun peut en prendre sa part, s'il le veut (Dial LXIII,332).
Pierre, t'ai-je dit, au commandement du Verbe, jeta le filet: il fut donc obéissant, en croyant avec une foi vive, qu'il prendrait du poisson, et il en prit en effet beaucoup; mais ce ne fut pas pendant la nuit. Sais-tu quel est ce temps de la nuit? C'est la nuit ténébreuse du péché mortel, où l'âme est privée de la lumière de la grâce. En cette nuit, elle ne saurait rien prendre, parce qu'elle jette le filet de son désir non dans l'océan de vie, mais dans la mer morte, où elle ne trouve que la faute qui n'est pas quelque chose. Elle se fatigue en vain, tous ses efforts sont inutiles. Ceux qui s'imposent toutes ces peines se font les martyrs du démon, non du Christ crucifié. Mais, quand le jour paraît, quand l'âme sort de la nuit du péché, pour recouvrer la lumière de la grâce, elle retrouve du même coup dans son esprit le commandement de la loi que je lui ai donnée, de jeter le filet, à la parole de mon Fils, en m'aimant par-dessus toute chose, et le prochain comme soi-même. Docile dès lors à la lumière de la foi, avec une ferme confiance, elle jette son filet, sur sa parole, en suivant la doctrine et les exemples de ce doux Verbe d'amour et de ses disciples. Comment son filet se remplit et quels sont ceux qu'il appelle à son aide, je te l'ai déjà dit, et je n'y reviens plus (214).





Catherine, Dialogue 143