Catherine, Lettres 217

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Lettre n. 202, A LA PRIEURE

CCII (156).- A LA PRIEURE, et aux autres Soeurs de Sainte-Marie-des-Vierges, à la Prieure de Saint-Georges, et aux autres Soeurs de Pérouse.- De la charité qui s'acquiert par la méditation de l'amour, et des bienfaits de Dieu.- Les trois voeux contiennent toute la doctrine de Jésus-Christ.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des épouses fidèles, unies et liées par les liens d'une [1125] véritable et ardente charité, par ces liens qui ont cloué et attaché l'Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix. Ce lien a uni Dieu à l'homme et l'homme à Dieu; il unit l'âme à son Créateur, et il lui fait aimer les véritables et solides vertus. Quel est ce lien? C'est un amour qui lie, retranche et divise; car, de même qu'il unit et lie l'âme à Dieu, il la sépare et la retranche du péché et de l'amour-propre sensitif, qui cause toutes les divisions et tout le mal; il enlève l'eau morte et donne l'eau vive de la grâce; il sépare des ténèbres et donne la lumière, qui fait voir et goûter la vérité.

2. O très doux feu d'amour, qui remplit l'âme des plus suaves douceurs! Aucune peine, aucune amertume ne peut atteindre l'âme qui brûle de ce feu doux et glorieux. La charité ne juge jamais en mal; elle ne voit pas la volonté de l'homme, mais seulement la volonté de Dieu, sachant qu'il ne veut autre chose que notre sanctification. Puisque Dieu ne veut autre chose que notre bien, que tout vient de lui, et qu'il permet dans ce but les tribulations, les tentations, les peines et les tourments, l'âme ne doit s'affliger de rien, si ce n'est du péché, qui n'est pas. Puisqu'il n'est pas en Dieu, il n'est pas digne d'être aimé; il faut, au contraire, le haïr, et préférer la mort à l'offense de son Créateur. O douceur d'amour! comment le coeur de votre épouse peut-il ne pas vous aimer, en voyant que vous êtes l'Epoux qui est la vie? Dieu éternel! vous nous avez créés à votre image et ressemblance uniquement par amour, et, lorsque nous avons perdu la grâce par le malheureux péché, vous nous avez donné le Verbe, votre [1126] Fils unique, et votre Fils nous a donné sa vie; il a puni nos iniquités sur son corps, et il a payé une dette qu'il n'avait pas contractée. Hélas! hélas! misérables que nous sommes! nous étions des voleurs, et il a été supplicié pour nous!

3. Ne doit-elle pas rougir de honte et de confusion, l'épouse ignorante, endurcie, aveugle, qui n'aime pas lorsqu'elle se voit tant aimée, et que les liens de cet amour sont si doux? Voici le signe de l'amour celui qui aime Dieu avec la raison suit les traces du Verbe, son Fils unique; celui qui ne l'aime pas au contraire, suit les traces du démon et sa propre sensualité. Il obéit aux lois du monde, qui sont opposées à celles de Dieu; il goûte la mort et ne s'en aperçoit pas. Son âme est plongée dans les ténèbres, car elle est privée de la lumière; elle souffre et elle est en querelle continuelle avec son prochain, parce qu'elle est privée des liens de la charité. Elle se trouve livrée aux mains du démon, parce qu'au lieu d'être l'épouse fidèle de Jésus crucifié, elle a, comme une adultère, abandonné son céleste Epoux; car l'épouse, est appelée adultère lorsqu'elle n'a plus l'amour de l'époux, et qu'elle aime, qu'elle s'unit à celui qui n'est pas son époux. Quel danger et quelle honte de se voir aimée, et de ne pas aimer!

4. Aimez-vous donc, aimez-vous les unes les autres; c'est à cela qu'on verra si vous êtes ou non, les épouses et les filles du Christ. On ne les reconnaît qu'à l'amour qui a Dieu pour principe, et qui s'applique au prochain. C'est ainsi qu'il faut arriver à notre but, à notre fin, on suivent les traces de Jésus [1127] crucifié; non le Père, mais le Fils, parce que le Père ne peut souffrir, mais le Fils.

5. Il faut donc suivre la voie de la très sainte Croix, supportant les opprobres, les mépris, les outrages, méprisant le monde avec toutes ses délices souffrant la faim, la soif avec l'esprit de pauvreté, avec une obéissance ferme et persévérante, avec une grande pureté d'âme et de corps, dans la société des personnes qui craignent vraiment Dieu, et dans la solitude de la cellule, en fuyant comme le poison, le parloir et la conversation des faux dévots et des séculiers. Car l'épouse du Christ n'agit pas de la sorte; elle aime la société des vrais serviteurs de Dieu, et non celle de ceux qui n'ont de religieux que l'habit. Il ne faut pas que sous un chef couronné d'épines vivent des membres délicats, comme font les insensés qui s'éloignent du Christ, leur maître, et qui ne recherchent que les délices et les délicatesses du corps. Nous surtout, qui sommes séparées du siècle et placées dans le jardin de la vie religieuse, nous, ses épouses choisies, nous devons être des fleurs de bonne odeur. Oui, si vous observez ce que vous avez promis pour répandre vos doux parfums, vous participerez à la bonté de Dieu en vivant dans sa grâce, et vous le goûterez dans son éternelle vision. Si vous ne le faites pas, vous répandrez une honteuse infection; vous goûterez l'enfer dès cette vie, et vous aurez à la fin en partage la vue des dénions. Pour suivre le Christ, sortez du siècle, renoncez au monde et à ses richesses en vous attachant à la vraie pauvreté. Renoncez à la volonté propre en tous soumettant à la véritable obéissance; éloignez [1128] vous de l'état commun en ne voulant pas être les épouses du monde, pour conserver la vraie continence et la virginité dont le parfum réjouit Dieu et les anges qui se plaisent à habiter l'âme qu'embaume la pureté. Soyez unies et non pas divisées par la haine, la jalousie et l'antipathie, les unes envers les autres; soyez unies étroitement dans les liens de la charité, car autrement vous ne pourriez plaire à Dieu ni avoir aucune vertu parfaite.

6. Quelle honte et quelle confusion pour l'âme qui ne tient pas ce qu'elle a promis, et qui fait tout le contraire! Elle ne suit pas le Christ, et ne marche pas dans la voie de la Croix; mais elle veut suivre la voie du plaisir. Ce n'est pas la nôtre: il nous faut suivre l'humble Christ, l'Agneau sans tache, le pauvre Agneau; sa pauvreté était si grande, qu'il n'avait pas une place pour reposer sa tête très pure. La souillure du péché n'était pas en lui, et il a obéi à son Père pour notre salut jusqu'à la mort honteuse de la Croix. Les Saints et notre glorieux Père saint Dominique ont fondé leurs Ordres sur ces trois colonnes, la pauvreté, l'obéissance, la chasteté, pour pouvoir mieux ressembler au Christ et suivre sa doctrine et ses conseils; car de ces vertus procède toute Vertu, et de leurs contraires procèdent tous les vices. La pauvreté éloigne l'orgueil, les conversations du monde et les amitiés dangereuses qui s'entretiennent par des présents; car quand on n'a rien à donner, on ne trouve que l'amitié des vrais serviteurs de Dieu, qui aiment le don de l'âme. Elle éloigne la vanité du coeur et la légèreté d'esprit; elle fait aimer la cellule, où on goûte la sainte oraison,[1129] qui conserve et augmente les vertus. Elle conduit à la pureté parfaite, et fait observer ainsi le voeu de chasteté, tellement qu'on s'abstient non seulement d'un pêché, mais de tous, en foulant aux pieds la sensualité, en macérant son corps, et en le privant de tout plaisir. En le domptant ainsi par le jeûne, les veilles et la prière, on devient humble, patient, charitable; on supporte les défauts de son prochain, et on s'unit à son Créateur par l'amour, et au prochain pour Dieu. L'âme supporte les peines du corps, parce qu'elle y trouve un gain.

7. Lorsqu'elle a ainsi triomphé de l'orgueil, elle y goûte le parfum de la sainte humilité; et elle est aussi obéissante qu'elle est humble, et aussi humble qu'elle est obéissante. Celui qui n'est pas orgueilleux suit ce qui est humble; et s'il est humble, il est vraiment obéissant; il possède ainsi la troisième colonne qui soutient la cité de l'âme. Le véritable obéissant observe les règles et les usages de son Ordre; il n'élève pas la tête de la volonté propre contre son supérieur, et ne discute jamais avec lui; mais au premier mot, il obéit et baisse la tête sous le joug. Il ne dit pas: Pourquoi me commande-t-il, me dit-il cela, et non pas autre chose? mais il cherche le moyen d'obéir promptement. O douce obéissance! tu n'as jamais de peines; tu fais vivre et courir les hommes morts, car tu fais mourir la volonté; et plus elle est morte, plus on court rapidement. Car l'âme qui est morte à l'amour-propre de la volonté sensitive, court plus légèrement pour s'unir à son Epoux céleste par l'amour; elle s'élève à une telle hauteur, à un tel repos d'esprit, que dès cette vie, elle commence à goûter les parfums et les fruits de la vie éternelle. Soyez, soyez donc obéissantes jusqu'à la mort; aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; unissez-vous par les liens de la charité, car nous ne pouvons autrement atteindre la fin pour laquelle nous avons été créées. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir des épouses unies étroitement dans les liens d'une véritable et ardente charité. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 203, A LA PRIEURE

CCIII (157).- A LA PRIEURE, et aux Religieuses de Sainte-Agnès, à Montepulciano. - De la reconnaissance envers Dieu, qui se prouve par l'observation de ses commandements et de ses conseils.

(Le couvent de Sainte-Agnès était proche de Montepulciano. Sainte Catherine aimait beaucoup le visiter pour vénérer le corps de la bienheureuse Agnès, qui y était conservé. Plusieurs miracles s'opérèrent pour elle dans ces visites. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. XII. )

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir reconnaissantes envers votre Créateur, afin que la source de [1131] la piété ne se tarisse pas dans vos âmes, mais qu'elle s'alimente par la reconnaissance. Faites attention que cette reconnaissance ne doit pas consister seulement en paroles, mais encore en bonnes et saintes oeuvres. Et comment la montrerez-vous? En observant les doux commandements de Dieu, et avec ces commandements, les conseils, mentalement et actuellement; car vous avez choisi cette voie des conseils, il faut donc la suivre jusqu'à la mort autrement vous pêcheriez; l'âme qui est reconnaissante les observe toujours. Que promettez-vous dans votre profession? Vous promettez d'observer l'obéissance, la charité, la pauvreté volontaire; et si vous ne les observez pas, vous tarirez la source de la piété.

2.C'est une honte pour une religieuse de posséder quelque chose qu'elle puisse donner. Elle ne doit pas le faire, mais elle doit vivre dans l'union et la charité fraternelle avec toutes ses soeurs; elle ne doit pas souffrir qu'elles éprouvent la faim et le besoin, tandis qu'elle est dans l'abondance. Celle qui est reconnaissante ne le souffre pas, mais elle assiste le prochain et lui est utile; elle voit qu'elle ne peut être utile à Dieu, car il est notre Dieu, et n'a pas besoin de nous. Et comme elle veut montrer qu'elle est véritablement reconnaissante des grâces qu'elle a reçues de lui, elle le montre à l'égard des créatures raisonnables parce qu'elle voit que Dieu les aime beaucoup. En toute chose elle s'applique à montrer dans le prochain sa reconnaissance à Dieu. Ainsi toutes les vertus se développent par la reconnaissance, c'est-à-dire par l'amour que l'âme conçoit en reconnaissant à la lumière les grâces qu'elle a reçues de son [1132] Créateur. Qui la rend patiente et lui fait supporter avec résignation les injures, les reproches, les outrages des créatures, les tentations et les attaques du démon? La reconnaissance. Qui la fait renoncer à la volonté propre, et se soumettre au joug de la sainte obéissance? La reconnaissance. Pour l'observer, elle mortifie son corps par les veilles et les jeûnes, par une humble et continuelle prière; et par l'obéissance elle tue la volonté propre, afin que son corps étant mortifié et sa volonté morte, elle puisse observer sa promesse et montrer ainsi sa reconnaissance envers Dieu.

3. Les vertus sont donc une preuve que l'âme n'oublie pas qu'elle a été créée à l'image et ressemblance de Dieu, qu'elle a été régénérée dans le sang de l'humble Agneau qui lui a rendu la grâce, et qu'elle est reconnaissante de tous les bienfaits, les dons et les faveurs qu'elle a reçus spirituellement ou temporellement; et toutes les vertus montrent que l'âme est pleine d'une grande reconnaissance envers son Créateur. Alors s'augmente en elle le feu du saint désir, qui la porte sans cesse à chercher l'honneur de Dieu et la nourriture des âmes en supportant la peine jusqu'à la mort. Si elle était ingrate, elle n'aimerait pas souffrir pour l'honneur de Dieu et pour se rassasier de cette douce nourriture; mais une paille qu'elle rencontrerait sous les pieds lui serait insupportable; elle chercherait son avantage, et se nourrirait de cette nourriture de mort, de cet amour d'elle-même, qui engendre l'ingratitude et détruit la grâce.

4. C'est en comprenant combien cette nourriture [1133] est dangereuse que je vous disais mon désir de vous voir reconnaissantes des grâces infinies que vous avez reçues de votre Créateur, et spécialement de celle que Sa Sainteté, le Vicaire de Jésus-Christ, a daigné vous accorder; cette sainte indulgence que vous avez toutes reçue est la plus grande que vous puissiez recevoir en cette vie. Il faut donc en être reconnaissantes envers Dieu en l'aimant de tout votre coeur, avec un amour ardent et sans mesure: autrement ce ne serait pas un véritable et bon amour. Je veux aussi que vous soyez reconnaissantes à l'égard du Saint-Père en faisant les humbles et continuelles prières que nous lui devons, parce qu'il est notre Père, et aussi pour la grâce que vous avez reçue de lui et pour les grandes difficultés où il se trouve. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 204, A SOEUR CHRISTOPHE

CCIV (158). - A SOEUR CHRISTOPHE, prieure du monastère de Sainte-Agnès, à Montepulciano.- Des vertus de sainte Agnès, qu'il faut imiter.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre les traces de notre glorieuse Mère sainte Agnès. Je [1134] vous en conjure, et je veux que vous suiviez sa doctrine et ses exemples. Vous savez bien qu'elle vous a toujours donné les leçons et les exemples de la véritable humilité. C'était la principale vertu qui brillait en elle, et je ne m'étonne pas qu'elle eût ce que doit avoir l'épouse qui veut suivre l'humilité de son Epoux. Elle avait cette charité incréée qui brûlait sans cesse et consumait son coeur; elle avait faim des âmes et s'en rassasiait: elle s'appliquait toujours aux veilles et à l'oraison. Il n'y a pas d'autre moyen d'acquérir la vertu d'humilité, car il n'y a pas d'humilité sans charité, l'une nourrit l'autre. Savez-vous ce qui l'a fait arriver à une vertu solide et parfaite? C'est le dépouillement volontaire qui l'a fait renoncer à elle-même, à la substance du monde et à toute sorte de possession.

2. Cette glorieuse vierge a bien compris que la possession des choses temporelles conduit l'homme à l'orgueil. Il perd la douce vertu de l'humilité, il tombe dans l'amour-propre et manque au mouvement de la charité; il abandonne les veilles, l'oraison, et, parce que son coeur est plein des choses de la terre et de l'amour de lui-même, il ne peut se remplir de Jésus crucifié, ni goûter ses vraies et doux entretiens. La douce Agnès, qui le savait, s'est dépouillée d'elle-même et revêtue de Jésus crucifié, et ce n'était pas seulement pour elle, mais pour nous; c'est un exemple qu'elle vous a laissé et que vous devez suivre. Vous savez bien que vous, les épouses choisies du Christ, vous ne devez pas posséder ce qui vient de votre père, puisque vous êtes unies à votre Epoux; mais vous devez posséder et conserver le bien [1135] de votre Epoux céleste. Le bien de votre père est la sensualité, que nous devons abandonner lorsqu'est venu le moment de suivre l'Epoux et de posséder son. trésor. Quel a été le trésor de Jésus crucifié? La Croix, les opprobres, les tourments, les injures, la pauvreté volontaire, la faim de l'honneur de son Père et de notre salut. Je vous ai dit que si vous possédez ce trésor par la force de votre âme et l'ardeur de la charité vous arriverez aux vertus dont nous avons parlé; vous serez lés dignes filles de votre Mère, des épouses fidèles et actives, et vous mériterez d'être reçues par Jésus crucifié dans sa gloire; il vous ouvrira les portes de la vie éternelle. Je termine. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; soyez pleines de zèle et de charité. Si vous êtes unies, et non séparées, ni le démon ni les créatures ne pourront vous nuire et vous éloigner de la perfection. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1136].





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Lettre n. 205, A SOEUR EUGENIE, SA NIECE

CCV (159).- A SOEUR EUGENIE, SA NIECE, au couvent de sainte Agnès de Montepulciano.- De la nourriture des anges, qui est le désir de s'unir à Dieu. - Des différentes sortes de prières.

(Deux nièces de sainte Catherine prirent l'habit dans le monastère de Sainte-Agnès; elles étaient filles de son frère Bartholo. Soeur Eugénie mourut sans doute jeune, car on ne trouve pas son nom parmi les religieuses du Chapitre tenu en 1387.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir goûter la nourriture des anges, car tu n'es pas créée pour autre chose. Et pour que tu puisses la goûter, Dieu t'a rachetée par le sang de son Fils unique; mais songes, ma Fille bien-aimée, que cette nourriture ne se prend pas sur terre, mais en haut, et c'est pour cela que le Fils de Dieu a voulu être élevé sur le bois de la très sainte Croix; c'est à cette table qu'il faut monter pour prendre cette nourriture. Mais tu me diras: Quelle est cette nourriture des anges? Je te répondrai: C'est le désir de Dieu, ce désir qui attire l'âme et en fait une même chose avec lui.

2. Cette nourriture, pendant le pèlerinage de cette vie, fait naître l'odeur des vraies et solides vertus. Ces vertus sont préparées au feu de la divine charité et se prennent sur la table de la Croix, c'est-à-dire que [1137] la vertu s'acquiert par la peine et la fatigue, en combattant sa sensualité et en conquérant, par la force et la violence, le royaume de son âme, qui est appelée au ciel parce qu'elle contient Dieu par la grâce. Cette nourriture rend l'âme semblable aux anges; aussi elle s'appelle la nourriture des anges; et quand l'âme est séparée du corps, elle goûte Dieu dans son essence; l'âme en jouit tellement, qu'elle ne peut désirer et demander autre chose que de conserver et d'augmenter cette nourriture. Elle hait tout ce qui lui est contraire, et elle regarde avec prudence, à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire l'oeil de son intelligence, et elle voit ce qui lui est nuisible et ce qui lui est utile; et, selon ce qu'elle voit, elle aime et elle hait. Elle méprise la sensualité, qu'elle foule aux pieds de son affection, avec tous les vices qui en découlent; elle fuit toutes les occasions qui peuvent la porter au péché ou l'éloigner de la perfection; et c'est pour cela qu'elle anéantit sa volonté propre, qui est la cause de tout mal, et elle la soumet au joug de la sainte obéissance, obéissant non seulement à l'Ordre et à son supérieur, mais à la moindre créature pour Dieu. Elle fuit toute louange et toute complaisance humaine, et se glorifie seulement dans les opprobres et les peines de Jésus crucifié. Les injures, les mépris, les outrages ont pour elle la douceur du lait; elle s'y complaît pour devenir semblable à son Epoux, Jésus crucifié. Elle renonce à la conversation des créatures, parce qu'elle voit qu'elles sont souvent un obstacle entre nous et notre Créateur, et elle se réfugie dans la cellule de son corps et de son âme [1138].

3. C'est à cela que je t'invite, toi comme les autres, et je te commande, ma Fille bien-aimée, de rester toujours dans la cellule de la connaissance de toi-même, où se trouve la nourriture angélique de l'ardent désir de Dieu pour nous. Reste aussi dans la cellule matérielle en veillant, en priant sans cesse, en dépouillant ton coeur et ton affection de toi et de toute créature, et en te revêtant de Jésus crucifié; autrement, tu prendrais ta nourriture sur la terre; et je t'ai dit que ce n'est pas là qu'il faut la prendre. Pense que ton Epoux, le Christ, le doux Jésus, ne veut aucun obstacle entre toi et lui; il est très jaloux, et dès qu'il verra que tu aimes quelque chose hors de lui, il s'éloignera de toi, et tu deviendras digne de la nourriture des bêtes. Ne serais-tu pas réduite à la condition des bêtes, si tu abandonnais le Créateur pour les créatures, et le Bien infini pour les choses finies et transitoires qui passent comme le vent, la lumière pour les ténèbres, la vie pour la mort; Celui qui te revêt du soleil de la justice, du bracelet de l'obéissance, des pierres précieuses de la foi vive, de la ferme espérance et de la charité parfaite, pour celui qui te vole et te dépouille? Ne serais-tu pas bien insensée, si tu quittais Celui qui te donne la pureté véritable? Plus tu t'approches de lui, plus s'épure la fleur de ta virginité; l'abandonnerais-tu pour ceux qui répandent souvent l'infection de l'impureté et qui souillent l'esprit et le corps? Dieu les a éloignés de toi par son infinie miséricorde.

4. Et pour que cela n'arrive pas, prends garde de n'avoir jamais le malheur d'éprouver d'affection particulière [1139] pour un religieux ou pour un séculier. Si je pouvais le savoir ou l'apprendre, en étant même plus éloignée que je ne le suis, je te donnerais une telle pénitence, que tu t'en souviendrais, bon gré mal gré, toute ta vie. Ne donne et ne reçois jamais sans nécessité, mais rends-toi utile généralement à toutes les personnes du dedans et du dehors; sois ferme et prudente pour toi-même; sers tes soeurs avec zèle et charité, surtout celles qui sont dans le besoin. Quand des étrangers passent et te demandent à la grille, conserve-toi dans la paix; ne bouge pas, et laisse-leur dire à la prieure ce qu'ils ont à te dire, à moins que la prieure ne te dise d'y aller par obéissance; baisse alors la tête, mais sois sauvage comme un hérisson; emploie les moyens que la glorieuse vierge sainte Agnès donnait à ses filles. Lorsque tu vas te confesser, expose tes misères; reçois ta pénitence et sauve-toi. Evite ceux avec lesquels tu as été élevée; et ne t'étonne pas si je te parle ainsi, car bien souvent je l'ai entendu dire, les conversations des personnes qu'on appelle si mal des dévots et des dévotes, corrompent les âmes, les règles et les usages de la vie religieuse. Prends garde de lier ton coeur à un autre qu'à Jésus crucifié: lorsque tu voudrais le délier, tu ne le pourrais pas sans beaucoup de peine. Je t'ai dit que l'âme qui se rassasie de la nourriture des anges a vu à la lumière que ces choses étaient des obstacles à cette nourriture, et elle les fuit avec un grand zèle. Elle aime, au contraire, et recherche tout ce qui peut l'augmenter et la conserver; et, comme elle a compris que la meilleure manière d'en jouir est la prière [1140] faite dans la connaissance de soi-même, elle s'y exerce sans cesse par tous les moyens qui peuvent l'unir le plus à Dieu.

5. Il y a trois sortes de prières: il y a d'abord la prière continuelle, c'est-à-dire un saint désir qui prie sans cesse en présence de Dieu, dans tout ce que tu fais; ce désir dirige, pour son honneur, toutes les oeuvres spirituelles et corporelles; c'est la prière continuelle dont parle le glorieux saint Paul lorsqu'il dit: «Priez sans jamais vous arrêter (1Th 5,17).» Il y a ensuite la prière vocale, lorsqu'on récite l'office et les autres prières cette prière est la préparation de la troisième, qui est la prière mentale. L'âme y arrive lorsqu'elle s'est exercée avec prudence et humilité à la prière vocale, lorsque, pendant que la bouche parlait, son coeur n'était pas loin de Dieu. Elle doit s'appliquer à maintenir et affermir son coeur dans l'amour de la divine charité; et quand elle sent que Dieu la visite, et que son esprit est attiré par son Créateur, elle doit abandonner la prière vocale, et répondre par l'amour à l'amour que Dieu lui montre. Si ensuite cet attrait cesse, et ai le temps le permet, elle doit reprendre la prière vocale, pour que son esprit soit occupé, et jamais vide. Souvent, pendant la prière, abondent les combats, les ténèbres, le trouble et la confusion; le démon veut persuader que dans cet état la prière ne peut être agréable à Dieu. L'âme en butte à ces attaques, ne doit pas cependant abandonner la prière, mais y persévérer avec force et courage, en pensant [1141] que le démon agit ainsi pour nous détourner de la prière qui nourrit notre âme, et que Dieu le permet pour éprouver sa force et sa constance. Dans ces combats et ces ténèbres, elle reconnaît son néant, et, dans la volonté droite qu'elle conserver elle reconnaît la bonté de Dieu, qui donne et conserve les bonnes et saintes résolutions ce qu'il ne refuse jamais qui le veut.

6. L'âme, par ce moyen, arrive à la troisième et dernière manière de prier, à la prière mentale, où elle reçoit la récompense des peines qu'elle a eues dans la prière vocale imparfaite. Elle goûte alors le lait de la fidèle oraison; elle s'élève au-dessus d'elle-même, c'est-à-dire au-dessus du sentiment sensible et grossier, et son esprit céleste s'unit à Dieu dans l'amour. A la lumière de l'intelligence, elle voit, elle connaît et revêt la vérité; elle devient la soeur des anges, elle s'assoit avec son Epoux à la table de l'ardent désir, et se plaît à chercher en tout l'honneur de Dieu et le salut des âmes, parce qu'elle voit bien que c'est pour cela que l'éternel Epoux a couru à la mort honteuse de la Croix, et qu'il a accompli les ordres de son Père et notre salut. La prière mentale est vraiment une mère qui conçoit les vertus dans l'amour de Dieu, et les nourrit dans l'amour du prochain. Où montreras-tu l'amour la foi, l'espérance et l'humilité? Dans la prière; car ce que tu n'aimes pas, tu ne te tourmentes pas pour le chercher, mais celui qui aime veut toujours s unir à ce qu'il aime, c'est-à-dire à Dieu. Par cette prière, tu lui exposes tes besoins, car c'est sur la connaissance de toi-même qu'est, fondée la vraie [1142] prière; tu comprends ta misère, tu te vois entourée d'ennemis, attaquée par le monde, qui te poursuit d'injures et te rappelle ses vains plaisirs, ou par le démon et ses tentations, par la chair et ses révoltes contre l'esprit; tu vois que tu n'as pas l'être par toi-même, et que tu ne peux te secourir. Alors tu cours avec confiance à Celui qui peut et veut t'assister dans tous tes besoins, et tu lui demandes, tu attends son secours avec espérance. C'est ainsi qu'il faut prier pour obtenir ce que tu désires rien de ce qui est juste ne te sera refusé, si tu implores ainsi la Bonté divine; mais, en faisant autrement, tu en retireras peu de fruit.

7. Où sentiras-tu le regret de tes fautes? Dans la prière. Où te dépouilleras-tu de l'amour-propre, qui te rend impatiente au milieu des injures et des peines? Où te revêtiras-tu de l'amour divin, qui te rendra patiente, et te fera te glorifier dans la Croix de Jésus crucifié? Dans la prière. Où respireras-tu le parfum de la virginité? Où ressentiras-tu cette. faim du martyre, qui te fera désirer de donner ta vie pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes? Dans cette douce et maternelle prière. C'est elle qui te rendra l'observatrice fidèle de ta règle, qui scellera dans ton coeur et dans ton esprit les trois voeux solennels de ta profession, et qui gravera en toi le désir de les observer jusqu'à la mort. Elle t'éloignera de la société des créatures pour te donner celle du Créateur; elle remplira le vase de ton coeur du sang de l'humble Agneau et le couvrira de feu, car c'est le feu de l'amour qui l'a répandu. L'âme goûte plus ou moins parfaitement la prière, selon qu'elle se [1143] nourrit de l'aliment des anges, c'est-à-dire du vrai et saint désir de Dieu, en quittant la terre pour le prendre à la table de la très douce Croix. C'est pourquoi je t'ai dit que je désirais te voir nourrie de la nourriture des anges, car je ne vois pas pour toi un autre moyen d'être l'épouse fidèle de Jésus crucifié, comme tu le lui as promis en embrassant la vie religieuse. Oui, que je te voie une pierre précieuse en la présence de Dieu, et- que je n'aie pas perdu mon temps. Baigne-toi, anéantis-toi dans le sang précieux de ton Epoux. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.





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Lettre n. 206, A UNE RELIGIEUSE

CCVI (160).- A UNE RELIGIEUSE du monastère de Sainte-Agnès, de Montepulciano.- Du vêtement nuptial qu'il faut pour plaire à Jésus crucifié.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


Chère et bien-aimée Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de ses serviteurs, je t'encourage, je te bénis et je t'écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de te voir l'épouse fidèle et dévouée à l'Epoux, tout ornée du vêtement des vertus. Tu sais, ma Fille bien-aimée, que l'épouse, quand elle va au-devant de l'époux, se pare de ses plus beaux vêtements, et se colore de vermillon [1145] pour plaire à son époux. Je veux que tu fasses de même je veux que tu portes le vêtement de la charité; sans ce vêtement, tu ne pourrais aller aux noces, mais tu entendrais cette parole que le Christ dit à ce serviteur qui était entré sans vêtement nuptial: il commanda aux autres de le chasser, et de le jeter dans les ténèbres extérieures (Mt 22,11-13). Il ne faut pas que cela t'arrive, ma bien chère Fille; et si tu es appelée pour aller aux noces, je ne veux pas que tu sois trouvée sans ce doux vêtement. Je veux et je demande que tu l'ornes des broderies d'une véritable et sainte obéissance, observant toujours fidèlement la règle, te soumettant à la supérieure et à la moindre des religieuses. Prends la vertu d'humilité pour nourrir en toi la vertu de la sainte obéissance, et reconnais humblement les dons et les grâces que tu as reçus de Dieu. Applique-toi à être une épouse fidèle. Sais-tu quand tu seras fidèle à ton Epoux? Quand tu n'aimeras que lui. Oui, je ne veux pas qu'on trouve en ton coeur un autre que Dieu. Retranche tout amour-propre, toute affection sensible pour tes parents ou pour n'importe quelle chose; et cela sans aucune crainte de vie ou de mort; mais le coeur libre et revêtue de ce saint vêtement, remets-toi entre les mains de ton céleste Epoux, abandonne-toi à sa volonté, pour qu'il fasse et défasse ce qui sera le mieux pour son honneur et pour toi. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1145].






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Lettre n. 207, A LA SOEUR NERA

CCVII (161). - A LA SOEUR NERA, prieure des mantelées de Saint-Dominique, pendant que sainte Catherine était à la Roche-Agnolino.- Comment il faut travailler à l'honneur de Dieu et au salut des âmes.

( Les Mantelées étaient les tertiaires de Saint-Dominique, parmi lesquelles fut reçue sainte Catherine. Leur nom venait du manteau noir qui les couvrait. Elles vivaient dans leurs maisons, mais elles obéissaient à une prieure. ( Voir: Vie de sainte Catherine, Ire p., ch VIII )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir faire comme le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis (Jn 10,11). Vous devez faire de même, ma bien chère Mère; vous devez vous appliquer à l'honneur de Dieu et au salut des brebis qui vous ont été confiées; et cela sans négligence, pour ne pas être reprise de Dieu, mais avec un zèle véritable, en sacrifiant tout amour propre et toute complaisance pour les créatures. Vous savez, ma très chère Mère, que celui qui s'aime d'une manière sensible, s'il est supérieur, ne corrige pas, parce qu'il craint toujours; ou, s'il corrige, il le fait selon le jugement des créatures, et souvent contre la vérité. Quelquefois il le fera d'après son goût particulier, parce que la manière [1146] d'agir des autres ne lui plaira pas. Il ne faut pas faire ainsi, parce que les voies et les moyens que Dieu prend avec ses serviteurs sont très variés. Il doit nous suffire de les voir désirer suivre Jésus crucifié: autrement nous serions plutôt injustes que justes, car nous ne devons pas les corriger selon nos goûts, mais selon les défauts que nous trouvons on eux. Il faut nous attacher doucement à l'honneur de Dieu, et ouvrir l'oeil de l'intelligence sur ceux qui nous sont soumis, pour donner à chacun ce qui lui convient. Il faut agir différemment avec les moins parfaites et avec les plus parfaites. Il faut savoir condescendre à leurs besoins, en étant toujours ferme à corriger les défauts que vous apercevrez en elles, et à ne rien leur laisser passer par aucune considération humaine.

2. J'espère de l'ineffable et infinie charité de Dieu que vous ferez ainsi. Ouvrez l'oeil de l'intelligence, et regardez l'amour de l'Agneau sans tache percé et cloué sur la Croix, et vous verrez que ce bon Maître a donné Sa vie pour ses brebis. Et avec quelle tendresse, quelle bonté, il nous a parlé, souffert, supporté, nous, pauvres misérables; il a travaillé sans cesse à l'honneur de son Père et à notre salut, ne se laissant arrêter ni par notre ingratitude, ni par les murmures des hommes, ni par la malice du démon. Rien n'a empêché le tendre Agneau de glorifier son Père et d'accomplir parfaitement l'oeuvre de son salut. J'espère de sa bonté que vous l'imiterez, ma très douce Mère; vous ne vous laisserez pas décourager par l'ingratitude de vos pauvres filles et de toute notre compagnie, ni par les murmures ou [1147] les propos des créatures, ni par la malice du démon, qui leur met sur la langue ce qu'elles ne devraient pas dire pour empêcher l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Agissez et poursuivez toute chose sans aucune crainte. Que votre coeur et votre intelligence ne s'éloignent jamais de la vérité; car vous ne devrez désirer autre chose que de voir Dieu honoré, et vos filles des modèles de vertus. Alors Dieu accomplira votre désir, vous trouverez votre consolation en elles et en vous-même; car lorsque les autres acquièrent une vertu, ce doit être toujours pour vous, une joie, une consolation. Faites donc ainsi pour l'amour de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine, Lettres 217