Catherine, Lettres 45

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Lettre n. 274, A FRANCOIS

CCLXXIV (266).- A FRANCOIS, fils de messire Vanni Malavolti, de Sienne.- Elle l'exhorte à revenir à Dieu avec confiance, et elle le reprend de sa vie coupable.

(Carissimo e sopra carissimo figliuolo. François Malvolti appartenait à une des familles puissantes de Sienne. Sainte Catherine l'avait converti, mais il retombait sans cesse dans ses premières fautes; elle lui prédit que Dieu serait enfin vainqueur. Après la mort de sainte Catherine, il fut ramené à la vertu par le B. Etienne Maconi, qui venait de se faire chartreux. Il entra chez les Olivétains, où il vécut saintement jusqu'à sa mort, arrivée en 1410.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Cher et très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus (1), moi, Catherine, la servante et l'esclave des [1396] serviteurs de Jésus-Christ, je t'écrie dans son précieux sang, avec le désir de te ramener au bercail avec tes autres compagnons. Il me semble que le démon t'a tellement enchaîné, qu'il ne te laisse pas revenir; et moi, ta pauvre mère, je vais te cherchant et te demandant, car je voudrais te porter sur les épaules (Lc 15,5) de la douleur et de la compassion que j'ai pour ton âme. Ouvre donc, très cher Fils, l'oeil de ton intelligence; sors des ténèbres et reconnais ta faute, non pour te désespérer, mais pour te connaître et pour espérer dans la bonté de Dieu. Les richesses de la grâce que ton Père céleste t'avait données, tu les as perdues misérablement. Fais donc comme l'enfant prodigue, qui avait dépensé sa fortune en vivant mal. Lorsqu'il se vit tombé dans la misère, il reconnut sa faute et implora la miséricorde de son père (Lc 15,11-21). Fais de même, car tu es pauvre et dans le besoin; ton âme meurt de faim. Recours donc à la miséricorde du Père; il te secourra, et ne méprisera pas ton désir fondé sur le regret du péché commis: il t'accueillera même avec amour.

2. Hélas! hélas! où sont tes bons désirs? Que je suis à plaindre! je vois que le démon a ravi ton âme et ses saints désirs. Le monde et ses serviteurs les ont pris et enchaînés par leurs plaisirs et leurs affections déréglées. Hâte-toi donc de prendre le remède et de ne plus dormir; console mon âme, et ne sois plus assez ennemi de ton salut pour me refuser de venir. Ne te laisse pas tromper par le démon, par la crainte et la honte; romps cette chaîne; viens, viens, très cher Fils. Je puis bien t'appeler cher, tu me coûtes tant de larmes, de pleurs et d'angoisses. Oui, viens, retourne [1397] au bercail. Mon excuse devant Dieu est que je ne puis faire davantage. Que tu viennes ou que tu restes, je ne te demande autre chose que de faire la volonté de Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.





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Lettre n. 275, A AGNOLINO

CCLXXV (267).- A AGNOLINO, fils de Jean Agnolino de Salimbeni, de Sienne.- Il faut combattre avec courage, contre la chair, le monde et le démon.

(Agnolino de Salimbeni était un des nobles les plus puissants de Sienne; dans un différend que sa famille eut avec la république, il alla, en 1375, soumettre sa cause aux magistrats de Florence, qui avaient été pris pour arbitres. Il servit ensuite sa patrie autant par ses conseils que par sa valeur.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre généreusement, et ne pas craindre les coups comme un chevalier sans coeur. Mon doux Fils, nous sommes sur un champ de bataille, et il nous faut toujours combattre, en tout temps et en tous lieux. Nous avons des ennemis qui assiègent la cité de notre âme ce sont la chair avec ses jouissances déréglées, le monde avec ses honneurs [1398] et ses plaisirs, le démon avec sa malice. Pour empêcher les saints désirs de l'âme, il l'entoure de pièges, ou par lui-même ou par le moyen des créatures, en mettant sur la langue de ses serviteurs, des paroles trompeuses, des louanges, des menaces, des murmures ou des injures; et il agit ainsi pour troubler l'âme et la dégoûter de ses bonnes et saintes oeuvres.

2. Mais nous, comme de généreux chevaliers, nous devons défendre et garder la cité; nous devons fermer la porte aux sentiments déréglés, et y mettre pour garde le chien de la conscience, afin que, quand l'ennemi passe, il aboie, pour que l'intelligence veille et regarde si c'est un ami ou un ennemi, un vice ou une vertu qui se présente. A .ce chien, il faut lui donner à boire et à manger; il faut lui donner le sang pour boisson, et le feu pour nourriture, afin qu'il secoue le froid de la négligence et qu'il soit vigilant.

3. Oui, je te le dis, mon fils Agnolino, nourris le chien de la conscience avec le feu d'une très ardente charité et avec le sang de l'Agneau sans tache, répandu sur la Croix, de toutes les parties de son corps, pour que nous puissions lui donner à boire; et en le faisant, il sera plein de vigueur, et vous combattrez bien. Prenez le glaive de la haine et de l'amour, c'est-à-dire la haine et l'horreur du vice, et l'amour de la vertu; et la chair, l'ennemi le plus mauvais et le plus perfide que nous puissions avoir, sera tuée en la frappant de ce glaive. La conscience fera voir à l'oeil de l'intelligence combien est dangereux le plaisir de la chair qui se présente à l'âme, et pour le tuer elle regardera la chair flagellée de Jésus crucifié, et elle [1399] aura honte de s'attacher aux jouissances déréglées et aux délices du corps. Le démon, avec ses ruses et les pièges qu'il tend pour faire périr les âmes, sera vaincu par la vertu de la véritable humilité. Que le chien de la conscience aboie donc pour tenir l'intelligence éveillée et, lui faire voir combien il est dangereux d'écouter les tentations et d'espérer en soi-même. Que l'homme reconnaisse son néant, afin de ne pas tomber dans l'orgueil c'est l'humilité qui brise tous les filets du démon. L'homme ne devrait pas avoir honte de s'humilier en s'oyant son néant, en voyant qu'il tient l'être de Dieu et non de lui-même, et que Dieu s'est humilié jusqu'à lui. Par un acte d'humilité profonde, il est descendu des hauteurs infinies de sa divinité jusqu'à la bassesse de notre chair.

4. Ce doux et tendre Agneau, le Verbe incarné, est notre force, car c'est de lui que vient tout secours. Il a voulu être notre chef, et avec sa main désarmée, percée et clouée sur la Croix, il a défait tous nos ennemis. Son sang est resté sur le champ de bataille pour nous animer à combattre en bons chevaliers, généreusement et sans crainte. Le démon est devenu impuissant par le sang de l'Agneau; il ne peut faire que ce que Dieu permet, et Dieu ne permet jamais que le fardeau soit au-dessus de nos forces. La chair aussi a été vaincue par la flagellation et les tourments du Christ, et le monde par les opprobres, les mépris, les injures et les outrages qu'il a reçus. La richesse a été vaincue par la pauvreté volontaire de Jésus crucifié. La richesse suprême est devenue si pauvre, qu'elle n'avait pas où reposer sa tête sur le bois de la [1400] très sainte Croix. Oui, mon Fils, quand l'ennemi voudra entrer dans ton âme par l'amour des honneurs et des biens du monde, fais en sorte que le chien de la conscience éveille l'intelligence, et qu'elle voie qu'il n'y a ni durée ni stabilité dans les honneurs et les biens du monde, de quelque côté qu'ils viennent. Vous le savez bien, vous l'avez vu et vous l'avez éprouvé. Et puis je veux que vous compreniez qu'en se donnant d'une manière déréglée à ces choses passagères, on n'arrive pas à la gloire, mais à la honte; car l'homme devient l'esclave de ce qui est moins que lui; il sert les choses finies, et Il est infini; car l'homme ne finit jamais quant à l'être, quoiqu'il finisse à la grâce par le péché mortel. Si nous voulons trouver l'honneur, le repos et le contentement, il faut servir et aimer ce qui est plus grand que nous.

5. Dieu est notre Rédempteur, notre Seigneur, notre Père, la souveraine, l'éternelle Bonté, digne d'être aimé et servi par tous; c'est une obligation pour nous, si nous voulons participer à la grâce divine. Il est la puissance suprême et le bonheur; c'est lui qui rassasie l'âme et soutient toute faiblesse; c'est en lui qu'on trouve la paix, le repos, la sûreté, le rassasiement que rien ne peut donner, parce que toutes les créatures sont moins que l'homme. Ainsi donc, le mépris du monde est un honneur, une richesse; mais les fous, les insensés ne le reconnaissent pas, et pensent tout le contraire. Pour vous, comme de généreux combattants, élevez-vous au-dessus des affections sensuelles, et connaissez la vérité. Ne croyez pas les hommes méchants et pervers; le démon se sert de leur bouche pour nuire à votre [1401] vie et à votre salut, pour vous exciter à la colère et vous révolter contre la volonté de Dieu. N'écoutez pas ces conseillers du démon, mais écoutez et répondez à l'Esprit-Saint, qui vous appelle. Montrez que vous n'hésitez pas, et répondez-leur généreusement; dites-leur que vous ne voulez pas résister à Dieu, que vous ne pouvez pas.

6. Je sais ce qui a été dit, et la Comtesse sera bien tourmentée par les uns et les autres, parce qu'elle veut être la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ (La comtesse Bandoccia de Salimbeni, soeur d'Agnolino, voulait se faire religieuse. (Voir la lettre CCCXXX). Les méchants, pour vous arrêter, elle et vous, voudront vous inspirer des craintes et des regrets; ils vous présenteront comme une honte et une bassesse le plus grand honneur que vous puissiez avoir, non seulement maintenant mais pour toujours. Devant Dieu et devant les hommes, votre gloire surpassera celle de tous vos ancêtres. Que nous serions fous et insensés si nous mettions notre amour et notre espérance dans un feu de paille? Une grande flamme parut la première fois que vous vous êtes marié, mais elle disparut bientôt, et il ne resta que la fumée de la douleur. Le feu parut ensuite vouloir se rallumer, mais il s'est éteint, le vent de la mort l'a dissipé. Il serait donc bien plus simple, pour elle et pour vous, de répondre à l'appel du Saint-Esprit. Vous voyez que le monde la repousse et la renvoie à Jésus crucifié. J'espère bien de la Bonté divine que vous n'oublierez jamais la volonté de Dieu, et que vous ne vous laisserez pas entraîner par les jugements [1402] du monde. Fermez, fermez la bouche à vos vassaux, et empêchez leurs murmures, en vous montrant ferme. Je ne doute pas que vous ne le fassiez, si le chien de la conscience ne dort pas, et si l'oeil de l'intelligence reste ouvert; car autrement vous ne seriez pas un généreux chevalier, et vous montreriez une grande lâcheté. Tout mon désir est de vous voir courageux; et je vous ai dit que je désirais vous voir. bien combattre sur le champ de bataille, surtout dans ce combat nouveau que vous avez à soutenir maintenant au sujet de la Comtesse. Le démon voit qu'il la perd, c'est pour cela qu'il vous tourmente tant par les créatures. Mais courage, méprisez tous les jugements du monde, et que Jésus crucifié vive en vous. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 276, A MATTHIEU DE THONUCIO

CCLXXVI (568). - A MATTHIEU DE THONUCIO, d'Orviete. - Nous devons bâtir solidement sur la Pierre vive, qui est le Christ.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une pierre ferme et non pas une feuille qui vole à tous les vents [1403]. Car l'âme qui n'est pas fondée sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus, en plaçant son amour et ses désirs en Dieu, et non pas dans les choses passagères du monde qui disparaissent comme le vent, cette âme se meurt, parce qu'elle est privée de la grâce divine; et c'est cette grâce qui conserve l'âme, et lui donne la vie et la lumière parfaite, en éloignant d'elle les ténèbres, et en l'affermissant dans la vraie patience et la sainte crainte de Dieu, par l'humilité par. faite. et la charité fraternelle à l'égard du prochain. Elle ne s'abandonne pas par l'impatience au vent de la tribulation, et elle ne se laisse pas agiter par le vent de la consolation en jouissant d'une manière déréglée; elle ne s'enfle pas d'orgueil au vent de la richesse et à la fumée des honneurs du monde.

2. Il en est ainsi parce qu'elle est ferme, et que son fondement est Jésus crucifié. Aussi lorsque soufflent les trois vents dangereux d'où vient tout le mal, elle ne s'en inquiète pas. Le démon souffle de sa bouche le vent des pensées tumultueuses et des combats. Tantôt ce sont les combats de la vanité qui rend le coeur inconstant et léger, et cette vanité augmente l'ambition et le désir des honneurs du monde; tantôt ce sont des apparences de vertu, et ce vent est le plus dangereux et le plus difficile à connaître; il n'y a que l'humble qui le connaît, et ne se laisse pas tromper. C'est par l'apparence de la vertu que le démon cherche à séduire l'âme ignorante qui n'est pas humble, et qui ne se connaît pas elle-même. Supposons qu'elle commence à désirer Dieu et à donner quelques signes de vertu, mais parce qu'elle est encore imparfaite, et qu'elle ne se connaît pas assez [1404], elle examine les actions du prochain temporellement et spirituellement, c'est-à-dire dans les choses temporelles et spirituelles. Alors le démon lui souffle le vent des faux jugements; elle juge son prochain, les serviteurs de Dieu et ceux du monde injustement, et elle ne s'en aperçoit pas. Elle veut ainsi ôter à Dieu sa puissance de juge, car lui seul doit juger.

3. Pourquoi ne s'en aperçoit-elle pas? Parce que le démon a caché son jugement sous le manteau de la vertu. Elle croit bien faire, et il lui semble quelquefois être agréable à Dieu; mais elle s'abuse à cause de l'orgueil qui est en elle. Si elle était véritablement humble et si elle se connaissait mieux elle-même, elle aurait honte de tomber dans de pareils jugements, parce qu'elle verrait qu'elle veut donner des lois à Dieu, quand elle se scandalise de ses serviteurs, et qu'elle veut conduire les créatures à sa manière, et non comme Dieu les appelle. Celui nu contraire qui sera fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, résistera à ces mouvements et n'y consentira pas; mais il s'appliquera avec une humilité sincère à se réjouir et à rendre grâces à Dieu des actions et de la conduite de ses serviteurs. Il aura compassion des imparfaits, et il priera la Bonté divine de jeter un regard de miséricorde sur eux pour les retirer du péché et les conduire à la vertu. Il tire ainsi de l'épine la rose, et il a toujours l'esprit libre; il ne s'égare pas, et ne remplit pas sa mémoire de fantaisies spirituelles et temporelles, comme le font les fous, les insensés, les présomptueux, qui ne se connaissent pas eux-mêmes et qui veulent juger les actions des autres, sous prétexte de bien; ils se laissent aller à ce [1405] vent coupable, qui est si dangereux. O bouche maudite! comme tu as empoisonné le monde, et corrompu ceux qui sont dans le siècle et ceux qui sont hors du siècle. Celui qui juge intérieurement répand ensuite l'infection du murmure; il est dans le trouble, et son esprit est vide de Dieu et du prochain. Il faut donc éviter ce vent avec une vraie et sainte sollicitude.

4. L'autre vent dangereux est le monde, qui nous tente par l'amour déréglé de nous-mêmes, et nous offre ses plaisirs et ses consolations, cachant aux yeux de l'intelligence ses ténèbres, sa misère, son peu de durée, sous l'apparence de la beauté et de la joie. Il trompe en promettant une vie longue, tandis qu'elle est courte, et en faisant croire que tous ses plaisirs, ses jouissances, ses richesses sont durables, tandis qu'ils changent à chaque instant. Tout nous est prêté pour notre usage, pour nos besoins; mais il faut que ces choses quittent l'homme, ou que l'homme les quitte. Elles nous quittent quand nous les perdons, et qu'elles nous sont enlevées par quelqu'un ou par quelque accident; elles s'usent, et disparaissent. Nous les quittons aussi lorsque la Vérité suprême nous appelle en séparant l'âme et le corps. Avec le corps on abandonne le. monde et ses délices; et dans cette séparation, personne ne peut conserver ses richesses et ses honneurs. L'âme est bien faible et bien aveugle, si elle n'écarte pas de l'oeil de son intelligence la poussière du monde, si elle en fait au contraire l'objet de ses désirs. Elle vole alors comme la feuille de l'arbre au gré du vent, de l'amour déréglé de soi-même et du monde; et de cette bouche maudite sort l'envie [1406] contre le prochain et l'estime de soi-même; elle murmure, et bien souvent elle tombe dans la haine et la vengeance. Souvent aussi elle s'approprie les biens des autres. Pour le faire, elle emploiera les serments, les parjures, les faux témoignages; et le mal deviendra si grand, qu'elle désirera la mort de son prochain. Ceux qu'elle doit aimer comme elle-même, elle les déchire et les ruine. Elle n'a aucune force; et la bonne oeuvre qu'elle entreprend, elle la conduit rarement à fin. Celui qui agit de la sorte bâtit sur le sable, où tout ce qu'on élève est bientôt renversé. Il est privé de la vie de la grâce, et il a perdu la lumière de la raison; il vit comme la brute, et non comme une créature raisonnable.

5. Il est donc absolument nécessaire de bâtir sur la Pierre vive. Ceux qui ont ainsi fixé là le regard de leur intelligence et les saints désirs de leur coeur ne peuvent être renversés, et ne se laissent pas ébranler par ce vent mauvais. Ils résistent, et se défendent en méprisant le monde, ses vanités, ses jouissances; ils abattent l'orgueil par une humilité profonde et par l'amour de la pauvreté volontaire. Celui qui possède la richesse et les grandeurs les conserve, mais il ne les possède pas avec un amour déréglé, en dehors de la volonté de Dieu; il les garde avec une tendre et sainte crainte, se considérant comme l'économe du Christ. Il secourt les pauvres, nourrit les serviteurs de Dieu, et les vénère en pensant qu'ils offrent sans cesse en la présence de Dieu des prières, d'ardents désirs, des sueurs, des larmes pour le salut de toute créature. Ceux-là sont heureux en tout temps et en toute position, parce qu'ils sont exempts des chagrins [1407] que cause la volonté déréglée, qui a pour fondement l'amour-propre. Puisqu'il est si avantageux de prendre pour fondement la Pierre vive, hâtons-nous de profiter du temps, car nous ne sommes pas sûrs de l'avoir.

6. Le troisième vent est la chair, qui répand une infection telle, que non seulement elle déplaît à Dieu, mais qu'elle répugne au démon même; elle abrutit l'homme, et le rend semblable à l'animal. Il fait comme le pourceau, qui se roule dans la fange; il se roule dans la fange de l'impureté, et s'avilit dans quelque état qu'il se trouve. S'il est lié à l'état du mariage, il le corrompt par un amour déréglé; il devrait user de ce sacrement avec la Crainte de Dieu, et il le souille par ses désordres et ses excès. Le malheureux ne considère pas à quelle dignité a été élevée notre humanité par l'union que Dieu a contractée avec notre misérable chair; s'il ouvrait l'oeil de l'intelligence pour la regarder, il aimerait mieux mourir que. de s'abandonner à une telle misère. Et savez-vous quelle corruption répand cette bouche, qui empoisonne tous ceux qui l'approchent? Le coeur devient soupçonneux, la langue murmure et blasphème. Il juge les autres d'après lui-même, comme le malade dont l'estomac dérangé trouve mauvais tous les aliments, surtout ceux que le médecin lui a ordonnés; et lorsqu'il les voit prendre par ceux qui se portent bien, il le souffre avec peine, et ne comprend pas qu'ils n'y trouvent pas le même goût que lui-même.

7. Les insensés qui s'abandonnent aux jouissances de la chair ont le goût si dépravé, qu'ils ne se scandalisent [1408] pas de ceux qui vivent dans les mêmes défauts, mais de ceux qui sont sains, et de leur propre nourriture, c'est-à-dire de la femme que Dieu leur a donnée pour condescendre à leur faiblesse. Cette nourriture leur fait mal, parce qu'ils sont soupçonneux et jaloux, jugeant mauvaise une chose bonne, et ayant de la haine et du mépris où ils devraient avoir de l'amour. Celui-là voit mal, parce que son oeil est malade; s'il était sain, il n'en serait pas ainsi. Que de malheurs et de ruines cause ce vent maudit! Lorsqu'il a péché par la langue et mal jugé sa femme, il tombe dans une autre faute. Si, par l'inspiration divine, il a conçu d'embrasser un état plus parfait, le ver rongeur du soupçon qui est entré en lui détruit le parfum de la vertu, et il retourne à ses premières faiblesses. Ce qui lui plaisait d'abord lui déplaît; il n'est ni constant ni persévérant dans la vertu; il tourne la tête en arrière, et il ne s'examine pas lui-même pour connaître ses défauts et ses infirmités. Et tout cela lui arrive parce qu'il n'a pas pris pour fondement la Pierre vive, et qu'il est assailli et attaqué par le vent contraire.

8. Il ne faut donc pas qu'il s'appuie sur cette chair corrompue, mais bien sur la Pierre vive, qui est le Christ. Alors le vent aura beau s'élever, il ne pourra lui nuire; mais il lui résistera par la vertu de continence et de la pureté, en réglant sa volonté déréglée selon les 1.ois de la raison et de la sainte crainte de Dieu. Il se dira à lui-même: " N'as-tu pas honte, mon âme, de vouloir souiller ton visage et corrompre ton corps par la débauche? N'es-tu pas faite à l'image et ressemblance de Dieu? Et toi, chair, n'es-tu pas [1409] ennoblie par l'union de la nature divine faite en toi avec la nature humaine, qui est élevée au-dessus du choeur des anges? "Alors il sentira le parfum de la pureté et le désir de se corriger au moyen des veilles et des prières, par la haine et le mépris de ce vice; il se servira des instruments de pénitence pour châtier son corps lorsqu'il voudra se révolter contre l'esprit, mais il emploiera surtout les veilles, les humbles prières et la parfaite connaissance de lui-même. Qu'il ne s'arrête jamais à discuter les pensées qui l'agitent et les mouvements qui peuvent le troubler; mais qu'il recoure sur-le-champ aux remèdes qui peuvent les chasser, et qu'il les emploie comme l'eau, pour éteindre le feu de la sensualité. Qu'il ne craigne rien; mais qu'il prenne généreusement l'étendard de la très sainte Croix, et qu'il s'appuie sur elle. Ceux qui s'avancent ainsi prennent pour fondement la Pierre vive, et persévèrent jusqu'à la mort, parce qu'ils voient bien que ce n'est pas en commençant, mais en persévérant qu'on obtient la couronne.

9. Je veux donc, très cher Frère et Fils, que vous ne soyez plus inconstant, et que vous commenciez à rentrer en vous-même; car il me semble, d'après ce que me montre la Bonté divine, qu'il y a déjà longtemps que vous en êtes sorti. Et cela, parce que, dès le principe, vous n'avez pas véritablement plis pour fondement la Pierre vive. Ce qui empêche les serviteurs de Dieu de persévérer, c'est qu'ils n'ont pas de fondements solides; ils sont faibles, et lorsque viennent les vents impétueux du démon, du monde et de la chair, ils succombent, parce qu'ils sont sans force et sans vertu. J'ai cherché les moyens qu'il [1410] faut prendre pour vous relever et vous affermir davantage dans une humilité plus profonde et dans le mépris de vous-même, et je vous ai dit que je désirais vous voir une pierre inébranlable fondée sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus, et non pas sur le sable. J'espère de la bonté infinie de Dieu que, si vous voulez vous humilier et vous connaître, vous accomplirez sa volonté et mon désir; vous acquerrez la vie de la grâce, vous serez délivré des ténèbres, et vous aurez la parfaite lumière. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 277, A LEONARD FRESCOBALDI

CCLXXVII (269). - A LEONARD FRESCOBALDI, de Florence.- Des vertus et de la paix de ceux qui suivent la volonté de Dieu.

(Léonard Frescobaldi fut un des hommes les plus remarquables de Sienne. Sainte Catherine l'aimait à cause de se grande piété. Il fit, en 1389, le pèlerinage de la terre sainte.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et plongé dans le sang de Jésus crucifié, afin que là se consume tout défaut, et surtout la volonté propre, qui est la cause et [1411] l'instrument de la mort de l'âme. Quand notre volonté est ainsi toute consumée dans ce sang, l'âme possède la vie, parce qu'elle est revêtue de la souveraine et éternelle volonté.

2. O très douce volonté, qui donnes la vie et éloignes la mort, qui donnes la lumière et qui dissipes les ténèbres, tu détruis toutes les afflictions de l'âme et tu l'engraisses du parfum des vertus; tu la revêts du vêtement nuptial, du feu de la divine charité, et tu lui fais prendre à la table de la Croix la nourriture de l'honneur de Dieu et du salut des âmes; tu lui donnes le très doux baume de la paix, du repos de l'âme et du corps, de sorte qu'elle navigue tranquille au milieu des tempêtes de la mort. Ce sont là les trésors et les présents que Dieu donne à l'âme, quand elle est revêtue de l'éternelle volonté et qu'elle s'est dépouillée de la volonté propre; car la volonté propre cause toujours et enfante les tempêtes et les chagrins. Il s'ensuit que celui qui noie sa volonté dans le Sang, demeure dans une paix parfaite. Il n'y a pas d'autre moyen de goûter en cette vie, les arrhes de la vie éternelle et de l'avoir ensuite pour récompense. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié. Je ne vous dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1412].






216

Lettre n. 278, A NIGI

CCLXXVIII (270).- A NIGI, fils de Docci Arzocchi.- Des exemples et des enseignements de Jésus-Christ. - De la charité envers le prochain.

(Nigi est le diminutif de Dionigi. Ce disciple de sainte Catherine était parent de Bérenger Arzocchi, auquel est adressée la lettre XC.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus moi, Catherine, la servante et l'eslave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre les traces de Jésus crucifié, car nous n'avons pas d'autre moyen d'en recevoir la vie. Et quelle est cette vie? La voici les mépris, les opprobres, les injures, les mauvais traitements, et il faut les supporter avec une parfaite patience jusqu'à la mort, sans jamais tourner la tête en arrière à cause des injustices du monde; il ne faut jamais ralentir le pas, mais, au contraire, rendre toujours le bien à ceux qui nous font le mal. C'est la voie que nous enseigne et nous trace le doux et tendre Agneau. Il a dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie" (Jn 14,6), et il donne véritablement la vie à ceux qui marchent dans cette voie. Il nous donne la doctrine qui nous fait goûter en cette vie, les arrhes de la vie éternelle, en nous communiquant la vie de la grâce. Ce doux Maître est monté à la tribune de la Croix [1413] afin de nous enseigner sa doctrine, fondée sur la vérité.

2. Nous sommes ses disciples, nous devons nous abaisser pour l'apprendre, nous devons être humbles, car on ne saurait l'apprendre avec l'orgueil. L'orgueil épaissit l'intelligence de l'homme et la rend incapable de connaître Dieu; mais il n'en est pas ainsi de l'humble: l'oeil de son intelligence est pur, il en a ôté la poussière de l'amour-propre et de la sensualité, et il l'a fixé dans la vraie connaissance de lui-même. C'est dans cette connaissance qu'il voit mieux et qu'il connaît plus parfaitement l'éternelle bonté de Dieu; et en la connaissant mieux, il l'aime davantage; en l'aimant davantage, il acquiert plus parfaitement l'humilité, la patience. L'humilité est la gouvernante, la nourrice de la charité. Vous voyez bien, très cher Fils, qu'il faut s'asseoir humblement, comme de vrais disciples, et de cette manière, nous apprendrons la doctrine, et nous courrons, en mourant à toute volonté, dans la voie de la douce vérité. Nous nous plairons sur la Croix, avec d'ardents et saints désirs, cherchant l'honneur de Dieu et le salut des âmes.

3. Il est temps, très cher Fils, de secouer le sommeil de la négligence et de l'ingratitude, et de montrer notre reconnaissance par notre zèle, en recherchant, en servant et en aimant notre prochain. Car nous ne pouvons témoigner notre reconnaissance à Dieu en lui étant utiles, mais nous pouvons le faire en servant le prochain. Mon Fils bien aimé, Dieu nous a-t-il jamais plus demandé que maintenant, le zèle de son honneur et du salut des âmes [1414]?

4. Dieu nous le. demande en tout temps, parce que sans la charité du prochain nous ne pouvons avoir la vie éternelle; mais combien cela est-il plus nécessaire et plus exigé, maintenant que nous voyons parmi les chrétiens, des besoins plus grands qu'ils n'ont jamais été? Pouvons-nous cesser d'offrir continuellement des larmes et d'humbles prières? C'est à cela qu'on verra si nous sommes les vrais serviteurs de Dieu, si nous suivons la voie de la vérité et si nous savons bien sa doctrine. Hélas! ce n'est plus le temps de se rechercher soi-même; mais il faut chercher Jésus crucifié, et ne jamais cesser de pleurer sur les malheureuses âmes qui tombent entre les mains du démon, jusqu'à ce que Dieu jette un regard de miséricorde sur nous et apaise sa colère contre nos fautes. Hélas! le monde périt au milieu de tous les crimes qui se commettent par ses révoltes et ses persécutions contre la sainte Eglise! Et moi, misérable cause de tout mal, je vous demande par l'amour de Jésus crucifié, que vous et mes autres fils vous employiez les gémissements, les larmes, les humbles et saintes prières pour demander au doux et tendre Agneau sans tache de nous rendre dignes de sa miséricorde et de nous accorder la réforme de son Epouse, et aussi la lumière, l'intelligence, l'obéissance, le respect envers la sainte Eglise. Que les chrétiens vivent dans la paix et l'union, comme les vrais enfants d'un même père, et que nous ne soyons plus comme les membres du démon. Hélas! comment le coeur n'éclate-t-il pas d'amour pour Jésus crucifié? Oui, voici le moment; honorez Dieu et servez le prochain: je verrai par là si vous êtes ou non de vrais enfants. Je vous assure [1415] que si nous ne le faisons pas, la Vérité suprême nous en demandera un compte sévère.

5. Dieu veut que nous le priions avec ferveur. Il l'a dit à un de ses serviteurs: "C'est par le moyen des prières continuelles et des ardents désirs de mes serviteurs que je ferai miséricorde au monde. " Ne soyez donc pas avare, mais généreux; donnez les trésors de la charité: c'est d'elle que toutes les vertus tirent leur vie, c'est par elle que toute bonne oeuvre porte des fruits de grâce. De cette manière vous deviendrez bon et parfait, vous ne serez plus ignorant, négligent et ingrat; vous vous assoirez humblement par terre, et vous suivrez les enseignements de Jésus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recommandez-nous à tous mes fils et à toutes mes filles; dites-leur que c'est le moment de gémir et de prier pour la douce Epouse du Christ, et pour tout le peuple chrétien, qui est plongé dans de si grandes afflictions à cause de nos péchés. Encouragez dans le Christ, le doux Jésus, Thomas Corradino, et dites-lui qu'il ait toujours Dieu devant les yeux, afin qu'il agisse toujours avec la sainte crainte de Dieu; qu'il supporte avec une vraie patience ce que Dieu permet. qu'il méprise le monde, et qu'il embrasse les persécutions avec un saint désir jusqu'à la mort. Doux Jésus, Jésus amour [1416].






Catherine, Lettres 45