Jérôme Fragments divers


OEUVRES DE SAINT JÉROME



Publiées par M. BENOIT MATOUGUES,

sous la Direction

DE M. L. AIMÉ-MARTIN.

PARIS AUGUSTE DESREZ,IMPRIMEUR-EDITEUR

Rue Neuve-Des-Petits-Champs, n°50.

MDCCCXXXVIII

Abbaye Saint Benoît de Port-Valais

CH-1897 Le Bouveret (VS)


Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/




FRAGMENTS DIVERS


SÉRIE VII. FRAGMENTS DIVERS.
AU PAPE DAMASE, SUR LA RÉVISION DU TEXTE DES QUATRE ÉVANGILES.
FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE DE SAINT PAUL A TITE (1).
A PAULA ET A EUSTOCHIA, SUR LA LETTRE DE PAUL AUX ÉPHÉSIENS.
A PAULA ET A EUSTOCHIA, SUR LE COMMENTAIRE DE L'ÉPÎTRE, DE SAINT PAUL AUX GALATES.
A PAULA ET A EUSTOCHIA, SUR LE COMMENTAIRE DE L'EPÎTRE DE SAINT PAUL AUX GALATES.
SUR LE COMMENTAIRE DE L'ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX GALATES.
FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR LE PROPHÉTE HABACUC.
A CHROMATIUS, ÉVÊQUE D'AQUILÉE. DU COMMENTAIRE SUR JONAS.
SUR LA RÈGLE DE SAINT PACOME, LÉGISLATEUR DES MOINES D'ÉGYPTE.
FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR LE PROPHÈTE JOËL.
AUTRE FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR LE PROPHÈTE JOËL.
FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR LE PROPHÈTE ÉZÉCHIEL.
AUTRE FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR LE PROPHÈTE EZÉCHIEL.
AUTRE FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR LE FROPHÉTE ÉZÉCHIEL.
AUTRE FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR LE PROPHÈTE ÉZÉCHIEL.
FRAGMENT DE LA LETTRE A LA VIERGE DÉMÉTRIADE SUR LA VIRGINITÉ.




AU PAPE DAMASE, SUR LA RÉVISION DU TEXTE DES QUATRE ÉVANGILES.



Difficultés et dangers de ce travail. — Saint Jérôme répond d'avance aux objections. — Il donne les raisons de la différence qui existe entre les quatre évangélistes.

En 584.

Vous voulez qu'avec les matériaux d'un ancien ouvrage j'en refasse un nouveau; que je me pose comble arbitre dans l'examen des textes de l'Écriture répandus dans le monde; vous voulez, en un mot, que j'explique les variantes qu'on y trouve, et que je signale ses passages concordants avec la version grecque la plus authentique. C'est une pieuse entreprise, niais une présomption dangereuse que de s'établir juge des autres, quand soi-même on doit avoir pour juge l'opinion générale; que de prétendre changer la langue des vieillards, ramener le monde, déjà vieux, au bégaiement de l'enfance. En effet, quel est l'homme de nos jours, savant ou non savant, qui, se décidant à prendre en main notre ouvrage , et voyant discréditer le texte dont il se sert habituellement et dans lequel il a appris à lire, ne se récrie aussitôt, et ne me traite de faussaire, de sacrilège, dont l'audace impie n'a point reculé devant des additions, des changements et des corrections à des textes consacrés par le temps? Contre de semblables reproches une double consolation m'est offerte; la première, c'est que cette mission m'a été confiée par vous ; la seconde, c'est que , d'après le témoignage même de ceux qui nous attaquent, il ne pourrait y avoir de vérité complète dans les ouvrages où on ne peut signaler des variantes. En effet, si nos adversaires pensent que les exemplaires latins sont dignes de confiance , qu'ils désignent lesquels; car il existe presque autant d'originaux que d'exemplaires. S'ils pensent, au contraire, que la vérité ne saurait être découverte que par la comparaison des différents textes , pourquoi trouvent - ils mauvais que j'aie la prétention de corriger, tout en remontant aux sources grecques, les parties du texte qui ont été ou mal comprises par des interprètes ignorants, ou tronquées, dans de mauvaises intentions, par des correcteurs inhabiles et présomptueux, ou surchargées d'additions et altérées par de paresseux copistes? Ma polémique ne touche en rien l'Ancien-Testament traduit en grec par les Septante, et qui ne nous est arrivé qu'après trois traductions successives. Je ne veux point chercher en quoi Symmaque et Aquila ont fait preuve de discernement, pourquoi Théodotien a cru devoir prendre un terme moyen entre les nouveaux et les anciens interprètes. Ainsi, tenons pour authentique la version qui a pour elle le témoignage des apôtres.

J'aborde maintenant le Nouveau-Testament qui a été écrit tout entier en grec, à l'exception de l'évangile selon saint Mathieu, qui se servit de la langue hébraïque pour répandre en Judée la parole de Jésus-Christ. Or, comme dans notre idiome cet évangile est rempli d'incontestables variantes résultant de la variété des sources auxquelles on a puisé pour le composer, il nous a semblé convenable de remonter à une seule et même source. Je ne veux point recourir aux versions employées par Lucianus et Hesycllius et que quelques hommes ont prises pour texte de leurs querelles impies. Il ne m'a point convenu de revoir ces versions dans leur ancien idiome, après la traduction des Septante. Si je l'ai fait pour les exemplaires écrits dans notre langue, je dois avouer que je n'en ai retiré aucune utilité; en conséquence, je ne m'engage ici qu'à l'examen des quatre évangiles, dont voici l'ordre nominal : saint Mathieu, saint Marc, (629) saint Luc et saint Jean; je ne prétends me servir que de la collection épurée des anciens textes grecs. D'ailleurs , afin que notre travail ne s'écartât pas trop de la teneur des exemplaires latins, nous n'avons corrigé que les passages qui nous ont paru s'écarter du véritable sens, laissant les autres tels que nous les avons reçus de la rédaction primitive. Quant aux canons qu'Eusèbe, évêque de Césarée, a partagés en dix livres, d'après Ammonius d'Alexandrie, nous nous sommes contentes de les traduire dans notre langue , en nous conformant sans restriction au sens du texte grec. Pour qui voudra connaître les passages curieux renfermés dans les quatre évangiles, soit que ces passages concordent entre eux, soit qu'ils diffèrent en quelques points, soit qu'une dissemblance totale les sépare, il sera nécessaire de recourir à la distinction que nous avons établie entre eux. Quant à certaines erreurs assez notables qu'on pourra signaler dans nos livres , elles résultent d'abord de ce qu'un évangéliste s'étant étendu plus qu'un autre sur un même sujet, les commentateurs se sont, crus dans l'obligation de compléter le récit de l'autre; elles résultent, en second lieu , de ce qu'un évangéliste avant raconté en termes différents un fait identique rapporté par les autres, chaque commentateur prit pour type le premier qui lui tomba sous la main , et se mit à corriger les autres d'après lui.

Il résulte de là que dans notre ouvrage. tout est mêlé; que dans l'évangile selon saint Jean, par exemple, on peut signaler plusieurs passages qu'on trouve aussi dans saint Luc et dans saint Mathieu , de même que dans l'évangile selon saint Mathieu on rencontre souvent des pages qui appartiennent à saint Jean et à saint Marc; qu'en un mot, dans chaque évangile on peut trouver quelques fragments des autres. Ainsi, quand vous entreprendrez la lecture dos canons qui suivent, il vous sera facile, prémuni que vous êtes contre une erreur dont la cause n'existera plus , de reconnaître les passages identiques dans les quatre évangiles, et de restituer à chacun d'eux, dans votre pensée, ce qui lui appartient. . . . . . . . . . . . . . . . .

Je désire, père très saint, que vous vous portiez bien dans le Christ et que vous vous souveniez de moi.


FRAGMENT DU COMMENTAIRE SUR L'ÉPITRE DE SAINT PAUL A TITE (1).


Jugement porté sur les Crétois et emprunté à Epimnénide. — Callimaque les accuse de mensonge parce qu'ils prétendaient posséder dans leur île le tombeau de Jupiter. — Accusations portées contre Paul parce qu'il avait cité un poète profane. — Saint Jérôme le justifie. — Le peuple juif condamné par Isaïe. — Inutilité de ses croyances . — Coquetterie des femmes de Corinthe. — Les Macédoniens sont charitables, mais disposés à l'oisiveté. — Nécessité du travail pour vivre.

En 386.

Voici ce que dit d'eux un prophète de leur nation : " Les Crétois sont toujours menteurs; ce sont des bêtes méchantes, des ventres paresseux. Ce témoignage est véritable, c'est pourquoi reprenez-les avec force, afin qu'ils conservent la pureté de la foi sans s'arrêter à des fables judaïques et à des ordonnances faites par des hommes qui se détournent de la vérité. " A en juger par ces dernières paroles, il semble que cette phrase : " Voici ce que dit d'eux un prophète de leur nation, " n'ait trait à ceux dont il est. parlé plus haut en ces termes : " C'est surtout ceux qui suivent les dogmes de la circoncision qu'il faut réprimer; il faut fermer la bouche à ces hommes qui pervertissent les familles, enseignant pour un gain sordide des doctrines hétérodoxes. " Viendraient ensuite ces mots : " Voici ce que dit d'eux un prophète de leur nation. " Mais comme dans aucun des prophètes juifs on ne rencontre ce vers, il doit, je pense, se rapporter à ceux dont il est dit plus haut : " Je vous ai laissé en Crète, afin que vous terminiez tout ce qui reste à régler. " Viennent ensuite ces mots : " Voici ce que dit d'eux (c'est-à-dire des Crétois) un prophète de leur nation. " Mais comme ces deux passages sont séparés l'un de l'autre par un assez grand nombre de phrases, et que notre explication peut paraître forcée, comme d'ailleurs il peut fort bien arriver que personne ne l'admette pour la faire concorder par une autre interprétation avec un passage plus voisin, il faut lire: " Il en est un grand nombre qui ne veulent pas se soumettre, qui s'occupent à conter des fables et à séduire les esprits simples, surtout ceux qui suivent le dogme de la circoncision. "

(1) Edition des Bénédictins, tome IV, page 419.

C'est ce grand nombre qui ne veut pas se soumettre, qui s'occupe à conter des fables, qu'il faut réprimer, ainsi que ceux qui suivent le dogme de la circoncision, qui pervertissent les familles, et qui, pour un gain sordide, enseignent des doctrines hétérodoxes. " Voici ce que dit d'eux un prophète de leur propre nation. "Ces paroles, "un prophète de leur propre nation, " ne s'appliquent pas spécialement aux Juifs et à ceux surtout qui suivent le dogme de la circoncision, mais au grand nombre de ceux qui ne veulent point se soumettre, qui s'occupent à conter des fables et à séduire les âmes. Cette espèce de prévaricateurs étant commune en Crète, on a pensé que l'apôtre voulait désigner les Crétois. Suivant certaines autorités, ce vers se trouverait dans les Oracles du poète crétois Epiménide; soit que ce fût en plaisantant que l'apôtre, en parlant de ce dernier, l'ait qualifié de prophète, voulant dire que des chrétiens tels que des Crétois méritaient bien de pareils prophètes, prophètes semblables à ceux de Baal, à ceux de la confusion et des offenses, et aux autres faux prophètes dont parle l'Ecriture; soit qu'écrivant sur les Oracles et sur leurs réponses, le poète crétois eût rencontré par hasard une vérité au milieu de tous les mensonges que ces oracles annoncent bien avant le temps assigné à leur réalisation. Enfin, son livre est intitulé livre des Oracles, et, comme le poète paraissait annoncer quelque chose ayant trait à un dieu, il parut curieux à l'Apôtre de feuilleter ce livre afin de connaître les prédictions des Gentils; ce l'ut à cette époque qu'il cita ce vers, dans son épître à Tite qui était en Crète, afin de convaincre les faux docteurs de la Crète par le témoignage d'un docteur de leur propre nation.

Ce n'est point seulement dans cette épître que l'apôtre Paul en usa de la sorte, mais il en fit autant dans un grand nombre d'occasions; expliquant au peuple les Actes des Apôtres dans l'aréopage des Athéniens , entre autres paroles, il prononça celles-ci : " Et comme quelques-uns de vos poètes ont dit : Nous sommes les enfants de Dieu même. " Cet hémistiche se trouve dans les phénomènes d'Aratus. Cicéron, Germanicus, César, et tout récemment Aviénus, ont traduit ce livre en latin, ainsi que beaucoup d'autres qu'il serait trop long de citer. Dans sa lettre aux Corinthiens, peuple façonné au beau langage d'Athènes, et dont le voisinage de cette ville avait épuré le goût. Paul cite un vers iambique, emprunté à la comédie de Ménandre : " Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. " Doit-on s'étonner que, cédant à l'esprit de son siècle, il ait cité souvent les poètes profanes? Ailleurs, et à l'occasion d'un changement qu'il avait cru devoir faire subir à l'inscription d'un autel, voici les paroles qu'il adresse aux Athéniens : " Me promenant au milieu des objets de votre culte, et examinant les statues de vos dieux, j'ai trouvé même un autel où était écrit : "Au Dieu inconnu;" ce Dieu donc que vous adorez sans le connaître, est celui que je vous annonce. " Il faut avouer, en effet, que l'inscription trouvée sur cet autel n'était point conçue dans ces termes : " Au Dieu inconnu, " mais bien dans ceux-ci : " Aux dieux de l'Asie, de l'Europe et de l'Afrique, aux dieux inconnus et étrangers. Mais comme l'admission de plusieurs dieux inconnus n'entrait pas dans les vues de Paul, mais bien l'admission d'un seul, il modifia les termes de l'inscription, afin de pouvoir persuader aux Athéniens que le Dieu signalé sur cet autel n'était autre que le sien, et que, désormais convaincus de cette vérité, ils devaient honorer, à bien plus forte raison, un Dieu connu qu'ils avaient honoré comme inconnu, mais qu'ils ne pouvaient plus méconnaître à l'avenir. Paul n'avait que rarement recours à ce moyen, et c'était moins par ostentation que par un discernement plein de réserve, qu'à l'exemple des abeilles qui composent leur miel et bâtissent leurs cellules du suc de différentes fleurs, il agissait ainsi. Le vers que nous commentons aurait été, selon quelques-uns, emprunté à Callimaque, poète de Cyrène, et à quelques égards ce n'est point une erreur. Ce poète, dans un chant en l'honneur de Jupiter, s'élevant contre les Crétois qui se faisaient gloire de montrer dans leur île le tombeau de ce Dieu, s'exprime en ces termes : " Ils seront toujours d'insignes menteurs ces Crétois qui, par un mensonge sacrilège, ont élevé à Jupiter un tombeau, et prétendent que c'est le sien. " Du reste, comme nous l'avons dit plus haut, le vers, dans son intégrité, a été emprunté par l'Apôtre au poète Epiménide. Quant à Callimaque, il n'employa dans son poème que les premiers mots de ce même vers. Ou bien (631) peut-être est-ce un proverbe usité qui accusait les Crétois de mensonge, et qui aura été mis en vers par Epiménide et par Callimaque, d'où il résulterait que ce dernier n'a rien dérobé à l'autre. Quelques rigoristes blâment l'Apôtre de s'être permis ces citations, et d'avoir, tout en argumentant contre de faux docteurs, sanctionné ce vers qui prouve la mauvaise foi des Crétois par la prétention qu'ils affectent de posséder ce tombeau de Jupiter; car, disent les mêmes rigoristes, si Epiménide ou Callimaque s'appuie sur ce fait pour accuser les Crétois de mensonge, pour les traiter de bêtes méchantes, de ventres paresseux, parce qu'ils ne respectent point les croyances du paganisme, et qu'ils prétendent faussement que Jupiter, qui règne dans le ciel, est enseveli dans leur île, l'accusation de ces poètes étant sanctionnée d'ailleurs par l'adhésion de l'Apôtre, il s'ensuit que Jupiter n'est point mort, et qu'il existe toujours. Ainsi Paul, le destructeur de l'idolâtrie, en même temps qu'il argumente contre les faux docteurs, Paul, avec une maladresse impardonnable, ne met point en doute l'existence des dieux contre lesquels il s'élève. Nous répondrons en peu de mots à ces arguments, par ce que Paul a dit d'après Ménandre : " Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs; " et ailleurs, d'après Aratus : " Car nous sommes les enfants de Dieu même. S'ensuit-il qu'il approuve toute la comédie de Ménandre et le livre entier d'Aratus? mais il se saisit de l'à-propos de cette citation. De même dans l'autre exemple, il ne suit pas de l'approbation donnée à un seul sers que cette approbation doive s'étendre à chacun des écrits de Callimaque et d'Epiménide, dont l'un chante les louanges de Jupiter et dont l'autre traite des oracles. L'Apôtre a voulu reprocher aux Crétois le mensonge comme un vice. qui leur était propre, non point, assurément, à cause des impiétés dont les accuse le poète, mais à cause de leur goût inné pour le mensonge ; et c'est pour cette raison qu'il les confond par une citation empruntée à un de leurs auteurs. Quant à ceux qui pensent que l'emprunt fait à un auteur vous met dans la nécessité de suivre aveuglément cet auteur, ils devraient, pour être conséquents, admettre parmi les saintes Ecritures le livre apocryphe d'Enoch, dont Judes, l'apôtre, a cité un passage dans une de ses lettres, et tous les livres dont l'Apôtre a emprunté des fragments dans son traité sur les choses cachées. Et en argumentant de la même manière, de ce que Paul, chez les Athéniens, avoue qu'il honore le Dieu inconnu dont le nom avait été gravé par eux sur la pierre d'un autel, s'ensuit-il que l'Apôtre dût approuver tout ce que contenait l'inscription? et devait-il faire tout ce que faisaient les Athéniens, parce qu'il se conformait à leurs croyances en ce point, c'est-à-dire en adorant le Dieu inconnu, non toutefois sans restriction !

Loin de moi l'idée de dénigrer les beautés de fonds et l'élégance des auteurs classiques. Il n'est pas, en effet, de sicaire si féroce, de parricide si endurci, d'empoisonneur si impitoyable, qui n'ait fait par hasard dans sa vie quelques bonnes actions. Si donc à la vue d'une bonne action exercée par de tels hommes, il m'arrive d'applaudir, serai-je mis dans la nécessité d'approuver tous les crimes qu'ils auront commis d'ailleurs? Un ennemi qui s'emporte contre nous, et qui nous invective, ne peut-il, au milieu des injures dictées par la colère et par la violence, nous dire quelques bonnes vérités ? Ce n'est donc que dans une certaine mesure qu'il nous est permis, à nous qu'il invective, de le blâmer. Ainsi Callimaque et Epiménide ont été dans l'erreur quand ils ont dit que Jupiter était un dieu, et. quand ils ont fini par affirmer que les Crétois étaient des menteurs, pour telle raison; mais ils ont été dans le vrai quand ils ont dit que le mensonge était un vice inné chez les Crétois-, ainsi, et en raisonnant de la même manière, de ce que les Crétois sont menteurs par nature, il ne s'ensuit nullement qu'ils ne disent pas parfois la vérité. Et puis, quand les Crétois diraient la vérité relativement au tombeau, Jupiter n'en serait pas moins un dieu dans l'esprit des païens; mais quand même les Crétois se tairaient à cet égard, celui qui a été soumis à la mort ne devrait pas davantage recevoir le titre de Dieu.

Enfin pour qu'on sache bien que l'Apôtre n'a rien avancé légèrement et au hasard , comme voudraient le faire croire ses détracteurs, mais que tout ce qu'il a dit a été pesé et mûrement réfléchi, et qu'en faisant des reproches aux Crétois, il a bien eu soin de se prémunir contre toute espèce d'attaque; par les (632) termes mêmes dont il se sert, " ce témoignage est véritable, " dit-il; ce n'est donc point tout le passage d'où ce vers est tiré, ce n'est donc point l'ouvrage entier qu'il sanctionne ; mais seulement ce témoignage, mais seulement le petit vers d'où se déduit la preuve du vice particulier aux Crétois. D'où il suit, que celui qui n'a approuvé qu'un seul passage d'un poème est présumé, par cela même, avoir rejeté le reste. Dans nos commentaires sur la lettre de Paul aux Galates, nous verrons pourquoi les Crétois sont accusés d'être menteurs, les Galates d'être insensés, les Israélites d'avoir la tête dure, chaque province d'avoir son vice distinctif. Ne pouvant rien dire de plus à l'appui de notre opinion, nous nous contenterons des arguments précédents. " C'est pourquoi reprenez-les avec force, dit-il, car ce sont des menteurs, des bêtes méchantes et des ventres paresseux, " c'est-à-dire. ils se plaisent à répandre le mensonge, et, à l'instar des sophistes, ces bêtes méchantes ont soif du sang; et quoique ne travaillant pas en silence, selon les préceptes, ils mangent leur pain; leur dieu, c'est leur ventre; ils placent leur gloire dans leur confusion; reprenez-les donc afin qu'ils conservent la pureté de la foi.

Dans les versets suivants l'Apôtre dit quelque chose de cette pureté de foi : " Que les vieillards soient sobres, prudents, chastes, purs dans la foi, dans la charité et dans la patience; " de même qu'il a dit " la pureté de la foi, " il a dit "la pureté de la doctrine. " "Un temps viendra, " dit-il, " où les saines doctrines recevront un échec. " Il existe aussi des paroles pures , c'est d'elles que parle l'Apôtre dans sa première lettre à Timothée Si quelqu'un enseigne autre chose et ne se rend point aux saines paroles de notre Seigneur Jésus-Christ, et à la doctrine qui est selon la piété, etc., etc. " Il dit encore dans sa seconde lettre : " Guidez-vous sur les saines paroles que vous avez entendues de moi. " Qu'ils atteignent des (Crétois) donc à cette pureté de foi, de doctrines et de paroles, sans s'arrêter à des fables judaïques et aux ordonnances de ceux qui les détournent de la vérité. Faisons pour un instant cette concession aux Juifs; écoutons patiemment les folies de ceux de leurs docteurs qu'ils qualifient de sages, et alors nous comprendrons la futilité de ces fables judaïques qui n'ont pas pour appui l'autorité de l'Écriture, et qui sont dépourvues de raison; nous comprendrons l'erreur d'un peuple qui invente des choses si absurdes, et dont parle ainsi le prophète Isaïe : " Ce peuple m'honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi : il m'honore sans discernement, ne suivant que les doctrines et les commandements des hommes. " Notre Sauveur, dans l'Évangile, confirme ce jugement et accuse aussi les Juifs de s'être soumis, moins à la loi de Dieu qu'aux commandements des hommes ; car Dieu dit: " Honore ton père et ta mère; " et les Juifs ont tronqué ces paroles, en disant : " Quiconque aura dit à son père et à sa mère : Toute faveur vient de moi, celui-là t'aura trahi, et il n'honorera pas comme il convient son père et sa mère. " Celui qui, après l'arrivée du Messie, demeure dans la mauvaise voie, quoiqu'il ne soit pas circoncis, n'en est pas moins censé adhérer aux fables des Juifs et obéir aux commandements des hommes.

Ce n'est point celui qui se montre juif ouvertement qui est le plus dangereux, mais celui qui l'est en secret et qui n'est point circoncis dans la chair, mais dans l'esprit. Celui qui ne fait point la Pâque avec les pains de sincérité et de vérité, pour purger son âme de tout ancien serment de malice et de méchanceté, celui-là professe le mensonge et en suit les ténèbres au lieu de suivre la lumière de la vérité. Celui qui ne s'élève pas avec le Christ, et qui, ne cherchant pas ce qui est en haut, mais ce qui est en bas, dit : " Tu ne toucheras pas, tu ne goûteras pas, tu ne t'attacheras pas aux choses corrompues, " suit, en ce qui le concerne, les préceptes et les doctrines des hommes et ne se conduit pas selon les principes d'une saine justice et selon les bons préceptes. C'est là où est la vérité et la loi spirituelle que sont aussi les saines justifications et les bons préceptes! Celui qui s'y conformera vivra en eux, à savoir " que ce n'est pas pour vous que vous devez être sage; " et dans le passage suivant : " Car, en vertu de la grâce qui m'a été accordée, je dis à tous ceux qui sont parmi vous : Ne prétendez pas être sage plus qu'il ne convient, mais soyez sages avec mesure; " et plus manifestement encore par ces derniers mots : " Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, pleurez avec ceux qui pleurent, partagez vos peines et vos joies mutuelles, ne (633) prétendez point à une trop haute sagesse, mais sympathisez avec les humbles; ne prenez pas envers vous-même des précautions trop minutieuses. " Il reprend les Corinthiens de ce que leurs femmes vont la tête nue, qu'elles parfument leurs cheveux et se rendent en négligé dans les églises; il les reprend eux-mêmes de ce que, enflés d'une sagesse mondaine, ils refusent de croire à la résurrection de la chair. Pour quiconque a vu l'Achaïe, il reste prouvé que tous ces reproches sont encore applicables en partie. Les Macédoniens sont cités pour leur charité, leurs vertus hospitalières et leur empressement à rendre service à leurs frères; aussi leur écrit-il : " Quant à la charité fraternelle vous n'avez pas besoin que je vous en écrive, puisque vous-mêmes avez appris de Dieu à vous aimer les uns les autres; aussi le faites-vous à l'égard de tous nos frères qui sont dans la Macédoine. "

Il leur reproche d'ailleurs de se promener sans rien faire autour de leurs maisons, et d'attendre, pour y prendre part, les repas de leurs voisins, tout en cherchant à se rendre mutuellement service et en courant de tous les côtés. Il leur reproche en outre de rapporter ce qui se passe chez les autres. Le passage suivant en est la preuve : " Cependant nous vous conjurons, mes frères, d'avancer de plus en plus dans cet amour, de vous appliquer à vivre en paix, de vous occuper tous de ce que vous avez à faire, de travailler de vos propres mains, comme nous vous l'avons ordonné, afin de vous conduire avec honneur envers les étrangers, et de ne rien désirer de ce qui appartient aux autres. "

Pour qu'il ne vienne à l'idée de personne que ces représentations lui aient été dictées plutôt par les devoirs de son ministère que par le désir de corriger un vice national, dans une seconde épître voici les reproches et les représentations qu'il leur adresse : " Lorsque nous étions au milieu de vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger ; or, nous avons appris qu'il en est parmi vous qui se promènent continuellement sans rien faire et qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Nous ordonnons à ceux-là, et nous les conjurons par notre Seigneur Jésus-Christ, de manger leur pain en travaillant en silence.


A PAULA ET A EUSTOCHIA, SUR LA LETTRE DE PAUL AUX ÉPHÉSIENS.



Importance de la méditation des saintes Ecritures. — Réponse à des critiques. — Voyage de Jérôme à Alexandrie pour voir Didyme, afin de l'interroger sur certaines difficultés d'interprétation . — Idolâtrie des Ephésiens. — Paul reste trois ans à Éphèse. — Succès de ses prédications. — Sujet de sa lettre. — Commentaires d'Origène , de Didyme et d'Apollinaire sur cette même lettre.

Lettre écrite en 386.

Si quelque chose en cette vie, Paula et Eustochia , si quelque chose peut fixer l'homme sage et lui faire sentir l'importance du calme de l'esprit au milieu des agitations et des misères de ce monde , c'est, à mon avis, la science et la méditation des saintes Ecritures. Ce qui nous distingue , sans contredit, des autres animaux, c'est que nous sommes des animaux raisonnables et que nous avons reçu le don de la parole ; mais la raison souveraine , mais la parole par excellence, sont renfermées dans les livres divins, ces livres qui nous apprennent la science de Dieu. Convaincus du but de notre existence, il est étonnant qu'il se rencontre des hommes qui, se livrant entièrement au sommeil et à la paresse , refusent d'apprendre de si admirables choses; et qu'il s'en rencontre d'autres se croyant en droit de blâmer ceux qui en font l'objet de leurs études. Je pourrais réfuter avec plus de soin ceux qui professent de semblables opinions et les renvoyer en peu de mots ou muets ou convaincus, mais pour augmenter nos richesses, il est infiniment plus important de nous exercer à la lecture des livres des saints, que de se donner la peine de parler. Ce que j'avance là, le juge le plus partial est prêt à me l'accorder; mon repos, comme je l'entends, est pour moi plein de charmes; ma solitude me semble préférable à toute espèce de célébrité. Comme d'ailleurs je ne les blâme point, comme je ne les reprends point d'agir comme ils le font, ils peuvent bien me passer ce qu'ils appellent mes inepties. Je suis fort peu éloquent ; que vous importe! lisez un auteur plus disert. Je ne rends pas bien en latin le sens des phrases grecques! eh bien! donnez-vous la peine d'aborder le texte grec, si vous comprenez cette langue; ou si seule la langue latine vous est connue , abstenez-vous de porter un jugement sur (634) un don qui ne vous coûte rien. Et d'ailleurs, comme dit le proverbe , examinez les dents du cheval dont on vous a fait cadeau. Parce que vous ne traitez pas le même sujet que moi, vais-je vous traîner à la barre d'un tribunal? J'aurai plus d'un lecteur un peu moins docte que moi; pour vous, s'il vous prenait fantaisie d'écrire, vous auriez la prétention de compter sur les éloges d'un Cicéron. Tertullien, en produisant de bons ouvrages, a-t-il empêché d'écrire Cyprien, le bienheureux martyr; Cyprien Lactance, et Lactance Hilaire ? Je passe sous silence bien d'autres mauvais écrivains, aux attaques desquels je m'inquiète fort peu d'être en butte. A moins de traiter des sujets futiles, ils ne pourraient s'élever beaucoup. S'il n'y a point de seconde et de troisième place, il est évident qu'il n'y en pas de première. Nous n'avons pas la prétention de nous élever trop haut, pourvu que nous ne descendions pas trop bas. Je vous supplie donc , vous aussi bien que Marcella la sainte, unique exemple du veuvage le, plus extraordinaire, de mettre une grande circonspection dans la communication que vous pourriez faire de mes écrits aux médisants et aux malintentionnés. Je vous supplie de ne point placer devant les chiens la sainte nourriture, et de ne point semer les perles devant les pourceaux. Dans l'impuissance où ils sent d'imiter ce qui est. fion , ils font la seule chose à laquelle ils soient propres, ils envient et ils se croient très doctes et très érudits quand ils commettent des plagiats. Répondez-leur, je vous en prie , et demandez-leur de leur style ; qu'ils cousent ensemble trois paroles seulement; qu'ils se mettent en frais; qu'ils s'éprouvent eux-mêmes, et qu'ils apprennent par le travail ce que peut coûter une oeuvre. Qu'ils apprennent à devenir indulgents pour les hommes de labeur. Vous savez que c'est à mon corps défendant, et pour me rendre à vos prières, que ces commentaires ont été entrepris. Non point que dès mon adolescence j'aie cessé un seul instant de lire ou d'interroger les hommes de science sur ce qui m'était inconnu; et d'être pour moi-même ce qu'une foule d'écrivains ont été pour eux, mon maître et mon précepteur. Dernièrement encore je me rendis à Alexandrie , dans le but presque unique de voir le savant Didyme, afin d'avoir son avis sur toutes les difficultés d'interprétation que j'avais rencontrées dans l'Ecriture. Mais autre chose est de composer des ouvrages de son propre fonds, autre chose est de joindre aux moyens fourni par les sciences profanes les témoignages recueillis çà et là dans les saintes Ecritures, et dans des traités sur l'efficacité de la grâce, sur l'avarice, sur la foi, sur la virginité, sur les veuves , en un mot sur un sujet quelconque : autre chose encore , de revêtir de la pompe du langage des lieux communs; d'exécuter ces différents travaux , de pénétrer dans le sens intime des prophètes et des apôtres; de comprendre leur mission d'écrivains; de déduire les raisons sur lesquelles sont fondées les maximes; de séparer dans l'ancienne loi ce qui appartient aux coutumes des divers peuples, des Iduméens, des Moabites, des Ammonites, des Syriens, des Philistins, des Egyptiens et des Assyriens; de chercher ensuite dans l'Ancien Testament ce qu'étaient les Romains , les Corinthiens, les Galates, les habitants de Philippes, les Thessaloniciens, les Hébreux, les Colossiens , de chercher, par exemple, ce que signifie l'épître aux Ephésiens, dont nous nous occupons maintenant. En effet, de la diversité des lieux, des temps et des hommes qui présida à la composition de nos saintes Ecritures, il résulte nécessairement que les causes, les arguments et les origines qu'elles renferment doivent être très divers. Et de même que le bienheureux Jean, dans son Apocalypse, écrivant à sept Eglises, les reprend chacune à cause de leurs vices spéciaux , ou les loue chacune à cause de leurs vertus spéciales, de même l'apôtre saint Paul va d'église en église, appliquant son baume aux blessures de chacune , et procédant contrairement à ces médecins maladroits qui prétendent guérir, à l'aide du même remède, les maux de tous leurs malades. Et puisque encouragé par vos prières je suis arrivé à l'épître aux Galates, avant peu de jours je compte vous en entretenir. Pour l'instant, voyons à nous occuper de l'épître aux Ephésiens, et si nous commençons par cette épître, qui tient le milieu dans, la correspondance du saint apôtre, c'est afin de procéder plus méthodiquement selon l'ordre et le sens de la matière ; je dis que; l'épître aux Ephésiens tient le milieu, non que se trouvant à la suite des premières elle soit d'une date antérieure aux dernières ; mais c'est afin que la sachant, au milieu de toutes les autres, (635) comme le coeur chez tout être vivant, vous compreniez par cette analogie combien de questions ardues elle présente. L'Apôtre s'adresse aux Ephésiens, qui adoraient Diane; non la Diane chasseresse qu'on représente armée d'un are et ceinte d'un carquois , mais cette Diane aux mille mamelles, que les Grecs nommaient polumathon (plusieurs mamelles) , comme s'ils eussent voulu par cette singularité de formes la faire considérer comme la nourrice de tous les êtres vivants. C'est à cette ville, métropole le l'Asie, que l'Apôtre adresse son épître; à cette ville où régnaient l'idolâtrie et les pratiques de la magie, son cortége obligé, et où s'élevait le temple dont Démétrius disait : " Il est à craindre que le temple même de la grande Diane ne soit méprisé, et que la majesté de celle que toute l'Asie et l'univers adorent ne tombe dans l'oubli. "

C'est dans cette ville que l'Apôtre fit un séjour de trois ans , prêchant nuit et jour le saint Evangile, afin que le renversement de cette citadelle de l'idolâtrie entraînât la chute des autres temples païens qui s'élevaient dans des villes moins importantes. Voici comment , d'après l'Ecriture , Paul sermonait les Ephésiens " Veillez donc, vous souvenant que durant trois ans je n'ai cessé, nuit et jour, d'avertir avec larmes chacun de vous, et maintenant je vous recommande à Dieu et à la parole de la grâce ; à celui qui est puissant pour édifier et pour vous donner part à son héritage avec tous les saints. " Grâce aux exhortations de l'Apôtre, ils commentaient à embrasser le culte du vrai Dieu, ceux, qui, pendant si longtemps s'étaient livrés au culte des fausses divinités; ils avaient d'ailleurs la notion d'une intelligence souveraine , et tout en fouillant les entrailles des victimes, tout en consultant les augures et les devins, ils avaient trouvé le principe de notre croyance. L'Apôtre leur dit ensuite: " Je dois vous avouer en ce jour que je suis du sang le plus vulgaire, car je ne me suis point entouré d'un voile pour vous annoncer la volonté de Dieu. " Et ailleurs : " Je ne vous ai rien télé de tout ce qui est utile, rien ne m'aurait empêché de vous l'annoncer publiquement et dans vos demeures. "

Il avait lu dans Ezéchiel que quiconque, par calcul, n'annoncerait pas au peuple l'arrivée des ennemis, serait comptable envers Dieu du sang de ses concitoyens; aussi affirme-t-il qu'il annoncera au peuple la volonté de Dieu et tout ce qui lui sera, utile, afin que le sang versé ne retombe pas sur sa tête. Puisque vous n'ignorez pas qu'il y avait dans Ephèse des gens qui s'adonnaient à des pratiques superstitieuses et à la science de la magie, voici ce qu'on fit à ce sujet dans les Actes des Apôtres : " Et plusieurs de ceux qui s'étaient occupé des arts magiques apportèrent leurs livres et les brûlèrent devant tous, et, le prix compté, on trouva cinquante mille deniers. Ainsi la parole de Dieu croissait et se fortifiait. "

Nous nous sommes livrés à un long examen de cette épître afin d'expliquer pourquoi l'Apôtre y a semé tant de passages obscurs et y a fait mention de sacrements fort peu connus ; pourquoi il parle si longuement des forces d'en-haut et de celles qui n'en viennent pas; pourquoi enfin il nous entretient des faux dieux, de leur pouvoir, de leur origine, et de la rapidité de leur chute et de leur disparition après l'arrivée de Jésus-Christ. C'est au sujet de ces faux dieux qu'il s'exprime ainsi : " Car nous avons à combattre non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes du monde, c'est-à-dire de ce siècle ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans l'air. " Et ailleurs : " Je demeurerai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte; car une brèche m'est ouverte, large et suffisamment praticable , mais vos ennemis sont nombreux. " Il resta en effet à Ephèse jusqu'à la Pentecôte , jour de joie et de victoire, où nous ne fléchissons pas les genoux, mais où nous nous élevons avec le Seigneur vers les hauteurs des cieux ; et il resta , parce qu'une brèche lui était ouverte, non pas une brèche médiocre, mais une large brèche ; afin qu'après avoir vaincu et enchaîné l'erreur, il pénétrât dans son temple, le dépouillât , le renversât, et emmenât pour ainsi dire en captivité la captivité elle-même; l'erreur avec ses satellites combattit contre les apôtres, mais elle fut vaincue.

Quant aux Ephésiens, les éloges de l'Apôtre ne leur manquèrent point; de même que Jean l'évangéliste qui devait expliquer le mystère de la Nativité de Notre-Seigneur s'appuya sur la poitrine du maître et puisa ses arguments dans cette source si pure; de même les Ephésiens , au départ de Paul , se jetèrent à son cou et lui (636) prouvèrent par leur empressement et leurs caresses, qu'ils possédaient désormais comme lui , le trésor de la vraie science; les magistrats lui témoignèrent aussi leurs regrets, en répandant des larmes. Je dois vous avertir dans cette préface qu'Origène a écrit sur cette épître trois volumes de commentaires. Nous l'avons suivi en partie. Apollinaire et Didyme ont fait paraître sur le même sujet différents opuscules. Quoique nous ayons peu emprunté à ces derniers, nous avons cependant détaché de leurs pauvres, et nous nous sommes approprié quelques fragments qui nous ont paru présenter de l'intérêt. Nous avons combiné le tout de telle sorte qu'un lecteur intelligent distinguera sans peine ce qui nous a été fourni par Apollinaire et Didyme, de ce qui vient de notre propre fonds et de ce que j'ai emprunté ailleurs.



Jérôme Fragments divers