Instruction étude pères de l'Eglise 30

b) Originalité chrétienne et inculturation

30 1. Une autre caractéristique importante et très actuelle de la méthode théologique des Pères est d'offrir la lumière pour " mieux comprendre selon quels critères la foi, compte tenu de la philosophie et de la sagesse des peuples, peut s'accorder avec l'intelligence ".35 Les Pères en effet, ont puisé, dans l'Ecriture et la Tradition, la claire conscience de l'originalité chrétienne, c'est-à-dire la ferme conviction que l'enseignement chrétien contient un noyau essentiel de vérités révélées qui constituent la norme pour juger de la sagesse humaine et pour distinguer la vérité de l'erreur.

Si une telle conviction a porté quelques uns d'entre eux à repousser l'apport de cette sagesse et à considérer les philosophes comme les " patriarches des hérétiques ", elle n'a pas empêché la plus grande partie d'accueillir cette contribution avec intérêt et reconnaissance, comme procédant de l'unique source de la sagesse, qui est le Verbe. Qu'il suffise de rappeler à ce propos S. Justin Martyr, Clément d'Alexandrie, Origène, S. Grégoire de Nysse et particulièrement S. Augustin qui, dans son oeuvre " De doctrina christiana " a tracé un programme pour cette activité: " Si ceux qui sont appelés philosophes ont dit des choses vraies et en consonance avec notre foi non seulement ils ne doivent pas susciter de motif de crainte, mais doivent être revendiqués à notre avantage. N'est-ce pas précisément cela qu'ont fait un grand nombre de nos bons fidèles? Cyprien... Lactance... Victorin... Optat... Hilaire, pour ne parler que des morts, et une quantité innombrable de Grecs?.36

35 CONC. VAT. II, Decr. Ad gentes, n.
AGD 22.
36 De doctr. chr., 2, 40, 60-61: PL 34, 63.


31 2. A ce processus d'assimilation s'en ajoute un autre, non moins important et inséparable de celui-ci, que nous pourrions appeler processus de la désassimilation. Ancrés sur la norme de la foi, les Pères ont accueilli de nombreux apports de la philosophie gréco-romaine, mais ils en ont repoussé les graves erreurs, en évitant de manière particulière le péril de syncrétisme si répandu dans la culture hellénistique alors dominante, comme aussi celui du rationalisme qui menaçait de réduire la foi aux seuls aspects acceptables par la rationalité hellénique. " Contre leurs grandes erreurs, écrit S. Augustin, il faut défendre la doctrine chrétienne ".37

37 Retract. 1, 1, 4: PL 32, 587.


32 3. Grâce à ce discernement avisé des valeurs et des limites cachées dans les différentes formes de la culture antique, ont été ouvertes des voies nouvelles vers la vérité et de nouvelles possibilités pour l'annonce de l'Evangile. Instruite par les Pères grecs, latins, syriaques, l'Eglise, en effet, " dès les débuts de son histoire, a appris à exprimer le message du Christ en se servant des concepts et des langues des divers peuples et, de plus, s'est efforcée de le mettre en valeur par la sagesse des philosophes: ceci, afin d'adapter l'Evangile, dans les limites convenables, et à la compréhension de tous et aux exigences des sages ".38 En d'autres termes, les Pères, conscients de la valeur universelle de la Révélation, ont commencé la grande oeuvre d'inculturation chrétienne, comme on a coutume de l'appeler aujourd'hui. Ils sont devenus l'exemple d'une rencontre féconde entre foi et culture, entre foi et raison, en restant des guides pour l'Eglise de tous les temps engagée à prêcher l'Evangile à des hommes de cultures si diverses et à oeuvrer au milieu d'eux. Comme on le voit, grâce à ces attitudes des Pères, l'Eglise, depuis ses débuts, se révèle " missionnaire de sa nature ",39 même au niveau de la pensée et de la culture, et c'est pour cela que le Concile Vaticane II prescrit "qu'une telle manière appropriée de proclamer la parole révélée doit demeurer la loi de toute évangélisation".40

38 CONC. VAT. II, Const. past. Gaudium et spes, n.
GS 44.
39 CONC. VAT. II, Decr. Ad gentes, n. AGD 2.
40 CONC. VAT. II, Const. past. Gaudium et spes, n. GS 44.


c) Défense de la foi, progrès dogmatique

33 1. A l'intérieur de l'Eglise, la rencontre de la raison et de la foi a donné occasion à de nombreuses et longues controverses qui ont concerné les grands thèmes du dogme trinitaire, christologique, ecclésiologique anthropologique, eschatologique. En ces circonstances, les Pères, dans la défense des vérités qui touchent à l'essence elle-même de la foi, furent les auteurs d'un grand progrès dans l'intelligence des vérités dogmatiques, rendant un service valable au développement de la théologie.

Leur fonction apologétique, exercée avec une sollicitude pastorale consciente pour le bien spirituel des fidèles, a été un moyen providentiel pour la maturation du corps tout entier de l'Eglise. Comme le disait S. Augustin face à la multiplication des hérétiques: " Dieu a permis leur diffusion afin que notre nourriture ne soit pas seulement le lait (de la doctrine) et que nous n'en restions pas au stade de l'enfance rude "; 41 en effet, " quand les hérétiques soulèvent avec une bouillante agitation de multiples questions relatives à la foi catholique, on les examine avec plus de soin en vue de les défendre, on les saisit avec plus de netteté, on les proclame avec plus de zèle; le problème ainsi soulevé par l'adversaire devient une occasion de s'instruire ".42

41 AUGUSTIN, Tract, in Joh. 36, 6: PL 35, 1666.
42 Idem., De civ. Dei, 16, 2, 1: PL 41, 477.


34 2. Ainsi les Pères sont devenus les initiateurs du procédé rationnel appliqué aux données de la Révélation, les promoteurs éclairés de cet " intellectus fidei ", qui appartient à l'essence de toute théologie authentique. Ce fut leur tâche providentielle non seulement de défendre le christianisme, mais aussi de le repenser dans le milieu culturel gréco-romain; de trouver des formules nouvelles pour exprimer une doctrine antique, des formules non bibliques pour une doctrine biblique; en un mot, de présenter la foi sous la forme d'un discours humain, pleinement catholique et capable d'exprimer le contenu divin de la révélation, en en sauvegardant toujours l'identité et la transcendance. De nombreux concepts introduits par eux dans la théologie trinitaire et christologique (par ex. ousia, hypostasis, physis, agenesia, genesis, ekporeusis, etc.) ont joué un rôle déterminant dans l'histoire des Conciles et sont entrés dans les formules dogmatiques, devenant des composantes de notre terminologie théologique courante.


35 3. Le progrès dogmatique, qui a été réalisé par les Pères non comme un projet abstrait purement intellectuel, mais dans la plupart des cas, dans les homélies, au milieu des activités liturgiques et pastorales, constitue un excellent exemple de renouvellement dans la continuité de la Tradition. Pour eux, la foi catholique provenant de la doctrine des apôtres et reçue à travers une série de successions " était " à transmettre saine aux descendants ".43 C'est pour cela qu'elle a été traitée par eux avec le maximum de respect, avec une pleine fidélité à son fondement biblique, et en même temps avec une juste ouverture d'esprit aux nouvelles nécessités et aux nouvelles circonstances culturelles: les deux caractéristiques propres de la tradition vivante de l'Eglise.

43 Idem., in Joh. 37, 6: PL 35, 1672.


36 4. Ces premières ébauches de théologie qui nous ont été transmises par les Pères mettent en évidence quelques unes de leurs attitudes fondamentales typiques envers les données révélées, qui peuvent être considérées de valeur permanente et donc valables aussi pour l'Eglise d'aujourd'hui. Il s'agit d'une base posée une fois pour toutes, à laquelle chaque théologie postérieure doit faire référence et, en l'occurrence, revenir. Il s'agit d'un patrimoine qui n'est exclusif à aucune Eglise particulière, mais est très cher à tous les chrétiens. Il remonte en effet aux temps qui ont précédé la rupture entre l'Orient et l'Occident chrétien et il transmet des trésors communs de spiritualité et de doctrine; une table riche autour de laquelle les théologiens des diverses confessions peuvent toujours se rencontrer. Les Pères sont en effet les Pères aussi bien de l'Orthodoxie Orientale que de la théologie latine catholique, ou de la théologie des protestants et des anglicans, objet commun d'étude et de vénération.


d) Sens du mystère, expérience du divin

37 1. Si les Pères ont donné en tant d'occasions la preuve de leur responsabilité de penseurs et de chercheurs par rapport à la Révélation, en suivant, peut-on dire, le programme du " credo ut intelligam " et de l'intelligo ut credam", ils l'ont toujours fait en authentiques hommes d'Eglise vraiment croyants, sans compromettre aucunement la pureté ou, comme s'exprime Saint Augustin, " la virginité " 44 de la foi. En effet, en tant que théologiens, ils ne s'appuyaient pas exclusivement sur les ressources de la raison, mais aussi sur celles, en réalité plus religieuses, qu'offrait la connaissance de caractère affectif et existentiel, ancrée sur l'union intime avec le Christ, alimentée à la prière et soutenue par la grâce et les dons de l'Esprit Saint. Dans leurs attitudes de théologiens et de pasteurs se manifestaient à un très haut degré le sens profond du mystère et l'expérience du divin, qui les protégeaient des tentations toujours renaissantes d'un rationalisme trop poussé aussi bien que d'un fidéisme plat et résigné.

44 AUGUSTIN, Serm. 93, 4; 341, 5; etc.: PL 38, 574; 39, 1496


38 2. La première chose qui frappe dans leur théologie est le sens vif de la transcendance de la Vérité divine contenue dans la Révélation. A la différence de beaucoup d'autres penseurs anciens et modernes, ils font preuve de grande humilité face au mystère de Dieu, contenu dans les Saintes Ecritures, desquelles, dans leur modestie, ils préfèrent être de simples commentateurs, attentifs à ne rien y ajouter qui puisse en altérer l'authenticité. On peut dire que cette attitude de respect et d'humilité n'est autre que la vive conscience des limites infranchissables que l'intelligence humaine éprouve face à la transcendance divine. Qu'il suffise ici de rappeler, outre les homélies de Saint Jean Chrysostome sur l'incompréhensibilité de Dieu, ce qu'écrit textuellement Saint Cyrille évêque de Jérusalem, à l'adresse des catéchumènes: " Quand il s'agit de Dieu, c'est une grande science que de confesser l'ignorance ";45 de même après lui, l'évêque d'Hippone Saint Augustin dira de façon sentencieuse à son peuple: " Est préférable une ignorance fidèle à une science téméraire ".46 Avant eux, Saint Irénée avait affirmé que la génération du Verbe est inénarrable, et que ceux qui prétendent l'expliquer " ont perdu l'usage de la raison ".47

45 Catech. 6, 2: PG 33, 542.
46 Serm. 27, 4: PL 38, 179.
47 Adv. haer. 2, 28, 6.: PG 7, 809.


39 3. Etant donné ce vif sens spirituel, l'image que les Pères nous offrent d'eux-mêmes est celle d'hommes qui non seulement apprennent, mais aussi, et par-dessus tout, expérimentent les choses divines, comme disait Denis le Pseudo Aréopagite de son maître " Hierotheos ": " non solum discens sed et patiens divina ".48 Ils sont dans la plupart des cas des spécialistes de la vie surnaturelle, qui communiquent ce qu'ils ont vu et goûté dans leur contemplation des choses divines; ce qu'ils ont connu par la voie de l'amour, " per quandam connaturalitatem ", comme aurait dit Saint Thomas d'Aquin.49 Dans leur manière de s'exprimer, est souvent perceptible l'accent savoureux des mystiques, qui laisse transparaître une grande familiarité avec Dieu, une expérience vécue du mystère du Christ et de l'Eglise et un contact constant avec toutes les sources authentiques de la vie théologale considéré par eux comme la situation fondamentale de la vie chrétienne. On peut dire que dans la ligne augustinienne de " l'intellectum valde ama " 50 les Pères apprécient certainement l'utilité de la spéculation, mais ils savent qu'elle ne suffit pas. Dans l'effort intellectuel lui-même pour comprendre leur foi, ils pratiquent l'amour qui, en rendant le connaissant ami avec le connu,51 devient, de par sa nature même, source de nouvelle intelligence. En effet, " aucun bien n'est parfaitement connu s'il n'est parfaitement aimé ".52

48 De Divinis Nominibus, II, 9: PG 3, 674, cf. 648; cité par St. Thomas d'Aquin in S. Th.
II-II 45,2.
49 S. Th. II-II 45,2.
50 AUGUSTIN, Ep. 120, 3, 13: PL 33, 459.
51 CLEMENTE D'ALEX., Stromata 2, 9: PG 8, 975-982.
52 AUGUSTIN, De div. qq. LXXXIII, q. 35, 2: PL 40, 24.


40 4. Ces principes méthodologiques, suivis et vécus pratiquement avant d'être expressément énoncés, ont été aussi objet de réflexions explicites des Pères. Il suffit de se référer, à ce propos, à Saint Grégoire de Nazianze qui dans le premier de ses cinq célèbres discours théologiques, consacrés à la manière de faire la théologie, traite de la nécessité de la modération, de l'humilité, de la purification intérieure, de la prière. De même fait Saint Augustin qui, rappelant la place de la foi dans la vie de l'Eglise et, parlant de la fonction qu'y accomplissent les théologiens, écrit qu'ils doivent être " pieusement doctes et vraiment spirituels "53. Il en donne lui-même l'exemple quand il écrit le De Trinitate, directement pour répondre " aux raisonneurs jacassants ", qui, " dépréciant les humbles commencements de la foi, se laissent égarer par un amour immature et pervers de la raison ".54

Pour les raisons alléguées, on peut dire que l'activité théologique des Pères est pour nous toujours actuelle. Ils restent des maîtres pour les théologiens, comme représentants d'un moment important, décisif et qu'on ne peut éliminer de la théologie de l'Eglise, comme modèles pour la manière dont ils ont accompli leur activité théologique, comme sources autorisées et témoins irremplaçables pour les contenus qu'ils ont su tirer par leur réflexion et leur méditation sur le donné révélé.

53 Ep. 118, 32: PL 33, 448.
54 De Trin. 1, 1, 1: PL 42, 819.


3. RICHESSE CULTURELLE, SPIRITUELLE ET APOSTOLIQUE

41 Les écrits patristiques se distinguent non seulement par la profondeur théologique, mais aussi par les grandes valeurs culturelles, spirituelles et pastorales qu'ils contiennent. Sous cet aspect, ils sont, après l'Ecriture Sainte, comme il est recommandé dans le Décret " Presbyterorum Ordinis " (n. PO 19), une des principales sources de la formation sacerdotale et un " aliment fructueux " qui doit accompagner les prêtres pour toute la vie.

42 a) Les Pères latins, grecs, syriaques, arméniens... outre qu'ils ont contribué au patrimoine littéraire de leurs nations respectives, sont — bien que chacun à leur manière et selon des proportions diverses — comme les classiques de la culture chrétienne qui, fondée et édifiée par eux, porte pour toujours le signe indélébile de leur paternité. A la différence des littératures nationales, lesquelles, expriment et modèlent le génie de chaque peuple, le patrimoine culturel des Pères est vraiment " catholique ", universel, parce qu'il enseigne comment devenir des hommes droits et d'authentiques chrétiens et comment se comporter en conséquence. Par leur vif sens du surnaturel et par leur discernement des valeurs humaines par rapport à la spécificité chrétienne, leurs oeuvres ont été dans les siècles passés un excellent instrument de formation pour des générations entières de prêtres et elles restent encore indispensables à l'Eglise d'aujourd'hui.

43 b) Au point de vue culturel, est de grande importance le fait que de nombreux Pères aient reçu une excellente formation dans les disciplines de l'antique culture grecque et romaine, de laquelle ils empruntèrent les hautes conquêtes civiles et spirituelles, pour en enrichir leurs traités, leurs catéchèses et leur prédication. En imprimant à l'antique " humanitas " classique le sceau chrétien, ils ont été les premiers à jeter le pont entre l'Evangile et la culture profane et à tracer pour l'Eglise un riche et important programme culturel, lequel a profondément influencé les siècles suivants et, de manière particulière, l'ensemble de la vie spirituelle, intellectuelle et sociale du moyen âge.55 Grâce à leur enseignement, de nombreux chrétiens des premiers siècles eurent accès aux diverses sphères de la vie publique (écoles, administration, politique) et le christianisme put mettre en valeur tout ce qu'il y avait de valable dans le monde antique, purifier ce qui était moins parfait et contribuer, pour sa part, à la création d'une nouvelle culture et civilisation inspirée par l'Evangile. Remonter aux oeuvres des Pères signifie donc pour les futurs prêtres s'alimenter aux racines mêmes de la culture chrétienne et mieux comprendre leurs propres tâches culturelles dans le monde d'aujourd'hui.

55 Deux oeuvres surtout de St. Augustin exercèrent à ce sujet une grande influence: De Civitate Dei, et De doctrina christiana.

44 c) Quant à la spiritualité des Pères, il a déjà été relevé, au paragraphe précédent, comment toute leur théologie est éminemment religieuse, une " vraie science sacrée ", qui, tout en éclairant l'esprit, édifie et réchauffe le coeur. Outre les éléments et les aspects proprement théologiques, il est bien de mettre ici en relief quelques comportements et attitudes d'ordre moral ressortant de leurs oeuvres comme facteurs fondamentaux de l'expansion progressive, souvent silencieuse, du ferment évangélique dans la société païenne et restés ensuite imprimés pour toujours dans la conscience et sur le visage lui-même de l'Eglise. Beaucoup de Pères étaient des " convertis "; le sens de la nouveauté de la vie chrétienne s'unissait en eux à la certitude de la foi. A cause de cela, se dégageaient dans les communautés chrétiennes de leur temps " une vitalité explosive ", une ferveur missionnaire, un climat d'amour qui portait les âmes à l'héroïsme de la vie quotidienne personnelle et sociale, spécialement par la pratique des oeuvres de miséricorde, l'aumône, le soin des malades, des veuves et des orphelins, l'estime de la femme et de toute personne humaine, l'éducation des enfants, le respect de la vie naissante, la fidélité conjugale, le respect et la générosité dans le traitement des esclaves, la liberté et la responsabilité face aux pouvoirs publics, la défense et le soutien des pauvres et des opprimés, et par toutes les formes de témoignage évangélique réclamées par les circonstances de lieu et de temps, témoignage poussé parfois jusqu'au sacrifice suprême du martyr. Par une conduite qui s'inspirait des enseignements des Pères, les chrétiens se distinguaient du monde païen environnant et exprimaient leur nouveauté de vie jaillie du Christ en embrassant les idéaux ascétiques de la virginité " propter regnum coelorum ", du détachement des biens terrestres, de la pénitence, de la vie monastique érémitique ou communautaire, dans la ligne des " conseils évangéliques " et dans l'attente vigilante du Christ qui vient. Les multiples formes de piété privée (comme la prière en famille, les prières quotidiennes, la pratique des jeûnes) et communautaire (par ex. la célébration du dimanche et des principales fêtes liturgiques comme participation aux événements salvifiques, la vénération de la très Sainte Vierge Marie, les veilles, les agapes, etc.) remontent aussi à l'époque patristique et reçoivent leur signification théologico spirituelle précise des enseignements des Pères.

Pour cela, il est clair que la familiarité assidue des séminaristes avec les oeuvres des Pères ne pourra que fortifier leur vie spirituelle et liturgique, en jetant une lumière particulière sur leur vocation, en enracinant cette vie spirituelle et liturgique dans la tradition millénaire de l'Eglise et en la mettant en communication directe avec la richesse et la pureté des origines. Cette familiarité avec les oeuvres des Pères les aidera en même temps à découvrir l'homme dans son unité et sa totalité: à reconnaître et à suivre cet idéal supérieur d'humanité unifiée et intégrée dans le développement harmonieux des valeurs naturelles et surnaturelles, qui est le modèle de l'anthropologie chrétienne.

45 d) Une autre raison qui explique le charme et l'intérêt des oeuvres des Pères, est qu'elles sont nettement pastorales: c'est-à-dire composées pour des buts d'apostolat. Leurs écrits sont ou des catéchèses et des homélies, ou des réfutations d'hérésies, ou des réponses à des consultations, ou des exhortations spirituelles ou des manuels destinés à l'instruction des fidèles. Par là on voit combien les Pères se sentaient impliqués dans les problèmes pastoraux de leur temps. Ils exerçaient la charge de maîtres et de pasteurs, cherchant en premier lieu à garder uni le peuple de Dieu dans la foi, dans le culte divin, dans la morale et dans la discipline. Maintes fois ils procédaient de manière collégiale, échangeant mutuellement des lettres de caractère doctrinal et pastoral dans le but de promouvoir une ligne de conduite commune. Ils se préoccupaient du bien spirituel non seulement de leurs Eglises particulières, mais de toute l'Eglise. Quelques uns d'entre eux devinrent des défenseurs de l'orthodoxie et des points de référence pour les autres Evêques du monde catholique (par ex. Athanase dans les luttes antiariennes, Augustin dans les controverses antipélagiennes), personnifiant en quelque sorte la conscience vivante de l'Eglise.

46 e) On ne peut non plus laisser dans l'ombre le fait que dans leur action pastorale les Pères, tout en offrant aux observateurs un riche panorama des problématiques les plus variées d'ordre culturel et social qui leur étaient contemporaines, les situent cependant toujours, pour ainsi dire, sur des coordonnées nettement surnaturelles. Leur tient particulièrement à coeur l'intégrité de la foi, fondement de la justification, pour qu'elle s'épanouisse dans la charité, lien de la perfection, et pour que la charité crée l'homme nouveau et l'histoire nouvelle. Tout dans leur action pastorale et dans leur enseignement, est ramené à la charité, et la charité au Christ, voie universelle du salut.56 Ils réfèrent tout au Christ, récapitulation de toutes choses (Irénée), déificateur des hommes (Athanase), fondateur et roi de la Cité de Dieu, qui est la société des élus (Augustin). Dans leur perspective historique, théologique et eschatologique, l'Eglise est le " Christus totus ", qui " parcourt son chemin, et en poursuivant son chemin accomplit son pèlerinage, à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu, depuis le temps d'Abel, le premier juste tué par son frère impie, jusqu'à la consommation des siècles ".57

56 AUGUSTIN, De civ. Dei, 10, 32, 1-3: PL 41, 312 ss.
57 AUGUSTIN, De civ. Dei 18, 51, 2: PL 41, 614; cf. CONC. VAT. II, Const. Lumen gentium, n.
LG 8

47 Si nous voulons maintenant reprendre les raisons qui poussent à étudier les oeuvres des Pères, nous pouvons dire qu'ils ont été, après les Apôtres, comme l'a dit justement Saint Augustin, les planteurs, les irrigateurs, les constructeurs, les pasteurs, les nourrisseurs de l'Eglise laquelle a pu croître grâce à leur action vigilante et inlassable.58 Pour que l'Eglise continue à grandir, il est indispensables de connaître à fond leur doctrine et leur oeuvre qui se distingue pour être en même temps pastorale et théologique, catéchétique et culturelle, spirituelle et sociale, d'une manière excellente et l'on peut dire unique par rapport à tout ce qui est arrivé aux autres époques de l'histoire. C'est exactement cette unité organique des divers aspects de la vie et de la mission de l'Eglise qui rend les Pères si actuels et si féconds également pour nous.

58 Contra int. Jul. 2, 10, 34: PL 44, 698.


III - COMMENT ETUDIER LES PERES

48 Des précédentes réflexions sur la situation actuelle et sur les raisons les plus profondes des études patristiques surgit spontanément la question de leur nature, de leurs objectifs et de la méthode à suivre pour en promouvoir la qualité. Aussi bien pour les enseignements que pour les étudiants se posent à ce sujet de nombreux devoirs, qui ont besoin d'être davantage clarifiés et explicités, pour que puisse être accomplie une oeuvre de formation solide et répondant aux exigences du renouveau souhaité et promu sur la base des directives du Concile Vatican II.


1. LA NATURE DES ÉTUDES PATRISTIQUES ET LEURS OBJECTIFS

49 a) II est très important que ce secteur des études ecclésiastiques soit clairement délimité en conformité avec sa nature et ses finalités et inséré organiquement dans le contexte des disciplines théologiques. Il s'articule en deux sphères communiquant entre elles, qui s'intéressent au même objet sous des aspects divers: d'une part la Patristique qui s'occupe de la pensée théologique des Pères, et de l'autre la Patrologie qui a pour objet leur vie et leurs écrits. Tandis que la première est de caractère proprement doctrinal et a de nombreux rapports avec la dogmatique (mais aussi avec la théologie morale, et la théologie spirituelle, l'Ecriture Sainte et la Liturgie), la seconde se situe plutôt au niveau de la recherche historique et de l'information biographique et littéraire, et a une connexion naturelle avec l'Histoire de l'Eglise antique. C'est par leur caractère théologique que la Patristique et la Patrologie se distinguent de la Littérature chrétienne antique, discipline non théologique et peut-on dire, littéraire, en tant qu'elle étudie les aspects stylistiques et philologiques des écrivains chrétiens antiques.

50 b) Pour affronter les études patristiques il faut comprendre avant tout l'autonomie de la Patristique-Patrologie, comme discipline à part, avec sa méthode, dans le cadre du corps de disciplines, qui est l'objet de l'enseignement théologique. Son autonomie, comme secteur de la théologie, où s'appliquent rigoureusement les principes de la méthode historico-critique, est un élément acquis et elle doit être perçue comme telle par l'étudiant.

51 c) En particulier, on attend de la Patrologie qu'elle présente une bonne vue panoramique des Pères et de leurs oeuvres, avec leurs caractéristiques individuelles, en situant dans le contexte historique leur activité littéraire et pastorale. Etant donné son caractère informatif et historique, rien n'empêche que la Patrologie puisse utiliser la collaboration du Professeur d'Histoire ecclésiastique, quand cela est requis par les exigences d'une meilleure économie du temps disponible ou par le manque de personnel enseignant. En l'occurrence, on peut aussi réserver un espace plus grand à l'étude privée des élèves, en les renvoyant à la consultation de bons manuels, de dictionnaires, et autre matériel bibliographique.

52 d) La Patristique pour sa part, pour accomplir de façon satisfaisante ses tâches, doit figurer comme discipline à part, en entretenant une étroite collaboration avec la dogmatique. Les deux disciplines en effet sont invitées par le Décret " Optatam totius " (OT 16) à s'aider et à s'enrichir mutuellement, à condition pourtant qu'elles restent autonomes et fidèles à leurs méthodes spécifiques. Le dogme effectue surtout un service d'unité. Comme à toutes les disciplines théologiques il offre aussi à la patristique la perspective unifiante de la foi, en l'aidant à systématiser les résultats partiels et en indiquant la voie aux recherches et à l'activité didactique de l'enseignant. Le service de la patristique par rapport à la dogmatique consiste à délinéer et à préciser l'oeuvre de médiation de la révélation de Dieu accomplie par les Pères dans l'Eglise et dans le monde de leur temps. Il s'agit de décrire, avec l'entier respect de la spécificité de la méthode historico-critique, le cadre de la théologie et de la vie chrétienne de l'époque patristique dans sa réalité historique. Pour cette raison, l'enseignement de la Patristique, comme s'exprime le document sur " La formation théologique des futurs prêtres ", doit tendre, entre autres, " à donner le sens de la continuité de la doctrine théologique qui tient aux données fondamentales, et en même temps le sens de la relativité qui correspond aux aspects et aux applications particulières " (n. 87).


2. LA MÉTHODE

53 a) L'étude de la Patrologie et de la Patristique, dans sa première phase informative, suppose le recours aux manuels et autre matériel bibliographique, mais quand elle en vient à traiter des problèmes délicats et complexes de la théologie patristique, aucune de ces aides ne peut remplacer le recours direct aux textes des Pères. C'est en effet à travers le contact direct de l'enseignement et de l'étudiant avec les sources que la Patristique doit être enseignée et apprise surtout au niveau académique et dans les cours spéciaux. Toutefois, étant donné les difficultés dans lesquelles se débattent souvent les étudiants, il sera bien de mettre à leur disposition des textes bilingues des éditions connues par leur sérieux scientifique.

54 b) II faut affronter l'étude scientifique des textes avec la méthode historico-critique, de manière analogue à son application dans les sciences bibliques. Il est cependant nécessaire dans l'emploi de cette méthode d'en indiquer aussi les limites et d'y intégrer, avec prudence, les méthodes de l'analyse littéraire moderne et de l'herméneutique, avec une adéquate "manuductio " de l'étudiant dans leur compréhension, leur évaluation, et leur utilisation. S'agissant d'une discipline théologique, qui en toutes ses phases procède "ad lumen fidei", la liberté de recherche ne doit pas réduire son objet d'étude au domaine de la pure philologie ou de la critique historique. En effet, la théologie positive doit reconnaître, comme premier présupposé, le caractère surnaturel de son objet et la nécessité de faire référence au Magistère. Les étudiants doivent donc prendre conscience que la rigueur de la méthode, indispensable pour la validité objective de toute recherche patristique, n'exclut pas une direction de marche calculée à l'avance ni n'empêche une participation active du chercheur croyant qui, en conformité avec le " sensus fidei ", se place et procède dans un climat de foi.

55 c) La pureté de la méthode susdite requiert par ailleurs que le chercheur tout comme l'étudiant soient libres de préjugés et de présomptions qui dans le domaine de la patristique se manifestent d'habitude par deux tendances: celle de s'inféoder de façon anachronique aux écrits des Pères, en méprisant la tradition vivante de l'Eglise et en considérant l'Eglise post-patristique jusqu'à nos jours en décadence progressive; et celle de se servir du donné historique pour une actualisation arbitraire qui ne tient pas compte du progrès légitime et de l'objectivité de la situation.

56 d) Des motifs scientifiques et aussi pratiques, comme par ex. un emploi plus rationnel du temps, suggèrent la convenance d'une collaboration entre les disciplines qui s'intéressent plus directement aux Pères. Le contact interdisciplinaire a la première place dans la dogmatique, où se fait la synthèse, mais peuvent aussi en bénéficier de nombreuses autres disciplines (théologie morale, théologie spirituelle, liturgie et, de manière particulière, l'Ecriture Sainte) qui ont besoin de s'enrichir et de se renouveler par le recours aux sources patristiques. Les modalités concrètes de cette collaboration varieront selon les circonstances; on aura à ce sujet d'autres possibilités et exigences au niveau des cours institutionnels du 1er Cycle et d'autres dans les cours académiques de spécialisation.


3. EXPOSÉ DE LA MATIÈRE

57 a) La matière, objet du cours de Patristique-Patrologie, est celle codifiée par la pratique scolaire et traitée par les livres de texte classiques: la vie, les écrits et la doctrine des Pères et des écrivains ecclésiastiques de l'antiquité chrétienne; ou, en d'autres termes, le profil biographique des Pères et l'exposé littéraire, historique et doctrinal de leurs écrits. L'étendue de la matière impose donc à cet égard la nécessité d'en limiter l'ampleur, en recourant à certains choix.

58 b) L'enseignant devra avant tout transmettre aux élèves l'amour des Pères et pas seulement la connaissance. Pour ce faire, il sera nécessaire d'insister non pas tant sur les notions bio-bibliographiques que sur le contact avec les sources. Dans ce but on devra faire un choix parmi les divers modes de présentation de la matière, qui sont substantiellement les quatre suivants:

1. Le mode de présentation analytique qui comporte l'étude de chacun des Pères: mode presque impossible, étant donné leur nombre et le temps nécessairement restreint réservé à cet enseignement;
2. Le mode panoramique, qui se propose de donner un aperçu général sur l'époque patristique et ses représentants: mode utile pour une introduction initiale mais non pour un contact avec les sources et leur approfondissement;
3. Le mode monographique qui insiste sur quelques uns des Pères parmi les plus représentatifs, mode particulièrement adapté pour enseigner de façon concrète la méthode pour les aborder et pour en approfondir la pensée.
4. Enfin le mode thématique qui examine un sujet fondamental et en suit le développement à travers les oeuvres patristiques.

59 c) Après ce premier choix il faudra en faire un autre, celui des textes à lire, à examiner, à expliquer. Il est préférable que le choix tombe dans un premier temps sur des textes qui traitent surtout de questions spirituelles ou pastorales ou catéchétiques ou sociales, qui sont, en général, les plus attrayants et les plus faciles, et que soient laissés, pour un second temps, les textes doctrinaux qui sont plus difficiles. Les textes seront étudiés avec soin dans la rencontre continue des enseignants et des étudiants, dans les cours, dans les colloques, dans les séminaires, dans les recherches d'informations. Ainsi naîtra cette familiarité avec les Pères qui est le fruit le meilleur de l'enseignement. Le vrai couronnement du travail de formation est donc seulement atteint lorsque l'étudiant parvient à se faire quelque ami parmi les Pères et à en assimiler l'esprit.

60 d) Les études patristiques ne peuvent se passer d'une solide connaissance de l'histoire de l'Eglise qui rend possible une vision unitaire des problèmes, des événements, des expériences, des acquisitions doctrinales, spirituelles, pastorales et sociales aux diverses époques. De cette manière l'on se rend compte du fait que si la pensée chrétienne commence avec les Pères, elle ne finit pas avec eux. Il s'en suit que l'étude de la Patristique et de la Patrologie ne peut faire abstraction de la tradition postérieure, y compris celle de la scolastique, en particulier pour ce qui regarde la présence des Pères dans cette tradition. C'est seulement de cette manière que l'on peut voir l'unité et le développement qui est en elle et aussi comprendre le sens du recours au passé. Celui-ci en effet apparaîtra non comme un archéologisme inutile, mais comme une étude créative qui nous aide à mieux connaître notre temps et à préparer le futur.


Instruction étude pères de l'Eglise 30