Depuis le Jour


LETTRE ENCYCLIQUE

DE S. S. LE PAPE LEON XIII


AUX ARCHEVÊQUES, ÉVÊQUES ET AU CLERGÉ DE FRANCE






A NOS VÉNÉRABLES FRÈRES LES ARCHEVÊQUES,

ÉVÊQUES ET AU CLERGÉ DE FRANCE

VÉNÉRABLES FRÈRES,

TRÈS CHERS FILS,



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   Depuis le jour où Nous avons été élevé à la Chaire pontificale, la France a été constamment l’objet de Notre sollicitude et de Notre affection toute particulière. C’est chez elle, en effet que, dans le cours des siècles, mû par les insondables desseins de sa miséricorde sur le monde, Dieu a choisi de préférence les hommes apostoliques destinés à prêcher la vraie foi jusqu’aux confins du globe, et à porter la lumière de l’Evangile aux nations encore plongées dans les ténèbres du paganisme. Il l’a prédestinée à être le défenseur de son Eglise et l’instrument de ses grandes oeuvres : Gesta Dei per Francos.

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   A une si haute mission correspondent évidemment de nombreux et graves devoirs. Désireux, comme Nos prédécesseurs, de voir la France accomplir fidèlement le glorieux mandat dont elle a été chargée, Nous lui avons plusieurs fois déjà, durant Notre long Pontificat, adressé Nos conseils, Nos encouragements, Nos exhortations. Nous l’avons fait tout spécialement dans Notre Lettre Encyclique du 8 février 1884, Nobilissima Gallorum gens, et dans Notre Lettre du 16 février 1892, publiée dans l’idiôme de la France et qui commence par ces mots : Au milieu des sollicitudes. Nos paroles ne sont pas demeurées infructueuses, et Nous savons par vous, Vénérables Frères, qu’une grande partie du peuple français tient toujours en honneur la foi de ses ancêtres et remplit avec fidélité les devoirs qu’elle impose. D’autre part, Nous ne saurions ignorer que les ennemis de cette foi sainte ne sont pas demeurés inactifs, et qu’ils sont parvenus à bannir tout principe de religion d’un grand nombre de familles, qui, par suite, vivent dans une lamentable ignorance de la vérité révélée, et dans une complète indifférence pour tout ce qui touche à leurs intérêts spirituels et au salut de leurs âmes.

   Si donc, et à bon droit, Nous félicitons la France d’être pour les nations infidèles un foyer d’apostolat, Nous devons encourager aussi les efforts de ceux de ses fils qui, enrôlés dans le sacerdoce de Jésus-Christ, travaillent à évangéliser leurs compatriotes, à les prémunir contre l’envahissement du naturalisme et de l’incrédulité, avec leurs funestes et inévitables conséquences. Appelés par la volonté de Dieu à être les sauveurs du monde, les prêtres doivent toujours, et avant tout, se rappeler qu’ils sont, de par l’institution même de Jésus-Christ, « le sel de la terre » (
Mt 5,13), d’où S. Paul, écrivant à son disciple Timothée, conclut avec raison « qu’ils doivent être l’exemple des fidèles dans leurs paroles et dans leurs rapports avec le prochain, par leur charité, leur foi et leur pureté » (1Tm 4,12).

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   Qu’il en soit ainsi du Clergé de France, pris dans son ensemble, ce Nous est toujours, Vénérables Frères, une grande consolation de l’apprendre, soit par les relations quadriennales que vous Nous envoyez sur l’état de vos diocèses, conformément à la Constitution de Sixte-Quint ; soit par les communications orales que Nous recevons de vous, lorsque Nous avons la joie de Nous entretenir avec vous et de recevoir vos confidences. Oui, la dignité de la vie, l’ardeur de la foi, l’esprit de dévouement et de sacrifice, l’élan et la générosité du zèle, la charité inépuisable envers le prochain, l’énergie dans toutes les nobles et fécondes entreprises qui ont pour but la gloire de Dieu, le salut des âmes, le bonheur de la patrie : telles sont les traditionnelles et précieuses qualités du clergé français, auxquelles Nous sommes heureux de pouvoir rendre ici un public et paternel témoignage.

   Toutefois, en raison même de la tendre et profonde affection que Nous lui portons ; tout à la fois pour satisfaire au devoir de Notre ministère apostolique, et pour répondre à Notre vif désir de le voir demeurer toujours à la hauteur de sa grande mission, Nous avons résolu, Vénérables Frères, de traiter dans la présente Lettre quelques points que les circonstances actuelles recommandent de la façon la plus instante à la consciencieuse attention des premiers Pasteurs de l’Eglise de France, et des prêtres qui travaillent sous leur autorité.

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   C’est d’abord chose évidente que, plus un office est relevé, complexe, difficile, plus longue et plus soignée doit être la préparation de ceux qui sont appelés à le remplir. Or, existe-t-il sur la terre une dignité plus haute que celle du sacerdoce, et un ministère imposant une plus lourde responsabilité, que celui qui a pour objet la sanctification de tous les actes libres de l’homme ? N’est-ce pas du gouvernement des âmes que les Pères ont dit avec raison, que c’est « l’art des arts », c’est-à-dire le plus important et le plus délicat de tous les labeurs auxquels un homme puisse être appliqué au profit de ses semblables, « ars artium regimen animarum » ? 1 Rien donc ne devra être négligé pour préparer à remplir dignement et fructueusement une telle mission, ceux qu’une vocation divine y appelle.

1 S. Greg. M. Lib. Regulae Past. P. I, c. 1.


   Avant toute chose, il convient de discerner, parmi les jeunes enfants, ceux en qui le Très-Haut a déposé le germe d’une semblable vocation. Nous savons que, dans un certain nombre de diocèses de France, grâce à vos sages recommandations, les prêtres des paroisses, surtout dans les campagnes, s’appliquent avec un zèle et une abnégation que Nous ne saurions trop louer, à commencer eux-mêmes les études élémentaires des enfants dans lesquels ils ont remarqué des dispositions sérieuses à la piété et des aptitudes au travail intellectuel. Les Ecoles presbytérales sont ainsi comme le premier degré de cette échelle ascendante qui, d’abord par les petits, puis par les grands Séminaires, fera monter jusqu’au sacerdoce les jeunes gens auxquels le Sauveur a répété l’appel adressé à Pierre et à André, à Jean et à Jacques : Laissez vos filets ; « suivez-moi ; je veux faire de vous des pêcheurs d’hommes » (
Mt 4,19).



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   Quant aux petits Séminaires, cette très-salutaire institution a été souvent et justement comparée à ces pépinières, où sont mises à part les plantes qui réclament des soins plus spéciaux et plus assidus, moyennant lesquels seuls elles peuvent porter des fruits et dédommager de leurs peines ceux qui s’appliquent à les cultiver. Nous renouvelons à cet égard la recommandation que, dans son Encyclique du 8 décembre 1849, Notre prédécesseur Pie IX adressait aux Evêques. Elle se référait elle-même à une des plus importantes décisions des Pères du S. Concile de Trente. C’est la gloire de l’Eglise de France, dans le siècle présent d’en avoir tenu le plus grand compte, puisqu’il n’est pas un seul des 94 diocèses dont elle se compose, qui ne soit doté d’un ou de plusieurs petits Séminaires.

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   Nous savons, Vénérables Frères, de quelles sollicitudes vous entourez ces institutions si justement chères à votre zèle pastoral, et Nous vous en félicitons. Les prêtres qui, sous votre haute direction, travaillent à la formation de la jeunesse appelée à s’enrôler plus tard dans les rangs de la milice sacerdotale, ne sauraient trop souvent méditer devant Dieu l’importance exceptionnelle de la mission que vous leur confiez. Il ne s’agit pas pour eux, comme pour le commun des maîtres, d’enseigner simplement à ces enfants les éléments des lettres et des sciences humaines. Ce n’est là que la moindre partie de leur tâche. Il faut que leur attention, leur zèle, leur dévouement soient sans cesse en éveil et en action, d’une part, pour étudier continuellement sous le regard et dans la lumière de Dieu, les âmes des enfants et les indices significatifs de leur vocation au service des autels ; de l’autre, pour aider l’inexpérience et la faiblesse de leurs jeunes disciples, à protéger la grâce si précieuse de l’appel divin contre toutes les influences funestes, soit du dehors, soit du dedans. Ils ont donc à remplir un ministère humble, laborieux, délicat, qui exige une constante abnégation. Afin de soutenir leur courage dans l’accomplissement de leurs devoirs, ils auront soin de le retremper aux sources les plus pures de l’esprit de foi. Ils ne perdront jamais de vue, qu’ils n’ont point à préparer pour des fonctions terrestres, si légitimes et honorables soient-elles, les enfants dont ils forment l’intelligence, le coeur, le caractère. L’Eglise les leur confie pour qu’ils deviennent capables un jour d’être des prêtres, c’est-à-dire des missionnaires de l’Evangile, des continuateurs de l’oeuvre de Jésus-Christ, des distributeurs de sa grâce et de ses sacrements. Que cette considération toute surnaturelle se mêle incessamment à leur double action de professeurs et d’éducateurs, et soit comme ce levain qu’il faut mélanger au meilleur froment, suivant la parabole évangélique, pour les transformer en un pain savoureux et substantiel (cf. Mt
Mt 13,33).



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   Si la préoccupation constante d’une première et indispensable formation à l’esprit et aux vertus du sacerdoce doit inspirer les maîtres de vos petits Séminaires dans leurs relations avec leurs élèves, c’est à cette même idée principale et directrice que se rapporteront le plan des études et toute l’économie de la discipline. Nous n’ignorons pas, Vénérables Frères, que, dans une certaine mesure, vous êtes obligés de compter avec les programmes de l’Etat et les conditions mises par lui à l’obtention des grades universitaires, puisque, dans un certain nombre de cas, ces grades sont exigés des prêtres employés soit à la direction des collèges libres, placés sous la tutelle des Evêques ou des Congrégations religieuses, soit à l’enseignement supérieur dans les Facultés catholiques que vous avez si louablement fondées. Il est d’ailleurs d’un intérêt souverain, pour maintenir l’influence du clergé sur la société, qu’il compte dans ses rangs un assez grand nombre de prêtres ne le cédant en rien pour la science, dont les grades sont la constatation officielle, aux maîtres que l’Etat forme pour ses lycées et ses Universités.


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   Toutefois, et après avoir fait à cette exigence des programmes la part qu’imposent les circonstances, il faut que les études des aspirants au sacerdoce demeurent fidèles aux méthodes traditionnelles des siècles passés. Ce sont elles qui ont formé les hommes éminents dont l’Eglise de France est fière à si juste titre, les Pétau, les Thomassin, les Mabillon et tant d’autres, sans parler de votre Bossuet, appelé l’aigle de Meaux, parce que, soit par l’élévation des pensées, soit par la noblesse du langage, son génie plane dans les plus sublimes régions de la science et de l’éloquence chrétienne. Or, c’est l’étude des belles-lettres qui a puissamment aidé ces hommes à devenir de très-vaillants et utiles ouvriers au service de l’Eglise, et les a rendus capables de composer des ouvrages vraiment dignes de passer à la postérité et qui contribuent encore de nos jours à la défense et à la diffusion de la vérité révélée. En effet, c’est le propre des belles-lettres, quand elles sont enseignées par des maîtres chrétiens et habiles, de développer rapidement dans l’âme des jeunes gens tous les germes de vie intellectuelle et morale, en même temps qu’elles contribuent à donner au jugement, de la rectitude et de l’ampleur, et au langage, de l’élégance et de la distinction.

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   Cette considération acquiert une importance spéciale quand il s’agit des littératures grecque et latine, dépositaires des chefs-d’oeuvre de science sacrée que l’Eglise compte à bon droit parmi ses plus précieux trésors. Il y a un demi-siècle, pendant cette période trop courte de véritable liberté, durant laquelle les Evêques de France pouvaient se réunir et concerter les mesures qu’ils estimaient les plus propres à favoriser les progrès de la religion et, du même coup, les plus profitables à la paix publique, plusieurs de vos Conciles provinciaux, Vénérables Frères, recommandèrent de la façon la plus expresse la culture de la langue et de la littérature latines. Vos collègues d’alors déploraient déjà que, dans votre pays, la connaissance du latin tendît à décroître 2.



2 Porro linguam latinam apud nos obsolescere nec quisquam est qui nesciat, et viri prudentes conqueruntur. Discitur tardissime, celerime didiscitur (Litt. Synod. Patrum Conc. Paris. ad clericos et fideles, an. 1849, in Collectio Lacensis, t. IV,
Col 86).



   Si, depuis plusieurs années, les méthodes pédagogiques en vigueur dans les établissements de l’Etat réduisent progressivement l’étude de la langue latine, et suppriment des exercices de prose et de poésie que nos devanciers estimaient à bon droit devoir tenir une grande place dans les classes des collèges, les petits Séminaires se mettront en garde contre ces innovations inspirées par des préoccupations utilitaires, et qui tournent au détriment de la solide formation de l’esprit. A ces anciennes méthodes, tant de fois justifiées par leurs résultats, Nous appliquerions volontiers le mot de S. Paul à son disciple Timothée, et avec l’Apôtre, Nous vous dirions, Vénérables Frères, « Gardez en le dépôt » (1Tm 6,20) avec un soin jaloux. Si un jour, ce qu’à Dieu ne plaise, elles devaient disparaître complètement des autres écoles publiques, que vos petits Séminaires et collèges libres les gardent avec une intelligente et patriotique sollicitude. Vous imiterez ainsi les prêtres de Jérusalem qui, voulant soustraire à de barbares envahisseurs le feu sacré du Temple, le cachèrent de manière à pouvoir le retrouver et à lui rendre toute sa splendeur, quand les mauvais jours seraient passés (cf. 2M 1,19-22).


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   Une fois en possession de la langue latine, qui est comme la clef de la science sacrée, et les facultés de l’esprit suffisamment développées par l’étude des belles-lettres, les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce passent du petit au grand Séminaire. Ils s’y prépareront, par la piété et l’exercice des vertus cléricales, à la réception des saints Ordres, en même temps qu’ils s’y livreront à l’étude de la Philosophie et de la Théologie.

   Nous le disions dans Notre Encyclique Aeterni Patris, dont Nous recommandons de nouveau la lecture attentive à vos séminaristes et à leurs maîtres, et Nous le disions en Nous appuyant sur l’autorité de S. Paul : c’est par les vaines subtilités de la mauvaise philosophie, « per philosophiam et inanem fallaciam » (
Col 2,8), que l’esprit des fidèles se laisse le plus souvent tromper, et que la pureté de la foi se corrompt parmi les hommes. Nous ajoutions, et les événements accomplis depuis vingt ans ont bien tristement confirmé les réflexions et les appréhensions que Nous exprimions alors : « Si l’on fait attention aux conditions critiques du temps où nous vivons, si l’on embrasse par la pensée l’état des affaires tant publiques que privées, on découvrira sans peine que la cause des maux qui nous oppriment, comme de ceux qui nous menacent, consiste en ceci que des opinions erronées sur toutes choses, divines et humaines, des écoles des philosophes se sont peu à peu glissées dans tous les rangs de la société et sont arrivées à se faire accepter d’un grand nombre d’esprits » 3.

3 Encyclique : Aeterni Patris.


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   Nous réprouvons de nouveau ces doctrines qui n’ont de la vraie philosophie que le nom, et qui, ébranlant la base même du savoir humain, conduisent logiquement au scepticisme universel et à l’irréligion. Ce nous est une profonde douleur d’apprendre que, depuis quelques années, des catholiques ont cru pouvoir se mettre à la remorque d’une philosophie qui, sous le spécieux prétexte d’affranchir la raison humaine de toute idée préconçue et de toute illusion, lui dénie le droit de rien affirmer au delà de ses propres opérations, sacrifiant ainsi à un subjectivisme radical toutes les certitudes que la métaphysique traditionnelle, consacrée par l’autorité des plus vigoureux esprits, donnait comme nécessaires et inébranlables fondements à la démonstration de l’existence de Dieu, de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme, et de la réalité objective du monde extérieur. Il est profondément regrettable que ce scepticisme doctrinal, d’importation étrangère et d’origine protestante, ait pu être accueilli avec tant de faveur dans un pays justement célèbre par son amour pour la clarté des idées et pour celle du langage. Nous savons, Vénérables Frères, à quel point vous partagez là-dessus Nos justes préoccupations et Nous comptons que vous redoublerez de sollicitude et de vigilance pour écarter de l’enseignement de vos Séminaires cette fallacieuse et dangereuse philosophie, mettant plus que jamais en honneur les méthodes que Nous recommandions dans Notre Encyclique précitée du 4 août 1879.

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   Moins que jamais, à notre époque, les élèves de vos petits et de vos grands Séminaires ne sauraient demeurer étrangers à l’étude des sciences physiques et naturelles. Il convient donc qu’ils y soient appliqués, mais avec mesure et dans de sages proportions. Il n’est donc nullement nécessaire que, dans les cours de sciences, annexés à l’étude de la philosophie, les professeurs se croient obligés d’exposer en détail les applications presque innombrables des sciences physiques et naturelles aux diverses branches de l’industrie humaine. Il suffit que leurs élèves en connaissent avec précision les grands principes et les conclusions sommaires, afin d’être en état de résoudre les objections que les incrédules tirent de ces sciences contre les enseignements de la Révélation.


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   Par-dessus tout, il importe que, durant deux ans au moins, les élèves de vos grands Séminaires étudient avec un soin assidu la philosophie rationnelle, laquelle, disait un savant bénédictin, l’honneur de son ordre et de la France, D. Mabillon, leur sera d’un si grand secours, non seulement pour leur apprendre à bien raisonner et à porter de justes jugements, mais pour les mettre à même de défendre la foi orthodoxe contre les arguments captieux et souvent sophistiques des adversaires 4.

   Viennent ensuite les sciences sacrées proprement dites, à savoir la Théologie dogmatique et la Théologie morale, l’Ecriture Sainte, l’Histoire ecclésiastique et le Droit Canon. Ce sont là les sciences propres au prêtre. Il en reçoit une première initiation pendant son séjour au grand Séminaire ; il devra en poursuivre l’étude tout le reste de sa vie.

   La Théologie, c’est la science des choses de la foi. Elle s’alimente, nous dit le pape Sixte-Quint, à ces sources toujours jaillissantes qui sont les Saintes Ecritures, les décisions des Papes, les décrets des Conciles 5.

4 De Studiis Monasticis, part. II, c. 9.
5 Const. Apost. Triumphantis Jerusalem.


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   Appelée positive et spéculative, ou scolastique, suivant la méthode qu’on emploie pour l’étudier, la Théologie ne se borne bas à proposer les vérités à croire ; elle en scrute le fond intime, elle en montre les rapports avec la raison humaine, et à l’aide des ressources que lui fournit la vraie philosophie, elle les explique, les développe, et les adapte exactement à tous les besoins de la défense et de la propagation de la foi. A l’instar de Béléséel, à qui le Seigneur avait donné son esprit de sagesse, d’intelligence et de science, en lui confiant la mission de bâtir son Temple, le théologien « taille les pierres précieuses des divins dogmes, les assortit avec art, et par l’encadrement dans lequel il les place, en fait ressortir l’éclat, le charme et la beauté » 6.

   C’est donc avec raison que le même Sixte-Quint appelle cette théologie (et il parle spécialement ici de la théologie scolastique) un don du ciel et demande qu’elle soit maintenue dans les écoles et cultivée avec une grande ardeur, comme étant ce qu’il y a de plus fructueux pour l’Eglise 7.

   Est-il besoin d’ajouter que le livre par excellence où les élèves pourront étudier avec plus de profit la théologie scolastique, est la somme théologique de St. Thomas d’Aquin ? Nous voulons donc que les professeurs aient soin d’en expliquer à tous leurs élèves la méthode, ainsi que les principaux articles relatifs à la foi catholique.



6 Pretiosas divini dogmatis gemmas insculpe, fideliter coapta, adorna sapienter ; adiice splendorem, gratiam, venustatem. (S. Vinc. Lir. Commonit., c. 2.)
7 Même Constitution.



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   Nous recommandons également que tous les Séminaristes aient entre les mains et relisent souvent le livre d’or, connu sous le nom de Catéchisme du St. Concile de Trente ou Catéchisme romain, dédié à tous les prêtres investis de la charge pastorale (Catechismus ad parochos). Remarquable à la fois par la richesse et l’exactitude de la doctrine et par l’élégance du style, ce catéchisme est un précieux abrégé de toute la théologie dogmatique et morale. Qui le posséderait à fond, aurait toujours à sa disposition les ressources à l’aide desquelles un prêtre peut prêcher avec fruit, s’acquitter dignement de l’important ministère de la confession et de la direction des âmes, et être en état de réfuter victorieusement les objections des incrédules.

   Au sujet de l’étude des Saintes Ecritures, Nous appelons de nouveau votre attention, Vénérables Frères, sur les enseignements que Nous avons donnés dans Notre Encyclique Providentissimus Deus 8, dont nous désirons que les professeurs donnent connaissance à leurs disciples, en y ajoutant les explications nécessaires. Ils les mettront spécialement en garde contre des tendances inquiétantes qui cherchent à s’introduire dans l’interprétation de la Bible, et qui, si elles venaient à prévaloir, ne tarderaient pas à en ruiner l’inspiration et le caractère surnaturels. Sous le spécieux prétexte d’enlever aux adversaires de la parole révélée l’usage d’arguments qui semblaient irréfutables contre l’authenticité et la véracité des Livres Saints, des écrivains catholiques ont cru très habile de prendre ces arguments à leur compte. En vertu de cette étrange et périlleuse tactique, ils ont travaillé, de leurs propres mains, à faire des brèches dans les murailles de la cité qu’ils avaient mission de défendre. Dans Notre Encyclique précitée, ainsi que dans un autre document 9, Nous avons fait justice de ces dangereuses témérités. Tout en encourageant nos exégètes à se tenir au courant des progrès de la critique, Nous avons fermement maintenu les principes sanctionnés en cette matière par l’autorité traditionnelle des Pères et des Conciles, et renouvelés de nos jours par le Concile du Vatican.

8 18 novembre 1893.
9 Genus interpretandi audax atque immodice liberum (Lettre au Ministre Général des Frères Mineurs, 25 novembre 1898.)



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   L’histoire de l’Eglise est comme un miroir où resplendit la vie de l’Eglise à travers les siècles. Bien plus encore que l’histoire civile et profane, elle démontre la souveraine liberté de Dieu et son action providentielle sur la marche des événements. Ceux qui l’étudient ne doivent jamais perdre de vue qu’elle renferme un ensemble de faits dogmatiques, qui s’imposent à la foi et qu’il n’est permis à personne de révoquer en doute. Cette idée directrice et surnaturelle qui préside aux destinées de l’Eglise est en même temps le flambeau dont la lumière éclaire son histoire. Toutefois, et parce que l’Eglise, qui continue parmi les hommes la vie du Verbe incarné, se compose d’un élément divin et d’un élément humain, ce dernier doit être exposé par les élèves avec une grande probité. Comme il est dit au livre de Job : « Dieu n’a pas besoin de nos mensonges » (
Jb 13,77) 10.

10 Numquid Deus indiget vestro mendacio ?



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   L’historien de l’Eglise sera d’autant plus fort pour faire ressortir son origine divine, supérieure à tout concept d’ordre purement terrestre et naturel, qu’il aura été plus loyal à ne rien dissimuler des épreuves que les fautes de ses enfants, et parfois même de ses ministres, ont fait subir à cette Epouse du Christ dans le cours des siècles. Etudiée de cette façon, l’histoire de l’Eglise, à elle toute seule, constitue une magnifique et concluante démonstration de la vérité et de la divinité du christianisme.

   Enfin, pour achever le cycle des études par lesquelles les candidats au sacerdoce doivent se préparer à leur futur ministère, il faut mentionner le Droit canonique, ou science des lois et de la jurisprudence de l’Eglise. Cette science se rattache par des liens très-intimes et très-logiques à celle de la Théologie, dont elle montre les applications pratiques à tout ce qui concerne le gouvernement de l’Eglise, la dispensation des choses saintes, les droits et les devoirs de ses ministres, l’usage des biens temporels, dont elle a besoin pour l’accomplissement de sa mission. « Sans la connaissance du Droit canonique (disaient fort bien les Pères d’un de vos conciles provinciaux), la théologie est imparfaite, incomplète, semblable à un homme qui serait privé d’un bras. C’est l’ignorance du droit canon qui a favorisé la naissance et la diffusion de nombreuses erreurs sur les droits des Pontifes Romains, sur ceux des évêques et sur la puissance que l’Eglise tient de sa propre constitution, dont elle proportionne l’exercice aux circonstances 11.

11 Theologicarum doctrinarum solidae scientiae conjungi debet Sacrorum Canonum cognitio ... sine qua theologia erit imperfecta et quasi manca, nec non multi errores de Romani Pontificis, episcoporum iuribus ac praesertim de potestate quam Ecclesia iure proprio exercuit, pro varietate temporum, forsitan serpent et paulatim invalescent (Conc. prov. Bitur. a. 1868).



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   Nous résumerons tout ce que Nous venons de dire sur vos petits et vos grands Séminaires par cette parole de S. Paul, que Nous recommandons à la fréquente méditation des maîtres et des élèves de vos athénées ecclésiastiques : « O Timothée, gardez avec soin le dépôt qui vous a été confié. Fuyez les profanes nouveautés de paroles et les objections qui se couvrent du faux nom de science ; car tous ceux qui en ont fait profession ont erré au sujet de la foi (
1Tm 6,20-21) 12. ”

12 O Timothee, depositum custodi, devitans profanas vocum novitates, et oppositiones falsi nominis scientiae, quam quidam promittentes, circa fidem exciderunt.


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   C’est à vous maintenant, très-chers Fils, qui, ordonnés prêtres, êtes devenus les coopérateurs de vos Evêques, c’est à vous que Nous voulons adresser la parole. Nous connaissons, et le monde entier connaît comme Nous, les qualités qui vous distinguent. Pas une bonne oeuvre dont vous ne soyez ou les inspirateurs ou les apôtres. Dociles aux conseils que Nous avons donnés dans Notre Encyclique Rerum Novarum, vous allez au peuple, aux ouvriers, aux pauvres. Vous cherchez par tous les moyens à leur venir en aide, à les moraliser et à rendre leur sort moins dur. Dans ce but, vous provoquez des réunions et des congrès ; vous fondez des patronages, des cercles, des caisses rurales, des bureaux d’assistance et de placement pour les travailleurs. Vous vous ingéniez à introduire des réformes dans l’ordre économique et social, et, pour un si difficile labeur, vous n’hésitez pas à faire de notables sacrifices de temps et d’argent. C’est encore pour cela que vous écrivez des livres ou des articles dans les journaux et les revues périodiques. Toutes ces choses, en elles-mêmes, sont très-louables, et vous y donnez des preuves non équivoques de bon vouloir, d’intelligent et généreux dévouement aux besoins les plus pressants de la société contemporaine et des âmes.

   Toutefois, très-chers Fils, Nous croyons devoir appeler paternellement votre attention sur quelques principes fondamentaux, auxquels vous ne manquerez pas de vous conformer, si vous voulez que votre action soit réellement fructueuse et féconde.

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   Souvenez-vous avant toute chose que, pour être profitable au bien et digne d’être loué, le zèle doit être « accompagné de discrétion, de rectitude et de pureté ». Ainsi s’exprime le grave et judicieux Thomas a Kempis 13. Avant lui, saint Bernard, la gloire de votre pays au douzième siècle, cet apôtre infatigable de toutes les grandes causes qui touchaient à l’honneur de Dieu, aux droits de l’Eglise, au bien des âmes, n’avait pas craint de dire que, « séparé de la science, et de l’esprit de discernement ou de discrétion, le zèle est insupportable : ... que plus le zèle est ardent, plus il est nécessaire qu’il soit accompagné de cette discrétion qui met l’ordre dans l’exercice de la charité et sans laquelle la vertu elle-même peut devenir un défaut et un principe de désordre » 14.



13 Zelus animarum laudandus est si sit discretus, rectus et purus.

14 Importabilis siquidem absque scientia est zelus ... Quo igitur zelus fervidior ac vehementior spiritus, profusiorque charitas, eo vigulantiori opus scientia est quae zelum supprimat, spiritum temperet, ordinet charitatem ... Tolle hanc (discretionem) et virtus vitium erit, ipsaque affectio naturalis in perturbationem magis convertetur exterminiumque naturae (S. Bern. Serm. XLIX in
Ct 5)


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   Mais la discrétion dans les oeuvres et dans le choix des moyens pour les faire réussir est d’autant plus indispensable que les temps présents sont plus troublés et hérissés de difficultés plus nombreuses. Tel acte, telle mesure, telle pratique de zèle pourront être excellents en eux-mêmes, lesquels, vu les circonstances, ne produiront que des résultats fâcheux. Les prêtres éviteront cet inconvénient et ce malheur si, avant d’agir et dans l’action, ils ont soin de se conformer à l’ordre établi et aux règles de la discipline. Or, la discipline ecclésiastique exige l’union entre les divers membres de la hiérarchie, le respect et l’obéissance des inférieurs à l’égard des supérieurs. Nous le disions naguère dans Nos lettres à l’Archevêque de Tours : « L’édifice de l’Eglise, dont Dieu lui-même est l’architecte, repose sur un très visible fondement, d’abord sur l’autorité de Pierre et de ses Successeurs, mais aussi sur les Apôtres, et les Successeurs des Apôtres, qui sont les Evêques ; de telle sorte que, écouter leur voix ou la mépriser, équivaut à écouter ou à mépriser Jésus-Christ lui-même » 15.

   Ecoutez donc les paroles adressées par le grand martyr d’Antioche, St. Ignace, au clergé de l’Eglise primitive : « Que tous obéissent à leur Evêque, comme Jésus-Christ a obéi à son Père. Ne faites en dehors de votre Evêque rien de ce qui touche au service de l’Eglise, et de même que Notre Seigneur n’a rien fait que dans une étroite union avec son Père, vous, prêtres, ne faites rien sans votre Evêque. Que tous les membres du corps presbytéral lui soient unis, de même que sont unies à la harpe toutes les cordes de l’instrument » 16.

15 Divinum quippe aedificium, quod est ecclesia, verissime nititur in fundamento conspicuo, primum quidem in Petro et Successoribus eius, proxime in Apostolis et Successoribus eorum, Episcopis, quos, qui audit vel spernit, is perinde facit ac si audiat vel spernat Christum Dominum (Epist ad arch. Turon).
16 Omnes episcopum sequimini ut Christus Jesus Patrem ... Sine episcopo nemo quidquam faciat eorum quae ad Ecclesiam spectant (S. Ign. Ant. Ep. Smyrn. 8). Quemadmodum itaque dominus sine Patre nihil fecit ... sic et vos sine episcopo (idem ad magn., VII). Vestrum presbyterium ita coaptatum sit episcopo ut chordae citharae (idem ad Ephes., IV).



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   Si, au contraire, vous agissiez, comme prêtres, en dehors de cette soumission et de cette union à vos évêques, Nous vous répéterions ce que disait Notre prédécesseur Grégoire XVI, à savoir que, « autant qu’il dépend de votre pouvoir, vous détruisez de fond en comble l’ordre établi avec une si sage prévoyance par Dieu, auteur de 1’Eglise » 17.

   Souvenez-vous encore, Nos chers Fils, que l’Eglise est avec raison comparée à une armée rangée en bataille, sicut castrorum acies ordinata (
Ct 6,3), parce qu’elle a pour mission de combattre les ennemis visibles et invisibles de Dieu et des âmes. Voilà pourquoi saint Paul recommandait à Timothée de se comporter « comme un bon soldat du Christ Jésus (2Tm 2,3) ». Or, ce qui fait la force d’une armée et contribue le plus à la victoire, c’est la discipline, c’est l’obéissance exacte et rigoureuse de tous, à ceux qui ont la charge de commander.



17 Quantum in vobis est, ordinem ab auctore Ecclesiae Deo providentissime constitutum, funditus evertitis (Greg. xvi. Epist. Encycl., 15 aug. 1832).



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