Discours 1970 65


AUX DÉLÉGUÉS DES CONFÉRENCES ÉPISCOPALES POUR LA PASTORALE DU TOURISME

Samedi 7 novembre



LE PAPE EVOQUE LES PROBLEMES DU TOURISME ET LEURS IMPLICATIONS PASTORALES





Frères bien aimés et chers fils !



C'est avec grand plaisir que Nous recevons ce matin les Délégués des Conférences épiscopales pour la pastorale du tourisme. Votre symposium se situe en effet dans le cadre de cette « Commission pontificale pour la pastorale de l’émigration et du tourisme », que Nous avons tenu récemment à créer, près de la Congrégation pour les Evêques (Motu Proprio Apostolicae caritatis, du 19 mars 1970, AAP, vol. LXII, p. 193), comme correspondant à un besoin particulier de notre temps. Sans empiéter sur les dispositions concrètes que les Conférences épiscopales nationales mettent en oeuvre avec tant de zèle, Nous avons voulu cet organisme de collaboration pour traiter avec celles-ci de toutes les questions pastorales relatives à ceux qui, de nos jours, sont de plus en plus nombreux à se déplacer (cf. ibid., n. 2).

Le caractère vraiment international de votre groupe manifeste bien l'universalité, l'ampleur et l'urgence des problèmes posés par le mouvement de ces centaines de millions de touristes, qui passent d'une région, d'un pays ou d'un continent à l'autre, pour des raisons de détente, de culture ou d'affaires. Il vous revient d'étudier ensemble toutes les données de ce qui est devenu un véritable événement social, d'en découvrir les répercussions qu'il entraîne sur les touristes comme sur les personnes qui les accueillent et d’oeuvrer ensemble pour que le zèle inventif des pasteurs saisisse à bon escient ces occasions nouvelles d'annoncer la parole de Dieu. Bien des mutations sont à prévoir, surtout dans les régions en voie de développement, qui connaissent l'afflux des touristes. Pour les uns comme pour les autres, c'est une épreuve et une chance : le risque d'un abandon des meilleures traditions, de conditions de travail irrégulières, de comparaisons traumatisantes ; mais aussi de nouvelles possibilités d'éducation, d'élévation sociale, de dialogue fraternel, de compréhension mutuelle, d'ouverture à d'autres civilisations et cultures. Ayons assez d'imagination créatrice, d'audace apostolique et d'espérance pour faire face à ce phénomène de masse, afin que, avec la grâce de Dieu, ces migrations de plus en plus complexes et importantes deviennent la source d'une fraternité nouvelle entre les hommes et d'un témoignage évangélique élargi aux dimensions du monde.

La pastorale doit en effet s'adapter à cette dynamique de la vie moderne. L'Instruction de la Congrégation des Evêques sur la pastorale des migrants (22 août 1969, AAS, vol. LXI, p. 614) avait souligné la responsabilité première des Eglises d'accueil, mais celles-ci ne pourront répondre à des besoins sans cesse croissants et diversifiés qu'en s'assurant des collaborations de plus en plus larges et qualifiées. Il y va de la présence de l'Eglise au sein de ces masses mouvantes. Toutes les communautés chrétiennes doivent donc se sentir concernées. Concrètement, de multiples possibilités pastorales s'ouvrent devant nous : il faut mettre à la disposition des migrants au moins durant les temps forts du tourisme, un clergé préparé à cette tâche ; aménager des lieux de culte facilement abordables ; s'employer à ce que, dans l'accueil comme dans la prédication, le catholique se sente partout chez lui, reçu comme un enfant de Dieu dans une communauté de frères ; promouvoir des centres de rencontre, d'échange, de dialogue et d'activité qui permettent aux loisirs d'être féconds en même temps que reposants ; assurer aux laïcs chrétiens une solide formation personnelle, pour qu'ils soient des témoins et des « messagers itinérants du Christ » (Apostolicam actuositatem, AA 14), selon l'un des thèmes de votre symposium ; s'appuyer sur la responsabilité des mouvements d'action catholique dont les militants auraient beaucoup à faire dans l'animation spirituelle des centres de tourisme ; accorder un soin particulier à ce qu'on pourrait appeler le tourisme religieux, la visite des sanctuaires qui pourrait et devrait être l'occasion providentielle d'une découverte de l'Eglise à travers le riche patrimoine artistique suscité au cours de son histoire bimillénaire. C'est dire quel champ illimité s'ouvre au zèle des pasteurs : à vous de réfléchir aux initiatives à prendre et à soutenir, à vous de mettre en commun vos expériences et vos suggestions, à vous de sensibiliser vos pays respectifs à ces graves problèmes, et de vous concerter sur les grandes lignes d'une pastorale commune. Sans doute, la mise en oeuvre sera longue, les difficultés nombreuses et vos moyens limités. Mais, comme l'apôtre, « l'amour du Christ nous presse » — (2Co 5,14) et nous pousse sur tous les chemins de l'apostolat à proclamer la Bonne Nouvelle de l'Evangile et à ne laisser aucun groupe de brebis sans pasteur (cf. Mt Mt 9,36). C'est dans ces sentiments que Nous vous assurons de nos paternels encouragements, et vous donnons de grand coeur une particulière Bénédiction Apostolique.


À L’EMPEREUR D’ETHIOPIE EN VISITE OFFICIELLE*

Lundi 9 novembre 1970




Majesté,

Nous vous remercions vivement des paroles si nobles et si élevées que vous venez de prononcer. Si Votre Majesté veut bien manifester sa satisfaction de se trouver ici, Nous pouvons l’assurer que c’est pour Nous une vraie joie de lui souhaiter la bienvenue dans Notre demeure. Il y a longtemps, Majesté - Nous le disons dans la sincérité de Notre coeur - que Nous attendions votre visite. Et c’est pourquoi Nous nous étions permis, lors de Notre entrevue à Genève l’an dernier, de formuler personnellement devant vous l’espoir de vous revoir ici.
Votre présence est en effet significative à bien des égards. D’abord parce que l’Ethiopie a des liens anciens et très particuliers avec le Saint-Siège. La fondation du monastère et de l’église de Saint Etienne des Abyssins, au chevet de la basilique vaticane, remonte bien haut dans les annales de la Rome chrétienne. Et par le fait de sa fidélité à une longue tradition, l’Ethiopie se trouve être aujourd’hui la seule nation du monde à posséder un collège ecclésiastique sur le territoire de la Cité du Vatican.
66 C’est en effet par la volonté de Pie XI que, lors de la constitution en Etat indépendant du petit territoire délimité par les Accords du Latran, cette communauté reçut, sur la colline vaticane, un siège moderne et digne de votre patrie: le Collège éthiopien d’aujourd’hui.

A Pie XII son successeur était réservée la satisfaction d’accueillir un représentant permanent de votre Pays auprès du Saint-Siège. Lui-même voulut se faire représenter à Addis-Abéba en 1955, lors du vingt-cinquième anniversaire du Couronnement de Votre Majesté.
Tout récemment enfin, le Représentant de l’Ethiopie auprès du Saint-Siège assumait le rang d’Ambassadeur, tandis que l’Internonciature Apostolique à Addis-Abéba était élevée au rang de Nonciature. C’est assez dire l’ancienneté et la solidité des liens qui unissent votre Patrie au Saint-Siège. Mais Nous manquerions à la vérité si Nous ne faisions par ici une mention explicite de ce que Votre Majesté personnellement a fait et continue à faire en faveur de l’Eglise catholique et de ses institutions. Nous savons en particulier avec quelle générosité elle s’est intéressée au sort de l’université d’Asmara et de tant d’autres fondations catholiques à but religieux ou éducatif. Cette bienveillance active de Votre Majesté appelle de Notre part un sentiment de vive gratitude, auquel Nous sommes heureux de donner ici expression. C’est pour Nous la précieuse garantie d’une cordialité toujours croissante entre l’Autorité civile et la Hiérarchie catholique en Ethiopie. C’est aussi, pour les catholiques éthiopiens, une assurance pour la solution de questions qui leur tiennent à coeur, spécialement le rapprochement avec l’Eglise éthiopienne.

La sollicitude de Votre Majesté va bien au-delà des frontières de son Pays. Elle rejoint la Nôtre sur un terrain qui intéresse aujourd’hui de façon dramatique l’humanité tout entière: la grande cause de la paix entre les nations et de l’accélération du développement dans les pays du Tiers-Monde. Qu’il Nous soit permis de rendre hommage ici publiquement, puisque l’occasion nous en est donnée, à la contribution apportée par Votre Majesté en mainte circonstance à cette double cause. Votre Majesté a montré combien elle est sensible au rôle des valeurs morales et spirituelles dans un monde où la force brutale semble parfois menacer de vouloir tout submerger.
Dieu veuille bénir les efforts de Votre Majesté en ce domaine et lui accorder, au lendemain du quarantième anniversaire de son Couronnement, l’occasion de déployer encore longtemps ses énergies au service de son Pays qui, dans le respect des droits de l’homme et la compréhension entre les peuples qui le composent, trouvera les chemins du progrès et de la tranquillité. C’est le voeu que Nous formons de tout coeur, en remerciant à nouveau Votre Majesté de sa visite, qui Nous honore, et en invoquant sur sa Personne, sur la famille Impériale, sur les Autorités religieuses et civiles de son Pays et sur toute la chère nation éthiopienne, les plus abondantes Bénédictions Divines.



*AAS 62 (1970), p.773-774.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. VIII, p.1120-1122.

L’Attività della Santa Sede 1970, p.495-497.

L’Osservatore Romano, 9-10.11.1970, p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.46 p.1, 11.





À L’AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE DE YOUGOSLAVIE PRÈS LE SAINT-SIÈGE*


Jeudi 12 novembre 1970

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Monsieur l’Ambassadeur,


Nous accueillons avec un plaisir particulier les lettres de créance que vous venez de remettre entre Nos mains, et Nous vous remercions cordialement des nobles paroles que vous avez prononcées à cette occasion.
L’événement qui se déroule en cet istant revêt une signification qui mérite d’être soulignée. Un Etat comme la nouvelle Yougoslavie accrédite aujourd’hui un Ambassadeur auprès du Saint-Siège. Il est permis de voir là ce que Notre vénéré Prédécesseur Jean XXIII eût appelé volontiers un «signe des temps»: un signe qui doit être médité, car il comporte un enseignement d’une haute portée.
Il prouve en effet qu’à partir du moment où, à travers un accord ou dans la réalité des faits, sont appliqués certains principes fondamentaux comme l’acceptation des compétences respectives de l’Autorité spirituelle et de l’Autorité temporelle, des rapports de respect mutuel peuvent s’établir entre l’Eglise et l’Etat. Rien ne s’oppose dès lors à ce que cette situation soit affermie per l’établissement de relations diplomatiques régulières avec le Saint-Siège.

L’Eglise ne demande pas des situations de privilège. Elle demande seulement que, dans le respect des fonctions, des fins et des prérogatives propres à l’Etat, elle puisse exercer en plénitude sa mission religieuse et spirituelle. Par l’exercice de cette mission, elle entend contribuer aussi à l’« épanouissement général de l’homme en tant que personne libre », qui figure parmi les principes énoncés dans la Constitution de votre Pays. Et c’est justement dans la mesure où l’Eglise peut exercer pleinement sa mission, qu’il lui devient possible, comme l’histoire l’a montré, de collaborer dès lors fructueusement avec les Gouvernements dans le domaine des grands intérêts humains d’un temps comme le nôtre: la défense de la paix, le désarmement, le développement, l’élimination des luttes raciales et des nationalismes exacerbés et leur remplacement par une fructueuse collaboration internationale. Objectifs, Votre Excellence l’a relevé, qui retiennent à la fois l’attention vigilante de l’Eglise Catholique et l’intérêt actif des peuples et du Gouvernement de Yougoslavie.

L’établissement de ces relations - Votre Excellence l’a relevé aussi fort à propos - a été le fruit d’un long travail de maturation, qui a permis de mesurer soigneusement les possibilités et les limites d’un accord pouvant servir de base solide et durable à l’instauration de ces rapports officiels. Ceux-ci une fois établis, il devient désormais possible de les perfectionner: c’est ce que Nous souhaitons et espérons pour le plus grand bien des populations yougoslaves. Nous Nous félicitons de voir que la très digne personne qui, en sa qualité d’Envoyé du Gouvernement Yougoslave, a suivi, au nom de son Pays, depuis le moment du Protocole, cette maturation dont Nous recueillons aujourd’hui le fruit, est aussi celle qui reçoit en ce jour, avec le titre d’Ambassadeur, la charge de veiller à l’exercice des relations inaugurées. Notre appui ne vous manquera pas, Monsieur l’ambassadeur, dans l’accomplissement de vos fonctions, Nous vous en donnons bien volontiers l’assurance. Et tandis que Nous vous prions de vouloir bien interpréter Nos sentiments déférents auprès du Président de la République, Nous invoquons de grand coeur sur votre personne, sur votre mission et sur toutes les populations de votre chère Patrie, la protection du Dieu Tout-Puissant.

*AAS 62 (1970), p.775-776.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. VIII, p.1130-1131.

L’Attività della Santa Sede 1970, p.504-505.

L’Osservatore Romano, 13.11.1970, p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.47 p.5.

68 La Documentation catholique, n.1576 p.1104.



À L'OCCASION DU 25ème ANNIVERSAIRE DE LA F.A.O.*
Lundi 16 novembre



POUR UNE ECONOMIE DE SERVICE ET DE FRATERNITE QUI ELIMINE LE SCANDALE DE LA FAIM ET DE LA MISERE





Visite à la conférence de la F.A.O.



Monsieur le Président, Monsieur le Directeur général, Messieurs,



C'est pour Nous une joie profonde — un honneur aussi — de venir porter à notre tour à cette tribune la dette de gratitude et le cri d'angoisse et d'espérance de millions d'hommes, en ce vingt-cinquième anniversaire de la FAO. Quel chemin parcouru depuis ce lointain 16 octobre 1945 où les représentants de quarante-quatre Etats étaient invités à signer l'acte constitutif de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Les historiens relèveront les réalisations remarquables accomplies par la FAO, son rayonnement progressif, son dynamisme constant, la hardiesse de ses vues, la variété et l'ampleur de son action — car « elle est avant tout une institution faite pour agir » (cf. FAO, son rôle, sa structure, ses activités, Rome, Publ. FAO 1970) — le courage de ses pionniers, l'amour de l'homme enfin et le sens de la fraternité universelle qui sont les moteurs de ses entreprises. Ils souligneront aussi l'extraordinaire défi qui vous est lancé aujourd'hui : au fur et à mesure que vos efforts progressent et s'organisent, les hommes se multiplient, la misère de beaucoup s'accroît, et, tandis qu'un petit nombre regorge de ressources sans cesse croissantes et diversifiées, une portion toujours plus considérable de l'humanité continue d'avoir faim de pain et d'éducation, d'avoir soif de dignité. La première décennie du développement, il serait vain de se le dissimuler, a été marquée par un certain désenchantement de l'opinion publique devant des espérances frustrées : faudrait-il donc, comme Sisyphe, se fatiguer de rouler le rocher, et se laisser aller au désespoir ?

2. Un tel mot ne saurait être prononcé dans cette enceinte, en cette réunion d'hommes tournés vers l'avenir pour l'aménager au service des hommes, quels que soient les obstacles, qui se dressent sur le chemin. Notre prédécesseur le Pape Pie XII, au reste, dès sa première rencontre avec la FAO, louait hautement l'ampleur de vues « de votre institution spécialisée pour l'alimentation et l'agriculture, la largeur d'âme qui en caractérise l'économie et l'application, la sagesse enfin et la méthode avisée qui président à sa réalisation » (cf. Allocution du 21 février 1948, Discorsi e Radiomessaggi di S. S. Pio XII, t. IX, Tipografia Poliglotta Vaticana, p. 461). Son successeur le bon Pape Jean XXIII saisirait à son tour chaque occasion de vous exprimer sa sincère estime (cf. en particulier, Encyclique Mater et Magistra, MM 15 mai 1961, AAS, 53, 1961, p. 439). Quant à Nous, Nous avons d'abord connu l'Institut international d'agriculture dans sa modeste résidence de la villa Borghese, avant de voir la FAO « parcourir tout le chemin qui l'a conduite aux magnifiques développements qu'elle connaît aujourd'hui » (cf. Allocution du ,23 novembre 1963 à la 12e Conférence internationale de la FAO : Insegnamenti di Paolo VI, t. I, Tip. Pol. Vaticana 1963, p. 343 ; cf. Documentation catholique, t. 61, Paris 1964, Col 19). Nous n'avons cessé depuis lors de suivre avec sympathie vos initiatives généreuses et désintéressées, en particulier la campagne contre la faim, de rendre hommage à votre activité polyvalente et d'appeler les catholiques du monde entier à y collaborer généreusement, en union avec tous les hommes de bonne volonté (cf. en particulier, Encyclique Populorum Progressio, PP 26 mars 1967, n. 46, AAS, 59, 1967, p. 280). Aujourd'hui, Nous sommes heureux de venir au siège de votre Organisation, sur le territoire même de notre diocèse de Rome, et de rendre ainsi à la FAO les si nombreuses visites faites au Vatican par les participants à vos sessions de travail.

Comment l'Eglise, soucieuse du véritable bien des hommes, pourrait-elle en effet se désintéresser d'une action aussi visiblement dirigée comme la vôtre vers le soulagement des plus grandes détresses et engagée dans un combat sans merci pour donner à chaque homme de quoi manger pour vivre, ce qui s'appelle vivre une véritable vie d'homme, capable, par son travail, d'assurer la subsistance des siens, et apte, par son intelligence, à participer au bien commun de la société, par un engagement librement consenti et une activité volontairement assumée ? (cf. par exemple, R. P. L.-J. lebret, O.P., Développement - Révolution solidaire, Paris, Editions Ouvrières 1967). C'est à ce plan supérieur que l'Eglise entend vous apporter son adhésion désintéressée pour l'oeuvre grandiose et complexe que vous réalisez : stimuler une action internationale pour fournir à chacun les aliments dont il a besoin, tant en quantité qu'en qualité, et faire ainsi progressivement reculer, avec la famine, la sous-alimentation et la malnutrition (cf. par exemple, castro, Le livre noir de la faim, Paris, Ed. Ouvrières 1961), éliminer la cause de mainte épidémie, préparer une main-d'oeuvre qualifiée et lui procurer les emplois nécessaires, afin que la croissance économique s'accompagne de ce progrès social sans lequel il n'est pas de véritable développement.

Utilisation plus rationnelle des ressources physiques de base





3. Ces buts que Nous approuvons de tout coeur, par quelles méthodes entendez-vous les atteindre ? L'étude passionnante, Nous pouvons bien le dire, des nombreux dossiers qui Nous ont été remis sur votre activité multiforme, Nous a révélé la prodigieuse et croissante complexité de votre effort organisé à l'échelle du monde entier. Une utilisation plus rationnelle des ressources physiques de base, une exploitation mieux conçue des terres et des eaux, des forêts et des océans, une productivité accrue des cultures, de l'élevage, de la pêche, fournissent certes des denrées en plus grande quantité et de meilleure qualité. Mais tout aussitôt les besoins alimentaires augmentent, sous la double pression d'une montée démographique parfois galopante et d'une consommation dont la courbe suit la progression des revenus. L'amélioration de la fertilité des sols, l'aménagement rationnel de l'irrigation, le remembrement des parcelles de terrain, la mise en valeur des marécages, l'effort de sélection végétale, l'introduction de variétés de céréales à haut rendement semblent presque accomplir la prévision de l'ancien prophète des temps agraires : « Le désert refleurira » (cf. Is Is 35,1). Mais la mise en oeuvre de ces possibilités techniques à un rythme accéléré ne va pas sans retentir dangereusement sur l'équilibre de notre milieu naturel, et la détérioration progressive de ce qu'il est convenu d'appeler l'environnement risque, sous l'effet des retombées de la civilisation industrielle, de conduire à une véritable catastrophe écologique. Déjà nous voyons se vicier l'air que nous respirons, se dégrader l'eau que nous buvons, se polluer les rivières, les lacs, voire les océans, jusqu'à faire craindre une véritable « mort biologique » dans un avenir rapproché, si des mesures énergiques ne sont sans retard courageusement adoptées et sévèrement mises en oeuvre. Perspective redoutable qu'il vous appartient d'explorer avec soin, pour éviter l'engloutissement du fruit de millions d'années de sélection naturelle et humaine (cf. Cérès, Revue FAO, vol. 3, n. 3, Rome mai-juin 1970 : Environnement : les raisons de l’alarme). Bref, tout se tient, et il vous faut être attentifs aux conséquences à grande échelle qu'entraîné toute intervention de l'homme dans l'équilibre de la nature mise dans sa richesse harmonieuse à la disposition de l'homme, selon le dessein d'amour du Créateur (cf. par exemple, Ps 64,10-14).

4. Ces problèmes vous sont certes familiers, Nous n'avons voulu les évoquer brièvement devant vous que pour mieux souligner l'urgence et la nécessité d'un changement presque radical dans le comportement de l'humanité, si elle veut assurer sa survie. Il a fallu des millénaires à l'homme pour apprendre à dominer la nature, « à soumettre la terre » selon le mot inspiré du premier livre de la Bible (cf. Gn Gn 1,28). L'heure est maintenant venue pour lui de dominer sa domination, et cette entreprise nécessaire ne lui demande pas moins de courage et d'intrépidité que la conquête de la nature. La prodigieuse maîtrise progressive de la vie végétale, animale, humaine, la découverte des secrets même de la matière aboutiraient-elles à l'antimatière, et à l'explosion de la mort ? En cette heure décisive de son histoire, l'humanité oscille, incertaine, entre la crainte et l'espoir. Qui ne le voit désormais ? Les progrès scientifiques les plus extraordinaires, les prouesses techniques les plus étonnantes, la croissance économique la plus prodigieuse, si elles ne s'accompagnent d'un authentique progrès social et moral, se retournent en définitive contre l'homme.

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Jamais plus les uns contre les autres





5. Le bonheur est entre nos mains, mais il faut vouloir le construire ensemble, les uns pour les autres, les uns avec les autres, et jamais plus les uns contre les autres. Par delà les réalisations magnifiques de ces vingt-cinq années d'activités, n'est-ce pas l'acquisition essentielle de votre Organisation : la prise de conscience, par les peuples et leurs gouvernements, de la solidarité internationale ? N'êtes-vous pas, parfois sans le savoir, les héritiers de la compassion du Christ devant l'humanité en détresse : « J'ai pitié de cette foule » ? (cf. Mt
Mt 15,32). Ne constituez-vous pas, par votre seule existence, un puissant démenti à la pensée désabusée de la sagesse antique : « Homo homini lupus » ? (cf. plaute, Asinaria, II, 4, 88). Non, l'homme n'est pas un loup pour l'homme, il est son frère, son frère compatissant et bienfaisant. Jamais, au long des millénaires de l'émouvante aventure humaine, tant de peuples, tant d'hommes n'avaient délégué tant de représentants, avec une seule mission : aider les hommes, tous les hommes, à vivre, à survivre. C'est là pour Nous, au milieu de tant de menaces qui pèsent sur le monde, un des meilleurs motifs d'espoir. Ceux qui porteront en l'an 2000 la responsabilité du destin de la grande famille humaine, naissent dans un monde qui a, tant bien que mal, découvert son interdépendance, sa solidarité dans le bien comme dans le mal, son devoir de s'unir, pour ne pas périr, bref « d'oeuvrer ensemble pour édifier l'avenir commun de l'humanité » (cf. appel à Bombay, LE 3 décembre 1964, AAS 57, 1965, p. 132 ; repris par Populorum Progressio), n. 43, AAS, 59, 1967, pp. 278-279). Puisse un jour prochain votre cercle de famille s'élargir, et les peuples qui manquent encore au rendez-vous s'asseoir eux aussi à votre table, pour que les hommes, enfin, contribuent, tous ensemble, à ce même but désintéressé.

Multiplier le pain partagé plutôt que de diminuer le nombre des convives





6. Certes la tentation est grande, devant les difficultés à surmonter, de s'employer avec autorité à diminuer le nombre des convives plutôt qu'à multiplier le pain partagé. Nous n'ignorons rien des opinions qui, dans les organismes internationaux, prônent un contrôle des naissances planifié, de nature, croit-on, à apporter une solution radicale aux problèmes des pays en voie de développement.

Nous le répétons aujourd'hui : l'Eglise, pour sa part, en tout domaine de l'agir humain, invite au progrès scientifique et technique, mais en revendiquant toujours le respect des droits inviolables de la personne humaine, dont les pouvoirs publics sont au premier chef les garants. Fermement opposée à un contrôle des naissances, qui, selon la juste expression de notre vénéré prédécesseur, le pape Jean XIII, se ferait par « des méthodes et des moyens qui sont indignes de l'homme » (cf. Mater et Magistra, AAS, 53, 1961, p. 447), l'Eglise appelle tous les responsables à oeuvrer avec audace et générosité pour un développement intégral et solidaire, qui, parmi d'autres effets, favorisera sans nul doute une maîtrise raisonnée de la natalité par des couples devenus capables d'assumer librement leur destin (cf., par exemple, J.-M. albertini, Famine, contrôle des naissances et responsabilités internationales, dans Economie et Humanisme, n. 171, Lyon 1966, p. 1-10 ; P. praverdand, Les Pays nantis et la limitation des naissances dans le Tiers-Monde, dans Développement et Civilisation, 39-40, Paris 1970, p. 1-40). Quant à vous, c'est l'homme que vous secourez, c'est l'homme que vous soutenez. Comment pourriez-vous jamais agir contre lui, puisque vous n'existez que par lui et pour lui, et ne pouvez réussir qu'avec lui ?

7. C'est en effet l'une des constantes les mieux assurées de votre action : les plus belles réalisations techniques comme les plus grands progrès économiques sont impuissants à provoquer par eux-mêmes le développement d'un peuple. Pour nécessaires qu'ils soient, le plan et l'argent ne suffisent pas. Leur apport indispensable, comme celui des techniques qu'ils mettent en oeuvre, demeurerait stérile, s'il n'était fécondé par la confiance des hommes, et leur conviction progressivement établie qu'ils peuvent peu à peu sortir de leur condition misérable par un travail dont la possibilité leur est fournie, avec des moyens à leur portée ; l'évidence immédiate des résultats suscite, avec une légitime satisfaction, l'engagement décisif dans la grande oeuvre du développement. En définitive, si l'on ne peut à long terme rien faire sans l'homme, on peut, avec lui, tout entreprendre et tout réussir, tant il est vrai que ce sont d'abord l'esprit et le coeur qui remportent les vraies victoires. Dès lors que les intéressés ont la volonté d'améliorer leur sort, qu'ils ne doutent pas de leur capacité d'y parvenir, ils se donnent à cette grande cause, avec tous les trésors d'intelligence et de courage, toutes les vertus d'abnégation et de sacrifice, tous les efforts de persévérance et d'entraide dont ils sont capables.

Galvaniser les énergies des jeunes





8. Les jeunes en particulier sont les premiers à se donner avec tout l'enthousiasme et l'ardeur de leur âge à une entreprise qui est à la mesure de leurs forces et de leur générosité. Jeunes des pays riches qui s'ennuient faute d'un idéal digne de susciter leur adhésion et de galvaniser leurs énergies, jeunes des pays pauvres qui désespèrent de ne pouvoir oeuvrer d'une manière utile, faute de connaissances adaptées et de la formation professionnelle requise : nul doute que la conjonction de ces forces juvéniles ne soit de nature à changer l'avenir du monde, si les adultes que nous sommes savent les préparer à ce grand oeuvre, leur en montrer l'enjeu, leur fournir les moyens de s'y consacrer avec succès. N'y a-t-il pas là un projet de nature à susciter l'adhésion unanime de tous les jeunes, riches et pauvres, à transformer leurs mentalités, à surmonter les antagonismes entre les peuples, à remédier aux divisions stériles, à réaliser enfin l'instauration d'un monde nouveau, fraternel, solidaire dans l'effort, parce qu'uni dans la poursuite d'un même idéal : une terre féconde pour tous les hommes ?

9. Il y faudrait, certes, beaucoup d'argent. Mais le monde comprendra-t-il, enfin, qu'il y va de son avenir ? « Quand tant de peuples ont faim, quand tant de foyers souffrent de la misère, quand tant d'hommes demeurent plongés dans l'ignorance, quand tant d'écoles, d'hôpitaux, d'habitations dignes de ce nom demeurent à construire, tout gaspillage public ou privé, toute dépense d'ostentation nationale ou personnelle, toute course épuisante aux armements devient un scandale intolérable. Nous Nous devons de le dénoncer. Veuillent les responsables Nous entendre avant qu'il ne soit trop tard » (cf. Populorum Progressio, PP 53, AAS, 59, 1967, p. 283). Comment se défendre en effet d'un sentiment de profonde tristesse devant la tragique absurdité qui pousse les hommes — des nations entières — à consacrer des sommes fabuleuses à des armes de guerre, à entretenir des foyers de discorde et de rivalité, à réaliser des opérations de pur prestige, alors que les sommes d'argent prodigieuses ainsi gaspillées auraient, bien employées, suffi à tirer nombre de pays de la misère ? Triste fatalité qui pèse si lourdement sur la race humaine, pauvres et riches pour une fois engagés sur un même chemin ! Nationalisme exacerbé, racisme fauteur de haine, appétit de puissance illimité, soif de domination intempérante : qui convaincra les hommes de sortir de pareils errements ? Qui osera le premier rompre le cycle de la course aux armements, toujours plus ruineuse, toujours plus inutile ? Qui aura la sagesse de mettre un terme à des pratiques aussi aberrantes que le frein apporté parfois à certaines productions agricoles, à cause du manque d'organisation des transports et des marches ? L'homme qui a su domestiquer l'atome et vaincre l'espace saura-t-il enfin maîtriser son égoïsme ? L'UNCTAD — Nous voulons l'espérer — réussira à faire cesser ce scandale de l'achat, à des prix minimes, de la production des pays pauvres par les pays riches, qui vendent eux-mêmes bien cher leurs produits à ces mêmes pays pauvres. C'est toute une économie, trop souvent marquée par la puissance, le gaspillage et la peur, qu'il faut convertir en une économie de service et de fraternité.

Nécessité de solutions au plan international





10. Devant les dimensions mondiales du problème, il ne peut y avoir de solution adaptée qu'au plan international. Ce disant, Nous n'entendons nullement bannir les nombreuses et généreuses initiatives privées et publiques — qu'il nous suffise de citer notre inlassable Caritas internationalis — dont l'éclosion spontanée tient en éveil et stimule tant de bonnes volontés désintéressées, bien au contraire. Mais, Nous le disions déjà à New York, avec la même conviction que notre vénéré prédécesseur Jean XXIII dans son encyclique Pacem in terris : « Qui ne voit la nécessité d'arriver ainsi progressivement à instaurer une autorité mondiale en mesure d'agir efficacement sur le plan juridique et politique ? » (cf. Allocution à l'Assemblée générale de l'ONU, LE 4 octobre 1965, AAS, 57, 1965, p. 880). Vous l'avez du reste compris, en vous engageant dans ce Plan indicatif mondial pour le développement agricole (PIM) dont le projet intègre l'ensemble des perspectives en ce domaine dans une prospective aux dimensions mondiales (cf. Une stratégie de l'abondance, Collection FAO, L'alimentation mondiale, Cahier n. 11, Rome 1970). Nul doute que des accords librement consentis entre Etats n'en favorisent la mise en oeuvre. Nul doute aussi que le passage d'économies de profit égoïstement cloisonnées à une économie solidaire des besoins volontairement assumés ne requière l'adoption d'un droit international de justice et d'équité, au service d'un ordre universel vraiment humain (cf. M. F. perroux, De l’avarice des nations à une économie du genre humain, dans 30e Semaine Sociale de France, Richesse et Misère, Paris, Gabalda 1952, p. 195-212.).

70 Il faut donc oser, avec audace et persévérance, hardiesse et alacrité. Tant de terres sont encore en friche, tant de possibilités inexplorées, tant de bras inoccupés, tant de jeunes désoeuvrés, tant d'énergies gaspillées. Votre tâche, votre responsabilité, votre honneur, seront de féconder ces forces latentes, de réveiller leur dynamisme et de l'orienter au service du bien commun. C'est dire l'ampleur de votre rôle et sa grandeur, c'est dire son urgence et sa nécessité. Auprès des hommes d'Etat responsables, des publicistes, des éducateurs, des hommes de science comme des fonctionnaires, auprès de tous, il vous faut inlassablement promouvoir l'étude et l'action, à l'échelle du monde, cependant que tous les croyants y ajoutent la prière à « Celui qui donne la croissance, Dieu » (cf. 1Co 3,6-7). Déjà d'importants résultats apparaissent, hier encore inespérés, mais aujourd'hui garants d'un solide espoir : qui, ces derniers jours, n'a salué comme un symbole l'attribution du prix Nobel de la paix à Norman Borlaug, « le père de la révolution verte », comme on l'appelle ? Ah certes, si toutes les bonnes volontés se mobilisaient à travers le monde dans une pacifique conspiration, la tentation tragique de la violence pourrait alors être surmontée !

11. Plus d'un, peut-être, hochera la tête devant pareilles perspectives. Permettez-Nous pourtant de le dire sans ambages, au plan humain, moral et spirituel qui est le nôtre : aucune stratégie, d'ordre mercantile ou idéologique, n'apaisera la plainte qui monte, de tous ceux qui souffrent « d'une misère imméritée » (cf. Populorum Progressio, PP 9, AAS, 59, 1967, p. 261), comme des jeunes dont « la protestation retentit comme un signal de souffrance et comme un appel de justice » (cf. Discours prononcé à Genève, pour LE 50 le 50e anniversaire de l'OIT, LE 10 juin 1969, AAS, 61, 1969, p. 502). Si la nécessité, si l'intérêt sont pour les hommes des mobiles d'action puissants, souvent déterminants, la crise actuelle ne saurait être surmontée que par l'amour. Car, si « la justice sociale nous fait respecter le bien commun, la charité sociale nous le fait aimer (cf. R. P. J.-T. delos, O.P., Le bien commun international, dans 24e Semaine Sociale de France, Le désordre de l’économie internationale et la pensée chrétienne, Paris, Gabalda 1932, p. 210). « La charité, c'est-à-dire l'amour fraternel, est le moteur de tout le progrès social » (cf. Cardinal P.-E. léger, dans Le pauvre Lazare est à notre porte, Paris Montréal, SOS-Fides 1967, p. 13). Jamais des préoccupations d'ordre militaire ni des motivations d'ordre économique ne permettront de satisfaire aux graves requêtes des hommes de notre temps. Il y faut l'amour de l'homme : parce qu'il le reconnaît comme son frère, comme le fils d'un même Père, — le chrétien ajoute : comme une image du Christ souffrant, dont la parole ébranle l'homme en ses profondeurs les plus secrètes : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger... » (cf. Mt Mt 25,35). Cette parole d'amour est la nôtre. Nous vous la livrons humblement comme notre trésor le plus cher, la rampe de la charité dont le feu brûlant dévore les coeurs, dont la flamme ardente éclaire le chemin de la fraternité et guide nos pas sur les sentiers de la justice et de la paix (cf. Ps Ps 85,11-14).



*AAS 62 (1970), p.830-838.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. VIII, p.1143-1153.

L’Osservatore Romano, 16-17.11.1970, p.1, 2.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.47 p.1, 10-11.

La Documentation catholique, n.1575 p.1052-1056.





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