Discours 1973 7

AUX PROFESSEURS ET AUX ÉLÈVES DU «COLLÈGE DE DÉFENSE


DE L'ORAGNISATION DU TRAITÉ DE L'ATLANTIQUE NORD»*


Mercredi 7 février 1973




Vous avez désiré, pour vous et pour les vôtres, cette rencontre particulière avec Nous, avant de regagner vos patries, à l’issue de la Session qui vous a réunis ici ces derniers mois. Comme Nous l’avons déjà dit bien des fois à vos prédécesseurs, Nous vous encourageons à mettre votre compétence hautement qualifiée au service de vos pays, dans un esprit de compréhension mutuelle et de coopération, afin d’harmoniser toujours davantage les intérêts nationaux avec l’intérêt général.

Votre séjour à Rome vous aura permis aussi, comme à vos épouses et à vos enfants, de bénéficier de l’enrichissement qu’une telle Cité peut apporter à votre culture historique et artistique, ainsi qu’à votre propre foi. Et ici même, au coeur de l‘Eglise catholique, puissiez-vous découvrir également cette universalité que Nous évoquions dimanche dernier: elle est ouverte à tous les peuples, elle les appelle à développer leur génie particulier, à entrer les uns avec les autres dans un dialogue constructif, à cheminer vers la paix et le bonheur, en sachant que Dieu seul peut combler les aspirations mystérieuses du coeur humain. Ce Dieu n’est jamais loin de chacun d’entre nous, comme dit saint Paul (Cfr. Act Ac 17,27). En le priant de vous assister et de vous guider sur les chemins nouveaux que vous prenez, Nous implorons sur vous, sur vos familles et ceux qui vous sont chers, la lumière et la force de sa Bénédiction.

*Insegnamenti di Paolo VI, vol. XI, p.124-125;

ORf n. 7 p.4.




8 février



NATURE ET VALEUR PASTORALE DES NORMES JURIDIQUES DE L’EGLISE



8 Le jeudi 8 février, le Saint-Père a reçu, en la Salle du Consistoire, les Membres du Tribunal de la « Sacra Rota Romana », à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle année judiciaire. Auparavant, lesdits Membres s’étaient réunis en la Chapelle Pauline où le Vicaire Général de la Cité du Vatican, S. E. Mgr Pierre-Canisius van Lierde, Evêque titulaire de Porfireone a célébré la Messe votive du Saint-Esprit. Avant de recevoir en audience les Membres du Tribunal, Paul VI s’est entretenu en particulier avec le Doyen de la Sainte Rote, S. E. Mgr Boleslao Filipiak. A l’Audience en la Salle du Consistoire ont assisté, aux côtés de Mgr le Doyen et des R.mes Auditeurs, les Promoteurs de Justice, les Défenseurs du Lien, tous les Officiels ainsi que le Chancelier, Mgr Marius Zanichini, les Avocats Consistoriaux conduits par leur Doyen, Maître Jean Ferrata, les Procureurs des Palais Apostoliques, les Avocats de la Rote et les Défenseurs-délégués du Lien.

Après avoir entendu l’adresse d’hommage de Mgr Filipiak, le Saint-Père a prononcé un discours dont voici notre traduction :



Cette rencontre annuelle avec vous, vénérés Auditeurs et Officiels de la « Sacra Rota Romana », nous procure une grande joie ; en effet, non seulement elle nous offre l’occasion de vous assurer une fois de plus de notre confiance dans la mission que Nous vous avons confiée en tant que Pasteur-Vicaire du Christ, mais elle nous permet aussi de connaître vos sentiments et vos résolutions. C’est ainsi que Nous avons, dans les paroles de votre vénérable Doyen, Mgr Boleslao Filipiak, relevé la réaffirmation de votre sollicitude pastorale ; sollicitude qui, chez vous, est une tradition de sage équité, de « modération sacerdotale » (cf. AAS 62, 1970, 112), et correspond pleinement à l’esprit de l’Eglise, aux directives du Concile Vatican II, et aux voeux de tout l’Episcopat catholique. En réalité, les qualités du Droit que vous appliquez doivent apparaître dans les fonctions que vous remplissez et dans les sentences que vous prononcez. En interprétant le Droit, vous faites usage des pouvoirs et de la liberté qui vous ont été concédés ; pour vous, une décision juste n’est pas seulement une sentence qui correspond à l’équité naturelle ; elle doit correspondre plus étroitement encore à l’aequitas canonica, à l’équité canonique, qui est le fruit de votre charité pastorale et en constitue une des expressions les plus délicates.

Dans le travail du législateur canonique, comme dans l’action du juge ecclésiastique, l’aequitas canonica, demeure un idéal sublime et une précieuse règle de conduite. Ceci a été rappelé très clairement durant les travaux préparatoires au Concile : « In omnibus legibus ferendis eluceat spiritus caritatis et mansuetudinis Christi, qui semper aurea et perennis regula Ecclesiae est, et leges iudiciaque informare debet » (Relatio super schema Voti de Matrimonii Sacramento cum textu emendato, Typis Polygl. Vatic. 1964, p. 13). Parmi les normes pour la révision du Code, approuvées par le premier Synode des Evêques, se trouvait, recommandée une fois de plus, cette regula aurea : « Codex non tantum iustitiam sed etiam sapientem aequitatem colat quae fructus est benignitatis et caritatis ad quas virtutes exercendas Codex discretionem atque scientiam Pastorum et iudicum excitare satagat » (Principia quae Codicis Iuris Canonici recognitionem dirigunt, sub 3 in Communicationes, 1, 1969, 79). Le Droit canon apparaît ainsi, non seulement comme une norme de vie et une règle pastorale, mais également comme une école de justice, de discrétion et de charité agissante. Où donc tout cela pourrait-il se retrouver mieux que chez vous, dans vos Tribunaux où le Droit lui-même est appliqué au service des âmes ?

Nous avons déjà eu l’occasion d’exprimer notre désir d’approfondir ce concept de aequitas canonica, pour en mettre la valeur en pleine lumière (cf. AAS 62, 1970, 112). Aujourd’hui, Nous nous proposons de le faire ; et à cette fin, il nous faudra remonter à la nature même du Droit de l’Eglise.

I. Nature pastorale du Droit de l’Eglise





Nous nous adressions récemment à des juges provenant de diverses nations, et Nous leur avons rappelé que le Droit Canonique « est ius societatis visibilis quidem sed supernaturalis quae verbo et sacramentis aedificatur et cui propositum est homines ad aeternam salutem perducere » (Communicationes, 4, 1972, 99). Pour ce motif, il est un « Ius sacrum, prorsus distinctum a Iure civili. Et quidem ius generis peculiaris hierarchicum idque ex ipsa voluntate Christi. Id totum inseritur in actionem salvificam qua Ecclesia opus redemptionis continuat » (Ibidem). Ainsi, de par sa nature pastorale, le Droit canonique est expression et instrument du munus apostolicum et élément constitutif de l’Eglise du Verbe Incarné.

En tant que société visible, l’Eglise possède son Droit, fondé sur la nature même de l’Eglise comme « peuple constitué en corps social, organique, en vertu d’un destin et d’une action divine, moyennant un ministère de service pastoral — il nous plaît de le souligner — qui organise, dirige, enseigne et sanctifie en Jésus-Christ l’humanité qui s’attache à Lui dans la Foi et dans la Charité » (AAS, 62, 1970, 108). Le Concile a voulu éclairer ce mystère en soulignant le caractère sacramentel de la société ecclésiale : « L’Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen Gentium,
LG 1). « Il l’a acquise de son sang, l’a remplie de son Esprit, et l’a pourvue de moyens appropriés d’union visible et sociale » (Ibid., 9). Il y a en cela une analogie mystérieuse ; en effet, poursuit le Concile « de même que la nature assumée est au service du Verbe divin, comme un instrument vivant de salut, qui lui est indissolublement uni, c’est d’une manière analogue que l’organisme social de l’Eglise est au service de l’Esprit du Christ, qui le vivifie, pour la croissance du Corps » (Ibid., 8). Une telle union est si étroite qu’elle ne permet pas que ces deux aspects, pourtant distincts, soient en opposition entre eux. La société visible est une communauté spirituelle, et celle-ci ne peut exister sans celle-là, ni en dehors d’elle : « La Société... douée d’organes hiérarchiques et le Corps mystique du Christ, l’assemblée visible et la communauté spirituelle, l’Eglise de la terre et l’Eglise riche de biens célestes, ne doivent pas être considérées comme deux réalités, mais forment une seule réalité complexe, constituée d’un élément humain et d’un élément divin. Aussi ce n’est pas une vaine analogie que de la comparer au mystère du Verbe incarné » (Ibid., 8). Le Droit tend à structurer et à organiser cette réalité organique « qui exige une forme juridique et en même temps est animée par la charité » (Ibid., Nota praeviae, 2). Droit et Charité ne peuvent se trouver en opposition là où ils sont essentiellement unis.

Ceci a porté un Père du premier Synode des Evêques à affirmer que dans l’Eglise le divin et l’humain ne sont pas deux choses qui s’opposent, mais des éléments qui s’unissent en une seule réalité. Leur rapport n’est pas « sicut res ad rem. Potius... utrumque elementum, tamquam essentialiter constitutivum, unitatem vitae Ecclesiae efformant ita ut structura externa sit ad modum signi sacramentalis quo vita interna Ecclesia significatur et creatur. Hac ratione tota Ecclesiae activitas iuridica est ad modum signi sacramenti salutis quod est Ecclesiae quin hoc signum ad activitatem iuridicam restringatur. Sub hoc aspectu, activitas iuridica Ecclesiae non potest habere alium finem nisi manifestare et inservire vitae Spiritus scilicet vitae divinae fidelium, praesertim caritati » (Communicationes, 1, 1969, 97-98). Il nous plaît de relever que la rédaction du Ius novum qui devra nécessairement s’inspirer du Concile, ne fera qu’appliquer une telle doctrine ; et, de même, les principes de cette révision reprendront la doctrine elle-même (cf. Communicationes, 1, 1969, 79).

La sacramentalité de l’Eglise garantit son union avec Dieu, son efficacité surnaturelle, son sens du Christ. En outre elle est animée par l’Esprit qui construit et anime le Corps Mystique du Christ, le Peuple de Dieu, y transfigure les hommes en fils de gloire et leur assure la liberté des fils de Dieu ; les fait prier avec la prière de Jésus (cf. Rm Rm 8,15) et agit dans leur apostolat. Tout apostolat est acte du Christ; il ne peut s’exercer que sous l’impulsion de l’Esprit. Et comme l’Esprit sonde les profondeurs de Dieu (cf. 1Co 2,10) et connaît ce qui plaît au Seigneur (cf. Rm Rm 8,27), de même manière Il suscite en nous une prière ineffable et poursuit l’action rédemptrice du Christ à travers les actes de ses membres, Pasteurs et fidèles. Si le Droit canon a son fondement en le Christ, Verbe Incarné, et a, pour cette raison, une valeur de signe et d'instrument de salut, cela ressort de l'opération du Saint-Esprit qui lui confère force et vigueur; il faut donc qu'il exprime la vie de l'Esprit, produise les fruits de l'Esprit, révèle l'image du Christ. C'est pourquoi il est un Droit hiérarchique, un lien de communion, un droit missionnaire, un instrument de grâce, un droit de l'Eglise. Ces qualités représentent les exigences de l'Esprit qui vivifie et dirige l'Eglise, l'unit au Christ, la porte à Dieu et aux hommes en un seul et même élan d'amour. Et c'est là, l'opération de l'Esprit que nous allons maintenant relever dans l'évolution de cette aequitas canonica qui confère au droit de l'Eglise sa physionomie propre, son caractère pastoral.



II. L'« aequitas canonica » dans son évolution et dans son avenir





L'Eglise est, comme nous l'avons vu, sacrement de Jésus-Christ, comme Jésus-Christ est, dans son humanité, sacrement de Dieu (cf. H. de lubac, Méditations sur l'Eglise, Paris 1953, p. 137). C'est dans ce mystère que nous devons voir la fonction du Droit canon, votre mission et cette vertu qui, peu à peu institutionnalisée, est devenue l’aequitas canonica, définie par l'Hostiensis : iustitia dulcore misericordiae temperata (Summa aurea, Lib. V, De Dispensationibus): définition qui sera reprise par tous les spécialistes du Droit canon. L'Hostiensis poursuit ainsi : « Hoc autem a Cypriano sic describitur: aequitas est iustitia, est motus rationabilis regens sententiam et rigorem. Haec est enim aequitas quam iudex, qui minister est, semper débet habere prae oculis, scilicet sciat bonos remunerare, malos punire. Via regia incedens et se rationabiliter regens, non declinans ad dexteram vel sinistram ». En lisant ce texte, ne voyons-nous pas apparaître une lumière, le Seigneur de la justice et de la grâce, le Sauveur et le Juge des hommes ?

9 Depuis son origine, l'Eglise assume dans sa vie tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste et de beau dans la vie sociale et dans les aspirations des hommes, faisant ainsi resplendir la charité de Dieu dans l'humanité divinisée par l'Esprit d'Amour.

L'équité représente une des plus hautes aspirations de l'homme. Si la vie sociale impose les résolutions de la loi humaine, ses normes, inévitablement générales et abstraites, ne peuvent cependant pas prévoir les circonstances concrètes dans lesquelles les lois viendront à être appliquées. Devant ce problème, le Droit a tenté d'amender, de rectifier et, aussi, de corriger le rigor iuris ;et ceci se réalise grâce à l'équité, qui incarne de telle sorte les aspirations humaines vers une meilleure justice.

Dans le Droit canon, l'aequitas, que la tradition chrétienne a héritée de la jurisprudence romaine, constitue la qualité de ses lois, la norme de leur application, une attitude d'âme et d'esprit qui tempère la rigueur du Droit. La présence de l'aequitas comme élément humain correctif et facteur d'équilibre dans le processus mental qui doit conduire le juge à prononcer la sentence, se rencontre dans les Décrétali et dans toute l'histoire du Droit canon, même si parfois les dénominations en sont différentes.

Cet élément caractérise votre jurisprudence de manière toute spéciale. Au juge ecclésiastique, l'Eglise impose l'obligation de juger ex aequo et bono ; cette obligation, votre Tribunal l'a toujours mise en pratique, surtout lorsqu'il doit connaître de causes affiliées arbitrio Rotae : c'est l'aequitas iure informata.

Le Code actuel a fait siennes les exigences de miséricorde et d'humanité en vue de rendre une justice plus indulgente, plus compréhensive. Il parle de aequitas, de aequitas naturalis, de aequitas canonica, en se réclamant du principe ultime auquel il fera appel, le droit naturel ou le droit canon. Il précise ensuite la portée de l'aequitas, et la fonction qui lui incombe : celle-ci consiste en une justice supérieure en vue d'une fin spirituelle ; elle adoucit la rigueur du droit, mais parfois aussi elle aggrave certaines peines ; dans tous les cas, elle se distingue du droit positif pur, alors que celui-ci ne peut tenir compte des circonstances. Enfin, elle va même jusqu'à recommander, conformément aux origines apostoliques du Droit (cf.
1Co 6,1-7), d'éviter le procès pour remettre la cause à des arbitres qui tranchent ex bono et aequo (Can. 1929).

Aujourd'hui l'influence du Concile Vatican II se fait sentir de plus en plus sur l'évolution du Droit : ne croit-on pas qu'il deviendra peut-être nécessaire de repenser Vaequitas canonica à la lumière du Concile même, pour lui conférer une valeur plus chrétienne et un sens plus fortement pastoral ? Les principes mêmes de la révision semblent le suggérer : la sapiens aequitatis dont il est question est le fruit d’un esprit de bienveillance et de charité. Repenser cette institution, ce sera en sauvegarder l’esprit.

II. Valeur pastorale du « munus iudicandi »





C’est à travers l’aequitas canonica que s’affirme le caractère pastoral de votre office judiciaire, un caractère qui a été récemment réaffirmé avec autorité (D. staffa, De natura pastorali administrationis iustitiae in Ecclesia, dans Periodica, 61, 1972, 3-17). Et vraiment, ce ministère de l’Eglise est, dans tout le sens de la parole, pastoral ; c’est un ministère du sacerdoce chrétien (Lumen Gentium LG 27); il a ses racines dans la mission que le Seigneur confia au « Primus Petrus » (PIE XII, Discours, vol. III, p. 209), lequel continue, dans ses successeurs, à gouverner, à enseigner, à juger (cf. Concile Vatican II, Constitutio dogmatica de Ecclesia, I, denz.-schon., 3056) ; il fait partie intégrante du mandat apostolique, et en sont participants tous ceux qui, prêtres et laïcs, sont appelés à exercer la justice en Notre nom et en celui de nos Frères de l’Episcopat. Ce pouvoir fut exercé par les Apôtres, et leurs successeurs ont poursuivi l’exercice d’une telle mission. Suivant le conseil de l’Apôtre des Gentils, ceux-ci ont jugé également les causes civiles pour y faire prévaloir le droit tempéré de la charité (cf. 1Co 6,1-7). Saint Augustin le rappelle : « Constituit enim talibus causis ecclesiasticos cognitores, in foro civili prohibens iurgari christianos » (Enarrationes in Ps 118, Sermo 28, 3). Quand le Christianisme aura transformé les moeurs de la société, ces causes séculières seront remises au forum civil, où on aime également voir la justice appliquée suivant les normes de la Vérité divine.

Ce ministère du juge ecclésiastique est pastoral parce qu’il vient en aide aux membres du Peuple de Dieu qui se trouvent en difficulté. Le juge est pour eux le Bon Pasteur qui console celui qui a été frappé, guide celui qui s’est fourvoyé dans l’erreur, reconnaît les droits de celui qui a été lésé, calomnié ou injustement humilié. L’autorité judiciaire est ainsi une autorité de service, un service qui consiste en l’exercice du pouvoir que le Christ a confié à son Eglise pour le bien des âmes.

Pour être évangélique, un tel service devra éviter toute forme d’absolutisme ou d’égoïsme ; il devra s’accomplir dans le respect de la personne, libre et responsable ; il consistera à guider sans opprimer, à aimer son frère qui accepte l’obédience comme un devoir et non comme une nécessité extrinsèque, comme un bien pour le chrétien et un bénéfice pour la communauté.

Le juge tiendra compte, grâce à l’aequitas canonica, de tout ce que la charité suggère et consent pour éviter la rigueur du droit, la rigidité de son expression technique ; il évitera de juger selon la lettre — qui tue — pour animer ses interventions avec la charité, qui est un don de l’Esprit qui libère et vivifie ; il tiendra compte de la personne humaine, des exigences de la situation qui, si elles obligent parfois le juge d’appliquer la loi avec plus de sévérité, doivent aussi le porter à exercer habituellement le droit de manière plus humaine, plus compréhensive ; il devra avoir soin non seulement de sauvegarder l’ordre juridique, mais également de guérir et d’éduquer, témoignant ainsi d’une véritable charité. L’exercice pastoral du pouvoir judiciaire est plutôt curatif que vindicatif ; s’il y a des peines à appliquer, il ne faudra jamais que celles-ci aient l’air d’une vengeance, mais, selon la pensée de Saint Augustin, elles devront se présenter comme une expiation voulue (cf. De Civitate Dei, 21, 13).

10 Sera également oeuvre pastorale, cette doctrine pondérée, constamment rajustée et adaptée en vertu de la même aequitas canonica que vous appliquez. Les décisions de la Rote sont un monument de science juridique et de sagesse chrétienne, auquel viennent s’ajouter à présent, comme heureux complément, les décisions du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, régulièrement publiées. Profitons-nous suffisamment de ce trésor qui ne comprend pas seulement des normes juridiques et des règles de droit, mais aussi de nombreuses indications pastorales de caractère psychologique et social ?

Mais parler de Pastorale aujourd’hui comporte un autre sens qui est lié étroitement à la mission pastorale de l’Episcopat et à la mission apostolique de l’Eglise. La Pastorale est l’organisation bien pondérée de l’apostolat; elle a en vue la répartition équilibrée des personnes ; elle favorise une plus parfaite collaboration grâce à un programme pastoral fondé sur une information sérieuse et objective, programme qui ne peut toutefois suffoquer l’Esprit (cf.
1Co 12,11), ni empêcher la liberté de ses dons (Th 5, 19). Cette pastorale d’ensemble ne peut devenir ni une chaîne, ni une forme nouvelle d’autoritarisme, de domination ou de centralisation excessive.

Plus encore que d’un renouvellement du travail apostolique grâce à une meilleure collaboration, la Pastorale se préoccupe des personnes, de ceux qui sont à la recherche de la vérité, de ceux qui doivent grandir dans le Christ. C’est en ce sens qu’une Constitution du Concile Vatican II fut appelée « pastorale » ; elle constitue un effort d’insertion, de présence de l’Eglise « qui veut exposer à tous comment il envisage la présence et l’action de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui » (Gaudium et Spes, Avant-Propos, 2, 1).

Le Droit canon, tout comme les Pasteurs et les juges, doit s’ouvrir aux exigences d’une pastorale renouvelée. Comme l’affirmait notre vénérable prédécesseur Pie XII, « Quemadmodum omnia quae in Ecclesiae sunt ita ius canonicum quoque omnino in animarum curationem contendere... Sive cum is ecclesiasticas res administrat, sive cum iudicia exercet, sive cum sacrorum administrator aut Christi fidèles consilio iuvat, assidue cogitet a se de animorum salute... rationem esse reddendam » (AAS 45, 1953, 688).

Nous sommes heureux d’avoir pu développer en votre compagnie ces réflexions sur les exigences de votre mission, sur la nature du Droit commun et sur le mystère de l’Eglise. Ce mystère nous est toujours présent à l’esprit; nous en avons tellement fait souvent l’objet de nos considérations ; ses divines profondeurs nous apparaissent toujours plus lumineuses, plus réconfortantes : Ecclesia de Trinitate (cf. St cyprien, De Orat. Dom., 23 ; PL 4, 553). L’Eglise est ce Christus totus qui, dans l’Esprit, unit l’humanité à la vie divine où le Père des Lumières s’exprime dans son Verbe pour unir à Lui l’un et l’autre, dans ce mutuel amour qu’est l’Esprit Saint. L’Eglise est le sacrement de cet amour; voilà pourquoi elle est la mère des hommes créés à l’image de Dieu, et sauvés par le Verbe fait chair; elle est signe de vie divine et instrument de salut. Et vous, en prononçant vos sentences « solum Deum prae oculis habentes » vous servez et adorez précisément ce Dieu d’Amour.

La justice que vous devez exercer avec équité canonique, vous la voulez plus rapide, plus indulgente, plus sereine : Plus rapide : en fait, la prudence ne s’identifie pas nécessairement avec la lenteur qui provoque même parfois une réelle injustice et procure un grand dommage aux âmes ; plus indulgente : mais l’équité canonique « non plus aequo urgeatur ita ut normas neglegere suadeat », parce qu’alors elle deviendrait nuisible et cause d’incertitude (F. roberti, De Processibus, p. 99) ; plus sereine : en effet, il n’est rien qui pourrait être plus nuisible pour l’ordre social qu’une jurisprudence qui, pour être pastorale, voudrait se passer du droit; pour assainir des situations pénibles, elle porterait préjudice à la vérité révélée et aux faits de la foi ; et dans le consentement matrimonial, elle ne réussirait plus à découvrir ce contrat de fidélité et de secret d’union qui, dans la volonté humaine, est la première fleur de l’amour.

Nous n’ignorons pas la préoccupation de tant de juges qui, comme vous, voient diminuer le nombre d’étudiants dans nos facultés de Droit Canon. Cette situation place certaines Eglises particulières dans l’impossibilité d’exercer avec compétence et rapidité le munus iudicandi qui leur a été confié par Dieu ; et cela peut aussi causer préjudice au plein exercice des prérogatives de l’Episcopat.

Voilà les pensées que nous avons cru bon de soumettre à vos méditations, dans l’espoir qu’elles vous feront comprendre toujours plus que votre mission est importante, que votre responsabilité est pastorale, que vos sentences peuvent apporter paix et réconfort.

En témoignage de notre reconnaissance et de notre estime, c’est de tout coeur que nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique, à vous tous qui êtes ici présents ainsi qu’à tous vos collaborateurs.





À UN GROUPE DE SPÉCIALISTES DE L'HÉMODIALYSE


Vendredi 16 février 1973

C'est une joie particulière pour Nous, chers Messieurs, de vous recevoir aujourd’hui et de pouvoir vous adresser quelques mots. Nous sommes heureux tout d’abord de saluer, à travers votre groupe de spécialistes de l’hémodialyse, tous les techniciens hautement qualifiés qui assurent la mise au point et le bon fonctionnement des organes artificiels dont le développement rend de si grands services à l’humanité souffrante.


11 Car vous êtes constamment au service d’hommes qui souffrent, et c’est la seconde raison pour laquelle Nous apprécions cette rencontre. Non seulement votre travail exige une compétence qui Nous plonge dans l’admiration - Nous savons l’extrême complexité de vos appareils et l’attention, les soins méticuleux qu’ils exigent mais vous mettez cette compétence entièrement au service de malades. Non sans mérite ni même, parfois, sans péril pour votre propre santé, vous assurez à certains une prolongation notable de leur vie, à tous un soulagement de leurs souffrances. Et vous n’êtes pas sans éprouver un réel attachement aux personnes qui vous font ainsi confiance au point de vous remettre, en même temps qu’à leur médecin, le soin de leur propre vie. Peut-être n’est-ce pas l’une des moindres épreuves de votre profession, que de voir souvent s’éteindre, malgré vos efforts, ceux qui, jour après jour, étaient devenus plus que des malades, des amis. Pour reculer dans les limites du possible, une telle issue, vous essayez sans cesse de perfectionner vos appareils et vos méthodes: Nous nous réjouissons du succès qui souvent récompense vos efforts.

Oui, vous représentez pour une part à nos yeux, chers Messieurs, ce que le monde moderne tout entier devrait aspirer à devenir: une société dans laquelle le savoir ne fait pas abstraction de l’humain; où la technique se met tout entière au service réel des personnes; où le coeur, l’amour efficace du prochain, garde sa véritable place qui doit être la première. Dans votre vie professionnelle, vous trouvez donc un véritable idéal à réaliser. Nous vous encourageons à l’envisager avec toujours plus de réalisme et de générosité.

Quant à Nous, nous sommes très ému de recevoir de vos mains le rein artificiel que votre Société a tenu à Nous offrir. Nous y trouvons l’expression de la haute valeur technique de vos travaux et de votre souci des pauvres qui recourent à notre charité. Nous destinons précisément ce rein à «l’ospedale del Bambin Gesù», de Rome. Au nom de ceux qui en profiteront, Nous vous remercions de grand coeur. Sur vous tous, sur vos familles, Nous appelons les grâces du Seigneur, en vous donnant notre Bénédiction Apostolique.



AUX MEMBRES DU BUREAU DU


MOUVEMENT INTERNATIONAL DE


L'APOSTOLAT DE L'ENFANCE (MIDADE)


Mercredi 21 février 1973




Chers Amis,

Nous imaginons que la grande maison où nous vous recevons serait bien trop petite, si tous les enfants que vous représentez, surgissaient soudain à nos côtés! Et pourtant, chers amis du Bureau du MIDADE, ils sont bien là, par votre intermédiaire, ces millions d’enfants des cinq continents. A travers vous, les serviteurs de leur propre mission d’enfants, nous voulons leur dire une seule chose. Car ces journées romaines de votre Bureau International marquent la Reconnaissance officielle de leur Mouvement, qui est aussi le vôtre.

Nous savons que les enfants de tous âges, de tous pays et de tous milieux ont soif d’être reconnus comme de vraies personnes; ils veulent que leur entourage les prenne au sérieux. Nous savons aussi que dans leurs jeux et dans les actions vécues avec leurs amis et camarades, des communautés naturelles naissent et grandissent dans l’Amour. Ces communautés peuvent devenir les signes du Royaume de Dieu dans leur monde d’enfants.

Mais nous savons surtout qu’ils ont tous besoin de se sentir rattachés à un Mouvement à leur taille d’enfants. Lorsqu'ils sont chrétiens, ils veulent sentir que l’Eglise de leurs aînés - parents, amis, responsables, prêtres, évêque - reconnaît la valeur de leur Communauté d’enfants.

Et voilà qu’aujourd’hui, l’Eglise de Rome, servante de la Charité dans le monde entier, répond aux appels qui montent de la vie des enfants et que nous apportent leurs responsables. L’Eglise reconnaît «comme liée à sa Mission et à ses buts», la grande Communauté mondiale des enfants membres actifs du MIDADE (Cfr. Document d’Orientation du Conseil des Laïcs pour les OIC, p. 5).

Nous imaginons leur joie à cette nouvelle! Nous pensons à tous, quelle que soit leur situation: les victimes de la guerre et de ses suites, les affamés de nourriture et de savoir, ceux aussi que ne respecte pas une société de «consommation». Tous apprendront que le Pape juge importante leur action, que l’Eglise les reconnaît comme les apôtres authentiques du Seigneur Jésus, partout où ils jouent, travaillent et vivent. Mais cette reconnaissance comme «Organisation Internationale Catholique» sera exigeante pour eux, pour vous, et pour toute l’Eglise.

Pour eux d’abord, qui sont plus que d’autres, ces «laïcs en première ligne» dont parlait le Cardinal Cardijn: ils devront être encore plus attentifs à tous les enfants du monde, qu’ils rencontrent si facilement.

12 Pour vous ensuite, leurs responsables: vous aurez à développer plus encore le Mouvement, à dialoguer davantage avec les Mouvements de jeunes et d’adultes et les autres organismes touchant à l’Enfance.

Pour toute l’Eglise enfin, cette reconnaissance aura des exigences: tous ses membres devront faciliter et soutenir cet apostolat si conforme à sa mission. A notre place, chargé par le Seigneur de «confirmer nos frères dans la foi», nous sommes heureux de dire à nos plus jeunes frères, amis privilégiés de Jésus: nous soutenons votre foi, nous admirons votre espérance, nous bénissons votre apostolat.




5 mars



PAUL VI RÉVÈLE LES NOMS DES DEUX CARDINAUX « IN PETTO » CREES EN 1969 : NN. SS. STEPÁN TROCHTA (TCHECOSLOVAQUIE) ET JULIUS HOSSU, DECEDE (ROUMANIE)



Au cours du Consistoire Secret qu’il a tenu le 5 mars, dans la matinée, Paul VI a prononcé une importante allocution au cours de laquelle il a révélé les noms des deux Cardinaux « in petto » créés en 1969 et il a expliqué les raisons pour lesquelles il n’avait pas rendu publiques ces nominations avant ce jour. Le Saint-Père a laissé entendre, en outre, qu’il envisageait d’adjoindre au Collège des Cardinaux les Patriarches et certains Evêques pour participer à l’élection du Souverain Pontife.



Vénérables Frères, Cardinaux-Evêques, Prêtres et Diacres de la Sainte Eglise Catholique Romaine.



Réunis aujourd’hui au nom du Seigneur pour tenir ce Consistoire, il nous faut considérer avec attention cette vénérable Assemblée que vous formez et que nous avons l’habitude de désigner sous le nom de Sacré Collège des Cardinaux. Selon l’histoire de l’Eglise et le droit canonique, ses membres se voient confier la fonction d’entourer le Souverain Pontife en tant que principaux conseillers et collaborateurs, en l’aidant à remplir sa charge apostolique de guide de l’Eglise. Ainsi ces Cardinaux constituent comme un Sénat qui assiste le Successeur de Pierre, l’apôtre que le Christ a voulu instituer « principe et fondement perpétuels et visibles de l’unité de foi et de communion » (Lumen Gentium, LG 18). C’est pourquoi on peut dire de ce Sacré Collège qu’il est d’une certaine façon « une partie de notre corps », comme Nous le trouvons écrit dans les anciens documents ecclésiastiques (cf. wernz, II, 459) ; et il peut ainsi revêtir le caractère déjà bien connu et aujourd’hui mieux défini de « Presbyterium » qualifié de l’Eglise romaine, au sein du Collège des Evêques et en rapport avec lui, ce Collège dont le récent Concile oecuménique a illustré clairement le pouvoir très large qu’il doit exercer en communion hiérarchique avec le pouvoir qui Nous appartient comme Pasteur universel.

Et si cette institution ecclésiastique, Nous parlons du Presbyterium, a été citée expressément par le même Concile comme un instrument au service de la charge pastorale des Evêques dans toute sa complexité, ceci Nous semble justifier, d’une façon certaine et par une sage disposition, la raison pour laquelle existe notre Sacré Collège, votre Sacré Collège, et aussi sa composition à la fois variée et uniforme, due uniquement au libre choix du Pontife romain. Cela confirme également la dignité attachée au Sacré Collège et les prérogatives dont il jouit, la première étant, lors de la vacance du Siège apostolique, d’élire le Successeur de l’Evêque de Rome et donc du Pontife Romain, et la seconde consistant à représenter de façon particulière vos Eglises respectives. Celles-ci en effet, à travers vos personnes — comme les titres cardinalices qui vous sont attribués le manifestent de façon symbolique — participent de façon originale et significative à l’unité et à la catholicité de l’Eglise universelle, ici même où, par la volonté du Christ, elle apparaît comme « Mater et Caput ».

Que l’on ne soit donc pas surpris si, suivant l’exemple de notre vénéré prédécesseur Jean XXIII, Nous avons estimé opportun d’augmenter quelque peu l’importance numérique traditionnelle du Sacré Collège des Cardinaux en choisissant de nouveaux membres, très dignes, dont Nous allons lire bientôt la liste officielle, même si vous la connaissez déjà. Comme, en effet, l’Eglise s’est étendue et que le nombre de ses membres a augmenté, il importe que, pour l’honneur et le service aussi bien du Collège épiscopal tout entier que de Nous-même, une nouvelle vigueur soit apportée au Collège des Cardinaux.

Pour cette raison, Nous ajoutons aujourd’hui des membres à ce Collège de façon que leur nombre parvienne à un chiffre encore jamais atteint. Cependant, il Nous a paru bon d’établir une norme en ce qui concerne les Cardinaux jouissant du droit d’élire le Pontife Romain ; Nous décidons en effet que le nombre des Cardinaux ayant la faculté de procéder à cette élection ne doit pas dépasser cent vingt personnes. Nous souhaitons en outre que cette norme dûment pesée reste longtemps en vigueur et que nos Successeurs dans la charge apostolique veuillent bien l’observer.

La liste des Cardinaux que Nous allons donc proclamer dans un instant ne comporte aujourd’hui aucun nom de Patriarche des Eglises orientales. Cela s’explique par le fait que Nous avons voulu accorder satisfaction à un souhait exprimé par certains d’entre eux. Il n’en demeure pas moins que Nous comptons bien nous assurer toujours davantage de leurs conseils, importants à nos yeux, et de leur fraternelle collaboration ; qui plus est, Nous nous posons la question de savoir s’il ne convient pas de saisir l’occasion de bénéficier de la contribution qu’ils peuvent peut-être apporter à l’élection du Souverain Pontife.

De même Nous nous demandons s’il n’est pas opportun de prendre en considération la possibilité d’associer au Sacré Collège des Cardinaux, pour une fonction si importante, ceux que le Synode des Evêques, qui est en quelque sorte l’émanation du Corps constitué par tous les Pasteurs de l’univers, choisit — sans excepter ceux qui sont désignés par le Pontife Romain — pour constituer le Conseil du Secrétariat général de ce Synode, dont ils sont ainsi les représentants.


Discours 1973 7